M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. La question de Mme Terrade est bien évidemment très légitime.
Effectivement, la discussion va se poursuivre cet après-midi, après la séance des questions d’actualité au Gouvernement, puis en séance de nuit.
Par avance, je prie la Haute Assemblée de bien vouloir excuser mon absence ce soir, due à un déplacement obligatoire. C’est donc mon collègue Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, qui me remplacera au banc du Gouvernement durant la séance de nuit, ce dont je le remercie par avance.
Pour répondre à votre question, madame Terrade, la fin de la discussion dépendra évidemment du rythme de travail qui sera le nôtre au cours de la discussion. Toutefois, si la séance de nuit ne suffisait pas, le Gouvernement en parlerait en conférence des présidents afin que la suite de la discussion soit inscrite à la reprise des travaux du Sénat.
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement souhaite, comme vous, que ce texte important fasse l’objet d’un travail sans précipitation.
Discussion générale (suite)
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la grande manifestation du 29 janvier, approuvée par plus de 70 % de la population, est l’expression d’une grande inquiétude, voire d’une colère de nos concitoyens.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme Mireille Schurch. La crise est profonde. En 2009, 290 000 licenciements sont annoncés. Le plan de relance présenté par le Premier ministre, l’entretien télévisé du chef de l’État et les propositions faites hier par ce dernier n’ont pas rassuré nos concitoyens.
Le premier plan de 320 milliards d’euros est allé aux banques, car on voulait éviter « l’écrasement du système ». Et pourtant, ces banques, comme les grands groupes du CAC 40, ont fait des bénéfices importants qui vont encore être redistribués aux actionnaires, au détriment des salaires et du pouvoir d’achat.
Total annonce un bénéfice record de 13,9 milliards d’euros en cette année de crise, et une telle annonce est pour le moins indécente !
Mme Nathalie Goulet. Et les salariés ?
Mme Mireille Schurch. Par ailleurs, nombre d’entreprises utilisent le prétexte de la crise pour licencier et ainsi garantir des revenus à leurs actionnaires.
La politique gouvernementale se poursuit, s’attaquant aux droits sociaux et mettant à mal les services publics.
Avec le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, l’hôpital est transformé en hôpital entreprise, où l’on demande des efforts au service public, mais un « effort epsilon » à la médecine libérale et aux cliniques privées !
Dans le service public de l’éducation, on assiste à la casse du statut des enseignants chercheurs, à la suppression des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, et à une réforme incomprise du lycée.
Quant à la justice, la suppression de quarante-quatre tribunaux des affaires de sécurité sociale est programmée après celle de cent cinquante-six tribunaux d’instance et de dix-huit tribunaux de grande instance !
Le monde du travail est fragilisé au nom d’une liberté factice qui conduit à vivre dans l’incertitude du lendemain, à travailler le dimanche alors que, par ailleurs, le pouvoir d’achat n’augmente pas, voire à s’expatrier en Tunisie pour 350 dirhams, soit 200 euros, pour retrouver l’entreprise qui vous a licencié dans la Vienne !
Nous ne voulons pas de cette liberté-là, qui conduit l’individu atomisé à être réduit à sa pure fonctionnalité, isolé des autres, ennemi ou concurrent de son prochain. Nous voulons au contraire une société solidaire dans laquelle nous pouvons nous renforcer, tout en affirmant notre individualité.
Pour concrétiser cette solidarité, notre législation doit préserver la prise en charge par la collectivité publique de certaines activités indispensables à la vie de chacune et de chacun : la santé, l’éducation et la recherche, l’accès à l’énergie, à l’eau, et aussi le droit à la mobilité, quels que soient le revenu et le lieu géographique. Ce droit à la mobilité est d’autant plus vital que le besoin de déplacement est accru par l’éloignement des services publics : écoles, maternité et autres centres de santé, tribunaux, « points poste »...
Avec la suppression programmée des tribunaux des affaires de sécurité sociale dans l’Allier, les malades, les invalides et les accidentés du travail devront faire cent dix kilomètres pour défendre leurs droits. La suppression de l’antenne montluçonnaise de la direction départementale de la jeunesse et des sports oblige désormais les jeunes qui souhaitant s’informer par exemple sur le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, ou BAFA, à se rendre à Moulins, à quatre-vingts kilomètres de leur résidence.
Comment voulez-vous, dans ces conditions, que ces jeunes, ces citoyens, ces justiciables soient en mesure de défendre leurs droits ou de se projeter dans l’avenir ? Selon nous, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ne répond pas à cet objectif fondamental. Sous couvert de transposition d’une directive européenne, le Gouvernement ouvre à la concurrence le transport international des voyageurs.
Dans un contexte de crise économique et sociale grave, il n’y a vraiment pas urgence, selon nous, à transposer en droit national la directive européenne dite « troisième paquet ferroviaire ». Nous demandons par conséquent que celle-ci soit reconsidérée, et c’est la raison pour laquelle nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable.
Nous nous fondons sur un constat : le transport ferroviaire sur le fret est ouvert à la concurrence depuis 2006. Les opérateurs ferroviaires privés se sont positionnés uniquement sur des lignes rentables. Pour être « compétitive », la SNCF a décidé de fermer deux cent soixante-deux gares pour cause de rentabilité insuffisante. Pour avoir voulu empêcher ces fermetures, certains élus ont fait l’objet de poursuites judiciaires.
Qu’en sera t-il après l’ouverture à la concurrence des transports de voyageurs avec possibilité d’assurer des dessertes intérieures ? Nous ne sommes pas naïfs ; avec ce projet de loi se profile ni plus ni moins la lente agonie du service public des transports.
Les problèmes essentiels à la bonne marche de ce service public d’intérêt vital sont, premièrement, le sous-investissement chronique des infrastructures et, deuxièmement, la rupture d’une politique d’aménagement équilibré de notre territoire. Or l’autorité de régulation ferroviaire, telle qu’elle est prévue dans ce projet de loi, sera bien incapable de les régler. Nous proposons de remettre ces questions et l’intérêt général au cœur de ce projet de loi.
Le premier point de mon intervention concerne donc l’insuffisance chronique d’investissement pour régénérer et moderniser le réseau ferré.
Monsieur le secrétaire d'État, le gouvernement auquel vous appartenez fustige souvent les grévistes. Mais, en 2007, on a enregistré à peine 3 % de perturbations liées aux mouvements sociaux contre 97 % de perturbations liées à des pannes sur les voies ou sur les matériels. Voilà la réalité ! Ce sont les coupes budgétaires que subissent les services d’intérêt général qui sont à dénoncer !
Le Gouvernement propose l’ouverture à la concurrence pour permettre à des investisseurs privés de réaliser des bénéfices. Mais, dans le même temps, de nombreuses études et même le MEDEF constatent que l’état actuel du réseau ferré anéantit toute initiative privée pour le trafic ferroviaire des wagons isolés. Le fait que l’opérateur ferroviaire de proximité en région Centre, Proxirail, mis en place par les chargeurs céréaliers, ait peine à fonctionner en est la confirmation.
Par conséquent, il est illusoire de mettre fin, comme cela est prévu à l’article 2 de ce projet, à l’exclusivité de la SNCF pour la gestion des infrastructures sur les lignes à faible trafic. Les opérateurs ferroviaires privés ne s’y mettront pas. D’où l’intérêt d’affirmer que le transport de marchandises par wagon isolé participe de l’intérêt général, qu’il est exploité soit par des opérateurs de proximité, soit par la SNCF et son groupe.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d’être sceptique quant à la pertinence des partenariats public-privé pour le financement des infrastructures ferroviaires.
Lors du colloque sur le financement des infrastructures de transports, la Caisse des dépôts et consignations a rappelé qu’il était difficile de trouver des crédits remboursables sur du court terme pour des investissements publics. Que se passera-t-il pour un portage financier sur trente ans ou plus ?
L’histoire ferroviaire montre que le financement des travaux a été d’abord confié à de multiples compagnies privées qui ont fait faillite. L’investissement sur les infrastructures ferroviaires nécessite en effet un temps qui n’est pas celui du marché. Sur du très long terme, les investissements doivent être publics, avec une propriété et un contrôle publics du réseau, afin de créer des infrastructures de qualité dans un souci environnemental.
Le recours aux partenariats public-privé ne doit pas conduire à considérer la sécurité comme un coût comme les autres. Dès lors, pourquoi ne pas envisager des emprunts publics qui n’entreraient pas dans la dette publique de l’État tant qu’ils servent à financer des infrastructures répondant aux objectifs de développement durable ?
Il faut promouvoir cette idée au sein de l’Union européenne. Les gouvernements ont été bien prompts à mettre de côté les critères de convergence pour « éviter l’écrasement du système ». L’obligation de réduction des gaz à effet de serre pour le bien-être, voire la préservation de notre planète, n’est-elle pas tout aussi importante ? Ce sujet environnemental et sociétal crucial ne doit pas échapper à toute maîtrise publique pour être uniquement dominé par des règles du marché et de la concurrence.
J’en viens au deuxième point de mon intervention : l’autorité de régulation n’apportera aucune réponse quant à une politique équilibrée de notre territoire.
On pourrait penser que l’ouverture à la concurrence aurait des conséquences positives sur les prix et la qualité du service. Loin s’en faut !
Pour ce qui concerne les ouvertures à la concurrence dans les autres pays européens, l’exemple britannique n’est pas encourageant, notamment en termes d’augmentation des tarifs pour les usagers. Il en va de même pour les difficultés liées à la gestion des correspondances entre les trains exploités par différentes compagnies.
Peut-être, sur les axes les plus fréquentés et les plus rentables, aurons-nous une baisse des prix. Mais que deviendront à terme les lignes secondaires, les fameux Lunéa, corail et autres trains interrégionaux ? Il faut le reconnaître, ces lignes n’ont pas des taux de rentabilité faramineux, mais elles constituent un lien entre les territoires. La SNCF continue à les conserver, assurant un équilibre budgétaire grâce à la péréquation. Guillaume Pepy l’a dit, le maintien des lignes interrégionales coûte à la SNCF 100 millions d’euros, qu’elle puise dans les bénéfices réalisés sur le TGV. La logique libérale conduirait à la priver de ces revenus et à supprimer ces lignes secondaires, reportant ainsi le trafic sur la route, en contradiction totale avec le principe de report modal de la route vers le rail, prévu par le Grenelle de l’environnement, et contre toute logique d’aménagement équilibré du territoire national.
Si l’on conserve ces lignes – et on doit le faire –, la SNCF sera-t-elle dans une situation d’équité avec les autres concurrents en cas de libéralisation sans compensation ? A-t-on pensé à toutes les conséquences financières pour les caisses de l’État et la collectivité publique ?
Grâce à son statut actuel, la SNCF peut investir une partie de ses bénéfices dans le réseau transilien, par exemple pour améliorer la ligne D du RER. Elle supporte le coût des tarifs sociaux et peut continuer d’assurer le maintien de lignes secondaires. Ce transport est vital pour des millions de Français et préserve nos territoires de la désertification.
Mais l’Autorité de régulation des activités ferroviaires ne pourra pas obliger les autres entreprises ferroviaires à participer aux investissements sur le réseau ou à assurer la desserte des lignes secondaires. Les bénéfices leur seront donc réservés. Quant à la SNCF, elle continuera d’être accusée de ne pas assurer des services performants et efficients. On exigera d’elle qu’elle continue à assurer le maillage territorial en matière ferroviaire, tout en la privant des moyens d’organiser la péréquation.
Le Gouvernement n’est-t-il pas en train de créer les conditions d’un affaiblissement de l’entreprise publique, ce qui permettra de justifier, à terme, sa privatisation ?
L’ouverture à la concurrence va se produire au moment où l’on demande à la SNCF de réaliser des investissements importants. Il faut l’admettre, cette ouverture est faussée, puisqu’elle se fait au détriment de la SNCF. Sinon, il faut demander d’investir non pas à la seule entreprise publique, mais à l’ensemble des opérateurs ferroviaires qui se retrouveront sur ce marché.
Nous devons prendre le temps de la réflexion, investir sur le réseau et confirmer la SNCF dans son rôle d’unique gestionnaire délégué du réseau assurant la péréquation pour un aménagement équilibré du territoire. Nous devons adopter une vision différente, loin des réponses dogmatiques qui conduisent à supprimer des dessertes et réduire le personnel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’avez compris, ce projet de loi met en péril le financement de l’ensemble du réseau et le maintien de la péréquation pour un aménagement équilibré du territoire. Nous risquons, demain, de renforcer la désertification en matière ferroviaire dans le centre de la France, l’Auvergne, le Limousin et les régions de montagne, et de saturer des lignes qui sont déjà très chargées. Ce n’est pas notre vision d’un projet ferroviaire durable.
Une autorité publique dont le rôle se limite à préserver les intérêts des capitaux privés, sans organiser le maintien du service public, sans égard pour l’amélioration des conditions de travail des salariés et sans prise en compte de la place centrale de l’usager, n’est acceptable ni pour les cheminots, ni pour les usagers, ni pour les élus locaux. Ainsi en est-il également de la privatisation de tronçons routiers nationaux et de la réduction des droits du personnel navigant.
Au groupe CRC-SPG, nous croyons aux vertus d’une société solidaire et du mieux-disant social. Nos amendements refléteront donc ce besoin d’Europe sociale.
Premièrement, il s’agit de garantir un service public des transports ferroviaires. Les infrastructures de transports constituent un tout où les gares et autres facilités essentielles doivent être considérées comme des « biens publics ».
Deuxièmement, il faut avoir des transports ferroviaires sûrs. Tous les opérateurs doivent respecter les mêmes règles en matière de sécurité. En raison de ces impératifs, EPSF, l’établissement public de sécurité ferroviaire, doit rester totalement indépendant de l’autorité de régulation. La sécurité est un enjeu incontournable, qui passe aussi par des conditions de travail convenables pour tous les salariés du secteur.
Troisièmement, il convient d’adopter un plan d’urgence pour que ce secteur bénéficie d’infrastructures de transports régénérées et modernisées. C’est un impératif écologique et une obligation pour maintenir des liaisons dans les territoires enclavés. L’État pourrait lancer, je l’ai déjà dit, des emprunts publics. Il pourrait aussi, comme en Allemagne, reprendre à son compte la dette de RFF.
Pour conclure, nous avons besoin d’une Europe sociale ferroviaire : des transports durables et accessibles à tous doivent répondre aux besoins des usagers et des territoires, ainsi qu’aux objectifs du Grenelle de l’environnement. Cette Europe sociale ferroviaire doit également permettre d’améliorer les conditions de travail de tous les salariés du secteur.
Telle est donc la toile de fond des propositions que nous formulerons tout au long des débats sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Hubert Haenel. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite tout d’abord vous remercier d’avoir cité mes devoirs de vacances de 2007. (Sourires.) C’est en effet à cette époque que j’avais eu l’occasion de travailler sur ce sujet. C’était d’ailleurs la deuxième fois que, à votre demande, j’étais missionné par le Premier ministre.
Je me suis efforcé de déblayer le terrain, mais, comme le disait Edgar Faure, « on a toujours tort d’avoir raison trop tôt » ! Nous verrons donc comment les constatations et les propositions que j’ai formulées trouveront l’occasion de se développer.
Je souhaite, puisque j’en suis aux remerciements et aux compliments, féliciter mon excellent collègue et compatriote Francis Grignon, qui est reconnu pour sa compétence, sa rigueur et sa loyauté. Il vient de nous le démontrer une fois de plus.
Le système ferroviaire français issu de la réforme de 1997 n’est ni transparent ni performant.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Hubert Haenel. Telles sont les constatations que font, depuis plusieurs années, les parlementaires français à l’occasion de nombreux rapports rédigés au nom des commissions des finances ou des affaires économiques de l’Assemblée nationale ou du Sénat.
La Cour des comptes a stigmatisé le fonctionnement de ce système en avril 2008. L’audit commandé à l’École polytechnique fédérale de Lausanne en 2005 a dressé le même constat.
Plus récemment, le 24 juin dernier, la France, comme vingt-quatre autres États membres, a reçu une lettre de mise en demeure de la Commission européenne pour mauvaise transposition des dispositions des trois paquets ferroviaires adoptés depuis 1991.
Trois ordres de griefs sont relevés par cette mise en demeure. Je les rappelle pour montrer que votre projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, y répond en grande partie.
Le premier grief concerne l’« indépendance des fonctions essentielles ». La séparation réalisée par la loi du 13 février 1997 entre le gestionnaire du réseau ferroviaire, RFF, et l’opérateur historique, la SNCF, ne constitue pas une transposition adéquate de la directive 91/440/CEE, qui prévoyait que ces deux entités soient effectivement indépendantes sur les plans « juridique, organisationnel et décisionnel ».
La loi de 1997 portant création du réseau ferré de France impose à RFF de déléguer la quasi-totalité de ses activités de gestion du réseau – travaux, octroi des autorisations d’utilisations du réseau, gestion de l’infrastructure – à la SNCF, elle-même qualifiée officiellement de « gestionnaire d’infrastructure délégué ».
Mais les services de la SNCF assumant cette fonction de gestionnaire d’infrastructure délégué – communément appelés SNCF-Infra – ne sont pas indépendants du reste de l’entreprise. Cette dernière n’est donc pas dans une position égale à celle de ses concurrents potentiels en tant qu’utilisateur du réseau ferré national.
M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission des affaires économiques. Absolument !
M. Hubert Haenel. Le deuxième grief concerne la tarification ferroviaire française. La Commission européenne critique l’organisation française relative aux péages ferroviaires acquittés par les entreprises utilisant le réseau. En effet, la détermination de ces redevances n’est pas effectuée de façon indépendante par le gestionnaire du réseau, RFF, cette décision relevant du secrétariat d’État chargé des transports.
Le troisième grief renvoie à l’absence d’une autorité indépendante de contrôle et de régulation. Comme en matière d’énergie ou de télécommunications, l’ouverture européenne à la concurrence s’accompagne de l’exigence de mise en place d’une autorité de régulation, qui doit remplir deux conditions : être indépendante de tous les opérateurs et veiller à l’absence de discrimination en tranchant les litiges et, le cas échéant, en imposant des sanctions.
L’actuelle Mission de contrôle des activités ferroviaires, la MCAF, ne remplit aucune de ces deux conditions, puisqu’elle est placée auprès du secrétariat d’État chargé des transports, qui est également l’autorité de tutelle de la SNCF, entreprise publique détenue à 100 % par l’État. Par ailleurs, elle ne dispose pas de réels pouvoirs coercitifs.
Le projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports dont nous débutons aujourd’hui l’examen devrait permettre à la France de se mettre en plus grande conformité avec le droit européen.
La situation de la France devrait être fortement améliorée par le fait que, même si le Gouvernement continue de fixer formellement le montant des péages, il ne pourra désormais le faire qu’à la condition d’avoir l’accord de la Commission de régulation des activités ferroviaires, la CRAF, créée par le projet de loi, qui devra émettre un avis conforme.
Le principal apport du projet de loi est la création de la CRAF, ou plutôt de l’ARAF, si cette dénomination, comme je l’espère, est adoptée. Il s’agit d’instituer en France une autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect des règles de concurrence.
Le texte qui nous est soumis devrait répondre aux conditions posées par le droit communautaire, pourvu que le Sénat suive le rapporteur, notre éminent collègue Francis Grignon.
Si la France se dote enfin d’une autorité de régulation ferroviaire, encore faut-il que celle-ci soit puissante et « robuste ».
Cette autorité de régulation était déjà jugée nécessaire par la Cour des comptes, « dans la mesure où », écrivait-elle dans son rapport publié en avril 2008, « l’État peut difficilement arbitrer des conflits opposant l’entreprise ferroviaire SNCF et ses concurrents. Elle doit disposer d’autant plus de pouvoirs et de moyens que le gestionnaire de l’infrastructure est proche de l’entreprise ferroviaire SNCF. Si la gestion de l’infrastructure était confiée à une filiale de la SNCF », poursuivait la Cour des comptes, « une partie des personnels de RFF pourrait intégrer les équipes de cette autorité, ce qui permettrait de conserver une capacité de contre-expertise extérieure à la SNCF ».
D’une manière générale, le rôle de cette autorité administrative indépendante sera de veiller au traitement transparent et non discriminatoire entre les entreprises ferroviaires susceptibles d’accéder au réseau, en s’assurant que les conditions techniques et administratives d’accès n’entravent pas la concurrence.
Tout spécialement, cette autorité devra avoir à connaître des questions relatives à l’attribution des capacités ferroviaires, ce qui est apparemment essentiel, et à l’accès aux différentes prestations liées à l’infrastructure. Elle devra également veiller à ce que les différents opérateurs aient un accès non discriminatoire aux « facilités essentielles », notamment en ce qui concerne les services en gare. J’insiste sur ce point : s’il relève de l’évidence que l’attribution des sillons est la condition indispensable aux circulations ferroviaires, cela ne constitue pas une condition suffisante.
La concurrence peut également être faussée par des formes de discrimination plus subtiles, notamment celles qui peuvent toucher les services en gare, l’information donnée aux voyageurs, la distribution ou l’attribution des quais.
M. Charles Revet. C’est un tout !
M. Hubert Haenel. Pour mener à bien ses missions, l’autorité de régulation doit, bien sûr, être dotée de pouvoirs de décision relatifs à ses missions, de pouvoirs de sanction et de pouvoirs d’enquête sur pièces et sur place.
Au-delà de ces observations de principe et de la préférence que j’ai déjà exprimée en faveur de la participation de l’autorité de régulation – la CRAF ou l’ARAF – à l’élaboration, en amont, du document de référence du réseau, nous devrions saisir l’occasion de la discussion parlementaire pour enrichir le texte proposé par la commission des affaires économiques, afin de doter l’autorité de régulation de tous les moyens juridiques, techniques et matériels lui permettant de jouer réellement son rôle de clé de voute d’un système désormais reconfiguré.
Avec l’ouverture à la concurrence des services en réseau – énergie, télécommunications... –, la France a déjà l’expérience de ce type de régulateur. L’on sait donc quels moyens il faut lui attribuer pour qu’il puisse fonctionner, et quelles sont les conditions de son indépendance.
La transformation de la CRAF en ARAF n’est pas neutre. Un « A » à la place du « C » n’est pas indifférent… Le projet de loi crée un organisme de régulation quasi a minima, en tout cas qui méritait mieux. Vous connaissez la logique des arbitrages interministériels, mes chers collègues : il arrive parfois qu’on impose au ministre des décisions contre son gré…Fort heureusement, les amendements de notre excellent rapporteur tendent à donner plus de consistance au dispositif.
Le projet de loi ne répondrait pas aux griefs de la Commission européenne portant sur l’absence de séparation stricte entre RFF et SNCF-Infra.
En toute logique, les 55 000 personnes employées par SNCF-Infra auraient dû être transférées à RFF en 1997 afin de permettre à ce dernier de disposer pleinement des moyens de ses compétences de gestionnaire du réseau.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Hubert Haenel. Les reproches de Bruxelles ne portent, pour l’instant, que sur une partie de ces personnels. Il s’agit des 14 400 agents de SNCF-Infra en charge non pas des travaux ou de la surveillance du réseau mais de l’exploitation de ce dernier, un ensemble qui va de la définition du programme annuel des circulations, dit « graphique de circulation », jusqu’à l’aiguillage en passant par l’instruction des demandes et l’octroi des sillons. La directive européenne précise en effet explicitement que l’octroi des sillons doit être effectué de façon indépendante, car il touche directement à l’égalité entre les opérateurs.
L’amendement n°131 du Gouvernement devrait sans doute répondre à cette critique. Je formulerai quelques observations à son propos, monsieur le secrétaire d’État. Tout d’abord, telle l’Arlésienne, dont on parlait beaucoup mais que l’on ne voyait jamais, cet amendement est bien tardif : il nous est parvenu le 13 février alors que le projet de loi a été déposé en septembre.
Mme Isabelle Debré. Mieux vaut tard que jamais !
M. Hubert Haenel. Ensuite, l’organisation issue de la loi de 1997 a souvent été qualifiée d’ « usine à gaz » ne permettant ni la transparence ni le développement. Je ne le souhaite pas mais, à travers cet amendement, nous risquons de consolider cette usine à gaz. En quelque sorte, nous reculons pour mieux sauter.
Cet amendement met en place non pas une organisation d’entreprise, mais une organisation d’administration à la française, c’est-à-dire une organisation particulièrement compliquée !