Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, Bernard Saugey.
2. Report de la conférence des présidents
3. Fin de mission d'un sénateur
4. Débat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales
M. le président.
MM. Claude Belot, président de la mission temporaire ; Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire ; Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire ; Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire ; Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire.
MM. Michel Mercier, Jean-François Voguet, Jean-Patrick Courtois, Jean-Pierre Chevènement, Jean Boyer, Jean-Claude Peyronnet, Philippe Adnot.
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
Mme Marie-France Beaufils.
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
MM. Gérard Longuet, Bruno Retailleau, Pierre Mauroy, Hervé Maurey, Bruno Sido, Jean-Pierre Caffet, Philippe Dallier, Claude Bérit-Débat, Mmes Lucette Michaux-Chevry, Josette Durrieu, MM. Jacques Blanc, François Patriat, Dominique Braye, Alain Vasselle.
Mmes Catherine Troendle, Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ; Jacqueline Gourault, rapporteur.
M. Gérard Collomb, Mme la ministre.
MM. Yves Pozzo di Borgo, le président de la mission temporaire, Mme la ministre.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Yves Krattinger, rapporteur ; Mme la ministre.
M. François Fortassin, Mme la ministre, M. le président de la mission temporaire.
M. Bruno Retailleau, Mme la ministre.
MM. Jacques Gautier, Yves Krattinger, rapporteur.
M. Jean-Pierre Fourcade, Mme la ministre.
MM. François Marc, Yves Krattinger, rapporteur.
Mmes Dominique Voynet, la ministre.
Mme Nathalie Goulet, M. le président de la mission temporaire.
M. Philippe Richert, Mmes Jacqueline Gourault, rapporteur ; la ministre.
Mme Anne-Marie Escoffier, M. Yves Krattinger, rapporteur ; Mme la ministre.
MM. Yves Daudigny, Yves Krattinger, rapporteur.
M. Daniel Dubois, Mmes Jacqueline Gourault, rapporteur ; la ministre.
MM. Adrien Gouteyron, Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire ; Mme la ministre.
MM. Claude Jeannerot, le président.
M. Jean-François Voguet, Mme la ministre.
M. Dominique Braye, Mme la ministre, M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Jean-Pierre Chevènement, Mme la ministre.
MM. le président, le président de la mission temporaire.
Clôture du débat.
6. Transmission d'un projet de loi
7. Dépôt de propositions de loi
8. Transmission d'une proposition de loi
9. Dépôt d'un texte d'une commission
11. Dépôt d'un rapport supplémentaire
12. Dépôt d'un rapport d'information
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Bernard Saugey.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Report de la conférence des présidents
M. le président. Mes chers collègues, après consultation des groupes politiques, je vous informe que, compte tenu de l’importance du débat d’aujourd'hui, qui pourrait se prolonger jusqu’en fin d’après-midi, la réunion de la conférence des présidents, initialement prévue à dix-neuf heures, est reportée au mardi 24 mars 2009, à dix-neuf heures trente.
Un courrier en ce sens est envoyé dès à présent aux présidents de groupe, aux vice-présidents, aux présidents de commission ainsi qu’à l’ensemble des membres de la conférence des présidents.
3
Fin de mission d'un sénateur
M. le président. Par lettre en date du 17 mars 2009, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter du 25 mars 2009, de la mission temporaire sur le développement des parcs de loisirs, confiée à M. Alain Fouché, sénateur de la Vienne, auprès de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, dans le cadre des dispositions de l’article L.O. 297 du code électoral.
Acte est donné de cette communication.
4
Débat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.
Mes chers collègues, sur la proposition de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, nous avons pris l’initiative de proposer à la conférence des présidents de prévoir, dans le cadre de notre première semaine de contrôle, un débat sur l’avenir des structures et des compétences de nos collectivités locales.
En effet, nous avons estimé que le Sénat, représentant constitutionnel et institutionnel des collectivités territoriales, se devait de tenir toute sa place dans les débats sur le devenir de la décentralisation ; je crois que, aujourd’hui, nous répondons à cette mission et à l’attente des élus locaux, comme à celle de nos concitoyens, qui sont très attachés à la démocratie locale.
Depuis un certain temps, nous essayons de prouver le mouvement en marchant et d’innover pour trouver des formes de débat qui rendent nos interventions plus lisibles, plus audibles, plus vivantes.
Dans cet esprit, nous avons partagé notre discussion en trois séquences.
La première est destinée à permettre à la mission d’exprimer, après son président, et dans le respect du pluralisme de son bureau, les orientations de son rapport d’étape publié la semaine dernière.
La deuxième séquence est dédiée aux groupes, qui pourront ainsi réagir aux propositions de la mission temporaire et - pourquoi pas ? - à celles du rapport d’un certain comité.
La troisième séquence, totalement nouvelle pour nous, d’une durée d’environ une heure trente, sera plus spontanée, s’apparentant à des questions cribles. Dans le respect de l’équilibre des groupes, chaque sénateur pourra intervenir dans la limite de deux minutes trente et, s’ils sont interpellés, la mission ou le Gouvernement pourront répondre.
C’est une démarche expérimentale, à laquelle je souhaite que chacun d’entre vous participe en faisant preuve de souplesse. Nous y gagnerons. Sans doute nous retrouverons-nous pour un exercice comparable à l’occasion de la présentation du rapport marquant la fin des travaux de la mission temporaire au mois de mai.
Nous aurons ainsi contribué à la réflexion lancée par le Président de la République sur la réforme de la gouvernance de nos collectivités territoriales.
Mme Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, retenue auprès du Président de la République, nous rejoindra dans l’après-midi, mais je salue la présence dans notre hémicycle de M. Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.
Représentants de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. le président de la mission temporaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Claude Belot, président de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le moment que nous vivons est important, en particulier pour notre maison. Je tiens à remercier le président Gérard Larcher d’avoir immédiatement réagi, dès l’annonce par le Président de la République de sa volonté de lancer au plus tôt un débat dans la perspective d’une réforme des collectivités territoriales, en soulignant la nécessité pour le Sénat de se saisir pleinement de ce sujet, qui lui revient de droit en vertu de son rôle constitutionnel, mais aussi, purement et simplement, parce que telle est sa fonction première.
J’ai été désigné pour assurer le pilotage de cette mission temporaire : j’ai vécu ma désignation comme un honneur, et je peux vous dire aujourd’hui que je la vis aussi comme un bonheur, depuis près de cinq mois. En effet, je me suis rendu compte que notre assemblée était capable, au-delà de ses divisions, d’effectuer un travail d’intelligence, d’approfondissement, dans un climat de respect mutuel.
Nous sommes divers par nos histoires et par nos origines, nous représentons la France dans toutes ses nuances et ses différences, mais nous sommes tous – sinon, pour la plupart d’entre nous, nous ne siégerions pas dans cet hémicycle – animateurs et acteurs de la vie locale : nous connaissons donc le sujet !
Quelle que soit l’origine géographique ou politique de ceux d’entre nous qui essayaient de faire progresser notre réflexion, je me suis rendu compte que nous partagions tous la même volonté. Nos analyses étaient le plus souvent convergentes et nous sommes en mesure de vous présenter aujourd’hui – j’en remercie tous les membres de la mission et, plus particulièrement, ses vice-présidents, Pierre-Yves Collombat et Rémy Pointereau, ainsi que ses rapporteurs, Yves Krattinger et Jacqueline Gourault – non seulement un document d’analyse, mais encore des propositions qui engagent la mission et qu’elle a adoptées à l’unanimité. Je tiens à souligner aujourd’hui que cette unanimité reflète l’esprit qui nous a animés.
Notre travail n’est pas achevé : il n’a commencé que depuis cinq mois ! Nous devrons cependant respecter l’échéance du mois de mai, évoquée par Gérard Larcher, et nous discuterons du projet de loi sur la réforme des collectivités territoriales à l’automne.
Je crois profondément à la raison d’être de notre assemblée, où je siège depuis bientôt vingt ans : j’ai vu le Sénat capable de se rassembler, dans sa globalité, sur des textes fondateurs et à des moments où cela n’était pas toujours évident, pour écrire l’histoire. Si nous y parvenons encore une fois, dans une assemblée où personne n’a les moyens d’imposer sa volonté, même à une voix de majorité – c’est une faiblesse aux yeux de certains, mais c’est aussi une force ! –, où l’écoute est obligatoire et réciproque, nous aurons démontré que nous pouvons obtenir des résultats intéressants, conformes à la réalité de la France d’aujourd’hui.
Les paroisses, les provinces, hier ; les communes, les départements, aujourd’hui : tout cela se ressemble fort. L’histoire a fait son œuvre, la loi de décentralisation est arrivée et a libéré les forces créatrices de notre pays : à nous d’en tirer maintenant toutes les conséquences !
Nous ne devons jamais oublier que, si nos collectivités territoriales réalisent aujourd’hui 73 % de l’investissement public de notre pays,…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. … elles ne représentent que 10 % de l’endettement de la France !
M. Bernard Piras. Exact !
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Cela signifie qu’elles ont démontré leur savoir-faire, leur sérieux technique et financier, pour la réussite de notre pays. Elles sont aujourd’hui appelées à participer à l’effort de relance de l’économie et je suis sûr qu’elles répondront à cet appel.
Mais, après l’effort de lucidité auquel nous nous sommes livrés, il faudra également avoir le courage de mettre un terme à un certain nombre d’anachronismes, car le monde change. De même, certaines innovations n’ont pas été aussi heureuses qu’on l’espérait et, les hommes étant ce qu’ils sont, certaines réformes n’ont pas toujours été appliquées comme elles auraient dû l’être ; je pense, notamment, à la loi sur l’intercommunalité. Il faut y mettre bon ordre, c’est évident !
Il y a cinquante ans, après la parution du livre de Jean-François Gravier, le général de Gaulle avait demandé à Olivier Guichard de traiter le problème : on ne pouvait plus se contenter du constat de l’existence de Paris au milieu du « désert français ». Lyon, Marseille, Lille, il faut le rappeler, faisaient partie de ce désert ! Il fallait créer des métropoles d’équilibre : elles existent désormais, et ne peuvent donc plus être administrées comme autrefois.
En conclusion, je voudrais citer les propos que m’a tenus l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, dans la cour du Sénat, alors que je le reconduisais à sa voiture à l’issue de l’entretien passionnant que nous avions eu avec lui. Volontairement, pendant les travaux de la commission qu’il a lui-même présidée et avant leur publication, nous nous sommes abstenus de toute prise de position. « C’est vous – m’a-t-il dit - qui devrez assumer l’aboutissement de ces travaux. Ma tâche est terminée, vous en ferez ce que vous voudrez ou ce que vous pourrez, mais vous n’avez pas le droit de ne rien faire ! »
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Je partage tout à fait ce point de vue. Nous saurons, dans cette assemblée, entreprendre une réforme en profondeur pour définir le nouveau mécanisme d’horlogerie des collectivités territoriales françaises, accessible à nos concitoyens et facteur d’une plus grande efficacité. Pour y parvenir, nous devons absolument agir dans la clarté et dans un esprit de rassemblement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire.
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pourquoi un rapport de plus sur les collectivités locales, est-on tenté de dire ?
On compte tant de ces rapports que l’exercice est devenu un genre littéraire, qui peine d’ailleurs à trouver sa place entre le roman d’anticipation, l’essai de stratégie électorale et une nouvelle version du Dictionnaire des idées reçues.
Dans ce dictionnaire, à la lettre C, on trouve bien sûr la définition des collectivités locales.
Collectivités locales : augmentent la dépense publique. Voir : mille-feuille.
Mille-feuille : spécialité du restaurant du Sénat. (Sourires.) Mille-feuille territorial : coûte cher à la France. Déplorer que l’on ignore combien, mais tonner contre.
Communes : produit de la Révolution – suspect. « Il y trop de communes en France ». Voir : suppression.
Suppression : la suppression des communes est impossible en France. Évoquer le programme d’Odilon Barrot, ministre de Louis-Napoléon Bonaparte : « remédier au morcellement des communes rurales ». Déplorer que l’on n’y soit toujours pas parvenu.
Compétence générale : commencer par rappeler qu’on lui doit l’essentiel des innovations des collectivités locales, mais conclure en demandant sa suppression.
Conseiller général : notable conservateur repérable à la campagne, invisible à la ville. (Rires.)
Conseiller régional : recalé du scrutin majoritaire, invisible à la ville comme à la campagne. (Nouveaux rires et applaudissements.)
M. Dominique Braye. Il dit des vérités !
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Départements : trop nombreux, mais proches des administrés.
Régions : trop petites, mais éloignées des Français.
Intercommunalité : permet des « économies d’échelle ». Rester intraitable : que l’observation ne le montre pas n’infirme pas le principe, au contraire.
Financements : toujours croisés. Perversion dont le résultat est d’allonger inutilement les inaugurations en multipliant les discours. (Rires.)
Réforme : doit être audacieuse. Marque de caractère chez un homme politique. Dire d’une réforme dont l’utilité n’est pas établie : « Certes, mais elle est audacieuse ! »
Précisément, la mission sénatoriale qui vous rend compte aujourd’hui de ses premières conclusions s’est bien moquée d’être « audacieuse » ; telle est, en tout cas, ma perception. Elle s’est contentée d’être utile ou, du moins, elle a essayé de l’être afin que nos collectivités locales soient encore plus efficaces et démocratiques à l’issue de la réforme.
D’où la méthode mise en œuvre, à partir non pas d’a priori, autant dire d’« idées reçues », mais de la réalité, de la pratique, de l’expérience si diverse des élus, afin d’améliorer réellement les pratiques, objectif partagé par tous ici, du moins, je le crois ; il s’agit non pas de proposer les solutions déjà en rayon, mais d’en élaborer de nouvelles par la confrontation des points de vue.
C’est un exercice sportif s’il en est, tant sont diverses les situations et contradictoires les intérêts !
C’est aussi un véritable exercice intellectuel mais, plus fondamentalement, un art politique qui, nous dit Platon, s’apparente à celui du tisserand, capable de composer avec des fils divers « un tissu égal et bien tramé ». Le tisserand et le politique, selon Platon, tissent « en une communauté qui repose sur la concorde et l’amitié » les tempéraments divers qui composent la cité.
À l’évidence, une réforme qui ne serait pas portée par un consensus suffisamment large serait vouée à l’échec : il convient donc de s’entendre sur la nature des maux auxquels on entend remédier.
Or l’affirmation lancinante selon laquelle les collectivités locales dépenseraient trop – sous-entendu : de manière inconsidérée – et la réduction drastique du nombre de communes et des échelons administratifs permettrait des économies de gestion considérables est une contre-vérité.
Quand les conseilleurs sont des payeurs avec l’argent des autres, comme le président de BNP Paribas, groupe bancaire dont la crise a révélé la qualité de l’expertise (Rires sur les travées du groupe socialiste.), comme l’ex-président de Dexia, sauvé de la faillite par les États belge et français, par ailleurs auteur d’un célèbre rapport sur Les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales, ou comme l’ex-président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la BERD, expert universel au carré, on se pince pour ne pas rire ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Les chiffres sont connus de tous : les collectivités locales réalisent les trois quarts des investissements publics et 10 % de l’investissement du pays. Elles les financent d’une manière particulièrement saine puisque, depuis 1982, leur endettement est demeuré quasi constant et inférieur à 10 % du PIB.
M. Jean-Pierre Caffet. Exact !
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Dans le même temps, la dette de l’État, qui représentait 18 % du PIB en 1982, avoisinait 70 % avant la crise. On peut imaginer ce qu’il en sera à la fin de 2009 !
Durant cette période de montée en puissance de la décentralisation, les dépenses des collectivités locales auraient progressé annuellement, à périmètre de compétences constant, 1,4 % plus vite que les dépenses de l’État. Là serait le scandale ! Mais où est le scandale, quand on met en regard les investissements considérables réalisés et le développement sans précédent des services collectifs durant cette période ?
Du début des années quatre-vingt-dix à l’avant-crise, la France a accusé un retard de croissance annuel moyen de 1,5 point de PIB par rapport aux États-Unis, avec les conséquences que l’on sait sur l’emploi.
Sortons un moment de l’épicerie « maastrichienne » et demandons-nous quel aurait été notre taux de croissance sans l’investissement régulier des collectivités locales !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Non, les petites collectivités, à commencer par les communes rurales, ne nous coûtent pas cher !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. En 2007, les dépenses réelles de fonctionnement par habitant des communes de plus de 100 000 habitants étaient supérieures de 78 % à celles des communes de 500 à 2 000 habitants et supérieures de 51 % à celles des communes de moins de 500 habitants, alors que ces grandes communes percevaient une dotation globale de fonctionnement par habitant supérieure de 46 % à celle des communes de 500 à 2 000 habitants et supérieure de 37 % à celle des communes de moins de 500 habitants.
À l’inverse, ce sont les petites communes qui investissent le plus. Celles de moins de 500 habitants investissent 2,5 fois plus, par habitant, que les communes de plus de 100 000 habitants et celle de 500 à 2 000 habitants 2,2 fois plus.
En rappelant ces chiffres, je n’entends nullement comparer ce qui n’est pas comparable. Je n’ignore ni que le niveau de services offerts par les grandes communes n’est pas celui des petites, ni que celles-ci ne pourraient pas investir autant sans aides extérieures, lesquelles proviennent généralement des départements et, parfois, des régions. Cela prouve au moins que, financements croisés ou pas, départements et régions ne font pas leur travail aussi mal qu’on le dit !
Non, rien ne prouve que plus on est gros plus on est beau ! L’intercommunalité est nécessaire non parce qu’elle réduirait la dépense publique mais parce qu’elle permet de faire à plusieurs ce qu’on ne peut faire seul, et de répondre ainsi aux légitimes attentes de nos concitoyens.
Supprimer les petites communes ne supprimera pas les problèmes qu’elles gèrent au quotidien, à un coût minimum.
Aucun des multiples rapports que j’ai évoqués ne se risque d’ailleurs à chiffrer les économies à attendre d’une réduction du nombre de communes ou de l’aplatissement du mille-feuille, ce qui, d’ailleurs, n’empêche pas de causer !
La seule étude que je connaisse qui ait tenté d’évaluer l’effet des politiques de réduction du nombre des collectivités locales menées en Europe est ancienne : c’est celle, que vous connaissez peut-être, d’Yves Mény.
Il précisait ainsi : « L’expérience pour le moins mitigée des pays qui avaient entrepris des restructurations radicales, les désillusions du fameux optimum dimensionnel ont permis de relativiser l’absence d’évolution en France. Les vicissitudes des réformes à l’étranger ont montré qu’un concept rationnel s’avérait parfois peu fonctionnel, centralisateur et le plus souvent coûteux, qu’il n’existait pas de cadre idéal pour la mise en œuvre de toutes les politiques locales, que les gains potentiels en efficacité étaient parfois mis en échec par l’éloignement géographique et démocratique des centres de décision, que la diversité locale était un instrument important du pluralisme cher aux démocraties occidentales. À la réflexion, il apparut que l’élection de milliers de conseillers dans des milliers de communes était encore le moyen le plus démocratique et le moins coûteux de faire fonctionner les communautés politiques et sociales locales. »
En effet, démocratie et efficacité gestionnaire ne s’opposent pas, mais se confortent, d’où la nécessité absolue de ne pas séparer la réforme de l’organisation territoriale de celle des modes de scrutin.
S’agissant des intercommunalités, il existe déjà un quasi-consensus, dont il sera probablement question tout à l’heure. Nous en sommes loin pour ce qui concerne le département et la région, mais, à mes yeux, il est possible d’y parvenir.
En tout cas, c’est sur cette note d’espoir que je conclurai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en septembre dernier, le Président de la République annonçait l’ouverture d’une grande réflexion pour une nouvelle organisation territoriale, partant du constat clair et partagé que l’enchevêtrement des collectivités et des compétences dans notre pays est source de difficultés et de complexité.
Depuis, une commission présidée par Édouard Balladur a rendu son rapport. L’ensemble des associations d’élus locaux ont également apporté leur contribution.
Compte tenu de la responsabilité particulière que la Constitution lui confère dans l’organisation des collectivités territoriales, le Sénat a un rôle majeur à jouer dans cette réforme. À cet égard, je félicite le président Gérard Larcher d’avoir pris l’initiative de créer, au sein de notre assemblée, la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, présidée par notre collègue Claude Belot - que je félicite également - et à laquelle je participe.
La première remarque que je ferai a trait à la difficulté de la tâche, par le nombre et la puissance des intérêts – souvent contradictoires – en cause, par l’effet des conservatismes et des réflexes que ces intérêts engendrent.
Chaque élu est naturellement attaché, et toujours pour de bonnes raisons, à l’échelon de représentation qui est le sien.
Il est temps toutefois de prendre la hauteur nécessaire pour évaluer l’efficacité globale du dispositif afin de l’améliorer. Les Français attendent plus de clarté, plus de simplification, moins de gaspillage, tout en voulant conserver une gestion de proximité.
Les élus locaux eux-mêmes attendent plus de simplification, plus de réactivité. Même quand toutes les strates se mettent d’accord sur un projet, il faut compter deux fois plus de temps que chez nos voisins pour le voir aboutir !
Certains pensent qu’il ne faut rien faire tant que la crise économique et sociale est là. Je pense bien au contraire que l’ampleur de cette dernière nous impose de réformer un système arrivé à bout de souffle.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. La superposition de multiples strates de collectivités, sans souci de cohérence et de rationalité, avec des périmètres qui se chevauchent et des procédures qui s’entrelacent, voire se contredisent, est un frein énorme dans une période économique difficile qui nécessite, justement, de la réactivité.
Pour autant, nous devons aborder cette réforme avec pragmatisme, transparence, esprit d’ouverture et volontarisme.
Prétendre qu’il y aurait des arrière-pensées électorales dans cette réforme, …
M. Roland Courteau. C’est une bonne question !
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. … c’est intenter un faux procès (Exclamations sur les travées du groupe socialiste), car chacun sait qu’elles n’ont jamais réussi à ceux qui ont voulu réformer dans cet état d’esprit.
M. Dominique Braye. Très juste !
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. Deux impératifs doivent, à mon sens, être pris en compte dans cette réforme.
Il s’agit, tout d’abord, de l’impératif de lisibilité et d’efficacité : nous devons déterminer qui fait quoi.
Il s’agit, ensuite, de l’impératif de proximité par rapport aux citoyens. Chacun admet que nos collectivités locales et leurs 500 000 bénévoles sont une richesse inestimable pour la France. De ce point de vue, la suppression d’un échelon de collectivités n’est pas forcément la meilleure réponse à l’attente de nos concitoyens.
La commune est l’échelon de base de notre organisation et de notre démocratie locales. Elle représente la collectivité la plus pertinente et la plus concrète pour nos concitoyens. D’ailleurs, un récent sondage a montré que le maire est l’élu le plus apprécié des Français, celui qui réussit le mieux à répondre à leurs préoccupations. (M. Roland Povinelli applaudit.)
Cependant, les communes rurales ont aujourd’hui de plus en plus de difficultés à assumer les charges qui leur incombent.
M. Roland Courteau. C’est exact !
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. Les communautés de communes qui se sont développées sur le terrain ont favorisé l’instauration d’une plus grande solidarité entre les communes, ce qui leur a permis, en mutualisant leurs moyens, de porter des projets structurants pour le territoire, qu’une commune seule ne pouvait réaliser. Il faut le dire, le couple formé par la commune et la communauté de communes fonctionne très bien aujourd’hui.
La réflexion doit donc porter sur le partage des compétences et des responsabilités. La clause de compétence générale doit, à mon sens, être conservée pour les communes, avec possibilité de délégation aux communautés de communes.
Toutefois, sur le mode de gouvernance, je suis opposé à l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires et des présidents de communautés de communes de moins de 50 000 habitants. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.) Malgré tout, le fléchage des délégués communautaires sur les listes municipales permettrait de répondre à certaines propositions.
En effet, au vu de l’attachement des Français aux communes, l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires risquerait de provoquer un conflit de légitimité entre élus communaux et intercommunaux, entre maires et présidents. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Par ailleurs, il faut achever la carte de l’intercommunalité avant 2014.
Le département et la région répondent chacun à des logiques de territoire distinctes, dont il découle des missions différentes. De ce fait, la suppression de l’un ou de l’autre ou la fusion des deux ne me semble pas souhaitable.
Pour autant, nous devons mieux coordonner leurs politiques, parfois devenues concurrentes, avec des champs de compétence qui se sont élargis et qui font parfois doublon.
Une meilleure intégration des assemblées départementales et régionales favoriserait l’harmonisation des politiques mises en œuvre et permettrait non seulement de développer une solidarité territoriale plus forte entre départements et régions, mais également de rationaliser les compétences. Ainsi, l’avantage serait double : éviter que l’ensemble des collectivités ne s’occupe de tout et réaliser des économies, notamment sur les dépenses de fonctionnement.
À cette fin, il doit être possible de faire exercer aux mêmes élus des responsabilités départementales et régionales. Ces élus deviendraient des conseillers territoriaux, avec le même principe de fléchage que celui qui est prévu pour les communes et communautés de communes, certains siégeant au conseil général et au conseil régional, d’autres uniquement au conseil général.
Concernant les modalités d’élection, je reste personnellement très attaché au scrutin uninominal : un élu égale un territoire. On voit bien d’ailleurs que c'est la raison pour laquelle la région souffre d’un manque de reconnaissance, car le scrutin de liste à la proportionnelle ne permet pas d’identifier les élus.
Ce mode de scrutin politise beaucoup trop les élections régionales et ne permet pas à des élus de grande valeur parfois non inscrits à un parti politique, comme c’est souvent le cas dans les conseils généraux, de pouvoir être retenus sur une liste forcément pilotée par les partis politiques.
Pour ces raisons, un scrutin mixte a ma préférence.
En zone urbaine, on pourrait mettre en place un scrutin à la proportionnelle, car la notion de canton n’a pas grand sens.
Mme Nathalie Goulet. Elle n’en a pas non plus ailleurs !
M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. Le véritable interlocuteur du président du conseil général est plus le maire de la ville ou le président de l’agglomération que les conseillers généraux.
En zone rurale, on pourrait conserver le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, dans des cantons parfois élargis en fonction de la population. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
La spécialisation des compétences est indispensable : il faut prévoir des compétences exclusives pour le département et la région, tout en ouvrant la possibilité de déléguer une compétence d’un niveau vers l’autre sur la base d’un « constat de carence ».
Nous devons ainsi confirmer le département dans son rôle de garant des solidarités sociales et territoriales et la région dans sa mission de stratégie globale et de réalisation des grandes infrastructures.
Il conviendrait, par ailleurs, d’aller au bout de la logique des compétences réunies par ces deux collectivités de manière que l’État en tire les conséquences en supprimant ses services déconcentrés, qui doublonnent avec ceux des collectivités, et en transférant bien entendu les moyens financiers affectés à ces services.
Je voudrais maintenant évoquer les financements croisés : certains veulent les supprimer purement et simplement, tandis que d’autres souhaitent limiter le nombre de financeurs à deux par projet.
Certes, cela aboutirait à une meilleure lisibilité et à une diminution des délais d’exécution des projets. Mais il faut se garder de trop de restrictions, notamment pour les communes rurales ou leurs regroupements, dont les ressources sont faibles. Ces collectivités arrivent à mettre en place des projets importants grâce aux financements croisés, ce qui participe au développement local et permet finalement une péréquation financière au bénéfice des communes les plus défavorisées.
Compte tenu du temps imparti, je laisserai le soin à Jean-Patrick Courtois et Philippe Dallier d’évoquer le cas des métropoles et du Grand Paris.
Enfin, pour réussir cette réforme, nous devons impérativement repenser les finances locales, en un mot, simplifier le mille-feuille de la fiscalité locale.
Aujourd'hui, 39 000 organismes décident, à un niveau ou à un autre, d’un taux d’imposition sur au moins quatre types de ressources fiscales. À mes yeux, nous devrions nous limiter à deux types de ressources fiscales par niveau de collectivité territoriale et restreindre les cumuls d’impôts sur une même assiette. Nous devons aussi maintenir un lien fiscal entre les territoires et les entreprises.
D’une manière générale, l’autonomie financière des collectivités territoriales doit être renforcée.
Je le rappelle, l’État est devenu le premier contribuable local au travers des exonérations et dégrèvements adoptés au fil des années par le Parlement et les gouvernements successifs. C’est ainsi que le taux de prise en charge par l’État des taxes directes locales a progressé dans le temps pour atteindre globalement 26 % en 2008, ce qui représentera 20,5 milliards d’euros en 2009.
Cette situation est devenue intenable et incohérente. Avec de tels chiffres, on peut prévoir plus d’autonomie fiscale et une meilleure péréquation entre les collectivités territoriales.
L’objectif est bien d’offrir à tous nos territoires la meilleure organisation possible, pour une plus grande efficacité, sans remettre en cause l’action de l’une ou l’autre collectivité, mais en s’adaptant à un monde qui évolue de plus en plus vite.
L’amélioration qui est attendue ne doit pas être uniquement l’affaire d’experts et d’élus. Les solutions retenues et votées devront être à la hauteur de cette attente.
Nous devons refuser le statu quo, mais le pire serait d’aboutir à une demi-réforme sans ambition et sans effet sur les défauts les plus criants de notre système actuel.
Nous devons ainsi faire fi des intérêts particuliers et faire preuve de courage et d’audace, pour ne pas rester arc-boutés sur une attitude conservatrice. C’est ainsi que nous pourrons finalement être à la hauteur des enjeux auxquels nous devons collectivement répondre.
Je relève d’ailleurs que sur les vingt propositions du comité pluraliste présidé par M. Balladur, dix-sept ont fait l’unanimité parmi ses membres. Le travail mené dans le cadre de la mission pluraliste sénatoriale s’effectue également dans un bon état d’esprit : sur les vingt-sept propositions formulées, vingt-quatre font l’unanimité.
Il y a donc plus d’éléments qui nous rassemblent que d’éléments qui nous séparent. En cette période difficile, nous devons garder le cap des réformes structurelles qui permettront à nos collectivités d’être plus performantes, à moindre coût, au service des Français. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est difficile de rapporter dans un temps aussi court cinq mois d’auditions et de discussions animées au sein de la mission temporaire du Sénat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales. Je me bornerai donc à exposer le plus fidèlement possible les positions que nous avons adoptées. Cette première séance sera d’ailleurs suivie d’un autre débat, au mois de mai, et je suis convaincu que le Sénat jouera un rôle essentiel dans le processus engagé.
En préambule, je dois souligner que la mission, qui a entendu de nombreux acteurs, n’a pas instruit de réquisitoire contre les collectivités territoriales. Elle a précisé, au contraire, que celles-ci sont soumises à des règles comptables strictes, qu’elles financent 73 % de l’investissement public civil, qu’elles ne représentent environ que 10% de la dette publique, et que, à l’heure où le Gouvernement les appelle à soutenir l’économie, il faut veiller tous ensemble à ne pas les déstabiliser.
J’indique également que je ne parlerai ni des communes, ni de l’intercommunalité, ni des pays, car ces sujets seront abordés par Jacqueline Gourault, corapporteur.
Les membres de la mission se sont très majoritairement accordés sur un grand nombre de principes essentiels, au-delà peut-être de nos espérances initiales. Je vais essayer de les présenter.
La mission a noté l’attachement d’un très grand nombre d’élus à la clause générale de compétence. Pour le président de l’Assemblée des départements de France, Claudy Lebreton, présent aujourd’hui dans les tribunes, « elle a permis de répondre à l’hétérogénéité des territoires et de s’adapter, par des réponses appropriées, innovantes et réactives, à la diversité des problématiques locales ».
Pour tous ceux qui ont été auditionnés, la clause générale de compétence est une forme d’expression de la liberté des élus : elle leur permet de disposer d’une marge de « respiration » et d’« initiatives », voire d’un « filet de sécurité » pour répondre aux besoins nouveaux et spécifiques qui s’expriment. Des exemples récents, comme la téléphonie mobile, le haut débit ou les lignes à grande vitesse, qui font d’ailleurs le plus souvent suite à une demande très forte du Gouvernement, le montrent.
La mission a donc réaffirmé le principe de libre administration des collectivités territoriales ainsi que l’indispensable liberté de coopération entre elles et leurs établissements publics. Il apparaît clairement que cette « interterritorialité » doit être encouragée. Elle est facteur de progrès : les territoires comme les hommes ont besoin d’échanger et de coopérer entre eux pour produire plus de valeur.
La mission s’est évidemment positionnée sur les fusions de collectivités.
Cette question ne doit pas être un tabou. La mission a retenu qu’un projet de fusion doit correspondre à un « territoire vécu », être lié à des références historiques, sociales et économiques fortes.
Des espaces ont probablement vocation à construire ensemble un projet de territoire et, à terme, à fusionner. Ces fusions éventuelles doivent être facilitées et se réaliser selon un référentiel méthodologique unique connu de nos concitoyens. Qu’il s’agisse de fusions de communes, de départements ou de régions, la démarche pourrait être la même : délibérations concordantes de chacune des assemblées délibérantes des territoires concernés statuant à la majorité, puis ratification par référendum organisé par les pouvoirs publics à l’issue d’un large débat.
La mission préconise la même procédure concernant les modifications éventuelles à apporter aux limites territoriales des régions, des départements ou des communes. Elle propose aussi qu’une possibilité supplémentaire de regroupement volontaire soit ouverte entre une région et les départements qui la composent, selon la même procédure que précédemment.
Les auditions auxquelles nous avons procédé démontrent abondamment que toute voie autoritaire aurait peu de chances de prospérer et que toute procédure qui se rapprocherait de l’annexion d’une collectivité et de son territoire par une autre serait vouée à l’échec. Il pourrait donc être proposé aux collectivités volontaires de travailler à rapprocher progressivement leurs politiques et leurs méthodes de travail avant d’aller plus loin.
À propos des compétences exercées par chacune des collectivités territoriales, question qui fait l’objet de critiques souvent exagérées, sachez que la mission a travaillé à améliorer la lisibilité de l’action de chacun des niveaux. Le Sénat trouvera dans nos propositions des réponses qui font accord et qui seront déclinées de manière détaillée dans les prochains mois.
Ainsi, nous avons souhaité définir le rôle fondamental de chacun des trois niveaux reconnus par la Constitution : le lien social et les services de proximité pour la commune et son échelon coopératif, l’intercommunalité ; les solidarités sociales et territoriales pour le département ; le renforcement, pour les régions, des missions stratégiques …
M. François Patriat. Très bien !
M. Yves Krattinger, rapporteur. … liées à la préparation de l’avenir, à savoir la formation des hommes, la compétitivité des territoires, la recherche, l’innovation, les aides aux entreprises, les schémas prescriptifs.
Ces rôles étant clarifiés, il importe d’adapter les compétences attribuées à chacun. Ce travail est engagé et il progresse. Il trouvera son aboutissement dans le rapport définitif.
Pour nous donner des chances de réussir ce petit remembrement, nous avons retenu plusieurs principes généraux.
Il convient tout d’abord de renforcer les compétences pour chaque niveau de collectivités territoriales en vue d’améliorer l’efficacité et la lisibilité, avec l’idée complémentaire de faciliter la délégation de compétences, ce qui ne veut pas dire le transfert.
En cas de défaut d’intervention d’une collectivité dans l’un des domaines relevant de sa compétence, la mission a souhaité ouvrir la possibilité pour une autre d’intervenir dans le sens de l’intérêt général sur la base d’un « constat de carence ».
La mission a ensuite plaidé pour la reconnaissance effective d’un « chef de filat » pour les compétences partagées. Pour les financements croisés, elle a proposé l’instauration d’un dossier unique d’instruction déposé dans un guichet unique. Le service instructeur deviendrait alors garant de la conformité et de la qualité du projet finalement soutenu.
Le corollaire de la mise en œuvre de ces principes clarificateurs – conclusion tardive mais impérieuse des différentes lois de décentralisation et de transfert des compétences –, c’est bien sûr la suppression des interventions des services déconcentrés de l’État dans les domaines transférés. C’est aussi le transfert de leurs personnels aux collectivités territoriales et le transfert aux régions et aux départements, dans leurs domaines de compétence respectifs, des subventions attribuées localement par l’État aux communes, aux syndicats intercommunaux et aux intercommunalités. C’est enfin le transfert aux régions de la responsabilité de répartir les fonds européens. Il n’y aurait ainsi plus aucun doublon avec les services instructeurs, ni entre les collectivités, ni avec l’État.
La mission appelle aussi à l’amplification de l’expérimentation et à sa reconnaissance comme outil privilégié de préparation de l’avenir. Par exemple, la compétence « emploi » pourrait être expérimentée assez rapidement par quelques régions volontaires. Seraient ainsi réunies les conditions pour un transfert de parties du pouvoir réglementaire aux départements et aux régions et l’avènement de la « République dont l’organisation est décentralisée », chère à notre collègue Jean-Pierre Raffarin.
La révision générale des politiques publiques, qui n’a pas ou a très peu pris en compte le fait territorial, trouverait, si elle était adaptée à cette nouvelle donne des territoires, davantage de légitimité et de lisibilité.
La mission a entendu notre collègue Claude Lise sur le thème très spécifique des collectivités territoriales d’outre-mer.
Celui-ci a souligné combien « l’enchevêtrement des compétences et la multiplicité des centres de décision, sur des territoires somme toute restreints, étaient préjudiciables à la lisibilité de l’action publique et à la bonne gestion des finances locales ».
La mission a conclu comme lui qu’il y avait lieu de progresser rapidement vers l’installation, dans chaque département et région d’outre-mer, là où le périmètre de l’un se confond avec celui de l’autre, d’une collectivité territoriale unique.
Sur le Grand Paris, la mission affinera sa position dans les prochaines semaines. Elle considère qu’il s’agit d’un débat essentiel visant à trouver les bonnes réponses aux défis que doit relever la « ville monde ». Elle mesure aussi qu’il s’agit d’un problème très spécifique, auquel il faut trouver des réponses particulières.
La mission auditionnera donc, dans les prochaines semaines, les principaux acteurs de ce territoire afin d’élaborer une proposition consolidée. Elle tracera des pistes susceptibles d’être empruntées par le plus grand nombre pour sa mise en œuvre.
En ce qui concerne le financement des collectivités locales, la mission appelle à une refondation des relations financières entre l’État et les territoires.
L’État ne peut continuer à intervenir aussi brutalement et sans préavis dans les bases fiscales ou les ressources des collectivités. Il est en effet extrêmement important que toute décision soit subordonnée à une concertation préalable et fasse l’objet de véritables négociations entre l’État et les partenaires territoriaux.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Yves Krattinger, rapporteur. La mission s’est aussi accordée sur l’attribution de deux types de ressources fiscales par niveau de collectivités, sur la limitation des cumuls d’impôts sur une même assiette et sur le maintien impératif d’un impôt lié à l’activité économique pour préserver les relations entre les entreprises et les territoires dont les destins sont extrêmement liés. Elle précisera ces propositions dans le rapport final.
La mission a également noté que le rapport Valletoux avait fait l’unanimité parmi les associations de collectivité et que c’était une bonne base de dialogue avec l’État dans ce domaine. Nous aurons à le faire fructifier.
La mission s’est saisie du mode d’élection des conseillers généraux.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Yves Krattinger, rapporteur. Elle s’est rassemblée sur l’idée de leur élection la même année pour une durée de six ans, ce qui correspond à une demande unanime et très ancienne de l’Assemblée des départements de France. Cela donnerait plus de force aux assemblées départementales.
La mission ne s’est pas mise d’accord à ce jour sur le mode de scrutin relatif à l’élection des conseillers généraux.
Elle n’a donc pas arbitré entre plusieurs hypothèses : le scrutin uninominal actuel, garant d’une grande proximité entre les élus et les citoyens, dans des cantons bien sûr redécoupés ; …
M. René-Pierre Signé. Et les territoires !
M. Yves Krattinger, rapporteur. … un scrutin de liste départementale à la proportionnelle avec prime majoritaire, comme dans les régions (Vives exclamations sur les travées de l’UMP), …
M. François Patriat. Très bien !
M. Yves Krattinger, rapporteur. … garantissant une majorité de gestion et l’identification de la personne appelée à présider (Exclamations sur de nombreuses travées) ; ...
M. Alain Fouché. C’est grotesque !
M. Yves Krattinger, rapporteur. Ne vous énervez pas, mes chers collègues : je le répète, nous n’avons pas encore tranché.
… le scrutin mixte évoqué tout à l’heure par Rémy Pointereau : proportionnelle dans les agglomérations et uninominal dans le reste du territoire, dont la constitutionnalité n’est pas assurée ; ou encore, l’élection de conseillers territoriaux, qui, pour certains d’entre eux, siégeraient simultanément à la région et au département (Exclamations sur de nombreuses travées), …
M. Jacques Blanc. Pourquoi pas tous ?
M. Yves Krattinger, rapporteur. Attendez, je ne vous ai pas encore indiqué ma position !
… avec un fort risque de mise sous tutelle de la collectivité départementale par l’échelon régional (Exclamations sur les travées de l’UMP), ce qui pourrait, là aussi, être contraire à la Constitution. (Bien sûr ! sur les travées du groupe socialiste.)
La mission n’a pas, à ce jour, arbitré. La sagesse qui a prévalu pendant ses travaux doit continuer à nous guider, conformément au souhait exprimé par Claude Belot tout à l'heure.
En conclusion – provisoire –, je me réjouis du chemin déjà parcouru et des vingt-sept propositions qui ont été retenues, la plupart à l’unanimité. Nous sommes peut-être allés au-delà de ce que nous espérions au départ.
M. René-Pierre Signé. Un peu trop loin !
M. Yves Krattinger, rapporteur. Je continuerai, en qualité de corapporteur, à travailler, avec Jacqueline Gourault, Claude Belot et Pierre-Yves Collombat, dans le même esprit. Je répondrai bien entendu avec plaisir aux questions qui pourraient m’être posées. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, rapporteur.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la décentralisation est l’une des réformes majeures de ces trente dernières années. Elle a permis de répondre aux attentes des citoyens. Elle a encouragé l’esprit de responsabilité des gestionnaires locaux, auxquels ont été confiées de nouvelles compétences. La démocratie locale, grâce notamment au dévouement exceptionnel des 500 000 élus locaux, dont de nombreux bénévoles dans les zones rurales, a donné aux territoires la place essentielle qui leur revenait dans la conduite de l’action publique.
Les critiques qui peuvent parfois être formulées ne sauraient faire oublier les succès incontestables de la décentralisation et la qualité de l’action publique locale. Ces succès importants imposent justement de ne pas céder à la facilité ; ils commandent de continuer à améliorer l’organisation et le fonctionnement des collectivités territoriales.
Dans le même temps, et c’est un corollaire, l’État doit tirer toutes les conséquences de la décentralisation et, par ailleurs, adapter ses services déconcentrés. C’est à cette seule condition que s’instaurera un nouveau climat de confiance, clé de la réussite de cette réforme.
Il faut ajouter à la décentralisation le développement accéléré de l’intercommunalité, avec la loi dite « Chevènement » du 12 juillet 1999. En dix ans, les communes se sont approprié cet outil souple, fondé sur le volontariat et l’engagement des communes.
Devant cette évolution du paysage local et les difficultés grandissantes des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales, les grandes associations d’élus locaux, qui sont représentées aujourd'hui dans les tribunes, réclament depuis longtemps une réforme : je pense notamment à l’Association des maires de France, l’AMF, à l’Association des régions de France, l’ARF, à l’Assemblée des départements de France, l’ADF, et à l’Assemblée des communautés de France, l’ADCF. Il n’est donc pas étonnant que le Président de la République ait souhaité ouvrir ce chantier, qu’il a confié au comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par M. Édouard Balladur
C’est dans cet esprit et dans ce contexte que M. Gérard Larcher, président du Sénat, a créé notre mission. Le Sénat, qui examinera en premier le projet de loi, s’est saisi de cette question avec toute sa légitimité de représentant constitutionnel des collectivités territoriales, mais aussi avec sa connaissance experte des territoires.
Le rôle majeur qui revient au Sénat doit nous inciter à l’innovation et peut-être même, mes chers collègues, à l’audace. Il ne s’agit pas de tout bouleverser, car ce serait finalement l’assurance de ne rien changer, mais si rien ne bougeait, nous décevrions à coup sûr nos collègues élus de tous niveaux de collectivités.
C’est avec beaucoup d’intérêt et de plaisir que je travaille avec mes collègues en tant que corapporteur, avec Yves Krattinger, de cette mission présidée par Claude Belot. Je m’attacherai à vous présenter les préconisations de la mission en ce qui concerne le couple de la proximité par excellence que forment les communes et les intercommunalités.
Les membres de la mission sont unanimes à reconnaître que la commune constitue le socle de l’organisation locale. Collectivité territoriale de plein exercice, la commune doit nécessairement détenir la clause générale de compétence. Tous, ici, nous connaissons l’attachement fondamental des citoyens à leur commune et savons que celui-ci trouve son origine dans l’assurance qu’ils ont d’être entendus et de voir leurs besoins pris en compte par leurs élus.
Parallèlement, la reconnaissance du couple formé par la commune et l’intercommunalité s’impose aujourd’hui à tous. Nous prenons acte de sa formidable réussite.
Une idée nouvelle est apparue dans la structuration et le développement de nos territoires, celle de la reconnaissance du fait métropolitain. La mission estime que cette notion de métropole doit être réservée aux cinq ou six grandes conurbations millionnaires. C’est pourquoi elle est attachée au principe de la création législative d’un nombre limité de métropoles aux compétences renforcées, que celles-ci leur soient transférées par les communes ou déléguées par le département ou la région. Comme nous l’avons constaté lors de notre déplacement à Lyon, certains souhaitent que la métropole ait un statut propre ; le débat se poursuivra donc sur ce sujet.
Pour tirer pleinement parti des potentialités de l’intercommunalité, il nous faut, d’une part, favoriser la rationalisation de la carte intercommunale, et, d’autre part, développer et renforcer les structures intercommunales.
La première priorité est d’achever, avant la fin de l’année 2011, la carte de l’intercommunalité. La mission pense que des incitations financières négatives pourraient être utilisées. Cet objectif ne devrait pas être difficile à atteindre. En effet, seules 2 522 communes étaient en dehors de l’intercommunalité au 1er janvier 2009, et 528 communes ont adhéré l’an passé à une intercommunalité.
M. Dominique Braye. Il est grand temps de finir !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. La deuxième priorité est de rationaliser les périmètres, dans le respect de la diversité des territoires, c'est-à-dire sans critère de population ou de taille.
M. Jacques Blanc. Oui !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Cette rationalisation doit être liée aux bassins de vie.
M. Dominique Braye. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Il convient donc d’écarter les intercommunalités de défense ou d’opportunité. La fusion des communautés doit être encouragée avec des outils souples, afin d’éviter que des situations de blocage ne s’installent. Dans le Grenelle II, par exemple, on observe que les communautés sont associées de façon importante à la réforme de l’urbanisme, ce qui démontre l’urgence de cette rationalisation.
M. Dominique Braye et Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. L’outil que constituent les commissions départementales de coopération intercommunale, les fameuses CDCI, pourrait voir son rôle renforcé pour déterminer les périmètres pertinents d’intercommunalité, à la condition cependant que la composition de ces commissions soit revue et que leur représentativité soit améliorée.
D’ailleurs, dans le même souci de simplifier l’organisation locale, on doit encourager les fusions de communes, s’agissant en particulier des plus petites d’entre elles et des communes associées,…
M. René-Pierre Signé. Elles ne veulent pas !
M. Michel Mercier. Certaines le veulent peut-être !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. … sur la base du volontariat, naturellement, par la voie d’un référendum proposé par une majorité qualifiée des membres des conseils municipaux des communes concernées.
En outre, les compétences obligatoires des intercommunalités pourraient être renforcées, en particulier celles des communautés de communes, qui sont aujourd’hui limitées. Un certain nombre d’entre elles sont des coquilles vides, il faut bien le reconnaître, c’est pourquoi les blocs de compétences doivent être renforcés.
M. Gérard Longuet. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Rendue plus pertinente dans ses périmètres et ses compétences, l’intercommunalité devrait aussi être améliorée dans sa gouvernance. Il est nécessaire de renforcer la légitimité démocratique des conseillers communautaires, en prévoyant notamment leur élection par « fléchage » sur les listes de candidats aux élections municipales. Pour ce faire, il conviendrait d’étendre le scrutin de liste aux communes de plus de 500 habitants et de mettre en place pour toutes les communes une obligation de candidature pour les élections municipales.
Enfin, le renforcement de l’intercommunalité devrait logiquement s’accompagner d’une forte réduction du nombre des syndicats intercommunaux. Il y serait procédé par le représentant de l’État sur avis conforme de la CDCI, après une large concertation départementale, et ce avant la fin de l’année 2012.
M. Dominique Braye. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. De la même manière, la suppression des dispositions législatives réglementant l’existence des « pays » devrait permettre de faire disparaître ceux d’entre eux qui sont dépourvus d’utilité réelle,…
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. … tout en garantissant le maintien des autres, comme l’a réclamé notre collègue breton Edmond Hervé, sur la base de la liberté d’association et de coopération des collectivités territoriales.
S’agissant de la question importante des finances locales, déjà abordée par Yves Krattinger, je voudrais simplement revenir sur le maintien d’un impôt lié à l’activité économique. C’est un point essentiel pour préserver les relations entre les territoires et les entreprises, ce qui intéresse particulièrement les intercommunalités relevant du régime de la taxe professionnelle unique. La réforme de la fiscalité locale est donc primordiale pour l’intercommunalité.
Telles sont les préconisations de la mission concernant le niveau de proximité, auquel nos concitoyens sont, je le rappelle, très attachés.
Nos travaux vont naturellement se poursuivre, car un certain nombre de difficultés ne sont pas encore tranchées. Hormis peut-être le statut des métropoles, les questions en suspens les plus compliquées ne concernent pas le niveau des communes et des intercommunalités, mais plutôt celui des départements et des régions.
Je voudrais souligner à quel point j’ai été impressionnée par l’analyse des élus de terrain – je pense en particulier aux présidents des conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin –, qui sont parfois en avance sur les textes.
Mes chers collègues, on entend quelquefois dire que ce n’est pas le moment de réformer les collectivités territoriales,…
M. Dominique Braye. Si !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. … la grave crise économique que nous traversons imposant d’autres urgences. Cependant, on demande aux collectivités territoriales de participer au plan de relance et le Président de la République annonce, sans concertation, la suppression de la taxe professionnelle.
M. Gérard Longuet. C’était dans son programme !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. De surcroît, ce sont les collectivités territoriales qui devront aider nos concitoyens en difficulté, qui sont de plus en plus nombreux.
C’est pourquoi je suis convaincue que l’on ne peut cloisonner la vie des collectivités et celle de la nation. Chaque collectivité est une essence, une parcelle de la République, dont elle participe au bon fonctionnement. Nous sommes tous ici des élus et nous savons à ce titre que si nos concitoyens ne sont certes pas passionnés par la technicité des débats, ils en perçoivent cependant la logique et la nécessité. Le Sénat se doit de répondre aux attentes des élus et de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. Je remercie le président, les deux vice-présidents et les deux rapporteurs de la mission temporaire de leur contribution.
Orateurs des groupes
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Michel Mercier. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’évidence, ce n’est pas en cinq minutes que l’on peut faire le point sur la question de la décentralisation. Ma contribution sera donc nécessairement à la fois partielle et partiale. Néanmoins, je pense qu’elle mérite tout de même d’être versée au débat.
Des premières lois de décentralisation, en 1982, à l’inscription dans la Constitution du caractère « décentralisé » de l’organisation territoriale de la République, en 2003, beaucoup d’étapes ont été franchies. Sans la décentralisation, un certain nombre de politiques que nous mettons quotidiennement en œuvre ne connaîtraient pas le succès qui est le leur aujourd’hui.
À titre d’exemples, je mentionnerai le développement des transports ferroviaires régionaux, la rénovation profonde des collèges et des lycées, ainsi que les politiques sociales, qui ont été mieux adaptées à la réalité quotidienne grâce aux transferts effectués au profit des collectivités territoriales, notamment des départements. Ainsi, sans la décentralisation, la mise en place du revenu de solidarité active, le RSA, ne pourrait probablement pas intervenir au mois de juillet prochain.
La décentralisation est donc d’abord un grand succès, dont nous pouvons tous nous féliciter. Je tenais à le souligner.
Cela étant, nous pouvons naturellement nous interroger : la situation actuelle est-elle satisfaisante ou une réforme est-elle nécessaire ?
Nous voyons bien quels sont les écueils à éviter. En matière de transferts de compétences, un long chemin a déjà été parcouru, et il n’est probablement pas nécessaire d’aller beaucoup plus avant dans cette voie.
Par conséquent, la véritable question qui se pose à nous est d’abord de nature institutionnelle. La décentralisation a été mise en œuvre par le Parlement en fonction des échelons institutionnels existants, à savoir les communes, les départements et les régions. Faut-il « tout changer pour que rien ne change », comme l’a joliment dit Mme Gourault, se souvenant du Guépard ? (Sourires.) Faut-il au contraire engager une véritable réforme, pour rechercher à la fois plus d’efficacité et plus de démocratie ?
Pour ma part, j’estime que nous devons procéder à une réforme en profondeur, de nature à changer les choses en tenant compte des réalités. À défaut, mieux vaut ne rien faire : nous n’avons pas besoin d’un coup de ripolin supplémentaire ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Michel Mercier. Dans cet esprit, je souhaite évoquer quelques points, afin de montrer qu’une réforme en profondeur est nécessaire.
Tout d’abord, nous devons dire haut et fort que c’en est fini du « paysage unique » : les mêmes institutions ne peuvent prévaloir sur l’ensemble du territoire national, parce que les réalités locales sont diverses ! (M. Jean-Patrick Courtois applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Michel Mercier. Sur ce point, nous devons, je le crois, avoir la position la plus claire et la plus ferme : la République n’a rien à craindre de la décentralisation,…
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Michel Mercier. … elle ne sera elle-même, au contraire, qu’en prenant en compte la diversité des situations locales. Cela passe par une adaptation des modèles institutionnels, qui ne doivent pas être les mêmes partout.
À cet égard, je souhaite formuler une proposition de nature à faire évoluer fortement l’échelon départemental. Cela pourra peut-être surprendre de la part du président d’un conseil général qui, je le crois, fait bien son travail, mais notre pays a changé profondément, et si nous n’en tenons pas compte, nous passerons à côté de la réalité. Or la décentralisation, c’est d’abord la prise en compte de la réalité.
M. Roland du Luart. C’est vrai !
M. Michel Mercier. Par conséquent, je suis favorable à la création de grandes métropoles, au nombre de cinq ou six, et ce pour une raison toute simple : elles existent déjà dans les faits !
M. René-Pierre Signé. Et le reste ?
M. Michel Mercier. Pour le reste, ce sera autre chose, monsieur Signé ! En ce qui vous concerne, vous ferez comme d’habitude : vous monterez au château, et vous regarderez en bas ! (Sourires sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Michel Mercier. Cela ne vous changera pas. D’ailleurs, personne ne vous demande de changer, mon cher collègue, mais laissez aller de l’avant ceux qui le souhaitent ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Ils ne nous empêcheront pas d’avancer !
M. Michel Mercier. Quoi qu’il en soit, monsieur Signé, permettez-moi d’exprimer mon point de vue, et dites-vous bien que vous ne parviendrez pas à me faire taire ni à me déstabiliser ! (Sourires sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.) Cette question étant réglée, le débat peut se poursuivre ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Je suis donc favorable à la création, par la loi, de cinq ou six grandes métropoles. Le législateur doit prendre ses responsabilités : lorsqu’une agglomération compte plus d’un million d’habitants, il faut en tirer les conséquences s’agissant de l’exercice des compétences en matière de recherche, d’enseignement supérieur, de culture ou d’action économique. À défaut, il y aura, comme d’habitude, Paris et le reste de la France. Ce n’est pas cela que nous voulons !
Notre pays compte de grandes métropoles capables de le faire progresser et de créer de la richesse autour d’elles.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Michel Mercier. Il ne s’agit pas de considérer ces métropoles isolément. Tout le monde profitera de leur développement, mais elles ont besoin d’une organisation efficace et démocratique, que nous devons mettre en place.
Pour ma part, je suis très favorable à une telle évolution. Les communes relevant de la métropole pourront garder la personnalité juridique de droit public, mais elles n’auront plus toutes les compétences qu’elles exercent actuellement. Pour être plus clair encore, je suis favorable au transfert à la métropole des compétences du département, l’essentiel étant de rechercher tous ensemble une plus grande efficacité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Telle est ma position, mes chers collègues !
MM. Dominique Braye et Jean-Patrick Courtois. Elle est partagée !
M. Michel Mercier. J’ai bien le droit de l’exprimer ! Elle est tout à fait réaliste, parce qu’elle correspond à ce que je vis tous les jours !
M. Roland Povinelli. Ceux qui sont sur le terrain, ce sont les conseillers généraux, et non les conseillers régionaux ! (Protestations sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Vous parlez à un président de conseil général !
M. le président. Vous vous exprimerez tout à l’heure, monsieur Povinelli !
Veuillez poursuivre, monsieur Mercier.
M. Michel Mercier. Je suis donc favorable à ce que le législateur s’engage dans cette voie.
En ce qui concerne les autres évolutions institutionnelles, je pense que le législateur doit mettre à disposition des communes, des départements et des régions une sorte de « boîte à outils » dans laquelle ces collectivités territoriales pourront puiser librement, pour se regrouper ou s’associer sur la base du volontariat. Après trois ou cinq ans, le législateur pourra prendre acte des choix qui auront été faits sur le terrain et légiférer pour les graver dans le marbre de la loi.
Certes, j’ai bien conscience d’être relativement isolé sur ce sujet… (Non ! sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais non ! C’est également, hélas ! la position du comité Balladur et du Président de la République !
M. Michel Mercier. Toutefois, ce n’est pas une raison pour renoncer à mon opinion.
Cela étant, nombre de questions restent en suspens.
On évoque très souvent le rapprochement entre les départements et les régions. C’est un sujet difficile, car il n’existe pas aujourd’hui de couple région-département, alors que le couple département-commune est une réalité depuis très longtemps. C’est parce qu’il y a des communes qu’il y a des départements, dont un des rôles est d’assurer la solidarité financière, sociale, territoriale entre les communes.
M. Jean-Pierre Chevènement. Et la République ?
M. Michel Mercier. Si demain nous voulons modifier cette situation, cela nécessitera un certain nombre d’évolutions, en particulier le transfert aux communes de compétences départementales d’extrême proximité. Je pense notamment à la compétence relative à la petite enfance, qui est aujourd'hui partagée entre les communes et les départements.
Cependant, de tels transferts de compétences supposent que l’on accorde aux communes les moyens correspondants. Ainsi, elles devront pouvoir se regrouper si elles en ressentent le besoin. Elles pourront dès lors exercer les compétences qui leur seront transférées, et peut-être sera-t-il alors possible d’envisager différemment le couple département-commune.
Mes chers collègues, ce débat mérite d’être mené à son terme. Il s’agit d’une véritable et grande réforme. Il ne faut pas avoir peur de s’engager dans cette voie, il ne faut pas non plus vouloir tout changer d’un coup. Nous devons prendre le temps de la réflexion, mais nous ne pourrons faire l’économie d’une réforme institutionnelle si nous voulons rendre la décentralisation à la fois plus efficace et plus démocratique. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme chacun le sait, les orientations définies par le Président de la République s’agissant de l’avenir des collectivités territoriales visent à réduire le champ d’intervention de ces dernières.
L’objectif masqué d’une telle déstabilisation est la reprise en main des pouvoirs locaux. Il s’agit de réduire le nombre et l’influence de ces milliers de contre-pouvoirs, jugés d’autant plus insupportables qu’ils s’appuient sur un fort capital de sympathie parmi nos concitoyens.
Cette sympathie prend ses racines dans la mise en œuvre des politiques publiques locales, qui sont autant de réponses concrètes aux problèmes de la vie quotidienne, ainsi que dans leur proximité, qui permet aux citoyens d’influer sur les choix effectués.
Or la liberté accordée aux autorités locales, pourtant garantie par la Constitution, est aujourd’hui insupportable au pouvoir central, car elle leur permet d’être des points de résistance aux politiques libérales de régression sociale.
Aujourd'hui, il s’agit d’envisager l’application de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, aux collectivités territoriales, afin de réduire durablement les politiques et les services publics.
« Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », nous enseigne un dicton populaire. En l’occurrence, le Président de la République a caché sa volonté de reprise en main par une critique démesurée, bien éloignée des réalités, de la gestion des collectivités territoriales et de leurs relations. À l’entendre, rien ne fonctionnerait, et notre organisation territoriale coûterait très cher. Or ce n’est pas exact !
Cette dénonciation du prétendu « mille-feuille » institutionnel, des financements croisés, de l’illisibilité des choix et des responsabilités, d’une situation qui serait alarmante, vise à justifier une remise en cause totale de l’organisation territoriale et démocratique de notre République.
Ces critiques s’accompagnent du couplet habituel selon lequel tout irait mieux dans le reste de l’Europe, la lourdeur de notre administration locale constituant un handicap… Dans ce domaine comme dans tous les autres, la mise en concurrence et le nivellement par le bas en Europe restent les objectifs principaux de la majorité.
Notre pays compte certes beaucoup plus de communes que les autres, mais nous considérons, pour notre part, que c’est une richesse.
Ainsi, des centaines de milliers de citoyens élus se consacrent bénévolement au vivre-ensemble, à la défense de l’intérêt général et à la mise en œuvre, au plus près des besoins, des actions publiques nécessaires. Il serait d’ailleurs temps que ces élus disposent d’un statut reconnaissant leur mission et leur permettant de l’exercer.
Par ailleurs, nos régions ne sont ni plus pauvres ni plus petites que la moyenne européenne, et le nombre de nos départements est parfois faible au regard de celui des structures intermédiaires de nombreux autres pays européens. En réduisant leur nombre, nous accroîtrons certes la taille de ces collectivités, mais leur gestion deviendra plus lourde.
Seront-elles alors mieux armées pour entendre les besoins des populations et y répondre ? Nous n’en sommes pas persuadés. Permettront-elles le renforcement de la démocratie locale s’agissant des choix à mettre en œuvre ? Nous pensons le contraire.
Nous contestons aussi cette mise en concurrence des territoires, dans notre pays et en Europe. Ne faudrait-il pas plutôt réfléchir au développement de coopérations, de politiques et de services publics communs ? En effet, mettre en concurrence les territoires, c’est aussi mettre en concurrence les hommes et les femmes qui y vivent ; c’est renforcer les disparités et les inégalités.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que les premières préconisations de la mission sénatoriale suivent la logique du comité Balladur. Nous le regrettons, d’autant que tel n’était pas son objet.
Avant d’envisager toute réforme, il aurait été plus utile et plus sage, à notre sens, de dresser un état des lieux partagé de la situation réelle de nos collectivités territoriales.
En partant des problèmes qu’elles connaissent, de leurs contraintes et de leurs potentialités, des avancées et des blocages rencontrés dans la mise en œuvre des lois de décentralisation et du développement, toujours nécessaire, de leur vitalité démocratique, nous aurions, j’en suis sûr, dégagé d’autres axes de réforme. Aussi souhaitons-nous que la mission du Sénat poursuive son travail dans ce sens.
À la lumière des éléments fournis par le cabinet Ernst & Young à la mission, nous demandons que l’ensemble des compétences assurées par nos collectivités territoriales et les relations qu’elles entretiennent avec l’État fassent l’objet d’une telle étude détaillée, afin de réorienter les compétences transférées, ainsi que leurs modalités d’exercice et de financement. Seule cette approche permettra de dégager les axes de réformes à venir.
En effet, les collectivités territoriales ont besoin de réformes. Personne n’est partisan du statu quo. Nous ne le sommes pas !
Critiquant les postulats à l’origine des travaux actuels, nous considérons qu’il faut réviser et stabiliser les compétences des collectivités territoriales, afin d’ouvrir une phase de consolidation de la décentralisation, dans un environnement juridique clarifié et sécurisé.
Cependant, nous tenons pour un préalable que les trois niveaux de collectivités locales soient maintenus sur tout le territoire, y compris en région parisienne et dans les grandes métropoles, auxquelles le droit commun doit s’appliquer.
Sur la question du Grand Paris, nous souhaitons que la mission sénatoriale se démarque totalement des préconisations du rapport Balladur, ainsi que des propositions du secrétaire d’État Christian Blanc, qu’elle soit à l’écoute de la volonté majoritaire des élus concernés, qui travaillent dans le cadre du syndicat mixte d’études Paris Métropole regroupant communes, départements et région, représentés par des élus de toutes sensibilités.
La clause de compétence générale doit être maintenue pour toutes les collectivités territoriales. En effet, la compétence générale est le moteur du suffrage universel. C’est elle qui permet l’expression de la souveraineté à partir des projets présentés lors des élections locales. En la supprimant, nous transformerions les élus locaux en de simples administrateurs, en des manageurs aux compétences définies ailleurs et encadrées par l’État ou par une autre collectivité.
Nous sommes convaincus que non seulement la libre administration de toutes les collectivités locales, mais aussi le respect de l’égalité des citoyens sur tout le territoire, doivent être sauvegardés.
Dans ce contexte, nous sommes favorables au renforcement de coopérations librement consenties, au sein d’établissements publics ou de tous autres organismes gérant des compétences déléguées ou des projets communs.
Cependant, nous pensons que leur fonctionnement doit être démocratisé, pour permettre aux conseils élus des collectivités territoriales qui en sont membres d’être mieux écoutés et aux populations d’être associées aux réflexions et aux décisions.
Par ailleurs, nous considérons que tout regroupement de collectivités territoriales doit être rendu possible si, et seulement si, la souveraineté populaire s’est exprimée dans ce sens.
Enfin, il ne saurait y avoir de réforme des collectivités territoriales sans que nous nous assurions du respect des principes d’unité et d’égalité de notre République. Seul le pouvoir central a la mission et le pouvoir de le garantir. Aussi attendons-nous plus que jamais de lui qu’il mette un terme à son désengagement actuel dans toute une série de domaines.
En un mot, nous attendons qu’il fasse son retour aux responsabilités, laissant ainsi les collectivités territoriales assurer pleinement et librement leurs missions originales au service de nos territoires et de nos populations. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les membres du groupe UMP abordent ce débat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales dans un esprit de pragmatisme et d’ouverture, avec une grande conviction.
Au cours des dernières années, nous avons tous dénoncé, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, l’enchevêtrement des prérogatives des différents acteurs publics locaux et nationaux. C’est une source de confusion des responsabilités, de perte de temps, d’inflation de la dépense publique, mais aussi d’incompréhension pour nos concitoyens et de désenchantement pour les élus locaux, dont la capacité d’action est entravée par une multitude de normes et de procédures contraignantes.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Le groupe UMP du Sénat a donc salué la décision du Président de la République d’ouvrir un grand chantier pour réformer les structures des administrations locales.
Afin de soutenir et d’accompagner cette réforme, les responsables des groupes parlementaires de la majorité ont décidé, le 15 octobre dernier, d’organiser et de mener une large réflexion commune sur ce sujet.
J’ai eu l’honneur, avec M. Dominique Perben, député du Rhône, d’animer les travaux du groupe constitué à cette fin, auxquels ont participé plus de deux cents députés et sénateurs de l’UMP.
Nous avons remis notre rapport de synthèse le 28 janvier dernier, pour contribuer à la réflexion du comité présidé par M. Édouard Balladur et de la mission temporaire du Sénat, mise en place sur votre heureuse initiative, monsieur le président, et présidée par notre collègue Claude Belot, dont la grande compétence est saluée par tous.
Nous notons avec satisfaction l’existence de nombreux points de convergence sur le diagnostic, les principes et certaines orientations, en particulier en matière d’intercommunalité, même si des nuances apparaissent entre les différents rapports, ce qui est bien naturel.
Nous pensons néanmoins que la recherche du consensus et le souci de l’équilibre ne doivent pas nous faire perdre de vue l’objet de la réforme.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Rien ne serait pis que de se contenter d’un simple toilettage, qui provoquerait de nouvelles déceptions parmi les élus locaux et nos concitoyens. (Mlle Sophie Joissains applaudit.)
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Jean-Patrick Courtois. Ces derniers sont confrontés à des difficultés concrètes, auxquelles nous devrons apporter des solutions concrètes.
Notre groupe de travail s’est donc efforcé de répondre à trois questions essentielles : comment faire mieux de manière moins coûteuse ? Comment sortir du « jardin à la française » pour mieux prendre en compte la diversité territoriale de notre pays ? Comment revoir la gouvernance des collectivités pour renforcer la légitimité des élus et améliorer l’efficacité de la gestion publique ?
Au cours de cette réflexion se sont dégagées des orientations claires, qui reposent sur des convictions fortes, partagées par la plupart des députés et des sénateurs membres du groupe de travail de la majorité parlementaire.
Nous souhaitons, tout d’abord, favoriser deux couples de collectivités territoriales, pour simplifier leur gouvernance et clarifier leurs compétences : communes et intercommunalités, d’une part, départements et régions, d’autre part.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Nous proposons également la création d’une nouvelle catégorie d’élus locaux, les conseillers territoriaux, siégeant à la fois à l’échelon départemental et à l’échelon régional.
Notre groupe de travail n’a pas tranché entre les différentes options en matière de mode de scrutin. Nous sommes, en effet, très attachés au maintien d’un lien de proximité entre les élus et leurs électeurs, surtout en milieu rural, et nous comptons poursuivre la réflexion sur ce sujet.
Il n’y a pas de piège politique, contrairement à ce que certains cherchent à faire croire, d’autant que le nouveau dispositif ne pourra s’appliquer qu’en 2014, soit deux ans après l’échéance de 2012.
Cette proposition repose sur la conviction qu’il faut des élus communs pour supprimer la concurrence entre les deux niveaux de collectivités et permettre une véritable clarification des compétences, ainsi qu’une réelle simplification administrative, source d’économies et d’un meilleur service rendu aux usagers.
De manière générale, nous considérons qu’il est possible de clarifier et, surtout, de simplifier les compétences sans supprimer complètement un échelon. Selon nous, seuls les « pays » pourraient être supprimés, car ils n’ont pas fait la preuve de leur pertinence.
À l’inverse, nous proposons de réserver la compétence générale à l’échelon communal, c’est-à-dire à la commune ou à l’intercommunalité, par délégation, parce qu’il s’agit du principal échelon de proximité.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Et les départements ?
M. Jean-Patrick Courtois. Nous sommes très attachés à ce principe de proximité, et nous veillerons à ce qu’il soit privilégié, et même renforcé, dans le cadre de la future réforme.
Parallèlement, nous sommes favorables à l’introduction d’un principe de subdélégation exclusive, pour permettre à une collectivité de transférer librement à une autre une compétence qu’elle ne souhaite pas ou ne peut pas exercer elle-même.
De même, il est nécessaire de supprimer ou, au moins, de limiter fortement les financements croisés et de moderniser la fiscalité locale, afin de la faire coïncider avec les réalités du xxie siècle.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. L’objectif de clarification et de simplification doit s’imposer à tous les échelons, en particulier au plan intercommunal.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Nous sommes favorables à la création d’un nombre restreint de grandes métropoles à statut particulier – je rejoins, sur ce point, M. Mercier –, car aucune division administrative actuelle n’est vraiment adaptée aux grandes agglomérations. Il paraît donc nécessaire de regrouper sur ces aires fortement peuplées des compétences aujourd’hui dispersées.
Le regroupement des compétences départementales, communales et intercommunales au sein d’une structure unique suscite légitimement des interrogations, voire certaines inquiétudes, que nous devons naturellement prendre en compte. Nous devrons cependant avoir le courage, là encore, de faire des choix clairs, si nous voulons vraiment favoriser l’émergence de grandes métropoles capables de mener des politiques dynamiques, comparables à celles qui sont conduites ailleurs en Europe.
Le cas particulier des grandes métropoles mis à part, nous proposons de mettre en place un « fléchage » des délégués communautaires à l’occasion du scrutin municipal et d’achever la carte des intercommunalités.
Cet achèvement de la carte intercommunale doit se faire non pas à marche forcée, mais avec souplesse et vigilance, compte tenu des conséquences financières que pourrait avoir l’intégration de certaines communes fortement endettées ou connaissant un retard en matière d’équipements.
Nous devrons aussi saisir cette occasion pour clarifier les structures existantes et mettre fin à certaines anomalies.
J’attire en particulier l’attention du Sénat sur le fait qu’il sera nécessaire de tenir compte de la démographie des communes membres pour éviter une tutelle de la structure intercommunale.
Cette anomalie résulte de l’effet de la répartition des délégués entre les communes lors de la création de la structure intercommunale. Sans instaurer nécessairement un droit de veto, il me paraît indispensable de corriger cette situation d’ici à 2014 au plus tard, car elle n’est pas conforme à un fonctionnement démocratique de l’intercommunalité.
Par ailleurs, si nous réservons la compétence générale à la commune et si nous facilitons les délégations de compétences à l’intercommunalité, nous devons faire en sorte que cette dernière prenne entièrement en charge les compétences qui lui sont déléguées. C’est une question de clarté et, surtout, d’efficacité.
Dans le même esprit, à partir du moment où nous décidons d’achever la carte des intercommunalités, nous devons nous interroger sur le devenir des syndicats de communes.
Là encore, le pragmatisme et la souplesse doivent primer, car il ne sera pas facile, ni même pertinent, de regrouper certains syndicats, en particulier les syndicats techniques, qui œuvrent, par exemple, dans le domaine des eaux et de l’assainissement.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Jean-Patrick Courtois. Nous devons encore une fois tenir compte des réalités locales.
M. Philippe Adnot. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Nombre de questions restent encore sans réponse, compte tenu de l’importance des enjeux et de la diversité des situations locales.
Le groupe de travail de la majorité parlementaire a donc décidé d’approfondir sa réflexion sur trois sujets essentiels : les conseillers territoriaux et les modalités de leur élection, l’intercommunalité et les grandes métropoles.
Nous entendons ainsi contribuer efficacement aux travaux de la mission temporaire du Sénat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, dont nous saluons la qualité et l’équilibre.
Cela étant, il s’agit aussi et surtout pour nous – j’insiste sur ce point – de réaffirmer notre volonté de réviser en profondeur la gouvernance, les compétences et le financement des collectivités territoriales, afin de mettre en œuvre, avec un certain courage politique, une réforme majeure qui soit à la hauteur des enjeux et des attentes de nos concitoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je m’exprimerai, dans la mesure du possible, au nom de M. Jean-Michel Baylet autant qu’en mon nom propre.
La République avait fondé son organisation territoriale sur les départements et sur les communes. Le rapport au Président de la République du comité Balladur privilégie clairement « la bipolarisation des institutions locales, au profit de la région et de l’intercommunalité ».
Cette rupture avec le modèle républicain, car c’est bien de cela qu’il s’agit, correspond, me semble-t-il, au projet d’une « Europe des régions », plus ou moins inspiré du modèle des Länder allemands.
Commençons par les communes.
Formellement, nos 36 600 communes verront certes leur compétence générale préservée, mais, pour les investissements les plus significatifs, elles ne pourront guère l’exercer. En effet, les régions et les départements, cantonnés dans des compétences spéciales définies par la loi, pourront beaucoup plus difficilement les aider.
Le système des financements croisés a été désigné par le Président de la République et par le comité Balladur comme « ce pelé, ce galeux, d’où venait tout le mal ». M. Jean-Michel Baylet et moi-même voudrions dénoncer cette idée reçue.
Tout d’abord, les financements croisés ont été voulus par l’État à travers les contrats de plan. On ne peut souhaiter une chose et son contraire ! L’État continue d’ailleurs à solliciter les différents niveaux de collectivités territoriales pour le financement des lignes TGV nouvelles. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Sans financements croisés, il n’y aurait pas eu de plan Universités 2000, ni de modernisation de nos locaux universitaires. Je connais nombre de projets de gymnase ou de salle polyvalente dans nos communes qui n’auraient pu aboutir sans ces fameux financements croisés.
M. Dominique Braye. Nous sommes d'accord, mais ce n’est pas une raison pour ne rien changer !
M. Jean-Pierre Chevènement. L’abolition de la compétence générale des régions et des départements bridera inévitablement l’élan de la décentralisation.
Tel est bien, d’ailleurs, l’objectif qu’a affirmé le Président de la République dans son discours du 5 mars dernier : « Faire des économies sur les dépenses ».
Toutefois, est-il bien raisonnable, au moment où l’on parle de relance, de casser l’effort d’investissement des collectivités locales, qui représente, comme plusieurs orateurs l’ont rappelé avant moi, les trois quarts de l’investissement public ?
Cette réforme de notre organisation territoriale, dont l’esprit contrarie celui de la décentralisation, me paraît inopportune en période de crise. Le Président de la République, qui par ailleurs prétend favoriser l’investissement local au travers des avances sur remboursement du Fonds de compensation de la TVA, devrait en convenir lui-même.
À cet égard, la suppression de la taxe professionnelle constituera un mauvais coup supplémentaire porté à l’intercommunalité et au développement local. Certes, le Président de la République s’est engagé à compenser intégralement les pertes de recettes qui en résulteront pour les collectivités territoriales. Toutefois, cette promesse figera une situation qui, en elle-même, est évolutive : la taxe professionnelle est un impôt très dynamique, dont les bases, même si elles sont amputées de la part salariale, progressent encore chaque année.
Or les compensations envisagées par le Président de la République dans son discours du 5 mars dernier, c'est-à-dire une « cotisation minimale sur la valeur ajoutée » ou une « taxe sur les conventions d’assurance », ne sont pas à la hauteur. Les moyens dont disposent les intercommunalités en seront inévitablement affectés, ce qui pénalisera la lutte contre la ségrégation urbaine, le développement économique local et la solidarité intercommunale.
Mes chers collègues, l’intercommunalité représente un acquis majeur pour la décentralisation, car elle permet de mettre en commun des compétences stratégiques que les communes isolées pouvaient difficilement exercer jusque-là.
À mes yeux, bien des critiques adressées à l’intercommunalité ne sont pas pertinentes, comme l’a d'ailleurs relevé, voilà quelques instants, Mme Jacqueline Gourault,…
M. Dominique Braye. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. … pour qui j’ai beaucoup de considération eu égard au travail considérable qu’elle a réalisé sur l’intercommunalité.
M. René-Pierre Signé. Quel charmeur ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Ces critiques, quelles sont-elles ?
Tout d'abord, les périmètres seraient parfois arbitraires. Mais ils peuvent être corrigés selon des règles de majorité qualifiée qui, d'ailleurs, donnent un certain pouvoir au préfet !
Ensuite, la mutualisation des services a pris du retard, comme la Cour des comptes l’a regretté en 2005. Toutefois, ce retard a été largement rattrapé, et cela ne pouvait pas se faire du jour au lendemain.
Le coût de l’intercommunalité pour les finances publiques est resté modeste : vous pouvez me croire, car j’avais prévu une enveloppe dont je sais qu’elle n’a pas été dépassée dans la même mesure que l’ont été les résultats initialement prévus, avec quatre fois plus de communautés d’agglomération que nous ne l’envisagions en 1999 et plus de 90 % du territoire et de la population aujourd'hui concernés par l’intercommunalité à fiscalité propre.
Enfin, une dernière critique porte sur les recrutements supplémentaires dans les EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale. Toutefois, ceux-ci ont correspondu souvent légitimement, il faut le souligner, à l’exercice de compétences qui étaient jusqu’alors délaissées par les communes.
M. Michel Mercier. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. L’intercommunalité, quels que soient ses mérites, ne doit pas faire disparaître les communes,…
M. René-Pierre Signé. Ah non, surtout pas !
M. Jean-Pierre Chevènement. … qui sont l’échelon de base et, si je puis dire, l’ « école élémentaire » de notre démocratie.
Les établissements publics de coopération intercommunale ne constituent pas, comme beaucoup le croient, un quatrième niveau de collectivités territoriales. M. Baylet me faisait d'ailleurs observer que la France ne comptait pas plus d’échelons de collectivités territoriales que l’Allemagne ou l’Italie.
Un sénateur du groupe socialiste. Le rapport d’étape sur la réorganisation territoriale l’a relevé !
M. Jean-Pierre Chevènement. Tout à fait, le rapport souligne ce point, à juste titre.
Si je partage la plupart des préconisations qui visent à achever et à rationaliser la carte de l’intercommunalité, je suis plutôt réticent, je dois le dire, en ce qui concerne l’élection au suffrage universel direct des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale.
En effet, à l’évidence, l’élection directe des présidents des EPCI délégitimerait les maires.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. On m’objectera que personne ne propose une telle mesure ; je l’ai pourtant entendu évoquer en d’autres lieux !
Quant à élire, comme l’a préconisé la mission du Sénat présidée par notre collègue Claude Belot, les conseillers communautaires par « fléchage », en même temps que les conseillers municipaux, en transposant le système dit « PLM », c'est-à-dire celui qui est en vigueur à Paris, à Lyon et à Marseille et qui semble aujourd’hui à la mode, il convient d’y réfléchir à deux fois !
Je voudrais faire observer à Mme Jacqueline Gourault, ainsi qu’à beaucoup d’autres de nos collègues qui sont mus par un souci sincère de démocratisation, que ce mode d’élection par « fléchage » ne serait pas applicable aux communes de moins de 3 500 habitants, qui désignent leurs conseillers municipaux selon un système de panachage, dont on considère que, dans les petites communes, il constitue un progrès de la démocratie.
M. Dominique Braye. Le panachage, c’est le tir aux pigeons !
M. Jean-Pierre Chevènement. Certes, monsieur le secrétaire d'État. Il n’en reste pas moins que ce système donne toute satisfaction dans les très petites communes.
M. Dominique Braye. Non ! Pour les élus, c’est le tir aux pigeons !
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur Braye, il faut bien que la démocratie s’exprime !
M. Dominique Braye. La démocratie, oui, pas la bassesse !
M. Jean-Pierre Chevènement. D'ailleurs, il me semble que le tir aux pigeons et la démocratie ne sont pas sans rapport, même si je ne suis pas chasseur, contrairement à M. le président du Sénat ! (Sourires.)
M. le président. Poursuivez, monsieur Chevènement. La saison de la chasse est terminée ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Faut-il, comme le suggère la mission du Sénat, instaurer ce système qui, par l’application de la proportionnelle des listes, introduira inévitablement un esprit plus partisan au sein des conseils communautaires, où l’entente se faisait généralement de maire à maire, chacun étant assuré de représenter la légitimité de sa commune ?
J’observe d'ailleurs que le Président de la République, dans son discours du 5 mars dernier, a déclaré qu’il souhaitait « que se poursuive la concertation sur l’élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre, qui pose à mon sens beaucoup de questions ». Sur ce dernier point, je partage tout à fait le sentiment du Président de la République !
Ce sont l’esprit et la vocation de l’intercommunalité qui sont en cause. Je souhaite pour ma part que les intercommunalités restent des coopératives de communes et ne deviennent pas des « communes nouvelles », comme l’article 11 du projet de loi de réforme des collectivités locales annexé au rapport du comité Balladur en ouvre la possibilité, dès lors qu’une majorité des deux tiers des conseils municipaux, représentant la moitié de la population, le demanderait. Je vous suggère d’y réfléchir, mes chers collègues.
L’article 11 de ce texte traduit une certaine méconnaissance de l’esprit de l’intercommunalité et me paraît plus conforme à celui de la loi Marcellin de 1971. On ne remplacera pas nos 36 600 communes par 2 500 communes nouvelles, et on ne doit pas le faire, car cette évolution ne correspond pas à l’esprit français !
Je voudrais d'ailleurs indiquer à M. Courtois que les jardins à la française ont tout de même du bon,…
M. Jean-Pierre Chevènement. … d’autant que nos 36 600 communes, en réalité, évoquent davantage un jardin à l’anglaise ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. En bref, et je conclurai sur ce point, l’intercommunalité doit être un moyen de revaloriser les communes, non de les dévaloriser.
Je dirai à présent quelques mots des départements, qui, selon moi, sont eux aussi des victimes désignées de la réforme.
Tout d’abord, le démantèlement partiel des départements au profit de onze métropoles – ne sont-elles pas un peu trop nombreuses, soit dit en passant ? – aboutira à l’apparition de départements croupions, réduits à leurs zones rurales.
M. René-Pierre Signé. C’est évident !
M. Jean-Pierre Chevènement. En réalité, les départements exercent des compétences de proximité, et il n’y a rien à gagner à tout chambouler !
Toutefois, qu’un tel projet ait pu germer dans les esprits me paraît révélateur de la volonté réelle qui sous-tend cette réforme : à défaut de pouvoir casser le département, il faudrait le réduire ! D’où le projet de faire élire ensemble conseillers régionaux et conseillers départementaux.
Certes, avec le mode de scrutin actuel, les conseillers régionaux semblent quelque peu « hors sol ». Tel est du moins mon jugement personnel ! Le remède proposé est la création d’un système de type « PLM » dans le cadre de circonscriptions infra-départementales.
Cependant, si l’on veut absolument faire élire ensemble les conseillers régionaux et les conseillers départementaux – je n’y suis pas résolument hostile ! –, pourquoi faut-il que ce soit dans des circonscriptions particulières découpées au sein de chaque département, et non dans le cadre des départements eux-mêmes, si ce n’est pour dévaloriser ceux-ci, en fonction du principe selon lequel il faut diviser pour régner ?
Au surplus, il me semble qu’en procédant à cette élection dans le cadre du département, on éviterait le « charcutage électoral », toujours nuisible à une réforme territoriale qui devrait privilégier le consensus, que nous souhaitons tous.
Selon moi, la région ne peut tout faire ! Elle n’est pas un échelon de proximité. Fût-ce en matière de développement économique, elle ne peut répondre aussi efficacement que le département ou les intercommunalités à la demande de développement endogène des entreprises, même si elle peut éventuellement favoriser leur croissance exogène.
Par exemple, il est bon que, pour la création de zones d’activités, la compétence économique reste partagée entre tous les niveaux de collectivités, y compris les départements, qui sont très utiles.
Enfin, les fonds européens ne doivent pas, me semble-t-il, être laissés à la disposition de la seule région, comme le propose la mission présidée par M. Claude Belot. Mes chers collègues, l’État, gardien de la cohésion nationale et de l’intérêt général, doit conserver, à côté de la région, un droit de regard sur l’affectation des fonds européens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il est parfois nécessaire de défendre l’État, car c’est aussi servir la collectivité nationale et l’intérêt du pays !
Je n’évoquerai pas les regroupements de régions ou de départements qui sont envisagés. Monsieur le secrétaire d'État, il s’agit là d’une boîte de Pandore, d’une évolution propice à toutes les dérives plus ou moins « ethnicistes » – je n’en donnerai aucun exemple –, que vous pourriez bien regretter un jour d’avoir engagée !
Nos concitoyens de Corse l’avaient bien compris lorsqu’ils avaient refusé par référendum, en 2003, la fusion des départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. Mes chers collègues, ce précédent devrait vous inciter à réfléchir aux projets de fusion envisagés, concernant maintes régions et maints départements !
M. le président. Mon cher collègue, veuillez conclure. Il ne vous reste qu’une minute de temps de parole, corrigé des variations saisonnières ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Je conclus, monsieur le président.
Toutes les propositions du comité Balladur ne sont pas à rejeter, loin de là : l’achèvement de la carte de l’intercommunalité, la fin des « pays », la rationalisation des syndicats de communes, approuvés d'ailleurs par la mission Belot, constituent des mesures de bon sens.
Il en va de même, selon moi, du plafonnement des effectifs des exécutifs locaux, ou encore du projet d’un « Grand Paris » (M. Philippe Dallier applaudit), l’existence d’une « ville monde » représentant un atout pour la France.
Toutefois, la réforme gagnerait à être plus pragmatique et à s’insérer dans le modèle républicain français, au lieu de vouloir à toute force lui en substituer un autre. Elle y gagnerait, en particulier, la possibilité d’un consensus qui est la condition même de son succès ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Je voudrais tout d’abord, monsieur le président, remercier mes collègues Hervé Maurey et Philippe Adnot, qui ont accepté de me laisser parler avant eux. C’est qu’ils savent que je réside dans la France profonde et que cinq heures de train séparent la Haute-Loire de Paris. (Sourires.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, reconnaissons que la réforme qui nous est proposée est conforme à l’image de la forte personnalité de la Ve République qui préside ce comité.
Elle est empreinte de noblesse et de sagesse, de respect de l’existant. Oui, chers collègues, cette évolution républicaine aura indiscutablement, si elle reste en l’état, l’image d’une réforme respectueuse d’un existant institutionnel à prendre en compte, à ménager, si j’ose dire, à préserver, mais aussi à regarder avec sagesse et objectivité.
Reprenant des propos de l’ancien Président de la République François Mitterrand, je dirai qu’il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l’avenir.
Certes, il y a des orientations, des priorités ; l’une d’elles concerne les compétences dévolues à chaque collectivité et vise à éviter une dilution des compétences du fait de leur partage à différents niveaux de l’organisation. Des propositions vont dans le sens d’une nécessaire amélioration, ce qui est très bien.
La France compte aujourd’hui plus de 36 700 communes, la moyenne européenne étant de 5 407. Si les communes, sur lesquelles je centrerai un propos aussi synthétique que possible, n’existaient pas, je crois qu’il faudrait les inventer car, comme vous le savez, elles sont l’incontournable structure de proximité voulue par les Français.
Cela étant, leur pérennité est liée à une raison d’être. Un maire, et je parle ici sous le contrôle de tous nos collègues qui sont les premiers magistrats de leur commune, ne doit pas être réduit au rôle d’officier d’état civil, de président d’association ou de policier ; il est l’incarnation même du lien social, il est incontournable.
Plus que jamais, il doit, par sa compétence, sa tolérance, son écoute, être un rassembleur. Aujourd’hui, il ne doit pas seulement être un bâtisseur d’équipements, il doit aussi être un élu social. Il doit conduire une équipe qui apporte à la commune une réponse à ses aspirations d’aujourd’hui. Aucune autre structure n’identifiera mieux l’homme à son lieu de vie que la commune.
Une commune doit donc rester une commune.
Qui mieux qu’un maire connaît les moindres recoins de sa commune ? Qui bénéficie d’une vraie vision d’ensemble, si ce n’est le maire ? Voulons-nous, demain, fonctionnariser encore plus la relation entre les collectivités et les usagers, les territoires et les citoyens ?
Dans son soutien, l’État doit aussi tenir compte de l’espace à gérer, car même les plus petites communes de la France profonde ont des kilomètres de voies communales, de chemins ruraux, de fossés, sans parler des lieux de vie à équiper.
Les communes sont et doivent rester un service public incontournable. Venant de l’une de ces petites communes de la France profonde, je peux affirmer que, dans certaines zones, elles seront le dernier bastion au service des concitoyens.
Oui, comprenons la France d’en bas, car elle est nécessaire à la France tout court.
Les dernières étapes de la décentralisation ont confié aux départements des compétences nouvelles : ils doivent les garder, avec des moyens appropriés. Il ne faut pas qu’ils soient victimes des décisions d’en haut, car nous savons qu’il est plus facile d’être prescripteur que payeur.
Pour l’ensemble de cette pyramide, n’oublions pas, monsieur le secrétaire d’État, que la simplification doit être notre mot d’ordre. En tant qu’élu du département du Cantal, vous en êtes, je le sais, convaincu. (M. le secrétaire d’État opine.)
Malgré la volonté exprimée depuis des années, les résultats sont difficiles à obtenir.
Reconnaissons que le « millefeuille administratif » existe toujours et que la réalisation des projets impose un vrai parcours du combattant, aux obstacles successifs et parfois désespérants.
En conclusion, afin que la décentralisation soit cohérente, complémentaire, efficace, il faut que les représentants de l’État dans les départements aient aussi le pouvoir d’adapter les réformes dans un souci de réalisme.
Cette complémentarité me semble indispensable.
Il me semble également que ce projet doit être rassembleur, car, si les majorités changent, mes chers collègues, la France…
M. François Patriat. … demeure !
M. Jean Boyer. … continue.
Au moment d’achever mon propos, je songe à un autre Président de la République, le plus glorieux des Français, qui déclarait en 1961 : « Il ne faut jamais regarder l’avenir avec les yeux du passé. » Ensemble, regardons la France de demain ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, faut-il réformer l’organisation territoriale de la France ? Oui, dans une certaine mesure, car tout ne va pas parfaitement bien. Y a-t-il urgence à le faire ? Sûrement pas, et ce pour deux raisons.
Plongée dans la crise financière, économique et désormais surtout sociale, la France doit avoir une seule priorité : lutter contre la crise et faire en sorte que les dégâts sociaux soient le moins graves possible. Pour cela, toutes les solutions doivent être trouvées, y compris les moins orthodoxes.
C’est là ce que les Français attendent de la politique. S’il doit y avoir innovation, dynamisme et inventivité, c’est d’abord dans ce domaine. Voilà pour la première raison.
La seconde raison vient de ce que le système mis en place par la gauche sous l’impulsion de François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre a fait la preuve de son efficacité, j’y insiste, car telle était la motivation première de Gaston Defferre constatant que la France centralisée était menacée d’apoplexie par l’hypertrophie parisienne.
Efficacité, donc. Et qui dirait aujourd'hui, même parmi ceux qui se sont opposés, quelquefois violemment, à cette réforme majeure, que ce ne fut pas une réussite ? Chaque fois que l’État a confié une mission aux collectivités territoriales, que ce soit aux départements ou aux régions, elles l’ont exercée mieux, et souvent beaucoup mieux qu’il ne le faisait lui-même, et souvent à un coût bien inférieur, n’en déplaise à ceux qui désormais, et sans preuve aucune, se complaisent à dénoncer une prétendue gabegie.
Efficacité et, si possible, mais seulement si possible, lisibilité accrue. Seulement si possible, parce que ce qu’attendent nos concitoyens, c’est un service bien fait.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jean-Claude Peyronnet. Si leurs ordures sont ramassées, et ce à un coût raisonnable, ils ne cherchent pas à savoir par quel meccano complexe la collecte est effectuée. Elle peut l’être, par exemple, par un syndicat départemental, qui les incinère dans une usine financée par la ville-centre avec le concours du conseil général, les déchets ultimes étant enfouis dans une décharge contrôlée et financée par le département et, éventuellement, l’Europe.
L’important est que cela marche.
Certes, le citoyen peut heureusement demander des comptes et souhaiter qu’on lui démonte ledit meccano, notamment du point de vue financier. C’est bien sûr toujours possible, mais, je le répète, c’est la qualité du service qui prime.
Cela marche généralement si bien que la majorité des Français trouvent cela parfaitement naturel. Autrement dit, nous ne sommes pas à Naples !
Quant aux compétences de l’État transférées – action sociale, lycées et collèges, culture et sport, routes, transports, notamment ferrés, urbanisme, et j’en passe –, qui prétendrait actuellement que l’État ferait mieux et que, globalement, les missions ne sont pas bien assurées?
Alors, de grâce, ne cassons pas un tel outil !
La réforme pour le plaisir de réformer n’a pas de sens, à moins que des arrière-pensées politiques ne président à cette volonté. Le Président de la République en avait bien une : celle de modifier le système avant 2011 pour en tirer un bénéfice électoral.
M. Dominique Braye. Non… pas ça !
M. Jean-Claude Peyronnet. Sagement – mais pouvait-il faire autrement, sachant que la moitié des conseillers généraux sont élus pour un mandat ne prenant fin qu’en 2014 ?–, le comité Balladur a précisément renvoyé la réforme essentielle à 2014, ce qui est proche, mais laisse largement le temps de la réflexion.
C’est ce que la mission mise en place par le Président du Sénat a décidé de faire : donner du temps au temps et, contrairement au comité Balladur, que la lettre de mission avait enfermé dans un calendrier contraint, examiner sereinement, après de très larges auditions, les conditions d’une éventuelle adaptation de notre organisation territoriale en avançant autant que possible vers le consensus.
Nous en approchons, malgré la précipitation résultant de la commande élyséenne initiale, mais il reste des points de divergence majeurs, comme cette affaire de l’absorption-fusion des départements et des régions au terme d’un système électoral confus que je trouve, pour ma part, inadapté et dangereux.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. On supprime le scrutin uninominal pour les conseils généraux, alors que je le considère comme consubstantiel à leur mission de proximité. On « cantonalise » le scrutin régional, alors que, du fait de ses missions, la région doit au contraire s’éloigner des contingences trop triviales pour définir de grands objectifs, des orientations, programmer à long terme, établir des prévisions et des schémas prospectifs.
Enfin, il résulterait de ce nouveau système que le seul élu au scrutin direct uninominal serait le député, qui se trouverait fâcheusement en compétition de coupage de ruban et de repas du troisième âge avec sept ou dix conseillers territoriaux derrière lesquels il ne manquerait pas de s’épuiser à courir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Si c’est tout ce que l’on a trouvé pour assurer la présence de députés à Paris dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, c’est raté !
En fait, le comité Balladur, malgré la qualité indiscutable de son président, a produit un rapport - il nous faut bien en parler - entaché d’un vague parisianisme qui n’est que l’avatar d’une pensée toute faite et d’un manque d’expérience de terrain l’éloignant des réalités. Or que sont les réalités sinon le poids de l’histoire et de la géographie ?
On connaît bien sûr par cœur le processus historique qui a conduit très tôt à l’État centralisé que nous avons connu. Des Capétiens à Napoléon, tous les pouvoirs centraux ont poursuivi la même fin. Que le préfet et, surtout, l’instituteur prêchent pendant quarante ans l’unité guerrière et le massacre de 1914 parachève dans le sang l’épanouissement d’un nationalisme qui prétend faire que les Français pensent tous uniformément, et qui y réussit presque. Certes, bien des nuances existent encore dans cette unité apparente, mais les différences culturelles interrégionales n’ont tout de même rien à voir avec les réelles divergences qui, dans les autres pays, opposent les Catalans aux Basques et aux Sévillans, ou encore les Lombards aux Calabrais, pour ne prendre que ces seuls exemples.
De ces histoires divergentes, il est ressorti des structures territoriales très différentes.
Nos régions sont pour la plupart artificielles. Celles de nos voisins, qui furent des principautés, des républiques et des monarchies, ont une identité réelle et profonde, assise sur la culture et sur une unité économique véritable. Toutes – Turin, Milan, Munich et tant d’autres que je ne citerai pas – ont un passé de capitale, de centre administratif et politique assumé pendant des siècles, de centre économique régional au cœur d’un réseau de villes dense, de centre de rayonnement intellectuel international.
Négliger ces réalités aboutit à de petits crimes contre l’Histoire, qui ne seraient pas graves s’ils n’avaient pour résultat le colportage d’idées trop simples, et donc fausses.
Première idée fausse, la taille ferait la puissance. Décomptant les Lombards, on projette le regroupement de régions françaises pour qu’elles atteignent une prétendue taille critique de trois ou quatre millions d’habitants, mais ce regroupement ne change rien à l’immense espace à gérer, à l’absence de réseau urbain, à l’éclatement de la vie économique et, surtout, au poids toujours prégnant de la capitale parisienne, dont – j’attire votre attention sur ce point – le TGV, puissant outil de centralisation, accentue encore la puissance.
La deuxième idée fausse, ou trop simple, est celle des vertus du statut. Ainsi, il suffirait d’une réforme administrative créant des métropoles à statut particulier pour que, tout à coup, la dignité qui leur serait offerte par le plein exercice leur donne puissance et rayonnement. Cependant, la puissance, c’est d’abord l’économie, et donc l’attractivité, liée elle-même à la puissance financière et au nombre de sièges sociaux de grandes sociétés.
Il est vrai qu’il existe quatre, cinq ou six grandes métropoles en France, comme le disait tout à l’heure M. Mercier. Je suis tout à fait d’accord pour le reconnaître, mais en quoi leur donner la compétence d’action sociale et de sécurité civile va-t-elle les renforcer dans la compétition européenne ? Ce qu’il leur faut, c’est une réelle marge de manœuvre, des moyens puissants en matière économique et une grande liberté d’action dans tous les domaines, y compris dans ceux éventuellement délégués – mais non pas transférés - par convention ou contrat volontaire passé avec la collectivité départementale ou régionale.
J’ai d’ailleurs noté que, plutôt que d’imposer, M. Balladur semblait, lors de son audition, s’orienter désormais vers la solution du contrat négocié.
Troisième idée fausse, la suppression d’un niveau - ou de deux niveaux - serait gage de plus d’efficacité et d’économies.
Outre qu’il ne faut pas trop jouer avec le sentiment anti-élu de nos concitoyens – je parle du nombre d’élus, éventuellement de leurs indemnités et des économies qui pourraient être réalisées –, on peut « tordre le cou » rapidement à cette dernière idée en observant que la réduction du nombre d’élus territoriaux proposée par le comité Balladur – 2 000 de moins par rapport au nombre actuel de conseillers généraux et régionaux – aboutirait à une économie de l’ordre de 30 millions d’euros, soit 0,03 % des 91 milliards d’euros de dépenses des deux catégories de collectivités concernées…
Quant au prétendu « millefeuille », il se retrouve partout en Europe, et le comité Balladur ajoute même une feuille avec les métropoles, qui, si elles devaient exercer des compétences, exerceraient toutes celles des conseils généraux.
Belle simplification, en effet !
Au demeurant, je prétends que cette construction aboutirait à une France paralysée et à une pagaille généralisée.
De quoi s’agit-il ? Le comité Balladur a bien identifié le réel problème, qui tient au nombre très élevé de communes. Après l’hommage rituel rendu aux vertus des élus locaux, et au lieu de chercher à faire que cette situation constitue une chance, nos grands sages s’orientent vers une suppression de l’échelon communal.
M. Dominique Braye. Mais non !
M. Jean-Claude Peyronnet. Il s’agit bien de cela avec les « métropoles », telles qu’elles sont définies dans le rapport Balladur, et non telles qu’elles le sont par notre mission,…
M. Jean-Claude Peyronnet. … puis avec les agglomérations – là est bien le problème ! –, puis avec toutes les communautés regroupées qui deviendraient des « communes nouvelles » élues selon le « système PLM », dirigées par un « super conseil communautaire », lui-même présidé par un « super maire » et ne gardant guère comme compétences – cela est expressément précisé dans le rapport Balladur – que l’état civil et la police, qui sont des missions régaliennes, et la délivrance des permis de construire, ce sur la base – j’attire votre attention sur ce point, mes chers collègues – d’un règlement d’urbanisme défini non par la commune, mais par la « commune nouvelle ». (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Pour faire bonne mesure, après l’hommage au travail qualifié de « remarquable » des départements, le comité les supprime à petit feu en transférant toutes leurs compétences aux métropoles, puis aux agglomérations qui voudraient avoir le même statut particulier et pourquoi pas, ensuite, à toutes les communautés.
Le système qui ferait du département une simple division administrative de la région dont il serait l’exécutant – le département ne lèverait plus d’impôt à terme -, et qui ne garantirait aucune cohérence dans un espace vaste mêlant, comme actuellement, urbain et rural, le système qui s’établirait forcément sur la compétition généralisée, qui supprimerait de fait la péréquation et l’équilibre des territoires que les départements sont les seuls à assurer tant bien que mal, oui, un tel système serait, à mon sens, et à l’évidence, une régression.
Qui ne voit, d’ailleurs, qu’il serait à peu près inapplicable, car étalé sur dix ou vingt ans, ce qui, en attendant la mort des départements, rendrait la vie administrative de nos concitoyens tellement éclatée qu’elle serait impossible ?
Beaucoup plus sagement, la mission du Sénat préconise une reconnaissance du fait métropolitain, en le limitant en nombre et en lui attribuant des compétences négociées par voie contractuelle.
Qui est le plus réformateur ? Celui qui préconise un bouleversement cataclysmique avec pour objectif une reconstruction dont la fonctionnalité est à démontrer, ou celui qui, partant des réalités profondes, s’accommode des contraintes et propose des retouches ?
Nous en sommes au rapport d’étape : autrement dit, à notre rythme, la réflexion se poursuit et la discussion entre nous également, je veux dire entre les composantes politiques de notre assemblée, mais aussi sûrement à l’intérieur même de ces composantes.
À gauche, au parti socialiste en tout cas, nous avons sûrement à approfondir nos positions sur le mode d’élection départemental, comme sur le rôle des métropoles.
Nous avons tous à clarifier nos idées sur ce qui est sans doute l’essentiel, et le moins traité, à savoir la réforme fiscale.
À droite, mes chers collègues, vous avez à gérer le mode d’élection fusionné des conseillers territoriaux et ses conséquences. Je crois savoir que cela fait débat chez vous, et on le comprend, car cette disposition est un élément du processus de disparition du département.
Sachez en tout cas que son adoption constituerait pour nous un point de rupture.
Monsieur le président, mes chers collègues, la mission a fait un bon travail. Elle réaffirme les principes de libre administration des collectivités territoriales et, par voie de conséquence, l’interdiction d’une tutelle de l’une sur l’autre.
Elle définit de façon claire les missions des départements et des régions. Elle clarifie parfaitement l’instruction des dossiers entre collectivités. Elle sauvegarde les communes tout en favorisant l’intercommunalité. Elle rejette le principe de l’impôt unique dédié à une seule collectivité. Elle conserve un « impôt ménage » rénové et un impôt lié à l’activité économique sur des entreprises bien implantées dans les territoires. Enfin, elle préserve la clause générale de compétence des différents niveaux de collectivité, qui est le fondement même de leur liberté.
Je suis bien conscient que, par-delà les grands principes qui peuvent susciter un quasi-consensus, le travail sera encore plus ardu lorsque nous entrerons dans le détail. Cependant, jusque-là, la mission a fait un travail réaliste, susceptible d’améliorer le fonctionnement de la France décentralisée.
Certes, il demeure quelques points qui mériteraient d’être amendés. Ainsi l’idée de compétences exclusives qui débouche sur la tutelle serait-elle avantageusement remplacée par celle de compétences obligatoires. Il faut y penser.
Malgré tout, je crois pouvoir dire que le groupe socialiste se retrouve de façon largement majoritaire dans l’essentiel de ces propositions.
Il me reste encore quelques secondes de temps de parole, que je mettrai à profit pour citer un auteur que j’aime beaucoup – et ce n’est pas pour moi faire de la basse politique ! –, à savoir François Mitterrand. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
Je rapporterai les propos qu’il avait tenus alors que, Président de la République en déplacement à Montpellier, en juin 1985, il se souvenait avec nostalgie de sa mission ancienne d’élu local, rendant ainsi hommage à tous les élus locaux, et pas seulement départementaux : « Je suis resté, je vous l’ai dit, très attaché à ces fonctions. Ma carrière de président du conseil général a été brisée en 1981, d’une certaine façon... Je ne veux pas faire de coquetterie, mais vraiment j’ai ressenti comme une sorte de manque. Maintenant, quand je vais dans mon département, j’y suis invité et j’y vais souvent ; cela m’est quelquefois pénible, car ces fonctions de président du conseil général sont celles qu’il m’a été le plus pénible de quitter : c’étaient 250 000 habitants et, ces 250 000 personnes, on peut dire que je les connaissais, je savais comment elles étaient, je savais comment étaient leurs parents, je savais comment réagissaient leurs enfants. On avait un compagnonnage de vie. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la brièveté du temps de parole qui m’est imparti m’oblige à aller à l’essentiel. Je vous prie donc de bien vouloir excuser un propos un peu lapidaire.
Mes chers collègues, l’heure est grave, car les réformes qui sont envisagées ne le sont pas toujours pour de bonnes raisons ; selon moi, un certain dogmatisme préside, car des choix sont énoncés avant même que les rapports aient été remis. Je ne parle pas du rapport de la présente mission sénatoriale, document que j’apprécie, même si je n’en partage pas toutes les conclusions.
Ainsi, on nous a annoncé par avance qu’il y aurait l’intercommunalité et les régions, que les couples étaient déjà formés. Je conteste, pour ma part, l’idée que la commune et l’intercommunalité puissent former un couple, puisque la commune et l’intercommunalité, c’est la même chose, la seconde étant le prolongement de la première. Or, que je sache, il faut deux personnes pour former un couple !
Selon moi, le véritable acteur de solidarité avec les communes, c’est le département. En revanche, il est nécessaire, pour garantir l’unité de la France, de former un couple constitué cette fois de l’État et de la région. Je rappelle que, d’ailleurs, les contrats de plan étaient conclus entre l’État et la région.
M. François Patriat. Très bien !
M. Philippe Adnot. On a dénoncé les coûts, la complexité, les financements croisés, mais ces analyses traduisent bien souvent, en réalité, une véritable défiance vis-à-vis des élus et des collectivités locales, et sont de ce fait mauvaises.
Oui, l’heure est grave, car il se pourrait que les effets des réformes annoncées soient à l’opposé de ceux qui sont escomptés.
Appliquer les conclusions du comité Balladur entraînerait, de mon point de vue, une augmentation de la dépense publique.
M. Charles Revet. C’est sûr !
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. C’est évident !
M. Philippe Adnot. Il est reproché aux petites communes d’être coûteuses, mais qui osera m’affirmer que faire accomplir par des cohortes de salariés la multitude de tâches qu’assurent aujourd’hui bénévolement, donc gratuitement, tous les conseillers municipaux permettra de réaliser des économies ?
Dans les préconisations du rapport Balladur, il est question de confier à des métropoles un certain nombre de fonctions actuellement dévolues aux départements. Cela signifie qu’il y aurait dédoublement des structures : il faudrait une structure chargée du social au sein de la métropole et une autre à l’échelon des communes, puisqu’il ne saurait y avoir de tutelle de l’une sur les autres. La dépense augmenterait à coup sûr, sans parler de l’éloignement des centres de décision et de la sclérose des initiatives qui seraient à déplorer si, demain, les régions et les départements perdaient la clause générale de compétence, dont on sait qu’elle est la clé de la réussite des territoires parce qu’elle permet la prise d’initiatives conjointes.
Je le dis tout net : je m’opposerai, comme, certainement, nombre d’autres élus, à la relégation des communes au rang de simples personnes morales, ce qu’aucun de nos concitoyens ne comprendrait ; je m’opposerai à la perte de la compétence générale des régions et des départements, car la clause générale de compétence est un outil d’initiative, un outil de solidarité, un outil d’optimisation des structures.
Dans le département dont je suis l’élu a été construit un centre sportif départemental. Qui le ferait, demain ? L’agglomération, pour le compte de l’ensemble des communes ? Les petites communes ? La région ? Une université a également été construite, ainsi qu’une technopole, dont nous pouvons apprécier aujourd’hui les bienfaits. Qui les aurait décidées à notre place ? Nous bâtissons des zones d’activités départementales. Qui les réaliserait à notre place ?
Ceux qui ont imaginé cette réforme ne connaissent pas la réalité des territoires et ne soupçonnent pas la sclérose qui en découlerait.
Je m’opposerai à la proportionnelle mixant le conseil général et le conseil régional qui ferait des conseillers généraux des élus de seconde zone.
Je m’opposerai à l’étouffement financier qui est programmé pour les communes et pour les départements.
À quoi bon promettre aux communes de base qu’elles disposeront de la clause générale de compétence si elles ne peuvent en aucun cas la mettre en œuvre ?
À quoi bon affirmer que les départements ne seront pas supprimés si, dans le même temps, toute autonomie financière leur est retirée, de même que la capacité de s’intéresser à ce qui fait vraiment la vie du territoire qu’ils recouvrent ? Ils n’auront pas de réelle existence.
Je ne suis en revanche pas opposé à de bonnes réformes. Cependant, il faut d’abord poser des objectifs partagés.
Or, de ce point de vue, il est curieux que, dans le rapport Balladur, ne soient pas d’emblée fixés les objectifs à atteindre. Au contraire, c’est la fiscalité qui est évoquée en premier. La lecture des premières pages est tout à fait instructive : la question des moyens est traitée d’abord et avant tout, ce qui évite de parler des objectifs qui devraient nous rassembler.
Quels seraient ces objectifs partagés ?
Pour ma part, je suis pour le meilleur rapport qualité/prix dans la proximité, pour la pratique de la subsidiarité, pour le droit à l’initiative et à la libre administration. À partir de là, oui, mes chers collègues, l’intercommunalité peut être une excellente chose.
Je suis pour une intercommunalité de projets qui ne soit pas fondée sur un sur-financement du fonctionnement. Je propose, au contraire, des dotations d’équipement destinées à aider à la réalisation d’équipements collectifs réellement structurants et porteurs d’économies d’avenir.
Je suis pour une intercommunalité qui soit le prolongement de la commune, et non pour la commune prolongement de l’intercommunalité.
Il est, selon moi, tout à fait possible de réformer le mode d’élection des conseillers généraux et de redessiner la carte des cantons dans le respect d’un équilibre entre les hommes et les territoires qui ne soit pas nécessairement le même partout.
Il est, selon moi, tout à fait possible de garder le système uninominal en milieu rural et d’instaurer l’élection à la proportionnelle en agglomération sans pour autant risquer le reproche d’inconstitutionnalité.
Il est d’ailleurs assez drôle de relever que ceux qui nous disent qu’un tel système n’est pas possible le prévoient expressément pour l’intercommunalité, puisqu’il y aurait des délégués communautaires élus à la proportionnelle à partir de 500 habitants, les autres, en dessous de ce seuil, étant élus au scrutin uninominal. Pourquoi ne pas le faire aussi à l’échelon du département ? L’argumentation n’est guère crédible.
Il est, selon moi, tout à fait possible de supprimer les financements croisés obligatoires. Toutefois, je suis de ceux qui estiment que les financements croisés sont une bonne chose, quand ils sont volontaires.
M. Michel Mercier. Tout à fait !
M. Philippe Adnot. Nombre de réalisations n’auraient pas été possibles sans l’association volontaire. Il n’y a pas que du mauvais dans les financements croisés.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Philippe Adnot. Ce sont les financements obligatoires qui sont mauvais ; les financements volontaires, eux, supposent que l’on se rassemble en s’accordant sur un projet commun. Ce faisant, on réussit à tirer le meilleur parti de toutes les énergies.
Dans mon département, la réalisation du chantier de l’université a ainsi recueilli des financements de l’État, de la région Champagne-Ardenne, de l’agglomération, de l’Europe et même de la région d’Île-de-France. Si tout le monde a accepté d’apporter son écot, c’est tout simplement parce que nous avons su convaincre les uns et les autres de la qualité de ce projet et de l’utilité de le porter ensemble.
Ceux qui pensent que les financements croisés sont compliqués à mettre en œuvre ne connaissent sans doute pas l’existence des nouvelles technologies ! Le système que, pour notre part, nous avons mis à la disposition de l'ensemble des communes leur permet d’agir extrêmement rapidement et de ne plus avoir à monter des dossiers compliqués.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en la matière, point n’est besoin de faire des textes de loi pour travailler avec intelligence !
À mon avis, même si l’autonomie est absolument indispensable, il est possible de mettre en place une fiscalité locale intéressante et de l’encadrer par un plancher et un plafond, car ceux qui ont permis certaines dérives en matière de taxe d’habitation ou de taxe professionnelle ont nui à la fiscalité locale.
En outre, il importe d’éviter une spécialisation à outrance des impôts, porteuse de nombreux risques.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Adnot.
M. Philippe Adnot. Et que l’on ne nous dise pas que la feuille d’impôt est aujourd'hui complexe : il n’y a rien de plus facile à lire ! Les taux d’imposition pratiqués par les différentes collectivités y sont mentionnés, ce qui permet de connaître l’évolution de chacun d’eux.
En revanche, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous mets au défi de trouver un citoyen qui sache assez s’y retrouver en matière de TIPP ou de TSCA pour savoir quelle collectivité bénéficiera de quoi. La fiscalité que l’on nous propose sera, dans ces cas-là, totalement illisible pour nos concitoyens.
À cet égard, la vignette était un bon impôt local, parce que, justement, elle correspondait à un usage précis.
Au vu de la situation actuelle, qui ne mérite pas que l’on se divise sur l’accessoire, sachons, mes chers collègues, nous rassembler sur l’essentiel. J’espère que nous y parviendrons ! (Applaudissements sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
(M. Roland du Luart remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention viendra compléter celle de mon collègue Jean-François Voguet.
Les collectivités territoriales répondent aux multiples besoins de leurs habitants grâce aux services qu’elles organisent. Aujourd’hui, en cette période de crise, tout le monde reconnaît qu’elles jouent encore plus le rôle d’amortisseur pour une population durement touchée.
Pourtant, les collectivités territoriales voient leurs capacités se réduire au fil des années, les compétences transférées n’étant toujours pas complètement compensées depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
L’autonomie financière inscrite dans la Constitution est mise à mal.
Les élus et leurs associations font de façon quasi unanime le même constat : pour remplir leurs missions, les collectivités ne peuvent pas vivre au jour le jour, il leur faut des ressources pérennes.
C’était la base du contrat de croissance et de solidarité. Mais la loi de finances pour 2009 y a mis totalement fin. Le remboursement de la TVA a été inclus dans l’enveloppe normée. Et, cerise sur le gâteau, après avoir fortement diminué son évolution en la bloquant à 3,5 % de la valeur ajoutée et supprimé la cotisation sur les nouveaux investissements, le Gouvernement programme, aujourd’hui, la suppression définitive de la taxe professionnelle, après la déclaration en ce sens du Président de la République.
L’asphyxie des finances locales est inacceptable. Comme le disait l’un de nos collègues, c’est véritablement l’intercommunalité qui est mise en cause, notamment celle à taxe professionnelle unique.
M. Dominique Braye. Mais non !
Mme Marie-France Beaufils. Pourtant, l’importance économique de l’intervention des collectivités a été reconnue par le Président de la République lui-même dans le cadre du plan de relance : 73 % des investissements publics, soit environ 46 milliards d’euros par an, ce n’est pas négligeable ! Elles parviennent à maintenir ou à créer, par les travaux ou les achats qu’elles réalisent, près de 850 000 emplois dans la sphère privée, ce qui est également significatif.
S’il y a besoin d’une réforme, elle doit être fondée sur des principes clairs, en fonction du rôle que l’on veut faire jouer aux collectivités. Il faut permettre à leurs conseils de répondre aux besoins des hommes et des femmes qui les ont élus et de contribuer à la réduction des inégalités entre les populations, entre les territoires.
Dans le débat actuel, nous avons beaucoup entendu parler de gaspillage, de dépenses inutiles, de manque de transparence. En réalité, tout cela est fait pour préparer les esprits à d’importants changements.
La mise en cause des financements croisés en est la parfaite illustration. Si, pour réaliser un équipement dans la commune ou sur le territoire de la communauté de communes, un maire ou un président d’EPCI fait appel au conseil général et au conseil régional, c’est tout simplement parce que les recettes dont il dispose sont insuffisantes ! Ensuite, ces collectivités sont libres de choisir d’apporter ou non leur contribution. C’est en cela aussi que la clause générale de compétence de ces collectivités me semble essentielle.
Toutefois, je tiens à le rappeler, les financements croisés les plus fréquents sont ceux que l’État exige lui-même. C’est lui qui, peu à peu, a considéré que les communes sur lesquelles étaient implantés les sièges des universités devaient contribuer à leur financement. C’est lui qui a, ensuite, sollicité les conseils généraux et régionaux.
L’un de nos collègues l’a souligné tout à l’heure, c’est la même démarche qui est engagée aujourd’hui par le Gouvernement pour le financement de la nouvelle ligne du TGV Aquitaine.
Redéfinir les compétences et les ressources qui y sont associées est donc indispensable. Mais la proposition du comité Balladur de fixer un « objectif national d’évolution de la dépense locale » ne peut être acceptée, sauf à considérer, tout simplement, que nos collectivités territoriales sont devenues des prestataires chargés de mettre en œuvre les politiques décidées par le Gouvernement, ce qui serait totalement contraire au rôle que la Constitution leur reconnaît.
Nous ne partageons pas ce choix de vouloir, à n’importe quel prix, réduire les dépenses publiques et, ce qui va de pair, les services publics.
Réduire les services publics pour les transférer au privé, et ainsi faire payer plus les usagers, c’est diminuer le nombre de ceux qui pourront y avoir accès.
Culpabiliser les collectivités pour les faire contribuer au respect par la France des critères de Maastricht, alors qu’elles gèrent leur budget dans un parfait équilibre, n’est pas admissible.
Accuser les collectivités d’aggraver le déficit public, alors que des milliards d’euros sont accordés aux banques, alors que les allégements fiscaux sur les plus hauts revenus et les réductions des charges sociales ont mis à mal les équilibres financiers du budget de l’État, c’est faire de nos collectivités des boucs émissaires et se dispenser d’une analyse objective de l’efficacité réelle de ces mesures.
À notre sens, ces choix sont catastrophiques pour l’avenir.
Nous ne disons cependant pas que tout doit rester en l’état.
Ainsi, voilà quelque temps, nous avons déposé une proposition de loi pour moderniser, et non supprimer, la taxe professionnelle. C’est en effet le seul impôt qui établit un lien direct entre l’entreprise et son lieu d’implantation. Supprimer cette taxe, ce serait remettre fondamentalement en cause ce lien.
Les investissements en infrastructures, les dépenses d’éducation, les dépenses sociales, culturelles et de loisirs – je pourrais en citer bien d’autres ! – sont déterminantes pour le bon fonctionnement des entreprises, pour la vie de leurs salariés et leur formation.
Ces dépenses justifient, à elles seules, une participation financière obligatoire des entreprises au financement des collectivités.
Les mesures que nous avons prônées par le biais de notre proposition de loi permettraient de donner de nouvelles capacités aux collectivités. Voilà quelques années, Jean-Paul Delevoye, évoquant les difficultés des collectivités territoriales, rappelait qu’il n’avait pas été tenu compte de l’évolution économique pour prévoir celle de la taxe professionnelle. Ainsi s’exprimait-il : « L’économie est devenue principalement aujourd’hui une économie de services et financière. Or cette sphère est notoirement sous-fiscalisée ».
En 2004, avec les services de l’État, nous avions constaté que, pour les activités du secteur financier, la taxe professionnelle pesait 1,7 % de la valeur ajoutée, contre 5,6 % pour le secteur de l’énergie.
Les actifs financiers des grandes entreprises représentaient, en 2006, quinze fois le budget de la nation, vingt fois ceux des collectivités locales, plus de deux fois notre PIB ! Les entreprises du CAC 40 ne sont pas en difficulté, puisqu’elles ont dégagé 75 milliards de bénéfices en 2008. Taxer ces actifs financiers à un taux, modeste, de 0,5 % ne ruinerait pas les entreprises, notamment celles du CAC 40. Ces actifs sont tirés du travail et de l’activité des entreprises.
Une telle taxation permettrait de faire contribuer davantage les entreprises les plus riches, plutôt que les PME et les artisans, et offrirait à nos collectivités une nouvelle ressource potentielle.
Elle pourrait alimenter un fonds de péréquation national. Sa répartition serait réalisée sur la base de critères incluant les charges réelles des collectivités territoriales, prises, bien évidemment, dans leur diversité. Ce serait un élément moteur d’une péréquation régénérée.
Cette proposition doit être étudiée en toute objectivité dans le cadre de la réflexion menée actuellement sur le financement des collectivités territoriales. Elle permettrait également de réduire le poids de la pression fiscale sur les ménages. L’impôt se doit d’être un outil efficace de justice et de solidarité. Malheureusement, la fiscalité des ménages, notamment la fiscalité locale, en est la démonstration contraire. Il nous faut donc travailler sur ce sujet, afin que la taxe d’habitation et la taxe foncière tiennent mieux compte des revenus réels des ménages.
Si une réforme doit être engagée, il importe de le faire dans l’optique de mieux répondre aux besoins des populations. La mission dispose d’un peu de temps encore pour travailler sur ces questions, et nous aussi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Cher président Belot, c’est un vrai bonheur pour moi que de pouvoir remercier aujourd’hui la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales de son œuvre collective, d’autant que, après trente années de mandat local, j’ai moi-même eu la chance de participer aux travaux du comité Balladur.
Je vous exprime doublement ma gratitude car, au travers de ce rapport d’étape, vous et vos collègues avez su montrer une bonne compréhension des collectivités locales et exposer une prometteuse stratégie de réforme. Encore faudra-t-il aller jusqu’au bout de votre démarche, mais il vous reste du temps puisque la mission doit achever ses travaux au mois de mai.
On dit souvent que les collectivités territoriales, de nos jours, dépensent beaucoup ; certes, elles consomment plus de 11 % du produit intérieur brut. Mais, monsieur le secrétaire d’État, elles produisent aussi de l’offre territoriale, sans laquelle il n’y aurait ni logement ni activité commerciale ou industrielle.
Bien plus, elles produisent de la fluidité territoriale et favorisent ainsi l’élargissement des bassins de vie, sans lesquels les salariés n’auraient aucune perspective de promotion de carrière.
Plus important encore, elles produisent de la cohésion sociale : ce sont elles, qui, au quotidien, sont au contact de nos concitoyens ; ce sont elles qui, aux yeux de ces derniers, incarnent les pouvoirs publics. C’est sans doute la raison pour laquelle, plus que l’État, elles sont, c’est vrai, amenées à apporter immédiatement des réponses et, par là même, contraintes d’augmenter leurs dépenses. Elles le font dans un contexte d’équilibre budgétaire. Cela a été rappelé à juste titre, tant, sur ce point, il y a une parfaite convergence de vues entre la mission sénatoriale et le comité Balladur.
Cher président Belot, je vous sais gré également d’avoir privilégié la recherche du consensus. Sur le terrain difficile des collectivités locales, nous n’arriverons à faire bouger aucune ligne si, les uns et les autres, nous n’avons pas, d’abord, la culture de la compréhension.
À mon collègue et ami Philippe Adnot je dirai que, si les quatre minutes qui me sont imparties ne me permettent pas de répondre à l’ensemble de ses objections, nous aurons le temps, tout au long de ces semaines, de dissiper certains malentendus.
C’est bien le souci d’assurer une compréhension réciproque et de rechercher, si possible, le consensus qui a animé non seulement les membres de la mission, mais aussi ceux du comité. Telle fut la tonalité des interventions, et c’est la raison pour laquelle M. Balladur a souhaité que le comité procède à des votes séparés sur les différents points.
Pour autant, il ne s’agissait pas de parvenir à un consensus à n’importe quel prix. Non au « robinet d’eau tiède », oui au consensus qui permet de progresser !
À l’évidence, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons le devoir de réformer. Tout ce qui est à faire est difficile. Il serait aisé de ne rien entreprendre, mais ce serait trahir tout ce qu’apporte à notre pays la mobilisation des collectivités locales.
Bien plus que de questions d’argent et de structures, il s’agit surtout de l’adhésion de citoyens actifs à un projet collectif.
La France n’est pas la seule addition de ses collectivités locales. On peut être girondin et reconnaître que la République est aussi un projet collectif. Sans la mobilisation de nos compatriotes en faveur de la qualité de la vie et du patrimoine, naturel et historique, rien ne peut se faire. Mais, dans cette société où l’égoïsme l’emporte, les collectivités locales sont le plus souvent à l’origine de la difficile reconstruction du tissu de la solidarité.
Ce projet collectif passe donc d’abord et avant tout par les collectivités locales, car elles ont cette simplicité d’accès que n’ont plus, hélas, nos administrations d’État.
Je ferai deux remarques pour comparer et rapprocher les travaux du comité Balladur et ceux de la mission temporaire.
Il y a des points sur lesquels l’accord est total et qui nécessitent une simple consolidation. Je vais les évoquer rapidement.
Pour ce qui est de l’intercommunalité, le comité Balladur en demande la généralisation. La mission formule quant à elle le vœu – et nous vous le demandons également, monsieur le secrétaire d’État – qu’elle devienne un impératif absolu.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Longuet. C’est toute la différence entre les deux rapports.
Il faudra aussi traiter le problème de la consolidation des délégations. En effet, si la clause générale de compétence bénéficie naturellement aux communes, il faut consolider ce qui est transféré aux intercommunalités et ne « déconsolider » que dans des conditions exceptionnelles, afin d’éviter qu’une majorité ne défasse ce qu’avait engagé la majorité précédente.
Sur les métropoles, malgré tout le respect que j’ai pour le groupe de travail auquel j’ai participé et la profonde affection que je porte à Édouard Balladur, je trouve meilleure la solution proposée par la mission temporaire : monsieur Belot, vos métropoles sont moins nombreuses, mais plus importantes, et vos propositions plus prudentes, car moins contraignantes.
En réalité, les préconisations 8 et 9 devront mieux préciser, d’ici le mois de mai, les délégations qui fonderont la métropole. Il faudra mieux faire comprendre que, dans le cadre d’une métropole, certaines responsabilités sont perdues au bénéfice de l’ensemble, pour qu’il réussisse et tienne son rang.
Il me paraît cependant plus réaliste de commencer avec moins de candidats et de renoncer à affronter la réalité communale, même s’il est vrai que les délégations doivent être consolidées durablement.
Cinq points du rapport d’étape – les préconisations 10, 11, 12, 13 et 14 – portent sur les fusions. Je partage totalement le sentiment de la mission : dès lors que l’on n’impose rien, tout est possible !
M. Roland du Luart. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Les élus locaux, qui sont confrontés à la réalité quotidienne, à tous les échelons, communal, départemental mais aussi régional, seront d’autant plus allants à l’égard de projets de modification et de fusion qu’ils auront la liberté de faire plutôt que l’obligation de subir.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Roland du Luart. Cela se construit !
M. Gérard Longuet. Exactement ! Mais cela se construit non pas seulement en fonction de considérations financières – j’ai d’ailleurs appris, en travaillant au sein du comité Balladur, que l’intercommunalité avait coûté fort cher ! –, mais à partir de projets communs et d’ambitions communes, ces mêmes ambitions dont je disais tout à l’heure qu’elles mobilisent nos compatriotes autour d’un projet.
Ainsi, l’excellence de la formation professionnelle peut faire l’objet d’un projet susceptible de mobiliser nos compatriotes, alors même qu’elle n’est prévue dans aucun texte de loi.
Sur l’outre-mer, je laisserai à ma collègue Mme Michaux-Chevry le soin d’exprimer ses convictions, car elle a plus d’autorité sur ce sujet que je n’en aurai jamais.
Sur le Grand Paris, je dis à mes collègues socialistes : soyez à la hauteur de vos grands prédécesseurs !
Je vais vous faire part d’une anecdote. Il se trouve que je porte le même nom que Jean Longuet, le chef de file du courant qui a fait en sorte, lors du Congrès de Tours, que la vieille SFIO reste dans la famille socialiste, démocrate et non communiste. Maire de Châtenay-Malabry, Jean Longuet a créé, avec Henri Sellier, les cités-jardins et lancé l’idée d’un Grand Paris, en l’occurrence, à l’époque, le département de la Seine élargi pour former un seul ensemble.
Chers collègues socialistes, puisque vous gérez de nombreux départements et la Ville de Paris, soyez courageux et ne vous contentez pas d’un syndicat d’études ! Et, si le rapport de la mission temporaire évoque la nécessité de réfléchir plus avant – il n’est jamais inutile de réfléchir -, il y a tout de même un moment où il faut décider ! C’est justement le moment, car la région parisienne perd du terrain dans la bataille des capitales européennes et des capitales mondiales. Il serait bon que les responsables politiques soient à la hauteur de leurs grands anciens !
Pour en revenir à Jean Longuet, il ne s’agit que d’une homonymie (Sourires.) Je n’ai hélas ! aucun lien de parenté avec lui, mais j’ai du respect pour l’homme politique.
Il ne me reste qu’une minute et treize secondes de temps de parole.
M. le président. On peut vous en accorder un peu plus, cher collègue ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Vous êtes généreux, monsieur le président, mais je vais tenter, par respect pour mes collègues, de tenir le temps qui m’a été imparti.
Je vais donc m’attacher à traiter certains sujets qui méritent d’être approfondis et qui n’ont pas été tranchés par la mission : elle a tourné autour sans choisir de solution !
Ces sujets sont au nombre de trois.
Le premier est la clause générale de compétence, qui est fortement symbolique, et même trop symbolique, si j’en juge aux écrits de mon ami Adrien Zeller.
Nous devons revenir à des réalités simples. Le suffrage universel ne confère pas obligatoirement la compétence générale à la collectivité qui en bénéficie. Comme d’autres l’ont dit avant moi, il existe certaines réalités : les moyens financiers, les compétences et le besoin d’ordre.
Je prie les membres de la mission de bien vouloir accepter cette idée simple : compétence générale à la commune, car c’est le noyau de base, et spécialisation aux autres collectivités.
La mission a tourné autour de l’idée de spécialisation, sans aller jusqu’au bout de son raisonnement.
M. Dominique Braye. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Chers collègues, un peu de courage ! Acceptez de vous fâcher avec quelques amis (Sourires) et faisons en sorte d’éviter cette surenchère et cette compétition !
Lorsque j’étais président de région, j’ai pu prendre la mesure du gaspillage sur le terrain, notamment dans les domaines de l’action économique ou, comme Philippe Adnot l’a évoqué, de l’action universitaire. Ce gaspillage est dû à la dispersion des moyens, à la concurrence inutile et au double emploi.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Longuet. Le deuxième sujet que je souhaite évoquer concerne l’autonomie financière des collectivités locales.
Nous avons voté dans l’enthousiasme une disposition dont la pertinence mériterait d’être réexaminée. Il s’agit du principe de l’autonomie financière des collectivités locales, dont le contenu a été rappelé par le Conseil constitutionnel : des impôts dont le taux et l’assiette sont déterminés par les collectivités locales.
À une époque où l’on vit dans une commune, où l’on travaille dans une deuxième et où l’on dépense dans une troisième, quel sens peut bien avoir l’autonomie financière ?
MM. Dominique Braye et Charles Revet. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Il faut mutualiser !
Un grand pays fédéral comme l’Allemagne a su mutualiser en recourant à des recettes stables au niveau national. Je ne veux pas dire par là qu’il faut copier les Allemands, mais nous ne devons pas rester bloqués sur l’idée de l’autonomie financière. Nos compatriotes nous imposent en effet, dans la vie quotidienne, des dépenses incompatibles avec ce principe de segmentation des marchés.
M. Dominique Braye. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. L’exemple de la taxe professionnelle est à cet égard éclairant. Je pourrais rappeler ce qu’a fait Dominique Strauss-Kahn, puis Jean-Pierre Raffarin, mais ce serait trop long ....
En gros, mes chers collègues, l’État, avec la taxe professionnelle, fait payer, au travers de la TVA, de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu, par des contribuables qui ne reçoivent pas de taxe professionnelle la taxe professionnelle perçue par des communes qui en ont déjà ! Cela crée des situations surprenantes.
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Qui a obligé l’État à le faire ?
M. Gérard Longuet. Ayons l’esprit plus ouvert et mutualisons !
J’en viens au troisième sujet, qui fera l’objet de ma conclusion. Pour avoir siégé pendant seize ans au sein d’un conseil général, je peux dire que celui-ci est trop près de son clocher, mais, pour siéger au sein d’un conseil régional depuis dix-huit ans, j’ajoute que celui-là est trop éloigné des réalités.
Vous avez avancé, cher Jean-Patrick Courtois, l’idée d’un conseiller territorial. D’une certaine façon, ce poste existe dans des entreprises. Il arrive en effet que des patrons de business units mettent leur talent au service d’une entreprise et concourent au bon fonctionnement de la holding.
M. Yannick Bodin. Cela n’a rien à voir !
M. Gérard Longuet. Nous proposons, dans le même esprit, que les conseillers territoriaux soient des gestionnaires qui assureront au quotidien – le conseil général a fait ses preuves ! –, avec compétence et autorité, des prestations de proximité. Mais pourquoi diable les priver du droit de réfléchir de façon plus approfondie, sur un plus grand projet, dans le cadre régional ? C’est une affaire de nombre !
Nous avons encore trois mois pour régler ce problème, mais avec un seul élu pour la proximité, au niveau de la commune et de l’intercommunalité, et un seul élu pour le territoire, au niveau du département et de la région, croyez-moi, la République serait bien plus simple, et donc plus mobilisée au service de la réussite collective ! (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les représentants de la mission temporaire, mes chers collègues, quelques minutes ne me suffiront pas pour traiter tous les sujets contenus dans ce rapport d’étape.
Je consacrerai donc mon intervention à la seule clause générale de compétence, car elle est essentielle. Gérard Longuet, pour lequel j’ai le plus grand respect, a dit des choses fort intéressantes sur la question de la décentralisation, ...
M. Gérard Longuet. C’est un bon sujet !
M. Bruno Retailleau. ... qualifiée dans le rapport du comité Balladur de « mère des réformes ».
Il est vrai, comme l’a dit M. Peyronnet, que nous sommes les héritiers d’une tradition et que la France est un État unitaire. Cette obsession de l’unité a été partagée par les Capétiens, l’Empire et la République.
Mais, dans cet État extrêmement centralisé et jacobin, une invention française a permis de faire respirer le système : la clause générale de compétence, introduite en 1871 pour les départements et en 1884 pour les communes, et qui était la réponse française à la diversité des territoires.
En effet, cher Claude Belot, comment serait-il possible de gérer la Charente-Maritime ou la Vendée, départements littoraux, comme la Haute-Savoie, département montagneux, ou comme les Hauts-de-Seine, un département inclus – dois-je vous le rappelle, cher Philippe Dallier ? – dans le Grand Paris ? (Sourires sur les travées de l’UMP.) Ces situations diverses appellent des réponses et des traitements différents.
Il faut donc répondre à la diversité, mais aussi permettre l’innovation.
Si Pierre Mauroy avait, en 1985, prévu une liste limitative de compétences pour les départements, comment aurait-on pu faire face au désenclavement numérique ? En 1982, le numérique n’existait pas !
La clause générale de compétence est donc une réponse à la diversité des territoires, mais aussi une condition de l’innovation.
Contrairement à ce que pensent certains collègues – mais ce débat est transversal et parcourt toutes les formations ! –, remettre en cause la clause générale de compétence pour les régions et les départements, c’est remettre en cause la décentralisation, et ce pour trois raisons.
Tout d’abord, il existe deux types de décentralisation.
Il y a la décentralisation administrative : on dresse une liste limitative de compétences, l’État transfère et les collectivités territoriales exécutent les missions transférées par l’État. Cette décentralisation administrative est nécessaire et je suis, pour ma part, favorable aux blocs de compétences.
Il y a aussi une décentralisation plus aboutie, et plus politique, qui donne davantage de liberté et d’initiative aux collectivités. Sans cette liberté, les collectivités ne pourraient pas prendre en compte l’intérêt départemental et l’intérêt régional.
La commune se charge de l’intérêt local et l’État, de l’intérêt national. L’État a même la compétence de la compétence. Mais nier la clause générale de compétence, ce serait nier l’existence même d’un intérêt territorial intermédiaire.
Du reste, ce qui différencie l’établissement public de coopération intercommunale de la collectivité territoriale, c’est le principe de spécialité pour le premier et la clause générale de compétence pour l’autre.
On peut d’ailleurs lire à la page 131 de l’excellent rapport de la mission que transposer la clause de compétence générale des communes aux intercommunalités conduirait à élever ces dernières au rang de collectivités territoriales. A contrario, supprimer la clause générale de compétence reviendrait à priver les départements et les régions du statut de collectivités territoriales.
Le recul de la décentralisation est ensuite un problème constitutionnel.
Récemment, en 2003, le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté une loi constitutionnelle. Désormais, l’article 1er de la Constitution dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. [...] Son organisation est décentralisée ». Affirmer que l’organisation de la République est décentralisée, et ce dès l’article 1er, ce n’est pas rien, c’est du lourd, comme on dit aujourd'hui !
Dans les débats comme dans l’exposé des motifs, le lecteur est invité à se reporter à l’article 72, dans lequel il est question de la libre administration et du principe de la subsidiarité.
Vous me direz qu’il n’existe pas de jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le sujet ! Certes, mais il existe une jurisprudence du Conseil d’État, précisément deux arrêts datant respectivement de 1981 et de 1989. J’invite ceux qui sont en proie au doute à les lire, afin d’être éclairés d’un point de vue juridique.
Pour moi, cependant, le débat est moins juridique que d’abord politique, troisième et dernière raison.
Supprimer la clause générale de compétence, c’est faire reculer la décentralisation. Comment en effet interdire à des assemblées élues au suffrage universel de tenter de régler les problèmes qui se posent à elles ?
J’ai vécu la catastrophe de l’Erika, une énorme marée noire et un vrai drame pour tous ceux qui sont attachés au littoral. Heureusement qu’il y avait la clause générale de compétence ! Elle nous a permis d’apporter rapidement une réponse aux problèmes qui se sont posés.
Que veulent les citoyens, mes chers collègues, quand se pose un problème ? Une solution !
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Bruno Retailleau. Cette capacité d’initiative, cette liberté, sont d’importance !
Je suis tout à fait d’accord avec Gérard Longuet sur le fait que rien ne se fera sans consensus.
J’ai été frappé d’entendre les trois grands inspirateurs de la décentralisation à la française que sont Pierre Mauroy, le père des lois de 1982-1983, Jean-Pierre Chevènement, le promoteur de l’intercommunalité, et Jean-Pierre Raffarin, l’auteur de l’acte II de la décentralisation, être unanimes pour considérer que la clause générale de compétence est constitutive des collectivités territoriales.
Mes chers collègues, il faut dépasser les enjeux économiques et les enjeux de clarification et se dire que cette réforme ne se réduit pas à un simple exercice de géométrie euclidienne. Elle mérite qu’on lui insuffle du sentiment. Nous avons tous appris nos mandats d’élus dans les communes, les départements et les régions. La leçon des Grecs, c’est que le civisme vient de la cité ; or, je ne suis pas sûr que la France déborde de civisme !
Que l’étude des périmètres de gestion et la définition des outils de bonne gestion entrent dans le champ de cette réforme, je l’admets volontiers, mais elle ne peut pas faire fi de la démocratie locale, laquelle s’apprend sur le terrain, par exemple, dans la commune, creuset du « vivre ensemble ». Donc, prenons garde de ne pas sacrifier aux périmètres de gestion, incontestables facteurs de rationalisation, les espaces d’enracinement, les espaces d’attachement, parfois viscéral !
Une bonne réforme doit aussi prendre en compte cette réalité-là, celle du « vivre ensemble ». Apprise au sein de nos petites communautés locales, la démocratie s’épanouit dans la communauté nationale, voire dans d’autres communautés plus larges. J’y insiste : loin d’être anodine ou technique, la clause générale de compétence est essentielle pour les collectivités territoriales à la française et pour notre décentralisation ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre discussion d’aujourd'hui, qui porte sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, prouve au moins une chose : le débat démocratique est bien vivant au sein de nos assemblées.
En effet, pas moins de trois missions et de comités se réunissent depuis des mois pour définir l’organisation administrative future de notre pays : la mission temporaire du Sénat, dont le rapport d’étape sert de base à notre discussion cet après-midi, le rapport Warsmann de l’Assemblée nationale, et le comité Balladur, auquel j’ai participé et qui vient de remettre son rapport au Président de la République. S’ajoutent aux travaux de ces structures ceux des partis politiques sur ces mêmes questions.
Cet intérêt porté à tous les niveaux pour repenser notre organisation administrative témoigne de la nécessité d’aller de l’avant sur cette question. Près de trente ans après l’adoption des lois de décentralisation de 1982-1983, qui avaient alors soulevé de grandes approbations mais aussi suscité de fortes oppositions, tout le monde s’est assez rapidement accordé au fil du temps sur l’idée qu’il fallait poursuivre et approfondir la décentralisation.
C’est donc dans un esprit d’ouverture qu’André Vallini et moi avons accepté de faire partie du comité Balladur ; notre unique perspective était de participer à la réforme des collectivités locales.
Bien sûr, à la lecture des rapports en présence, on voit bien que des différences sensibles se manifestent sur la façon d’avancer dans la démarche décentralisatrice, même si, et je m’en réjouis, des consensus peuvent être dégagés sur des points aussi importants que l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, la nécessité d’achever la carte de l’intercommunalité, la possibilité de regroupements volontaires entre régions et départements ou encore l’émergence de métropoles fortes, encore que les modalités évoquées par les uns et les autres pour y parvenir diffèrent, et quelquefois beaucoup.
Sans me livrer à une analyse comparée des positions en présence, je me contenterai d’en évoquer certaines au cours de mon intervention, qui portera essentiellement sur le travail effectué par le comité Balladur et, plus particulièrement, sur les points d’accord et de désaccord qui se sont dégagés au fil de débats d’ailleurs marqués – comme la plupart des débats sur ces sujets – par une volonté de consensus, en tous les cas, par un état d’esprit qui me plaît beaucoup.
Cet état d’esprit fut le mien lorsque j’administrai la ville de Lille, pendant près de trente ans. Je le conservai lorsqu’il me revint d’animer la communauté urbaine de Lille, qui a bien prospéré tout au long de ces quelque vingt années. Dés lors, je ne peux que me retrouver dans ces débats. Et demeure intacte ma volonté d’avancer avec les opposants du départ qui nous rejoignent peu à peu en chemin, en tous cas sur certains points, tout en exprimant franchement les désaccords qui subsistent.
J’ai approuvé, avec André Vallini, seize des vingt propositions qu’a formulées le Comité. Le président Balladur avait résumé nos débats en vingt questions et vingt propositions. Je n’ai pas voulu – et le président Balladur non plus – d’un vote global : émis par un comité de personnalités nommées par le Président de la République, il n’aurait guère eu de sens. Nous avons néanmoins pris position sur chacune de ces vingt questions.
J’ai donc approuvé celles des propositions qui vont dans le sens de la régionalisation et de la décentralisation, autrement dit, celles qui s’inscrivent dans la continuité de ce qui a été réalisé depuis une trentaine d’années.
En revanche, nous avons refusé celles qui s’en éloignaient trop, voire qui nous paraissaient en contradiction avec cet état d’esprit.
Il en est ainsi particulièrement de la proposition n°3 du rapport du comité Balladur, qui prévoit l’élection des conseillers régionaux et départementaux sur une liste unique au scrutin proportionnel au niveau de circonscriptions infra-départementales, ce qui a pour conséquence la suppression des cantons actuels pour les remplacer par des circonscriptions plus larges, à partir desquelles seraient élus les conseillers départementaux et régionaux, appelés « conseillers territoriaux ».
J’ignore d’où vient cette idée. Au cours de mes discussions avec les élus, je n’ai jamais entendu quiconque se préoccuper de promouvoir une telle bizarrerie ! Il n’en fut d’ailleurs pas question au cours des premiers mois des travaux du comité Balladur. Nous étions parvenus à mi-chemin de notre mission quand quelques suggestions ont circulé à l’Assemblée nationale ; finalement, l’idée est parvenue jusqu’à nous.
Bizarre, oui, vraiment bizarre, cette proposition ! Force m’est de constater que ce système hybride n’est envisagé dans aucun des rapports. La mission sénatoriale, dans son rapport d’étape, ne prévoit aucun changement de cette nature, si ce n’est que les conseillers généraux doivent être élus en une seule fois tous les six ans. Cette idée, je l’approuve, comme beaucoup d’entre nous. Le rapport Warsmann est tout aussi muet sur le sujet.
Je dois dire que nous avons, au fil des semaines, reçu beaucoup de délégations. Et puis, l’une d’entre elles – je veux parler du groupe parlementaire de l’UMP et, principalement, de l’un de ses responsables – a appelé au big bang. Mon opposition à ce big bang est totale !
Mes chers collègues, dans ma vie d’élu, une vie partagée entre le Parlement et les collectivités territoriales, j’ai souvent entendu – comme vous, j’imagine – des propos agréables à l’endroit des élus locaux, ces 500 000 poilus, ces 500 000 hommes et femmes qui défendent et portent la République, quelquefois bénévolement, encore que, sur ce point, leur sort se soit heureusement amélioré au cours des dernières années. Mais jamais personne ne m’avait parlé de cette idée bizarre !
Or la voici tout à coup qui jaillit, porteuse d’un mélange des genres qui ne va bénéficier ni aux départements ni aux régions, dont la base électorale sera ramenée au niveau d’une circonscription infradépartementale, ce qui risque d’aboutir à une « cantonalisation » des régions, en contradiction avec la nécessité de faire émerger de grandes régions, capables d’égaler les régions européennes, au moins pour certaines d’entre elles.
Ces deux assemblées locales ayant un état d’esprit, une histoire, des façons de fonctionner et, surtout, des compétences et des objectifs très différents, André Vallini et moi estimons qu’il faut maintenir deux scrutins distincts pour l’élection de leurs conseillers respectifs.
À mon avis, il n’y a pas lieu de changer sur ce point l’existant ; j’y vois, outre l’un des fondements de notre action sur le plan municipal, départemental et régional, l’un des fondements de la République : d’une part, le conseil général, cet héritier de la grande Révolution, qui a su évoluer et s’impliquer avec un réalisme reconnu pour travailler au service des populations ; d’autre part, cette institution nouvelle que sont les régions. Le dynamisme de ces nouveaux élus régionaux leur donne naturellement vocation à prendre en charge l’avenir et à devenir les interlocuteurs de l’État, voire de l’Europe. Quels autres intermédiaires pourrait-on trouver ? La région paraît toute désignée pour ce rôle, d’ailleurs esquissé par des dispositions déjà prises entre les instances communautaires et cette collectivité.
Or ces deux assemblées aux objectifs si différents et pourtant si complémentaires se sont trouvées exposées à une véritable campagne de dénigrement. Nous étions accablés de tous les maux, surtout dans la presse ! Je n’avais rien entendu de tel au cours des nombreuses années durant lesquelles j’ai été un élu de la région, un élu du département, un élu de la communauté urbaine, un élu de la ville. N’allez pas me faire dire que nous sommes parfaits ! Qu’il y ait quelques réformes à faire, oui, certainement ! Mais faut-il pour autant réduire le travail des collectivités territoriales à une sorte de millefeuille où chacun toucherait à tout et où l’on finirait par dépenser beaucoup à force de redondance des tâches ?
J’arrête là le catalogue des reproches.
Si le big bang cachait quelques arrière-pensées, je comprends qu’on ait commencé par orchestrer une campagne. Mais celle-ci n’est franchement pas à la hauteur des enjeux de la République, pas à la hauteur non plus de l’action de tous ceux qui ont mené un combat tout à fait exemplaire, et dans des conditions difficiles, au sein de nos communes, de nos départements et de nos régions !
Ces 500 000 élus, la République devrait les honorer et ne pas tolérer de telles campagnes indirectes sur ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas ou sur l’argent qu’ils dépensent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions. – MM. Jacques Blanc et Bruno Sido applaudissent également.)
De mon expérience d’élu local, j’ai retenu que les régions et les départements savent trouver bien des accommodements. Et je me fais un devoir de le dire devant le Sénat, tout cela est excessif ! Les instigateurs d’une telle campagne, reprise par un certain nombre de journalistes, doivent avoir des intentions moins innocentes qu’un « gentil mélange » entre les conseillers régionaux et les conseillers généraux !
Je n’ose imaginer ce qui – ou qui - peut se cacher derrière une telle proposition, d’ailleurs encore loin d’être adoptée… Nous verrons !
M. Jean-Marc Todeschini. Mais si !
M. Pierre Mauroy. Il faut dire que, même au sein du comité auquel j’ai appartenu, nous ne l’avons découverte que progressivement, et souvent grâce aux membres du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale…
En tout cas, ce n’est pas envisageable !
André Vallini et moi-même proposons un système beaucoup plus simple, et beaucoup plus moderne, pour élire les conseillers généraux : il consiste à appliquer au département ce qui s’applique à la région.
Nous disposons en effet d’une loi municipale parfaite : adoptée sous mon gouvernement, elle a été rapidement acceptée et elle donne satisfaction aux uns et aux autres ; appliquée à l’échelon régional, elle n’est remise en cause par personne.
Je me demande donc pourquoi l’intelligence pratique toute simple n’a pas déjà conduit à la transposer aux départements. (Mme Dominique Voynet applaudit.)
M. Jean-Marc Todeschini. Bien sûr !
M. Pierre Mauroy. Cette loi prévoit à la fois un scrutin proportionnel, mais aussi, par ses modalités, une certaine forme de scrutin uninominal, ce qui a fait la force de la réforme de la loi électorale à l’échelon des municipalités.
Je propose par conséquent un scrutin de liste proportionnel départemental avec prime majoritaire.
Ce mode de scrutin permet au parti principal de nouer des alliances.
Il permet aussi de respecter le principe de parité, ce qui n’est pas simple avec le scrutin uninominal, et je ne comprends pas qu’après avoir tant défendu cette parité à laquelle chacun de vous est attaché, chers collègues, l’on puisse s’embarquer dans de pareilles initiatives !
Le scrutin de liste proportionnel résout donc les principaux problèmes.
Pour ne pas nuire à la mission de proximité du conseil général, une loi électorale toute simple – et pas politique – pourrait déterminer un certain nombre de circonscriptions uniquement électorales pour les départements les plus importants. En effet, il y a des disparités entre départements et la loi électorale pourrait prévoir des dispositions particulières pour certaines circonscriptions, comme elle l’avait fait pour certains arrondissements lorsque la proportionnelle a été appliquée au niveau national, ou pour prendre en compte les situations particulières, comme celle des régions de montagne.
Satisfaction pourrait ainsi être donnée à tout le monde, de façon très simple. Trop simple, sans doute. Non, il fallait un big bang, et nous allons donc vers le big bang… À écouter les uns et les autres, je perçois tout de même des réticences, et il faut que cette affaire soit venue de bien haut pour avoir pu progresser un peu – un peu, mais pas plus ! Nous verrons bien quelle sera la suite des événements…
C’est en tout cas un point de désaccord fondamental et il n’est pas possible que l’on nous impose ainsi, sans crier gare, une réforme dont personne n’a jamais parlé auparavant, dont on ne trouve nulle part la trace… Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Posez-vous la question, mes chers collègues, car la poser c’est peut-être déjà trouver la réponse ! Mais nous avons quelques mois devant nous pour revenir sur le sujet.
Nous avons, André Vallini et moi-même, un autre point de désaccord avec le comité. Je veux parler de la question des finances locales.
Si nous avons approuvé les mesures portant sur ce sujet – notamment la proposition prévoyant de réviser les bases foncières des impôts directs et leur révision tous les six ans –, nous avons tenu à faire savoir qu’elles nous paraissaient tout à fait insuffisantes, car en aucun cas elles n’abordaient au fond la question essentielle de la réforme des finances locales.
Il s’agit tout de même d’un problème important ! Je ne l’aborderai pas, si ce n’est pour rappeler que deux gouvernements déjà ont essayé de réviser les bases foncières : ils ont fait un travail considérable, qui a coûté beaucoup d’argent, et, au moment d’appliquer la réforme, l’un comme l’autre ont calé ! Or on ne pourra parler ni d’égalité, ni de péréquation s’il n’y a pas au moins une révision, sous une forme ou sous une autre, des bases foncières.
La suppression de la taxe professionnelle, annoncée tout de go et dans des conditions très particulières le 1er de l’an – cela n’avait rien d’un cadeau de Noël ! – a été confirmée depuis par le Président de la République et par le Premier ministre sans que l’un ou l’autre dise par quoi elle serait remplacée.
Le comité mis en place, n’ayant pas su trouver la solution, a dû prolonger son action, mais n’a pas rencontré plus de succès… et on a abandonné.
Nous restons donc « en plan », sans véritable proposition, alors que la taxe professionnelle a été, en tout cas pour les communautés urbaines, dont elle a assuré, depuis vingt ans, la progression, l’impôt le plus économique en même temps que le plus utile.
André Vallini et moi-même avons tenu à préciser, y compris aux entreprises qui, quelquefois, se laissent aller à applaudir la suppression de la taxe professionnelle – alors qu’elles auront beaucoup plus de difficultés à s’implanter dans les communes, départements et régions où, justement, cette taxe a suscité une dynamique formidable entre entreprises et collectivités locales –, que cette suppression n’était envisageable que si et seulement si trois conditions étaient réunies : le montant des ressources des collectivités doit être garanti par une autre recette fiscale dynamique ; le lien fiscal entre les entreprises et le territoire où elles sont implantées doit être maintenu ; enfin, la réforme de la fiscalité doit être globale.
J’engage donc le Gouvernement à se mettre au travail pour apporter des solutions avant de nous parler de la suppression de la taxe professionnelle.
Nous n’avons pas approuvé non plus et, sur ce point, la mission sénatoriale va plutôt dans notre sens, la proposition n°11 du rapport Balladur, laquelle retire aux départements et aux régions la clause générale de compétence, notamment pour limiter les financements croisés.
Mon prédécesseur à cette tribune a eu une formule heureuse : c’est dans la clause générale de compétence que se trouve l’esprit même de la décentralisation. Les collectivités ne font pas qu’appliquer les règlements ! Il y a celles qui rêvent, qui imaginent et qui avancent des propositions, en tenant compte des particularismes de chaque groupement.
M. le président. Monsieur Mauroy, devant gérer la péréquation des temps de parole (Sourires), je me permets de vous demander de conclure.
M. Pierre Mauroy. Oui, monsieur le président.
Vous l’avez compris, chers collègues, nous voulons que la clause générale de compétence s’applique à tous les niveaux et nous faisons une proposition pour limiter les financements croisés, préoccupations sans doute louable. Il s’agit de permettre aux collectivités, à quelque niveau qu’elles se situent, de répondre aux mutations économiques et sociales comme aux nouveaux besoins des populations, ou même d’assumer des projets divers.
Je rappelle d’ailleurs que, si l’État veut être le censeur des collectivités locales, il doit lui-même se corriger, car c’est lui, plus que tout autre, qui propose, quand il veut mener à bien des projets, de faire appel à la région, au département, voire aux communes !
Toutefois, avec André Vallini, je pense qu’il est nécessaire de limiter le financement d’un même projet à deux collectivités, et nous faisons dans notre rapport annexe des propositions à ce sujet.
Dans les réflexions du comité Balladur, un point m’a particulièrement intéressé : la création de grandes métropoles, que je réclame depuis des années, après la grande réussite des communautés urbaines, et avec leur accord.
J’ai donc approuvé cette proposition bien que, selon moi, elle n’aille pas assez loin puisqu’elle ne crée, par la loi, que onze métropoles, alors que j’en aurais souhaité une vingtaine pour prendre pleinement en compte l’urbanisation de notre pays au cours des quarante dernières années et engager ce que l’on appelle la « métropolisation de la France ».
Cette « métropolisation », si elle se répercute aux différentes intercommunalités – communautés urbaines, d’agglomération et de communes –, est absolument nécessaire pour permettre, avec le temps, le regroupement de nos 36 000 communes, car, s’il y a une anomalie, c’est bien celle-là ! Voilà le moyen, puisque l’on ne veut pas les supprimer, de les regrouper.
Sur ce plan, l’intercommunalité, je le dis à Jean-Pierre Chevènement, a été un immense succès et je suis sûr que, par des dispositions particulières, nous parviendrons, y compris avec les petites villes et les villages, à constituer de petits ensembles autour d’une petite « métropole ». Le mot peut paraître inadéquat, mais on est toujours un peu la métropole d’un territoire ! Pour avoir été élevé au Cateau-Cambrésis, je puis vous dire que c’était réellement la métropole des vingt kilomètres à la ronde ! (Sourires.)
Je suis par conséquent persuadé que l’on pourra, même si cela doit prendre des années, répercuter les dispositions prises pour les métropoles en faveur des villes de taille plus modeste.
Il s’agit en effet de dynamiser les territoires ruraux regroupés autour d’une « ville métropole », pas forcément très grande ni très peuplée, et notre très beau réseau de villes devrait servir de pivot.
En revanche, je suis formellement opposé à ce que les communes membres des métropoles deviennent de simples personnes morales, comme le propose le rapport Balladur, d’autant que, parmi ces villes, certaines sont importantes et sont dotées d’une histoire et de traditions qui font qu’il serait humiliant pour elles de ne plus être des collectivités de plein exercice.
La « métropolisation » signifie non pas l’humiliation des villes membres mais, au contraire, leur promotion, et il me semble que, sur ce point, une correction doit être apportée.
Mes chers collègues, je terminerai cette intervention en évoquant le cas de Paris. (Marques d’impatience sur de nombreuses travées de l’UMP.)
Nous n’avons pas véritablement reçu de propositions de la part des élus parisiens, qui se sont engagés à en présenter, mais dans les prochaines semaines ou les prochains mois…
Nous n’en avons pas davantage reçu de la part de l’État, puisque M. Christian Blanc, secrétaire d'État chargé du développement de la région capitale, nous a fait savoir qu’il nous faudrait attendre quelque temps avant d’avoir connaissance des propositions qu’il prépare.
Il faudra donc reprendre cette discussion, et il nous appartiendra, aux uns et aux autres, de présenter nos propres propositions sur Paris et le Grand Paris.
Il reste, et chacun le sent bien, que maintenir le statu quo serait tourner le dos à l’avenir ; par conséquent, il nous faut être inventifs !
Pour l’heure, nous avons approuvé seize propositions et nous en avons rejeté quatre, dont deux que nous considérons particulièrement nuisibles ; nous avons refusé un vote global ainsi que la rédaction d’une proposition de loi. Il appartiendra aux groupes parlementaires d’élaborer une telle proposition. J’apporterai pour ma part tout mon concours, car l’approfondissement de la décentralisation et de la régionalisation a toujours été une démarche fondamentale à mes yeux et un véritable défi que nous devrons relever pour bâtir la France du xxie siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, je me réjouis que le chronomètre soit désormais bloqué : je n’ai plus à m’inquiéter de mon temps de parole ! (Sourires.)
M. le président. Rassurez-vous, mon cher collègue, le chronomètre est réparé ! (Nouveaux sourires.)
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je soulignerai tout d’abord l’important travail réalisé par la mission temporaire du Sénat, son président, ses vice-présidents, ses rapporteurs et féliciter ceux-ci de la qualité de nos débats, toujours empreints de respect mutuel.
Je réitère cependant aujourd'hui le regret que j’ai déjà exprimé au cours des travaux de la mission : je déplore que nous n’ayons pas élaboré un projet en amont de celui qu’a présenté le comité présidé par M. Balladur. Le Sénat aurait été pleinement dans son rôle, en anticipant ce débat et en étant davantage une force de propositions et d’entraînement.
Je ne doute pas que les prochaines semaines permettront de dissiper ce regret et que nous saurons être à la hauteur de notre vocation institutionnelle, que vous avez rappelée au début de la séance, monsieur le président.
J’observe d’ailleurs avec satisfaction que le rapport d’étape de la mission temporaire est porteur de propositions très intéressantes sur des questions importantes, parfois insuffisamment évoquées par le comité Balladur.
Je pense notamment à la question du périmètre des intercommunalités et à celle de leurs compétences.
Je me suis rendu vendredi dernier dans un canton de mon département dont une partie est intégrée à une communauté d’agglomération et l’autre, à une autre communauté d’agglomération. L’une des communautés d’agglomération détient la compétence « voirie », mais n’a pas la compétence « enfance », alors que, pour l’autre, c’est l’inverse.
Dans la communauté d’agglomération qui n’a pas la compétence « voirie », on dénombre trois syndicats de voiries différents et certaines communes ne font partie d’aucun d’entre eux. Tout cela dans le même canton ! Pour reprendre le titre du rapport du comité Balladur, « il est temps de décider » et de le faire avec détermination, audace et courage.
Il est temps, car notre pays souffre d’un enchevêtrement des compétences qui est préjudiciable à l’efficacité et à la lisibilité des politiques publiques ainsi qu’à la nécessaire maîtrise de nos finances publiques. De toute évidence, les compétences des uns et des autres doivent être clarifiées et ne plus être exercées par tout le monde. Aujourd’hui, chaque collectivité s’occupe de tout ou presque : le tourisme, le développement économique, la culture... Nos concitoyens ne s’y retrouvent pas !
Une clarification est indispensable et, dans cet esprit, je suis favorable à la suppression très controversée de la clause générale de compétence des départements et des régions. (M. Daniel Dubois applaudit.)
Je crois également qu’il est nécessaire de réduire le « millefeuille » administratif. Il a été rappelé aujourd'hui que tous les pays avaient trois échelons de collectivité. Si tel est le cas, du moins sommes-nous le seul pays à avoir cinq degrés d’intervention à l’échelon local : la commune, l’intercommunalité, le pays, le département, la région, sans compter les multiples syndicats intercommunaux à vocation scolaire, les syndicats d’eau, les syndicats de déchets, et j’en oublie.
Je rappelle que, en 1970, seuls existaient la commune et le département ; la France ne se portait pas plus mal !
La difficulté est que chacun, ou presque, partage le constat sur la nécessité de la réforme, sous réserve toutefois que soit conservée l’assemblée dans laquelle il siège ! Je crains – les interventions d’aujourd'hui me le confirment – que nous n’avancions assez peu sur ce sujet et que le « touche pas à mon poste » soit plus fort que tout raisonnement ou analyse objective sur le sujet. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
La désignation de conseillers siégeant à la région et au département serait sans doute un progrès, à tout le moins une étape. Elle se heurte néanmoins au choix du mode de scrutin, qui semble incompatible avec le maintien du scrutin uninominal auquel nous sommes nombreux à être attachés, au moins en milieu rural.
J’en profite pour ajouter que je tiens beaucoup au mode de scrutin applicable dans les petites communes ; là encore, je crains que le fléchage proposé ne conduise à un scrutin de liste bloquée, qui implique inévitablement une politisation des candidatures.
Parmi les sujets éminemment délicats que nous devrons aborder figure celui de l’avenir des communes.
Chacun affirme être très attaché à l’échelon communal. Pourtant, nombre d’élus locaux sont inquiets, car ils ont le sentiment, à juste titre, que, subrepticement, clandestinement presque, on veut réduire leur rôle, sans que l’on ait le courage de le dire.
Aujourd’hui, sur certains territoires, les conseils généraux ou régionaux ne financent les projets que s’ils sont portés par une intercommunalité. Pourquoi ? Au nom de quoi ? Est-ce la qualité du projet qui importe ou la personne qui le porte ? La CAF procède de la même façon ; je pourrais développer ce point.
Il faudra donc avoir le courage de se prononcer clairement, dans le cadre de la réforme de nos collectivités, sur le devenir des communes, dont le Président de la République a dit, voilà quelques semaines, lorsqu’il a reçu notre groupe, qu’elles constituaient « un maillage civique, social et citoyen ».
Pour ma part, j’ai coutume d’affirmer que la commune est l’échelon de la proximité, de la démocratie, du lien social et de la bonne gestion.
Nous avons 36 000 communes. Est-ce une richesse ou une faiblesse ? Souhaitons-nous maintenir cette spécificité ou voulons-nous, comme M. Marcellin voilà bientôt quarante ans, réduire ce nombre et le passer, comme semble le souhaiter M. Balladur, à 10 000 ? Voulons-nous que les intercommunalités deviennent les véritables lieux de décision et les communes de simples mairies d’arrondissement, comme celle du XVe arrondissement de Paris ? (M. Bruno Sido rit.)
Si nous voulons réduire le nombre et le rôle des communes, il faudra alors avoir le courage de l’affirmer clairement ! Si nous souhaitons au contraire conforter le rôle de la commune, ce qui est mon cas, il ne faudra pas se contenter de paroles : il faudra faire en sorte que cela soit possible.
Or on voit bien que les petites communes, qui constituent, je le rappelle, l’immense majorité du territoire – deux tiers des communes comptent moins de cinq cents habitants –, ont de plus en plus de difficultés à faire face à l’alourdissement des tâches, à la raréfaction des financements et au désengagement de l’État.
Nous devrons, mes chers collègues, répondre à ces questions fondamentales. Nous ne pourrons y échapper, car elles sont au cœur de la réforme des collectivités que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux.
J’espère sincèrement que nous aurons le courage d’aller au bout de cette indispensable réforme et que la recherche du consensus le plus large possible ne conduira pas la montagne à accoucher d’une souris. Comme l’a souligné Michel Mercier, l’heure n’est certainement pas au « ripolinage » ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste – M. Jean-Pierre Fourcade applaudit également.)
Je vous remercie, monsieur le président, de votre mansuétude !
M. le président. Il n’en reste pas moins, mes chers collègues, que, si nous voulons terminer ce débat avant le dîner, et non le souper, chacun doit respecter son temps de parole.
La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat sur la réorganisation territoriale de la France a bien entendu mobilisé l’attention de l’Assemblée des départements de France et, plus singulièrement, au sein de cette association pluraliste, celle du groupe d’opposition que j’ai l’honneur et le plaisir d’animer depuis quelques mois.
Ce débat a permis d’identifier les véritables problèmes auxquels nous sommes confrontés et les difficultés à résoudre : paysage administratif unique – le fameux jardin à la française –, enchevêtrement des compétences, finances locales désuètes et inadaptées, nécessité d’une meilleure prise en compte du fait urbain.
Personne, ou presque, ne prône aujourd’hui le statu quo, mais des divergences s’expriment quant aux priorités à traiter, aux évolutions à engager ou aux solutions à apporter.
Faut-il craindre que, faute de compromis, on ne se résigne à abandonner cette réforme ou à la reporter sine die ?
Je pense que le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, aura le courage d’aller au bout de ce travail et de porter haut et fort cette ambition. Il en aura l’opportunité grâce à la volonté politique du Parlement, singulièrement celle de la Haute Assemblée, qui aura l’honneur d’en débattre la première, puisque tel est son rôle constitutionnel.
Je voudrais remercier ici tous ceux qui ont permis de faire avancer le débat, même si je ne partage pas toujours leurs avis ou si je ne souscris pas toujours à leurs propositions. Je citerai d’abord le président du comité pour la réforme des collectivités locales, Édouard Balladur, qui a réalisé avec les membres de son comité un travail prospectif tout à fait remarquable, mais aussi le président de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, Claude Belot, mes collègues rapporteurs, Yves Krattinger et Jacqueline Gourault, ainsi que l’ensemble des membres de la mission.
Vous le savez, je suis président de conseil général depuis plus de dix ans et j’ai l’honneur d’animer aujourd’hui ce groupe des quarante-quatre présidents de conseil général de la droite, du centre et des indépendants, en qualité de secrétaire général de l’Assemblée des départements de France.
Loin de prôner l’immobilisme, comme certains pourraient le croire, nous avons décidé de participer activement à ce débat. Je voudrais vous exprimer nos positions, qui tiennent en quatre points.
Premièrement, le statu quo en matière de finances locales n’est plus possible : pas de réforme des collectivités locales sans garantie financière !
Deuxièmement, la clarification des compétences est une nécessité absolue, monsieur le secrétaire d'État. Aucune économie ne pourra être réalisée sans un partage clair des rôles de chacun.
Troisièmement, la suppression de la clause générale de compétence pose problème. Sa disparition s’apparenterait à une régression, à un retour vers notre cher passé jacobin, monsieur Mauroy. Le rapport de la mission temporaire apporte une idée intéressante, qu’il faut approfondir, celle du « constat de carence ».
Quatrièmement, le mode d’élection doit s’adapter aux territoires : le maintien du scrutin majoritaire nous semble indispensable, mais il peut s’accompagner, si nécessaire, d’un autre scrutin en milieu urbain.
Faute de temps, monsieur le président, je ne développerai pas ces différents points.
Pour apaiser les inquiétudes qui naissent chez bon nombre d’entre nous, je rappelle cette définition de la réforme : c’est un changement profond apporté dans la forme d’une institution afin de l’améliorer et d’en obtenir de meilleurs résultats. Voilà qui devrait tous nous rassurer !
Trop longtemps, nous avons attendu ce changement. Les rapports se sont succédé, alors que la situation se dégradait peu à peu, notamment en termes de finances locales. Les relations entre collectivités et État se tendent inéluctablement, chacun pensant faire des efforts.
Aujourd’hui, il est nécessaire de moderniser notre pays, nos collectivités, mais aussi l’État, pour accompagner son développement et son attractivité, pour garantir à l’ensemble de nos concitoyens un service de proximité et de qualité, et pour éviter les fractures sociales et territoriales.
Chacun s’accorde à considérer que les actes I et II de la décentralisation ont été de grandes réussites ; je tiens d’ailleurs à saluer, au nom des quarante-quatre présidents de conseil général composant le groupe que j’anime, la vision prospective de Pierre Mauroy, ici présent, et de Jean-Pierre Raffarin, qui lui ne l’est pas. Il nous faut les adapter à la réalité sociologique et politique de notre pays, qui n’est plus la même en 2009 qu’en 2004, en 1982 ou a fortiori en 1789, en prenant soin de ne pas casser les institutions qui fonctionnent bien.
Profitons de notre mobilisation pour améliorer ensemble notre démocratie locale, en décentralisant plus et mieux, et en évitant le piège d’un retour au jacobinisme et de la recentralisation.
Je souhaite, pour conclure, me poser devant vous la question qui me semble essentielle : sans modification, que permet la Constitution en termes de réformes ? Peut-on supprimer la clause générale de compétence ? Peut-on instituer un mode d’élection mixte avec fléchage ?
Il conviendrait de connaître les règles qui régissent les marges de manœuvre du Parlement, tant il est vrai que l’on ne peut bâtir que sur des fondations solides. Il est vain de discuter sur des dispositifs qui se révéleraient interdits par la loi fondamentale !
L’avenir est à l’audace, non au passéisme ! Faisons preuve d’imagination, de liberté et d’ambition pour notre pays, nos communes, nos départements et nos régions, sans oublier les intercommunalités ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.
M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans ce débat sur la réorganisation de nos collectivités territoriales, je centrerai mon propos sur l’Île-de-France, qui tient une place spécifique en raison de son statut de région capitale. Elle mérite qu’il soit procédé à une analyse objective de ses forces et de ses faiblesses dans le rôle qu’elle tient tant à l’échelon national qu’au niveau mondial. Cela justifie une attention particulière sur les besoins des Franciliens dans des domaines aussi cruciaux que l’emploi, le logement, les transports, les inégalités territoriales, qui hélas ! restent flagrantes.
Au fond, la question qui nous est posée est celle de l’organisation optimale de nos collectivités dans la répartition de leurs compétences, dans leurs formes de coopération, pour assurer la compétitivité de l’Île-de-France et satisfaire au mieux les besoins de ses habitants tout en réduisant les inégalités qui la déchirent.
Manifestement, cette question n’a pas, à ce jour, de réponse évidente. Le rapport de la mission temporaire conclut donc fort justement à la nécessité de poursuivre les réflexions sur ce qu’il est convenu d’appeler « le Grand Paris ». Je crois avoir compris que tel était d’ailleurs le souhait du Président de la République.
Pour autant, nous ne partons pas de rien. Dans la décantation progressive de ce sujet, deux projets émergent clairement : celui du comité Balladur et celui de Paris Métropole.
Celui du comité Balladur, tout d’abord. Admettons d’emblée qu’il n’a déchaîné ni l’enthousiasme des élus, quelle que soit leur appartenance politique, ni d’ailleurs celui de certains membres du Gouvernement. C’est sans doute que ses conclusions reposaient sur deux erreurs initiales.
Le comité Balladur a d’abord traité la question de la gouvernance comme un sujet en soi, sans véritablement s’interroger sur les besoins de la région et des Franciliens.
Mais il a commis une seconde erreur, corollaire de la première : il a voulu plaquer un schéma de gouvernance préétabli sur un périmètre prédéterminé, en contradiction totale avec un constat pourtant juste du comité Balladur évoquant dans son rapport des « besoins criants » de coordination entre les collectivités locales d’Île-de-France. Et comment le comité Balladur s’y prend-il pour répondre à de tels besoins ? En supprimant des collectivités locales !
C’est tout le sens de la création d’un département unique de la petite couronne qui, de plus, risque de provoquer la dissolution de toutes les intercommunalités existantes.
Au fond, on nous dit : puisque vous n’êtes pas suffisamment coordonnés, disparaissez !
M. Dominique Braye. Regroupez-vous !
M. Jean-Pierre Caffet. Mais là n’est pas le plus grave.
Le plus grave, c’est que les auteurs de cette proposition commettent l’erreur stratégique de concevoir l’avenir de la région capitale à l’échelle de la petite couronne, alors qu’il est nécessaire d’y intégrer des sites aussi décisifs que Saclay, les villes nouvelles, les zones aéroportuaires, mais aussi les quartiers en difficulté.
Plus grave encore, cette proposition entérinerait une région à deux vitesses, avec un « hyper centre » doté de pouvoirs comparables à ceux d’une communauté urbaine, le reste de la région étant censé trouver son ancrage en Île-de-France par la seule grâce d’un nouveau mode de scrutin.
En effet, selon le rapport du comité Balladur « le fait que certains des conseillers régionaux siégeraient également au conseil du Grand Paris, garantit contre le risque d’un éclatement de la région d’Île-de-France en deux entités éloignées l’une de l’autre ».
Disons-le clairement, nous n’y croyons pas : la vie économique, les politiques publiques à mettre en œuvre, les solidarités à construire, bref, l’aménagement d’un territoire aussi stratégique ne sont certainement pas solubles dans un mode de scrutin.
L’autre projet est celui de Paris Métropole, fruit d’une démarche entreprise par de nombreux élus franciliens, de droite comme de gauche, qui veulent disposer d’un instrument fédérateur pour coordonner, impulser et renforcer les dynamiques nécessaires autour des principaux enjeux de l’Île-de-France.
J’entends bien la critique formulée à l’égard de ce second projet : simple syndicat d’études, Paris Métropole ne pourrait pas, de ce fait, répondre aux défis lancés par le développement de la région capitale. Cette objection mérite considération. C’est pourquoi Paris Métropole doit évoluer pour devenir une structure opérationnelle capable de résoudre certains problèmes franciliens.
Puisque le comité Balladur nous invite à mieux coordonner nos collectivités, faisons-le, mais d’abord sur un périmètre qui n’exclue pas un Francilien sur deux, ce que permettrait Paris Métropole, englobant les secteurs de développement indispensables à l’Île-de-France mais aussi, j’insiste, la plupart des quartiers en difficulté de la région.
Faisons-le ensuite pour concentrer l’action de Paris Métropole sur ce qui est mal géré, voire pas géré, afin d’en faire le lieu de règlement des carences que chacun reconnaît.
Concrètement, Paris Métropole doit pouvoir être doté de compétences ou de missions reconnues dans des domaines qui nécessitent toujours plus de coordination.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Caffet. Des pistes existent d’ores et déjà.
La solidarité financière, d’abord. Aujourd’hui, le fonds de solidarité de la région d’Île-de-France, instrument créé il y a plus de vingt ans, a atteint ses limites. Cette question est essentielle pour l’avenir régional. Or le comité Balladur n’en parle pas. Plus qu’une lacune, c’est une faute !
La politique du logement, ensuite. Parce qu’elle est la compétence de tous,…
M. le président. Vous devez maintenant conclure, cher collègue.
M. Jean-Pierre Caffet. … elle n’est plus la compétence de personne !
Enfin, les enjeux urbains – l’organisation physique du territoire francilien, son dynamisme économique comme la localisation des grands équipements publics – sont plus que jamais d’actualité et pourraient être pris en charge par Paris Métropole.
Mais je conclus, monsieur le président.
On le voit, cette perspective est aux antipodes de l’immobilisme et du statu quo, principal argument de ceux qui voudraient revenir aux schémas des années cinquante. C’est pourquoi j’ai la conviction qu’elle mérite mieux que le mépris affiché par les tenants d’une recentralisation qui assument le risque d’une région coupée en deux et par là même impuissante.
Ce débat est donc loin d’être terminé. Puissent la sagesse et l’écoute des élus l’emporter. L’avenir de la région capitale en dépend ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire, applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Je ne surprendrai sans doute personne en vous disant que j’utiliserai également mon temps de parole pour évoquer le Grand Paris et tenter de vous convaincre que, sur ce sujet-là, pas plus que sur les autres, le statu quo n’est tenable.
Dans son rapport, avec un courage et une audace que je salue, le comité Balladur a retenu, dans les grandes lignes, les idées formulées il y a près d’un an dans un autre rapport rendu ici, au Sénat, au nom de notre observatoire de la décentralisation – vous pourriez vous en souvenir, monsieur Caffet ! (M. Jean-Pierre Caffet proteste.)
Mais aussitôt, comme il y a un an, les oppositions se sont manifestées avec une véhémence qui ne s’explique que par la peur de voir, petit à petit, avancer cette idée d’une métropole outil de gouvernance politique.
Si l’imagination fait défaut à certains pour penser un nouveau modèle institutionnel, elle est au pouvoir pour asséner des critiques ! Ainsi, le Grand Paris serait, comme l’a dit Bertrand Delanoë, « un mastodonte impuissant », renvoyant les communes de la première couronne à leur immense solitude, ou alors « une immense régression démocratique » qui nous ramènerait au département de la Seine d’avant 1964, selon Jean-Paul Huchon – idée reprise à l’instant par notre collègue Jean-Pierre Caffet.
Ces critiques excessives et vides de sens – comme la dernière que j’ai citée, puisque la décentralisation est passée par là depuis 1964 ! –, ont du moins le mérite d’être formulées. Mais il y a aussi le non-dit…
Notre collègue Pierre Mauroy, membre du comité Balladur, a dit avec bien plus de légitimité que moi ce qu’il fallait penser de l’attitude d’une grande partie des élus de la gauche francilienne : ils ne veulent en fait rien lâcher du pouvoir qu’ils détiennent, même au profit d’une structure plus puissante. Pourtant, cette structure serait certainement à gauche, du moins si nous votions demain ! En 2014, on ne sait pas ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Permettez également à l’élu de Seine-Saint-Denis que je suis de s’adresser à ses collègues de la majorité pour leur dire qu’il n’est pas possible de différer une réforme qui doit aussi et peut-être surtout avoir pour but de « recoudre » socialement ce territoire, notamment par le partage de la richesse fiscale.
Cependant, malgré ces critiques très dures – c’est un paradoxe étonnant –, chacun s’accorde à reconnaître l’existence de la métropole parisienne.
Il est effectivement difficile de la nier, même si l’on peut discuter à l’infini son périmètre : la métropole parisienne existe, comme existent en France, à une autre échelle, des métropoles régionales, comme émergent, partout dans le monde, des métropoles qui concurrenceront bientôt Paris, Londres, New York et Tokyo, ces villes-monde qui n’avaient jusqu’alors pas d’égales.
Mais, malheureusement, le consensus s’arrête là, car, pour les opposants au Grand Paris, l’émiettement du pouvoir, le morcellement du territoire, la ségrégation territoriale, le financement des politiques sociales et de la ville ne constitueraient pas des problèmes appelant des réponses métropolitaines.
Pour eux, la métropole parisienne existe, certes, mais il ne serait pas pertinent de chercher à asseoir les grandes politiques publiques sur le périmètre le plus approprié, avec pour objectifs une plus grande efficacité de la dépense publique et une meilleure réponse aux attentes de nos concitoyens !
Nous allons demander aux autres métropoles françaises, comme à l’ensemble des collectivités locales, de se réformer pour être plus efficaces. En revanche, ici, à Paris et alentours, nous pourrions nous exonérer de cette ardente obligation ? Mais à quel titre ?
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Philippe Dallier. Selon certains, il suffirait que nous nous parlions pour améliorer la situation.
Certes, il faut se parler. La conférence métropolitaine lancée par Bertrand Delanoë aurait pu constituer une initiative intéressante si elle était devenue l’embryon d’une assemblée constituante du Grand Paris. Or elle a fini en syndicat mixte d’études, refuge de tous les opposants au Grand Paris. Quelle déception !
Je partage d’ailleurs pleinement le constat de nos rapporteurs pour lesquels cette structure apparaît « dépourvue de capacité d’agir par elle-même pour organiser le territoire, puisque aucune compétence ni aucune ressource ne lui sont dévolues ». En somme, un « mastodonte impuissant », pour paraphraser M. le maire de Paris.
Ce qui manque à la métropole parisienne, c’est une incarnation politique ; c’est un chef d’orchestre légitime pour imposer une politique, parce qu’il aura été élu sur un programme pour la métropole.
La seule justification du refus de toute évolution serait de considérer que le modèle de gouvernance issu de la réorganisation de 1964 et des lois de décentralisation est parfait. Mais chacun sait bien que ce n’est pas le cas !
Voilà pourquoi il n’est pas possible de reporter aux calendes grecques la création d’un Grand Paris ! Après le discours du Président de la République prononcé lors de la remise officielle du rapport du comité Balladur, tous ceux qui ne veulent pas d’un pouvoir métropolitain ont poussé des soupirs de soulagement, prenant pour un « enterrement de première classe », comme ils l’ont dit, le calendrier proposé par le chef de l’État.
Certes, il était utile d’attendre le rendu des dix équipes d’architectes-urbanistes. C’est chose faite !
Certes, il est utile également d’attendre que Christian Blanc nous présente ses projets de futurs pôles de développement économique ainsi que les projets d’infrastructure de transport qu’il aura retenus pour les relier entre eux. Ce sera chose faite à la fin du mois d’avril, nous a-t-on dit hier.
M. Jean-Pierre Caffet. Tout à fait !
M. Philippe Dallier. Mais après ?
Croire que le Grand Paris pourrait se résumer à un catalogue de projets d’infrastructure, si attractifs et porteurs de rêves soient-ils, serait un contresens historique terrible.
Sans réforme de la gouvernance, donc sans pilote dans l’avion, que se passera-t-il ? Il est facile de le deviner : chacun tirera à hue et à dia et, au bout du compte, l’État imposera ses vues, procédera par opérations d’intérêt national et recherchera simplement, si j’ose dire, des clés de financement.
Est-ce vraiment ce que veulent les élus locaux d’Île-de-France ? Est-ce cela l’aboutissement de près de trente ans de décentralisation en Île-de-France, le retour des opérations d’intérêt national ?
Mais il y a plus grave encore. Dans ce cas de figure, nous n’aurions pas avancé d’un pas sur le sujet du partage de la richesse fiscale ; nous n’aurions pas avancé sur la cohésion sociale ni sur l’unité d’un territoire que nous devons recoudre ; nous n’aurions pas non plus créé de sentiment d’appartenance positif à cet espace, si riche par ailleurs, alors qu’il concentre des zones de pauvreté devenues de véritables bombes à retardement !
Mon Grand Paris est un projet pour la cohésion urbaine et sociale. Les grands projets d’infrastructure y contribueront en renforçant la compétitivité de la métropole, mais ils ne sauraient constituer une fin en soi.
J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet, mais je conclus, monsieur le président.
La solution que j’ai proposée n’est peut-être pas la plus optimale quant à son périmètre, j’en conviens, mais c’est la seule que nous puissions mettre en œuvre rapidement sans devoir tout remettre en cause, y compris les départements de la grande couronne et la région. Le comité Balladur est arrivé aux mêmes conclusions.
Cette solution ne crée pas de nouvelle frontière ; elle s’appuie sur les frontières actuelles de la petite couronne et fait tomber les frontières internes qui ne représentent rien.
Cette solution s’appuie sur les communes, échelon de proximité, et porte au bon niveau les politiques qui doivent être portées.
Cette solution permet le partage de la richesse fiscale pour financer les politiques sociales et la politique de la Ville.
Qui propose un modèle de gouvernance plus pertinent ? Personne ! Mais, c’est bien connu, la critique est facile, l’art est difficile !
Paris ne peut pas rester au bord du chemin de ce grand mouvement de construction politique des métropoles : ce serait une faute politique majeure !
La création du Grand Paris est une question d’intérêt général ; c’est aussi une question d’intérêt national.
Voilà pourquoi seul le chef de l’État peut initier ce mouvement. Voilà pourquoi l’avenir du Grand Paris concerne tous les parlementaires, et pas seulement ceux d’Île-de-France. Il y a urgence, nous ne pouvons pas nous défausser !
Si nous n’agissons pas, c’est une occasion historique, mais c’est aussi notre mission que nous aurons manquées ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Dominique Braye. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
Je vous le rappelle, mon cher collègue, votre temps de parole est réellement de cinq minutes. Un certain droit de tirage a effectivement déjà été utilisé ! (Sourires.)
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite intervenir sur l’intercommunalité et, plus particulièrement, sur l’enjeu qu’elle représente dans le paysage politique français ainsi que sur les ambitions que l’on peut légitimement nourrir à son égard.
L’intercommunalité, tout le monde s’accorde à le reconnaître, est une vraie réussite. D’une part, 93 % des communes appartiennent à une intercommunalité et représentent 87 % de la population. D’autre part, la loi Chevènement de 1999 a eu des effets positifs profonds et durables sur l’organisation territoriale française.
On disait hier « Paris et le désert français » ; on pourrait dire aujourd’hui, après avoir écouté ce débat, « la France intercommunale et le désert parisien » !
Si l’intercommunalité est devenue une réalité quotidienne pour les élus et surtout pour nos concitoyens, des améliorations doivent lui être apportées.
Il faut d’abord, comme le soulignent les rapporteurs, achever la carte de l’intercommunalité d’ici à 2011 ; cela me semble une bonne date. Pour ce faire, vous nous proposez, messieurs les rapporteurs, de trouver les moyens de contraindre les communes récalcitrantes. Les pistes mentionnées dans votre rapport vont, je crois, dans le bon sens : les pénalités négatives, notamment, me paraissent un dispositif intéressant.
Mais il faut aussi rationaliser la carte de l’intercommunalité, en dotant les territoires d’EPCI d’une taille critique, c’est-à-dire un territoire pertinent correspondant à un bassin de vie, un territoire aux dimensions adaptées aux missions qui y sont exercées.
Cela suppose aussi de mettre fin aux intercommunalités défensives et aux intercommunalités d’aubaine qui se sont créées.
On voit trop souvent aujourd'hui sur le périmètre d’une même agglomération deux intercommunalités, l’une purement défensive, l’autre essayant de travailler. C’est une situation inacceptable !
S’il faut renforcer les compétences obligatoires des intercommunalités, comme vous le proposez, cela me semble surtout vrai pour les communautés de communes, les communautés d’agglomération disposant déjà d’un arsenal de compétences obligatoires assez important.
Mais il faut aussi, et surtout, laisser le soin aux élus de définir librement l’intérêt communautaire. C’est tout aussi important !
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Claude Bérit-Débat. Il est fondamental de bien ancrer l’idée que l’intercommunalité doit être une intercommunalité de projet. Les communes doivent se regrouper en fonction des besoins qu’elles identifient elles-mêmes. Dans ce cadre, elles doivent conserver la clause générale de compétence, sans quoi elles ne seraient plus maîtresses de leur action.
En outre, il me semble nécessaire d’élargir plus particulièrement les compétences des communautés de communes.
L’intercommunalité en France repose, selon moi, sur la possibilité laissée aux acteurs locaux de déterminer eux-mêmes leurs propres besoins. En effet, « la France se nomme diversité » ; en outre, l’esprit de la décentralisation – et nous y sommes tous très attachés –, c’est la possibilité donnée aux acteurs locaux de gouverner véritablement leurs territoires en fonction de leur propre vision politique.
Dans ces conditions, le renforcement de l’intercommunalité ne peut se faire au détriment des communes, qui ont un rôle essentiel à jouer dans la vie du pays, comme chacun, y compris les rapporteurs de la mission temporaire, s’accorde à le dire.
Je suis personnellement opposé à la création de communes nouvelles sur le périmètre des intercommunalités, car le rôle du maire serait alors réduit à l’inauguration des chrysanthèmes !
La représentativité démocratique des EPCI doit être repensée en conséquence. Les EPCI ne sont pas des collectivités locales, mais ils ont des budgets trop importants pour ne pas rendre des comptes aux citoyens.
À cet égard, les préconisations des rapporteurs vont dans le bon sens : le système de « fléchage » sur le modèle PLM, préconisé par l’Assemblée des communautés de France, paraît être la solution la plus logique pour ce nouveau mode de scrutin.
Toutefois, j’aurais souhaité personnellement que l’on aille un peu plus loin et que l’on ne fixe pas de seuil du tout. En effet, pourquoi introduire le seuil de 500 habitants ? Dès lors que l’on définit une règle sur la base de 3 500 habitants, on peut l’appliquer à toutes les communes. Je ne vois donc pas pour quelle raison il serait impossible de décider de ne pas fixer de seuil du tout. La règle de la proportionnelle est compliquée, m’objectera-t-on.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Claude Bérit-Débat. J’évoquerai, pour conclure, la dimension financière de l’intercommunalité.
On nous annonce la suppression de la taxe professionnelle. Il ne faut pas oublier – je le dis solennellement – que cette taxe représente la seule ressource fiscale des communautés d’agglomération et des communautés de communes ayant choisi la taxe professionnelle unique, ou TPU.
La suppression de cette taxe sera compensée par des dotations, nous dit-on ; mais, dans ce cas, les EPCI seraient mis sous la tutelle de l'État.
À l’instar de plusieurs intervenants, je considère qu’il faut un impôt en lien avec l’activité économique et la commune, ou l’EPCI. Un impôt assis sur une valeur locative foncière, comme le préconise le rapport du comité Balladur, et sur la valeur ajoutée des entreprises permettrait d’établir ce lien et de fournir des moyens aux EPCI.
Au-delà de la taxe professionnelle, il faut également veiller à mettre en place une véritable péréquation qui soit à la fois verticale et horizontale. Il conviendrait, comme le préconise l’Association des communautés de France, de donner plus de moyens aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération qui jouent un rôle important dans la péréquation horizontale. Mais n’oublions pas que la meilleure péréquation ne peut venir que de l'État, puisque le partage ne peut s’effectuer que dans le cadre d’un territoire très pertinent.
J’espère que, grâce à une intercommunalité bien conduite et bien comprise, la France retrouvera toutes ses forces. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions – M. Dominique Braye applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la crise qui a sévi dernièrement en outre-mer a mobilisé toute la presse française et internationale. Malheureusement, le rapport qui nous est soumis ne consacre qu’une demi-page à la réorganisation territoriale de l’outre-mer, avec une seule préconisation, une assemblée unique.
Le 1er décembre 2009 marquera les dix ans de la Déclaration de Basse-Terre, que j’ai signée, dans cette même ville dont je suis le maire, avec mes collègues de Guyane et de Martinique.
Depuis la Constitution de 1958, différentes législations ont été adaptées à l’outre-mer, sans politique véritablement pensée et mise en œuvre dans l’intérêt de ces régions.
L’outre-mer, c’est une autre France, dans un environnement totalement différent.
Je le répète depuis des années, si l’on observe l’espace géographique de la Caraïbe, on constate que la France est absente dans les instances décisionnelles de la Communauté des Caraïbes, ou CARICOM, dans celles du Forum des États d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, ou CARIFORUM, et dans celles qui ont été mises en place par les conventions de Lomé, où se prennent cependant les décisions majeures pour le développement de la zone, notre pays se contentant de donner un mandat à l’Union européenne.
Il est tout de même aberrant que le siège caribéen de l’Europe se situe à La Barbade plutôt qu’en Guadeloupe ou en Martinique, qui sont des territoires européens ! Ce sont de telles erreurs qui révoltent aujourd'hui la population.
De même, la France, principal bailleur de fonds dans le domaine de la coopération dans la Caraïbe, complète le montant des fonds alloués aux départements d’outre-mer par le Fonds européen de développement régional, le FEDER, et de ceux qui sont consentis par le Fonds européen de développement, le FED, aux États de la Caraïbe, mais elle n’en a jamais profité pour régler le problème fondamental de l’hospitalisation des étrangers sur le territoire français, dont le coût reste à la charge des hôpitaux !
Comment évoquer l’intégration dans la zone, quand on voit la complexité de nos procédures administratives comparée à la simplicité de celles qui sont appliquées dans la Caraïbe ? Par exemple, à Saint-Martin, dans la zone hollandaise, qu’aucune barrière ne sépare de la zone française, le délai de construction d’un aéroport est inférieur à un an, alors qu’il est de trois ans et demi, voire quatre ans, chez nous !
Dès lors, peut-on parler de coopération ?
La vision jacobine que la France a conservée a fait échouer notre projet. Ce que nous avions demandé voilà dix ans, M. Domota l’obtiendra peut-être par la révolte, le désordre et sous la pression. Cela me choque. Nous, nous voulions agir conformément au droit, écouter tous les points de vue, tous les partis politiques, pour élaborer un document de fond.
S’agissant de la gouvernance, je ne m’étendrai pas sur la coexistence des deux assemblées. Un petit territoire comme le nôtre compte une commune, une communauté de communes, une communauté d’agglomération, un département, une région, et personne ne sait qui fait quoi. Il n’y a aucune lisibilité.
Le rapport du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Balladur prône une assemblée unique, sans en préciser toutefois les prérogatives, ce qui pourrait impliquer que tous les pouvoirs sont confiés à un exécutif autoritaire.
C’est la raison pour laquelle le statut des Canaries, des Açores et de Madère nous paraissait le meilleur, l’existence d’un conseil exécutif faisant obstacle au pouvoir total et dictatorial d’un président.
J’en viens au problème des communes. Il est amusant de constater que des routes nationales, régionales, départementales et communales passent dans une même commune ; cependant, c’est également décevant, le maire sollicité répondant toujours que telle route est l’affaire du département ou de la région – ce n’est jamais la sienne ! – et, dans le même temps, la région renvoyant la balle à la commune, au département. Au final, personne ne s’en sort ! Une petite ville comme la mienne est traversée par trois routes ! Mme le ministre, qui connaît bien l’outre-mer, notamment Basse-Terre, sait que ces problèmes se posent de façon récurrente.
J’aborderai à présent la question de l’octroi de mer.
M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique a indiqué que des délais seraient accordés aux entreprises pour acquitter cette taxe. Attention ! L’octroi de mer est une taxe très ancienne – elle date du XVIIe siècle –dont le produit est perçu par les communes sur toutes les marchandises pénétrant dans nos régions.
Or la France se laisse leurrer par le concept européen tendant à transformer l’octroi de mer en une TVA régionale. En effet, alors que la TVA est une taxe fixe, l’octroi de mer représente une taxe modulable par les élus, qui disposent ainsi d’une sorte d’autonomie fiscale.
Or l’Europe ne touche pas aux negativ lists des îles de la Caraïbe. En d’autres termes, la Dominique pourrait taxer à 100 % une bouteille d’eau produite en Guadeloupe, mais cette dernière, soumise à la réglementation européenne, ne pourrait appliquer une taxe supérieure à 20 % à une bouteille sortant de la Dominique. Comment peut-on parler de concurrence ?
J’aborderai également la question de l’omniprésence de l’État. Vous avez ressenti cette dernière, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État. En tant qu’élue, j’ai toujours dit ce que je pensais : nous en avons assez de cette situation où trop de fonctionnaires viennent chez nous pour profiter de l’indemnité dite de cherté de vie, de ces chasseurs de primes qui viennent en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion, et qui, à la différence de leurs prédécesseurs, ne s’intègrent pas dans le tissu familial et économique local et ne connaissent pas les Antilles. Depuis leurs bureaux, ils prennent des décisions qui sont en inadéquation avec la réalité.
Expliquez-moi pourquoi certains problèmes, comme celui des cinquante pas géométriques, appelés autrefois les cinquante pas du Roi, ne sont jamais réglés ? Pourquoi certaines règles ridicules – par exemple celles aux termes desquelles le lit des rivières relève de la compétence de l’État, et les berges, de la compétence des propriétaires et des communes – ne sont jamais abolies ?
Les États généraux de l’outre-mer seront l’occasion de mettre fin à ces situations et de colmater les brèches. Il importe de mettre l’ensemble des dossiers de l’outre-mer sur la table et d’y apporter des réponses claires et précises.
J’entends dire partout que les habitants de l’outre-mer veulent leur indépendance et qu’il faut tout simplement la leur donner. Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, il ne s’agit pas de cela !
D’ailleurs, conscients de la méconnaissance totale de nos frères métropolitains au sujet des problèmes qui nous intéressent, nous avons été prudents en 2003, lors de la modification de la Constitution : vous ne pouvez pas nous imposer l’indépendance ! (Sourires.) Seuls nous-mêmes pouvons la décider !
Aujourd’hui, si cette crise est pénible pour nous tous, c’est aussi l’occasion de crever l’abcès, de mettre à plat l’intégralité des dossiers de l’outre-mer, en ne se limitant pas à procéder à des ajustements administratifs ou financiers. Le problème n’est en effet pas là ! Il s’agit de savoir comment intégrer le Domien sur son territoire, afin de lui permettre de se sentir responsable et investi d’un pouvoir décisionnel, en tant que partie prenante et non plus spectateur de la vie de l’outre-mer.
La France a réussi à créer une élite en outre-mer ; qu’elle fasse confiance à cette dernière pour régler ses propres problèmes, car l’outre-mer est l’une des plus belles vitrines de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’organisation territoriale de notre pays – nous l’avons dit tout au long de ce débat – est complexe ; au demeurant, elle est démocratique et décentralisée, la décentralisation étant désormais inscrite dans la Constitution !
Comme Pierre Mauroy, j’estime que le bilan qui a été dressé est sévère et, surtout, injuste. Les résultats sont meilleurs que les jugements qui ont pu être portés par nos collègues : les collectivités locales réalisent 73 % des investissements publics, tout en limitant leur endettement à 10 % de l’endettement public ; c’est tout de même intéressant !
Il se trouve que j’ai l’expérience d’un département rural : je peux donc en parler et même le défendre. Il est d’ailleurs plus facile qu’hier de parler du département et de l’espace rural ; il me paraît, en revanche, beaucoup plus difficile de parler aujourd’hui des métropoles, des régions, voire du « Grand Paris » !
L’espace rural, rappelons-le, rassemble les communes de moins de 2 000 habitants, soit 70 % du territoire, ce qui n’est pas rien. Monsieur Mercier, pour reprendre les termes employés dans votre intervention, on ne peut pas les considérer comme « le reste » ! (M. Daniel Dubois applaudit.) Ces communes regroupent 14,5 millions d’habitants, soit presque le quart de la population : ce n’est pas vide ! Pour des sénateurs, 51 % des communes françaises, ce n’est pas négligeable ! Enfin, ces communes accueillent 60 % de l’activité industrielle, soit deux tiers des emplois industriels. Qui le sait ? Qui le croit ? Vous pouvez le vérifier, c’est la réalité !
L’expérience de mon département, les Hautes-Pyrénées, m’a permis de mesurer la pertinence des dimensions de cet espace. La casse de l’outil industriel nous a amenés à perdre 10 000 emplois en dix ans : le GIAT, qui a représenté jusqu’à 3 200 emplois, a disparu ; Péchiney a fermé son usine : 1 500 emplois en moins ! Or, nous avons résisté et, en dix ans, nous avons recréé 10 000 emplois !
Mme Josette Durrieu. Les élus sont devenus des agents du développement local. Nous nous sommes emparés des outils que sont l’intercommunalité, la contractualisation, etc. Nous avons pris des initiatives, nous avons été créatifs : le département a joué son rôle et trouvé sa place ; c’est la raison pour laquelle, sur tous les territoires qui ont fait la même expérience, le département a été sauvé ! Je ne comprendrais donc pas que l’on refuse, aujourd’hui, de conserver sa clause générale de compétence.
Monsieur Retailleau, vous avez dit à juste titre que l’esprit de la décentralisation se poursuivait : ne perdons pas politiquement ce qui a fait la force, à un certain moment, de ces lois de décentralisation ! Elles évoluent, certes, mais restons dans la dynamique initiale !
Oui, les départements ont besoin d’une clause générale de compétence pour réaliser de nombreux projets : le haut débit, la gestion des déchets, etc. ; Surtout, cette clause offre de nombreuses possibilités d’ouverture : en permettant d’être collectivité « chef de file, en autorisant les délégations de compétences, la coopération, etc., toutes activités possibles, car elles relèvent de la gestion.
Le rapport d’étape entend faire du département le garant de la solidarité sociale et territoriale. Mais quelle mission assigner à la région ? J’ai beaucoup plus d’ambitions pour elle : son rôle ne peut se limiter à une action complémentaire. La préconisation n° 18 du rapport d’étape – « affirmation des départements dans leur rôle de garant des solidarités sociales et territoriales, et des régions dans leurs missions stratégiques et liées à la préparation de l’avenir » – est excellente, et j’en profite pour saluer le président et les rapporteurs de la mission temporaire. Quelle immense perspective ! Nous avons besoin de retrouver la cohérence et la force d’une région qui s’empare des missions stratégiques telles qu’elles ont été énumérées tout à l’heure par le rapporteur.
Quant à la réforme en cours, j’admets qu’elle devra toucher aux périmètres des cantons. En ce qui concerne les modes de scrutins, la page est blanche : Pierre Mauroy a eu raison de le dire, certaines bizarreries n’y ont sûrement pas leur place. En ce qui me concerne, en tant qu’élue d’un département rural, je pense qu’il faut conserver le lien le plus étroit entre l’élu, les citoyens et les territoires : la preuve de son utilité est faite !
J’évoquerai rapidement la question des moyens : le principe de libre administration des collectivités locales n’a de sens que si ces dernières disposent véritablement de moyens propres. Chaque niveau de collectivités doit disposer d’un « panier » d’impôts correspondant à ses compétences : pour le département, il s’agit sûrement de la fiscalité sur les ménages, en retenant l’assiette de la CSG, mais d’autres taxes devraient y être ajoutées. La péréquation est aussi inscrite dans la Constitution : verticale et horizontale, elle doit alimenter un fonds national.
Quant à l’État, je regrette de répéter un lieu commun : il doit cesser d’étrangler les collectivités territoriales ! Il doit cesser de leur faire financer des politiques décidées par lui, comme le revenu de solidarité active. Il doit également arrêter de les faire participer à des dépenses relevant de son strict champ de compétences.
M. Dominique Braye. Comme l’allocation personnalisée d’autonomie !
Mme Josette Durrieu. Disant cela, je pense notamment aux lignes à grande vitesse !
M. le président. Ma chère collègue, veuillez conclure !
Mme Josette Durrieu. Soyons donc vigilants sur ce point : les mécanismes de financement introduits par l’État sont susceptibles de réduire dangereusement la capacité d’autonomie des collectivités locales !
Pour conclure, monsieur le président, la décentralisation a libéré beaucoup d’énergies ; elle a placé l’élu au plus près des citoyens et des territoires, donnant ainsi tout son sens à la notion de proximité. La dynamique est engagée : elle emporte réellement et fortement une adhésion chaque jour plus large. Nous allons réformer – soit ! –, mais faisons attention ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. François Fortassin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je souhaite vous délivrer un message bref, mais exigeant.
Tout d’abord, madame le ministre, je souhaite que cette réforme en soit vraiment une – que l’on ne nous resserve pas de l’eau tiède ! – et qu’elle aborde les questions fondamentales, comme nous y invite le Président de la République : les différents rapports qui ont été rendus – j’en profite pour saluer le président, les rapporteurs et les membres de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales – devraient nous permettre d’y parvenir.
Nous devons enfin nous affranchir des réponses uniques aux problèmes d’organisation rencontrés par notre pays. Quelques-uns d’entre nous ont abordé cette question : une réelle diversité de besoins est apparue, s’agissant de l’organisation du Grand Paris, des métropoles, des collectivités d’outre-mer et de la prise en compte de l’espace rural.
L’élu de la Lozère et le président du groupe d’études du Sénat sur le développement économique de la montagne que je suis se doit de vous demander, mes chers collègues, au moment où vous réfléchissez avant d’aller plus loin – vous présentez en effet un rapport d’étape –, d’intégrer dans votre approche les besoins de l’aménagement du territoire résultant de l’apparition de nouvelles organisations.
Le principal mérite du rapport Balladur, avec sa proposition de créer un mandat de conseiller territorial, est de sortir du faux débat entre le département et la région. J’ai été président de région, je suis conseiller régional et maire d’une petite commune : il est fondamental que notre organisation future « colle » aux nouvelles réalités. Parmi elles, figure l’intercommunalité : les communautés de communes vont couvrir tout le territoire.
Je tiens à signaler, au passage, qu’il faudra permettre aux communautés de communes de mener plus d’actions en commun, sans qu’il y ait nécessairement fusion, notamment pour l’exercice de différentes compétences, comme le transport de l’électricité : les syndicats départementaux d’électrification ont fait leur temps, cette activité devrait peut-être être reprise par les intercommunalités.
J’approuve la création de ce nouveau mandat de conseiller territorial, mais je m’oppose à une élection au scrutin de liste à la proportionnelle, sauf peut-être dans les zones urbaines. Il faut en effet conserver le lien fondamental entre l’élu et son territoire ! Il faudra sans doute accepter de revoir la carte des cantons…
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jacques Blanc. … en fonction de la carte des intercommunalités.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jacques Blanc. Il sera également souhaitable – mais la question n’est pas encore tranchée dans votre rapport, mes chers collègues – que tous les conseillers territoriaux soient membres du conseil départemental et du conseil régional : n’allons pas créer des catégories différentes de conseillers ! Si l’on veut que la région porte réellement des ambitions fortes qui ne résultent pas de l’addition de volontés éparses mais qui correspondent aux réalités du territoire, si l’on veut qu’elle puisse être le véritable moteur de l’aménagement du territoire, comme le département est le moteur de l’aménagement rural, il faut avoir le courage d’accepter une refonte des territoires sur la base de l’intercommunalité et de l’élection au scrutin uninominal en zone rurale – on peut encore discuter du mode de scrutin dans les villes.
Surtout, abandonnons l’idée, peut-être bonne au niveau du Parlement mais inapplicable pour la représentation des territoires, selon laquelle le nombre de mandats doit être proportionnel au nombre d’habitants ! Il faut que les territoires correspondent à des bassins de vie, et peu importe qu’ils abritent des populations égales ou non ! Les territoires, départements ou régions, doivent être représentés par des élus territoriaux, élus directement, pour la plupart, et sans rapport de proportionnalité avec la population, car il est impossible d’aménager le territoire en s’enfermant dans une telle règle ! Tel est le message que je voulais vous transmettre.
J’ajouterai simplement que les régions, comme les communautés de communes, doivent pouvoir mener des actions de concert, par exemple dans les comités de massifs pour les zones de montagne ou, au niveau européen, dans des associations transfrontalières qui apportent une dimension nouvelle, sans pour autant négliger le rôle des États.
Pour me résumer, madame le ministre, je souhaite que la réforme en préparation soit une vraie réforme, que la représentation des territoires soit fondée non pas sur le nombre d’habitants mais sur les réalités vécues, et que départements et régions soient représentés par des conseillers territoriaux tous égaux ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame le ministre, lors de la première séance de questions d’actualité au Gouvernement dans cet hémicycle, au mois d’octobre dernier, je vous avais demandé si le débat sur la décentralisation serait un vrai débat, avec des enjeux et des réformes, ou si le scénario était déjà écrit. Au vu des conclusions du rapport Balladur, j’ai le sentiment que c’est bien la seconde hypothèse qui a prévalu. Le scénario est déjà écrit : la création des conseillers territoriaux et la modification des modes de scrutin constituent l’ultime message que le Gouvernement ait souhaité faire passer.
Ce rendez-vous avec les collectivités locales préfigure-t-il vraiment la préparation de l’acte III de la décentralisation ou sera-t-il un nouveau rendez-vous manqué ? Préfigure-t-il la nécessaire mue territoriale dont la France a besoin ou s’agit-il d’un simple toilettage de notre spécificité française ? Sentirons-nous encore le souffle décentralisateur que j’ai connu dans les années quatre-vingt et que d’autres orateurs ont évoqué ?
La décentralisation est un gage d’efficacité et de responsabilité : un gage d’efficacité, car elle rapproche la décision des acteurs de terrain ; un gage de responsabilité, car elle consacre l’engagement des élus face aux citoyens.
Nous affirmons d’autant plus notre attachement à la décentralisation que nous observons aujourd’hui deux tendances inquiétantes : la première correspond à la tentation récurrente de « recentraliser » certaines compétences, et nous en avons eu un aperçu ce matin s’agissant de la formation professionnelle ; la seconde résulte de la situation d’asphyxie financière à laquelle l’État réduit aujourd’hui les collectivités territoriales.
Notre débat – nos rapporteurs l’ont très bien dit – ne doit pas porter sur la remise en cause des collectivités locales, de leur rôle et de leur efficience. L’important est non pas ce qui est bon pour les élus mais ce qui est bon pour les Français : j’adhère donc aux propositions de nos rapporteurs, dans leur totalité.
Étant le seul à m’exprimer au nom des régions – je représente une espèce rare au sein de cette assemblée –, même si les rapporteurs et Pierre Mauroy les ont évoquées, ce dont je les remercie, je voudrais insister sur deux points essentiels.
Premièrement, le comité Balladur estime que nous devrions nous inspirer de la loi PLM pour mener la réforme des collectivités territoriales.
Or, malgré la clause générale de compétence, les départements et les régions mettent essentiellement en œuvre des politiques relevant de champs de compétences qui leur ont été attribués dans le cadre des lois de décentralisation.
On ne peut donc comparer l’organisation et la répartition des compétences entre les départements et les régions avec celles qui prévalent entre les maires et les maires d’arrondissement. La loi PLM ne peut être transposée localement. Les mandats électifs correspondent en effet à deux missions radicalement distinctes dans le cadre des régions et des départements.
Deuxièmement – et sur ce point, je vais m’écarter de mon collègue Jacques Blanc –, les propositions du comité Balladur reposent sur l’analyse selon laquelle il y aurait, d’une part, le couple formé par le département et la région et, d’autre part, le couple composé de la commune et de l’intercommunalité.
Je m’élève violemment contre cette analyse. Il y a un couple formé par l’État et les régions, notamment à travers les contrats de plan, les fonds européens régionaux et la délégation aux régions de ces fonds. La Bourgogne nous en fournit un exemple concret, puisque nous avons lancé la semaine dernière l’Espace régional de l’innovation.
À côté de ce couple, il y a un autre couple qui se conçoit très bien, formé par le département et la commune, caractérisé par la proximité et la complémentarité, qui interviennent tous deux dans le domaine social.
Si l’on suit la proposition du comité Balladur de former un couple département-région, on devrait en déduire la fusion de leurs exécutifs en une seule et même collectivité. En effet, si l’on prévoit un scrutin unique, il doit forcément en découler une seule collectivité. Or, le comité Balladur plaide au contraire pour une clarification des compétences des deux collectivités, chacune étant confortée dans son existence.
Les contraintes financières des collectivités locales entraînent, de fait, une spécialisation accrue des différents échelons.
La fusion des listes électorales pour deux collectivités qui ne partagent aucune compétence et peu de politiques communes privera nécessairement l’une des deux d’un vrai débat démocratique et mettra inéluctablement l’une sous la coupe de l’autre. J’imagine sans peine la position de mon collègue et ami Alain Rousset, président de l’ARF, sur cette question.
Si les présidents de départements qui siègent au conseil régional se mettent d’accord pour fixer une feuille de route et l’imposer au président de région, quelle sera la marge de manœuvre de ce dernier ? Cette situation aboutira forcément à la domination d’une collectivité sur l’autre.
Alors que l’objectif affiché est de parvenir à une meilleure clarification des compétences de chacune des collectivités, on voit mal comment une fusion des listes sans fusion des institutions pourrait aller dans ce sens !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Patriat. Cette fusion reviendrait à reléguer au second plan les politiques d’investissement et d’innovation portées par les régions. On en reviendrait à l’établissement public régional et on changerait la nature de l’institution régionale, alors que celle-ci produit de la décision publique et de la norme, ces politiques étant particulièrement importantes.
Les arbitrages se feraient au profit des projets ayant un impact local immédiat, au détriment des projets de longue haleine.
Le principal risque de cette réforme est donc d’en arriver à la fin des politiques portées par les régions et à la relégation au second plan des politiques d’innovation et d’investissement. Les régions gardant la possibilité d’intervenir dans tous les domaines, demain, la salle des fêtes l’emportera sur l’innovation ! (M. Daniel Dubois proteste.)
Monsieur le président, je conclurai en évoquant le mode de scrutin. La loi de 1833 qui a opéré le découpage des cantons est toujours en vigueur aujourd'hui ! Je ne suis pas favorable à un double mode de scrutin, qui conduirait à appliquer la proportionnelle aux zones urbaines et le scrutin majoritaire aux territoires ruraux, car j’en vois bien les arrière-pensées politiques. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Madame le ministre, mes chers collègues, la région a vingt ans, le département deux siècles !
M. le président. Mon cher collègue, cela me paraît être une bonne conclusion ! (Sourires.)
M. François Patriat. La région a changé trois fois de scrutin électoral. Elle a besoin de trouver une stabilité, car elle a atteint un équilibre et prouvé son efficacité, et d’être consolidée et non fragilisée. Pour cela, ses compétences doivent être maintenant clarifiées et ses moyens renforcés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord féliciter les représentants de la mission sénatoriale ici présents, tout particulièrement son président Claude Belot, ses vice-présidents Pierre-Yves Collombat et Rémy Pointereau, et ses deux rapporteurs, Yves Krattinger et Jacqueline Gourault. Pour ma part, j’ai essayé d’assister de la manière la plus assidue possible aux réunions de la mission, à laquelle j’ai eu beaucoup de plaisir à participer.
Madame Gourault, permettez-moi de vous reprocher d’avoir parlé de l’intercommunalité mieux que je n’aurais su le faire moi-même ! (Sourires.) Cela prouve que l’Association des maires de France et l’Assemblée des communautés de France ont maintenant une grande convergence de vues. Ce simple constat constitue déjà pour moi un véritable motif de satisfaction !
Madame le ministre, nous le savons, une très grande majorité des élus nationaux et locaux et de l’opinion publique est maintenant pleinement convaincue de l’impérieuse nécessité de simplifier et de rationaliser l’organisation de nos collectivités territoriales.
L’idée du Gouvernement de lancer un large débat national est donc particulièrement bienvenue, surtout à un moment où nous sommes tous contraints de maîtriser la dépense publique.
Certains points d’accord ont semble-t-il pu d’ores et déjà être dégagés au sein des multiples instances de réflexion mises en place : comité Balladur, mission sénatoriale ou groupes parlementaires. Le refus de la suppression autoritaire d’un échelon territorial en est un, comme, à mon avis, la spécialisation des compétences de certains échelons territoriaux.
En l’absence de suppression de niveau de collectivité, il est indispensable d’organiser une meilleure complémentarité et une plus grande synergie entre les différents échelons. C’est dans cet esprit qu’est née l’excellente idée de former des couples, d’une part, entre la commune et l’intercommunalité et, d’autre part, entre le département et la région.
En tant que responsable national de l’Assemblée des communautés de France, je tiens à souligner que celle-ci est en parfait accord non seulement avec toutes les associations nationales d’élus, mais aussi avec les principales formations politiques de notre pays pour que soit reconnu enfin dans la réforme le rôle essentiel joué par l’intercommunalité dans la vie de nos concitoyens, comme les rapports Balladur et Belot l’ont bien mis en évidence.
L’intercommunalité a maintenant largement fait la preuve de son efficacité. Elle ne constitue nullement une menace pour l’avenir de nos communes – il faut sans cesse le rappeler –, mais permettra bien au contraire aux plus petites d’entre elles de survivre.
Cette nécessité a été parfaitement comprise par tous les gouvernements qui ont tenté, avec plus ou moins de bonheur, de regrouper nos communes au sein de périmètres correspondant à des bassins de vie quotidienne. Ces regroupements, qualifiés de « pertinents », ont permis d’aboutir à une organisation plus efficace des services rendus aux administrés dans des domaines aussi essentiels que les transports, le logement ou l’environnement notamment.
Je ne vous rappellerai pas, madame le ministre, les nombreuses dispositions législatives et réglementaires qui, de l’ordonnance du 5 janvier 1959 portant création des districts à la loi Chevènement du 12 juillet 1999, ont participé à l’émergence du fait intercommunal.
Comme l’ont indiqué plusieurs intervenants, le bilan est manifestement positif du point de vue quantitatif, puisque 93 % des communes et près de 88 % des Français vivent sous le régime de l’intercommunalité à fiscalité propre.
En revanche, il est beaucoup plus nuancé du point de vue qualitatif. De nombreux périmètres d’intercommunalité ne permettent en effet pas d’optimiser la gestion des territoires, la rendant même quelquefois plus dispendieuse, comme l’ont montré un certain nombre de rapports, dont celui de la Cour des comptes en 2005. Certains voulaient alors en profiter pour jeter le bébé avec l’eau du bain, en supprimant l’intercommunalité en même temps que les travers engendrés par cette dernière.
Mes chers collègues, nous savons tous que la nature humaine, l’histoire et la politique sont ce qu’elles sont. Il ne me semble néanmoins pas acceptable que 7 % des communes françaises empêchent, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’intérêt général, toute organisation et gestion efficaces de notre territoire national !
Madame le ministre, achever et rationaliser la carte de l’intercommunalité est aujourd’hui une impérieuse nécessité si vous voulez que les élus puissent enfin rendre à leurs administrés les meilleurs services au meilleur coût.
Le Sénat, Grand conseil des communes de France, doit peser de tout son poids en faveur de cette nécessaire évolution. Rien ne serait pire pour la Haute Assemblée et pour l’image des responsables politiques que, à l’occasion de cette réforme tant attendue par nos concitoyens, nous ne sachions pas faire évoluer les structures pour répondre efficacement aux légitimes aspirations.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Dominique Braye. Nous avons aujourd’hui l’occasion de prouver à nos concitoyens qui souffrent que nous sommes capables de faire passer leur intérêt avant toute autre considération.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vraiment ce qu’ils attendent !
M. Dominique Braye. Cette démarche doit être appliquée à l’ensemble de notre pays, à l’exception peut-être des métropoles qui doivent avoir un statut particulier. En ce qui concerne la région d’Île-de-France, la seule exception pouvant être envisagée est celle de Paris, compte tenu de sa spécificité, et des trois départements de la petite couronne.
Vous l’avez compris, madame le ministre, nous sommes convaincus que l’achèvement et la rationalisation de l’intercommunalité doivent maintenant intervenir le plus rapidement possible.
Fort de ces convictions, permettez-moi, monsieur le président, de poser deux questions précises.
M. le président. Concluez rapidement, monsieur Braye !
M. Dominique Braye. La première porte sur la date d’achèvement de la carte intercommunale, fixée par le rapport Balladur au 1er janvier 2014.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas encore fait !
M. Dominique Braye. Or, mes chers collègues, cette date semble beaucoup trop proche des renouvellements municipaux de mars 2014.
La mission sénatoriale et les associations d’élus préféreraient nettement l’échéance de 2011, de façon à permettre à tous les élus d’être totalement prêts et opérationnels pour le renouvellement de 2014.
La deuxième question, qui est peut-être plus importante que la précédente, est celle de la rationalisation de la carte intercommunale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout cela est très technocratique !
M. Dominique Braye. Madame le ministre, quelles dispositions entendez-vous proposer pour, d’une part, empêcher tout nouveau regroupement « contre nature » de communes et, d’autre part, pour remédier à ceux qui bloquent aujourd'hui toute optimisation de la gestion des territoires ?
En répondant précisément à ces deux questions, vous nous permettrez assurément de faire un immense pas en avant s’agissant de l’organisation et de la gestion de nos territoires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j’évoquerai la manière dont le comité Balladur a conduit sa réflexion sur la question de l’évolution des cartes régionales, et le traitement de cette dernière par les médias. Je vous l’avoue, l’élu de la région picarde que je suis n’a pas très bien vécu cet épisode. Cela illustre une fois de plus, si besoin était, le déficit de communication sur cette question. Les médias, en prêtant plus d’importance à des propos « collatéraux » qu’aux propositions du comité Balladur et de la mission, ont malheureusement pollué le débat sur ce sujet de fond, qui est pourtant extrêmement important.
Quel a été le fil conducteur du comité Balladur et de la mission pour aboutir aux conclusions qui nous ont été présentées ? Deux éléments importants ont été, me semble-t-il, pris en considération, ces deux éléments étant à mon avis, nécessaires pour réfléchir sur cette question et pour aboutir, le cas échéant, à des conclusions au terme de cet échange.
Le premier élément est le principe de subsidiarité. (Mme le ministre acquiesce.) Ce principe de base, appliqué à l’échelle de l’Europe et un peu au niveau de nos intercommunalités, est le fil conducteur de la réforme dans laquelle le Président de la République souhaite nous engager. Il en découle naturellement le couple commune-intercommunalité, le couple département-région et le couple État-Europe.
À l’instar de ce qui s’est fait lors de la création des intercommunalités, pourquoi ne pas envisager la nouvelle cartographie des régions à partir des départements ? C’est en effet à partir d’un cadre législatif défini par le Parlement et proposé par le Gouvernement que les intercommunalités sont apparues. Or on peut considérer que la plupart d’entre elles sont satisfaisantes et rationnelles, à quelques exceptions près qu’il faudra corriger. C’est d’ailleurs ce à quoi le comité Balladur s’est attaché.
Nous pourrions donc imaginer que les départements, en s’appuyant sur les bassins de vie dans lesquels vivent nos populations, en espérant qu’ils exercent leurs responsabilités dans le cadre des ententes interdépartementales, servent à définir les futures régions sur lesquelles l’État s’appuierait dans le cadre de ses relations avec l’Europe.
Le deuxième élément est celui des finances et des compétences.
La question qui me paraît fondamentale – vous vous l’êtes sans doute posée, madame le ministre – tient à la collectivité la plus pertinente pour exercer la compétence que la loi définit.
À partir du moment où nous créons un lien entre la compétence et la collectivité qui apparaît la mieux à même de l’exercer – la commune, le département ou la région –, tout le reste découle de ce choix. Dès lors, la clause générale de compétence dépend des ressources que l’on affectera à la collectivité en question. Le problème est donc bien celui des ressources financières. Nous devons par conséquent être en mesure de déboucher sur une réforme des finances locales permettant à chacune de nos collectivités d’exercer les compétences que nous voulons leur assigner ; à défaut, nous échouerons.
Pour conclure, je dirai que cette réforme n’aboutira que si elle est mise en œuvre le plus rapidement possible. La reporter à 2014, c’est déjà l’affaiblir. Je sais que se pose le problème des échéances électorales, mais c’est une affaire de volonté politique. Celle-ci doit se traduire par un texte qui s’appliquera dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –M. Michel Mercier applaudit également.)
Débat interactif
M. le président. Madame le ministre, mes chers collègues, nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, troisième séquence de cette discussion, qui sera l’occasion pour Mme le ministre et les représentants de la mission temporaire de réagir, y compris aux propos tenus précédemment.
Je rappelle que les questions ne doivent pas excéder deux minutes trente – voir deux minutes –, afin que le débat soit réellement interactif.
La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ma question a trait à la suppression de la taxe professionnelle.
Certaines communes et communautés de communes sont actuellement en phase de réflexion, voire de réalisation, s’agissant de la création de zones d’activités. Bien que l’objectif premier soit de créer des emplois, elles se posent légitimement la question suivante : quid des recettes escomptées de la taxe professionnelle à venir pour alimenter leur budget ?
Le Gouvernement nous a assuré qu’une compensation serait prévue. Cependant, dans ce cas de figure, il ne peut y avoir compensation, puisque la taxe professionnelle n’existe pas encore.
Face à cette incertitude, certaines collectivités risquent ne pas réaliser ces zones d’activités, ce qui serait bien dommage.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même nous sommes engagés, je le rappelle, à une compensation intégrale de la taxe professionnelle.
Le cas plus spécifique que vous soulevez, madame le sénateur, sera évoqué le 25 mars par la conférence nationale des exécutifs. Tout d’abord, une période transitoire sera nécessaire pour permettre aux collectivités de s’adapter. Ensuite, nous affinerons la solution à ce problème, qui trouvera sa traduction concrète en loi de finances.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, rapporteur.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Madame le ministre, soyons clairs : les élus, dans leur ensemble, ne veulent pas de compensation de la taxe professionnelle. Ils veulent un impôt local (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et du groupe socialiste.)…
M. Jacques Gautier. C’est clair !
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. …lié au développement et à l’équipement économiques, afin qu’il y ait un rapport entre le territoire et l’entreprise. Des compensations, nous en avons déjà beaucoup et nous savons ce qu’elles sont ! Cette solution serait donc une erreur.
En fait, votre réponse, qui se voulait apaisante, ne rassure pas du tout les élus ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Quand je parle de compensation intégrale, il s’agit du montant et non pas du support.
Nous verrons dans le cadre de la réforme de la fiscalité globale quels impôts doivent correspondre à certaines compétences et aux collectivités qui les exercent. À ce moment-là, nous prendrons aussi en compte le produit global de la taxe professionnelle.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Collomb.
M. Gérard Collomb. Deux minutes, c’est peu pour construire une métropole de deux millions d’habitants…
Je suis de ceux qui préconisent de bouger, car la réalité a changé. Lorsque je regarde l’agglomération lyonnaise – non pas ses institutions, mais le quotidien de celles et de ceux qui l’habitent –, je vois qu’elle s’étend aujourd’hui sur quatre départements. Notre aéroport, quant à lui, s’étend sur trois départements. Nous ne pouvons donc pas rester statiques.
Cela étant, madame le ministre, il vous faut rassurer nos collègues qui voient, derrière ce grand projet de réforme, la volonté de modifier les modes de scrutin. (M. Dominique Braye proteste.) Vous le savez bien, il y a toujours des gens que le doute habite …
M. Dominique Braye. Mais vous n’en faites pas partie ! (Sourires.)
M. Gérard Collomb. Le mode de scrutin régional actuel, par exemple, permet d’élaborer des projets globaux d’envergure, qui sont stratégiques pour notre pays, loin de ces projets qui ne seraient qu’un saupoudrage à l’échelle de « supercantons ».
En outre, comme le rapport d’étape de la mission temporaire le montre bien, si nous voulons progresser et mener à bien la réforme, il faut que la diversité des territoires appelle une diversité des solutions. À cet égard, j’aime beaucoup le mot de Fernand Braudel, rapporté par Jean-Pierre Chevènement : « la France se nomme diversité ».
M. le président. Veuillez conclure !
M. Gérard Collomb. On ne peut en effet pas traiter les départements à dominante rurale comme les départements à dominante urbaine.
M. Jean-Patrick Courtois. Absolument !
M. Gérard Collomb. M. Mercier a très justement mis l’accent sur ce point, tout à l’heure.
Enfin, vos métropoles ont 400 000 habitants ; la communauté urbaine de Lyon, quant à elle, compte déjà 1,3 million d’habitants. Nous voulons donc essayer de constituer une « supermétropole » comprenant à la fois – tous les partenaires en sont d’accord – la communauté urbaine de Lyon, Saint-Étienne métropole, la communauté d’agglomération des pays isérois. C’est à cette condition que nous serons compétitifs face à des villes comme Turin, Milan ou Manchester. Bref, nous pourrons alors rivaliser avec les grandes métropoles européennes. C’est un enjeu fondamental pour notre pays.
Le débat est donc non pas simplement national, mais également européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. L’objectif principal de cette réforme est de permettre à notre démocratie républicaine d’être plus vivante et plus en rapport avec le XXIe siècle, en renforçant le poids et le rôle de nos collectivités dans la vie économique et sociale, dans le cadre d’une concurrence européenne et mondiale.
Monsieur le sénateur, je vous entends nous prêter des arrière-pensées électoralistes, mais je vous rappelle que le comité Balladur était composé de façon pluraliste. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, bipartiste !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Nous n’aurions pas créé une commission pluraliste si nous avions ce type d’arrière-pensées. Maintenant que vous, vous en ayez, c’est un autre problème…
Le débat auquel je n’ai malheureusement pu que partiellement assister a été, me semble-t-il, d’un autre niveau. Je préfère donc en rester là pour répondre aux questions que vous avez posées.
Le comité Balladur propose en effet un changement des modes de scrutin, mais il l’inscrit dans le cadre d’une réflexion sur la redéfinition des compétences. Ne nous focalisons donc pas sur ce point, car il existe bien d’autres propositions. Quoi qu’il en soit, c’est un sujet dont nous discuterons dans la concertation, mais ce n’est certainement pas celui par lequel il faudra commencer. Selon moi, la question du mode de scrutin doit venir bien après la redéfinition des compétences, par exemple.
Vous avez également évoqué la nécessité de prendre en compte la diversité des territoires.
Oui, le pragmatisme doit nous conduire à introduire plus de souplesse ! Le système actuel nous le montre bien : appliquer exactement la même solution à une commune de quelques centaines d’habitants, à la ville de Lyon, à un département rural ou à un département urbain aboutit nécessairement à des distorsions.
Le rapport Balladur préconise l’introduction d’une certaine forme de souplesse, mais dans le cadre de la République. Nous aurons certainement des ajustements à trouver.
Nous devons à la fois respecter l’égalité républicaine – à défaut, le Conseil constitutionnel nous censurerait – et trouver le nécessaire assouplissement pour tenir compte des réalités.
C’est tout l’intérêt du travail que nous allons devoir réaliser avant l’été, dans le cadre de la concertation, puis pendant l’été, sur la base des propositions que je vous soumettrai.
Quant aux métropoles, elles ne doivent pas être trop nombreuses pour constituer des ensembles qui pèsent vraiment. Il nous reste cependant à en donner une définition précise.
Vous évoquez une métropole s’étendant sur quatre départements. Il est évident qu’une telle situation entraîne de nombreux problèmes d’organisation, en particulier en ce qui concerne les rapports entre la métropole et les communes « inframétropolitaines », mais aussi les départements, voire les régions.
Ces points n’ont pas été précisés dans le rapport Balladur, qui présentait des pistes de réflexion. C’est le rôle du législateur, et en particulier du Sénat, représentant des collectivités locales. (MM. Adrien Gouteyron et Dominique Braye applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Dans cette mission, le Sénat développe sa propose réflexion sur la réforme des collectivités territoriales. Pour ma part, avec mes collègues Jean-Pierre Caffet et Philippe Dallier, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur le Grand Paris. L’enjeu est de taille !
Le millefeuille administratif parisien, si j’en crois M. Christian Blanc, coûte de 1,5 à 2 points de croissance à la région capitale. L’Île-de-France représente 30 % du PIB français et 40 % des brevets d’invention déposés chaque année en France. La zone de Saclay serait le troisième pôle de recherche mondial, avant la Silicon Valley.
Fort de cet actif et suivant la logique des « villes monde » décrite par l’OCDE – Paris, New York, Tokyo et Londres –, Paris devrait tirer la croissance française. Or ce n’est pas le cas, puisque la croissance de la région d’Île-de-France est la même que celle de Paris.
Cette situation s’explique par l’absence de stratégie globale ainsi que par l’immense complexité administrative. En matière de lutte contre le chômage, par exemple, la chambre de commerce et d’industrie de Paris dénombre quatre-vingts structures de développement de l’emploi dans les quatre départements du Grand Paris : c’est complètement surréaliste !
Pour vous citer un autre exemple, le Syndicat des eaux d’Île-de-France peut doubler sa production d’eau, mais Paris conserve sa propre production, et certaines usines font double emploi. Les exemples ne manquent pas, hélas !, que ce soit en matière de logement ou d’urbanisme, comme en témoigne le rapport d’information de M. Dallier.
In fine, ce sont les franciliens qui paient !
Paris, ville riche s’il en est avec un budget de quelque 7 milliards d’euros, va pourtant augmenter ses impôts locaux de 24 % d’ici à l’année prochaine. La ville de Boulogne, quant à elle, devrait augmenter les siens de 10 % à 12%.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur Belot, que compte faire la mission sur la question du Grand Paris, qui a déjà fait l’objet d’un rapport d’information de M. Dallier ? Madame le ministre, quelle est la position du Gouvernement sur la question du Grand Paris ?
M. le président. La parole est à M. le président de la mission temporaire.
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Mon cher collègue, au sein de la mission, nous sommes convaincus qu’il ne sera pas possible de laisser très longtemps le problème de Paris à l’écart. Le Président de la République souhaite d'ailleurs engager une réflexion sur ce point.
Les membres de la mission appartenant au Grand Paris ne nous ont pas permis d’y voir suffisamment clair (M. Jean Desessard rit.) en raison d’affrontements qui, je tiens à le souligner, n’ont pas grand-chose à voir avec l’intérêt général.
MM. Huchon et Delanoë ont accepté d’être prochainement auditionnés par notre mission. M. Christian Blanc, secrétaire d'État chargé du développement de la région capitale, n’a pas souhaité intervenir avant d’avoir déposé ses conclusions ; nous devrions le recevoir à la fin du mois d’avril.
Actuellement, l’Île-de-France est la région où l’intercommunalité fonctionne le plus mal.
M. Jean-Jacques Hyest. Il n’y a pas d’intercommunalité !
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Il faudra sans doute, au nom de l’intérêt général, que cela change !
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Le Grand Paris sera-t-il réalisé ? Oui. Quand cette réalisation sera-t-elle annoncée par le Président de la République ? D’ici à quelques semaines. Quelle forme prendra-t-elle ? Des projets concrets seront rapidement lancés, puis les structures chargées de les porter seront définies.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si la mission sénatoriale est pluraliste, je tenais à préciser que le comité Balladur ne l’était pas, puisque les élus de notre sensibilité politique n’étaient pas représentés.
Je soulèverai deux points.
La révision constitutionnelle et la loi organique ayant posé le principe de l’évaluation de toute loi, quels travaux ont été – ou seront – entrepris pour démontrer que les nouvelles structures coûteront moins cher en frais de fonctionnement à nos concitoyens ? À moins que vous ne vouliez tout simplement diminuer la dépense publique, c’est-à-dire les services que les collectivités locales rendent à la population, ce qui est tout à fait différent…
Comment pouvez-vous invoquer la souplesse, alors que la réforme envisagée par le comité Balladur rigidifie les structures par la logique des blocs de compétences ?
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur. La première question est essentielle, puisqu’elle est sous-jacente à la commande passée à la représentation nationale, au comité Balladur, etc.
L’Assemblée des départements de France a interrogé un cabinet spécialisé pour évaluer ce que rapporterait la fusion des départements et des régions. Il en ressort que, au début, cela coûtera plus cher et que, ensuite, cela rapportera très peu ! Il serait donc souhaitable que les propositions qui nous seront faites soient préalablement évaluées.
M. Roland du Luart. Il faudrait généraliser l’évaluation !
M. Yves Krattinger, rapporteur. Ce n’est pas contradictoire avec les recommandations antérieures.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Bernard Frimat. Ça, c’est une réponse !
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Le comité Balladur a auditionné des élus de toutes les sensibilités politiques, madame Borvo Cohen Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Être auditionné et siéger, ce n’est pas la même chose !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. J’en viens à l’évaluation du coût de la réforme. Quand on évite les doubles emplois et la redondance de structures sur un même projet, quand l’État n’entretient plus de structures déconcentrées dans des domaines relevant de la compétence exclusive des collectivités territoriales, comme cela est également prévu par la réforme Balladur, on réalise a priori des économies.
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Et a posteriori ? On ne dispose d’aucune évaluation !
M. Dominique Braye. C’est ceux qui ne veulent rien changer qui disent cela !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Il faut une évaluation a posteriori, je suis entièrement d’accord avec vous, mais vous ne pouvez pas évaluer une réforme qui n’existe pas : il faut un minimum de logique !
Quand des évaluations sont demandées, elles sont faites !
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Ce n’est pas vrai !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. J’ai été suffisamment souvent auditionnée par la commission des finances du Sénat pour garantir l’existence d’évaluations réalisées pas des organismes spécialisés.
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Il faut nous les communiquer !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Vous dites que la réforme Balladur aurait pour effet de rigidifier les choses. Il s’agit, pour le coup, d’un jugement de valeur sans aucun fondement ! Le rapport retient au contraire l’idée de l’adaptation, de l’assouplissement des règles en fonction des collectivités. Si l’on veut se conformer à la réalité, il faut lire les textes !
M. Dominique Braye. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous l’avons fait !
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Le rapport Balladur a été assez controversé : il comprend de très bonnes choses, mais aussi quelques zones d’ombre ; et ce n’est pas moi qui le dis !
J’aurais souhaité une réflexion à trois niveaux.
Premièrement, le scrutin uninominal, dont les avantages ont été parfaitement décrits, est-il utile ? Deuxièmement, la tâche la plus noble de tout élu n’est-elle pas d’assurer le développement harmonieux et équilibré du territoire dont il a la charge ? (M. Jackie Pierre applaudit.) Troisièmement, la solidarité territoriale est-elle aussi importante que la solidarité sociale ?
Si l’on répond « oui » à ces trois questions – on peut à mon avis le faire –, il convient de présenter des propositions cohérentes, ce que n’a pas fait le comité Balladur.
Ainsi, il peut paraître séduisant de regrouper un certain nombre de cantons, mais cela signifie, à terme, le regroupement et la disparition des départements de moins de 300 000 habitants…
Quant aux métropoles, ne craignez-vous pas qu’elles jouent le rôle de pompe aspirante ? Dans la région Provence-Alpes-Côte-d’azur, par exemple, que restera-t-il pour les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence face aux métropoles de Marseille, de Nice, voire de Toulon ? Les habitants se plaignent déjà d’être ravitaillés par des corbeaux, ce sera pis !
L’existence de 36 000 communes est une spécificité française. Ces dernières, quelle que soit leur taille, sont dans l’ensemble bien entretenues, largement grâce au bénévolat des équipes municipales et des élus en matière de travaux, bénévolat qu’il ne faudrait pas remettre en cause. Si l’on veut que l’autorité du maire demeure, il ne faut pas transformer cet élu en chef de village !
Nous devons sans doute engager des réformes, mais, en lisant attentivement le rapport Balladur, l’expression : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » m’est souvent venue à l’esprit !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Fortassin.
M. François Fortassin. Autrement dit, on a tenté de m’éblouir, mais je ne suis pas pour autant éclairé ! (Rires.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Le comité Balladur n’avait pas pour mission de réfléchir aux modes de scrutin. Les conclusions qu’il a rendues sont de simples recommandations, des propositions qui devront être discutées et traduites dans plusieurs lois. C’est à cette occasion que les modalités concrètes seront définies, notamment au Sénat.
Je ne partage pas votre analyse sur plusieurs points, monsieur le sénateur. Nous n’avons nullement l’intention de regrouper d’une façon autoritaire des communes, voire des départements, et le rapport Balladur ne l’a pas proposé. En tant qu’élue locale, je sais bien que, quand on veut contraindre des collectivités à se regrouper, cela ne marche jamais !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. C’est donc sur la base du volontariat, et certainement pas sur une base autoritaire, que des regroupements pourraient intervenir.
M. le président. La parole est à M. le président de la mission temporaire.
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Je souhaite qu’il ne demeure aucune ambiguïté dans cette discussion, notamment sur le rôle de la mission temporaire.
Le débat sur les fusions autoritaires des communes a eu lieu dans cet hémicycle en 1971, parce que c’était alors la mode. La loi du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes, dite loi Marcellin, visait à faire disparaître nombre de communes parce que la nomenklatura parisienne estimait qu’il y en avait 25 000 de trop en France ! Et c’est le terrain qui a arbitré.
Or ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit aujourd'hui. En effet, nous avons trouvé une solution qui a souvent été mise en œuvre dans l’allégresse, avec beaucoup de foi : l’intercommunalité. Ce système présente le double avantage de garantir le maintien de la commune, quelle que soit sa taille, et de permettre aux élus de mener des politiques que certaines communes ne pourraient pas conduire en demeurant isolées.
Dans ces conditions – et je pense bien résumer l’état d’esprit qui a présidé aux travaux de la mission –, il n’y a aucune ambiguïté : la commune est le fruit de l’histoire, et elle fonctionne plutôt bien.
Quant à la position de la mission temporaire à l’égard des conclusions du comité Balladur, permettez-moi de faire allusion à ce que j’avais indiqué en concluant mon intervention liminaire.
Comme je l’ai souligné tout à l’heure, M. Édouard Balladur, alors que je le reconduisais jusqu’à sa voiture, m’a déclaré que sa tâche était terminée et qu’il nous appartenait désormais, à nous, pouvoir législatif, d’assumer l’aboutissement des travaux. Il a notamment insisté sur le rôle particulier qui serait celui du Sénat, en nous demandant de nous prononcer sur ce qui nous paraîtrait bon pour la France. Puis, au moment de quitter le Sénat, il m’a déclaré textuellement que nous n’avions « pas le droit de ne rien faire » !
En d’autres termes, et pour répondre à certains des intervenants, je précise que nous avons l’intention non pas de toucher aux communes, mais d’améliorer « l’horlogerie » intercommunale.
Pour le reste, il y a, me semble-t-il, une ardente obligation et, sans doute également, une véritable ardeur dans cette maison pour aboutir à un dispositif utile, avec un accord le plus large possible.
C’est dans cet esprit que nous travaillons.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Madame le ministre, je souhaiterais avoir votre éclairage sur un sujet tellement sensible que la mission n’est pas parvenue à ce jour à un consensus.
À mon sens, la question de la fusion entre élus départementaux et élus régionaux pour former des « élus territoriaux » et celle des modes de scrutin sont indissociables.
M. Balladur a déclaré, non sans arguments, que la création des conseillers territoriaux impliquait d’opter pour un scrutin proportionnel.
Pour ma part, tout comme nombre de mes collègues, je suis très attaché au scrutin uninominal majoritaire, notamment en milieu rural, car c’est le scrutin de la responsabilité et de l’enracinement.
À cet égard, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement et du Sénat sur un point. Si l’option indiquée par le comité Balladur est retenue, la question du mode de scrutin sénatorial se posera alors nécessairement, car le collège électoral des sénateurs sera entièrement élu au scrutin proportionnel.
Par conséquent, madame le ministre, ma question est la suivante : selon vous, peut-on instituer les conseillers territoriaux sans forcément choisir le scrutin proportionnel ?
M. le président. Il me semble que la mission n’a pas encore tranché cette question. (Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, acquiesce.)
La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Il s’agit d’une question qui fera sans doute l’objet de discussions importantes, au Sénat comme à l’Assemblée nationale.
Pour ma part, je pense que la région et le département doivent avoir des compétences différentes. Je souscris ainsi à l’analyse selon laquelle la région a vocation à jouer un rôle d’aménagement du territoire et de préparation de l’avenir. En revanche, je suis beaucoup plus réservée sur l’idée qu’il serait possible d’atteindre un tel objectif sans tenir compte des territoires composant la région, c'est-à-dire les départements. C'est la raison pour laquelle la piste suggérée par le comité Balladur, celle des conseillers territoriaux, me semble intéressante.
Dans ce contexte, survient ensuite une deuxième question, celle du mode de scrutin. Le comité Balladur a proposé de retenir le scrutin proportionnel. Personnellement, étant élue dans un département, voire une région, dans lesquels il y a à la fois des grandes villes, où les conseillers généraux et même l’institution départementale sont peu connus, et des territoires ruraux, où le conseiller général joue un véritable rôle, je suis très réticente à l’idée d’une disparition des cantons.
Dès lors, que peut-on faire ? Il y aurait bien une solution, mais elle pose peut-être des problèmes juridiques et il faudra sans doute procéder à des consultations. Il s’agirait d’opter pour une modulation. Ainsi, le canton, éventuellement redécoupé, serait maintenu dans les zones rurales et supprimé dans les zones urbaines, où le conseiller général a un rôle moins prégnant, au profit d’un scrutin proportionnel. À mon sens, cette solution, qui me paraît équilibrée, serait probablement celle qui recueillerait le maximum d’adhésions.
Le problème est de savoir si un tel dispositif serait constitutionnel. Il faudra donc approfondir cette question d’un point de vue juridique. (M. Jacques Gautier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Je voudrais revenir sur le Grand Paris.
Tout d’abord, je me réjouis que le Président de la République ait insisté sur la nécessité de parler de « projets », d’« objectifs » et de « synergies » avant d’évoquer la gouvernance. Je vous remercie également de l’avoir rappelé, madame le ministre.
Mais puisque nous parlons de synergies et de projets, pourquoi vouloir recréer le département, très centralisé, de la Seine, alors qu’il y a déjà, comme tout le monde l’a souligné, l’intercommunalité ?
Pour ma part, je voudrais que nous réfléchissions à une adaptation de l’intercommunalité à la région capitale. Par exemple, dans les Hauts-de-Seine, aux portes de Paris, nous avons déjà 60 % d’intercommunalité. Il doit donc être possible d’intégrer l’État, la région et les départements dans une intercommunalité, qui, nous le sentons tous, sera différente des autres.
Une telle solution permettrait de cumuler les avantages. Les communes délégueraient une partie de leurs pouvoirs et compétences, comme elles le font déjà, et elles désigneraient des élus chargés de les représenter. Elles demeureraient ainsi une structure de proximité, tout en conservant un certain poids. Et l’intercommunalité apporterait la synergie et l’efficacité dont nous avons tous besoin.
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur. Mon cher collègue, la mission a clairement indiqué qu’elle n’était pas aujourd'hui en situation de formuler une proposition sur le Grand Paris.
En revanche, les contributions des différents acteurs doivent nous aider. Aujourd'hui, il n’y a pas de consensus entre les différentes propositions ou initiatives. Par conséquent, nous sommes demeurés très neutres dans nos propositions.
En tant que rapporteur, et conformément à l’esprit dans lequel j’ai travaillé jusqu’à présent, j’appelle tous ceux qui le souhaitent à apporter une contribution, y compris écrite. Je pense que nous devons écouter, lire les propositions des uns et des autres pour animer le débat. Peut-être devrons-nous également organiser des rencontres plus élargies avec un certain nombre d’élus de la région parisienne et du Grand Paris pour en discuter.
Certes, nous avons souhaité auditionner les principaux acteurs de la ville, des départements concernés et de la région, mais cela peut aller au-delà. Pour ma part, je lance un appel à contributions, afin de parvenir à trouver une solution qui ait des chances de convaincre.
Le Gouvernement ne pourrait, me semble-t-il, qu’approuver une telle démarche.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Madame le ministre, l’excellent rapport de la mission temporaire et les propositions du rapport Balladur débouchent sur un point de fixation difficile, qui est le caractère obsolète de la fiscalité locale. (Mme le ministre acquiesce.)
Cette obsolescence est renforcée par la décision du Président de la République de supprimer la taxe professionnelle dès l’année prochaine.
Or la question qui se pose à tous les gouvernements depuis une vingtaine d’années est celle de l’actualisation des valeurs locatives.
Dans ces conditions, je souhaite vous poser une question toute simple : êtes-vous décidée à vous engager dans cette voie ou accepteriez-vous – et cela permettrait d’avancer plus rapidement – que les intercommunalités volontaires décident de procéder, avec l’aide des services fiscaux, à une telle actualisation ?
En effet, voilà quelques années, M. Pierre Mauroy avait proposé, dans un rapport, une actualisation volontaire pour inciter à parachever l’intercommunalité dans l’ensemble du pays et pour donner un peu de souplesse.
Une telle actualisation aurait des effets bénéfiques sur la fiscalité tant des ménages que des entreprises et donnerait une base moderne au reliquat de la taxe professionnelle, c'est-à-dire un impôt sur le patrimoine industriel ou commercial. (M. Jacques Gautier applaudit.)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le sénateur, pour être honnête, même si le Gouvernement ne souhaitait pas réformer la fiscalité locale, il serait tout de même obligé de le faire (Sourires), puisqu’une redéfinition des compétences implique également une redéfinition des fiscalités.
Mais nous en avons de toute manière besoin, et la décision du Président de la République de faire en sorte que notre pays ne soit pas le seul à faire peser une fiscalité sur les investissements y conduit tout naturellement. Par conséquent, je mènerai ce travail conjointement avec Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Toutefois, nous sommes effectivement confrontés au problème des bases locatives, qui n’ont pas été révisées depuis plus de trente ans. Nous allons donc devoir travailler sur cette question, parallèlement à la réflexion que nous mènerons sur la définition de la fiscalité locale.
Certes, des travaux ont déjà été conduits jusqu’à présent, et ils ont abouti à des propositions assez différentes. Certains suggèrent une actualisation au fur et à mesure des cessions du bien, mais ce serait assez long, tandis que d’autres prônent un dispositif certes plus rapide, mais susceptible de provoquer un choc fiscal relativement important pour les contribuables, sauf à baisser en parallèle les taux pour garder une enveloppe sensiblement égale, sur des fondements différents.
Monsieur le sénateur, vous proposez un autre système, consistant à laisser aux communes ou aux structures intercommunales la possibilité de décider elles-mêmes d’actualiser les bases locatives. D’ailleurs, cela a été fait dans un certain nombre de cas, effectivement sur proposition des communes.
Nous sommes néanmoins véritablement engagés dans une réforme qu’il importe de mener globalement, en ajustant l’ensemble de la fiscalité locale, tout en ayant le souci de préserver l’autonomie de décision financière des collectivités territoriales, car c’est également cela qui est en jeu.
À l’évidence, constater que l’État est de loin le « premier contribuable » des collectivités territoriales conduit à s’interroger sur la réalité de l’autonomie et de la liberté décisionnelle de ces dernières. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Je tiens tout d’abord à remercier la mission de nous avoir éclairés sur un sujet aussi essentiel et actuel.
Je souhaite soulever la question des moyens financiers. En effet, les élus locaux, quels que soient les différents projets de réforme qui leur seront présentés dans les prochains mois, se poseront immanquablement la question des moyens dont ils disposeront pour assumer leurs compétences actuelles et, le cas échéant, futures !
À cet égard, deux craintes se font jour.
La première concerne l’autonomie financière des collectivités territoriales. Tout à l’heure, j’ai entendu avec inquiétude Gérard Longuet déclarer que l’autonomie financière accordée aux collectivités territoriales avait constitué une grande erreur historique. Pour ma part, je ne partage pas du tout ce point de vue. Je pense que cette question est vitale, puisque de plus en plus de compétences sont aujourd'hui dévolues aux collectivités territoriales, notamment en matière éducative ou sociale. Les communes se voient attribuer un certain nombre de compétences nouvelles, alors que les ressources fiscales sont dans un processus de précarisation, les dotations étant, hélas ! aujourd'hui gelées.
Mais je voudrais surtout attirer l’attention du Sénat et du Gouvernement sur ma seconde crainte, qui concerne la péréquation. Plus la République délègue de compétences aux collectivités territoriales, plus elle doit, par respect de ses propres principes, veiller à faire en sorte que ces dernières disposent bien des moyens leur permettant de remplir leurs nouvelles missions. Par exemple, l’État, s’il transfère des compétences en matière scolaire – j’ai choisi un exemple connu de tous –, doit s’assurer que les collectivités territoriales disposent des moyens suffisants pour y faire face. Or, aujourd'hui, d’énormes inégalités subsistent. De ce point de vue, l’actuelle péréquation est très insuffisante.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Marc. Le rapport de MM. Gilbert et Guengant, publié récemment, l’établit très clairement.
Quelles avancées la mission entrevoit-elle pour répondre à cette nécessaire péréquation ? Comment la fiscalité peut-elle évoluer, afin de répondre à la précarisation générale constatée par tous les élus ? Je souhaite obtenir quelques indications complémentaires aux informations contenues dans le rapport.
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur. Mon cher collègue, vous venez de poser la question essentielle des moyens. Trop de dotation tue l’autonomie, et une absence d’autonomie tue la responsabilité.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Yves Krattinger, rapporteur. Lorsque la dépense n’est plus ajustable, en quelque sorte, les collectivités sont cantonnées à une simple gestion et deviennent des services déconcentrés de l’État.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas aussi simple !
M. Yves Krattinger, rapporteur. L’État est intervenu abondamment, quelles que soient les sensibilités. Madame le ministre, vous avez indiqué que l’État était le premier contributeur…
M. Yves Krattinger, rapporteur. Mais c’est un contributeur volontaire. Il a supprimé une partie des bases fiscales et, par voie de conséquence, a compensé sans autre changement, si bien que nous sommes tout de même pénalisés.
Monsieur Marc, vous avez soulevé la question de la péréquation. Cette dernière est possible à deux niveaux.
Elle peut avoir lieu à l’échelon horizontal. Il en est ainsi lorsque le département assure la solidarité territoriale. Tel est également le cas à l’intérieur d’une communauté de communes, d’une communauté d’agglomération ou encore d’une communauté urbaine.
Mais la péréquation peut aussi être verticale : des inégalités existent entre les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, les communautés de communes, entre les départements, les régions, et ces inégalités ne peuvent être compensées que par l’État.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment !
M. Yves Krattinger, rapporteur. C’est d’ailleurs l’un de ses rôles essentiels.
Aujourd'hui, l’État assure une partie de la compensation, évaluée aux alentours de 40 % à 45 %, le reste n’étant pas fait.
Comme l’a confirmé Mme le ministre, les bases de la fiscalité doivent être révisées. Les réflexions engagées changent un peu la donne et ne visent pas à un simple toilettage. En effet, les trois grandes associations de collectivités ont demandé un rapport au Conseil économique et social, rapport qui a fait quasiment l’unanimité. Il comporte une première piste visant à consolider les recettes des collectivités locales.
Pour ce qui concerne la péréquation, les outils doivent être rénovés. On s’aperçoit en effet que la dotation de base est aujourd’hui plus péréquatrice que les dotations de péréquation. Tout le monde, dans cet hémicycle, est d’ailleurs conscient de ce problème.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Lionel Jospin l’avait demandé à Pierre Mauroy ; François Fillon en a chargé Édouard Balladur : personne n’est mieux placé qu’un ancien Premier ministre pour analyser l’efficacité et les limites du millefeuille institutionnel français.
Cet exercice est toujours à haut risque. Ce n’est jamais vraiment le moment de s’y livrer. L’écueil est toujours le même ; il est bien connu : c’est le moment où le document de papier se heurte aux habitudes, aux intérêts des grands élus qui l’examinent.
Édouard Balladur a résumé sa démarche ainsi : « ambition et réalisme ». Il a mis en garde, en estimant qu’un projet trop ambitieux serait peu réaliste. Chacun en jugera à l’issue des débats. Pour ma part, il me semble irréaliste d’espérer qu’une réforme ambitieuse puisse être adoptée sans débats vifs et sans résistance.
Certains prônent des intercommunalités plus solides, à la légitimité mieux établie grâce à l’élection au suffrage universel des conseillers communautaires. Certes, mais pas à marche forcée !
J’estime qu’il faut en terminer avec la carte de l’intercommunalité. Nous connaissons tous des maires qui préfèrent rester le seul coq sur le tas de fumier plutôt que de travailler avec d’autres, ou encore des maires qui ne veulent pas partager leurs confortables ressources avec leurs voisins. Des incitations fortes, des mesures de dissuasion, des échéances : telles sont les mesures nécessaires.
Nous voulons des régions plus grandes et plus fortes. D’aucuns refusent de toucher aux départements. Je sais le sujet difficile, puisque le Sénat a un attachement passionnel, presque génétique, aux départements. Cela ne m’empêche pas de penser que, au lieu d’inventer des couples artificiels – la région et le département, d’un côté, les communes et les intercommunalités, de l’autre –, nous devrions prendre conscience du fait que la répartition des compétences s’établit de plus en plus fréquemment entre les régions et les intercommunalités.
Il est également absolument urgent de clarifier un sujet, abordé fort bien par Mme Michaux-Chevry. On a affirmé, sur un ton qui ne souffre aucune contestation dans cet hémicycle, que la coexistence sur un même territoire insulaire de deux départements et d’une région, comme en Corse, ou, pis, la coexistence sur le même territoire, dans un effet de superposition parfait, d’un département et d’une région, comme en Martinique et en Guadeloupe, serait respectueuse de la tradition républicaine, contrairement à la mise en place d’une seule collectivité, évitant les doublons, les lenteurs, les frictions, qui ne le serait pas. Pour ma part, je considère que ce serait se moquer du monde de ne pas instaurer une collectivité unique.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Dominique Voynet. On a défendu à plusieurs reprises dans cette enceinte le maintien de la clause générale de compétence pour les départements et pour les régions et le maintien des cofinancements croisés, au motif que les collectivités ne disposent pas des ressources nécessaires au financement des missions qui relèvent de leur compétence.
Je considère pour ma part qu’il faut défendre non pas les cofinancements croisés ou la clause générale de compétence, mais des ressources pérennes et stables pour les collectivités, assurant la redistribution solidaire des ressources et la péréquation entre les collectivités riches et les collectivités moins riches.
Madame le ministre, comment entendez-vous réformer l’État pour qu’il s’impose à lui-même les règles qu’il entend imposer à d’autres ? Comment entendez-vous garantir l’autonomie financière des collectivités ? Voilà ce qui est important.
Pour ce qui concerne le Grand Paris, on peut discuter ad libitum des périmètres. Ce sont les projets qui nous intéressent, ainsi que les moyens de leur financement.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame Voynet, je vous remercie de reconnaître que le Gouvernement est courageux, puisqu’il considère que le moment est venu d’engager la réforme. (Sourires.)
Je vais continuer les amabilités : pour une fois, je partage votre point de vue concernant la nécessité de terminer la carte de l’intercommunalité.
M. Dominique Braye et M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Dominique Braye. Il y a vingt ans qu’on essaye la conviction !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. L’année 2011 a été évoquée. Ce délai me paraît un peu court. En revanche, attendre 2014 serait peut-être tardif. Nous devrons trouver une solution pragmatique.
D’aucuns ont affirmé que la tendance est de plus en plus à la collaboration entre les régions et les intercommunalités. Ce fait ne se vérifie cependant pas partout.
Par ailleurs, nos concitoyens, que nous devons écouter, sont attachés à leur commune ou à leur département. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne devons rien faire en la matière. Il serait bon de clarifier les compétences.
Pour ce qui concerne l’outre-mer, le Président de la République a indiqué que les États généraux, qui vont commencer dans quelques semaines, aborderont, parmi les sujets de fond, la gouvernance institutionnelle.
Quant à garantir l’autonomie financière, tel est l’objet de la réforme de la fiscalité locale. La seule limite sera la nécessaire péréquation, comme cela vient d’être indiqué.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Au cours du passionnant débat qui s’est déroulé cet après-midi, débat que j’ai écouté avec beaucoup d’attention, je n’ai entendu parler ni de cumul des mandats ni de la présidence d’une intercommunalité, considérée comme un mandat. Où en est la réflexion sur ce point ?
M. le président. La parole est à M. le président de la mission temporaire.
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. La mission n’a pas encore abordé ce sujet difficile. Mais le fait de pouvoir être président d’une intercommunalité de 1 500 000 habitants et de ne pas pouvoir être maire d’une commune de 200 habitants constitue une anomalie qu’il faudra avoir le courage de corriger.
M. le président. Ce sujet sera donc abordé au mois de mai…
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Tout à fait, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, on peut fort bien ne prévoir aucune évolution de nos collectivités. De nombreuses personnes souhaitent d’ailleurs le statu quo. On peut toujours dire : « le système actuel marche ; regardez, les départements, les régions, les communes fonctionnent ! » Mais dans la concurrence internationale actuelle, ce serait une grave erreur de ne pas évoluer.
De surcroît, il ne suffira pas de proposer des modifications mineures. Ceux qui défendent seulement une clarification des compétences entre les départements et les régions font à mon avis fausse route. Il faut aller beaucoup plus loin.
Je reviens sur les propos qu’a tenus Mme Voynet tout à l’heure. J’essaie de mener à bien le regroupement de la région Alsace et de ses deux départements. À cet égard, il importe vraiment de ne pas compliquer les choses. D’aucuns proposent que ces élus territoriaux soient désormais élus à la proportionnelle, dans le cadre d’une nouvelle circonscription ressemblant peut-être à celle des députés, les premiers sièges étant attribués à la région et les suivants aux départements. Néanmoins, ce système ne serait pas forcément plus simple que celui qui existe actuellement.
Pour ma part, je suis plutôt partisan du maintien tant du système d’élection des conseillers généraux, avec les cantons, quitte à apporter quelques modifications, que de celui des conseillers régionaux, qui assure la représentation des minorités et la parité. Nous sommes sensibles à ces sujets.
Le chantier ne sera pas facile. Si nous voulons réussir, demain, cette union entre les deux départements et la région, faisons en sorte de faciliter les choses plutôt que de les compliquer inutilement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nathalie Goulet et M. Daniel Dubois. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, rapporteur.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Mon cher collègue, j’apprécie votre intervention. Cependant, il conviendrait que vous réfléchissiez au nombre d’élus dans le système que vous proposez.
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.
M. Philippe Richert. Madame le rapporteur, j’ai d’ores et déjà réfléchi à cela. Aujourd'hui, certaines régions comptent de 120 à 200 conseillers régionaux. Or le nombre de ces conseillers dans ma région est bien inférieur.
Par ailleurs, dans le département du Bas-Rhin, trois, quatre, cinq cantons ont 50 000 habitants, alors que d’autres en ont 3 000, 4 000. Il faut bien évidemment homogénéiser le système. Soyez persuadée que nous le ferons avec le temps et avec le soutien de la mission sénatoriale, dont je veux saluer le travail. Grâce à ce dernier et à des idées figurant dans le rapport Balladur, nous pourrons aller de l’avant. Nous sommes prêts à tenter l’expérience que Mme Voynet a appelée de ses vœux, dans le respect des deux départements alsaciens.
Aujourd'hui, la France ne peut pas se permettre de ne pas être audacieuse.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Richert, il est effectivement nécessaire d’avancer, et nous voulons le faire pour simplifier. Les Français, les élus ont besoin de savoir qui fait quoi, auprès de qui demander une subvention, par exemple. La réforme doit d’abord répondre à cette question. Trop souvent, les maires de petites communes viennent me trouver pour savoir à qui s’adresser pour financer tel ou tel projet.
Par ailleurs, s’il est important de faire bouger les lignes entre les collectivités territoriales – cela correspond d'ailleurs à votre projet, mesdames, messieurs les sénateurs –, toutes les décisions en la matière doivent être prises sur la base du volontariat. En effet, je suis convaincue que le rôle de l’État n’est pas d’obliger telles ou telles régions ou tels ou tels départements à se rapprocher et à fusionner. Ce mouvement doit procéder d’initiatives locales et reposer sur des choix volontaires ; sinon il échouera.
Ces démarches sont consubstantielles à la réforme que nous appelons de nos vœux et que nous mettrons en œuvre, je l'espère, avec chacune et chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Notre mission temporaire a souligné à juste titre que l’État et les collectivités territoriales devaient trouver conjointement de nouveaux équilibres. Ceux-ci passent par la prise en compte de trois nécessités, me semble-t-il.
Tout d'abord, il convient d’harmoniser les organisations et les comportements de l’État, d'une part, et des collectivités locales, d'autre part.
À l’évidence, la RGPP, la révision générale des politiques publiques, tout en renforçant l’échelon régional, dont elle a fait le niveau stratégique de l’action de l’État, a offert au département des missions de conseil, d’expertise et d’arbitrage. Par souci de parallélisme des formes, nos collectivités locales doivent s’organiser selon les mêmes principes.
Ensuite, il est nécessaire de réguler les relations des collectivités locales entre elles, en matière de finances ou de répartition des compétences, en respectant chaque fois que possible leur libre volonté.
Enfin, il faut répondre aux attentes de la société, qui exige des élus la proximité, que celle-ci soit affective, fonctionnelle ou géographique, mais aussi l’efficacité et la solidarité.
Dans ce cadre, madame le ministre, dans quelles conditions l’État – vous savez que je suis son évolution avec la plus grande attention, sinon avec passion ! – peut-il être le garant des exigences d’harmonisation, de régulation et de solidarité, notamment au regard des dotations financières et de la fiscalité locale ?
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Voilà une question structurée !
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur. Madame Escoffier, vous avez évoqué les « nouveaux équilibres » qui doivent être trouvés entre l’État et les collectivités territoriales et souligné que ces dernières ne devaient pas être laissées seules face à la complexité des enjeux et des services à mettre en place.
Nous estimons – nous l’avons d’ailleurs souvent exprimé dans le cadre de la mission – que le département a vocation à servir d’agence de services pour les collectivités locales qui sont proches de lui. S’il est vrai que l’État, depuis que ses administrations déconcentrées ont été réorganisées, n’assure plus directement ce rôle, celui-ci n’en reste pas moins tout à fait nécessaire dans les départements ruraux.
Les élus ont besoin de conseils juridiques, administratifs, techniques. La vocation du département, si nous savons l’inscrire dans les textes et la mettre en place de façon incontestable, est précisément de les aider et de consolider leurs démarches, en se plaçant au service des communes et des intercommunalités.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame Escoffier, grâce aux fonctions que vous avez occupées dans le passé, vous connaissez parfaitement à la fois le fonctionnement de l’État et les attentes de nos concitoyens. Je vous rejoins d'ailleurs totalement pour estimer qu’il faut répondre aux exigences de proximité, d’efficacité et de solidarité des Français.
Comment l’État garantit-il cette solidarité ? Je vous rappelle que, chaque année, la péréquation progresse au sein de la dotation globale de fonctionnement, notamment au bénéfice des communes, plus vite que les autres crédits. Cette année, la dotation de solidaire urbaine et la dotation de solidarité rurale augmentent de 6 %, ce qui n’est pas rien !
Bien entendu, je le répète, la réforme des collectivités territoriales doit accorder une grande place à la fiscalité locale. Toutefois, la péréquation restera indispensable dans ce cadre, et il me reviendra, en tant que ministre en charge des collectivités territoriales, de veiller à ce que cet objectif demeure d’actualité. En effet, quand on connaît notre territoire, on sait combien la péréquation entre collectivités constitue une nécessité.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Les conseillers généraux seraient devenus les « ringards de la République » !
M. Michel Mercier. Cela ne date pas d’aujourd'hui ! (Sourires sur les travées de l’Union centriste.)
M. Yves Daudigny. Le projet d’inscrire dans la loi la région et l’intercommunalité comme les futurs piliers de notre organisation territoriale porte en lui l’effacement des échelons communaux et départementaux de l’action publique.
On propose à la France une vision destructrice de l’action départementale, alors que celle-ci répond aux attentes des citoyens et des usagers, concerne le quotidien de chacune et chacun tout au long de la vie et se révèle efficace, réactive, innovante et résolument tournée vers l’avenir.
En tant qu’acteur et créateur de politiques publiques, l’échelon départemental est doublement moderne.
Il l’est, tout d’abord, par la qualité reconnue des politiques de solidarité humaine et territoriale qu’il met en œuvre, par le lien qu’il préserve et par la péréquation entre l’urbain et le rural qu’il réalise.
Grâce à sa capacité d’initiative, il prolonge ces politiques en matière d’aménagement, de développement, de soutien aux investissements locaux. Et la rigueur de la gestion des départements n’est jamais contestée !
Moderne, il l’est encore par son mode d’élection, qui constitue l’essence et le fondement de son action. Par sa proximité et le lien direct qu’il instaure entre les citoyens et les élus locaux, le scrutin uninominal offre sa pertinence, sa vérité, son efficacité, son exigence de responsabilité à l’action des conseillers généraux. Il est le garant du maintien d’une action publique à dimension humaine. Il s’appuie sur une circonscription électorale, le canton, qui n’est pas un échelon d’organisation territoriale.
La création de conseillers territoriaux cumulant les mandats de conseillers du département et de la région détruirait cette architecture, sans gain d’efficacité ni diminution du coût des actions menées. Elle serait le premier stade d’une relégation du département au rang d’acteur secondaire de la vie publique, privé de perspective globale et transversale sur le territoire, sans autonomie financière, sous tutelle de la région.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Daudigny !
M. Yves Daudigny. Les conseillers territoriaux, s’ils existaient demain, seraient porteurs d’une mission de liquidation de l’action publique départementale.
Le rapport d’étape de la mission temporaire du Sénat, dont je veux saluer la qualité et la pertinence des propositions, s’il préconise l’élection de tous les conseillers généraux en même temps et pour une durée de six ans, n’offre cependant pas de perspectives quant à l’hypothèse de la création de conseillers territoriaux.
Ma question s’adresse donc principalement à M. le rapporteur, Yves Krattinger : comment clarifieriez-vous la position de la mission sur la proposition de remplacement des conseillers généraux et régionaux existants par des conseillers territoriaux élus au scrutin proportionnel ?
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur. Cette question directe appelle une réponse qui ne le sera pas moins !
Mon cher collègue, nous devons développer une vision plus positive des départements, ce que vous faites tout à fait, mais aussi de leur avenir.
Les trois niveaux de collectivités territoriales sont inscrits dans la Constitution. Ils ne sont pas encore morts ! Je vous le rappelle, le soir du vote de la révision constitutionnelle de 2003, qui était portée par Jean-Pierre Raffarin et qui concernait les collectivités territoriales, Le Monde titrait : « La victoire surprise des départements » !
Les départements ont la peau dure et ils ne sont pas prêts de succomber. Nous devons être confiants sur ce point.
Pour ma part, je mesure depuis le début les difficultés que posent les modes de scrutin. D'ailleurs, en tant que rapporteur – nos collègues qui ont travaillé avec moi au sein de la mission peuvent en témoigner –, j’ai tenté de faire en sorte qu’ils ne soient pas le seul et unique thème de nos débats.
J’ai donc repoussé le plus possible l’examen de ce problème, en estimant qu’il fallait travailler sur les points qui font consensus avant de l’aborder, à la fin de nos débats, une fois que nous y verrions plus clair.
Or, si nous y voyons de mieux en mieux, il nous reste encore des questions à éclairer, comme celles du « Grand Paris » et de l’affirmation des métropoles, entre autres. Nous ne sommes pas au terme de notre débat, me semble-t-il !
Je vous en donnerai un seul exemple, mon cher collègue. Nous évoquions tout à l'heure le cas de la métropole lyonnaise et le transfert éventuel des compétences départementales à la grande agglomération de Lyon. Il s'agit a priori d’une très bonne idée. Toutefois, je vous laisse imaginer la complexité qui en résulterait lors du scrutin régional…
Tous les problèmes ne sont donc pas réglés, me semble-t-il. Il nous faudra encore un peu de temps pour dissiper les obscurités qui entourent ce débat, et vous pourrez largement y contribuer, monsieur Daudigny.
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Ma question porte sur deux sujets qui ont déjà été abordés : la lisibilité et la solidarité. En effet, nous sommes tous d'accord pour souhaiter une réforme efficace ; nous verrons bien si ce vœu est exaucé !
S'agissant de la lisibilité, madame le ministre, pensez-vous que nous progresserons grâce à moins de collectivités, ou bien grâce à plus de clarté dans la répartition des compétences ? Si la réponse réside dans la première branche de l’alternative, il faut continuer à avancer sur la voie que nous suivons. Mais si c’est la seconde solution qui est la bonne, il faudrait que nous commencions vraiment à travailler en ce sens !
En effet, j’ai l’impression que, pour l’instant, la réflexion sur les blocs de compétences et la clause générale de compétence n’est pas assez approfondie.
Pour ma part, et je rejoins en ce sens Mme Voynet, je ne suis pas du tout assuré que nous gagnerons en lisibilité si nous confirmons la clause générale de compétence des régions et des départements.
M. Dominique Braye. Tout à fait !
M. Daniel Dubois. Autant celle-ci se justifie pour les communes, autant je m’interroge en ce qui concerne les régions et les départements. Je souhaite donc entendre votre avis sur ce sujet, madame le ministre.
Le deuxième point de ma question portera sur la mise en place d’une réelle solidarité. On évoque l’affirmation, demain, de très grandes métropoles, qui existent d'ailleurs déjà. Mais que fera-t-on du reste du territoire ? Et avec quel argent ?
Il faut donc une réelle péréquation, qui n’existe pas aujourd'hui, madame le ministre. Les territoires ruraux pauvres se débrouillent comme ils peuvent, avec le peu de moyens dont ils disposent, pour s’occuper de leurs personnes âgées et de leurs handicapés !
Par conséquent, quelle péréquation voulons-nous pour demain ? Comme l’a souligné M. Yves Daudigny, le département, c’est l’espace de la solidarité territoriale et sociale, dans les zones rurales.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, rapporteur.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Tout d'abord, il a toujours été précisé, me semble-t-il, que la réforme se ferait dans le cadre constitutionnel existant, ce qui signifie, comme l’a rappelé tout à l'heure Yves Krattinger, que les trois niveaux de collectivités reconnus en France seront maintenus.
En ce qui concerne les compétences, nous avons déjà commencé à travailler sur cette question, mais nous présenterons nos conclusions dans le deuxième rapport. Nous nous sommes d'ailleurs fait assister sur ce point par un cabinet d’audit, même si toutes les contributions seront bien sûr les bienvenues.
Pour aller plus loin, j’estime – c’est un avis personnel, mais nous avons déjà un peu travaillé sur cette question – qu’il ne faut pas s’arc-bouter sur le principe de la clause générale de compétence.
En fait, si nous définissons des blocs de compétences un peu plus précis et contraignants, la compétence générale ne vaudra plus que pour « le reste », comme l’a souligné Michel Mercier, expression qui a d'ailleurs été reprise par plusieurs orateurs !
Nous voulons laisser aux collectivités locales la liberté d’innover et de se saisir de certaines compétences pour répondre aux besoins qui s’exprimeraient sur le terrain. Toutefois, une fois que des blocs de compétences auront été délimités et attribués, leurs interventions porteront finalement sur un champ assez limité. Il s'agit de permettre aux collectivités territoriales d’innover si le besoin s’en fait sentir, tout en respectant les compétences des autres entités.
Nous ne devons donc pas nous engager dans un débat idéologique sur la clause générale de compétence, me semble-t-il, car ce problème se réglera de lui-même, une fois que des blocs de compétences auront été identifiés pour les collectivités territoriales. En tout cas, c’est par ce biais qu’il faut entrer dans ce débat.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Comme Mme le rapporteur, je considère qu’il convient avant tout de définir des blocs de compétences.
Cette tâche n’est pas forcément aisée, car nous devons aussi nous projeter dans l’avenir et imaginer, le cas échéant, les compétences qui devront être prises en charge par telle ou telle collectivité dans quinze ans ou vingt ans – à l’heure actuelle, il est quelque peu illusoire de prétendre légiférer pour une durée plus longue ! Si nous y parvenons, nous aurons déjà accompli un travail considérable.
Une fois ces blocs de compétences bien définis, il s’agira de recenser « le reste », les compétences de nature à répondre aux besoins quotidiens de nos concitoyens. Sans doute faudra-t-il attribuer la compétence générale aux communes pour qu’elles répondent à ces besoins. Telle est en tout cas mon opinion personnelle.
Par ailleurs, quelle péréquation allons-nous garantir ? Nous la définirons ensemble pour qu’elle réponde aux nécessités et soit vraiment applicable. Aujourd’hui, les systèmes de péréquation sont extrêmement compliqués. Outre la DSU, que j’évoquais tout à l’heure, il y a des péréquations pour tout : les communes rurales ; les communes de montagne ; les communes pauvres, etc. Nous avons tellement de péréquations qu’en fin de compte aucune d’entre elles n’est véritablement assurée. En cette matière, un beau chantier s’ouvre à nous.
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Je suis heureux que le sort des communes soit évoqué à la fin de ce passionnant débat.
La réalité communale est la plus tangible. C’est celle de notre vie, celle à laquelle nous sommes attachés. La réalité communale est la réalité du quotidien et de la vie réelle.
Madame le ministre, mes chers collègues de la mission, comment envisagez-vous l’avenir de nos communes ? J’observe que les propositions formulées s’insèrent dans le cadre constitutionnel, où la commune est l’une des collectivités territoriales de la République. Il n’est donc pas question, en théorie, d’y toucher.
Cependant, la proposition n° 9 du comité Balladur vise à « permettre aux intercommunalités de se transformer en communes nouvelles en redéployant, en leur faveur, les aides à l’intégration des communes ». Qu’est-ce donc que cela ?
Quant à la dixième préconisation de la mission sénatoriale, qui a fait un excellent travail, elle prévoit une « incitation à la fusion volontaire de communes ».
Mme Jacqueline Gourault et M. Yves Krattinger, rapporteurs. Oui, volontaire !
M. Adrien Gouteyron. Certes, dans les deux cas, les communes doivent être volontaires pour fusionner, mais quelles sont ces incitations ? Ne sont-elles pas un moyen de forcer la main des élus municipaux ?
Ces derniers jouent un rôle irremplaçable. Ces 500 000 élus veillent avec vigilance à l’aménagement de notre territoire, lequel passe, certes, par des projets et investissements, mais aussi par ce souci méticuleux, précis, de notre territoire et de son entretien.
Je vous pose donc la question, madame le ministre : qu’attend-on des communes et que veut-on en faire ?
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire.
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Cher collègue, en ce moment d’apaisement, je ne parlerai pas du rapport Balladur. Je peux en revanche évoquer la façon dont nous avons abordé le problème des communes dans notre mission temporaire. Il n’est nullement question de mettre en cause le rôle tout à fait fondamental de ces dernières. Nous voudrions au contraire les amener à déployer toutes leurs potentialités en développant l’intercommunalité et en affirmant le rôle de partenaire que devrait jouer le département.
Nous avons évoqué les fusions dans nos propositions car des communes souhaitent fusionner. Or le système actuel est d’une extrême complexité ; le problème est en quelque sorte le même que celui que nous évoquions précédemment s’agissant d’une éventuelle fusion entre départements et région en Alsace. Plutôt que de compliquer la vie des communes désireuses de fusionner ou de s’acheminer vers de nouvelles structures, facilitons-la ! En revanche, il n’est absolument pas question d’inciter de façon plus ou moins sournoise à la suppression des communes.
Comptez sur nous pour être vigilants sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je ne connais aucun maire attaché à sa commune qui puisse imaginer sa suppression.
Au-delà de son inscription dans la Constitution, la commune est vraiment synonyme de proximité, notamment de proximité de la République. C’est par la commune que nous avons un premier contact avec la République et l’État, au travers de l’élection ou dans les actes de la vie quotidienne. C’est grâce à la commune que l’on se socialise, si je puis dire.
La commune est aussi le lieu de la proximité par rapport aux besoins quotidiens. Finalement, on demande à son maire, à ses élus municipaux de régler ses problèmes au quotidien. Cela leur donne une responsabilité et, partant, leur confère un sens des responsabilités. Je crois vraiment qu’un maire ou un élu municipal aborde les problèmes dans le souci d’y apporter une réponse concrète, de manière à permettre à ses concitoyens de mieux vivre.
Bien entendu, nous sommes lucides. Certains aménagements, certaines prestations ne peuvent être fournis par une petite commune seule. Telle est d’ailleurs la raison d’être de l’intercommunalité. C’est en plaidant cet aspect des choses devant certaines communes que j’entends achever la carte de l’intercommunalité.
Mais aussi, il est possible d’aller plus loin et, dans certains cas, de fusionner.
Voyageant beaucoup en France, je constate que des centaines de communes ont fusionné dans certaines régions. Cela m’étonne toujours et suscite même en quelque sorte mon admiration.
En tout cas, dès lors que les élus estiment qu’il y va de l’intérêt général et que les populations adhèrent à l’idée d’une fusion, il faut leur faciliter la tâche.
Dans d’autres régions, les choses sont plus difficiles. Comment obtenir la fusion de communes qui, comme dans ma propre région, ont chacune une équipe de rugby ? Je préfère dans ce cas que les communes soient incitées à recourir à l’intercommunalité plutôt qu’à fusionner contre leur volonté. Pour ma part, je ne conduirai jamais une réforme aboutissant à ce que des collectivités territoriales soient amenées à fusionner contre leur gré.
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. L’un de mes collègues a abordé la préoccupation dont je voulais entretenir la Haute Assemblée. En outre, nos deux rapporteurs ont totalement apaisé mes inquiétudes, ce dont je les remercie. Je renonce donc à la parole.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Je me réjouis que des propositions émergent en matière de réforme des collectivités territoriales. Il me semble cependant impossible d’aborder la question sans soulever celle du rôle de l’État, notamment en tant que gardien du respect des principes d’unité de la République et d’égalité devant elle.
Or, de désengagement de l’État en désengagement de l’État, des inégalités se sont développées en certains domaines. Je pense notamment à l’école primaire. Si l’éducation nationale paie les enseignants, le fonctionnement de l’école primaire et ses moyens pédagogiques sont, en revanche, à la charge des communes. Or, sur cette importante question, les disparités vont de un à dix.
Je ne pose donc pas tant la question d’une péréquation ou des possibilités de rattrapage que celle d’un réengagement de l’État dans certains secteurs dont celui, essentiel, de l’école.
Quelle est votre opinion sur la question, madame le ministre ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Les collectivités territoriales jouent effectivement un grand rôle dans notre pays, si bien qu’à travers elles nous pouvons aborder absolument tous les problèmes de la société. Nous pourrions aborder non seulement ceux de l’éducation mais aussi ceux de la santé, des transports, etc.
Cependant, c’est de l’organisation des collectivités territoriales et de leur articulation entre elles qu’il est question ce soir. N’essayez donc pas de noyer ce débat dans un autre beaucoup plus vaste (M. Jean-François Voguet proteste), qui pose des problèmes importants, certes, mais dont je parlerai très volontiers avec vous à un autre moment.
M. Jean-François Voguet. J’y compte bien !
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, je n’avais pas saisi l’originalité de ce débat qui veut que ceux qui s’expriment et posent des questions à la tribune n’ont aucune chance d’avoir une réponse s’ils ne reprennent pas la parole.
M. le président. Mais si, mais si !
M. Dominique Braye. Non, monsieur le président, et peut-être y aura-t-il là quelque chose à modifier pour les débats ultérieurs.
Je voudrais simplement revenir sur ce qu’a dit notre collègue Adrien Gouteyron et sur la réponse que lui a donnée Mme la ministre, avant de reposer mes questions.
Je suis désolé de vous le dire mais, dans l’immense majorité des cas, comme toutes les enquêtes le prouvent, la commune n’est pas le cadre de la réalité quotidienne. Les habitants de plus de 32 000 de nos 36 000 communes ne font pas leurs courses dans la commune, trop petite, où ils résident, n’y trouvent pas de collège ou de lycée. Ils passent donc l’essentiel de leur vie à l’extérieur de la commune où ils trouvent la plupart des services nécessaires à leur vie quotidienne. N’en déduisez pas, madame la ministre, que je ne suis pas profondément attaché à la commune ! Je tenais simplement à préciser que la réalité quotidienne se déroule dans le bassin de vie quotidien, qui est théoriquement le périmètre pertinent de l’agglomération. Plus de 90 % des problèmes de la vie quotidienne des Français y trouvent leur solution, des transports à l’environnement. J’en profite pour rappeler qu’il faudra d’ailleurs régler la question des nouvelles compétences données par le Grenelle aux agglomérations…
D’après un sondage effectué en octobre 1997 par l’Assemblée des communautés de France, l’AdCF, 89 % des Français considèrent que l’intercommunalité est une excellente chose pour leur commune. Je ne voudrais pas que la Haute Assemblée, mes chers collègues, ni le Gouvernement, madame la ministre, soient en retrait par rapport à la demande des Français. Le premier d’entre eux disait d’ailleurs à Rambouillet, vendredi dernier, que les Français sont bien plus disposés au changement et aux réformes que leurs élites.
M. le président. La citation n’est pas de moi !
M. Dominique Braye. Non, c’est le Président de la République qui a dit cela, et je suis intimement convaincu de la pertinence de ce propos. Comme Dominique Voynet, je suis persuadé que les élus sont l’un des freins majeurs aux évolutions souhaitables pour notre pays.
Je voudrais donc vous demander, madame la ministre, comment vous envisagez de terminer cette carte de l’intercommunalité que tout le monde estime indispensable. On manie la carotte depuis longtemps, mais le système reste malgré tout totalement grippé par 7 % des communes qui ne veulent rien entendre.
En outre, comment envisagez-vous de rationaliser le périmètre de l’intercommunalité ? Sans périmètre pertinent, la gestion ne peut être optimale.
Ainsi, dans mon intercommunalité, il peut arriver que des administrés voient un bus de transport urbain leur passer sous le nez, parce que la commune ne fait pas partie de l’intercommunalité concernée, et être obligés d’attendre un autre bus aux trois quarts vides qui s’arrêtera dix minutes plus tard à l’arrêt en question. Autre exemple : dans certaines rues, les ordures ménagères sont collectées d’un côté mais non de l’autre. Quand mettra-t-on fin à ces incongruités, qui coûtent cher au pays ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je ne doute pas, monsieur Braye, que 89 % des Français se prononcent en faveur de l’intercommunalité s’ils résident dans une commune qui n’a pas les moyens, seule, de construire une piscine ; je ne doute pas que 89 % d’entre eux l’appellent de leurs vœux si, grâce à elle, leur commune peut se doter d’une médiathèque ; je ne doute pas, enfin, que 89 % de nos compatriotes en souhaitent l’instauration si, par ce biais, une salle de spectacle peut être aménagée près de chez eux. Sur ce point, je suis entièrement d’accord avec vous.
Par ailleurs, je ne doute pas qu’il soit très gênant pour vous, comme, sans doute, pour un certain nombre d’autres élus, que la carte de l’intercommunalité ne soit pas terminée. Mais ce n’est pas une raison pour dire que la commune ne sert à rien.
M. Dominique Braye. Je n’ai jamais dit cela !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Faire preuve de modernité ne consiste pas forcément à nier l’attachement des Français à leur commune.
J’estime – je l’ai déjà indiqué tout à l’heure – que l’intercommunalité marque un progrès : il faut donc l’encourager. Mais je sais d’expérience – non pas chez moi puisque je l’ai mise en place – que celui qui n’est pas convaincu de ses bienfaits et n’y entre pas volontairement essaiera de faire éclater le système car il ne s’y sentira pas à l’aise.
Il faut donc trouver le moyen de convaincre. La plupart des élus que j’ai rencontrés sont raisonnables. Nous nous connaissons tous et nous savons bien que les difficultés qui peuvent se poser sont la plupart du temps liées à des antagonismes entre personnes.
J’ai demandé aux préfets de faire le maximum pour convaincre les récalcitrants en fixant une date limite : c’est là un bon moyen de les persuader, mais aussi de mettre en lumière l’irrationalité du dessin de certains périmètres, qui ne correspond pas à grand-chose. Peut-être devrons-nous fixer dans la loi cette date limite, si tant est qu’il faille vraiment une loi.
Au reste, cette date constitue un point de divergence entre le Gouvernement et la mission. La fixer à 2011 ne nous laisse que dix-huit mois, ce qui me semble trop court ; vous estimez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’un délai de cinq ans, si la date de 2014 était retenue, serait trop long. Il est probable qu’après réflexion nous trouverons une date qui convienne aux uns et aux autres et qui traduira notre engagement très ferme de rationaliser tout cela, et ce avec le souci – souci que nous partageons tous, bien entendu – d’améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur. Monsieur Braye, 100 % des membres de la mission entendent bien parachever la mise en place de l’intercommunalité, la rendre cohérente et pertinente. Nous n’avons pas de complexes à avoir : nous pouvons le dire à Mme la ministre.
Si nous travaillons tous ensemble, nous y parviendrons, d’autant que, dans les territoires, elle ne donne plus lieu à débat.
Il est même urgent de parvenir à cet objectif. En fait, les plaintes viennent non pas de ceux qui ne sont pas encore entrés dans l’intercommunalité mais de ceux qui y sont déjà et qui reprochent aux autres de trop tarder car ils aimeraient bien les faire contribuer. Tels sont les arguments que j’entends sur le terrain.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Madame le ministre, ma question aura un objet très limité : la compétence économique des collectivités locales, en particulier des départements.
Les compétences des régions ne sont pas en cause mais l’on peut constater par expérience que ces dernières sont souvent mal armées pour répondre aux défis du développement économique endogène, à savoir aux demandes des chefs d’entreprise qui veulent étendre leur activité sur des zones économiques plus vastes et aux besoins des entreprises existantes. Je ne parle pas du développement exogène.
La compétence générale des départements, elle, est menacée. Or, à mon avis, elle ne mérite pas tant d’opprobre. Les financements croisés pourraient, certes, être supprimés comme certains le souhaitent, mais ce serait possible dans un monde idéal où les collectivités crouleraient sous les ressources. Ce n’est pas le cas !
Ma question est simple : pouvez-vous, madame la ministre, nous garantir le maintien de la compétence économique des départements ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le sénateur, les blocs de compétences sont, selon moi, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, la clé de la clarification. Toutefois, ce n’est pas aujourd’hui que nous pourrons les définir, pas plus qu’ils ne le sont dans le rapport Balladur.
Nous devons mener ce travail dans l’esprit que j’indiquais tout à l’heure, c’est-à-dire que nous ne devons pas considérer ce que nous estimerions comme idéal dans la situation d’aujourd’hui, mais envisager ce qu’il en sera dans dix ans ou quinze ans, et ce particulièrement dans le domaine économique. En la matière, nous ne pouvons nous contenter de prendre des mesures à courte vue ; le monde actuel nous oblige à nous projeter dans l’avenir.
À partir du moment où nous travaillons par blocs de compétences, nous allons pouvoir, comme le disait Mme le rapporteur tout à l’heure, déterminer ce qui revient très précisément à chacun, afin d’éviter tout recoupement de compétences, et ce dans un souci de clarté et d’efficacité. Tel est le travail que nous allons accomplir d’ici à cet été.
M. le président. Monsieur le président de la mission, messieurs les vice-présidents, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, et vous tout particulièrement, madame le ministre, je tiens à vous remercier d’avoir participé à cet exercice nouveau qui permet une véritable interactivité et d’avoir respecté les temps de parole qui étaient impartis à chacun. De la sorte, un grand nombre d’entre nous ont pu s’exprimer. Il conviendra d’affiner encore l’organisation de ce type de débat qui constitue une bonne base de départ pour la suite de nos travaux. (Mme le rapporteur de la mission fait un signe d’assentiment.)
La parole est à M. le président de la mission temporaire.
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Cela fait six heures et dix minutes que nous débattons d’un sujet passionnant. Nous n’avons pas vu le temps passer, ce qui prouve bien qu’il y avait matière à discussion et que de nombreux points ont été abordés.
Je retrouve bien là l’esprit du Sénat auquel nous sommes tous très attachés : nous avons débattu tranquillement d’un sujet que nous connaissons bien. Nous avons tous en effet une longue pratique des collectivités locales, ce qui nous a permis d’enrichir le débat en apportant des précisions utiles, en faisant part de notre expérience, car nous voulons tous la réussite de nos territoires.
La mission, quant à elle, après cinq mois de travail, a franchi une première étape avec cet exercice interactif, un peu original dans cette maison. Ceux qui le souhaitaient ont pu y participer et Mme la ministre, que je remercie de sa coopération, a pu préciser au fur et à mesure la position du Gouvernement.
Ce que je tiens à vous dire, madame la ministre, à la fin de ce débat, me faisant ainsi l’interprète de tous les membres de la mission à quelque tendance qu’ils appartiennent, c’est que l’État sera obligé de préciser sa doctrine quant à ses relations avec les collectivités territoriales. On ne peut pas leur demander, à elles seules, de bouger.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. L’État ne devra pas en outre demander de contributions excessives à des collectivités qui ne pourraient pas les acquitter sous peine d’hypothéquer gravement leur avenir.
Nous chercherons, pour notre part, à être très constructifs. Ainsi, nous dispenserons l’État de maintenir des fonctionnaires qui feraient doublon avec ceux des collectivités territoriales. Cela ne ravira peut-être pas tel ou tel chef de service parisien, qui ne pourra plus appuyer sur un bouton et entrer en communication avec son interlocuteur de terrain habituel. Mais il est des domaines dans lesquels cette réforme sera possible.
Nous sommes à un moment de notre histoire où les collectivités locales sont matures et prêtes à se réformer. C’est ce qui ressort de tout cet échange. Nous devons fixer une règle du jeu qui soit agréable à vivre tout en maintenant un État régalien doté de pouvoirs bien établis, dignes de la nation française.
Nous parviendrons, j’en suis convaincu – je m’exprime ici fort de l’assentiment de tous les membres de la mission – à écrire le texte d’une véritable réforme, qui recueillera un large soutien dans cette maison. Le Sénat aura ainsi pleinement joué son rôle ; nous y tenons tous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je constate que le débat est clos.
5
Dépôt de projets de loi
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2008-1301 du 11 décembre 2008 relative aux brevets d’invention et aux marques.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 283, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J’ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 284, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
6
Transmission d'un projet de loi
M. le président. J’ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après déclaration d’urgence, portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 290, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
7
Dépôt de propositions de loi
M. le président. J’ai reçu de MM. Jean-Luc Mélenchon et François Autain une proposition de loi visant à instaurer un bouclier social face à la crise et portant diverses mesures économiques et sociales d’urgence.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 285, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J’ai reçu de Mmes Éliane Assassi, Nicole Borvo Cohen-Seat, Josiane Mathon-Poinat, M. François Autain, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Billout, Jean-Claude Danglot, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Évelyne Didier, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Jean-Luc Mélenchon, Mme Isabelle Pasquet, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade, MM. Bernard Vera et M. Jean-François Voguet une proposition de loi tendant à exclure les bénévoles et les associations du champ d’application du délit d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers des étrangers en France.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 291, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J’ai reçu de Mmes Annie David, Éliane Assassi, M. François Autain, Mme Marie-France Beaufils, M. Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Claude Danglot, Mmes Michelle Demessine, Évelyne Didier, MM. Thierry Foucaud, Guy Fischer, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mme Josiane Mathon-Poinat, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Isabelle Pasquet, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade, MM. Bernard Vera et Jean-François Voguet une proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 292, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J’ai reçu de Mmes Josiane Mathon-Poinat, Nicole Borvo Cohen-Seat, Éliane Assassi, M. François Autain, Mmes Annie David, Gélita Hoarau, M. Guy Fischer, Mmes Isabelle Pasquet, Marie-France Beaufils, MM. Michel Billout, Jean-Claude Danglot, Mmes Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Thierry Foucaud, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Jean-Luc Mélenchon, Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade, MM. Bernard Vera et M. Jean-François Voguet une proposition de loi visant à supprimer le refus de paiement des prestations familiales pour des enfants étrangers entrés en France hors de la procédure de regroupement familial.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 293, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
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Transmission d'une proposition de loi
M. le président. J’ai reçu de M. le président de l’Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 288, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
9
Dépôt d'un texte d'une commission
M. le président. J’ai reçu le texte de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi relatif au transfert aux départements des parcs de l’équipement et à l’évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers (urgence déclarée) (n° 14, 2008-2009).
Le texte sera imprimé sous le n° 287 et distribué.
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Dépôt d'un rapport
M. le président. J’ai reçu de M. Philippe Richert un rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi de MM. Yvon Collin, Michel Charasse, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Nicolas Alfonsi, Jean-Michel Baylet, Jean-Pierre Chevènement, François Fortassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Daniel Marsin, Jacques Mézard, Jean Milhau, Aymeri de Montesquiou, Jean-Pierre Plancade, Robert Tropeano et Raymond Vall visant à exclure les communes de moins de 2 000 habitants du dispositif de service d’accueil des élèves d’écoles maternelles et élémentaires (n° 219, 2008-2009).
Le rapport sera imprimé sous le n° 289 et distribué.
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Dépôt d'un rapport supplémentaire
M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Pierre Vial un rapport supplémentaire fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi relatif au transfert aux départements des parcs de l’équipement et à l’évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers (urgence déclarée) (n° 14, 2008-2009).
Le rapport supplémentaire sera imprimé sous le n° 286 et distribué.
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Dépôt d'un rapport d'information
M. le président. J’ai reçu de M. Philippe Marini un rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la crise économique et financière au Japon et ses conséquences.
Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 294 et distribué.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 19 mars 2009 :
À neuf heures trente :
1. Question orale avec débat n° 26 de M. David Assouline à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche sur l’application de la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.
Le 12 mars 2009 -M. David Assouline demande à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de lui indiquer l’état d’application de la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités dont le dispositif encadre l’ensemble des réformes actuellement contestées par tous les acteurs de l’enseignement supérieur.
Depuis plusieurs semaines, l’inquiétude de toute la communauté universitaire, des enseignants-chercheurs aux étudiants, en passant par de nombreux présidents d’établissements, s’exprime dans la rue et dans les médias. Leurs protestations s’amplifiant ont donné lieu à de nombreuses manifestations, partout en France où, tous unis, ils s’élèvent contre les réformes gouvernementales modifiant le statut des enseignants-chercheurs, instaurant la nouvelle organisation des instituts universitaires de technologie (IUT), réformant la formation des enseignants et dénoncent, de façon générale, les conditions de travail et d’études à l’université et la réalité des moyens financiers annoncés par le Gouvernement.
À quinze heures :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
Délai limite d’inscription des auteurs de questions : Jeudi 19 mars 2009, à onze heures.
3. Communication de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur son rapport annuel, en application de la loi n° 2000-23 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration.
4. Question orale avec débat n° 24 de Mme Michèle André à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, sur la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.
Le 5 février 2009 - Mme Michèle André demande à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville de lui préciser les grandes orientations retenues par le Gouvernement dans la conduite de sa politique de lutte contre les violences faites aux femmes, déclarée grande cause nationale pour 2009. Elle lui demande également dans quel délai le Gouvernement transmettra au Parlement, comme le lui en fait l’obligation l’article 13 de la loi n° 2006 399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, le rapport portant sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein du couple.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinquante-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD