M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En effet !
Mme Marie-Thérèse Hermange. La psychiatrie se retrouve donc en première ligne avec peu de moyens, face à une population vulnérable qui peut être conduite au suicide ou à la récidive à sa sortie de prison.
L’une des explications de ce taux élevé réside dans la reconnaissance de la responsabilité pénale de personnes dont le discernement a été altéré par un trouble psychique, mais aussi, parallèlement, dans la réduction draconienne du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques, alors même que dans des hôpitaux, tel la Pitié-Salpêtrière, des salles entières d’enfermement seraient disponibles et prêtes à être réaménagées.
Une autre explication est la fragilisation psychique qui résulte des conditions de détention.
Les services médico-psychologiques régionaux créés en 1986 ou les unités hospitalières spécialement aménagées sont plus que nécessaires, mais l’insuffisance des effectifs et le manque de moyens entraînent des délais d’attente pour les consultations d’au moins six mois, sauf pour les cas d’urgence. À cet égard, madame la ministre, nous aurions souhaité voir à vos côtés, au banc du Gouvernement, la ministre de la santé.
L’article 20 prévoit que la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles qui sont dispensées à l’ensemble des personnes accueillies dans les établissements de santé publics ou privés. Il prévoit également que l’état psychologique des personnes détenues est pris en compte lors de leur incarcération et pendant leur détention. Cette disposition est primordiale pour que les personnes fragiles ne sortent pas de prison dans un état psychologique aggravé.
J’aborderai brièvement la question de la prévention du VIH. Le combat n’est pas gagné, même si des progrès ont été constatés.
Les associations préconisent, par exemple, de poursuivre les actions de dépistage à l’entrée en prison en améliorant le conseil pré-test et post-test et en renouvelant régulièrement les propositions de test. Elles insistent aussi sur la nécessité de préparer la sortie du détenu en proposant qu’un médecin assurant un suivi médical VIH à Fleury-Mérogis procède à une consultation post-pénale au sein de l’hôpital Pitié-Salpêtrière où il exerce par ailleurs. Êtes-vous prête, madame la ministre, à favoriser de tels dispositifs ?
J’en viens aux addictions ; la prison manque de spécialistes pour la prise en charge de celles-ci. Or 33 % des détenus utilisent des substances illicites et 31 % ont une consommation problématique d’alcool. La prison pourrait être l’occasion d’un premier accès à la santé pour nombre de prisonniers. Mais le voulons-nous vraiment ?
Pour que les traitements entamés soient efficaces, il faut qu’ils soient poursuivis après la sortie de prison.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Or, à l’heure actuelle, les soins peuvent prendre fin du jour au lendemain, dès que la décision de sortie est prononcée, ce qui est contraire à l’objectif de santé publique de la loi de 1994 et dangereux tant pour l’ancien détenu que pour la société, comme dans le cas d’une interruption brutale d’un traitement à la méthadone.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
Mme Marie-Thérèse Hermange. C’est tout le sens d’un article additionnel après l’article 22, proposé par la commission, qui prévoit une visite médicale de sortie.
Les soins dispensés aux prisonniers ne doivent pas se limiter au milieu carcéral. Il importe d’établir une cohérence avec les traitements qui seront prodigués hors les murs. Cette coordination en matière de santé doit aussi s’opérer dans les domaines du logement, de l’insertion professionnelle et du maintien des liens familiaux.
S’agissant du logement, il me paraît important d’établir un bilan social complet du détenu à l’entrée en prison et de mettre en place un soutien individualisé.
Je souhaite aussi, madame la ministre, que vous vous attachiez à promouvoir et à pérenniser des dispositifs tels que celui des appartements-relais, qui permettent la réinsertion et l’autonomisation progressive du détenu sorti de prison.
Ne pas prévoir de réinsertion, c’est ouvrir la porte à l’errance, à la rue, à l’isolement, quelquefois à la récupération par des réseaux, et à la récidive. Nous pouvons le prévoir, notamment avec des sorties « sèches » à minuit à Fleury-Mérogis, à midi à Fresnes, un samedi, avec en tout et pour tout un préservatif fourni par l’administration pénitentiaire.
S’agissant de l’insertion professionnelle, la prison devrait constituer une opportunité formatrice d’un point de vue pédagogique pour des personnes qui, souvent, ne possèdent pas les bases de l’instruction. Tel est le sens du développement de la formation en prison préconisé par notre assemblée à l’article 11 ter, qui fait obligation au détenu d’exercer une activité afin de lutter contre l’oisiveté cérébrale et de rendre utile ce temps de détention.
Enfin, j’insisterai sur le maintien des liens familiaux. Il s’agit d’un enjeu de santé publique ! Madame la ministre, en tant que mère de famille, vous pouvez comprendre la nécessité d’éviter la rupture entre les parents et l’enfant de moins de trois ans : cette relation est indispensable pour le développement de l’enfant et la construction des parents.
Pour faciliter ce lien, l’acheminement de l’enfant jusqu’au lieu de détention devrait être pris en charge par la puissance publique.
Les rencontres entre enfants et parents en détention doivent avoir lieu dans des espaces spécialisés, avec un cahier des charges établi par la Protection maternelle et infantile, la PMI. Cela limiterait les troubles liés à l’éloignement.
La personne détenue doit sortir de prison en meilleur état psychique qu’elle n’y est entrée. Il faut lui donner ou redonner la conscience de son humanité et lui dire : « tu as ta place dans notre société, parce que nous croyons en toi ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, mes premiers mots vont à notre collègue Jean-René Lecerf, rapporteur, que je tiens à remercier.
Nous sommes en effet nombreux à connaître et apprécier son engagement pour une humanisation effective des prisons, engagement qu’il nous prouve aujourd’hui à travers le texte proposé. Je le remercie également de nous avoir toujours associés aux différents déplacements et aux auditions.
Ainsi, il a su nous démontrer que la question des prisons dépasse les clivages politiques traditionnels et que, dans ce domaine, la sécurité ne peut justifier éternellement de porter atteinte aux droits fondamentaux des détenus.
Sur de nombreux points, nous avons été très loin, aussi loin qu’il est possible d’aller. Je pense notamment à la responsabilité de plein droit de l’administration pénitentiaire, que vous souhaitez créer pour les violences entre détenus, ou aux procédures d’aménagement de peine propres à garantir une certaine décongestion de nos prisons.
Je pense aussi au renforcement du principe de l’encellulement individuel des prévenus, qui est proposé à l’article 49 du projet de loi, même si l’article 59 vient vider celui-ci de son sens.
Néanmoins, je regrette que le texte soit insuffisant sur de nombreuses questions et, en premier lieu, sur celle de l’encellulement individuel obligatoire, que le Gouvernement souhaite réduire par voie d’amendement à un principe d’encellulement individuel facultatif.
Non seulement il n’est plus question, comme le prévoit actuellement le code de procédure pénale, de faire respecter le principe de l’encellulement individuel, mais le Gouvernement profite de ce projet de loi pour redéfinir, au travers d’un amendement, la notion même d’encellulement individuel : non plus un détenu par cellule, mais un détenu par place !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Ce n’est déjà pas mal !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce changement, nous le savons, ouvrira la voie à tous les abus ! L’administration pénitentiaire pourra alors jeter des matelas au sol et considérer qu’il s’agit de places. Elle pourra construire des montagnes de lits superposés dans une seule cellule et continuer à clamer haut et fort qu’elle respecte la dignité des détenus.
J’estime qu’il est urgent de mettre un terme à cette mascarade. Nous devons aujourd’hui prendre nos responsabilités et affirmer, avec force et vigueur, que chaque détenu a droit à une cellule individuelle.
C’est à ce prix que le respect de la dignité du détenu prendra tout son sens, et c’est uniquement à ce prix que le détenu pourra concevoir la prison autrement que comme une zone d’attente délabrée, où la survie constitue souvent un combat de chaque instant.
Bien sûr, nous ne demandons pas que nos prisons se transforment en hôtel cinq étoiles ! Nous souhaitons seulement que chaque détenu n’ait pas à endurer, outre sa détention, des atteintes continues et répétées à ses droits fondamentaux, notamment ses droits à la dignité, à la santé et à l’intimité avec sa famille.
Le droit, rien que le droit, mais tout le droit pour nos détenus !
Nous ne pourrions imaginer que des citoyens puissent vivre, à l’extérieur des prisons, ce que nos détenus doivent subir en raison de la surpopulation carcérale.
Comme nous le savons, et comme beaucoup le répètent, la prison, c’est la privation de liberté, et pas plus que cela ! Le code pénal punit d’une peine d’emprisonnement ceux qui fournissent des logements indignes : pourquoi les détenus ne pourraient-ils pas aussi bénéficier d’une protection dans ce domaine ?
Il est temps, chers collègues, que la France reconnaisse un véritable « droit opposable » à l’encellulement individuel au profit des détenus. Nous devons saisir la responsabilité historique qui se présente à nous aujourd’hui !
La surpopulation carcérale est devenue le cancer de nos prisons et la construction de nouveaux établissements n’est pas une solution. Or, sans éradication de la surpopulation carcérale, nous ne réussirons jamais à faire respecter le droit le plus élémentaire du détenu : le droit à la dignité.
Profitons donc de la caducité du moratoire sur l’emprisonnement individuel, qui avait été instauré jusqu’au mois de juin 2008, pour enfin organiser, graduellement, mais sûrement, la mise en place progressive du principe « un détenu, une cellule ».
Le cadre juridique existe, puisque, le 10 juin 2008, madame le garde des sceaux, vous avez pris un décret pour assurer la mise en œuvre de l’encellulement individuel. L’enjeu d’une application effective de ce principe n’est pas seulement arithmétique : il s’agit de respecter et de faire respecter le droit à la dignité des détenus.
Je tiens d’ailleurs à signaler que la référence à ce droit a disparu du projet de loi pénitentiaire, ce que je regrette profondément.
Je ne pense pas que la réponse apportée à ceux qui s’interrogent sur la disparition d’un tel principe soit suffisante. Non, vraiment, le respect de la dignité du détenu ne va pas de soi !
Nous savons très bien pourquoi le terme a disparu : le détenu pourrait demain, au même titre que n’importe quel citoyen, soumettre au Conseil constitutionnel la question de la protection effective du droit au respect de sa dignité par voie préjudicielle. Or, vous connaissez tous très bien l’orientation englobante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans ce domaine…
En privant le projet de loi de toute référence à la dignité du détenu, on prive donc ce dernier de la possibilité de s’en prévaloir !
Sur ce point précis, le texte de la commission souffre d’une carence impardonnable. Il nie le droit à la dignité du détenu, un droit que nous devons rétablir, au sens propre, comme au sens figuré, tout au long de nos débats. Sa négation, vous le savez, engendre les violences que les détenus exercent sur les agents de surveillance, sur leurs codétenus ou encore sur eux-mêmes et qui expriment souvent un mal-être.
Il me semble aussi important de revenir sur un autre point, la question de la santé du détenu, déjà évoquée par les orateurs qui m’ont précédée. Je voudrais simplement rappeler la demande que j’ai déposée, il y a quelques mois, avec plusieurs collègues, de constitution d’une commission d’enquête sur la prise en charge sanitaire des détenus et l’évaluation des risques suicidaires en prison.
Chers collègues, les chiffres parlent d’eux-mêmes : nous avons enregistré 115 suicides pour la seule année 2008, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2007, et 26 suicides pour les seuls mois de janvier et de février 2009, dont plusieurs concernent des mineurs.
Or le projet de loi est absolument muet sur cette question. Certes, il mentionne le droit à l’information des familles sur les démarches à suivre, mais n’est-ce pas là le minimum ?
Nous ne trouvons rien sur l’évaluation de la santé des détenus par rapport à l’incarcération, rien sur la prise en charge de ceux d’entre eux qui intègrent malades les établissements et sur la continuité des soins, rien sur l’aménagement des régimes de détention en fonction de l’état de santé des personnes concernées.
Le détenu malade est un détenu comme les autres ? Eh bien, non ! Il est, avant tout, un malade, un être humain en demande de soins. Nous ne devons pas l’oublier !
Nous souhaitons donc, pour notre part, remettre la santé du détenu au cœur du parcours d’exécution de la peine, avec une prise en compte de son état de santé dès l’incarcération et à toutes les phases de l’exécution de la peine, y compris lors de mesures disciplinaires.
La question de la prise en charge sanitaire des détenus a été oubliée depuis la grande loi du 18 janvier 1994. Quinze ans après, il est important d’établir un bilan pour les ministères responsables et de repenser le soin dans ses rapports avec la peine.
En prison, la demande de soins est beaucoup plus pressante qu’à l’extérieur et l’absence de soins y a des conséquences tragiques, comme nous avons tous pu le mesurer au cours des derniers mois. Là encore, les chiffres sont impressionnants : 25 % des détenus présentent des troubles mentaux, dont environ 8 % souffrent de psychoses graves.
Nous devons sortir de cette escalade morbide par la mise en œuvre de moyens plus importants, tant humains que matériels. Il faut mettre un terme au mélange des genres et assurer, au bénéfice du détenu, un service public hospitalier d’une qualité équivalente à celle que l’on rencontre à l’extérieur.
Cela passe par un développement des unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, afin de laisser aux services médico-psychologiques régionaux, les SMPR, aujourd’hui totalement saturés, la responsabilité effective des soins ambulatoires.
Cela passe également par une remise à plat de la démographie psychiatrique. Pourquoi les prisons se sont-elles vidées de leurs psychiatres ? Comme dans le cas des infirmières, c’est en raison de conditions d’exercice très difficiles !
C’est pourquoi je voudrais également rendre hommage à l’ensemble des personnels intervenant dans les prisons, ceux qui appartiennent à l’administration pénitentiaire, mais aussi les médecins, les infirmières et les éducateurs, qui souffrent, eux aussi, des conditions très difficiles qui prévalent en milieu pénitentiaire.
Madame le garde des sceaux, nous devons sortir de la contradiction entre une politique pénale répressive et une politique pénitentiaire qui se veut un outil de réinsertion et de lutte contre la récidive.
Mes chers collègues, madame le garde des sceaux, nous abordons l’examen de ce projet de loi pénitentiaire avec optimisme et dans un esprit de collaboration. Nous souhaitons voir évoluer le texte, ce pourquoi nous vous soumettrons plusieurs propositions, équilibrées et au plus près des règles pénitentiaires européennes. Nous espérons que vous saurez y adhérer... et, ainsi, que nous pourrons peut-être voter cette loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la France, pays des droits de l’homme, attendait cette loi pénitentiaire avec une grande impatience. Nous savons tous, hélas, et personne dans cette assemblée ne l’a contesté à ce jour, que les prisons françaises ne sont pas dignes de notre démocratie et sont loin des exigences européennes.
La loi que vous nous proposez aujourd’hui, madame le garde des sceaux, répond-elle à la nécessité ? Force est de reconnaître que la déception est à la mesure des espoirs investis, et ce n’est pas polémiquer que de faire un tel constat.
Mes collègues se sont déjà exprimés : le texte n’est pas à la hauteur de l’enjeu, même si certains de ses aspects marquent des progrès réels, que nous soulignerons.
Son insuffisance tient sans doute, pour une part, au contexte paradoxal, voire contradictoire, dans lequel il a été conçu. Ainsi, depuis 2002, une série de lois ont modifié la politique pénale, en accentuant notamment sa dimension répressive. Comme vous le savez, cette tendance s’est consolidée avec la mise en œuvre de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, qui institue des peines minimales, dites peines plancher, pour les délinquants récidivistes.
Or ces diverses dispositions ont conduit mécaniquement à une surpopulation des établissements pénitentiaires. Je pourrais rapidement en décrire les conséquences actuelles, mais beaucoup de mes collègues l’ont déjà fait. Cette suroccupation avoisine aujourd’hui 125 % des capacités d’hébergement, ce qui signifie que de nombreuses maisons d’arrêt enregistrent des taux plutôt proches de 130 % ou 135 %.
Le projet de loi que vous proposez, madame le garde des sceaux, traduit de fait un changement de cap, puisqu’il est inspiré par la nécessité de pallier cette surpopulation au moyen d’aménagements et d’une plus grande diversification des peines. Nous approuvons ces propositions, à condition, bien sûr, qu’elles soient accompagnées d’une réelle ambition de réinsertion.
Mais, convenez avec moi, madame le garde des sceaux, qu’une loi pénitentiaire digne de ce nom doit aller plus loin. Par conséquent, acceptez que nous mettions à profit votre texte, aujourd’hui insuffisant et partiel,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous oubliez qu’il s’agit du texte de la commission !
M. Claude Jeannerot. … mais il est vrai déjà enrichi par le rapporteur de la commission des lois et le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales !
Je vous propose de transformer encore ce texte, largement enrichi donc par rapport à son état d’origine, pour offrir une véritable possibilité de progrès à notre pays.
Cette loi doit principalement porter haut le droit à la dignité pour tous les détenus et ce droit à la dignité doit pouvoir s’incarner dans tous les aspects de leur vie.
Je voudrais spécialement retenir deux droits qui, du point de vue de la dignité humaine, sont essentiels : le droit à la santé, largement développé par le président de la commission des affaires sociales, et le droit à la réinsertion professionnelle.
S’agissant du droit à la santé, tout d’abord, la surpopulation observée a des effets désastreux sur l’état de santé des détenus, ainsi que sur l’organisation des parcours de santé. Ces insuffisances ne doivent cependant pas nous faire oublier les énormes progrès accomplis, en particulier grâce à la loi du 18 janvier 1994, qui représente, cela a été dit, un tournant décisif.
La prise en charge des détenus est désormais confiée au secteur hospitalier, afin d’assurer en prison une qualité et une continuité de soins équivalentes à celles qui sont offertes à l’ensemble de la population. Telle était l’ambition de ce texte.
Cependant, dans la réalité, cette loi n’est que partiellement appliquée. En effet, et c’est l’Académie de médecine qui le dit, la prise en charge des détenus n’est toujours pas égale à celle des autres citoyens. Le statut du détenu prime toujours sur celui du malade. Cela se traduit par des carences graves de l’hygiène, l’absence de permanences médicales la nuit et le week-end, la transgression fréquente du secret médical, l’insuffisance de suivi à la sortie, une discontinuité dans le parcours de santé.
Enfin, nombreux sont mes collègues qui ont insisté sur ce sujet à juste raison, les soins mentaux, et plus encore le suivi, sont inadaptés devant une demande croissante : près de 25 % des personnes détenues sont atteintes de troubles mentaux et près de la moitié souffrent d’états psychotiques.
De ce point de vue, le texte qui nous est aujourd'hui soumis mérite encore des évolutions. Il doit permettre notamment de mieux prendre en compte l’état psychologique des détenus.
À cet égard, les règles pénitentiaires européennes doivent, me semble-t-il, constituer pour nous un cadre de référence devant nous permettre d’aller encore plus loin que les dispositions qui nous sont proposées.
C’est pourquoi le groupe socialiste présentera des amendements visant à garantir mieux et à instrumenter ce droit à la santé, en cohérence avec les propositions qu’a formulées le président de la commission des affaires sociales et que nous soutenons.
J’ai écouté avec attention le rapporteur de la commission des lois, qui conclut à la nécessité de retravailler ce sujet ultérieurement. Pour autant, il serait dommage qu’un tel projet de loi, qui se veut fondateur, ne porte pas en lui-même cette question essentielle de la santé.
J’en viens maintenant au droit à la réinsertion.
La réinsertion doit être un sujet de préoccupation central dans un texte de cette nature. Si elle s’opère aussi grâce au maintien des liens familiaux, à la mise en place d’un suivi médical qui s’organise au-delà de la période de détention, elle est d’abord rendue possible grâce à l’accès au travail et à la formation professionnelle.
Le travail est au cœur de la problématique de l’incarcération. Il offre un lien indispensable avec le monde de la « vie réelle ». Il permet l’apprentissage de disciplines utiles pour la resocialisation et procure surtout une rémunération nécessaire.
Pourtant, la proportion d’individus incarcérés exerçant une activité en prison ne dépasse pas 40 %. Les chiffres de la formation sont plus inquiétants encore : 75 % des entrants en détention n’atteignent pas le niveau du CAP et la moitié d’entre eux souffre d’illettrisme.
Il faut pourtant tout faire pour que le temps de l’incarcération soit, sous ces aspects, un temps utile : il ne doit pas rester un « temps mort ».
À cet égard, le texte présenté par la commission devra être enrichi de dispositions favorisant l’accès au travail et à la formation professionnelle. Nous formulerons des propositions en ce sens.
Dans la perspective de ce débat, j’ai longuement visité la semaine dernière la maison d’arrêt de Besançon. J’y ai rencontré des détenus, une équipe de direction très professionnelle ainsi que des personnels soucieux d’assurer leur mission dans les meilleures conditions d’efficacité.
La justification de ce projet de loi pénitentiaire, c’est évidemment le détenu. Mais, en proposant à la vie pénitentiaire un cadre législatif ambitieux, non seulement nous ferons avancer la dignité des femmes et des hommes détenus dans nos prisons, ce qui est essentiel, mais nous permettrons aussi aux personnels pénitentiaires d’exercer leurs missions dans un cadre valorisé, responsabilisé et porteur de progrès.
En 1981, en abolissant la peine de mort, la France se mettait en accord avec elle-même ; Robert Badinter le rappelait à cette époque. Notre pays avait en effet été parmi les premiers à éradiquer la torture, à supprimer l’esclavage.
Avec arrogance parfois, nous rappelons notre primauté au regard des droits de l’homme. Par conséquent, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, faisons en sorte que la France ne soit pas la dernière à se doter des règles pénitentiaires dignes d’une démocratie.
Cette occasion est là aujourd'hui devant nous. Mes chers collègues, saisissons-la ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je rappellerai d’abord le rôle majeur et précurseur du Sénat sur la question pénitentiaire.
Au mois de janvier 2000, le rapport de Véronique Vasseur a entraîné dans un premier temps l’ouverture de deux commissions d’enquête parlementaires, puis la formulation de propositions par Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel.
Sur ce texte, la commission des lois a aussi accompli un travail remarquable...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Grâce à son rapporteur !
M. Alain Fouché. ... et son rapporteur, Jean-René Lecerf, s’est engagé fortement et personnellement.
Nous entamons l’examen de ce projet de loi que le travail des commissions a permis d’enrichir.
Pour ma part, madame le garde des sceaux, en tant que professionnel du droit, je ne suis pas déçu : ce texte, qui est nécessaire à mes yeux, contient de réels progrès et présente de grands mérites.
D’une part, ce projet de loi est courageux. Dans une période de crise, la condition des détenus n’est pas la préoccupation de la grande majorité des Français,...
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. C’est sûr !
M. Alain Fouché. ... lesquels estiment que l’on doit être puni, lorsque l’on a commis une faute, et que, si les conditions de confort et de vie ne sont pas bonnes, tant pis !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Alain Fouché. Lorsqu’ils apprennent que nous examinons le projet de loi pénitentiaire, nos concitoyens s’exclament : « Vous n’allez pas leur offrir un quatre étoiles ! ». Oui, il fallait du courage pour ouvrir ce dossier en cette période.
D’autre part, ce projet de loi place la réinsertion des détenus au cœur de l’intervention du service public pénitentiaire. Il s’attaque ainsi frontalement au « paradoxe pénitentiaire », qui fait trop souvent de la prison une école de la récidive.
Tocqueville écrivait : « La société a le droit de punir, mais non de corrompre ceux qu’elle châtie. »
M. Jean-Pierre Sueur. C’est très juste !
M. Alain Fouché. Il ajoutait que l’on jugeait de l’efficacité du système pénitentiaire à son taux de récidive.
Les avancées que permet ce projet de loi sont nombreuses.
Ainsi, il prévoit l’évaluation du taux de renouvellement de l’infraction par établissement pénitentiaire, afin de mesurer l’impact des conditions de détention sur la récidive.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Alain Fouché. Il s’agit de tout mettre en œuvre pour éviter l’incarcération, en développant les alternatives et en multipliant les aménagements de peines.
En matière correctionnelle, il est certain que l’emprisonnement ferme constitue une sanction qui ne doit être prononcée qu’en ultime recours et que, dans le même esprit, la libération conditionnelle doit être, aussi souvent que possible, préférée aux réductions de peine, tant il est primordial d’éviter les « sorties sèches ».
En effet, la réussite de la réinsertion est tout entière conditionnée par les modalités d’exécution de la peine. Dès lors, il est indéniable que nous devons prendre à bras-le-corps le problème de la surpopulation pénale, que les peines plancher ont accentué.
Certes, la surpopulation est réelle, mais il faut rappeler l’effort constant d’un certain nombre de gardes des sceaux de la majorité, depuis bientôt trente ans, pour construire de nouvelles places de prison.
Trois programmes ont été successivement mis en œuvre. Le programme Chalandon a permis la création de 13 000 places de détention avec la construction de vingt-cinq établissements. Certes, à l’époque, les maisons d’arrêt n’étaient pas construites à proximité des hôpitaux psychiatriques, ce qui n’est plus le cas aujourd'hui. Le programme Méhaignerie a permis de créer 4 000 places, avec la construction de six établissements. Enfin, sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, a été prévue la construction d’une quinzaine d’établissements pénitentiaires – elle est en cours ; l’établissement qui se trouve près de ma commune est presque terminé – et de sept établissements pour mineurs.
Parallèlement, au sein des établissements existants, un programme d’accroissement des capacités a permis de créer, entre 2003 et le mois de juin 2008, près de 1 600 places de détention.
Ce n’est pas suffisant, mais des progrès ont été réalisés ; les chiffres sont irréfutables. C’est en poursuivant et en amplifiant cette orientation que nous répondrons au besoin de sécurité de la collectivité et à l’impérieuse nécessité d’humaniser nos prisons.
Si je me félicite, en tant que professionnel mais aussi en tant qu’humaniste, de l’objectif de réinsertion affiché par ce texte, je ne perds cependant pas de vue que ce dernier ne peut s’appliquer ni à tous, ni de la même façon. À l’optimisme de la réinsertion s’opposera toujours un pessimisme à l’égard des personnes « inamendables ». Et, ne nous leurrons pas, il nous faudra toujours des prisons, mais qui soient adaptées et dignes de ce nom.
À cet égard, madame le garde des sceaux, je considère que l’encellulement individuel doit rester une priorité. Certes, des assouplissements doivent être possibles, en fonction de la personnalité du détenu. Mais l’on sait très bien que tout ne peut pas se faire en un jour ! Il faut incontestablement se donner les moyens. Dans cet esprit, le rapporteur préconise, s’agissant du travail et de la formation des personnes détenues ou de leur sécurité, un régime de responsabilité sans faute de l’État pour tout décès en détention qui serait la suite d’une agression commise par un autre détenu. La même logique des moyens prévaut pour le statut des personnels pénitentiaires.
Il faut encore se donner les moyens pour garantir l’effectivité des droits reconnus aux détenus. Ce projet de loi est porteur, en la matière, de grandes avancées, et c’est heureux, qu’il s’agisse du droit à la communication, des visites et du maintien des liens familiaux, notamment avec le développement des unités de vie familiale. Il en va de même du droit disciplinaire, dont les principes fondamentaux sont désormais élevés au niveau législatif.
À cet égard, j’insisterai plus particulièrement sur la nécessaire limitation des fouilles corporelles, réalisées parfois dans des conditions indignes. De telles fouilles sont aussi effectuées dans les commissariats, dans le cadre de placements en garde à vue. Comme le disait M. Badinter, les détenus sont des êtres humains et doivent être traités en tant que tels, comme vous et moi, mes chers collègues.
Enfin, je conclurai sur la délicate question de l’administration des soins en prison, que le président de la commission des affaires sociales a excellemment analysée et dans le détail.
La prison ne peut être une zone de non-droit et ne saurait être une zone de non-soin.
On lit, dans certains journaux, des chiffres extravagants sur le nombre de détenus dits « malades mentaux ». Ces données ne sont pas tout à fait exactes. Voilà quelques jours, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le professeur Senon, psychiatre bien connu, homme exceptionnel qui travaille à Poitiers. Il m’a indiqué qu’aujourd’hui 4 % à 7 % des malades décomptés dans nos prisons sont des schizophrènes et des psychotiques,…