M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Votre propos est incohérent ! Si vous estimez qu’ils sont Comoriens, pourquoi leur donner quelque chose ?
Mme Éliane Assassi. Cette décision relève du vieux réflexe colonialiste de l’envahisseur blanc, qui sait ce qui est bon pour les populations indigènes locales. Nous ne voulons pas soutenir une telle politique et accompagner une départementalisation contraire au droit international. (Mme la ministre, M. le président de la commission et M. le rapporteur de la mission d’information s’exclament.)
La France doit assumer son passé colonial et non l’occulter. Elle s’honorerait de soutenir une politique de développement des quatre îles des Comores, y compris avec l’aide de l’Union européenne, afin de contribuer au développement de toutes les Comores et de construire ainsi les conditions sociales, économiques et politiques de l’affirmation d’une unité des Comores.
Pour terminer, je tiens à indiquer que le point de vue que je viens d’exprimer est celui des élus communistes républicains et citoyens, mais non celui des sénateurs du Parti de gauche.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Surtout, ce point de vue dénote une bonne connaissance de Mayotte ! (Sourires ironiques.)
M. Yves Détraigne, rapporteur de la mission d’information sur les Comores. C’est une réécriture de l’histoire !
Mme Éliane Assassi. Ne refaites pas l’histoire comme vous souhaiteriez qu’elle se soit passée !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vous qui refaites l’histoire ! Mais c’est habituel…
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous attendions, de la part de notre collègue du groupe communiste, à un discours dissonant. Mais ce ne fut pas un discours dissonant, ce fut un discours d’outre-tombe ! J’ai cru entendre Georges Marchais évoquant, voilà trente ans de cela, l’avenir des quatre départements d’outre-mer…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jean-Paul Virapoullé. Ma chère collègue, vous êtes sénatrice de la République française : vous n’êtes pas là, nous ne sommes pas là pour instruire un procès contre la France.
Mme Éliane Assassi. Quand il le faut, je le fais !
M. Jean-Paul Virapoullé. Prenez donc l’avion et venez voir sur place !
Mme Éliane Assassi. Je viendrai, ne vous inquiétez pas !
M. Jean-Paul Virapoullé. Je le dis avec force, je le dis avec conviction, et je le répéterai autant que nécessaire : la France peut être fière d’avoir sorti de la misère et de l’exploitation les quatre départements français d’outre-mer. Aujourd’hui, malgré les manifestations, malgré les problèmes qu’il reste à résoudre, malgré les différences et les difficultés inhérentes à notre situation, à notre isolement, à notre éloignement, nous sommes des îlots de prospérité au cœur de bassins de misère.
Nous sommes fiers de ce que la France a réalisé dans ces quatre départements sur le plan de la santé, sur le plan de l’éducation, sur le plan de l’équipement, sur le plan du logement, sur le plan du développement : nous avançons vers le progrès, vers la liberté, vers la dignité.
Il est normal que les Mahorais aspirent à s’engager eux aussi sur ce chemin de la prospérité. Et quand la France dit oui à Mayotte, elle ne démantèle pas la République des Comores ; elle respecte le droit des peuples à s’émanciper par la voie qui leur convient.
Nous aussi, dans les années 1960, aux côtés notamment de l’illustre Michel Debré, nous avons emprunté ce chemin, et je suis heureux que tous les Présidents de la République qui se sont succédé, sous quelque étiquette politique qu’ils aient été élus, aient choisi de conforter la départementalisation des quatre départements d’outre-mer.
À nous aussi, dans les années soixante, lorsque le général de Gaulle a entrepris de libérer les anciennes colonies, s’offraient deux voies : celle de l’autonomie, qui a conduit la plupart du temps à l’indépendance, et celle de l’intégration, adaptée, progressive, à la mère patrie.
Nous avons choisi la seconde. Aujourd’hui, connaissez-vous encore beaucoup de Français habitant l’un de ces quatre départements d’outre-mer qui réclament l’indépendance ? Avez-vous vu beaucoup de Réunionnais quitter la Réunion pour Madagascar ? Avez-vous vu beaucoup de Mahorais quitter Mayotte pour la Grande Comore ? Avez-vous vu beaucoup d’Antillais quitter leur île pour Saint-Domingue ? Non !
Mme Éliane Assassi. Ils viennent ici !
M. Jean-Paul Virapoullé. C’est qu’il fait bon vivre en France !
Mme Éliane Assassi. Parlez-en aux Guadeloupéens et aux Martiniquais, surtout aujourd’hui !
M. Jean-Paul Virapoullé. Oui, je parlerai des Guadeloupéens, des Martiniquais, des Guyanais, et peut-être même des Réunionnais !
Les Mahorais doivent le savoir : la départementalisation n’est pas un miracle qui se produit, comme ça, par le simple vote d’une loi. C’est un très long chemin, un chemin sur lequel j’ai la chance d’avancer depuis près de quarante ans maintenant, depuis mon premier mandat électif.
Je suis fier d’avoir été un adversaire de l’indépendance des quatre départements d’outre-mer, je suis fier d’avoir mené tous ces combats qui, peu à peu, ont permis aux Réunionnais de voir leur niveau de vie progresser, ont permis à des jeunes dont les parents se rendaient dans les champs de canne sans chaussures et touchaient des salaires de misère d’être aujourd’hui des médecins, des ingénieurs, des commerçants, des ouvriers et d’avoir des revenus dignes de Français.
Avant d’en venir à Mayotte, je ferai un détour par la Martinique et la Guadeloupe.
Il est normal qu’aujourd’hui se joue un nouveau combat pour l’égalité économique, pour l’égalité devant le pouvoir d’achat. Il y a eu le combat pour l’égalité sociale : nous étions des milliers dans la rue. Il y a eu le combat contre le statut d’autonomie, c’était en 1981-1982 : nous étions des milliers dans la rue. À la Réunion, il y a eu le combat contre la bidépartementalisation, qui était une aberration : Anne-Marie Payet s’en souvient, nous étions des milliers dans la rue. Aujourd’hui, madame la ministre, nous estimons que les taxes, que dis-je ! que les marges coloniales que perçoivent les compagnies pétrolières, que les marges coloniales que s’octroient les oligopoles de la grande distribution pèsent injustement sur le pouvoir d’achat des Domiens et n’ont plus de raison d’être.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé. Nous allons bientôt discuter du projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer, la LODEOM. Ce sera l’occasion, madame la ministre, de décoloniser économiquement certaines branches des départements d’outre-mer, car c’est indispensable.
Tel est le sens, ma chère collègue, qu’il faut donner aux manifestations de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane ; tel est le sens de la mobilisation qui se prépare à la Réunion.
Songez, mes chers collègues, que, saisi par Air France, concernée par les prix du kérosène, le Conseil de la concurrence a récemment estimé qu’à la Réunion la fixation des prix des produits pétroliers reposait sur un index, appelé l’index Caltex Bahrein, qui – écoutez bien, madame la ministre ! –, qui n’existe pas… Cet index n’est rien d’autre qu’un abus de position dominante permettant une majoration qui fausse le prix des produits.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé. Le Conseil de la concurrence a condamné les pétroliers à 41 millions d’euros d’amende ; c’est bien qu’il y a matière à défiler, c’est bien qu’il y a matière à protester !
Il faut donc saisir la justice. Ce gouvernement a eu le mérite, à votre demande, madame la ministre, et à la demande de M. Jégo, de mettre en place une mission d’inspection sur le prix des produits pétroliers : tirons-en ensemble, le moment venu, toutes les conclusions !
Le transport, nous dit-on, coûte cher. Mais, avec la mondialisation, le transport maritime coûte de moins en moins cher ! Pourquoi les prix des produits, sur les rayons des supermarchés, sont-ils aussi élevés si ce n’est du fait d’ententes illicites, d’abus de position dominante ? La population demande justice, faisons-lui justice !
Il ne s’agit pas d’un changement de statut, il ne s’agit pas d’un mal-vivre lié à l’exploitation par la France ; c’est une juste revendication qui pousse les Guadeloupéens et les Martiniquais dans la rue. Dans le processus de départementalisation, l’amélioration du pouvoir d’achat est le prochain combat qu’ils doivent mener, que nous devons mener avec eux, et que, comme bien d’autres auparavant, nous devons remporter.
Venons-en à Mayotte. Je veux vous saluer, vous, nos compatriotes et frères mahorais, nos voisins – nombre d’entre vous sont venus habiter à la Réunion –, vous qui avez voté l’avancée vers la départementalisation. Vous n’êtes pas plus que les Comoriens, mais vous n’êtes pas moins que les Comoriens ! Ceux-ci ont voulu l’indépendance, et leur vote doit être respecté ; la logique voudrait que, de la même manière, soit respecté le vote des Mahorais, qui ont choisi la France.
Je voudrais à ce propos saluer le travail de nombreux parlementaires français. Mme Goulet connaît l’importante contribution de son mari, qui, dès les débuts, était aux côtés de mon frère Louis, aux côtés d’Alain Poher, président du Sénat, pour mener cette œuvre, à une époque où rares étaient ceux qui croyaient à la volonté de Younoussa Bamana, de Marcel Henry, d’Henry Jean-Baptiste. Bien d’autres également – je ne saurais les citer tous – se sont tenus à vos côtés, mes chers collègues de Mayotte qui prenez aujourd’hui le relais, vous, les combattants de la liberté et de l’égalité.
Je vais être bref, mais je vais essayer d’être franc. La départementalisation, je l’ai dit, n’est pas un miracle. Pour la réussir, il faut d’abord respecter l’identité culturelle de Mayotte. C’est le premier principe que m’avait enseigné Michel Debré lorsqu’il commençait à être question de la départementalisation : « Jean-Paul, m’avait-il dit, la départementalisation, ce n’est pas l’assimilation. » L’assimilation, c’est inévitable, conduit à l’éclatement de l’identité culturelle ; l’éclatement de l’identité culturelle d’une région aboutit à la révolte.
La départementalisation respecte l’identité culturelle, la départementalisation est adaptée, la départementalisation est progressive : soixante ans après le vote de la loi de départementalisation, les DOM ne l’ont pas encore totalement atteinte, notamment sur le plan économique.
Il faut également prendre certaines précautions.
La première précaution, c’est l’adaptation du rythme entre égalité sociale et développement économique. Ce fut le plus difficile à réaliser dans les quatre DOM, et ce sera le plus difficile à réaliser à Mayotte, territoire exigu et surpeuplé.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Que le développement économique doit entraîner l’égalité sociale, et non l’inverse. Sans un début de développement économique, l’égalité sociale sera plaquée sur Mayotte et aboutira à l’asphyxie de son économie, à la crise, à la révolte, notamment des jeunes qui ne trouveront pas d’emploi dans leur pays. Les Mahorais doivent prendre les rênes de leur développement économique, comme nous avons tenté de le faire, et plutôt avec succès, à la Réunion.
Je le dis à mes collègues mahorais et à tous ceux qui sont venus de Mayotte et nous écoutent : nous, Réunionnais, sommes prêts, dans le domaine agricole, dans le domaine du bâtiment et des travaux publics, à contribuer à la formation des Mahorais, à travailler avec vous au développement de ces filières.
Si vous demandez l’égalité sociale avant que le développement économique ne s’amorce, ce sera mettre la charrue avant les bœufs. En revanche, quand elle est adaptée, quand elle est progressive, quand elle respecte le rythme du développement, l’égalité sociale est une nécessité ; alors, elle devient le support du développement économique.
La deuxième précaution indispensable à prendre, c’est l’analyse des erreurs que nous-mêmes, dans les quatre DOM, avons commises tout au long de ces soixante années de départementalisation. Bien sûr, madame la ministre, je n’ai pas de conseil à vous donner ; je crois cependant que vous devriez nommer à cet effet une mission, ou quelque chose de semblable. Consultez-nous, demandez aux préfets qui ont servi là-bas les erreurs qu’ils ont décelées, et ne les reproduisez pas à Mayotte ! Vous gagnerez du temps, vous gagnerez de l’argent, vous gagnerez en efficacité.
Je pense même qu’un conseil de coordination de la départementalisation de Mayotte devrait harmoniser l’action de tous les ministères dans le nouveau département. La coordination nous a manqué ; tous les ministères n’avancent pas au même rythme !
Enfin, je voudrais vous montrer tout le travail qu’il reste à faire sur le plan économique.
Pour ce qui est de la pêche, vous possédez l’un des plus beaux lagons au monde, et l’élevage de poissons représente certainement une richesse importante pour vous.
Sur le plan touristique, les possibilités sont plus limitées compte tenu de la superficie du territoire, mais les potentialités sont réelles, notamment du fait des touristes qui viennent par leurs propres moyens, sur leur propre voilier.
En ce qui concerne l’agriculture, je citerai quelques chiffres.
Mes chers compatriotes de Mayotte, chaque année, vous consommez 7900 tonnes de viande de volaille et en produisez seulement 60 tonnes. Votre consommation n’est donc couverte qu’à hauteur de 1,30 %. De grâce, élevez des poulets, ce n’est pas difficile ! Et ce n’est pas parce que je m’appelle Virapoullé que je vous le dis ! (Sourires.)
Vous consommez 4000 tonnes de viande de bœuf – un produit qui, pour le coup, est plus difficile à obtenir ! – et en produisez 225 tonnes.
Vous consommez 15 millions de litres de lait et en produisez 1,5 million.
Vous ne faites pratiquement pas pousser de légumes, qui sont tous importés.
Vous n’êtes guère autonomes que pour les œufs, puisque vous produisez 98 % de ceux que vous consommez. Comme quoi, le travail paye !
Il faut donc créer des filières, qui ont fait la preuve de leur efficacité. À la Réunion, des taxes ont été instituées sur les importations, avec l’accord des entreprises concernées. Leur recette est versée à une caisse et sert à encourager la production locale. Aussi, l’île est quasiment autonome dans de nombreux domaines.
Je vous propose donc de créer, dans le cadre du conseil de coordination, un partenariat entre la Réunion et Mayotte, afin de favoriser, dans le domaine du bâtiment, de l’agriculture et de l’action sociale, l’intégration progressive des Mahorais à la France.
La réussite de cette intégration est le gage de la pérennité de la présence française dans l’océan Indien. En effet, et je conclurai sur ces mots, nous avons tout intérêt à comprendre que nous sommes une chance pour la France, de même que celle-ci est une chance pour nous !
Monsieur Hyest, n’êtes-vous pas heureux, en tant que sénateur français, que Mayotte constitue une position géostratégique clef pour la France ? (M. le président de la commission des lois acquiesce.) Pour ma part, j’en suis ravi, de même que je me félicite que la France puisse compter sur la biodiversité, l’espace maritime, les énergies renouvelables et les autres richesses de la Réunion. L’outre-mer est un atout pour la France, la France est une chance pour l’outre-mer !
Telle est l’évolution que nous souhaitons. Je suis heureux que les Mahorais aillent bientôt aux urnes, je respecterai leur vote, et, tous ensemble, nous en tirerons toutes les conséquences.
Seuls 3 % des Français désapprouvent le processus de départementalisation, ce qui signifie que la quasi-unanimité de nos concitoyens souhaite élargir la famille française à Mayotte, cent unième département français ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’éprouve presque quelques scrupules à reprendre la parole à cette heure tardive, d’autant que, à une exception près, toutes les interventions ont été extrêmement intéressantes, positives, riches d’idées et de suggestions qui devraient permettre, à l’avenir, de donner toutes ses chances à Mayotte.
Néanmoins, je répondrai rapidement aux questions qui ont été soulevées, par courtoisie pour les orateurs.
Tout d'abord, s'agissant du déroulement de la consultation référendaire, qui a été évoqué par M. le président de la commission des lois, mais aussi par M. Détraigne et par Mme André, je souhaite, en effet, que les Mahorais soient pleinement informés des conséquences de la départementalisation. Ils doivent savoir quels changements celle-ci provoquera dans leur vie quotidienne, qu’ils soient positifs ou négatifs pour certains.
C’est pourquoi j’ai tenu à ce que des documents d’information, rédigés dans les trois langues parlées sur l’île, soient adressés à chaque foyer.
C’est pourquoi également le préfet, à ma demande, se rend dans les communes afin de présenter à la population, en toute impartialité – j’ai bien insisté sur ce point –, les enjeux liés à la départementalisation, au cours de réunions publiques, qui sont d'ailleurs très suivies.
En effet, comme vous l’avez tous souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, la départementalisation entraînera des changements considérables à Mayotte, notamment en ce qui concerne l’état civil, dont la mise en place constitue d'ailleurs un préalable à d’autres réformes.
Il est vrai, comme l’ont souligné M. Hyest, M. Détraigne et les deux sénateurs de l’île, MM. Giraud et MM. Ibrahim Ramadani, que la commission de révision de l’état civil, la CREC, a accumulé beaucoup de retard, alors même que la mise en place d’un état civil complet et fiable conditionne la réussite de la départementalisation.
Aussi, pour répondre à M. Détraigne, qui m’a interrogé sur ce point, je puis vous annoncer, mesdames, messieurs les sénateurs, que le nouveau président de la CREC sera nommé dans les deux mois et que le secrétaire général de cette institution est sur le point d’être désigné.
De même, des mesures de réorganisation interne ont été arrêtées pour améliorer le rendement de la commission. Une opération interservices sera organisée en 2009 dans toutes les communes de l’île, afin d’inciter les Mahorais qui le souhaitent à saisir la commission.
De toute façon, à la fin de l’année 2008, j’ai donné instruction aux préfets de ne pas exiger systématiquement, lors du renouvellement des titres d’identité, la décision délivrée par la CREC.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En effet, c’est inutile puisque ce document a déjà été présenté !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Ainsi, me semble-t-il, nous pourrons à la fois apporter une réponse aux difficultés que rencontrent aujourd'hui les Mahorais et que vous rappeliez tout à l'heure, mesdames, messieurs les sénateurs, et nous efforcer de rattraper le retard qui a été pris.
L’évolution du statut de l’île affectera également la justice cadiale, qui doit être supprimée, comme MM. Hyest et Détraigne l’ont rappelé. Le juge de droit commun traitera de l’ensemble des affaires, y compris celles qui relèveraient du droit local, dès lors que certains éléments de ce dernier subsisteront. Par ailleurs, j’ai souligné tout à l'heure que les cadis seront appelés à exercer d’autres fonctions, par exemple celles de médiateurs.
Pour parvenir à l’égalité entre les hommes et les femmes, sur laquelle Mme André a justement insisté, après que M. Hyest l’eut évoquée, la réforme du statut personnel est tout à fait indispensable. La départementalisation parachèvera les évolutions en cours.
Madame André, j’ai été heureuse de vous entendre citer les noms de quelques-unes des femmes que j’ai pu rencontrer lors de mes nombreux séjours à Mayotte, où je me rends depuis un peu plus de trente années.
Ces femmes ont fait l’histoire de Mayotte. Non seulement elles ont toujours défendu le rattachement de Mayotte à la France, mais elles ont exprimé leur fierté de vivre sur une île qui accueillit un temps la capitale des Comores. C’est d'ailleurs lorsque la capitale de l’archipel fut transférée de Dzaoudzi à Moroni que les Chatouilleuses, évoquées par Mme André, ont mené certains de leurs combats les plus fameux.
Je ne reviendrai pas sur l’interdiction de la polygamie, qui a déjà été rappelée.
Madame André, vous avez insisté sur la situation des enfants mineurs. J’ai toujours été frappée à Mayotte par la place accordée aux enfants et l’attachement que les familles leur témoignaient. Il est vrai que la situation a quelque peu changé et que certains enfants doivent aujourd'hui recevoir une aide sociale, notamment ceux qui se trouvent délaissés, voire complètement abandonnés, après qu’ils sont arrivés étrangers sur l’ile. Les services de l’État doivent intervenir pour mettre fin à certaines dérives. De même, les associations ont un rôle important à jouer en la matière, en lien étroit avec la justice.
La départementalisation pose également le problème de l’intégration des agents publics mahorais dans la fonction publique, comme l’a souligné M. Détraigne.
La loi a posé le principe de l’intégration, au plus tard le 31 décembre 2010, des agents publics mahorais. Selon leur niveau et leur indice, ceux-ci rejoindront soit les corps de la fonction publique, soit, s’ils se trouvent au bas de l’échelle des carrières, des corps spécialement créés, à titre transitoire, et appelés « corps passerelles ».
Jusqu’à présent, le système des « corps passerelles » n’a pas très bien fonctionné, c’est le moins que l’on puisse dire. Aussi, en décembre 2008, le Gouvernement a proposé un certain nombre de mesures destinées à le rendre plus attractif. Le préfet a engagé sur cette base des négociations, qui se poursuivent et qui ont déjà permis certaines avancées. Il est nécessaire à présent d’aller plus loin encore.
J’en viens au grand enjeu de la départementalisation, que M. Virapoullé a évoqué avec son talent et sa passion coutumiers, ainsi d'ailleurs que MM. Giraud et Ibrahim Ramadani : le développement économique de Mayotte.
Monsieur Virapoullé, nous avons effectivement tout intérêt à étudier les échecs des autres pays, qui sont parfois plus instructifs que leurs réussites !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vive les études d’impact ! (Sourires.)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. En ce qui concerne la nécessaire coordination entre les administrations, je vous signale que la RGPP, la révision générale des politiques publiques, qui renforce l’autorité du préfet sur les services, permettra de résoudre les problèmes posés par la trop grande autonomie des services. Nous avons donc déjà accompli des progrès sensibles, me semble-t-il.
Monsieur Giraud, le contrat de projet 2008-2014 prévoit la construction d’équipements qui contribueront au développement de l’île. Certaines infrastructures sont en effet indispensables, que ce soit pour promouvoir le tourisme ou, tout simplement, pour encourager les échanges. Je pense, en particulier, à la réalisation d’une piste longue à l’aéroport de Dzaoudzi, qui est réclamée depuis longtemps par les acteurs locaux, et d’un nouveau quai au port de Longoni.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait ! Ce sont des équipements indispensables.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Le Fonds de développement économique et social, que j’ai déjà évoqué, nous permettra de dégager les moyens nécessaires à la réalisation des grands projets d’infrastructures.
D'ailleurs – j’y insiste, car j’ai oublié de mentionner ce point tout à l'heure –, le plan de relance de l’économie qui est mis en œuvre en ce moment prévoit de lancer des travaux à Mayotte, notamment dans le domaine scolaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Il permettra donc d’accompagner le développement de l’île.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aborderai pour conclure la question des relations avec les Comores, qui a été évoquée en des termes divers par certains d’entre vous.
Je tiens à le dire d’emblée, la départementalisation ne se fait pas contre les Comores. Il s’agit simplement de reconnaître cette liberté fondamentale que constitue le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Madame Assassi, j’ai bien vu que vous lisiez un discours, fort proche, d’ailleurs, de celui qu’a lu, lui aussi, votre collègue député à l’Assemblée nationale. J’ai bien senti qu’ils étaient tous deux inspirés par cette même nostalgie stalinienne d’une Union soviétique imposant l’unité à tant de peuples pendant des décennies !
Mme Éliane Assassi. Ne soyez pas agressive !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Pour notre part, c’est un principe que nous avons toujours combattu, au nom de la liberté.
Mme Éliane Assassi. Il y a une opposition à la départementalisation, il n'y a pas d’homogénéité !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. C’est au nom de la liberté que le choix des Mahorais doit être respecté. Et il le sera ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Éliane Assassi. Alors, laissez tout le monde s’exprimer !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame Assassi, je vous ai entendu dire des contrevérités. Figurez-vous qu’en 1974 j’ai occupé des fonctions au cabinet du ministre de l'outre-mer, ce qui m’a valu de participer non seulement aux négociations d’alors, mais aussi à la rédaction, d'une part, de l’acte d’indépendance des Comores à la demande de leur président, et, d'autre part, de la Constitution de la République islamique des Comores.
Mme Éliane Assassi. Et alors ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je sais les conditions dans lesquelles on a donné aux Mahorais la possibilité de choisir leur devenir. Contrairement à ce que vous dites, il n’y a eu ni violences ni pressions.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les Mahorais !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Qu’est-ce que vous connaissez de Mayotte ?
Mme Éliane Assassi. Et vous, qu’est-ce que vous connaissez de la Seine-Saint-Denis ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Pour avoir été témoin de ces événements, je peux en parler. Je n’admettrai jamais que l’on profère ainsi des contrevérités, dans le seul but de dénigrer la France ! Madame Assassi, soyez-en sûre, vous pourrez toujours répéter à l’envi de telles contrevérités, vous n’en ferez jamais une réalité ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Heureusement, pour vous, que le ridicule ne tue pas ! (Mme Éliane Assassi proteste.)
Cela étant dit, des propos beaucoup plus intéressants et beaucoup plus positifs ont été tenus. Parallèlement à la départementalisation, il convient en effet de développer la coopération, qui en est le corollaire.