M. Paul Blanc. C’est vrai !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Avant de conclure, je voudrais me réjouir que, malgré une actualité économique et financière si pressante, le Conseil européen ait conservé à son ordre du jour un point sur l’énergie et le changement climatique.
Car rien ne serait pire que de laisser croire que tout se ramène désormais à retrouver à n’importe quel prix un meilleur niveau d’activité. Nous avons déjà oublié l’envolée du prix de l’énergie, des matières premières, des produits alimentaires et les inquiétudes face au réchauffement de la planète qui étaient au centre des préoccupations avant le déclenchement de la crise financière.
Pourtant, au-delà des fluctuations économiques, c’est bien notre conception du développement qui doit changer.
Quelle que soit la complexité de l’entreprise, il faut absolument conjuguer la lutte contre la crise et le tournant vers le développement durable. C’est seulement ainsi que nous sortirons par le haut des difficultés si graves que nous traversons.
Et nous n’y parviendrons pas si le couple franco-allemand ne joue pas pleinement son rôle, qui n’est pas exclusif, qui n’est pas suffisant, mais qui est irremplaçable. Bien sûr, nos amis britanniques peuvent être des partenaires essentiels sur certains sujets importants. Mais c’est avec l’Allemagne que nous pouvons avoir une force d’entraînement à caractère global pour faire progresser la construction européenne dans son ensemble. C’est pourquoi je me réjouis de constater que les relations franco-allemandes semblent actuellement repartir du bon pied : nous savons, monsieur le ministre, que vous faites beaucoup pour cela.
On peut toujours essayer de tirer un bien d’un mal. Cette crise nous invite à changer beaucoup de choses : à l’échelon européen, à l’échelon national et, même, à l’échelon individuel.
On me dira peut-être que j’inflige au Sénat un sermon de carême, mais cette crise montre à quel point nous nous sommes éloignés des valeurs européennes.
J’ai participé à la convention qui a élaboré la charte des droits fondamentaux, puis à celle qui a préparé le traité constitutionnel ; nous nous sommes référés aux meilleurs héritages de l’Europe, nous avons proclamé notre attachement aux principes de solidarité, de justice entre les générations, de développement durable, de dignité humaine ; mais, finalement, ce n’était peut-être que des mots… La réalité, c’est la course au profit, l’indifférence à l’avenir comme au passé, le culte de la consommation. Nous voyons aujourd’hui où cela nous a conduits.
Il faudrait en tirer les conséquences dans les politiques que nous menons, et même dans nos comportements ; il faudrait prendre au sérieux les valeurs européennes que nous proclamons. Si tel était le cas, et ce sera ma conclusion, madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette crise pourrait à long terme se révéler salutaire pour l’Europe. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la prochaine réunion du G20, qui se tiendra à Londres le 2 avril prochain, pourrait, dit-on, avoir l’importance historique des accords de Bretton Woods. Cette réunion devrait en effet définir pour les décennies futures les nouvelles règles permettant d’éviter que de telles crises financières ne se reproduisent.
Il est donc indispensable que l’Europe pèse de tout son poids dans les décisions de Londres ; c’est, à mon sens, l’enjeu principal du prochain Conseil européen des 19 et 20 mars. Mais encore faudrait-il ne pas être en total décalage avec nos partenaires.
Les États-Unis souhaitent que le G20 se concentre surtout sur une politique de relance économique ; ils se sont montrés assez réservés sur l’instauration de nouvelles règles financières. C’est en somme la position inverse des pays européens. En la matière, la position des socialistes européens, qui consiste à vouloir traiter de manière conjointe ces deux domaines, me semble être la voix de la raison dans la mesure où régulation financière et relance économique sont intimement liées, me semble-t-il.
La Commission vient d’établir un calendrier précis de présentation de mesures destinées à favoriser une régulation financière sur le sol européen.
Je tiens à rappeler que les socialistes européens avaient estimé dès 2007 qu’il était indispensable d’adopter une législation européenne, en particulier pour encadrer les fonds spéculatifs
Cependant, on ne peut donner totalement tort aux États-Unis lorsque ceux-ci critiquent l’insuffisance des plans de relance européens. Il est vrai que la seule proposition de contribution financière directe de l’Europe à la relance économique portait sur un montant de 5 milliards d’euros. Il s’agit d’une petite mesure au regard de l’étendue du désastre et des centaines de milliards investis par l’ensemble des pays membres et qui, du reste, ne fait même pas l’unanimité parmi les États membres après six mois de concertation.
Au-delà de ce constat, quel premier bilan pouvons-nous dresser de la gestion de la crise par l’Union européenne depuis six mois ?
À défaut d’un engagement financier important, nous avons dû nous contenter d’une réévaluation de la mission de la Banque européenne d’investissement, d’un plan de relance des banques et de la perspective d’un accord sur les paradis fiscaux, à savoir la levée du secret bancaire pour les cas de fraude ou d’évasion fiscales. C’est somme toute assez maigre et je ne suis pas sûr que les citoyens y trouvent leur compte.
Au final, l’Union européenne s’est surtout contentée d’encourager les plans de relance nationaux, lesquels n’ont d’ailleurs fait l’objet que d’une coordination limitée : chacun est resté maître de l’évaluation de son plan. Il ne reste qu’à espérer que l’ensemble de ces plans ne débouche pas, à terme, sur une cacophonie généralisée.
Mais, une fois de plus, démonstration a été faite d’une forme d’impuissance de l’Union à organiser une véritable réponse collective européenne à la crise. On a d’ailleurs pu mesurer cette impuissance à l’occasion du dernier Conseil européen, qui s’est tenu à Bruxelles le 1er mars dernier : aucune décision d’envergure n’a été prise.
Il est à craindre que le « sommet extraordinaire sur l’emploi » prévu par la présidence tchèque et qui aura lieu le 7 mai à Prague ne se résume, une fois encore, à un simple « échange d’expériences ».
Pourquoi, par exemple, avoir isolé la question de l’emploi et avoir réduit la question sociale à la portion congrue ? Je rappelle que la crise économique pourrait entraîner une augmentation du nombre des chômeurs pouvant aller jusqu’à 7 millions à l’horizon 2010 si nous ne sortons pas de la spirale négative.
Les socialistes français, comme leurs homologues européens, estiment qu’une autre relance est possible.
Nous proposons, d’abord, le lancement d’un grand emprunt européen pour investir dans des travaux d’infrastructure continentaux ; je pense notamment aux réseaux ferrés et, plus particulièrement, aux TGV. L’émission d’euro-obligations avait d’ailleurs été évoquée par Joaquin Almunia, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, au début du mois de mars, mais, apparemment, cette proposition a été enterrée par le président de la Commission.
Nous suggérons, ensuite, l’intégration dans le plan de relance européen d’un volet social : réorientation de la stratégie de Lisbonne, notamment ses lignes directrices, sur l’emploi, afin de mettre l’accent sur la qualité des emplois créés et la formation ; assouplissement des règles d’utilisation du fonds d’ajustement à la mondialisation, précisément destiné à faire face à la crise ; adoption d’un pacte européen du progrès social établissant des objectifs et des normes pour les politiques nationales de solidarité, de santé et d’éducation ; enfin, relance du dialogue social européen pour mettre les partenaires sociaux au cœur des négociations et arriver à un accord européen sur les niveaux de salaires.
En d’autres termes, parallèlement aux investissements nécessaires pour le développement de nouvelles infrastructures, il convient aussi de relancer le pouvoir d’achat des ménages à l’échelle européenne, bref, de donner un coup de pouce à la consommation européenne.
Ces mesures sont tout à fait envisageables à compétences constantes de l’Union européenne. Mais encore faut-il une volonté politique pour les mener et c’est, me semble-t-il, à la France qu’il incombe de pousser à agir en ce sens lors du Conseil européen qui s’annonce.
Venons-en à la question, importante elle aussi, à laquelle ce prochain Conseil va devoir s’atteler : la sécurité énergétique, priorité choisie par la présidence tchèque. Cette dernière souhaite se concentrer sur l’élaboration d’une stratégie en matière de sécurité énergétique. Il est vrai que la récente rupture des approvisionnements de l’Europe en gaz russe en janvier dernier a mis en évidence notre fragilité dans ce domaine.
Si l’objectif semble, en soi, tout à fait louable, les orientations trop libérales des solutions proposées le sont nettement moins. Il n’est plus possible d’appréhender la question énergétique simplement en termes de marché : les politiques de rentabilité immédiate ne sont plus de mises. Chacun sait que le marché seul, par ses logiques propres, n’encourage guère les investissements de moyen et long terme. Il représente donc un frein à une stratégie de long terme en matière de sécurité énergétique ; nous en avons pourtant besoin.
Il faut le dire et le redire, la sécurité de l’approvisionnement constitue un impératif catégorique et l’on imagine mal que nous puissions l’assurer en nous contentant, comme le propose la Commission, de diversifier l’approvisionnement.
La sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union passe par la mise en place d’infrastructures adéquates, une capacité de stockage et des réserves obligatoires, ainsi que par une stratégie garantissant la solidarité des États membres.
Le prochain Conseil sera enfin l’occasion d’aborder la contribution financière que l’Union européenne sera prête à mettre sur la table lors de la Conférence internationale de Copenhague sur le changement climatique, en décembre 2009.
À l’heure où je vous parle, malgré les négociations au sein du conseil Environnement et du conseil Ecofin, on ne voit aucun accord se dessiner entre les États membres.
L’Europe s’est montrée jusque-là ambitieuse en s’engageant sur une forte réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il serait bon qu’elle soit également ambitieuse lorsque l’on aborde la question de sa contribution financière en faveur des pays en voie de développement, qui eux aussi, ne l’oublions-pas, devront fournir un effort. C’est sa responsabilité que de les aider !
Il ne vous aura pas échappé qu’en dépit des apparences la crise financière, la politique énergétique et le changement climatique sont des sujets intimement liés in fine.
La lutte contre le réchauffement climatique est à même de redonner une dynamique à l’économie européenne, de créer les conditions d’une croissance écologique et innovante, source d’emplois et de richesses pour les Européens. C’est le message que je souhaite délivrer ici pour ne pas terminer sur une note pessimiste. Des voies existent, notamment dans ces nouvelles logiques de développement durable.
C’est à ces conditions que le prochain sommet du G20 pourra contribuer à sortir les pays d’Europe des graves difficultés dans lesquelles ils s’enlisent jour après jour. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.- MM. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, et Jean Bizet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes à l’avant-veille d’un conseil critique, au sens étymologique du terme, puisque nous sommes dans un temps de crise profonde et que krisis en grec, comme critique ou comme crise, signifie l’instant décisif.
Nous sommes au temps des vrais choix, au temps où l’avenir peut se rouvrir, au temps où pragmatisme et imagination, volonté politique et sens des responsabilités doivent se conjuguer, au temps où les fondamentaux reprennent leurs droits.
Parmi ces fondamentaux, j’en citerai deux : face à la crise, l’Europe est « la » solution et, l’Europe, c’est nous, ce « nous » englobant, bien sûr, nos partenaires, car nous sommes engagés dans un jeu d’équipe ; les échecs de l’Europe seront les nôtres, ses succès le seront aussi.
Je ferai une observation liminaire. Nous devons soutenir la présidence tchèque, sans défaillance ni arrière-pensée. La présidence est un service rendu à tous, nous l’avons éprouvé en son temps. Pour que ce service soit bien rendu au bénéfice de tous, deux conditions doivent être réunies : il faut que tous jouent le jeu en secondant la présidence, car un échec de la présidence tchèque ferait tort à tous, mais il faut aussi que la présidence joue le jeu ; à cet égard, je le dis d’emblée, je trouve désolant et inacceptable que le président tchèque, président en exercice de l’Union, se vante d’utiliser tous les moyens dilatoires possibles pour retarder la ratification du traité de Lisbonne, pourtant signé par l’ensemble des chefs d’État, donc par le chef de l’État tchèque.
Nous sommes en crise, financière, économique, sociale et de société, crise telle que, si l’Union n’existait pas, il faudrait d’urgence la créer.
Cette crise se développe dans un monde ouvert et qui se cherche, dans un contexte où les inégalités entre États n’ont jamais été aussi fortes, en un temps où les conflits armés se multiplient.
Il faut, en particulier, construire rapidement un partenariat durable avec la Russie, progresser vers une Europe de la défense, plus que jamais indispensable – je ne développe pas ce point, car nous sommes là dans l’actualité –, enfin, et c’est peut-être l’essentiel, réaffirmer encore et toujours que l’Union européenne a été créée d’abord pour promouvoir les valeurs qui sont les siennes, et que reprend la charte du Conseil de l’Europe : les droits de l’homme, la primauté du droit et la démocratie.
Vous m’autoriserez à y faire référence, monsieur le secrétaire d'État, parce que, ce matin encore, je rapportais devant la Commission des questions politiques du Conseil de l’Europe sur l’Euro-Méditerranée : ces valeurs ont été au cœur des débats que nous avons eus non seulement sur l’Euro-Méditerranée, mais aussi sur le conflit au Proche-Orient et sur le Bélarus.
N’oublions pas que nous sommes à trois mois du renouvellement du Parlement européen, puis de la Commission. Il nous faut envoyer aux Français et à l’ensemble des Européens un message clair et fort, qui ait du sens et qui prépare l’avenir. Si, par malheur, le 7 juin prochain, l’abstention l’emportait, nous le paierions tous longtemps et au prix fort.
Dans ce monde qui se cherche, l’Europe doit se renforcer, en s’appuyant sur des solidarités internes qu’il lui faut réaffirmer sans cesse.
Je formulerai quelques remarques.
Ne nous formalisons pas de voir les pays d’Europe centrale et orientale qui ont rejoint l’Union européenne en 2004 se concerter. Ils en ont le droit ! Il est même assez sain que chacun réfléchisse, à plusieurs ou en petits groupes. Après tout, la France et l’Allemagne se sont bien souvent concertées sans inviter leurs partenaires à ces réunions bilatérales. Le couple franco-allemand est solide : Hubert Haenel rappelait à l’instant qu’il doit être sans cesse renforcé ; je sais que vous y êtes attaché, monsieur le secrétaire d'État, et je tenais à vous en remercier. Il s’agit d’une priorité absolue si nous voulons que l’Europe retrouve son élan.
Ne marginalisons pas les pays d’Europe centrale et orientale membres de l’Union européenne ; veillons à ne pas les renvoyer avec commisération à leurs difficultés. Certains ont prétendu que, ne trouvant aucun écho à leurs difficultés au sein de l’Union européenne, ces pays se sont tournés vers le FMI. C’est inexact : il s’agit d’un raccourci ! Le FMI est l’interlocuteur normal de tous les États du monde.
Ce que je souhaiterais, c’est non pas que l’on s’interpose entre le FMI et les États qui ont un dialogue à développer avec le FMI, mais simplement que, lorsque les situations sont exceptionnelles, si nous sommes au sein de l’Union européenne, cette dernière commence par essayer de voir de quelle façon exprimer sa solidarité à l’égard des pays les plus en difficultés et, le cas échéant, qu’elle serve de porte-parole, d’intermédiaire, voire d’intercesseur entre eux et le FMI.
La crise peut diviser, chacun cherchant son salut dans une sorte de sauve-qui-peut. Veillons à ne pas nous réjouir d’être moins frappés que d’autres, par exemple la Grande-Bretagne, qui est en première ligne face à la crise financière, ou l’Allemagne, dont le solde du commerce extérieur, qui nous réjouissait voilà peu, rend aujourd'hui la situation de notre voisin un peu difficile.
Nous sommes embarqués dans la même aventure : les échecs ou les difficultés de nos partenaires sont aussi, d’une manière ou d’une autre, les nôtres ; ne l’oublions jamais ! Alors, que faire ?
Il faut vous soutenir, monsieur le secrétaire d'État, lorsque vous dites que, au lieu de diviser, la crise doit nous pousser à comprendre que l’Union européenne est la solution.
Il faut vous soutenir lorsque vous déployez des efforts réels afin que l’Union européenne parle d’une seule voix au G20 du 2 avril prochain et soit en état de proposer les voies de l’avenir qu’un monde désormais totalement et irréversiblement ouvert attend, et peut-être en particulier de l’Europe.
Il faut vous soutenir lorsque vous rappelez que, si le protectionnisme semble soulager dans l’instant, il reste porteur des pires désillusions pour la suite.
Il faut vous soutenir lorsque vous cherchez des modes de supervision bancaires, transnationaux, européens, et lorsque vous mettez les paradis fiscaux au ban de l’économie.
Il faut vous soutenir lorsque vous confirmez que les mesures retenues au titre du plan de relance ne doivent pas creuser nos déficits et ainsi alourdir encore une dette déjà insupportable ; Hubert Haenel ayant largement développé ce point, je n’y reviens pas, sinon pour vous demander de continuer à veiller, d’une part, à n’inclure dans les projets de loi de finances rectificatives nourrissant notre plan de relance par étapes successives que des mesures temporaires, et jamais des mesures consolidables en loi de finances, d’autre part, à poursuivre la préparation de réformes qui nous permettront de reprendre l’assainissement définitif de nos finances publiques une fois que nous serons sortis du temporaire.
Que faire encore ?
Peut-être faut-il vous demander, monsieur le secrétaire d'État, d’écouter ceux qui disent que l’Union européenne pourrait recourir à un grand emprunt pour relancer l’économie. Ma religion n’est pas complètement faite à cet égard, mais il s’agit d’une question importante, que nous ne pouvons pas repousser d’un revers de main. Avez-vous eu un commencement de débat sur ce point avec nos partenaires de l’Union européenne ? Quelle réponse apportez-vous à ceux qui posent cette question ? En tant que rapporteur spécial de la commission des finances sur le budget des Affaires européennes, j’y vois une occasion de reprendre ce sujet.
Le budget européen ne ressemble à rien : les recettes sont votées par les Parlements nationaux et les dépenses font l’objet d’une codécision du Parlement européen et du Conseil européen. Il n’est pas raisonnable que deux autorités différentes votent les recettes et les dépenses. Cette procédure n’est pas démocratique et elle n’a pas d’avenir.
Il va de soi que le budget européen pourrait difficilement avoir recours à l’emprunt. Poser la question, c’est rouvrir le débat sur ce que doit être un véritable budget européen.
Nous sommes à un instant décisif, je le disais tout à l’heure. Le temps n’est-il pas venu, enfin, de cesser d’éluder cette question ? Ce serait opportun pour l’avenir de l’Europe.
Par ailleurs, il est des domaines dans lesquels nous serons amenés à évoluer assez naturellement. Le mouvement est amorcé ; il est irréversible, même si la progression ne sera peut-être pas rapide ; je pense à la remise en cause du secret bancaire ou des paradis fiscaux. Ce sera long, difficile, mais nul ne pourra plus désormais se dérober complètement à de nouvelles exigences en la matière.
Je pense surtout, au-delà de ces points particuliers sur lesquels Hubert Haenel a insisté, à la nécessité de mettre en place une véritable politique commune industrielle. Cela ne se fera pas spontanément : il faudra de la volonté politique, mais elle est attendue et nécessaire.
Créer une politique de la concurrence, un marché unique, une monnaie unique fut également difficile. Certes, ce fut réalisé en un temps où l’Union européenne comptait moins de membres. Raison de plus pour nous doter aujourd'hui des capacités à décider à Vingt-Sept ! C’est plus que jamais essentiel, car instaurer une politique commune industrielle ne sera pas plus facile.
Il est indispensable que le traité de Lisbonne soit ratifié rapidement. Je crains que les Irlandais, qui subissent lourdement la crise, n’imputent de nouveau leurs difficultés à l’Europe. Ce serait une catastrophe ! Monsieur le secrétaire d'État, il faut tout faire pour que les Irlandais comprennent qu’il y va de leur intérêt, surtout dans cette période de crise, comme de celui des 500 millions d'Européens qu’ils retiennent actuellement en otage. Il faut mettre les gouvernants irlandais en situation de se battre pour que leur peuple ratifie un texte qu’ils ont signé : ils ne doivent pas considérer que ce n’est pas leur affaire et que le peuple irlandais se déterminera tout seul ! Les gouvernants doivent « se mouiller », tout comme le commissaire irlandais – les Irlandais ont voulu un commissaire, ils en ont un ! –, qui ne peut prétendre que ce n’est pas son problème. Lui aussi doit expliquer aux Irlandais ce que deviendra leur pays sans l’Europe. Ce choix est important !
S’il faut très vite retrouver une capacité à décider, il faut aussi, sur un certain nombre de points clés pour l’avenir, avoir la volonté de décider.
Sur la stratégie de Lisbonne, le moment me semble venu de passer du discours aux actes. Certes, la méthode de coordination retenue est sympathique – elle permet de faire des bilans annuels tout à fait flous –, mais elle est inopérante.
En effet, outre une politique commune industrielle, il faut une politique commune de l’économie, de la connaissance, de la recherche et de l’innovation. Hors ce choix définitif, décisif, fort, nous ne progresserons pas et nous ne serons pas à la hauteur des défis du monde.
C’est ainsi que pourra émerger le nouvel élan indispensable pour que l’Union européenne sorte de la crise rapidement, par le haut, et qu’elle joue son rôle dans un monde tourmenté et déstabilisé.
J’y reviens, nous sommes à un instant décisif ! Il faut que nous sachions être à la hauteur des exigences du monde moderne. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que le taux de chômage dans la zone euro a augmenté en janvier pour atteindre 8,2 % et qu’il y aurait plus de 13 millions de chômeurs en Europe, la question de l’emploi n’a pas trouvé sa place au sein de l’ordre du jour du prochain Conseil européen, les Vingt-Sept reportant ce point spécifique à la tenue d’un sommet informel sur l’emploi, qui se tiendra le 7 mai à Prague, comme s’il s’agissait d’une question secondaire. Nous le déplorons amèrement.
L’ordre du jour du Conseil européen est donc une nouvelle fois dominé par des questions techniques relatives à la crise dans sa seule dimension financière et par la préparation du G20 d’avril, qui prétend révolutionner le capitalisme, projet fort intéressant !
Mais, contre toute attente, la crise constitue aujourd’hui un alibi de premier choix pour demander une nouvelle fois des sacrifices aux seuls salariés.
Ainsi, lors du conseil Emploi du 9 mars, les États membres ont adopté le rapport conjoint sur l’emploi 2008-2009 de l’Union européenne, qui les engage à accroître la flexibilité sur le marché du travail.
Quant au président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, il appelle de ses vœux des baisses de salaires pour relancer l’économie.
Mme Annie David. Bien sûr !
M. Michel Billout. De plus, sur le fondement des conclusions du Conseil européen du 1er mars, les Vingt-Sept excluent toute possibilité de définir une politique industrielle, laquelle est assimilée à du protectionnisme. En effet, si le plan automobile français a finalement été validé par la Commission, la volonté de donner une dimension européenne a été écartée et les possibilités de recours à de tels plans largement encadrées.
Nous sommes donc manifestement dans un modèle où la politique économique de l’Union européenne se résume à une politique concurrentielle particulièrement intégriste. L’actualité nous en offre un triste exemple avec la suppression de 1 200 emplois directs dans l’Oise par le groupe allemand Continental, ce que nous condamnons avec force.
Cette absence de volonté de s’investir dans le champ industriel et social s’explique non seulement par la nature même de la construction européenne, dont la seule compétence reste la concurrence libre et dévastatrice, mais également par la faiblesse de son budget, qui ne lui permet pas de lancer de véritables politiques.
La crise en est une bonne illustration. En effet, le plan de relance européen s’apparente à une simple compilation de plans nationaux, peu cohérents. Ainsi, l’essentiel de l’effort sera porté par l’action en désordre des États membres : au total, 1 800 milliards d’euros au travers de garanties publiques et 280 milliards d’euros sous la forme de plans de recapitalisation des banques, sans qu’aucune garantie soit exigée sur le contrôle de ces fonds !
Comment penser l’Europe comme une force économique et politique de premier ordre si elle est privée de ressources financières ? À ce titre, je rappelle la proposition du gouvernement autrichien de créer une taxe sur la circulation des actifs financiers pour financer le budget européen. Il serait peut-être temps d’examiner cette piste de réflexion.
Sur le fond, l’Europe a été construite sur les bases de la libre concurrence, ce qui exclut toute intervention publique et, par conséquent, toute politique de développement de l’industrie ou des services publics. La Cour de justice des Communautés européennes reconnaît d’ailleurs, par ses arrêts, la primauté du droit de la concurrence sur les droits fondamentaux.
Nous voyons bien aujourd’hui la difficulté d’obtenir un consensus sur la nécessité d’élaborer une directive-cadre sur les services d’intérêt général, notamment les services sociaux. Si le conseil Compétitivité du 5 mars a reconnu qu’il était nécessaire d’accorder toute l’attention qu’elle mérite à la dimension sociale du marché intérieur et aux services d’intérêt général, les Vingt-Sept se sont bien gardés d’en proposer une traduction législative.
Cette logique a également conduit à une financiarisation accrue de l’économie, ainsi qu’à la généralisation des pratiques de dumping social, écologique et environnemental.
La crise que nous traversons aujourd’hui a donc été nourrie par ce modèle libéral. Mais alors que la situation actuelle devrait conduire à une remise en cause de ces principes, les dirigeants européens font preuve d’un autisme déroutant.
Ainsi, lors de la réunion du conseil Emploi, le vice-premier ministre tchèque, Petr Nečas, a affirmé que les mesures prises « ne devraient pas mettre en danger la viabilité à long terme des finances publiques ni perturber les règles du marché intérieur ».
Lors du Conseil extraordinaire du 1er mars, le président du Conseil déclarait, pour sa part : « Nous devons souligner le rôle vital joué par le marché unique pour la vitalité de l’économie européenne. »
Neelie Kroes, quant à elle, affirmait, dans le même temps, que le marché unique était notre bien le plus précieux et que nous devions le protéger.
Vous l’aurez bien compris, il n’y a donc aucune inflexion des fondements de l’Union européenne ultralibérale. Bien au contraire, la Commission propose d’aller toujours plus loin dans le démantèlement des services publics, dans la financiarisation de l’économie. Cette démarche s’incarne dans la célèbre directive « services », avatar européen de l’Accord général sur le commerce des services, que nous devons transposer en droit interne cette année et dont le conseil Compétitivité a rappelé l’importance le 5 mars dernier.
En parlant de cette directive, je ne peux passer sous silence la volonté de la Commission, par un récent projet de règlement sur la société privée européenne, de réintégrer le principe du pays d’origine. Nous trouvons ce procédé honteux.
Les principes de libéralisation sont également à la base de toute nouvelle adhésion au sein de l’Union européenne. En effet, les critères d’intégration dans l’Union européenne résident principalement dans l’élargissement du marché commun et concurrentiel, ce qui serait l’intérêt des nouveaux entrants comme des anciens. Nous observons, bien au contraire, que ces conditions ont rendu plus vulnérables à la crise les nouveaux entrants.
Pourtant, alors que, par une démarche unique, les neuf pays issus des adhésions de 2004 et de 2007 se sont réunis avant le sommet pour demander à l’Europe de prendre des mesures exceptionnelles au regard de leurs difficultés, ils se sont vus opposer un refus.
L’ordre du jour du Conseil européen de printemps appelle à faire le point sur les progrès réalisés pour renforcer la stabilité, la supervision et la transparence des marchés financiers, notamment au regard des propositions formulées dans le rapport Larosière.
Franchement, ce n’est pas très enthousiasmant ! En effet, le cadre de la discussion est très limité puisqu’il s’agit d’évaluer des décisions déjà prises. Ensuite, toute marge de manœuvre est a priori exclue puisqu’il est rappelé spécifiquement que les réponses doivent intégrer les impératifs liés au pacte de stabilité. Enfin, il est également proposé que le Conseil souligne « la détermination des États membres à respecter les principes fondamentaux du marché intérieur et la nécessité d’en approfondir encore le fonctionnement ».
Autant dire que la solution proposée par la présidence du Conseil pour répondre à la crise consiste à accélérer encore le rythme et l’ampleur des réformes pour tenter de maintenir un système économique défaillant. C’est ce que démontre, notamment, la présentation dans l’ordre du jour du point relatif à l’énergie. En effet, il est indiqué que « le Conseil européen rappellera l’importance d’un marché intérieur de l’énergie opérationnel et efficace. ». Pourtant, nous savons aujourd’hui que l’unique application des règles de marché ne permet pas la préservation des ressources naturelles.
À ce titre, le rapport du Sénat de juin 2007, intitulé Approvisionnement électrique : l’Europe sous tension, adopté à la quasi-unanimité de notre assemblée, concluait à l’indispensable maîtrise publique du secteur énergétique. Il faut maintenant que le Gouvernement porte ce message auprès des institutions européennes, en particulier au sein du Conseil européen.
Quant à l’unité de façade sur le plan « énergie-climat », elle se traduit en réalité par des différences d’approche fondamentales, comme en témoigne le refus du plan de la Commission en faveur des projets d’infrastructures européens, notamment énergétiques, par les États les plus contributeurs.
Nous sommes donc, particulièrement dans le secteur de l’énergie, face à l’éternel principe du laissez-faire, qui permet de confier la définition des règles de vie commune aux intérêts privés des grands financiers. Cela aboutit, au final, à la réalisation de confortables dividendes pour les actionnaires des firmes énergétiques, alors même que le service rendu aux usagers est dégradé et que les tarifs se sont envolés ; le groupe Total en est un bel exemple.
Les sénateurs du groupe CRC-SPG considèrent donc qu’un bilan doit être dressé de l’ensemble des politiques de libéralisation des services, que la construction européenne doit être entièrement réorientée, et qu’il nous faut enfin réfléchir aux bases d’une Europe sociale permettant le progrès partagé par le fruit de coopérations efficaces.
Si la crise financière secoue aujourd’hui l’Europe, il ne faut pas négliger la crise profonde de légitimité démocratique que connaît l’Union. Là encore, rien n’est remis en question puisque l’adoption du traité de Lisbonne reste jugée comme un fait acquis.
Je ne suis pas certain que les Irlandais aient pris en otage les citoyens européens ; j’ai plutôt le sentiment que, dans cette affaire, ce sont les citoyens européens qui ont été bâillonnés.