M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson, au nom de la commission des affaires économiques.
M. Pierre Hérisson, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires économiques, permettez-moi de me réjouir de la tenue de ce débat aujourd’hui au Sénat. Le sujet des fréquences hertziennes semble technique, mais il mérite d’être discuté au Parlement, et spécialement à la Haute Assemblée, qui consacre une partie de son travail à la prospective.
Le spectre hertzien revêt une importance stratégique, comme la commission des affaires économiques a déjà eu l’occasion de le souligner, et cette importance va croissant avec l’exigence toujours plus grande de nos concitoyens pour la mobilité. L’homme contemporain vit de plus en plus connecté à des réseaux variés et s’attend à pouvoir user de cette connexion à tout moment et où il se trouve.
Or seule la transmission par radiofréquences peut satisfaire cette attente. C’est dire l’enjeu que représentent l’attribution de fréquences et la nécessité pour le Parlement de débattre de l’affectation du domaine public hertzien, ressource rare et actif immatériel de l’État, vecteur de croissance pour l’économie numérique et, plus largement, pour l’ensemble de notre économie, qui en a bien besoin à l’heure actuelle !
Le 12 janvier dernier, le Premier ministre a pris acte de cette situation en annonçant différentes mesures qui inscrivent le numérique dans une logique de relance de l’économie française. À ce titre, il a donné le coup d’envoi à la procédure d’attribution de fréquences destinées au très haut débit mobile, qui succédera à l’UMTS, Universal mobile telecommunications system. Il s’agit de la bande 2,6 gigahertz, identifiée dès la Conférence mondiale des radiocommunications, la CMR, de 2000 et destinée au déploiement de capacités en zones denses et de la bande 800 mégahertz, identifiée lors de la CMR de novembre 2007.
Aujourd’hui utilisée par la radiodiffusion télévisuelle, cette bande de fréquences basses présente des qualités de propagation qui la destinent, dès l’extinction de la télévision analogique, à compléter la bande 2,6 gigahertz pour la couverture du territoire en haut débit mobile. C’est pourquoi, conformément aux préconisations de la Commission du dividende numérique présidée par notre excellent collègue Bruno Retailleau, l’arrêté du Premier ministre du 22 décembre 2008 attribue cette bande 800 mégahertz à l’ARCEP, à compter du 1er décembre 2011.
Dans ce schéma global d’attribution de fréquences, il n’était plus possible de laisser en jachère les fréquences restant à attribuer à l’UMTS dans la bande 2,1 gigahertz et identifiées dès la CMR de 1992. L’essor de l’UMTS engendre des besoins d’accès au spectre, que les fréquences toujours libres dans cette bande peuvent contribuer à satisfaire.
De surcroît, les opérateurs mobiles existants ont besoin de visibilité. En effet, si un nouvel entrant était autorisé dans la bande 2,1 gigahertz, ces opérateurs seraient tenus, conformément à leur cahier des charges, de lui restituer des fréquences dans la bande 900 mégahertz. Enfin, et ce point n’est pas à négliger, l’attribution de fréquences disponibles pourrait alimenter, à hauteur de 619 millions d’euros, le fonds de réserve pour les retraites.
Si l’on se fonde sur les intentions que le Gouvernement a annoncées le 5 février dernier concernant le prix de la licence et que vous venez de rappeler, monsieur le secrétaire d’État, cet avantage en termes de recettes fiscales sera néanmoins contrebalancé par la baisse des recettes de l’impôt sur les sociétés liée à la moindre rentabilité probable des opérateurs mobiles. Il faut que nous en soyons conscients.
Revenons un moment sur l’histoire mouvementée de l’attribution de la bande 2,1 gigahertz. En 2000, un premier appel à candidatures proposait déjà quatre licences, mais deux seulement furent attribuées en 2001, au prix fort de 4,95 milliards d’euros ! Il est du rôle de la commission des affaires économiques de faire ces rappels. Après l’éclatement de la bulle financière, le prix de ces licences fut divisé par huit et, au terme d’un nouvel appel à candidatures, une troisième licence fut accordée à la fin de l’année 2002 à Bouygues Telecom, au prix de 619 millions d’euros, prix rétroactivement appliqué à Orange et à SFR.
La quatrième licence restant disponible, un troisième appel à candidatures a été lancé en 2007, mais la candidature d’Iliad, qui exigeait un étalement du paiement de la redevance de 619 millions d’euros, a été rejetée en octobre 2007.
Le Gouvernement avait alors souhaité, par la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite loi Chatel, reprendre la main sur la fixation des redevances UMTS, qui figurait jusque-là en loi de finances. Le législateur a demandé en contrepartie la tenue d’un débat préalable au Parlement. C’est ce qui nous vaut d’être réunis aujourd’hui.
C’est donc un quatrième appel à candidatures que le Gouvernement demande à l’ARCEP de lancer, mais sous une forme inédite, ce qui permet d’espérer qu’il ne reste pas infructueux : trois lots sont proposés, de 5 mégahertz chacun, correspondant à la largeur d’un canal UMTS. L’un de ces lots est réservé à un nouvel entrant, les deux autres mettront en compétition de nouveaux entrants et opérateurs mobiles existants.
Le schéma que propose ainsi le Gouvernement semble sage. En donnant la priorité à un nouvel entrant sur une partie du spectre, il entend dynamiser le marché de la téléphonie mobile. Il n’est pas simple de mesurer le degré de concurrence en ce domaine. En tout état de cause, l’amende infligée par le Conseil de la concurrence aux trois opérateurs en place pour la période 2000-2002 a pu légitimement nourrir des soupçons d’oligopole.
Il s’agit d’une tendance naturelle du marché de la téléphonie mobile, en raison des barrières d’entrée que constituent les investissements considérables à consentir pour acquérir une licence et déployer un réseau.
Même les opérateurs de réseau mobile virtuel, les MVNO, qui ne détiennent pas de réseau en propre, n’ont pas pu animer la concurrence sur le marché de détail : leur part de marché ne dépasse pas 5 % du parc d’abonnés au mobile. Pourquoi ne jouent-ils pas un rôle plus décisif ?
En raison des conditions commerciales, techniques et tarifaires que les opérateurs de réseau leur consentent et que le Conseil de la concurrence a parfaitement analysées dans son avis de juillet 2008, les MVNO sont, pour la plupart, prisonniers de leur opérateur-hôte, auquel ils sont liés par une clause d’exclusivité. Comment, dès lors, pourraient-ils mettre en concurrence les opérateurs de réseau ? En outre, la croissance externe des MVNO est bridée par la préemption de leur base de clients, voire de leurs actifs, par leur opérateur-hôte : sans consolidation entre MVNO, quel développement ces opérateurs peuvent-ils espérer?
L’apparition d’un quatrième opérateur de réseau pourrait changer la donne. Il n’existe pourtant pas de corrélation évidente entre le nombre d’opérateurs de réseau et le niveau des prix : le treizième rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre du cadre réglementaire des communications électroniques laisse apparaître des prix très élevés pour la téléphonie mobile en Allemagne, où l’on compte pourtant quatre opérateurs UMTS, et des prix très bas en Finlande, où l’on en compte seulement trois. L’existence de quatre opérateurs UMTS n’apportera donc aucune garantie au marché du mobile en France. L’exemple espagnol, où le quatrième opérateur peine à exister, appelle aussi à la prudence.
Néanmoins, le marché mobile français étant déjà arrivé à un certain degré de maturité, l’enjeu des opérateurs en place est la fidélisation du client. Si un nouvel entrant était autorisé dans ce contexte stabilisé, il devrait nécessairement déployer une stratégie plus ambitieuse pour gagner des clients, et non pas seulement pour les fidéliser. À ce titre, il devra probablement déployer des efforts en termes de prix ou d’innovation susceptibles de bénéficier au consommateur. C’est d’ailleurs bien là l’enjeu.
Dans le contexte de convergence du fixe et du mobile, un nouvel entrant qui proposerait déjà des accès internet fixes pourrait miser sur le transport quasi gratuit de la voix sur réseau IP, et installer, dans les box de ses clients haut débit, des minirelais lui permettant ainsi d’étendre son réseau de téléphonie mobile. Des offres attractives et illimitées en quadruple play – fixe, mobile, haut débit et télévision – pourraient ainsi se développer. Ce serait alors une nouvelle avancée de la banalisation des nouvelles technologies, ainsi ouvertes à tous.
L’entrée d’un nouvel opérateur sur le marché du mobile peut donc offrir de nouvelles opportunités en matière de tarifs et d’usages. Mais le bénéfice escompté ne doit pas s’obtenir à n’importe quel prix. D’abord, il est essentiel que l’attribution d’une licence à un nouvel entrant se fasse de manière équitable, pour ne pas déstabiliser l’industrie du mobile.
À ce titre, la solution retenue par le Gouvernement, qui consiste à proposer ce lot de 5 mégahertz à un prix proportionnellement équivalent au prix acquitté par les trois premiers opérateurs, semble raisonnable.
Toutefois, on peut s’interroger sur l’exactitude et sur la valeur juridique de cette méthode. En tout état de cause, un certain nombre de précautions devront être prises.
Les uns estimaient que l’accès au rang d’opérateur mobile grâce au lot réservé à un nouvel entrant impliquait de survaloriser ce lot. Il est important de signaler ce point.
D’autres jugeaient que le quatrième opérateur, à qui l’on proposait la bande représentant le tiers de celle qui était occupée par chacun des trois autres, était pénalisé et qu’il devait donc payer moins cher que s’il avait concouru pour un lot identique à ceux détenus par les autres opérateurs.
Entre ces deux positions, le prix de 206 millions d’euros représente-t-il vraiment un compromis équitable ? La question mérite d’être posée.
Assurer l’équité, c’est aussi exiger de ce quatrième opérateur qu’il contribue à la réduction de la fracture numérique. Le déploiement de la 3G ayant pris du retard, il revient à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, d’obtenir des opérateurs existants qu’ils remplissent leurs obligations en la matière, notamment en utilisant pour la 3G la bande 900 mégahertz initialement dédiée au GSM.
Vous l’avez affirmé, monsieur le secrétaire d’État, le cahier des charges du nouvel entrant sera au moins aussi exigeant que celui des trois opérateurs en place, non seulement pour assurer l’équité entre les opérateurs, mais aussi pour ne pas sacrifier la couverture du territoire sur l’autel du consumérisme. Il est essentiel d’imposer au nouvel entrant des obligations de couverture nationale identiques à celles qui incombent aux opérateurs en place, surtout en milieu rural. Notre collègue Bruno Sido reviendra sur ce sujet dans quelques instants, plus particulièrement sur son financement.
C’est ambitieux, mais pas forcément utopique ; le nouvel entrant sera autorisé à utiliser la bande 900 mégahertz, et ces fréquences basses lui permettront de déployer à moindre coût son réseau ; il bénéficiera aussi, pendant un temps, de l’itinérance sur un réseau mobile GSM existant, dès qu’il couvrira 25 % de la population ; enfin, il aura accès aux sites 2G réutilisés en 3G.
Ce dernier point est essentiel ; seul le partage de sites permettra un déploiement rapide de ce quatrième réseau et, dans un second temps, une division par quatre du coût de l’extension de la couverture 3G du territoire, comme le prévoit la loi de modernisation de l’économie.
Dans le contexte actuel d’inquiétude croissante de la population, mais aussi du juge, sur les conséquences des réseaux mobiles sur la santé, cette mutualisation apparaît surtout comme le meilleur moyen d’assurer le déploiement des réseaux.
Sur ce point, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous, au nom du Gouvernement, à la fois rassurer la population sur la nature des risques réellement encourus par son exposition aux différentes sources d’ondes électromagnétiques – au-delà de celles qui sont liées à la téléphonie mobile – et rassurer les opérateurs sur votre volonté de développer les réseaux numériques, socles de la croissance de demain ?
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Pierre Hérisson, au nom de la commission des affaires économiques. Vous avez annoncé à l’Assemblée nationale un « Grenelle » des antennes. C’est une excellente idée, car il me paraît urgent de traiter au fond cette question lancinante, qui a pris une dimension nouvelle à la suite d’un arrêt récemment rendu par la cour d’appel de Versailles. Il faut qu’enfin le Gouvernement se positionne pour ne pas laisser au seul juge toute latitude pour interpréter le principe de précaution ou la notion de « troubles de voisinage ». C’est une question essentielle pour l’avenir. Il est temps d’apporter des réponses claires qui mettent un terme à cette polémique grandissante, aujourd’hui relayée par des décisions de justice.
Assurer l’équité, c’est aussi impliquer le nouvel entrant dans la dynamisation nécessaire de la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile. Le fait de réserver 5 mégahertz à un nouvel entrant sur le marché de la téléphonie mobile ne doit pas servir d’alibi pour ne pas chercher, de manière complémentaire, à raviver le rôle d’aiguillon concurrentiel que doivent jouer les opérateurs mobiles virtuels.
Comme l’a souligné le Conseil de la concurrence dans son avis de juillet dernier, l’octroi d’une quatrième licence peut créer une dynamique positive, mais à la condition « qu’elle s’accompagne d’un “déverrouillage” des conditions techniques, tarifaires et contractuelles faites aux opérateurs virtuels ».
Ce sont les quatre opérateurs de réseau qui doivent s’engager dans ce « déverrouillage » indispensable. À ce titre, je souhaiterais savoir si le Gouvernement, que ce soit dans le cadre du concours de beauté prévu pour les nouveaux entrants ou lors des enchères envisagées pour les deux lots ouverts à tous les opérateurs mobiles, entend fixer des obligations claires aux opérateurs virtuels, lesquelles s’imposeraient aussi bien au nouvel opérateur qu’aux opérateurs existants. Les mobile virtual network operators, les MVNO, doivent être en mesure de concurrencer les offres de détail des opérateurs de réseau, notamment en détenant leurs propres éléments de cœur de réseau. Ils devraient aussi pouvoir aisément mettre en concurrence les opérateurs de réseau, grâce à des contrats plus courts et moins exclusifs.
Pour conclure, je tiens à confirmer que la commission des affaires économiques soutient la décision du Gouvernement de ne plus tarder à attribuer les fréquences encore disponibles. Mais cette attribution doit se faire avec prudence et équité, dans le souci de promouvoir à la fois la concurrence et l’investissement, et doit bénéficier au consommateur d’aujourd’hui mais aussi de demain, quel que soit l’endroit où il se situe sur le territoire. C’est bien de mobilité qu’il s’agit. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, l’accélération de la couverture des zones blanches mobiles est un objectif essentiel qui doit être au centre de nos préoccupations, tout comme la généralisation de la TNT et l’accès à l’internet haut débit pour tous. Ces chantiers, engagés au titre de la mise en œuvre du plan numérique, doivent répondre aux exigences d’égalité d’accès au service sur l’ensemble du territoire.
Si je salue une réelle volonté de placer la France au premier rang des grandes nations numériques, je déplore, en revanche, que le débat soumis au Parlement soit tronqué. En effet, le calendrier est bouclé, la redevance d’ores et déjà fixée et le lancement de l’appel à candidatures s’effectue dans des conditions de neutralité discutables.
Si je m’en tiens à la présentation faite devant notre assemblée, nous devons ouvrir la concurrence à un quatrième opérateur.
Si je tiens compte de la présentation faite aux médias – avant même celle qui est faite à notre assemblée – de ce projet d’attribution des fréquences, tout laisse à penser que cet appel à candidatures reste du « sur mesure » pour un candidat autrefois évincé.
Aujourd’hui, l’objectif est, selon votre stratégie, d’attribuer les fréquences disponibles dans les bandes des 2,1 gigahertz, dites « 3G » - comme cela a été rappelé, cette attribution a pris beaucoup de retard – ainsi que trois lots de 5 mégahertz, dont deux lots seront ouverts aux trois opérateurs existants, le troisième étant réservé à un nouvel entrant.
Ce nouvel entrant potentiel, par exemple Free, avance déjà son objectif : faire baisser la facture de chaque foyer d’environ 1 000 euros par an. De ce point de vue, l’ouverture à la concurrence est indiscutable.
Vous avez d’ailleurs rappelé, monsieur le secrétaire d’État, que l’ensemble pouvait représenter une économie globale de 1,224 milliard d’euros par an. Si ces prévisions s’avèrent exactes, vous avez effectivement raison de rechercher la diminution des prix et, ainsi, de favoriser le pouvoir d’achat. Encore faut-il veiller à ce que cette baisse des prix soit pérenne !
De ce fait, je peux comprendre un appel à candidatures taillé sur mesure pour la bonne cause. Mais je vous rappelle que l’attribution de ces fréquences constitue d’abord un mode de valorisation important du patrimoine immatériel de l’État. L’opération, en ces temps difficiles pour les finances publiques, n’est donc pas anodine.
Puisque le Parlement s’est dessaisi, aux termes de la loi du 3 janvier 2008, dite loi Chatel, de la faculté de fixer le montant de la licence, je voudrais vous indiquer nos préoccupations.
Le nouvel entrant, quel qu’il soit, devra être soumis aux mêmes règles que ses concurrents en termes d’investissements. Il devra aussi proposer un plan de développement ambitieux et offrir, malgré ses prix bas, un service public de qualité ainsi que des solutions de désenclavement pour une couverture nationale du territoire.
S’agissant, tout d’abord, des investissements, je rappellerai que les trois opérateurs ont déboursé successivement 619 millions d’euros chacun pour leur licence.
Le chiffre de 206 millions d’euros annoncé pour le nouvel opérateur, s’il n’est pas dérisoire, semble très faible, même s’il est défini comme la division équitable et raisonnable du tiers des fréquences attribuées à l’époque.
Monsieur le secrétaire d’État, vous arguiez, la semaine passée, lors du débat à l’Assemblée nationale, du caractère proportionnel que devait revêtir une redevance. Certes ! Mais vous conviendrez avec moi que l’attribution de cette licence se rapproche plus d’un droit d’entrée que d’une véritable redevance !
Il conviendrait donc de préserver un droit d’entrée plus juste au regard des trois opérateurs en place, qui ont réalisé la plupart des investissements permettant de couvrir 99 % du territoire. Ainsi, le nouvel entrant bénéficie d’un réseau 3G déjà en partie déployé.
Le deuxième volet est celui de l’emploi et du développement. Si j’ai bien entendu vos arguments sur la place prépondérante des technologies de l’information et de la communication, et même si je souscris aux objectifs d’investissements dans cet outil de croissance, je pense qu’il convient d’être vigilant, en période de crise, sur les conséquences pour les emplois et la politique d’investissement des opérateurs actuels.
En effet, tous les analystes, ainsi que le rapport de la direction du trésor portant sur l’ouverture à la concurrence, craignent que les opérateurs historiques ne soient fragilisés. Une perte de 25 % de leurs revenus est annoncée. Si le nouvel entrant détient 10 % des parts du marché, cette perte conduira nécessairement à une suppression d’emplois et à une diminution préjudiciable de l’ensemble des services qui, chez certains opérateurs, sont déjà très insuffisants !
Après le passage de la tempête Klaus, nous avons pu mesurer dans le grand sud-ouest que la réactivité de certains opérateurs était inexistante ! (Mme Terrade marque son approbation.)
Dans ces conditions, l’appel à candidatures devra prévoir un mécanisme de compensation de ces effets, à travers un plan ambitieux de développement prenant en compte le problème de l’emploi.
Enfin, en termes de service public, je vous invite à bien mesurer les effets que cette ouverture pourrait avoir sur la qualité des services, notamment sur celles du service après-vente et de l’assistance.
Bien entendu, il conviendra de comparer cet engagement à celui de la couverture ADSL où, dans de nombreux départements, seul l’opérateur historique assure le service.
Si l’on souhaite ouvrir à la concurrence, je vous invite également, à l’instar de M. Hérisson, qui a parlé au nom de la commission des affaires économiques, à préserver les MVNO. En tout cas, il faut protéger la capacité de ces opérateurs à exister sur le marché de la téléphonie mobile. L’accueil de ces petits opérateurs, qui représentent aujourd’hui un peu plus de 5 % du marché, permettrait de faire baisser les prix sans avoir à supporter les coûts de déploiement d’un réseau, la capacité des MVNO étant louée aux opérateurs. L’absence de clauses d’exclusivité et de droits de priorité constitue l’une des pistes à explorer. Quoi qu’il en soit, nous vous demandons de bien vouloir prendre en compte la préservation de ces petits opérateurs dans le cadre de cet appel à candidatures.
Enfin, permettez-moi de vous interroger une nouvelle fois sur les objectifs de couverture du territoire et sur les modalités d’attribution de ces licences. S’il est clair que l’ouverture à la concurrence est nécessaire, il est indispensable que l’offre de téléphonie soit abordable, afin que tout le monde puisse y accéder et, surtout, que le candidat retenu présente un projet répondant aux préoccupations liées à l’aménagement du territoire par une couverture rapide du territoire.
À ce titre, il nous apparaît essentiel que l’appel à candidatures exige du candidat qu’il s’engage à couvrir 80 % du territoire dans la première phase, et qu’il ne se limite pas aux 25 % annoncés, qui seraient satisfaits par un seul déploiement à Paris et à Lyon ! À mes yeux, ce point est crucial et je pense, mes chers collègues, que vous partagez tous ce point de vue.
On sait que le nouvel entrant présumé avait sollicité un investissement progressif là ou les autres opérateurs avaient investi en masse. La couverture des zones rurales doit être le premier critère d’attribution. N’oublions pas que l’enjeu principal est de réduire la fracture numérique !
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, sans être hostile à ce plan, je vous engage à reprendre les éléments essentiels que je viens de vous exposer, et qui me paraissent incontournables. Ils permettront de préserver une qualité de services ainsi que l’emploi, qui demeure, bien entendu, au centre de nos préoccupations, et de réaliser un aménagement équilibré de notre territoire dans les meilleurs délais. Il est temps que la politique gouvernementale prenne en compte ces besoins, en particulier pour les territoires ruraux. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d'État, mes chers collègues, depuis quelques mois, la Chine compte plus d’internautes que n’en comptent les États-Unis ; de même, il y a plus de « mobinautes », c'est-à-dire d’abonnés au téléphone mobile, en Inde qu’aux États-Unis.
La révolution numérique est non seulement planétaire, mais aussi systémique, dans le bon sens du terme. N’en doutons pas, comme les deux précédentes révolutions industrielles, elle est en train de redessiner profondément la carte de la prospérité mondiale.
Dans cette nouvelle bataille, sur ce nouveau front, la France et l’Europe disposent d’avantages et d’atouts, mais connaissent aussi des retards.
Parmi leurs atouts, citons la pénétration du haut débit ou le prix du triple play, qui est, en France, trois fois moins élevé qu’aux États-Unis.
Parmi les handicaps dont souffre l’Europe, citons le plus faible développement du très haut débit, par rapport aux États-Unis et, surtout, au continent asiatique, ainsi que des investissements insuffisants dans les nouvelles technologies de l’information. Ceux-ci sont deux fois plus faibles qu’aux États-Unis et de deux à quatre fois plus faibles que dans les pays d’Europe du Nord.
Madame et monsieur les secrétaires d'État, votre objectif est de créer en France un environnement numérique aussi avancé que possible pour placer notre pays à la tête des grandes nations à même de relever cette nouvelle ambition numérique et de croissance.
La politique du spectre est capitale, car elle peut nous aider à relever ce défi. Sans doute comme la plupart de mes collègues, je me réjouis de l’organisation d’un tel débat, même s’il est un peu frustrant qu’il ne soit pas conclu par un vote. Les fréquences et le spectre sont un bien public appartenant à l’État, mais aussi une ressource rare, qu’il faut affecter. Enfin, leur potentiel économique et social est extrêmement important.
Par conséquent, la gestion du spectre par l’État ne saurait se réduire à une gestion patrimoniale aux termes de laquelle celui-ci chercherait simplement à maximiser son profit immédiat. Au contraire, l’État doit adopter une vision stratégique afin de préparer l’avenir de la France. S’agissant du spectre, les choix sont décisifs, et ceux que vous nous proposez, madame et monsieur les secrétaires d’État, doivent nous permettre de relever trois défis successifs.
Le premier défi, c’est celui des usages et des technologies. Comme l’atteste l’essor de l’internet mobile, ces deux aspects sont liés : l’augmentation du débit a pour corollaire l’essor de l’internet mobile.
S’agissant de ces défis technologiques, nous sommes confrontés à une double exigence : d’une part, celle d’un débit croissant ; d’autre part, celle d’une mobilité croissante.
Les nouveaux usages réclament des débits croissants, des bandes passantes d’une capacité croissante, d’une part, en raison d’une plus grande utilisation d’internet, d’autre part, parce qu’internet est désormais utilisé de façon simultanée. Le très haut débit répond précisément à cette exigence d’une capacité croissante.
Voilà quelques années, Ericsson avait calculé que, grosso modo en cinq ans, soit de 2007 à 2012, le trafic serait multiplié par sept en Europe occidentale. Il faut donc que nos tuyaux puissent répondre à cette explosion des usages et du trafic.
La deuxième exigence, c’est celle de la mobilité. La société de l’information, c’est la société de l’ubiquité et de la mobilité : « Ce que je veux, quand je veux et où je veux, sans fil à la patte. » Ce fil à la patte peut à la rigueur exister chez soi ou au bureau, mais on a en tout cas besoin de mobilité. Par conséquent, il ne fait aucun doute que le développement des réseaux et des grandes infrastructures d’aujourd’hui et de demain passe non seulement par le très haut débit filaire, notamment la fibre optique, mais aussi par le très haut débit mobile.
Pour ma part, je tire deux conclusions de ce premier défi que nous devons relever, compte tenu des décisions que vous annoncez.
D’une part, il me paraît logique de permettre aux opérateurs du fixe d’œuvrer aussi dans le mobile et de les accompagner dans cette démarche de convergence. Une porteuse de 5 mégahertz est un début. Mais, à l’avenir, il ne sera pas possible de se limiter à cette capacité, même s’il est entendu que l’opérateur du premier temps pourra postuler dans un deuxième temps.
D’autre part, s’agissant du dividende numérique, il faut se projeter très vite dans l’avenir, car, dans le domaine du très haut débit mobile, 2012, c’est demain. Il faudra prévoir des tuyaux, ce qu’on appelle des canalisations, qui autoriseront réellement des débits de 100 mégabits non seulement en crête, mais encore en débit moyen, dans le cas où l’antenne est éloignée ou lorsque plusieurs personnes téléphonent ou surfent en même temps.
Afin que cette infrastructure soit dès à présent dimensionnée pour les vingt prochaines années, il faudra que ces canalisations aient une capacité de 15 mégahertz.
Je reviendrai tout à l’heure sur ce point capital.
Après avoir exposé le premier défi que nous devons relever, celui de la technologie, j’en viens au deuxième défi, économique.
Mes chers collègues, nous devons nous poser une question : quel est le meilleur écosystème permettant de maximiser et d’optimiser le surplus économique et social ?
Est-ce un système à 3, tel qu’il existe actuellement, un système à 3,5 ou un système à 4 ? S’agissant d’une ressource rare, le Gouvernement doit prendre des décisions, notamment quant à la bande de fréquence 2,1. Partout en Europe, les décisions ont été prises et les fréquences affectées.
S’agissant du dividende numérique, nous ne devons pas tarder, même si je sais que son extraction, dont dépend le passage au tout-numérique, constitue un énorme chantier. Madame la secrétaire d’État, j’espère que vous disposerez des moyens politiques pour le piloter dans toutes ses dimensions, car, si tel n’était pas le cas, nous courrions de grands risques.
Nous devons impérativement prendre de l’avance et affecter les fréquences en or du dividende en 2009. Cette décision est la bonne, parce que les industriels ont besoin de visibilité pour produire, par exemple, les terminaux nécessaires, mais aussi parce que nous devons être prêts à mettre en place le très haut débit LTE, qui autorisera des débits supérieurs à ceux que permettent aujourd’hui la 3G et la 3G+.
Madame la secrétaire d’État, vous avez partiellement répondu à la question suivante : à quoi le succès du GSM est-il dû, succès qu’il importe de reproduire ? Il tient à l’harmonisation des normes au niveau européen. Précisément, où en est-on à l’heure actuelle ?
Pour en revenir à la 3G, deux conditions doivent à mon avis être remplies pour que l’attribution d’une quatrième licence ait du sens.
Premièrement, elle ne doit pas privilégier un modèle low cost ou inciter le nouvel entrant à adopter un comportement de passager clandestin. En clair, cela signifie que les gains immédiats pour les consommateurs ne sauraient être obtenus au détriment de l’investissement et de l’innovation, qui conditionnent, pour les mêmes consommateurs, les futurs gains en pouvoir d’achat.
En d’autres termes, le nouvel attributaire de cette quatrième licence devra scrupuleusement satisfaire aux obligations de la précédente soumission comparative. En matière de coût, la bonne solution est sans doute celle que vous retiendrez, madame et monsieur les secrétaires d’État, dans la mesure où, sur un plan juridique, elle est la plus « bordée ». Aussi, je vous invite à retenir une solution juridique plutôt que toute autre solution ou tout autre échafaudage, qui, à mon avis, présentent un certain nombre de risques.
Deuxièmement, pour que la quatrième licence ait un sens, il convient de déverrouiller le marché. Comme l’a souligné avec raison Pierre Hérisson, le nombre d’opérateurs présents sur un marché ne garantit pas à lui seul la baisse des tarifs. (M. Alain Gournac acquiesce.) À cet égard, le cas de l’Allemagne est exemplaire.
Seules les conditions de déverrouillage du marché, et notamment du marché de gros, c’est-à-dire les MVNO, garantissent une baisse des prix.
Nous avons discuté de cette question lors de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
En France, les MVNO, dont le nombre est inférieur à cinq, sont d’une taille très modeste et voient leurs parts de marché diminuer. Je rappelle que la moyenne européenne se situe à 18 %.
C’est donc un vrai souci, dont il faut tirer toutes les conséquences. Ainsi, les critères d’attribution devront, pour les 5 mégahertz et 10 mégahertz sur la bande 2,1, respecter ce choix. Mais cela ne suffit pas. Sur la base des conclusions rendues par le Conseil de la concurrence au cours de l’été dernier, l’ARCEP devra organiser une table ronde réunissant l’ensemble des opérateurs, afin de refonder un modèle de développement des MVNO. Aujourd’hui, un tel modèle est inexistant en France.
Oui, la quatrième licence peut permettre de déverrouiller le marché, mais de façon partielle. C’est pourquoi il ne faut pas négliger les MVNO.
Le troisième défi, c’est celui de la couverture du territoire.