M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour explication de vote.
M. Yvon Collin. Mes chers collègues, vous l’aurez compris, cet amendement, comme l’a souligné M. le rapporteur général, avait pour objet d’en revenir aux fondamentaux. Notre pays n’échappera pas, dans les mois et les années qui viennent, à une réforme fiscale en profondeur, et la discussion de l’amendement nous l’a rappelé.
Je retire bien sûr cet amendement d’appel, mais je suis persuadé, je le répète, que nous aurons prochainement à repenser notre fiscalité. (M. Jean-Pierre Fourcade applaudit.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. le président. L’amendement no 15 est retiré.
Article 1er
Les articles 1er du code général des impôts et 1649 O-A sont abrogés.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l’article.
M. Thierry Foucaud. Puisque plusieurs de mes collègues interviendront également sur l’article 1er, je limiterai mon propos à un sujet qui lui est intimement lié et qui a déjà été abordé durant la discussion générale.
J’ai entendu de la part de M. le rapporteur, de M. le secrétaire d’État et de M. Fourcade, qui s’exprimait pour le groupe UMP, des propos parfois fallacieux, mensongers, et qui mériteraient d’être qualifiés de très politiciens, en particulier lorsqu’a été évoquée l’idée qu’il n’était pas possible de prélever plus de 50 % des revenus du travail.
Le bouclier fiscal, il faut inlassablement le rappeler, recouvre l’impôt sur le revenu, les impôts locaux acquittés au titre de la seule habitation principale – taxe d’habitation et taxe foncière sur les propriétés bâties –, la CSG, la CRDS, mais aussi, et surtout, l’impôt de solidarité sur la fortune.
Vous m’excuserez d’être à mon tour un peu technique pour répondre aux arguments eux-mêmes techniques par lesquels on a essayé tout à l’heure de démontrer le « non-bien-fondé », si je puis dire, de notre proposition de loi visant à abroger le bouclier fiscal.
Le bouclier fiscal mélange habilement, comme Mme Nicole Bricq le rappelait, des impositions frappant le revenu et des impositions concernant à la fois le capital et le patrimoine. Or en France, mes chers collègues, les inégalités proviennent du profond déséquilibre entre les patrimoines des ménages, déséquilibre dont le bouclier fiscal favorise la perpétuation en allégeant des impôts perçus sur le capital et le patrimoine.
A également été évoquée l’expatriation fiscale. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur Fourcade, même dans vos rangs on ne croit pas aux propos qui ont été tenus à ce sujet ! L’instauration du bouclier fiscal n’a pas véritablement eu de répercussions sur les mouvements de départ – non plus d’ailleurs que sur les mouvements de retour. Rien n’est prouvé en la matière ! Est-ce bien d’ailleurs la fiscalité qui pousse tel ou tel habitant de notre pays à le quitter pour une durée plus ou moins longue ? Ne serait-ce pas tout simplement la vie, notamment la vie professionnelle, qui, avant toute autre considération, et que l’on soit fortuné ou non, constitue le premier motif d’expatriation ? Ne serait-ce pas, parfois, l’absence de débouchés, l’absence de travail, l’absence de bons salaires qui conduisent les étudiants français à Barcelone, en Grande-Bretagne ou ailleurs ?
Le nombre de redevables de l’ISF ne cesse de croître, cependant que la valeur de leur patrimoine progresse également ; je ne reviendrai pas sur les chiffres, chiffres officiels qui ont déjà été cités et que vous connaissez.
On estime que 720 assujettis à l’ISF se sont expatriés en 2008, sans que l’on soit sûr que leur départ ait eu pour but de leur permettre d’échapper à cet impôt ; dans le même temps, le nombre de redevables de l’ISF est passé de 528 000 à 568 000. L’expatriation touche donc 0,15 % des contribuables concernés ! À ce train-là, monsieur Fourcade, huit cents années s’écouleront avant qu’ils n’aient tous quitté le sol français… (Sourires.)
D’aucuns ont affirmé que ce n’était pas une si mauvaise chose que des personnes fortunées résident en France.
Il faut mettre un terme à l’idée selon laquelle l’ISF serait un impôt confiscatoire, et j’ai donné deux exemples chiffrés.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Le temps de parole est dépassé !
M. Thierry Foucaud. Quand votre patrimoine imposable s’élève à 1 million d’euros – c’est déjà trois fois plus que le patrimoine moyen ! –, vous devez acquitter 1 265 euros au titre de l’ISF ; si vous avez trois enfants à charge, cette somme est ramenée à 815 euros. (Signes d’impatience sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Thérèse Hermange. Cela fait déjà dix minutes qu’il parle…
M. Thierry Foucaud. Je sais bien que cette proposition de loi vous dérange, mes chers collègues !
M. Jacques Gautier. Non, cela ne nous dérange pas !
M. Thierry Foucaud. Mais tout à l’heure, nous demanderons que la Haute Assemblée se prononce par scrutin public : vous pourrez ensuite aller vous expliquer devant les Françaises et les Français qui en ont assez de votre politique, assez des stock options,…
M. Philippe Marini, rapporteur. En français, stock option se dit « option de souscription » !
M. Thierry Foucaud. …assez d’un bouclier fiscal qui leur coûte 458 millions d’euros !
Alors, pour une fois que nous avons l’occasion, à travers la discussion de cette proposition de loi, d’exprimer ce que souhaite le peuple,…
M. Philippe Dallier. Vous n’êtes pas le peuple, cela se saurait, sinon ! Avec quelque 5 % aux dernières élections…
M. Thierry Foucaud. … laissez-nous la parole au moins quelques instants ! (Brouhaha sur les travées de l’UMP.)
Les manifestations grossissent dans les rues, vous êtes en train de radicaliser la situation et, dans quelque temps, on viendra chez vous, dans vos permanences, vous demander des explications ! Faites attention à vous ! (Vives protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Cantegrit. Des menaces ?
M. Philippe Dallier. Et en plus, il nous menace !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Foucaud !
M. Thierry Foucaud. De toute façon, j’interviendrai pour expliquer mon vote ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Tout à fait, mon cher collègue, mais vous aviez dépassé votre temps de parole sur l’article avant même que la polémique ne commence !
M. Thierry Foucaud. Mais c’est un sujet idéologique qui divise la droite et la gauche… (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. le président. Je vous demande de respecter la loi et le règlement !
M. Philippe Marini, rapporteur. Voilà !
M. Thierry Foucaud. Oui, je sais que cela vous dérange !
Quand on parle du niveau réel de l’impôt supposé être confiscatoire et qu’on donne des chiffres, cela vous fait sauter sur vos fauteuils !
M. Philippe Marini, rapporteur. Respectons la loi et le règlement !
M. Alain Gournac. La loi vaut pour tout le monde !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Défendez le bouclier fiscal et les privilèges, mes chers collègues, que cela se voie, que tout le monde le sache !
M. Philippe Marini, rapporteur, et M. Alain Gournac. Le règlement !
M. Thierry Foucaud. Je citerai un dernier exemple. Avec un patrimoine imposable de 10 millions d’euros, mes chers collègues, vous devez payer 114 850 euros ; mais il suffit de verser 70 000 euros en numéraire pour le financement, par exemple, de petites ou de moyennes entreprises pour que cette somme soit réduite de quelque 50 000 euros ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Thierry Foucaud. Dans les faits, l’impôt moyen acquitté par les redevables de l’ISF est de 8 370 euros, pour un patrimoine de près de 2 millions d’euros.
Je mets ici un point final à mon intervention sur l’article 1er, mais je citerai d’autres exemples tout à l’heure, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, sur l’article.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le bouclier fiscal, qui consiste à ce que les impôts directs payés par les contribuables ne soient pas supérieurs à 50 % de leurs revenus, relève d’une évidence économique. Il nous aligne sur nos partenaires européens, l’Allemagne en particulier, pour éviter l’exode des créateurs et des investisseurs.
Entre-temps, une crise dévastatrice s’est abattue sur l’économie mondiale. Le Président de la République a su, par sa détermination et sa réactivité, mobiliser les autres dirigeants.
La France a mis en œuvre une politique de bon sens et d’équité. Préparer l’avenir en favorisant l’investissement, aider les plus fragiles par des mesures ciblées, telles que la prime exceptionnelle de solidarité active de 200 euros en anticipation du revenu de solidarité active, le RSA, la revalorisation de 25 % de l’allocation de solidarité aux personnes âgées versée aux personnes seules et de l’allocation aux adultes handicapés, l’allocation de chômage après une période de travail plus courte, la revalorisation des petites retraites agricoles.
Cependant, il faut se replacer dans le contexte actuel, monsieur le secrétaire d’État.
Imaginez l’état d’esprit d’un salarié qui craint de perdre son emploi, qui est au chômage technique ou au chômage : son salaire est pour lui absolument vital.
Pas plus qu’il n’accepte les parachutes dorés ou les stock-options d’une entreprise qui licencie, il ne peut accepter que l’État rembourse 370 000 euros à 834 contribuables qui, certes, ont payé des impôts très importants, mais pour lesquels la somme remboursée n’est destinée qu’à l’épargne ou au superflu. Ne pensez-vous pas que ce remboursement générera un profond sentiment d’injustice et mettra à mal la confiance ?
M. Guy Fischer. Oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Aymeri de Montesquiou. Nous sommes tous convaincus, ici, qu’une entreprise fonctionne bien si l’atmosphère y est paisible et que chacun estime son salaire juste. Il en est de même pour un État. Vous ne pouvez pas laisser se développer ce sentiment d’injustice auquel le Président de la République fait souvent référence. Vous devez réconcilier dans l’esprit des Français efficacité fiscale ou économique et équité sociale.
Certes, notre fiscalité a déjà atteint les plus hauts niveaux. N’oublions pas néanmoins que, depuis le bouclier fiscal, notre pays est remonté au deuxième rang pour les investissements étrangers. Il ne s’agit pas d’augmenter les impôts, mais il faut adapter ce bouclier à un contexte dramatique.
Plusieurs pistes de réformes s’offrent à nous. Premièrement, la suspension du bouclier fiscal jusqu’à la sortie de la crise. Deuxièmement, un triptyque ordonné autour de la suppression du bouclier fiscal, de l’abrogation de l’ISF et de la création d’une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu afin de compenser le manque à gagner pour l’État : ce système présente le mérite d’une meilleure lisibilité, mais les circonstances ne me paraissent toutefois pas réunies pour permettre un tel passage à court terme. Troisièmement, la prise en compte, dans le calcul du bouclier, de toutes les niches fiscales estimées à 60 milliards d’euros, niches qui mitent pour ainsi dire notre paysage fiscal en soustrayant à l’impôt nombre des plus gros revenus.
En opérant une telle réforme, nous gagnerions incontestablement en équité, vous resteriez fidèles à un principe juste et vous éviteriez de laisser accroire que certains cumulent tous les avantages, et les autres tous les aléas. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. C’est bien dit !
M. le président. Je demande aux différents orateurs inscrits sur cet article de veiller au respect du temps de parole. C’est la première journée mensuelle réservée aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires, et cette séance doit être exemplaire. Or, compte tenu de notre rythme actuel, nous allons devoir examiner la proposition de loi de M. Collin en séance de nuit !
La parole est à M. Bernard Vera, sur l'article.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, je vais m’efforcer de suivre vos recommandations.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite commencer cette intervention par une citation, certes un peu longue mais très instructive, reprenant les propos d’un de nos collègues tenus très récemment dans cet hémicycle.
« On a donc inventé le bouclier fiscal, qui a connu deux versions successives : fixé d’abord à 60 % en 2006, il fut ensuite abaissé à 50 % l’année suivante.
« Or, mes chers collègues, à l’évidence, le bouclier fiscal, tel qu’il est appliqué, n’est pas conforme à l’idée que nous nous faisions de ses vertus supposées lorsque nous l’avons voté.
« En effet, le revenu de référence pris en compte n’est pas le revenu “normal”, puisque en sont déduites toute une série de dépenses liées à des opérations de défiscalisation et à d’autres niches fiscales.
« Prenons l’exemple d’un contribuable disposant d’un revenu de 100 et qui a conclu quelques opérations ultramarines, investi dans des locations meublées professionnelles, conduit des travaux dans des monuments historiques ou classés à l’inventaire, souscrit un PERCO ou un PERP, adhéré à la PREFON. Ce sont autant de dépenses qu’il pourra éventuellement déduire, en plus de la CSG déductible, de son revenu imposable.
« Dans ces conditions, contrairement à ce que nous pouvions penser, le coefficient de 50 % s’appliquera non pas sur un revenu de 100, mais, après toutes ces déductions faites, sur un revenu résiduel de 50, de 30, voire de 20.
« J’insiste sur ce point, mes chers collègues, l’application de cette mesure n’est pas conforme à l’idée que nous nous en faisions au moment où nous l’avons votée. »
Cette véritable mise en cause du bouclier fiscal a été prononcée lors de la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2009 non par l’un des sénateurs de notre groupe, mais par le président de la commission des finances lui-même, notre collègue Jean Arthuis !
Même si je sais parfaitement qu’il n’en tire pas tout à fait les mêmes conclusions que nous quant à l’avenir notre système fiscal, cette diatribe ne fait que souligner pleinement pourquoi il convient aujourd’hui de mettre en question le bouclier fiscal et de décider de sa pure et simple abrogation.
Oui, mes chers collègues, le bouclier fiscal n’a pas d’effets avérés sur la situation économique.
Oui, il n’a pas d’impact sur le comportement des contribuables et leur domiciliation ! En effet, comme nous l’avons souligné dans la discussion générale, le nombre des expatriés fiscaux est sans commune mesure avec la réalité.
Que pèsent, en effet, quelques centaines de redevables potentiels de l’ISF au regard des 568 000 contribuables assujettis à cet impôt, nombre qui ne fait que croître et embellir au fil des ans ?
Le bouclier fiscal n’a pas rencontré le succès attendu par ses créateurs. Ce résultat plus que mitigé devrait nous conduire, plutôt que d’enferrer la représentation parlementaire dans une posture de plus en plus réprouvée par l’opinion publique, à procéder en toute sagesse à la suppression pure et simple de ce bouclier fiscal.
La presse s’est fait l’écho, ces derniers jours, des données du problème. Le bouclier fiscal attire peu, puisque les demandes, qui s’élevaient à 20 000 en 2007, ont été moins nombreuses en 2008, alors même que le dispositif était plus alléchant encore puisque le plafond a été abaissé à 50 %...
Ce sont aujourd’hui 458 millions d’euros qui sont remboursés aux quelques milliers de demandeurs : 458 millions d’euros, c’est plus, par exemple, que le financement que l’État accorde à la politique de la ville cette année.
Comme le nombre des bénéficiaires du bouclier fiscal s’est contracté, la moyenne du remboursement s’est sensiblement élevée, atteignant aujourd’hui 33 000 euros !
M. Guy Fischer. Elle a doublé !
M. Bernard Vera. Rappelons que le rapport général de la loi de finances pour 2006, qui a créé le bouclier fiscal, précisait que nous devions constater rapidement le dépôt d’une demande de restitution par 77 000 contribuables non assujettis à l’ISF ! L’affaire devait coûter, pour cette centaine de milliers de contribuables, environ 400 millions d’euros à l’État !
Manque de chance, si l’État rembourse bel et bien plus de 400 millions d’euros, il ne le fait que pour moins de 15 000 contribuables !
Dans les faits, le bouclier fiscal n’est finalement qu’une niche fiscale de plus pour les assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune.
Pour le reste, c’est-à-dire les impositions locales notamment, il est possible, dans le cadre des recours gracieux, de prendre en compte la situation d’infortune des contribuables redevables de taxes d’habitation ou de taxes foncières trop élevées pour leurs ressources !
M. le président. Veuillez conclure !
M. Bernard Vera. Mes chers collègues, supprimer le bouclier fiscal est d’autant plus une nécessité que le dispositif est quasiment inutile au regard du droit préexistant et n’a donc aucun sens pour la grande majorité des contribuables modestes de notre pays.
Devons-nous laisser perdurer dans notre législation un instrument qui ne concerne, au mieux, que moins d’un millier des 36 millions de contributeurs de l’impôt sur le revenu ?
C’est bel et bien pour rétablir cette égalité républicaine que nous ne pouvons que vous inviter à adopter cet article de suppression pure et simple du bouclier fiscal. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le rapport de la commission des finances sur le texte que nous avons proposé est pour le moins succinct. J’en citerai quelques extraits.
« Les chiffres de l’administration fiscale rendant compte des remboursements intervenus au 12 février 2009 ont montré l’utilité du bouclier fiscal pour deux catégories de contribuables […] :
« d’une part, des foyers aux revenus très modestes mais possédant leur résidence principale et pour qui le poids de la taxe foncière peut être difficilement supportable […] ;
« d’autre part, des contribuables assujettis à l’ISF subissant le “plafonnement du plafonnement” de cet impôt et qui devaient consacrer une très grande fraction de leurs revenus pour l’acquitter.
« Le bouclier fiscal a donc été créé par le législateur afin de répondre à des questions relevant du respect des droits fondamentaux de certains contribuables, aux profils divers […]. »
Quelques lignes plus loin, le rapport expédie la proposition inscrite dans l’article 1er en indiquant ceci : « Néanmoins, pour les raisons exposées supra, votre rapporteur général estime que l’éventuel réexamen du bouclier fiscal ne devrait intervenir que dans le cadre d’une réforme plus ambitieuse de notre fiscalité […].
« La mesure proposée par le présent article est donc à la fois incomplète et prématurée. C’est pourquoi votre rapporteur général ne préconise pas son adoption. »
Notre proposition de loi ne vise pas à résoudre, d’un coup de baguette magique, l’ensemble des problématiques de la fiscalité dans notre pays. Elle n’a pas vocation à être complète ; elle ne s’attache, dans cet article 1er, qu’à mettre en œuvre une mesure simple, immédiatement compréhensible par les citoyens de notre pays : la suppression du bouclier fiscal, dont il est avéré qu’il ne correspond ni aux attentes de la population ni même à celles de ses auteurs.
Votre rapport manque cruellement de précision.
La presse nous a informés de la réalité des faits : le volume des remboursements accordés à quelques-uns, à savoir moins d’un millier de personnes. Ces éléments simples ne figurent pas dans le rapport. Ce dernier aurait-il été rédigé dans la précipitation ?
En réalité, il est acquis que les principaux bénéficiaires du bouclier fiscal sont des contribuables de l’impôt de solidarité sur la fortune.
L’ISF est de surcroît une affaire très parisienne, qui obéit de longue date à la règle des quatre quarts : un quart perçu dans Paris intra muros, un quart dans l’un des sept autres départements de la région d’Île-de-France – plutôt dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine que dans la Seine-Saint-Denis – et les deux autres quarts dans l’un des quatre-vingt-douze autres départements de métropole et d’outre-mer.
Pour le bouclier fiscal, il en est de même, voire plus....
Une question simple se pose : la France qui travaille, qui crée des richesses, qui réussit, qui entreprend, qui prend des risques, habite-t-elle de manière quasi exclusive dans les beaux quartiers parisiens, à Neuilly-sur-Seine ou au Vésinet ?
Les chiffres du ministère sont pourtant extrêmement précis : un peu plus du quart des bénéficiaires du bouclier fiscal capitalisent 89 % des remboursements effectués !
C’est normal, direz-vous, ils ont en général un revenu imposable d’au moins 42 507 euros, qui devrait être taxé à un taux très éloigné des 50 %, mais surtout un patrimoine de 7,3 millions d’euros. On comprend mieux l’utilité du bouclier !
Où habitent les plus heureux d’entre eux, c’est-à-dire les 834 bénéficiaires d’un remboursement de 368 221 euros en moyenne, soit onze fois la moyenne des remboursements, et, parmi eux, la petite vingtaine de contribuables dont le chèque dépasse 2,5 millions d’euros ?
Selon des éléments en notre possession, le ministère des finances a renoncé à procéder à la production de statistiques « départementales » d’attribution des restitutions.
Sur le fond, je ne vois décidément pas pourquoi, pour maintenir en l’état les rentes de situation de quelques ménages parisiens fortunés, rentes n’ayant souvent qu’un très lointain rapport avec le travail personnel et beaucoup avec celui des autres, il faudrait que tous les autres contribuables de notre pays paient 458 millions d’euros d’impôt en trop !
C’est donc sous le bénéfice de ces observations que nous vous invitons à adopter cet article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le montre la discussion, cet article 1er porte sur une question profondément politique.
En effet, au-delà de la controverse entre les forces de progrès et de justice et celles du conservatisme et souvent de la réaction, se pose une question de fond : celle de la citoyenneté, qui recouvre la relation entre chacun des habitants de ce pays et l’impôt.
Le ciment du pacte républicain, qu’on le veuille ou non, c’est que chacun paie l’impôt – un impôt le plus juste possible – pour que chacun puisse tirer parti de ce que la collectivité met à sa disposition.
Cette relation est brisée, pervertie par le bouclier fiscal qui, sous des motifs fallacieux, dispense certains de contribuer justement au bien-être général, ce qui ne les empêche évidemment pas de bénéficier des services publics comme des multiples avantages offerts par le financement collectif.
Nous l’avons dit et nous le répétons – la pédagogie est parfois l’art de la répétition –, nous ne trouvons pas légitime que les salariés modestes et moyens acquittent des impôts pour qu’une infime minorité de contribuables – moins de 1 000 en réalité – fassent des gorges chaudes des restitutions du bouclier fiscal.
Cela dit, l’une des questions posées par la « pratique » du bouclier fiscal est celle de son peu de succès auprès des contribuables.
Par quel miracle, si l’on peut dire, à peine plus de 20 000 personnes en 2007 et moins de 15 000 en 2008 ont-elles sollicité l’application du bouclier fiscal, alors que l’on s’attendait à une bonne centaine de milliers de demandes, déposées en très grande majorité par des contribuables modestes ?
Sans doute faut-il trouver une cause de la difficulté à « s’emparer » du bouclier fiscal pour obtenir des services des impôts la restitution du trop-perçu des impositions directes dans sa procédure de mise en œuvre elle-même.
Je sais que M. le rapporteur général, après avoir quelque peu insisté et remis plusieurs fois l’ouvrage sur le métier, avait obtenu que soit mis en pratique l’ahurissant principe de l’auto-liquidation du bouclier fiscal, mais là n’est pas la question....
Que l’on se rassure, comme les sénateurs du groupe CRC-SPG sont fermement, et depuis le premier jour, opposés au bouclier fiscal, ils sont évidemment révulsés par son « auto-liquidation », véritable prime au délit d’initié !
Si nombre de contribuables ne sollicitent pas l’application du bouclier fiscal, c’est tout simplement parce que l’affaire n’est pas gagnante à tous les coups. Selon certaines informations, dont il serait d’ailleurs légitime que nous ayons communication, au moins sur le plan statistique, il s’avère que certains contribuables, en lieu et place d’une restitution, se trouvent confrontés à un redressement !
À vrai dire, dès la création même du bouclier fiscal, et malgré les efforts et la publicité déployés par le ministère, nombreux étaient les conseillers financiers, les experts-comptables, les conseils en gestion, les fiscalistes et autres spécialistes – c’est fou ce que les questions d’argent suscitent comme spécialités et comme professions ! – qui se dispensaient de recommander à leurs « clients » de faire jouer le dispositif de plafonnement ! Pour reprendre une formule utilisée à l’époque, il fallait en effet, pour bénéficier du bouclier fiscal, être « blanc-bleu », c’est-à-dire parfaitement en règle au regard des impôts, de tous les impôts visés par le dispositif !
Quand on demande le bénéfice du bouclier fiscal, il faut jouer cartes sur table et ne pas laisser apparaître la moindre des indélicatesses dans l’application du droit fiscal !
Or, entre les conventions fiscales internationales, appliquées de manière flageolante, l’estimation très approximative du patrimoine assujetti à l’impôt de solidarité sur la fortune, la dissimulation, parfois, de revenus fonciers et immobiliers, les étourderies et oublis divers que l’on mesure souvent en milliers d’euros de patrimoine ou de revenus soustraits à toute déclaration, nombreuses sont les sources d’évasion fiscale, plus ou moins avérées, que l’on ne souhaite pas toujours révéler en déposant une demande de bouclier fiscal.
Aucune statistique – mais peut-être M. le secrétaire d'État nous a-t-il amené des chiffres… – n’a d’ailleurs été publiée sur le nombre de demandes s’étant achevées par des redressements. Cependant, selon les éléments que nous ont transmis les organisations syndicales de la direction générale des finances publiques, de 15 % à 20 % des demandes de bouclier fiscal se concluraient ainsi !
On pourrait se féliciter d’une telle situation, le bouclier fiscal générant donc la perception de recettes inattendues, mais elle ne change rien : le bouclier fiscal, parce qu’il est peu pratiqué, n’a précisément pas mis un terme à l’optimisation fiscale, voire à la dissimulation de revenus et de patrimoines qui permet à quelques petits futés de se dispenser de contribuer justement à la charge commune !
Il est donc tout aussi inefficace de ce point de vue, et sa suppression en est d’autant plus justifiée.