Sommaire
Présidence de Mme Monique Papon
Secrétaires :
Mme Christiane Demontès, M. Daniel Raoul.
2. Communication d’un avis sur un projet de nomination
3. Demande d’un avis sur un projet de nomination
4. Création d’une commission spéciale et candidatures
5. Débat sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques
M. Bernard Vera, au nom du groupe CRC-SPG, auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour.
M. Aymeri de Montesquiou, Mme Nicole Bricq, MM. Thierry Foucaud, Joël Bourdin.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.
Clôture du débat.
6. Nomination des membres d’une commission spéciale
Suspension et reprise de la séance
7. Politique de défiscalisation des heures supplémentaires. – Discussion d'une question orale avec débat
Mme Christiane Demontès, auteur de la question.
Mmes Nicole Bricq, Annie David, MM. Rémy Pointereau, Aymeri de Montesquiou, François Rebsamen.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi ; Mme Christiane Demontès.
Clôture du débat.
8. Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi
9. Débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine
Mme Anne-Marie Escoffier, au nom du groupe RDSE, auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour.
M. Alain Anziani, Mme Éliane Assassi, MM. François-Noël Buffet, Jacques Mézard, Mme Alima Boumediene-Thiery.
M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.
Clôture du débat.
11. Dépôt d’un texte d’une commission
12. Transmission de propositions de loi
13. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
15. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Christiane Demontès,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application de la loi organique relative à la nomination des présidents des sociétés audiovisuelles et de l’article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable, par vingt voix pour et dix-neuf abstentions, sur le projet de nomination par M. le Président de la République de M. Jean-Luc Hees aux fonctions de président de la société Radio France.
Acte est donné de cette communication.
3
Demande d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. Par lettre en date du 27 avril 2009, M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître, conformément à l’article L. 130 du code des postes et des communications électroniques, l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Jean-Ludovic Silicani aux fonctions de président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, en remplacement de M. Jean-Claude Mallet, qui vient de présenter sa démission.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires économiques.
Acte est donné de cette communication.
4
Création d’une commission spéciale et candidatures
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 16, alinéa 2, du règlement, la proposition de M. le président du Sénat tendant à la création d’une commission spéciale sur le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation (n° 364, 2008-2009).
Je soumets donc cette proposition au Sénat.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l’ordre du jour appelle la nomination des membres de cette commission spéciale.
Il va être procédé à cette nomination, conformément à l’article 10 du règlement.
La liste des candidats établie par les présidents de groupe va être affichée.
Cette liste sera ratifiée s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration d’un délai d’une heure.
5
Débat sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle un débat sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques.
La parole est à M. Bernard Vera, au nom du groupe CRC-SPG, auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour.
M. Bernard Vera. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la crise financière est loin d’être terminée. Elle trouve ses prolongements dans le champ de l’activité économique et de la réalité sociale tant de la France que des autres pays européens.
C’est pourquoi la tenue de ce débat sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques, organisé sur notre initiative et à notre demande, sera sans doute utile pour faire un point précis de la situation, comme de son interprétation.
Pour ma part, je commencerai par le point où nous en sommes arrivés, c’est-à-dire par le sommet de Londres, cette réunion du G20 qui, selon les termes élyséens, devait tout changer.
À l’occasion de ce sommet, l’opinion publique a manifesté à la fois beaucoup d’attente et un important scepticisme quant aux suites et aux décisions prises à l’issue des discussions entre les vingt plus importants chefs d’État et de gouvernement de la planète.
Or, malgré le battage médiatique, rien ne semble devoir profondément modifier la situation économique après la réunion de Londres.
L’objectif du G20 était précis : comment permettre aux pays occidentaux et au Japon, engoncés dans les effets de la crise systémique des marchés financiers, de solliciter auprès des économies émergentes les moyens de renflouer les caisses de leurs établissements financiers en difficulté ?
Dans cette optique, pour masquer ce qui était sans doute le véritable enjeu du G20, c’est-à-dire le maintien coûte que coûte et quoi qu’il arrive de l’ordre actuel des choses, on a agité avant l’heure quelques pistes de réflexion secondaires, qui se révèlent en réalité être des leurres.
Il en va ainsi des paradis fiscaux, des agences de notation ou encore de la rémunération des traders.
En ce qui concerne les paradis fiscaux, on a publié une liste noire comprenant quatre pays essentiels sur l’échiquier des transactions financières internationales : le Costa Rica, les Philippines, l’Uruguay et la Malaisie.
Pas de trace en revanche des territoires situés sur le périmètre même de l’Union européenne ou dans sa périphérie, comme peuvent l’être Jersey, Guernesey, Andorre, Monaco ou encore le Liechtenstein. En effet, peu de sanctions semblent devoir être prises face aux agissements des établissements financiers domiciliés dans ces « paradis fiscaux ».
Le déclassement rapide des pays placés sur la liste noire et la montée en charge d’une « liste grise », où se sont discrètement intégrés des pays comme Malte, Chypre, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, tous membres de l’Union européenne, sont autant de signes qu’on ne souhaite pas vraiment s’attaquer au problème.
Demain, le canton de Zoug pourra continuer sans trop de risques à exempter largement entreprises et gros revenus de toute fiscalité !
Demain, le Delaware pourra jouer au dumping fiscal avec l’État de New York ou le Connecticut et le Nevada pourra poursuivre le recyclage dans ses casinos de l’argent du jeu et de la retraite des pensionnés américains.
L’Irlande pourra continuer de s’en sortir en « écrasant » le taux de l’impôt sur les sociétés !
Et Arcelor-Mittal restera une société de droit néerlandais, tandis que l’usine de Gandrange a fermé et que la moitié de Florange est à l’arrêt !
Et ne parlons pas de la facilité avec laquelle la City de Londres ou les services juridiques belges accueillent les entreprises soucieuses de bénéficier de délocalisations le plus souvent « immatérielles », mais à fort rendement en termes d’exemption fiscale !
En prétendant lutter contre les paradis fiscaux exotiques, on laisse de côté ce que M. Daniel Lebègue appelle les « trous noirs » de la finance, ces lessiveuses d’argent pas toujours honnêtement gagné qui existent au cœur même des pays les plus développés !
Dans ces conditions, je crains que la lutte contre les paradis fiscaux n’en reste au niveau de la proclamation.
Sur les agences de notation, qui ont failli en accordant à certains établissements financiers en déroute depuis 2007 une bonne note jusqu’à la crise, comment ne pas être surpris par l’étonnement bien tardif de certains ?
Les agences de notation ne notent que quelques entités économiques, celles qui font « appel public à l’épargne » ou qui sont cotées en Bourse.
Mais qu’attend-on pour confier aux banques centrales, autorités indépendantes des marchés financiers, une mission de notation de toutes les entreprises et de tous les établissements financiers, une mission de service public, permettant d’avoir de la transparence sur la situation réelle des entreprises et donc résoudre les difficultés nées de l’inégalité d’accès au crédit ?
Tant que rien ne sera fait en ce sens, nous en resterons au mieux aux déclarations d’intention.
Et en ce qui concerne la rémunération des traders, je souhaite poser une question simple. Qui est le plus coupable dans l’affaire de négoce sur titres dite « affaire Kerviel » et qui a failli faire perdre 5 milliards d’euros à la Société générale ?
Les traders sont seulement les opérateurs de stratégies bancaires et financières définies par les directives qui leur sont données.
Et si la Société générale a préféré un temps les produits dérivés au développement des entreprises françaises et à la facilitation de l’accès au crédit de nos PME et TPE, elle est directement responsable des difficultés qu’elle a rencontrées !
Ne cherche-t-on pas, en fait, à faire des traders des boucs émissaires bien commodes d’une crise du capitalisme que l’on cherche à présenter comme passagère, simple résultat d’une dérégulation qu’il suffirait de corriger et de moraliser ?
La crise financière et économique internationale n’est pas une simple affaire de dérèglement des marchés financiers, qu’il conviendrait de résoudre au travers d’une plus grande régulation ou de mesures de contrôle « administratif » plus importantes.
Ces pistes de réflexion évoquées au G20 – paradis fiscaux, agences de notation et rémunération des traders – ne peuvent pas masquer l’essentiel.
Car les deux principales décisions prises au sommet de Londres consistent précisément à encourager la poursuite des pratiques anciennes.
Ainsi annonce-t-on un renforcement des moyens du Fonds monétaire international et des autres institutions financières internationales, à hauteur de 1 000 milliards de dollars.
Je souhaite formuler une remarque sur l’origine de ces fonds. On s’oriente, semble-t-il, vers une ponction particulièrement forte sur les disponibilités des pays émergents. Mais pour quels motifs et quelles politiques ces moyens seront-ils mobilisés ?
Comme rien ne figure dans les conclusions du sommet de Londres sur l’aide au développement des pays du Sud ou, par exemple, sur l’accès à l’eau pour les peuples et les êtres humains qui en sont aujourd’hui privés, il est à craindre que les ressources du FMI ne soient mobilisées au secours de la crise financière !
J’en fournirai un seul exemple. Il a été décidé de mobiliser 19 milliards de dollars pour subventionner des investissements dans les pays les plus pauvres, mais le gouvernement américain est prêt à engager 70 milliards de dollars pour sauver de la faillite la seule compagnie d’assurance AIG, dont les pertes sont supérieures au PIB de 150 des pays de la planète !
En réalité, le G20, loin de parvenir à la mise en place d’une nouvelle organisation économique internationale, a surtout permis à chaque puissance de valoriser son plan « national » de sortie de crise.
Ainsi en est-il du plan Geithner, appliquant le vieux principe « socialisation des pertes, privatisation des profits ».
La décote appliquée aux créances douteuses des établissements financiers et des compagnies d’assurance sera supportée, pour l’essentiel, par le Trésor américain, c’est-à-dire par le contribuable et, au-delà, par l’émission de nouveaux titres de dette publique américains sur les marchés financiers !
Le plan Geithner, c’est, en effet, 66 % de la valeur d’une créance en contrepartie d’un engagement du Trésor !
De fait, les désaccords persistants sur le processus de convergence des politiques économiques des gouvernements du G20 montrent que la règle du chacun pour soi prime sur tout autre principe !
D’aucuns se félicitaient encore il y a peu de temps, ce lundi même, que le nombre de chômeurs progressait moins vite dans notre pays qu’en Espagne ou aux États-Unis !
Doit-on rappeler que, en France, le droit du travail, malgré sa rigidité et ses pesanteurs, permet de protéger les salariés du licenciement à effet immédiat. Doit-on rappeler également que le chômage partiel et l’exercice du droit à la formation préservent parfois du chômage total ?
Quant aux mauvaises habitudes, elles n’ont pas été oubliées !
Malgré les louables efforts de René Ricol et de ses collaborateurs, les banques de notre pays continuent de « snober » la demande de crédits des PME et TPE, trop occupées sans doute à attribuer parachutes dorés, retraites « chapeau » et autres stock-options à leurs dirigeants !
Pourtant, avec la retraite « chapeau » de Daniel Bouton, il y avait sans doute de quoi sauver quelques-unes de nos PME qui ont déposé leur bilan ou ont été placées en redressement judiciaire depuis l’automne !
Le capitalisme n’est pas à refonder, en se contentant, comme nous le voyons, de mesures temporaires avant de renouer avec les pratiques anciennes.
L’ordre des choses, économique et social, tant sur le plan national qu’aux échelons européen ou international, doit être profondément modifié.
Une véritable sortie de crise, c’est autre chose que le sommet du G20 !
S’agissant des solutions, de notre point de vue, trois échelons doivent être clairement identifiés.
Le premier échelon est national.
Le Gouvernement doit soumettre au débat et mettre en œuvre la constitution d’un pôle public financier destiné à faciliter l’accès au crédit des PME et des TPE, encourageant une juste allocation de la ressource disponible en faveur de l’activité créatrice de richesses et d’emplois.
Dans ce cadre, il faut bien évidemment revenir sur la privatisation des établissements financiers mise en œuvre depuis 1986, une privatisation qui ne se comprend d’ailleurs plus aujourd’hui, notamment quand l’État se déclare prêt à engager 360 milliards d’euros pour recapitaliser les établissements de crédit ou leur apporter de l’argent frais !
Et la révélation du nouveau « trou » de la Société générale – 5 milliards d’euros de pertes de la filiale SGAM, Société Générale Asset Management » – montre la gravité de la situation !
Le deuxième échelon est européen.
Cette question est d’actualité, au moment même où on « lockoute » le débat sur les enjeux européens à un mois du renouvellement du Parlement européen.
La Banque centrale européenne, ou BCE, doit changer de rôle et cesser d’être le gardien d’une orthodoxie monétariste et libérale qui a failli, comme l’a montré la crise.
Ce sont les choix de Maastricht, de Nice et de Lisbonne qui sont sur la sellette avec la crise !
La Banque centrale doit donc, à notre sens, devenir l’instrument d’un financement de l’économie valorisant les potentiels de chaque pays membre, favorisant les coopérations transfrontalières, générant la création de richesses et d’emplois, développant la formation et la promotion professionnelle des salariés !
Tournons le dos aux politiques d’allégement du coût du travail et de dumping fiscal, tournons le dos à la directive Bolkestein et à ses rebondissements multiples !
L’Europe sociale, c’est d’abord une BCE recentrée sur l’aide à l’économie et à l’activité !
Enfin, le troisième échelon est international.
Nous ne pouvons nous contenter des conclusions du sommet du G20, où les plus riches tentent désespérément de maintenir leurs positions dominantes, quitte à s’affronter, bien entendu !
Il faut profondément transformer les conditions d’intervention du FMI, en réduisant le poids excessif des États-Unis dans les droits de vote et en développant le dispositif des droits de tirage spéciaux. Ces derniers doivent devenir l’alternative à la suprématie d’un dollar sans cesse dévalué, mais toujours prédominant.
Le monde a changé et changera encore.
Les puissances occidentales ne peuvent ignorer la place de nouvelles économies dans le concert des nations : le FMI, dans sa composition comme dans ses interventions, doit en tenir compte.
Comment ne pas critiquer le peu de place accordé aux questions du développement du Sud dans le sommet de Londres ?
Et nos réflexions sur le FMI valent aussi pour le cycle de négociations commerciales de Doha, c’est-à-dire l’Organisation mondiale du commerce, ou OMC.
Le libéralisme appliqué à la mondialisation a fait son temps ici, en Europe, comme dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Jean Milhau applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà un an, les carnets de commandes étaient pleins,…
M. François Marc. Il y a deux ans !
M. Aymeri de Montesquiou. …les perspectives d’avenir, prometteuses, les bourses mondiales, au plus haut. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Aujourd’hui, toutes les bourses ont plongé,…
M. François Marc. Ça, c’est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou. … les carnets de commandes sont vides et, surtout, des dizaines et, pour certains pays, des centaines de milliers de chômeurs font monter une inquiétude terrible, d’abord chez ceux qui ont perdu leur travail, mais aussi chez les dirigeants économiques ou politiques totalement pris au dépourvu devant une crise qu’ils n’avaient pas anticipée et dont ils sont incapables de prévoir la fin.
John Galbraith avait raison lorsqu’il énonçait que la prévision économique était aussi fiable que l’astrologie est proche de la science.
M. Hubert Haenel. Oh !
M. Aymeri de Montesquiou. Néanmoins, la politique étant l’art du possible, nous ne devons pas renoncer et, dans cet environnement très difficile, il faut avoir la volonté de concrétiser les espoirs qu’a pu faire naître le G20 de Londres. Tout passe par la mise en place de nouvelles règles de fonctionnement et d’organisation du système financier international.
Cette crise financière doit être l’occasion de redéfinir les relations entre les banques et l’économie réelle. Cela est primordial pour regagner la confiance et débloquer certains obstacles à l’accès au crédit.
Plusieurs constatations m’amènent à approfondir cette nécessaire réorganisation fondée sur l’indéniable besoin d’une éthique financière.
Voilà un an, une telle expression aurait encore prêté à sourire. Aujourd’hui, elle s’impose comme le principal enseignement d’une crise qui est, avant tout, une crise de l’avidité et des excès de la finance et des défaillances multiples des autorités chargées de la régulation.
Nous devons tout faire pour peser avec nos alliés européens sur l’organisation internationale.
En premier lieu, la crise nous montre que les marchés, surtout dans le cadre de la mondialisation, ne sont pas capables d’éviter seuls les effets systémiques. Leur organisation comme leur fonctionnement doivent être une responsabilité publique, et donc politique.
Il faut, par conséquent, institutionnaliser la surveillance et l’organisation des marchés nationaux et mondiaux selon un programme de réformes et par l’instauration d’organes appropriés.
En deuxième lieu, il est indispensable de revoir les priorités de la régulation financière au travers de la mission et du statut des régulateurs.
La protection des épargnants non professionnels, le bon fonctionnement des marchés, la lutte contre les abus et les manipulations constituent les objectifs principaux ; il faudra désormais y ajouter l’encadrement du risque.
En troisième lieu, on ne soulignera jamais assez l’importance de la transparence de l’information quand on évoque les marchés financiers.
Aujourd’hui, la seule transparence ne suffit plus, il faut créer des outils de régulation et de contrôle. Ces outils pourraient reposer sur des principes simples, mais efficaces : la standardisation internationale par le retour aux normes comptables antérieures et la responsabilisation des autorités de marché. La règle mark to market imposant une évaluation des actifs à la valeur du marché et les normes IFRS – International financial reporting standards – reposant sur leur juste valeur doivent être reconsidérées.
Il est urgent de redonner du sens aux transactions financières afin qu’elles ne soient plus uniquement des opérations spéculatives complexes, désordonnées et déconnectées du réel. Il nous faut maîtriser l’ensemble du processus de chacune des opérations des marchés.
Cela signifie également un renforcement du pouvoir de contrôle et de sanctions des sociétés de cotation par une autorité supérieure sur le fondement de normes internationales et uniformes.
Il s’agit ici de l’un des enseignements majeurs de la crise : aucun pays ne pourra efficacement fixer ses propres règles normatives si celles-ci ne sont pas reconnues par tous les autres.
Enfin, la liquidité est indispensable au bon fonctionnement du système international. En dernier ressort, elle est assurée par les banques centrales. Celles-ci ont un rôle majeur tant dans la supervision des établissements financiers que dans la structuration du marché. C’est pourquoi il serait judicieux de responsabiliser les agences de notation en demandant qu’elles s’enregistrent par zone monétaire d’intervention, en organisant la reconnaissance mutuelle entre leurs régulateurs, en différenciant les échelles de notation entre les produits financiers et les entités, en donnant toute indication sur la liquidité des marchés des produits notés par les agences.
Je conclurai mon propos en évoquant la crise de 1929 et la réorganisation du secteur bancaire qui en résulta, à la demande du législateur américain. À la suite des travaux de la Commission bancaire du Sénat sur les causes du krach boursier, le Congrès américain adopta, le 16 juillet 1933, le Glass-Steagall Act, loi qui instaura une séparation stricte entre les activités des banques commerciales gérant les dépôts et crédits consentis aux particuliers et celles des banques d’investissement qui émettent des actions ou des obligations sur le marché boursier.
Cette disposition, qui reprend aujourd’hui tout son sens, a perduré dans la législation américaine jusqu’en 1999 et a été abrogée par le Congrès sans que le Président Clinton y mette son veto. L’abrogation à caractère protectionniste du Glass-Steagall Act devait permettre aux banques américaines de faire face à la concurrence internationale. Elle a surtout ouvert la porte aux subprimes et autres produits dérivés. Dix ans plus tard, cette compétition biaisée entre banques commerciales et banques d’investissement a tourné très largement à l’avantage des premières, qui bénéficient des fonds propres de leurs déposants.
C’est pourquoi des banques d’investissement comme Bear Stearns, Lehman Brothers ou encore Merryl Lynch ont pris des risques, au point que, pour 1 dollar de fonds propres, elles investissaient jusqu’à plus de 30 dollars dans des opérations à haut risque. Aujourd’hui, ces banques ont tout simplement disparu.
Aussi, madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe du RDSE regrette que le G20 de Londres n’ait pas pris la principale mesure qui, pourtant, nous semble s’imposer : instaurer un Glass-Steagall Act à l’échelle mondiale. (MM. Jean Milhau et Joël Bourdin applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, permettez-moi de faire une remarque préliminaire, en émettant le souhait que vous en fassiez part à la conférence des présidents.
Ce débat s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle consacrant une semaine mensuelle au contrôle de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques. Alors que nous n’avons pas voté cette réforme, les travées de la gauche sont beaucoup plus fournies aujourd'hui que celles de la droite,…
M. Charles Gautier. Exactement !
Mme Nicole Bricq. … qui l’a votée !
M. Charles Gautier. Ils ne sont pas là, ce qui est honteux !
M. Joël Bourdin. Il y a les meilleurs !
Mme Nicole Bricq. Le déséquilibre de la participation à ce débat montre les limites de la réforme.
Il se trouve qu’un débat sur la crise financière est inscrit à la demande de la commission des finances à l’ordre du jour de nos travaux demain matin.
Il va donc falloir revoir cette organisation ! Sinon, ce ne seront que des palabres…
M. Charles Gautier. C’est du cinéma !
Mme Nicole Bricq. … dénuées de fonction normative.
Cela nous conduit à nous exprimer sur des sujets fondamentaux devant ...
M. Charles Gautier. … des fauteuils vides !
Mme Nicole Bricq. … un hémicycle dégarni, notamment du côté de nos collègues de droite.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, je fais partie, avec mes collègues François Marc et Bernard Vera, du « G24 » (Sourires.), groupe parlementaire qui travaille sur la crise financière de manière sérieuse et dont il a été beaucoup question voilà quelques jours, mais pas pour les meilleures raisons !
Avant le premier G20, celui de Washington, au mois de novembre, nous avions établi un diagnostic partagé sur les causes de la crise : déformation du partage des revenus du capital et du travail ; développement irresponsable du crédit aux États-Unis ; taux de rentabilité à deux chiffres exigé par les marchés sans aucun rapport avec l’économie réelle ; hypertrophie des marchés financiers conduisant à multiplier les pratiques à risque, notamment en ce qui concerne les modalités de rémunération ; règles comptables pro-cycliques…. Et à partir de ce diagnostic, nous avons avancé un certain nombre de propositions de réforme.
Rétrospectivement, on peut s’interroger sur le fait que ce modèle ait perduré durant trente ans sans que l’on se pose la question de sa fin et de ses fins.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Vous ne vous êtes pas non plus posé la question !
Mme Nicole Bricq. Il en a fallu des renoncements, monsieur le secrétaire d'État : …
Mme Nicole Bricq. … ceux des États, impuissants à juguler la globalisation, et celui de l’Europe, qui n’a pas construit son propre modèle de régulation.
Que de directives transposées, qui ne faisaient que traduire des procédures technocratiques !
Que d’espaces laissés à des instances professionnelles sans légitimité politique ! Je parle du groupe de travail, monsieur le secrétaire d'État !
Mme Nicole Bricq. Si vous voulez bien relire le premier texte que nous avons remis au Président de la République lors du G20, vous y trouverez mot à mot ce que je viens de vous dire.
La crise nous ramènera-t-elle, comme nous le souhaitions en novembre, à moins de conformisme intellectuel ? Les États retrouveront-ils la force de s’opposer à la toute-puissance des marchés ? Trouverons-nous les bons niveaux d’intervention nationaux, européens, mondiaux ?
Nous nous posions ces questions en novembre, indépendamment de notre appartenance politique. C’est tout l’intérêt du groupe de travail parlementaire pour lequel nos groupes respectifs nous ont désignés. Cela ne gomme pas les divergences sur la nature et la profondeur de la régulation nécessaire, sur la place de l’État, sur l’ampleur et le contenu de la relance, sur les contreparties à exiger aux aides financières de l’État.
Quoi qu’il en soit, puisqu’il s’agit d’un débat engagé sur l’initiative de nos collègues du groupe CRC-SPG, permettez aux socialistes, qui reconnaissent l’économie de marché, de dire qu’il ne peut s’agir, en ce siècle, de revenir aux trente glorieuses, trop souvent présentées comme un « monde enchanté », alors que cette période a représenté une phase importante d’accumulation du capital et qu’elle s’accompagnait, on l’a oublié, d’inégalités très brutales.
Car la crise, qui est mondiale, à la différence de celle de 1929, pose la question du choix du mode de développement.
Pour ce qui nous concerne, nous voulons fonder ce mode de développement sur la reconnaissance du facteur humain, sur la juste rémunération du travail, sur la prise en compte de la finitude des ressources de la planète, sur l’allocation des richesses produites à ceux qui, par naissance ou par destinée, ne peuvent vivre décemment qu’avec l’aide de la solidarité nationale. C’est ce système que nous devons construire !
Lors de la mission que la commission des finances a effectuée la semaine dernière aux États-Unis, nous avons rencontré l’ensemble des grands opérateurs, les autorités fédérales, les banquiers, les gérants de hedge funds, les agences de notation et les membres des think tanks, à la fois des démocrates et des républicains. La crainte des républicains et des libéraux – il en reste encore beaucoup aux États-Unis et suffisamment en France – c’est que le président Obama mette en œuvre ses engagements en faveur de l’éducation et de la santé dès le plan de relance de 780 milliards de dollars, d’où l’âpreté des débats budgétaires. Pour eux, la priorité est d’abord de relancer le système à l’identique, comme s’il s’agissait d’une crise habituelle du capitalisme, d’une « purge », en quelque sorte.
En France, la confrontation des modèles de société que les uns et les autres souhaitent n’a pas vraiment eu lieu. Toutefois, quand, au Sénat et à l’Assemblée nationale, avec nos collègues communistes, nous nous opposons à la droite sur la fiscalité, sur la nature et l’ampleur de la relance, sur le niveau de régulation nécessaire, sur l’encadrement des rémunérations, nous traduisons bien des visions différentes de la société.
Cette crise constitue un révélateur. Elle nous conduira, dans nos formations respectives, à développer nos propositions pour la société du XXIe siècle que nous voulons bâtir. J’y reviendrai demain en développant des propos plus techniques sur la mise en œuvre des orientations du sommet de Londres au niveau à la fois national et de l’Union européenne.
Finalement, et ce sera ma conclusion, à l’instar du XXe siècle, qui a commencé avec la guerre de 1914, le XXIe siècle a débuté en 1989. Je ne fais pas allusion uniquement à la chute du mur de Berlin : 1989 a acté la mondialisation et la crise de 2008 se situe dans cette continuité puisqu’elle traduit la globalisation financière.
Pour nous, il ne peut y avoir de mondialisation sans organisation financière, commerciale et sociale. Voilà ce à quoi il faut s’atteler ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout d’abord, je veux dire que le groupe CRC-SPG s’associe pleinement aux remarques formulées par Nicole Bricq sur la tenue de ce débat.
Cela étant, comme nous l’avons indiqué dans notre propos liminaire, le débat sur la crise financière que nous entamons aujourd'hui mérite d’être placé dans la perspective d’une remise en question intégrale de la marche actuelle de l’économie, tant sur le plan national que sur le plan international.
La crise systémique des marchés financiers n’est, sous bien des aspects, que « la queue de la comète ». À en écouter certains, on pourrait presque croire qu’avant l’automne 2008 il n’y avait pas de crise économique, au seul motif que la croissance de quelques pays émergents – Inde, Chine, Russie, pays d’Amérique latine disposant de ressources naturelles, tigres et dragons d’Asie du Sud-Est – suffisait à faire le compte !
Une telle vision est parfaitement trompeuse ! La tempête de l’automne dernier sur les marchés financiers a été précédée de bien d’autres depuis quarante ans, ou peu s’en faut, que nous sommes entrés dans ce cycle continu de crises financières et économiques.
Mon temps de parole étant limité à sept minutes, je serai très synthétique.
Depuis que le président Nixon a décidé de faire payer au monde entier, par le biais de dollars dévalués, la facture de ses aventures vietnamiennes, nous sommes entrés dans un cycle économique pour le moins agité et très souvent, de plus en plus même, récessif.
Depuis quarante ans, nous avons connu la libéralisation des marchés financiers, les plans d’ajustement structurel du FMI dans les pays dits « en voie de développement », le renforcement de la construction européenne dans l’optique d’une concurrence exacerbée avec les États-Unis et le Japon.
Tous les auteurs du traité de l’Union européenne, qu’il s’agisse de la version de Rome, de Maastricht, de Nice ou de Lisbonne, sont coresponsables, à parts égales, des manifestations de la crise économique et financière dans notre pays comme dans les autres pays d’Europe.
Le chômage de masse, la réduction continue et effrénée du coût du travail, la privatisation des entreprises publiques et des établissements financiers – y compris, dans notre pays, de ceux qui ont été nationalisés en 1945 –, les politiques de dumping fiscal et de réduction de la dépense publique sont autant de manifestations de la crise.
Nous comptons officiellement, depuis des années, plus de 2 millions de personnes privées d’emploi, sans parler des autres, c’est-à-dire tous les chômeurs. Et l’on voudrait nous faire croire que nous n’étions pas en crise avant l’automne dernier ?
Quand on nous dit que les chômeurs d’aujourd’hui ne sont que la conséquence ou l’effet « retard » de la crise de l’an dernier, au train où vont les choses en matière d’emploi, qu’est ce qui nous attend pour 2010 ?
Devons-nous considérer, monsieur le secrétaire d'État, que les services de Pôle emploi, malgré toutes les radiations administratives pratiquées, vont annoncer entre 2,5 millions et 3 millions de chômeurs officiels d’ici à la fin de l’année, et entre 3 millions et 4 millions l’an prochain ?
Pour en revenir au sujet qui nous occupe, comment ne pas s’étonner que nous ayons des banques en difficulté, parfois en délicatesse avec leur métier naturel, celui d’aider au financement de l’activité économique, moyennant une marge bancaire, mais aussi des banques dont les dirigeants font assaut d’imagination pour se rémunérer grassement, sous toutes les formes possibles ?
À dire vrai, comment oublier à ce stade que, de 1986 à 1997, l’essentiel du secteur bancaire français a été privatisé, avec les effets que nous avons pu observer ces temps derniers ?
Si la Société générale était restée une banque publique, investie de missions de service public, nous n’aurions peut-être pas vu aujourd’hui l’affaire Kerviel ou l’affaire Bouton-Oudéa !
La crise financière de l’automne a donc des origines lointaines et n’est d’ailleurs, sur l’échelle de Richter des séismes bancaires internationaux, qu’un séisme majeur apparenté à ceux que nous avons connus en 1969 avec le dollar flottant, en 1975 avec la récession internationale, en 1992 avec l’éclatement de la bulle immobilière spéculative, au tournant des années 2000 avec la crise au Mexique ou en Argentine, l’effondrement du marché asiatique ou l’explosion de la bulle Internet.
Cependant, la crise financière que nous connaissons aujourd'hui prend évidemment un tour nouveau en ce qu’elle frappe le cœur du système économique lui-même et non sa périphérie, c’est-à-dire Wall Street et la City.
Alors, ensuite, quel est le débat ?
Il s’agit de savoir comment s’en sortir sans mettre en cause les fondements du système et se rapprocher du jour où l’on pourra de nouveau faire comme si rien ne s’était passé ; c’est très souvent ce que l’on entend dire et ce que l’on peut lire.
Dans ce contexte, chacun joue sa partition et tente de préserver ses positions, quel que soit le coût social. Les groupes américains présents en France en sont une parfaite illustration.
Regardez Caterpillar, regardez Molex, regardez Delphi, ex-General Motors, regardez Freescale, ex-Motorola ! On rapatrie les investissements, les modes de production, on confisque les technologies et les brevets, on licencie à tour de bras, en France, pour payer la facture de ce « recentrage ».
L’emploi est devenu la variable d’ajustement parce que, dans l’esprit de celles et de ceux qui ont allumé l’incendie, il faut agir très vite pour trouver quelque moyen de le maîtriser. Les fermetures d’entreprises, les recapitalisations, l’appel continu à la Bourse traduisent ces choix. De même, la sollicitation de l’argent public pour boucher les trous les plus béants est l’arme stratégique la plus souvent employée.
Demain, tout laisse penser que les engagements du fonds d’investissement stratégique, sous prétexte de soutenir l’industrie française, accompagneront d’abord et avant tout des plans de suppressions d’emploi et des restructurations que nous ne pouvons approuver. Ne comptez pas sur les parlementaires du groupe CRC-SPG pour donner quitus à toute opération financière, fût-elle motivée, qui conduirait à la suppression de centaines ou de milliers d’emplois !
La crise économique et financière, sur le fond, clôt ce long cycle de libéralisme sans entraves initié il y a quarante ans. Toute démarche visant à prolonger les effets dévastateurs de ce libéralisme, fût-ce après l’avoir mis de côté le temps nécessaire, conduira immanquablement à des désordres encore plus graves pour l’équilibre du monde, le devenir des peuples et de notre planète.
Tout autre est la démarche qui nous anime et que nous pourrions ainsi résumer : coopération et solidarité européenne en lieu et place de la concurrence exacerbée, dialogue économique avec le Sud, mise en œuvre de politiques permettant le développement des potentiels sur l’ensemble de la planète, recherche d’un développement respectueux des besoins sociaux et de l’environnement. Telle est la voie, difficile mais nécessaire, qu’il nous faut emprunter pour sortir de la crise actuelle. C’est en tout cas celle que nous appelons de nos vœux, avec les salariés de notre pays et ceux des autres pays européens, comme avec les peuples d’Amérique latine ou d’Afrique, qui veulent se libérer du libéralisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bourdin. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, l’orateur étant alors le seul représentant du groupe UMP dans l’hémicycle.)
M. Joël Bourdin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ce propos général, je n’aborderai que l’aspect européen de la crise, même si je n’oublie pas, bien sûr, que celle-ci trouve son origine outre-Atlantique du fait de l’insouciance de la gouvernance financière américaine, qui a laissé filer l’offre de prêts au-delà des limites de capacité de remboursement des ménages et des entreprises, notamment dans le secteur immobilier.
La crise financière internationale a soumis l’Union européenne à une dure épreuve et a souligné quelques faiblesses de son dispositif économique, financier et monétaire. Certes, grâce aux initiatives prises lors de la présidence française, l’Union européenne a vite mesuré l’ampleur des problèmes posés par la crise et perçu la nécessité de développer une réflexion en profondeur sur les moyens permettant de les surmonter, mais il demeure que cette crise révèle des imperfections, des divergences et des fractures naissantes.
Les imperfections tiennent à la réactivité des différents États et aux dispositifs conjoncturels qu’ils ont improvisés. La composition des plans de relance ne traduit pas la même analyse des facteurs déterminants de la croissance et des équilibres financiers. La France a d’abord tablé sur les investissements, en mettant en place des dispositifs visant à soutenir l’investissement et, donc, la croissance. La Grande-Bretagne a surtout cherché à stimuler la consommation. Mais, en définitive, tout le monde s’est retrouvé, ces derniers temps, dans un système de policy mix alliant souvent l’investissement et la consommation. A priori, cela semble aller dans le bon sens, mais ne suffit pas à masquer les nettes divergences de fond des politiques économiques menées par les États européens. Pour schématiser, l’Europe de l’euro a adopté trois politiques, illustrées par trois pays : l’Allemagne, l’Espagne et la France.
L’Allemagne, ce n’est pas une nouveauté, fonde sa stratégie sur une politique de déflation compétitive, de contrôle des coûts salariaux, de compression de la masse salariale, débouchant sur des soldes commerciaux excédentaires importants et obtenant ainsi l’un des taux d’inflation les plus faibles de la zone euro. Ce pays inspire à la Banque centrale européenne, la BCE, une baisse des taux d’intérêt et influence l’euro à la hausse.
L’Espagne, en revanche, table sur la consommation pour effectuer son rattrapage. L’évolution des salaires a eu tendance à dépasser celle de la productivité et l’inflation accompagne le mouvement, entraînant une détérioration des soldes commerciaux.
Alors que, dans le passé, l’Allemagne a tiré profit de son commerce extérieur, en Espagne – comme en France, d’ailleurs –, le commerce extérieur joue un rôle de contrainte. Ce pays influencerait donc plutôt l’euro à la baisse.
La France se situe entre ces deux modèles. Comme l’Allemagne, mais moins bien qu’elle, elle fait en sorte d’ajuster l’évolution des salaires à celle de la productivité ; elle se situe ainsi du côté des bons élèves au regard de l’inflation : le taux d’inflation français est inférieur à la moyenne des pays de la zone euro. Comme l’Espagne, mais pour d’autres raisons, la France souffre d’un commerce extérieur déficitaire.
Ces différents modèles ne se juxtaposent pas de manière neutre : ils se contrarient. Il est clair que, dans la compétition mondiale, l’Allemagne accapare des parts de marchés à l’extérieur de la zone euro, mais aussi dans la zone euro, au détriment de ses partenaires.
Mon propos est essentiellement économique, mais il convient de se demander si cette situation a des conséquences monétaires. La réponse est évidemment positive !
D’abord, comme l’a démontré Robert Mundell, spécialiste des zones monétaires, une union monétaire n’est viable que s’il existe entre les pays qui en sont membres des convergences de points de vue et des solidarités financières. Si l’on peut dire, formellement, que l’Europe a développé des solidarités financières, force est de constater que les points de vue ne convergent pas totalement, comme le traduisent les différentes conceptions de la politique économique.
Quand un pays comprime ses coûts unitaires, comme l’Allemagne, alors qu’un autre s’accommode de leur augmentation, comme l’Espagne, la Banque centrale européenne peut-elle indéfiniment appliquer la même politique sans contrarier l’un ou l’autre ? La différence des politiques économiques appliquées est de nature à rendre inefficace la politique monétaire de la banque centrale. Si ces disparités ne sont pas à l’origine de la crise financière, elles préparent d’autres crises. Nous devons en être conscients : plus la divergence des approches économiques s’accentuera, plus le principe d’une politique monétaire unitaire en Europe sera vain.
Ensuite, les différentes attitudes économiques des États conduisent à des situations financières malsaines ou, à tout le moins, inquiétantes, comme le révèle l’écart des coûts de financement public dans la zone euro. Ainsi, la Grèce, dont la situation financière est particulièrement dégradée, emprunte actuellement à 250 points de base au-dessus du taux imposé à l’Allemagne : lorsque l’Allemagne emprunte au taux de 4 %, la Grèce doit emprunter à 6,5 %, car l’Allemagne est la référence dans ce domaine. Puisqu’une dévaluation de la monnaie grecque qu’est l’euro n’est pas possible, tout se passe comme si la loi de la parité des pouvoirs d’achat se manifestait par un autre type d’ajustement, le spread, c’est-à-dire l’écart des taux d’intérêt ; excusez l’emploi de ce mot anglais, mais il s’agit d’un terme technique. Cet écart s’accroît au fur et à mesure que nous avançons dans la crise ; s’il se creuse davantage, il est clair qu’un certain nombre de pays, si ce n’est l’Europe entière, connaîtront un enfer financier.
Ce constat n’est pas encourageant, notamment pour les investisseurs étrangers, et je crains que ce phénomène, par nature cumulatif, n’aboutisse à une grave crise monétaire et financière en Europe. En effet, si la solidarité financière peut enrayer les à-coups d’une mauvaise conjoncture économique et monétaire, elle est vouée à l’échec en cas de déséquilibres structurels permanents profonds, surtout si ces déséquilibres touchent plusieurs pays, comme c’est le cas actuellement. Ainsi, l’Irlande et, dans une moindre mesure, l’Italie, le Portugal et l’Espagne partagent la singularité grecque, en empruntant à des taux nettement plus élevés que l’Allemagne et la France, même si celle-ci est un peu moins bien placée que l’Allemagne.
Monsieur le secrétaire d’État, il ne faut pas relâcher l’effort accompli sous la présidence française de l’Union européenne ; l’initiative d’une correction des trajectoires divergentes des pays européens doit être prise : il y va de la survie de l’euro après la crise !
J’en viens aux fractures : outre celles qui se manifestent dans la zone euro, d’autres fractures sont déjà bien visibles et douloureuses dans les pays émergents de l’Europe. C’est peu dire que de constater la débâcle des pays de l’Europe de l’Est qui espèrent bénéficier un jour de l’euro. Sans doute dopés par la perspective d’atteindre le niveau de vie des pays d’Europe occidentale, et peu habitués à gérer une variable monétaire, ces pays ont laissé aller leurs économies financières, en s’imposant notamment des endettements excessifs et, surtout, libellés en devises étrangères.
Ainsi, dans les pays baltes, les dettes des ménages et des entreprises sont libellés à hauteur de 80 % environ en devises, le plus souvent en euros ou en couronnes suédoises. Cet endettement appelle des mesures drastiques de correction : soit une dévaluation, mais celle-ci ne ferait qu’empirer la situation de ces pays endettés en devises, en accroissant le montant de leurs remboursements ; soit l’adoption d’une politique déflationniste, visant à réduire la dépense publique et les salaires. La Lettonie a retenu cette seconde option, en décidant de réduire ses dépenses budgétaires de 30 % ou 40 % ; par ailleurs, on peut s’attendre à voir les salaires baisser dans ce pays.
Une telle politique est-elle soutenable ? À vrai dire, la situation de ces pays a une incidence sur les autres pays d’Europe et sur l’euro, parce que la solidarité financière, qui constitue la base du pacte européen, engage l’Union européenne dans la restauration de l’économie de ces pays qui en font désormais partie ; je pense notamment à la Pologne, à la Hongrie, à la Tchéquie ou à la Roumanie. Fait aggravant, un certain nombre de banques de la zone euro sont fortement engagées dans ces pays – il s’agit essentiellement d’établissements autrichiens et allemands – et un défaut de paiement dans l’un des pays de l’est ne serait pas sans conséquences sur l’ensemble de l’économie européenne et, notamment, sur l’euro.
À cet égard, étant donné l’évolution de la conjoncture dans certains pays, comme les pays baltes, la Hongrie et la Tchéquie, ne doit-on pas considérer que le pire est devant nous ?
Monsieur le secrétaire d’État, sur ce sujet, notamment sur le soutien aux pays de l’est européens, j’aimerais bénéficier de votre expertise ou, en tout cas, de votre point de vue.
Mes chers collègues, mon propos peut sembler pessimiste, mais il se veut au contraire encourageant. L’Europe est une question sérieuse ! Il faut donc oser examiner sans complexe les problèmes qui se posent afin d’essayer de leur trouver des solutions.
Je gage que nous sommes capables de mettre fin au désordre économique européen. À cet égard, je fais confiance au Gouvernement qui, l’année dernière, a su redonner des couleurs à une Europe trop engoncée dans sa production administrative pour se poser les vraies questions. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, face à la crise financière qui s’est soudainement abattue sur le monde entier, le Président de la République et le Gouvernement ont fait preuve d’une réactivité très forte, certainement la plus importante,…
M. Jean-Louis Carrère. La plus agitée !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. …puisque la France a joué un rôle d’entraînement dans les positions européennes. Ainsi, le G20 qui s’est tenu au début du mois d’avril a été marqué par la prise de décisions essentielles ; je m’étonne que certains orateurs ne l’aient pas reconnu.
Mme Nicole Bricq. Vous comprendrez demain matin !
M. Jean-Louis Carrère. Nous nous excusons d’être dans l’opposition !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ne vous excusez pas d’être dans l’opposition, cela peut arriver ! Il se trouve que vous y êtes depuis quelque temps, et cela ne me gêne pas que vous y restiez !
Pour revenir à la réactivité de la France, je vous indique que le Président de la République a réuni, dès le 12 octobre 2008, les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Eurogroupe en présence du Royaume-Uni pour annoncer une réaction coordonnée à la crise bancaire. Mme Christine Lagarde a également œuvré tout au long de la présidence française de l’Union européenne et lors du G7 afin de définir, avec nos partenaires, un cadre commun pour les efforts de relance.
Je ne m’étendrai pas sur la politique conduite par le Gouvernement en matière de financement de l’économie, de soutien aux PME et de relance puisque tous ces sujets ont été largement débattus dans votre assemblée.
L’autre témoignage de réactivité du Président de la République et du Gouvernement, c’est l’action menée pour réformer le système financier international.
Les résultats du G20 ont été très importants. Du reste, ils ont été salués non pas uniquement en France, mais dans tous les pays qui y ont participé.
La première série de décisions concerne la régulation : la transparence, la connaissance et le contrôle ont été au rendez-vous de ce G20.
Concernant les territoires connus sous le nom de « paradis fiscaux », force est de constater que la « liste noire » publiée par l’OCDE ne comporte aujourd'hui plus aucun pays : les quatre pays qui y figuraient – le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l’Uruguay – en ont été rayés…
M. Jean-Louis Carrère. Ils en tremblent encore ! C’est un gag !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. …et sont passés dans la liste grise, celle des pays qui ont pris des engagements mais qui ne les respectent pas pleinement. Ce sont ces pays que la communauté internationale doit surveiller et accompagner dans leurs efforts.
L’action engagée contre les juridictions non coopératives doit être étendue au domaine de la supervision prudentielle et du blanchiment.
Je souhaite également ajouter que, sur ces trois fronts, le respect des standards internationaux devra faire l’objet d’un suivi et qu’il ne faudra pas hésiter à faire inscrire sur la liste noire les pays qui n’auraient pas respecté leurs engagements.
Le G20 a également demandé aux institutions concernées d’établir une boîte à outils des sanctions d’ici au mois de septembre. Les ministres des finances du G20 ont aussi demandé aux institutions financières internationales de leur faire un rapport sur leur utilisation des juridictions non coopératives afin de démanteler leurs relations financières avec ces juridictions.
Mais, au-delà des paradis fiscaux, une deuxième série de décisions a été prise ; elle concerne, notamment, les hedge funds. Nous en avons peu parlé,…
Mme Nicole Bricq. Nous le ferons demain !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. …mais le G20 s’en est, lui, largement préoccupé, puisqu’il a décidé d’imposer une régulation spécifique pour ces fonds, avec leur immatriculation obligatoire, une transparence dans la gestion et un contrôle des engagements des banques.
La France a demandé à la Commission européenne de décliner ces principes au niveau européen dans une directive. À l’heure où nous parlons, des discussions ont lieu à Bruxelles sur cette directive. Nous serons vigilants et nous veillerons à ce que toute règlementation aille dans le sens d’une meilleure protection des investisseurs.
La troisième série de décisions concerne les agences de notation : dans ce domaine, le G20 a marqué des avancées significatives. On le sait aujourd’hui, celles-ci ont une lourde part de responsabilité dans cette crise qui est celle de la mauvaise appréciation des risques. Elles seront dorénavant enregistrées et un code de bonne conduite permettra d’éviter les conflits d’intérêts.
Ces principes actés au niveau international ont déjà été mis en œuvre à l’échelon européen. Sous l’impulsion de la présidence française de l’Union européenne, la Commission a proposé un règlement européen relatif à l’enregistrement et à la règlementation des agences de notation, règlement qui a été adopté le 23 avril par le Parlement européen. Ainsi, en moins d’un an, l’Europe s’est dotée d’une règlementation et d’un contrôle de notation.
À ce propos, je voudrais relever l’intervention de M. de Montesquiou, qui a proposé de revenir au Glass-Steagall Act, lequel a permis de séparer les banques d’investissements des banques de prêts ou de dépôts.
Monsieur le sénateur, votre suggestion témoigne de votre connaissance approfondie de l’histoire économique et financière, comme l’avait déjà amplement montré votre intervention très structurée. Mais les banques d’investissements sont très utiles au financement de l’économie, notamment celui des grandes entreprises, et la crise a montré que l’adossement des banques d’investissement aux banques de dépôt était un facteur de stabilité pour le financement des grandes entreprises. J’ajoute que c’est aussi un facteur de stabilité pour les banques elles-mêmes.
Les banques françaises ont de multiples fonctions, notamment l’investissement, le dépôt et le prêt. À quelques accidents ponctuels près, le système bancaire français s’est révélé plus solide que d’autres dans cette crise. Il ne paraît donc pas opportun de revenir à une séparation qui n’a pas démontré toute sa pertinence.
En revanche, je vous rejoins en disant que le Gouvernement est, comme vous, convaincu de la nécessité de renforcer le contrôle prudentiel.
D’autres proposent une solution un peu plus radicale, qui consiste à nationaliser le système bancaire.
M. Thierry Foucaud. Ça s’est déjà vu !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Si cela a l’apparence de la simplicité, ce n’est pas forcément un gage d’efficacité. Sans m’appesantir trop longtemps sur le passé, je rappellerai néanmoins que certaines entreprises bancaires nationalisées n’ont pas démontré qu’elles étaient exemptes de tout risque ; je citerai pour mémoire l’aventure dramatique du Crédit Lyonnais et du Gan. (M. Alain Fouché approuve) Donc, ce n’est pas nécessairement la bonne solution.
La crise est aussi celle de politiques de rémunération qui ont failli, c’est vrai. Ces politiques participent à la gouvernance économique ; quand la rémunération des traders ne dépend pas de la rentabilité finale des opérations, tout est réuni pour que certaines opérations deviennent de véritables risques.
Le Gouvernement met tout en œuvre pour que les mesures qui ont été décidées lors du G20 soient rapidement appliquées sur la place financière en matière de rémunération des traders. Sous l’impulsion du ministre de l’économie, la place financière française a proposé des règles destinées à encadrer la rémunération des opérateurs de marchés.
Je voudrais brièvement évoquer - car ce sujet a été largement développé par plusieurs orateurs - les organisations qui structurent le panorama financier international, notamment les collèges de superviseurs.
La crise a montré que certains établissements étaient parfois d’une taille trop importante pour être aujourd’hui supervisés efficacement. Il est donc nécessaire de mettre en place des dispositifs de coopération internationale entre superviseurs qui permettent d’avoir une vision consolidée et de contrôler les groupes financiers internationaux qui ont une importance systémique. Face à ce risque systémique, le collège des superviseurs doit être mobilisé ; c’est le sens de la mission qui a été confiée au Forum de stabilité financière.
Monsieur de Montesquiou, vous avez appelé de vos vœux un renforcement des institutions en matière de contrôle et de surveillance des risques ; j’y suis sensible. Le G20 a permis de consacrer un nouveau rôle pour les institutions financières internationales, et d’abord pour le FMI ; celui-ci doit donc assumer un double rôle : le suivi des risques financiers et le soutien aux pays émergents et en développement affectés par la crise.
Nous attendons aujourd’hui du FMI qu’il joue un véritable rôle d’alerte précoce sur les risques financiers et sur les déséquilibres macroéconomiques. Bien sûr, le FMI devra le faire en lien avec le nouveau Conseil de stabilité financière, sorte d’« organisation mondiale de la finance », qui prend la place du Forum de stabilité financière, dont le mandat est aujourd’hui élargi.
Le Conseil de stabilité financière a été chargé, comme le FMI et en accord avec lui, du suivi de l’application des décisions prises pour réformer la régulation financière.
Le nouveau Forum de stabilité financière est élargi aux membres du G20 ainsi qu’à l’Espagne et à la Commission européenne, et le FMI devrait s’engager dans une revue des quotes-parts des États à son capital.
Monsieur Véra, vous avez souligné l’importance du soutien aux pays à faible revenu dans la crise actuelle. Le Gouvernement partage votre objectif : il est en effet urgent d’accroître les ressources du FMI tant pour les pays à faible revenu que pour les pays émergents.
Dans le très court terme, des lignes de crédit bilatérales seront ouvertes, pour 250 milliards de dollars, comme celle du Japon et celle que la France va mettre en place dans les prochaines semaines, pour 15 milliards de dollars.
Parallèlement, une discussion sur les termes et les conditions d’élargissement du volume et des participants aux nouveaux accords d’emprunt sera menée. Si ces nouveaux accords entraient en vigueur d’ici à l’été prochain, ce serait - et nous faisons tout pour cela - un message très fort adressé à l’ensemble de la communauté internationale.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les décisions historiques qui ont été prises lors du G20. Elles ont été complétées par des avancées sur les normes prudentielles et comptables, auxquelles un certain nombre d’orateurs ont fait allusion. Nous nous félicitons d’avoir obtenu ces avancées sur des sujets essentiels, même si nous aurions voulu aller encore plus loin.
Concrètement, notre objectif est que les règlementations prudentielles et comptables préviennent la formation des bulles spéculatives et des crises et en atténuent les effets quand elles apparaissent. Les conclusions du G20 posent les fondations pour une révision de ces règles.
Mme Brick a fait allusion au caractère pro-cyclique des règles prudentielles, et je partage pour une fois son opinion.
Vous le voyez, la France entend promouvoir une réforme profonde et ambitieuse du système financier international.
J’ai apprécié l’intervention de M. Bourdin, qui s’est livré à une analyse très précise de l’origine de la crise, qu’il a, à juste titre, située outre-Atlantique, mais aussi à une analyse perspicace des déséquilibres commerciaux au sein de la zone euro.
De ce point de vue, monsieur le sénateur, vous avez eu raison de mettre en avant le rôle des politiques économiques dans les évolutions des soldes commerciaux intra-européens. Ainsi, la prime à la casse qui a été instituée récemment dans le secteur automobile, à la fois en France et en Allemagne, a profité à nos constructeurs en France, mais aussi outre-Rhin, car les exportations françaises d’automobiles ont bénéficié sensiblement - et l’on ne va pas s’en plaindre – de la prime allemande.
En conclusion, je tiens à remercier l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui sont intervenus dans ce débat. Je soulignerai encore une fois combien les travaux du G20 sont essentiels. Ils nous ouvrent aujourd’hui une fenêtre d’opportunité pour conduire la communauté internationale vers une réforme d’envergure du système financier. Le Président de la République et le Gouvernement sont pleinement mobilisés afin d’être à la hauteur de ce rendez-vous historique que la communauté internationale ne doit pas manquer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Le débat est clos.
6
Nomination des membres d’une commission spéciale
Mme la présidente. Je rappelle qu’il a été procédé à l’affichage de la liste des candidats aux fonctions de membre de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation (n° 364, 2008-2009).
Le délai fixé par le règlement est expiré.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée, et je proclame membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi de modernisation de l’économie : MM. Bernard Angels, Alain Anziani, Gérard Bailly, Gilbert Barbier, Laurent Béteille, Claude Biwer et Joël Bourdin, Mmes Brigitte Bout, Nicole Bricq et Jacqueline Chevé, M. Philippe Darniche, Mmes Isabelle Debré et Muguette Dini, MM. Philippe Dominati et Jean-Paul Emorine, Mme Anne-Marie Escoffier, M. Alain Fauconnier, Mme Samia Ghali, M. Alain Gournac, Mme Françoise Henneron, MM. Edmond Hervé, Michel Houel, Benoît Huré, Jean-Jacques Jégou, André Lardeux, Dominique de Legge et Philippe Marini, Mme Isabelle Pasquet, MM. François Patriat, Daniel Raoul, Charles Revet et Jean-Pierre Sueur, Mme Odette Terrade, MM. René Teulade, Alain Vasselle, Bernard Vera et Richard Yung.
Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi, qui est retenu à l’Assemblée nationale, je vais suspendre la séance pour quelques instants. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Politique de défiscalisation des heures supplémentaires
Discussion d'une question orale avec débat
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 31 de Mme Christiane Demontès à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur le bilan de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires.
Cette question est ainsi libellée :
« Mme Christiane Demontès attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur le bilan de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires.
« L’emploi est au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’après 92 000 demandeurs d’emplois de plus au mois de janvier 72 200 autres s’y sont ajoutés en février ? À ce rythme, le nombre de chômeurs supplémentaires atteindra le million en fin d’année. Par ailleurs, les destructions d’emplois n’auront jamais été aussi importantes. On est donc bien loin du “travailler plus pour gagner plus”.
« Face à cette crise qui ne cesse de s’approfondir, le Gouvernement a choisi de ne pas opérer de changement en matière de politique de l’emploi. Fidèle au crédo néolibéral, le Gouvernement maintient la politique de défiscalisation des heures supplémentaires mise en œuvre par l’article 1er de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, dite loi TEPA. À ce titre et au lieu d’embaucher, ce sont 4,3 milliards d’euros qui ont été dépensés l’an dernier pour encourager les entreprises à faire effectuer des heures supplémentaires par leurs propres salariés. Au dernier trimestre 2008, ce volume horaire représentait l’équivalent de 90 000 emplois de plus par rapport au dernier trimestre 2007. Au-delà, cette politique d’exonération impacte nécessairement les finances publiques qui enregistreront, selon toute vraisemblance, un déficit voisin de 6 % du PIB fin 2009.
« La crise est encore devant nous. Aussi, elle lui demande de l’informer de l’impact financier et de l’impact sur l’emploi que représente, depuis sa mise en application, la défiscalisation des heures supplémentaires. »
La parole est à Mme Christiane Demontès, auteur de la question.
Mme Christiane Demontès. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier ceux qui sont présents.
Avant de poser ma question orale sur la défiscalisation et l’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires, je veux à mon tour, après ma collègue Nicole Bricq lors du précédent débat, dénoncer l’hypocrisie de ceux qui, au moment de la réforme constitutionnelle, ont insisté sur le respect du Parlement au travers de la semaine de contrôle et de celle d’initiative parlementaire.
Franchement, de qui se moque-t-on ? Quelle image donnons-nous à nos concitoyens ? C’est lamentable ! Je vous demande donc, madame la présidente, de porter cette question devant la conférence des présidents et d’en saisir M. le président du Sénat. Il faudra que nous ayons un débat sur ce sujet !
Mme Nicole Bricq. Et comment !
M. François Rebsamen. Bravo !
Mme Christiane Demontès. J’en viens à ma question.
Voilà bientôt deux ans, le Parlement a adopté la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA ». Il aurait été normal que le Parlement, qui vote les lois, puisse bénéficier du bilan d’application de ces dispositions. Tel n’a pas été le cas. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous interroger à ce sujet et vous questionner sur les perspectives de pérennisation de cette politique que le Gouvernement envisage.
En 2007, lors de l’adoption de la loi TEPA, la croissance était là et la majorité évoquait la perspective du plein-emploi. Quant à nous, parlementaires socialistes, nous mettions en garde contre les évidents risques de ce texte. Ainsi, ma collègue Nicole Bricq déclarait : « Avec ce texte, le Gouvernement et sa majorité engagent lourdement les finances de l’État dans la voie de l’exonération des charges fiscales et sociales relatives aux heures supplémentaires, ce qui coûtera très cher sans garantir l’augmentation globale du pouvoir d’achat et de l’emploi. Le but non avoué de ces mesures est de contourner l’horaire légal du temps de travail ». Elle concluait son propos en prédisant que, avec cette loi, « vous aurez plongé la France et les Français dans de grandes difficultés ».
Je rappelle que l’article 1er de la loi TEPA, qui instaure la défiscalisation des heures supplémentaires et leur exonération de cotisations, vise exclusivement les salariés en activité. À ce titre, ni les demandeurs d’emplois ni même les salariés à temps partiel ne sont concernés. Dans les faits, sur une population salariée estimée à 27,6 millions d’individus, plus de 15 % sont exclus de ce dispositif pourtant pensé et voulu comme fondateur d’une nouvelle politique de l’emploi et du pouvoir d’achat. Avouons-le, cela est surprenant lorsqu’on a pour objectif, au moins dans le discours, de renforcer la valeur travail et le pouvoir d’achat.
Notons d’ailleurs que, au moment du débat parlementaire, nombre d’observateurs avaient mis en garde contre une défiscalisation des heures supplémentaires porteuses d’effets pervers. Ainsi, deux membres du Conseil d’analyse économique, le CAE, estimaient « qu’une fiscalité spécifique sur les heures supplémentaires, quelle que soit sa forme, aurait au mieux un effet incertain sur l’emploi et le revenu, avec un risque exorbitant pour les finances publiques qui se double d’une complexité accrue du système fiscal ». Ils projetaient que la mise en œuvre de cette politique « allait inciter les employeurs à faire faire à leurs salariés des heures supplémentaires, moins chères que les heures normales, plutôt que d’embaucher » et ainsi « substituer des heures de travail aux hommes ». Ils pointaient aussi les risques évidents « d’abaissement du taux de salaire des heures normales » au bénéfice d’une déclaration importante d’heures supplémentaires.
Du point de vue du pouvoir d’achat, cette politique a donc uniquement favorisé ceux qui en avaient déjà, notamment les personnels très qualifiés. Certes, cela n’est pas condamnable en soi, mais cela s’est fait au détriment des CDD et des intérimaires, donc des plus fragiles
En outre, j’observe, tout comme l’a fait notre collègue M. Philippe Marini dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2009, que ces réserves faisaient suite au constat dressé dès 2006 par le Centre d’analyse stratégique, le CAS. Ce dernier, saisi à l’époque par le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, M. Gilles Carrez, constatait que « les marges de manœuvre pour amplifier la politique d’allègement du coût du travail sur les bas salaires [avaient] atteint leurs limites dans la mesure où les cotisations patronales de sécurité sociale au niveau du SMIC avaient presque totalement disparu ».
Ces analyses, nous les partagions à l’époque. Nous les avions portées durant les débats. Depuis, non seulement leur justesse reste de mise, mais elles paraissent d’autant plus pertinentes que les termes du marché de l’emploi se sont considérablement dégradés. La déflagration financière, puis économique et sociale, a mis en exergue l’importance que revêtait une politique dynamique capable à la fois de promouvoir et de créer de l’emploi.
Je formulerai trois observations sur le plan économique.
Ma première observation concerne le contexte économique. Si, en août 2007, celui-ci connaissait une croissance qu’alimentait le capitalisme financier carburant à plein régime, il en va tout autrement depuis plusieurs mois. D’une part, le chômage explose : il connaît une hausse sans précédent depuis 1991. En mars dernier, 64 000 demandeurs d’emploi sont venus grossir les rangs des chômeurs. Ce chiffre, le Gouvernement le présente comme « non catastrophique » … Or, sur les trois derniers mois, le rythme de croissance annuelle du chômage atteint presque un million de personnes. Les demandeurs d’emploi sont au nombre de 2,270 millions. D’autre part, des entreprises ferment à cause de la crise, alors que d’autres en profitent.
Cette crise présente de nouvelles caractéristiques, qui influent sur la structuration du marché de l’emploi. Il en va ainsi de l’emploi précaire, qui a constitué depuis une décennie la principale forme de création d’emplois. Or, à la différence de la dernière récession, l’emploi précaire se trouve désormais en très grande difficulté. Ces femmes et ces hommes sont devenus la variable d’ajustement des entreprises. Ce sont donc eux qui encaissent toute la flexibilité.
Ma deuxième observation est tirée des chiffres de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS. Ceux du quatrième trimestre de 2008 démontrent que, malgré la crise, le volume d’heures supplémentaires a fort bien résisté. Ainsi, sur cette période, 39,3 % des entreprises ont déclaré des heures supplémentaires, contre 41,1 % au troisième trimestre de 2008.
Il est donc établi que les employeurs n’utilisent pas ces heures pour répondre à une demande conjoncturelle. Cet aspect fondamental est corroboré par la note de méthode de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, d’avril 2009, qui observe que « l’entrée en vigueur, à partir du quatrième trimestre 2007, des mesures sur les heures supplémentaires de la loi TEPA [...] a vraisemblablement réduit ce biais de sous-déclaration à l’enquête : les allègements de cotisations qui y sont liés amènent désormais les entreprises à recenser avec plus de précision ces heures supplémentaires. [...] Dans les entreprises à 35 heures, le nombre moyen d’heures supplémentaires déclarées s’établit à 5,5 heures au troisième trimestre 2008, contre 4,1 heures au troisième trimestre 2007, soit une progression de 34,1 % sur un an. » Dès lors, comment ne pas penser que la défiscalisation des heures supplémentaires s’est, au moins en partie, soldée par le blanchiment d’un travail jusqu’alors dissimulé ?
Sur le dernier trimestre de 2008, ce volume d’heures représentait 90 000 équivalents temps plein. Sur l’ensemble de l’année, il s’agit de 750 millions d’heures. Nous percevons donc bien le lien qui affecte défiscalisation des heures supplémentaires et marché de l’emploi.
Dans un contexte où l’activité est en recul, comme le synthétise parfaitement l’économiste Éric Heyer, « la loi TEPA vient juste rajouter du chômage au chômage. Il déclare également : « Inciter les entreprises à faire des heures supplémentaires alors qu’il n’y a plus d’activité est nuisible à l’emploi ». Cette analyse est partagée par l’ensemble des organisations syndicales, qui observent que la création d’un emploi est devenue plus onéreuse que l’utilisation des heures supplémentaires défiscalisées.
Ajoutons que cette mesure freinera « mécaniquement » la création d’emplois lorsque le temps de la reprise économique sera venu. Bref, si ce dispositif fiscal peut à la limite se concevoir dans une situation de plein-emploi, il en va tout autrement aujourd’hui. Le Gouvernement devrait tenir compte de ce changement de donne.
Enfin, troisième observation, si l’objectif avoué de ce dispositif était de redonner du pouvoir d’achat, la réalité économique démontre que cela est bien relatif. Alors que Mme la ministre de l’économie nous indiquait que la défiscalisation devait générer un gain par salarié de 2 500 euros par an, la version plus réaliste fait apparaître, dans les situations les plus favorables, un gain moyen mensuel de 65 euros, soit 780 euros par an.
Au regard de ces éléments, il serait intéressant que le Gouvernement mette en application le pragmatisme dont il ne cesse de se targuer. À défaut, c’est l’emploi qui en souffrira encore, nos concitoyens et leurs familles qui en seront victimes, et je pense tout particulièrement aux plus fragiles.
Je vais maintenant aborder la question du coût de ce dispositif. Cette analyse prendra en compte l’impact à la fois sur la sécurité sociale et sur le budget de l’État.
Entrées en vigueur le 1er octobre 2007, les exonérations de cotisations sociales ont connu une montée en charge durant toute l’année 2008. Pour cette période, l’ACOSS indique que le coût de la défiscalisation a été de 2,791 milliards d’euros pour un volume de 725 millions d’heures supplémentaires. Il devrait être de 3,1 milliards d’euros en 2009, alors que le déficit des comptes de la sécurité sociale franchira la barre des 18 milliards d’euros, voire des 20 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année 2009.
Mme Nicole Bricq. J’en fais le pari !
Mme Christiane Demontès. Même si la Cour des comptes a appelé « à revenir sur le maquis des multiples exonérations, abattements, déductions et réductions aux finalités diverses, qui créent de fortes inégalités et constituent une perte de ressources publiques, alors que leur intérêt économique n’est pas ou plus démontré » et a estimé « indispensable de rechercher toutes les solutions permettant d’augmenter les recettes », le Gouvernement fait le contraire, quitte à réformer demain une nouvelle fois la sécurité sociale en défaveur des assurés sociaux.
J’en viens maintenant à l’impact de ce dispositif sur le budget de l’État, lequel, rappelons-le, se trouve dans une situation préoccupante. Il suffit de considérer que le déficit public atteint 3,4 % du PIB en 2008 – et sans doute près de 6 % fin 2009 – et que la dette publique s’élève à environ 70 % du PIB pour se rendre compte de la très forte dégradation.
Or l’allègement de charges lié à cette défiscalisation pèsera 1,5 milliard d’euros, auquel il convient d’ajouter le milliard d’euros de moins-value d’impôt sur le revenu directement issu de l’application de l’article 1er de la loi TEPA. In fine, l’ensemble de ce dispositif coûte plus de 4 milliards d’euros par an aux finances publiques, soit trois fois plus que le financement par l’État des mesures sociales annoncées le 18 février dernier par le Président de la République.
Comment ne pas mettre en parallèle ces chiffres alors que, dans le même temps, il est avéré que nous ne savons pas comment financer le revenu de solidarité active, le RSA, autre mesure phare de la politique gouvernementale ?
Pour conclure mon propos, je voudrais pointer les tendances lourdes que ces dispositions fiscales renforcent, voire mettent en œuvre. Du point de vue des salariés, nous l’avons vu, ces mesures ne concernent que 5,5 millions d’entre eux et ne créent pas d’emplois.
Un autre aspect négatif tient au fait que, dans un lien contractuel de subordination tel que celui qui lie l’employeur à l’employé, la liberté de travailler plus, si chère aux libéraux et au Président de la République, n’est que bien relative. Dans les faits, le salarié peut se voir proposer par l’employeur la transformation en heures supplémentaires nominales d’augmentations annuelles de salaires ou bien de tout ou partie des primes sur résultats. Or, quand les entreprises connaissent des difficultés de trésorerie, comme c’est souvent le cas actuellement, une telle possibilité peut être fort attrayante.
Enfin, alors que les deux lois de réduction négociée du temps de travail avaient placé la négociation collective au sein du processus, le recours aux heures supplémentaires en prend le contrepied. En lieu et place, on assiste au développement des augmentations individualisées. Nous pouvons donc considérer que ces mesures fiscales participent de la mise en œuvre d’une stratégie visant à la disparition du contrat collectif de travail, vieille revendication du MEDEF et de la droite.
Comme nous l’avons vu, la défiscalisation des heures supplémentaires et l’exonération de cotisations sociales des revenus qui en sont tirés ne constituent certainement pas une politique en faveur de l’emploi. Bien au contraire, ce dispositif ajoute du chômage au chômage. Qui plus est, il met un peu plus en danger le financement de la sécurité sociale et le budget de l’État.
Or, dans un récent sondage, 63 % de nos concitoyens considèrent que la situation économique va se dégrader, contre 6 % seulement qui croient à une amélioration, et 77 % pensent que leurs revenus vont stagner ou baisser.
Par rapport à ces considérations et compte tenu des effets ravageurs de la crise sur l’emploi et sur les comptes de la nation, ma question est simple : monsieur le secrétaire d’État, au regard de ces attendus et de l’exaspération légitime qui affecte de plus en plus de salariés, mais aussi les chômeurs, pouvez-vous nous dire quel bilan vous dressez de votre politique et, surtout, si vous comptez la maintenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d’État, ma collègue Christiane Demontès vous a rappelé des chiffres que vous connaissez fort bien. Le chômage ne cesse d’augmenter depuis le retournement de l’été 2008 et, au train où vont les choses, il dépassera vraisemblablement 10 % ; il se maintiendra à un niveau élevé, reprise ou pas reprise, au moins jusqu’en 2011. En 2009, nous connaîtrons une croissance négative estimée, selon les économistes, à moins 2,5 %, moins 3,3 % voire moins 4 %. En tout état de cause, nous savons que l’explosion du chômage ne pourra pas être contenue. L’indicateur du marché du travail que constitue l’intérim est révélateur : il a chuté de 38 % au mois de mars, ce qui correspond à la suppression de 200 000 équivalents temps plein en un an.
Ces chiffres constituent le premier élément de la démonstration à laquelle je veux rapidement me livrer.
En 2007, la loi TEPA instaurait la défiscalisation des heures supplémentaires, mesure phare traduisant le slogan de la campagne présidentielle du candidat UMP : « travailler plus pour gagner plus ». Nous avions à l’époque dénoncé cette mesure et ma collègue a bien voulu rappeler les propos que j’avais tenus, au nom du groupe socialiste, face à Mme Lagarde.
Au début de l’année 2009, le Gouvernement a présenté un bilan du dispositif – il ne disposait pas encore des chiffres du quatrième trimestre – évaluant le volume des heures supplémentaires à 750 millions en 2008. En 2007, la crise des subprimes était pourtant déjà déclarée. Nous avions alerté le Gouvernement sur la nocivité du dispositif au moment de l’examen de la loi TEPA, mais, dans l’euphorie, celui-ci imaginait que la crise nous épargnerait, tel le nuage de Tchernobyl s’arrêtant à nos frontières ! Quoi qu’il en soit, en 2009, on disait encore dans les sphères gouvernementales que le dispositif devait atteindre son plein effet sur l’économie en 2010 ; je n’y reviens pas.
Au quatrième trimestre de l’année 2008, les heures supplémentaires continuaient de croître de 28 %, alors que l’activité économique avait baissé de 1,2 %. Nous pouvons assez aisément déduire de ce paradoxe que ces heures supplémentaires correspondent non pas à un surplus d’activité, mais au remplacement de salariés, qu’il s’agisse de démissions, de départs à la retraite, de fin de contrat à durée déterminée, voire, dans le pire des cas, de licenciements. Quoi qu’il en soit, l’arbitrage a eu lieu au détriment de l’emploi ; vous aurez du mal à nous démontrer le contraire !
Les heures supplémentaires déclarées au dernier trimestre de l’année 2008 correspondent à 90 000 équivalents temps pleins, que l’on peut assez facilement mettre en corrélation avec les 115 000 pertes d’emplois enregistrées dans le secteur privé.
La démonstration se poursuit avec le coût de ce dispositif pour les finances publiques, estimé par le Gouvernement, au début de l’année 2009, à 4,4 milliards d’euros en régime de croisière.
La loi de finances initiale pour 2009 prévoyait 3,1 milliards d’euros d’exonérations sociales compensées par le budget de l’État et 900 millions d’euros d’exonérations fiscales, soit 4 milliards d’euros. L’exécution de la loi de finances pour 2008 comptabilise 230 millions d’euros d’exonérations fiscales et 3,070 milliards d’euros d’exonérations sociales, c’est-à-dire 3,3 milliards d’euros.
En tout état de cause, le dispositif est extrêmement onéreux pour les finances publiques. Qui plus est, il a un effet inflationniste sur le nombre d’heures déclarées, qui ne correspond pas forcément à une augmentation de la durée du travail. L’administration fiscale n’a aucun moyen de contrôler ce dispositif, comme nous l’avions souligné au moment de l’examen de la loi TEPA : il peut faire l’objet d’un accord entre l’employeur et le salarié, en particulier dans les très petites entreprises.
Les économistes Cahuc et Zylberberg rapprochent ce mécanisme pervers de l’impôt sur les portes et les fenêtres, provoquant à l’époque la suppression de celles-ci, et qui fit dire à Victor Hugo dans Les Misérables : « Dieu donne l’air aux hommes, la loi le leur vend » ! On assiste aujourd’hui à un phénomène analogue avec la détaxation des heures supplémentaires.
Monsieur le secrétaire d’État, force est de constater que le dispositif de la loi TEPA est contreproductif pour l’emploi, surtout en période de crise, et onéreux pour les finances publiques. Est-il raisonnable de faire payer le contribuable pour supprimer des emplois ? La réponse est non ! J’interpelle à cet égard mes collègues de la majorité, qui sont attachés à nos finances et à l’emploi.
Quant au gain de pouvoir d’achat pour les bénéficiaires des heures supplémentaires, il est bien moindre que ce que prétend dans son rapport le Gouvernement. Le Président de la République avait dit qu’il s’agissait d’une réussite exceptionnelle. Or ce gain se limite, si les chiffres de nos collègues députés sont justes, à 700 euros par an ; Mme Demontès a par ailleurs démontré que les personnes exclues du dispositif étaient nombreuses.
Ce dispositif fonctionne au détriment de ceux qui ont précisément perdu leur emploi à cause des heures supplémentaires. Nous retrouvons là une vieille habitude consistant à diviser les salariés et à faire en sorte que les uns soient finalement traités différemment des autres. Je reconnais bien là un procédé assez caractéristique des gouvernements de droite. Ce n’est pas raisonnable ; il y a mieux à faire !
La gymnastique fiscale à laquelle le Gouvernement s’est livré pour financer le revenu de solidarité active et trouver un milliard d’euros laisse tout de même rêveur !
Monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes attaché à la lutte contre le chômage des jeunes, dont les dernières statistiques nous montrent qu’ils sont les plus pénalisés, vous ne savez pas encore, à l’heure où nous parlons, comment financer le montant de 1,3 milliard d’euros annoncé tout récemment. Le Gouvernement ne sait pas non plus comment financer les plus de 2 milliards d’euros que coûtera la baisse de la TVA pour les restaurateurs, et nous ignorons quels engagements la profession prendra en contrepartie en termes d’emploi.
Tout cela est déraisonnable ! Il faut renoncer à cette disposition. Il n’y a pas de honte, dans la période de crise profonde et durable que nous traversons, à reconnaître qu’il s’agit d’une erreur. Pour l’emploi, pour nos finances publiques, abandonnons cette mesure : c’est la voix de la raison ! À défaut, vous commettrez une faute ; ce sera non plus une erreur d’appréciation, mais une faute politique, dont vous serez comptable.
En attendant, j’invite ceux de mes collègues qui ne l’auraient pas encore fait à signer la pétition du mensuel Alternatives économiques, qui a beaucoup travaillé sur cette question et qui appelle tous ceux qui trouvent cette mesure déraisonnable à en demander la suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le secrétaire d’État, alors que, face à la crise qui s’installe, on aurait pu légitimement s’attendre à un changement de cap dans la politique économique et sociale du Gouvernement, vous persistez dans la même voie.
Pourtant, que constatons-nous aujourd’hui au vu du bilan de la défiscalisation des heures supplémentaires, issue de la loi TEPA ? Que votre politique est néfaste, tant pour l’emploi que pour nos comptes sociaux ! Nous n’avions pourtant pas manqué de vous faire part de nos grandes craintes à ce sujet lors du vote de ce texte.
L’estimation de 2007 de la DARES, antérieure au vote de la TEPA, fait état d’une utilisation de 730 millions d’heures supplémentaires par 5,5 millions de salariés, ce qui veut dire que si les entreprises ont besoin de recourir aux heures supplémentaires elles le font. Nul besoin d’une loi pour les y inciter !
Les chiffres de la DARES de 2008, postérieurs au vote de la loi TEPA, montrent une augmentation du recours aux heures supplémentaires, à imputer, en partie, au fait que les entreprises se sont mises à « recenser avec plus de précision les heures supplémentaires » à partir du moment où celles-ci se sont accompagnées d’allégements de cotisations sociales.
Toutefois, au quatrième trimestre 2008, en pleine récession économique, les entreprises ont fait effectuer par leurs salariés 184 millions d’heures supplémentaires, soit 40 millions de plus qu’au quatrième trimestre de 2007. Christiane Demontès a longuement évoqué ces chiffres dans son intervention ; je partage le sentiment qu’elle a exprimé à ce propos.
Selon certains économistes, ce chiffre correspond à 90 000 emplois à temps plein, alors même que, pour la même période, l’INSEE annonce un taux de chômage atteignant 7,8 % de la population active, soit 149 000 chômeurs supplémentaires. La barre des trois millions de chômeurs pourrait être franchie d’ici à la fin de l’année.
Là encore, les faits sont plus éloquents que tous les discours : dans un contexte de récession économique, subventionner les heures supplémentaires revient à mettre en concurrence le temps de travail et l’emploi, au détriment de ce dernier. Autrement dit, le recours aux heures supplémentaires, alors que les carnets de commandes des entreprises sont au plus bas, a servi non pas à faire face à un surplus d’activité, mais à remplacer les salariés remerciés, à savoir les salariés précaires dont les contrats n’ont pas été renouvelés par les entreprises qui, en agents rationnels, préfèrent bénéficier d’exonérations d’heures supplémentaires plutôt que de recourir aux contrats d’intérim ou aux CDD.
En outre, les dispositions de la loi TEPA ont permis aux employeurs de continuer à tirer vers le bas la rémunération réelle des salariés : le salaire moyen de base, c'est-à-dire hors heures supplémentaires, primes et gratifications, a décéléré au deuxième trimestre 2008, enregistrant une croissance de 0,9 %, après 1,1% au trimestre précédent. Les prix, eux, ont continué d’augmenter, progressant de 1,3 % au cours de ce même deuxième trimestre et faisant ainsi s’effondrer le pouvoir d’achat du salaire moyen de base.
Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, la flexibilité du travail à outrance, initiée par vos politiques, n’a fait qu’aggraver la situation, et personne ne croit plus au credo libéral « travailler plus pour gagner plus » ! Aujourd’hui, la préoccupation majeure de millions de nos concitoyens est de conserver leur emploi pour continuer à travailler !
Pour ces millions de femmes et d’hommes privés d’emploi, pour leur famille, la loi TEPA, tout comme le bouclier fiscal, est une véritable offense, indigne de notre République.
Je vous le rappelle, monsieur le secrétaire d’État, l’utilisation des heures supplémentaires au dernier trimestre de l’année 2008 équivaut à 90 000 emplois à temps plein. C’est la raison qui m’a fait dire en introduction que votre politique est nuisible pour l’emploi. Elle est également nuisible pour les comptes de l’État, et je m’en explique.
D’après le dernier rapport de la Cour des comptes, le coût total de l’ensemble des dispositifs d’exonération est estimé, pour 2008, à 32,3 milliards d’euros, dont plus de 4 milliards au titre des exonérations sur les heures supplémentaires. Cela a de quoi inquiéter le service public de la santé, qui se voit une nouvelle fois fragilisé, d’autant que cette somme aurait pu alimenter un plan de relance ambitieux.
Il n’est donc pas surprenant que la Cour des comptes recommande de revenir sur ces exonérations, dont l’intérêt économique n’est pas avéré. Nous en discuterons prochainement puisque, conformément à l’article 189 de la loi de finances pour 2009, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport à ce sujet avant le 15 juin 2009.
Les effets pervers de la loi TEPA n’ont cependant pas attendu votre rapport, puisque celle-ci a déjà contribué à l’accroissement du déficit de la protection sociale, directement par la baisse des cotisations versées, mais aussi indirectement, et de façon massive, par les diminutions d’emplois et la pression exercée sur la masse salariale nationale.
Voilà où nous a conduits aujourd’hui votre politique ! Tels sont les faits et rien que les faits, dénués de toute idéologie.
La vérité, dit-on, naît du choc des opinions. Monsieur le secrétaire d’État, j’espère, pour l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens qui souffrent, que vous nous entendrez et que votre gouvernement prendra ses responsabilités en supprimant les dispositions de la loi TEPA.
Aujourd’hui, ce dont notre pays a besoin, c’est d’une politique de relance ambitieuse, axée non pas sur la réduction du coût du travail, mais sur la demande, agissant sur le niveau des salaires, des minima sociaux, des allocations-chômage et des pensions de retraite. Il s’agit aussi de relancer l’investissement en révisant la gouvernance des entreprises, notamment en ce qui concerne le versement des dividendes, qui restent toujours élevés, y compris en période de crise, au détriment des salariés et de l’investissement, comme c’est le cas pour l’entreprise Caterpillar !
Je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, d’intervenir – pourquoi pas avec Mme Lagarde ! – auprès de la direction de cette société afin qu’elle accède à la demande préalable des élus du comité d’entreprise, pour que les négociations démarrent enfin et que, ensemble, les acteurs sociaux aboutissent à un véritable plan social de sauvegarde de l’entreprise.
La gravité de la crise requiert un changement de cap ! Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, en convient lui aussi et en appelle, pour son pays, à la mise en œuvre d’un plan de relance d’au moins 4 % de son produit intérieur brut et à l’augmentation des indemnités chômage.
Monsieur le secrétaire d’État, l’heure est non plus à la rigueur, mais bel et bien à la relance ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le 1er octobre 2007, la nouvelle réglementation des heures supplémentaires prévue par la loi TEPA du 21 août 2007 encourage, via des exonérations de charges patronales, l’octroi pour les salariés d’heures supplémentaires au-delà des 35 heures.
Cette mesure phare de la politique économique de notre gouvernement recueille l’entier soutien du groupe UMP auquel j’appartiens (Mme Nicole Bricq s’exclame.), car elle s’inscrit pleinement dans le cadre de la valeur travail que nous défendons avec force et que le Président de la République avait résumée pendant sa campagne par l’expression « travailler plus pour gagner plus ». (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Force est de constater que la politique de partage du travail, incarnée par la réduction uniforme et autoritaire du temps de travail, a fortement pénalisé le pouvoir d’achat des salariés français. Les 35 heures se sont traduites, je vous le rappelle, par un gel des salaires. En conséquence, comme le prouvent les statistiques économiques, le pouvoir d’achat des Français a stagné depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.
Je rappelle également que les 35 heures ont désorganisé les hôpitaux et coûté très cher aux collectivités locales et territoriales, car elles augmentaient le coût du personnel sans qu’une compensation de l’État en faveur des établissements publics soit prévue. Cela a engendré de nombreux surcoûts pour les collectivités, des hausses d’impôts, des diminutions d’autofinancement, etc.
La baisse du nombre des heures supplémentaires du fait des 35 heures a été particulièrement mal ressentie par les salariés les plus modestes, qui y trouvaient un complément de revenu très apprécié. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Je voudrais aussi rappeler que les personnels de certaines collectivités, par le jeu des journées de RTT, se retrouvent parfois avec deux mois et demi de congés, qu’il faut gérer. Des personnels préfèreraient d’ailleurs racheter des journées de RTT pour pouvoir gagner un peu plus. Nous payons encore aujourd’hui les conséquences des 35 heures !
La promesse de campagne de Nicolas Sarkozy a donc été tenue : permettre à l’ensemble des salariés qui le souhaitent de pouvoir allonger leur temps de travail pour augmenter leur pouvoir d’achat. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Certains salariés sont satisfaits des 35 heures et souhaitent y demeurer. Nous n’y voyons aucun inconvénient. En revanche, d’autres, notamment, parmi les jeunes, les pères et mères de famille qui viennent d’acheter une maison ou ont un projet, veulent pouvoir gagner plus en travaillant plus longtemps. Nous ne devons pas les en empêcher.
Si la crise actuelle entraîne malheureusement une baisse temporaire d’activité dans certains secteurs, donc une utilisation moindre ou nulle des heures supplémentaires, il ne saurait pour autant être question, pour l’avenir, de remettre en cause un dispositif qui repose sur une logique « gagnant-gagnant » : pour l’entreprise, dont le coût des heures supplémentaires, trop dissuasif jusqu’à la loi TEPA, a désormais diminué, mais aussi pour les salariés, qui bénéficient d’une augmentation directe de leur rémunération, contrairement à ce qu’affirmait tout à l’heure ma collègue.
Je rappelle que le gain mensuel d’un salarié gagnant le SMIC qui travaille quatre heures de plus pendant la semaine est, au minimum, de 165 euros, soit 1 980 euros par an, et non pas 700 euros, comme je l’ai entendu dire tout à l’heure, c’est-à-dire 17 % de salaire net en plus.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas vrai !
M. Rémy Pointereau. Je le confirme ! Et pour ceux qui faisaient déjà des heures supplémentaires, les charges payées sur celles-ci diminuent de 20 %.
Tout cela, c’est du pouvoir d’achat en plus, dans un contexte économique difficile.
Mme Christiane Demontès. C’est purement théorique !
M. Rémy Pointereau. Ce n’est pas théorique : je le vis tous les mois s’agissant des salariés !
Conformément aux engagements du Président de la République, cette mesure d’amélioration directe du pouvoir d’achat bénéficie à l’ensemble des salariés : salariés du secteur privé, fonctionnaires, salariés rémunérés selon un régime forfaitaire, salariés à temps complet ou à temps partiel.
Aujourd’hui, près de 40 % des entreprises représentant 65 % de la masse salariale utilisent l’exonération prévue par la loi TEPA.
Or, malgré certaines prises de position péremptoires de l’opposition, voire de certains experts, la défiscalisation des heures supplémentaires n’entraîne pas de hausse du chômage par une utilisation moindre des CDD ou de l’intérim. Au contraire, l’augmentation du nombre des heures travaillées est une mesure dont l’efficacité a été démontrée pour favoriser l’emploi et la lutte contre le chômage.
Mme Annie David. Elle est hors du temps !
M. Rémy Pointereau. Au Danemark, en Suède…
Mme Annie David. Le chômage a remonté !
M. Rémy Pointereau. … au Royaume-Uni, en Irlande, la durée de travail hebdomadaire est supérieure à ce qu’elle est en France, et pourtant, dans tous ces pays, le plein-emploi est atteint, le taux de chômage avoisinant les 5 %.
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. Ce n’est plus vrai ! Il faut se tenir au courant !
M. Rémy Pointereau. C’est bien le travail des uns qui crée le travail des autres.
Mme Christiane Demontès. Des chiffres !
M. Rémy Pointereau. Augmenter les heures supplémentaires, c’est plus de pouvoir d’achat pour les salariés, plus de production, plus de consommation, une meilleure compétitivité, donc plus d’emplois. C’est le cercle vertueux !
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Rémy Pointereau. Si les effets de la défiscalisation des heures supplémentaires sont peut-être moindres en cette période de fort ralentissement économique, je le concède, ils seront de nouveau bénéfiques pour le pouvoir d’achat des salariés dès que la reprise s’amorcera. Donc, ne détricotons pas un dispositif qui a été mis en place récemment,…
Mme Annie David. Mais si !
M. Rémy Pointereau. … d’autant que tous les secteurs d’activité économique ne sont pas touchés de manière égale par la crise.
C’est la raison pour laquelle le groupe UMP demeure attaché à la politique de défiscalisation des heures supplémentaires.
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
M. Rémy Pointereau. La loi TEPA, contrairement à ce que certains disent, concerne aussi et surtout les travailleurs des classes moyennes et très modestes : beaucoup veulent aujourd’hui gagner plus en travaillant plus. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Christiane Demontès. Et ceux qui ne travaillent plus ?
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la défiscalisation des heures supplémentaires a été l’une des mesures symboles voulues par le Président de la République et instaurées par le Gouvernement, l’objectif étant de concrétiser le principe « travailler plus pour gagner plus ».
Je rappellerai que cette défiscalisation bénéficie à tous les salariés, ceux des entreprises privées ou publiques, ainsi qu’aux agents des administrations publiques.
Aujourd’hui, alors que le contexte économique a sensiblement évolué, peut-on tirer un premier bilan de cette politique de défiscalisation des heures supplémentaires ? Pour ce faire, il faut se fonder sur des chiffres précis. Selon les services de l’URSSAF, 37 % des entreprises y ont eu recours en 2007 et 2008, pour un coût global de 6,5 milliards d’euros pour l’État. Si les données statistiques sont encore trop partielles et insuffisantes, on peut toutefois dégager certaines tendances et dresser quelques constats.
D’après les services de l’URSSAF, l’application du dispositif de la défiscalisation des heures supplémentaires pose trois problèmes.
Tout d’abord, en cas de hausse d’activité, les très petites entreprises ont tendance à augmenter les heures supplémentaires, qui leur donnent de la souplesse dans la gestion de leurs effectifs, plutôt qu’à créer des emplois : l’effet sur l’emploi est donc neutre.
Ensuite, les allègements de charges sociales correspondent à une perte de revenus pour la sécurité sociale et à un gain financier important pour les PME. Or ce bonus financier pour les entreprises qui ne payent pas de charges sur ces heures, s’il est précieux dans le contexte actuel de crédit difficile, pousse aussi à la mise en œuvre des heures supplémentaires pour en bénéficier au lieu de créer un emploi, voire à augmenter artificiellement les heures supplémentaires pour en diminuer le coût salarial.
Enfin, les exonérations de cotisations sociales risquent d’aggraver, à terme, les déficits des comptes sociaux.
Cette hausse des heures supplémentaires pourrait bénéficier aux entreprises, ce qui est très positif, surtout aujourd’hui, plus qu’aux salariés, même si ces derniers ont déjà commencé à profiter d’une diminution substantielle de leur impôt sur le revenu.
Il apparaît essentiel de comptabiliser, par exemple, les heures supplémentaires effectuées non déclarées, ce qui représente, selon l’URSSAF, un nombre considérable d’heures supplémentaires dans les PME de moins de vingt salariés et dans les TPE de notre pays.
En outre, les données analysant le dispositif des heures supplémentaires ne sont pas corrigées des variations saisonnières, ni des effets des jours ouvrables. Or les heures supplémentaires ont une forte composante saisonnière, qui rend délicate toute interprétation des données statistiques.
Deux possibilités sont envisageables.
Dans un premier scénario, le système des 35 heures persiste : cette défiscalisation permettrait, dans les cinq ans à venir, un supplément de croissance de 0,3 % grâce à un soutien de la demande intérieure. La consommation des ménages serait stimulée par un revenu plus dynamique. Une partie de ce supplément de revenu serait épargnée par les ménages – le taux d’épargne augmenterait ainsi de 0,1 point – et l’autre partie serait consommée : elle serait captée majoritairement par l’extérieur et, pour le reste, elle stimulerait l’activité et l’investissement des entreprises en retour. Cette mesure, de par la très légère baisse du coût du travail, permettrait de créer près de 73 000 emplois d’ici à 2012.
Dans un second scénario, le Gouvernement propose, sous conditions, un allongement de la durée légale du travail, ce qui permettrait à la défiscalisation des heures supplémentaires d’engendrer une augmentation de la productivité des salariés français. Ce serait positif pour notre économie, mais pas nécessairement, à court terme, pour l’emploi.
S’il s’agit d’une réussite non négligeable à l’échelle des entreprises pour les salariés qui en bénéficient, cette réussite doit être relativisée par la forte diminution, ces derniers mois, du nombre d’entreprises qui y ont recouru par manque d’activité et en raison d’un ralentissement inquiétant, conséquence directe de la crise.
Enfin, il ne faut pas oublier les sombres perspectives pour l’emploi dans les années à venir, la crise économique conduisant inexorablement à une forte hausse du taux de chômage : les prévisions les plus pessimistes tablent sur 9,8 % de chômeurs en 2009, 10 % en 2010, voire 12 % à l’horizon 2011-2012. Qu’en sera-t-il alors des avantages liés à l’application de la loi TEPA ?
Au vu de ces quelques données chiffrées et des incertitudes liées à la crise, il est particulièrement difficile d’entrevoir une perspective impartiale du dispositif de la loi TEPA.
C’est pourquoi le groupe du RDSE considère que le succès des mesures de défiscalisation des heures supplémentaires dépend d’abord de la situation économique de notre pays. Celles-ci pourraient donc être modulées, sans incidence sur l’investissement, en fonction du contexte, et jouer leur rôle positif en période de croissance. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout le monde connaît la situation de notre économie, frappée de plein fouet par une crise dont on dit qu’elle est la plus grave depuis 1930, et dont les conséquences se manifestent tous les jours : les fermetures d’entreprise et les licenciements se multiplient.
Il nous faut entendre le désarroi des salariés et l’inquiétude de la population : ils assistent, impuissants, à la mise en œuvre d’un modèle politico-économique symbolisé par la loi TEPA, loi teintée de néolibéralisme à la sauce Thatcher, si je puis dire, et dont les auteurs avaient comme objectif affiché – cela ne manque pas d’humour aujourd’hui ! – de relancer notre économie.
Ce modèle, qui pouvait, du point de vue d’économistes conservateurs – point de vue que nous ne partageons pas, bien sûr –, se justifier en période de forte croissance et de tension sur le marché du travail, nous semble aujourd’hui dangereux pour les finances publiques, économiquement inefficace et socialement injuste.
Le Président de la République, qui se prétend pragmatique, fait preuve, en réalité, d’un dogmatisme idéologique avéré, arc-bouté qu’il est sur la défense de certaines mesures ; je me permettrai de les rappeler rapidement, tant elles sont symboliques : le bouclier fiscal, destiné à protéger les plus riches, et que – nous en sommes persuadés – le Gouvernement sera obligé de revisiter prochainement ; la suppression des droits de succession pour les plus aisés ; la défiscalisation des heures supplémentaires, qui détériore un peu plus l’emploi. Au final, les exonérations de charges sur les heures supplémentaires aboutissent à des arbitrages qui se font au détriment de l’emploi.
Je tiens à affirmer avec force que la situation économique de 2009 n’est pas celle de 2007 et que le pragmatisme exige désormais de renoncer à ces dispositifs qui sont autant d’atteintes à l’égalité sociale, laquelle est la garantie de l’efficacité économique. Car nous devons pouvoir imaginer des mesures qui concilient sortie de crise et nouveau modèle de développement durable.
Favoriser le travail dominical ne permettra pas d’offrir plus de sécurité professionnelle et de pouvoir d’achat ; je me permettrai d’y revenir lorsque nous débattrons de ce sujet.
Il nous faut, mes chers collègues – je crois que tout le monde en sera d’accord –, inventer ensemble un nouveau contrat social qui réconcilie le salarié et l’activité et donne à chacun la possibilité de construire sa vie en toute sécurité professionnelle.
Le nombre d’heures supplémentaires travaillées en 2008, supérieur à celui de 2007, traduit, en réalité, une baisse de l’activité économique.
Notre collègue Rémy Pointereau a évoqué tout à l’heure les 35 heures. Je lui rappellerai qu’il n’y a jamais eu autant d’heures travaillées que durant la période 1997-2001 et que, aujourd’hui, cette mesure entraîne une baisse du nombre d’heures travaillées : il est clair qu’elle freine mécaniquement la création d’emplois et elle la freinera encore plus lorsque viendra, comme nous l’espérons, la reprise économique.
Point n’est besoin que je m’étende longuement sur le coût financier, mes collègues s’étant fort bien exprimés sur le sujet ; néanmoins, je tiens à revenir un instant sur cette fausse solution du travail dominical.
En lieu et place de la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, le Président de la République relance le débat sur le travail dominical avec un nouveau slogan : « un jour de croissance en plus, du pouvoir d’achat en plus ». On croit rêver ! En 2008, il avait affirmé que libéraliser et assouplir encore un peu plus le droit du travail permettrait de relancer la croissance. Vous voyez où nous en sommes !
Est-ce vraiment le moment d’instaurer une précarité et une flexibilité accrues de l’emploi ?
Mme Christiane Demontès. Non !
M. François Rebsamen. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, il n’existe aucun élément montrant que le travail dominical aurait le moindre effet sur le volume global des dépenses ou l’emploi. D’ailleurs, vous le savez bien, vous qui, sur le terrain, avez négocié des accords avec les organisations patronales et syndicales visant à ce que le nombre de dimanches ouverts soit limité à deux ou trois par an ; tout le monde en était d’accord ! Les effets néfastes du travail dominical pour les salariés et le petit commerce, on les voit venir.
Enfin, je terminerai en évoquant le Plan d’action pour les jeunes. Il est tout de même étonnant que l’on parvienne à dégager 4 milliards d’euros pour financer la défiscalisation des heures supplémentaires, mais que l’on peine à trouver 1,3 milliard d’euros pour l’emploi des jeunes ! D’ailleurs, en 2008, les crédits alloués au dispositif des contrats de professionnalisation avaient été réduits de 200 millions d’euros.
Il faut cesser d’empiler des mesures qui n’entraînent que des effets d’aubaine pour les entreprises. Celles-ci, au lieu d’embaucher des jeunes en CDI, préféreront les prendre en stage ou en formation pour les abandonner ensuite. Ce plan pour les jeunes risque fort de laisser les jeunes en plan… (Sourires.) Le jeu de mots est facile, j’en conviens !
À chaque jeune qui entre dans la vie active, la société doit garantir un contrat de travail sur toute la durée de sa vie professionnelle ; à chaque salarié, elle doit apporter une sécurité réelle, par de véritables contrats de transition professionnelle de plusieurs années si nécessaire, assortis de formations performantes, efficaces et préservant le lien entre le salarié et l’entreprise.
Ce n’est qu’en sécurisant l’avenir des jeunes et des salariés que nous rétablirons la confiance et que nous jetterons les bases d’une autre société, bien différente de cette société inégalitaire que vous nous préparez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l’emploi. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de vous remercier de ce débat fort intéressant. J’ai toujours beaucoup de plaisir à participer aux travaux du Sénat, qui donnent lieu à des échanges de grande qualité, marqués par la conviction des différents intervenants mais empreints de respect mutuel.
Après avoir écouté avec attention chacun des orateurs, je vais tenter d’exposer les vues du Gouvernement sur ce sujet des heures supplémentaires dans la période de crise que nous traversons et, plus généralement, dans la perspective de notre politique de l’emploi.
M. Pointereau a très bien montré la cohérence du dispositif dans le contexte de l’époque où il a été adopté. Je n’y reviendrai donc pas. La réforme des heures supplémentaires a en effet été mise en place, notamment, pour remédier aux dégâts catastrophiques engendrés par le dispositif des 35 heures, en termes tant de dégradation durable de la productivité de nos entreprises, plus particulièrement des PME, que de diminution des revenus et de gel des salaires.
Mme Nicole Bricq. Pourquoi ne pas l’avoir abrogé ?
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. L’adoption de ce dispositif, fondé sur l’idée qu’une réduction du temps de travail pourrait avoir une incidence positive sur l’emploi, a singularisé la France au sein des pays occidentalisés. Son application s’est avérée à ce point désastreuse qu’aucun autre pays n’a suivi le nôtre dans le chemin solitaire qu’il a emprunté entre 1997 et 2000 !
Les mesures relatives aux heures supplémentaires avaient donc un double objet : restaurer la compétitivité de nos entreprises – il est d’ailleurs heureux que nous ayons pu devancer la survenue de la crise – et offrir aux salariés, notamment aux plus modestes d’entre eux, une marge de manœuvre en matière de revenus.
Je voudrais souligner, à ce sujet, un point qui ne l’a pas encore été : la réforme a permis d’aligner la rémunération des heures supplémentaires dans les petites entreprises sur celle qui est pratiquée dans les grandes. Cet aspect avait été totalement laissé de côté par le dispositif des 35 heures.
Cela a permis une hausse de 10 % à 25 % de la rémunération des heures supplémentaires dans les petites entreprises, dont les salariés subissaient une situation d’injustice et d’inégalité flagrante.
Le double levier ainsi mis en place par le biais des heures supplémentaires a apporté, monsieur Rebsamen, trois bénéfices principaux.
Le premier bénéfice – je n’arrive d’ailleurs pas à comprendre votre position à cet égard, mais j’y reviendrai – est un accroissement du pouvoir d’achat des salariés les plus modestes.
Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas vrai !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. En ces temps difficiles, qui peut contester l’utilité d’une mesure permettant une redistribution forte au profit des salariés modestes, souvent durement touchés par la crise et dont certains ici se font les porte-parole ?
À cet instant, et puisque vous m’avez interrogé sur les chiffres, je rappellerai, madame Demontès, une réalité statistique : les ouvriers font en moyenne deux fois plus d’heures supplémentaires que les membres des professions intermédiaires, et six fois plus que les cadres ; quant à ceux des entreprises de moins de vingt salariés, ils font en moyenne trois fois plus d’heures supplémentaires que les autres.
À l’évidence, l’exonération des heures supplémentaires est donc d’abord une mesure en faveur du pouvoir d’achat des salariés modestes.
Mme Annie David. Augmentons leurs salaires !
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Supprimer cette mesure reviendrait à priver ces derniers d’un complément de revenu dont ils ont grand besoin dans cette période de crise.
Deuxième bénéfice, l’exonération des heures supplémentaires représente un véritable coup de pouce pour nos entreprises, notamment en termes de compétitivité. En effet, elle a permis de faire baisser le coût moyen du travail. Nous le constatons tous sur le terrain, cela n’est pas un luxe dans une période de crise où la concurrence internationale est particulièrement rude ! Il est donc essentiel de préserver ce dispositif, qui permet davantage de souplesse en termes d’organisation des entreprises.
Troisième bénéfice, important notamment au regard de la démocratie sociale, cette mesure permet la définition du temps de travail à l’échelon de l’entreprise, alors que nous étions prisonniers du carcan des branches. Certes, celles-ci jouent un rôle majeur dans bien des domaines, mais elles imposent aux entreprises des contraintes néfastes dans d’autres. Au sein d’une même branche, certaines entreprises ont besoin de plus de souplesse que d’autres en termes de fonctionnement. (Mme Annie David proteste.)
Je sais, madame David, que nous ne sommes pas d’accord sur ce sujet. Je respecte parfaitement votre position, qui est tout à fait cohérente.
J’en viens aux résultats obtenus. Nous avons assisté à une très rapide montée en charge du dispositif. En effet, 185 millions d’heures supplémentaires ont donné lieu à une exonération au quatrième trimestre de 2008, contre 150 millions au quatrième trimestre de 2007. Par ailleurs, 50 000 entreprises de plus ont eu recours à cette exonération, et les entreprises qui l’utilisent représentent désormais 65 % de la masse salariale, contre 46 % un an plus tôt.
Au total, ce sont les trois quarts du montant global des exonérations, soit 2 milliards d’euros, qui ont été restitués aux salariés. Soyons donc clairs : quand on propose de supprimer cette exonération, on propose en fait de priver les salariés modestes de notre pays de 2 milliards d’euros de complément de revenus.
Mme Nicole Bricq. Il faut les payer correctement !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Il faut développer le raisonnement jusqu’au bout et assumer les conséquences d’un tel choix !
Je reviendrai maintenant sur certains arguments avancés par les orateurs de l’opposition, en particulier par Mmes Bricq, Demontès et David.
Vous réclamez de façon récurrente des mesures en faveur du pouvoir d’achat, notamment celui des salariés modestes. Or, cela tombe bien, une disposition a précisément cet objet ! Je ne comprends donc pas que vous puissiez à la fois appeler à un renforcement du pouvoir d’achat et proposer, à titre principal, la suppression d’une mesure visant à cette fin et présentant, en outre, l’avantage d’être ciblée sur ceux qui en ont le plus besoin ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Certes, vos critiques s’inscrivent tout à fait normalement dans le débat démocratique, mais elles comportent des contradictions avec les positions que vous défendez par ailleurs.
Ainsi, vous avez insisté, mesdames Bricq et Demontès, sur le fait que les exonérations d’heures supplémentaires ont permis de « blanchir » des heures de travail auparavant non déclarées. Mais c’est tant mieux !
M. Rémy Pointereau. Oui !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Reprocheriez-vous au dispositif de ramener dans le champ du droit des heures de travail effectuées au noir, pour lesquelles des salariés étaient rémunérés sans bénéficier d’aucune sécurité professionnelle ?
Mme Nicole Bricq. Mais cela ne crée pas de travail !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Il me semble que chacun, dans cette enceinte, ne peut que se réjouir d’une mesure permettant de régulariser des heures non déclarées et d’éviter à des salariés de travailler sans aucune sécurité ni protection sociale !
M. Aymeri de Montesquiou. Évidemment !
Mme Christiane Demontès. Mais cela ne crée pas d’emplois !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Par ailleurs, à vous entendre, le recours aux heures supplémentaires expliquerait que la France soit dans une situation si difficile au regard du chômage. Des pays comme l’Espagne, le Royaume-Uni ou le Danemark n’ont pas, il est vrai, mis en place un dispositif semblable, pour la bonne et simple raison qu’ils n’ont pas non plus adopté les 35 heures ! Cela étant, le taux de chômage a augmenté de 60 % en Espagne, de 30 % au Royaume-Uni et de 55 % au Danemark, alors qu’en France sa progression n’a été que de 15 %.
Certes, ce chiffre demeure beaucoup trop élevé, et je suis loin de me réjouir de la situation présente, constatant tout comme vous sur le terrain, presque chaque semaine, les difficultés en termes d’emploi et les situations de détresse vécues par nos compatriotes.
Il est cependant difficile, au vu de ces chiffres, d’attribuer la dégradation de la situation de l’emploi en France au seul dispositif des heures supplémentaires ! On constate en effet qu’elle est bien plus importante dans les pays qui n’ont pas mis en œuvre de telles mesures.
Enfin, le recours aux heures supplémentaires empêche-t-il de créer des emplois et de développer l’activité ? Là encore, il s’agit d’un vrai débat.
J’observe que notre pays n’a jamais créé autant d’emplois qu’entre octobre 2007 et mars 2008, période qui a vu l’adoption et la montée en charge du dispositif des heures supplémentaires : 140 000 l’ont été dans le secteur concurrentiel, soit beaucoup plus que de 2006 à mars 2007, période où la croissance était pourtant nettement plus soutenue.
Cela montre bien que, en temps de croissance économique, les heures supplémentaires nous permettaient de soutenir la création d’activité et d’emplois. En revanche, il est vrai que, en période de crise, le recours aux heures supplémentaires est moindre, les entreprises réduisant leur activité en réponse à la diminution des commandes.
En conclusion, les causes de nos difficultés ne peuvent être résumées à l’application du dispositif des heures supplémentaires. Celui-ci constitue au contraire un outil de gestion de l’emploi sur la durée, qui nous amène à regarder au-delà de la période de crise actuelle. Comme l’a très bien rappelé M. de Montesquiou, il est sous-tendu par une authentique conviction et un véritable choix politique.
Mme Christiane Demontès. C’est vrai !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Nous assumons ce choix, qui n’est pas celui, par exemple, de Dominique Méda, sociologue très proche de Ségolène Royal, dont le credo est que le travail est une valeur en voie de disparition.
Mme Christiane Demontès. Nous n’avons pas dit cela !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Au contraire, notre conviction est que le travail est la valeur fondamentale sur laquelle doit être assise toute politique de l’emploi. Même en temps de crise, nous ne devons pas renoncer à tenir ce cap : il s’agit là d’une exigence d’efficacité économique et de solidarité à l’égard des salariés modestes de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. En application de la décision de la conférence des présidents, la parole est à Mme Christiane Demontès, auteur de la question, qui dispose de cinq minutes pour répondre au Gouvernement.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie d’avoir apporté des réponses à nos interrogations, même si, manifestement, nous ne partageons pas les mêmes analyses ni les mêmes projets politiques !
Vous avez affirmé que les heures supplémentaires ont profité aux salariés modestes. Permettez-nous d’en douter ! Il y aurait une autre mesure, toute simple, à prendre pour accroître le pouvoir d'achat des salariés : augmenter les salaires, en particulier le SMIC !
Mme Annie David. Absolument !
Mme Christiane Demontès. Vous vous félicitez de ce que la défiscalisation et l'exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires aient permis le « blanchiment » du travail dissimulé : c’est tout de même un comble qu’il ait fallu en passer par là pour obtenir ce résultat !
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. Je vous rappelle que, au sein des directions départementales et régionales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, des agents sont chargés de faire respecter les règles en la matière : on les appelle les inspecteurs du travail !
Par conséquent, monsieur le secrétaire d'État, si tel est le seul bilan de l’application du dispositif, c’est tout de même très inquiétant !
En tout état de cause, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : il convient, à mon sens, de revenir, fût-ce de façon temporaire, sur les dispositifs qui ont été mis en place. Des personnalités de votre propre camp, en particulier d’anciens premiers ministres, estiment que la période de crise actuelle devrait vous inciter à lâcher du lest sur le bouclier fiscal et sur les déductions fiscales. Ce n’est pas nous qui le disons !
Suspendre l’application de toutes ces mesures ne vous attirera pas les foudres de nos concitoyens. Ceux-ci comprendront, j’en suis sûre, que vous abandonniez la vieille grille de lecture libérale pour mettre en œuvre une politique favorisant réellement l’emploi et le pouvoir d'achat. Ils vous seront certainement reconnaissants d’instaurer une politique permettant de stabiliser, voire d’augmenter, les ressources tant de notre système de protection sociale que de l’État.
En effet, c’est aussi au travers du bon fonctionnement de nos institutions et de la mise en jeu de leurs capacités redistributives, conformément aux principes de justice économique, que se construit le quotidien de nos concitoyens. Le devenir de notre contrat social dépend de votre politique et de la suspension des dispositions de la loi TEPA.
Madame la présidente, le contrôle étant, après le vote de la loi, la deuxième grande fonction du Sénat, j’ai l’honneur de vous demander, au nom du groupe socialiste, de vous faire notre porte-parole pour solliciter de la conférence des présidents la mise en place rapide d’un groupe de travail chargé de dresser le bilan de cette politique de défiscalisation des heures supplémentaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
8
Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi
Mme la présidente. Le Gouvernement a informé M. le président du Sénat qu’il avait engagé, en application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, la procédure accélérée sur le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, déposé ce jour sur le bureau de l’Assemblée nationale.
9
Débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, au nom du groupe du RDSE, auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a souhaité inscrire ce débat à l’ordre du jour, c’est parce qu’il estime que, conformément à la tradition d’humanisme radical qu’il incarne au sein de la Haute Assemblée, il a le devoir d’attirer l’attention sur l’un des drames humains qui se jouent sur notre sol.
Oui, il s’agit bien pour lui d’un devoir, d’une obligation, au pays des droits de l’homme, de ne pas fermer les yeux sur la situation inacceptable, intolérable, faite à des milliers d’hommes et de femmes dont nos lois et nos règlements nient aujourd’hui le droit d’être, tout simplement. N’avons-nous pas tous ici, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, l’ardente obligation de chercher la voie la meilleure pour répondre avec le plus d’efficacité et d’équité, toujours dans le respect absolu de la personne humaine, à ce grand défi de notre temps que représentent les migrations des populations ?
Monsieur le ministre, loin de moi la volonté de rouvrir le débat, vieux comme le monde, sur l’intérêt, les bénéfices ou les drames de l’émigration et de l’immigration ; loin de moi aussi l’idée de restreindre cette question à sa seule dimension compassionnelle, comme les derniers événements nous y invitent pourtant.
Comme beaucoup d’entre nous ici, vous avez sans doute vu le film Welcome, sorti récemment. Peut-on manquer d’être ébranlé dans sa conscience par cette œuvre ? Même si je sais qu’une œuvre de fiction ne saurait se substituer à la réalité d’une situation sociale, économique et politique, je n’en mesure pas moins la portée symbolique de ce film. Raison d’État ou pas, on ne peut pas faire, en effet, comme si l’opinion publique et sa sensibilité comptaient pour rien dans un débat qui concerne l’ensemble des citoyens.
Vous-même, monsieur le ministre, avez été « interpellé » – comme l’on dit dans le jargon contemporain –, lorsque vous vous êtes rendu à Calais, par cette « jungle » où se côtoient les rêves les plus fous d’une vie meilleure, la misère, la désespérance, le troc odieux de la vie et de la mort contre de l’argent économisé, gagné on ne sait où ni comment, avec, au milieu de tout cela, un peu de chaleur humaine, des sourires, des mots de réconfort, des gestes d’hommes, tout simplement, dans un univers devenu celui des bêtes sauvages.
Avant d’en venir au problème spécifique de l’immigration clandestine sur notre territoire national, je voudrais, dans un souci d’impartialité, rappeler très rapidement les démarches mises en œuvre pour améliorer l’accueil des étrangers en France et rationaliser les procédures d’un droit dont la complexité n’est plus à démontrer.
La confusion et la lenteur administrative qui naissaient de la multiplicité des intervenants institutionnels se sont trouvées réduites avec la fusion, sous l’égide du seul ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, de l’ensemble des politiques publiques relatives à l’immigration.
Sans revenir sur le lourd débat qui a entouré la dénomination même de ce ministère, on ne peut que souligner une volonté de mise en cohérence et de clarification des compétences, ainsi que le souci d’une meilleure gestion des dossiers, lesquels recèlent, derrière des numéros d’ordre, toute la « légende personnelle », pour reprendre les mots de Paulo Coelho, des milliers d’étrangers qui entrent en France chaque année.
Des efforts incontestables, même s’ils demeurent insuffisants, ont été faits pour améliorer le premier accueil, en préfecture, des étrangers en quête du précieux document qui leur permettra de rester et, parfois, de travailler en France. Finis, ces longues files d’attente, dès 5 heures du matin, ou ces « dortoirs » improvisés dans des cartons d’emballage, en attendant que s’ouvrent les portes des services dits « des étrangers ».
Tout cela ne saurait cependant faire oublier la grande instabilité du droit des étrangers, qui, depuis 1976 et l’ouverture du droit au regroupement familial, fondé sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, fluctue entre politiques restrictives et politiques plus accommodantes.
Tout montre aujourd’hui que ni les mesures de régularisation massive ni les mesures répressives ne viennent à bout d’un phénomène qui a pris des dimensions nouvelles avec l’ouverture des frontières telle que définie par la convention de Schengen en 1990.
Faute d’une politique européenne volontariste et coordonnée, faute d’une stratégie réaliste, le slogan « passer d’une immigration subie à une immigration choisie » reste lettre morte. J’en veux pour preuve l’augmentation incessante du nombre des entrées en France, passé de 97 000 en 2000 à 134 800 en 2005, en dépit de la mise en place, depuis 2002, d’outils législatifs visant à tarir le flux et à complexifier les politiques d’accueil. La suspicion est devenue le premier instrument de l’examen d’une demande de séjour sur notre territoire : le cortège des attestations, des certificats de toutes sortes ne cesse de s’allonger, les délais de convocation s’étirent, les vérifications se multiplient, les contentieux se généralisent, au seul bénéfice – si l’on peut dire ! – des tribunaux et des avocats spécialisés dans le droit des étrangers.
Dans ces conditions, comment, monsieur le ministre, ne pas reconnaître l’urgente nécessité de simplifier ce droit des étrangers, de le rendre plus lisible, plus compréhensible pour des populations qui sont, qu’on le veuille ou non, fragilisées ? Comment réduire le nombre et la durée des procédures ? Comment éviter les recours devant les tribunaux de l’ordre administratif ou judiciaire ? N’est-il pas, enfin, possible de garantir le respect du principe de souveraineté de l’État sans affaiblir le droit au séjour sur notre territoire ?
Cette problématique est aujourd’hui essentielle, car il est terrible de devoir constater que la politique migratoire actuellement menée est contre-productive. À titre d’illustration, comment ne pas relever que l’excessive complexification des procédures d’accueil semble détourner les élites, africaines notamment, de la France vers d’autres pays européens ou vers l’Amérique, alors que le principe de l’immigration choisie était fondé sur la volonté de réduire les flux des migrants économiquement défavorisés au profit de populations qualifiées ?
Il est impossible, dans ces conditions, de se satisfaire d’une politique au coup par coup, qui aboutit à recruter ici des infirmières espagnoles parce que tel hôpital est en difficulté, et là des médecins étrangers qui accepteront, pour la même responsabilité, une rémunération inférieure à celle de leurs confrères français.
Il n’y a rien d’étonnant, non plus, à ce que la noria de l’immigration clandestine ne cesse pas. Par définition, le nombre de clandestins n’est pas connu, mais il est régulièrement évalué à quelque 400 000.
Il s’agit de personnes qui, délibérément, ont contrevenu à la réglementation pour rejoindre notre territoire sans y être autorisées, mais aussi de personnes qui, faute de contrôle, ne sont pas reparties dans leur pays d’origine au terme de la période de séjour autorisée, ou qui choisissent d’entrer dans la clandestinité, ne pouvant obtenir un titre de séjour, ou bien encore de ces déboutés du droit d’asile qui, après être restés sur notre territoire avec le statut de demandeur d’asile pendant parfois plusieurs années, ne peuvent se résoudre à partir. Les motivations sont multiples, mais toutes traduisent, d’une façon ou d’une autre, un drame personnel, familial, économique, social.
Je ne saurais être favorable à l’entrée illégale d’étrangers sur notre territoire, mais je ne saurais pas davantage l’être à des mesures qui contreviennent gravement au principe du respect dû à toute personne humaine.
Que constatons-nous depuis plusieurs mois, voire plusieurs années maintenant ?
Nous observons des défaillances ou des manquements dans la mise en œuvre de la politique de l’immigration, que j’ai déjà dénoncés, monsieur le ministre, auprès de votre prédécesseur : parents interpellés à la sortie de l’école, étrangers conduits en centre de rétention administrative sans que soient respectées les procédures y afférentes. Les exemples pourraient être multipliés et font d’ailleurs les beaux jours, si je puis dire, des tribunaux…
Nombre d’associations, aussi diverses qu’Emmaüs, France terre d’asile ou le Secours catholique, nous interpellent quotidiennement sur l’évolution de la situation des sans-papiers sur le territoire national. Le terme même de « sans-papiers » devrait d’ailleurs, selon moi, disparaître de notre langage, même usuel, tant il désigne le « non-être », ceux qui n’existent pas, dont on n’a pas à tenir compte !
Mais ces mêmes associations, aujourd’hui, nous alertent aussi sur les déboires que connaissent ceux qui viennent en aide à ces personnes, au motif que cette aide constituerait un « délit de solidarité ».
Certes, l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile punit de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France ». Une interprétation à la lettre, et non pas selon l’esprit, de cette disposition n’amènera-t-elle pas à mettre sur le même plan un passeur professionnel et une femme ou un homme qui, par instinct ou par compassion, au nom de sa morale individuelle ou d’une éthique collective, a offert une pomme à un enfant, mis à disposition une prise de courant pour recharger la batterie d’un téléphone portable ou donné un vêtement à celui qui avait froid ?
Mais cet article ne concerne pas seulement les simples particuliers que je viens de citer ; comme une épée de Damoclès, il menace aussi directement l’ensemble des membres du secteur associatif qui œuvrent au bénéfice des étrangers en situation irrégulière, puisque la définition d’une telle prise en charge correspond à l’obligation d’assistance à personne en danger, telle que posée par le second alinéa de l’article 223-6 du code pénal. Il existe donc une évidente incohérence entre ces deux dispositions, qui a conduit nombre de bénévoles d’associations humanitaires à être inquiétés par les services de police alors qu’ils portaient, justement, assistance à des personnes en péril.
Cette situation n’est pas acceptable dans un État de droit, et c’est pourquoi, avec plusieurs de mes collègues, je me suis ralliée à la proposition de loi que doivent déposer Yvon Collin et Michel Charasse, visant à interdire les poursuites au titre de l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers à l’encontre des personnes physiques ou morales qui mettent en œuvre, jusqu’à l’intervention de l’État, l’obligation d’assistance à personne en danger.
Sans remettre en aucune façon en cause les règles de l’entrée et du séjour des étrangers, cette précision législative, si elle était adoptée, donnerait la possibilité aux particuliers comme aux associations humanitaires agissant, cela va sans dire, sans but lucratif, d’aider les étrangers en situation irrégulière jusqu’à leur prise en charge par les services sociaux compétents de l’État, dont relèvent normalement les intéressés. Elle permettrait de ce fait, à tous ceux qui le voudraient, de sacrifier sans risque à ce qui fait la noblesse de l’homme : sa faculté d’aider gratuitement son semblable en difficulté, qu’il agisse au nom d’une religion, d’un idéal laïque ou de toute autre motivation, sans avoir à la justifier.
Sur ce point encore, monsieur le ministre, je m’étonne que le « devoir d’ingérence » invoqué par votre collègue le ministre des affaires étrangères s’agissant de problèmes humanitaires survenant au-delà de nos frontières ne s’impose pas à nous à l’intérieur de celles-ci. La problématique n’est pas la même, me direz-vous ; pourtant, ne s’agit-il pas toujours du droit au respect, sous toutes ses formes, pour tout individu ?
Au moment où, d’ailleurs, l’on s’interroge sur l’intérêt d’inscrire dans la Constitution le droit au respect de la vie privée, je suis moi-même très dubitative sur la délicate question des statistiques ethniques. Faut-il rendre licites des enquêtes fondées sur l’autodéclaration, le volontariat et l’anonymat des personnes interrogées, mais dont il n’est pas difficile d’envisager les dérives ? De telles enquêtes, par leur aspect communautaire ou ethno-racial, ne sont nullement compatibles avec les valeurs d’une République fraternelle, une et indivisible. Cette conviction, que partage avec quelques autres personnalités Louis Schweitzer, président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, ne peut que nous inciter à la plus grande vigilance quant aux projets du Comité pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations.
Sur ce sujet comme sur celui des très controversés tests génétiques, projet dont on ne sait toujours pas si vous allez ou non le reprendre à votre compte, les membres de mon groupe et moi-même affirmerons notre profond désaccord. Adopter de telles mesures serait renier les principes et l’esprit mêmes de notre République. Ce serait aussi faire resurgir des pratiques que l’on croyait à jamais condamnées et que nous avons entendu évoquer ici par d’anciens résistants ou par des descendants de résistants.
Je tiens à le redire avec force, monsieur le ministre : je ne suis pas favorable à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers, je ne suis pas favorable à des régularisations massives, mais je ne suis pas non plus favorable à des mesures extrêmes fondées sur les quotas, les chiffres, les statistiques.
N’est-il pas temps de reconnaître que la fermeture du centre de Sangatte n’a fait que déplacer le problème vers la région parisienne, la Normandie et la Bretagne, avant qu’il ne se concentre de nouveau à Calais ? N’est-il pas temps d’évaluer réellement les modes de fonctionnement des centres de rétention administrative, dont certains sont indignes de notre pays ? N’est-il pas temps de mesurer l’efficacité des procédures de délivrance de visas et de titres de séjour, de reconduite aux frontières, d’aide au retour ? En un mot, ne faut-il pas enfin ouvrir – la formule est belle alors que nous allons bientôt examiner le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires ! – « l’oreille du cœur » ?
Je veux croire, monsieur le ministre, que vous saurez être sensible à la demande formulée par notre groupe et au-delà, je l’espère, par nombre des membres de cette assemblée, qui n’ont d’autre ambition que de donner à l’homme toute sa place dans un pays, la France, qu’ils veulent en tous points exemplaire. Nous savons que le traitement de la question de l’immigration impose le respect absolu de la personne humaine, que ce soit sur le plan de la loi ou sur celui du comportement de la police et de la justice. Si nous transigions sur ce point, je dirai pour paraphraser Churchill, qui affirmait que si les Britanniques préféraient le déshonneur à la guerre, ils auraient le déshonneur et la guerre, que nous risquerions d’avoir à la fois le déshonneur et l’immigration clandestine. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment juger une politique de lutte contre l’immigration clandestine ? Selon moi, trois critères sont incontournables.
Il convient d’abord de poser la question des causes de l’immigration, qui est rarement heureuse. Il s’agit, le plus souvent, d’une immigration de la souffrance, parfois d’une immigration de l’espoir. Une telle question n’est guère populaire, et elle est ardue à résoudre. Pourtant, si nous voulons éviter l’immigration clandestine, plutôt que de construire une illusoire ligne Maginot, l’Europe, dans son ensemble, devra affronter les défis du partage des richesses, de la redistribution au profit des pays les plus pauvres, ou encore de l’éducation. Depuis plusieurs années, malheureusement, la majorité s’évertue à occulter ce point essentiel en opposant, selon la formule consacrée, immigration choisie et immigration subie.
Le deuxième critère, celui de la lutte contre les réseaux, notamment mafieux, implique également l’Union européenne. Ce combat exige une sévérité accrue contre les trafiquants en tous genres, dans les pays d’origine comme en France. Monsieur le ministre, je ne crois pas que votre proposition de délivrer un titre de séjour provisoire aux clandestins qui dénonceraient leur passeur soit pertinente. Vous allez donner au migrant concerné un sauf-conduit valable sur notre territoire, mais comment allez-vous assurer la sécurité de sa famille restée dans le pays d’origine, qui ne manquera pas d’être l’objet de représailles ? La question reste ouverte. Surtout, ce « marchandage » de titres de séjour ne peut nullement constituer la base d’une politique d’envergure contre les trafics.
J’en viens au troisième critère, le plus intéressant à mes yeux : une politique de lutte contre l’immigration clandestine doit respecter les droits fondamentaux des individus.
Les droits de l’homme devraient être au cœur d’une politique de lutte contre l’immigration clandestine, d’abord parce qu’ils interdisent de traiter la personne humaine comme une marchandise, ce qui rejoint la préoccupation précédemment exprimée, ensuite parce qu’ils nous obligent à une vigilance constante pour que les sans-papiers ne soient pas considérés comme des moins que rien, de simples parasites dont il faut se débarrasser sans trop y regarder : je suis entièrement d’accord, à cet égard, avec Mme Escoffier.
Au regard de ce dernier critère, quel est le bilan de la politique gouvernementale ? Constatons-le : notre pays traite l’immigré clandestin davantage comme un coupable, ce qu’il peut d’ailleurs parfois être au sens de nos lois pénales, que comme une victime.
C’est là le résultat de la « politique du chiffre » suivie par le Gouvernement. Comme s’il s’agissait de la rentabilité d’une entreprise, on affiche des objectifs annuels à atteindre : 26 000 reconduites à la frontière pour votre prédécesseur, 27 000 pour vous, monsieur le ministre ; ce chiffre, on peut l’imaginer, augmentera encore l’année prochaine.
Évidemment, une fois que l’on s’est fixé un tel objectif, il faut se donner les moyens de l’atteindre, le plus simple étant de faire la chasse aux sans-papiers. On a fermé le centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire de Sangatte, situé à quelques kilomètres de Calais, où viennent s’échouer les Afghans ou les Kurdes en attente d’un départ pour l’Angleterre. La misère s’est alors déplacée de quelques kilomètres, vers la zone industrielle de Calais, et la fermeture annoncée de la « jungle » ne fera que la repousser encore un peu plus loin… Vous n’aurez, in fine, rien résolu !
Cette politique du chiffre n’est pas compatible avec l’exigence de respect de la dignité. Évoquant la situation française, Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, l’a souligné : « Le quantitatif prime parfois sur la nécessaire obligation de respecter les droits de l’individu. »
Logiquement, les « bavures » se multiplient dans les centres de rétention. La Commission nationale de déontologie de la sécurité, organisme indépendant, relève ainsi que « les manquements observés sont la conséquence d’un exercice routinier de ces missions, de l’insuffisance des contrôles hiérarchiques et juridictionnels, et de la fixation d’objectifs de reconduites effectives à la frontière qui sont sans rapport avec les moyens des services et conduisent à des traitements de masse, au mépris des hommes, de leurs droits fondamentaux et des règles de procédure ».
La lutte contre l’immigration clandestine se confond trop souvent avec un combat contre les immigrés. C’est la voie la plus facile, la plus médiatique, la plus simple à expliquer à l’opinion. C’est d’ailleurs la voie que vous aviez vous-même dénoncée, monsieur le ministre, dans un livre intitulé Les inquiétantes ruptures de M. Sarkozy : « Nicolas Sarkozy fabrique des sans-papiers, lui qui prétend lutter contre l’immigration clandestine. » Monsieur Besson, ne copiez pas M. Sarkozy ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos collègues du groupe du RDSE ont demandé un débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine, mais que faut-il entendre par « immigration clandestine » ?
L’immigration clandestine, illégale ou irrégulière, concerne les étrangers qui entrent sur le territoire national sans détenir les documents les y autorisant ou ceux qui demeurent en France une fois la validité desdits documents expirée.
Sont principalement concernés les habitants des pays pauvres, du Sud, qui cherchent un meilleur niveau de vie dans les pays riches, du Nord, ou encore des hommes et des femmes qui, à l’instar des Comoriens, veulent rejoindre un territoire – Mayotte – dont ils considèrent qu’il ne leur est pas étranger.
Toutefois, il faut savoir que, pour l’essentiel, l’immigration clandestine en France concerne les demandeurs d’asile déboutés du statut de réfugié, les personnes devenues sans-papiers à la suite du non-renouvellement de leur titre de séjour, essentiellement en raison du durcissement des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, les jeunes qui, alors qu’ils n’avaient pas besoin de papiers étant mineurs, se retrouvent en situation irrégulière à leur majorité.
Cela étant, n’oublions pas, au cours de ce débat, de souligner que la grande majorité des étrangers présents en France y sont entrés de façon tout à fait légale, leur situation n’étant devenue irrégulière qu’à la suite de l’expiration de la validité de leur titre de séjour, généralement après un refus de la préfecture de renouveler ce dernier. C’est surtout cela, la réalité de l’immigration clandestine contre laquelle le Gouvernement s’acharne !
En effet, la France, contrairement à ce que certains veulent faire croire à l’opinion, n’est plus, depuis au moins vingt-cinq ans, un pays d’immigration et n’est pas soumise à une « pression migratoire ». C’est, en effet, l’un des pays occidentaux où la proportion des migrants a connu la plus faible augmentation dans la période récente. Calais ne constitue souvent qu’une étape dans le parcours de migrants dont le but est non pas de s’installer en France, mais d’atteindre l’Angleterre.
Cela m’amène à dire que, dans notre pays, la politique de lutte contre l’immigration clandestine consiste essentiellement à traquer quotidiennement des personnes sans papiers installées souvent depuis plusieurs années sur notre territoire.
Pour atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement en matière d’expulsions du territoire – 27 000 pour l’année 2009 –, une véritable chasse à l’homme est donc pratiquée, avec mise à contribution du personnel de certains services publics en contact avec des sans-papiers, phénomène récent qui tend malheureusement à se développer : de tels cas ont ainsi été signalés à La Poste, dans des caisses d’allocations familiales, des caisses primaires d’assurance maladie, des antennes de l’ANPE ou des ASSEDIC… Cette chasse à l’homme concerne, la plupart du temps, des parents d’enfants nés ou scolarisés en France, des conjoints de Français, des déboutés du droit d’asile, de jeunes majeurs.
Une pression s’exerce donc sur les personnes en situation irrégulière, qui sont susceptibles de se faire contrôler partout – dans les transports, les services publics – et vivent dans la peur. Elles sont traitées comme des délinquants, alors qu’elles n’ont souvent commis aucune atteinte ni aux personnes ni aux biens et sont avant tout des victimes, puisqu’elles n’ont aucun droit faute de papiers.
Les étrangers sans papiers sont donc à la merci des employeurs peu scrupuleux à la recherche d’une main-d’œuvre moins chère, ainsi que des marchands de sommeil. De nombreux cas, notamment dans mon département, la Seine-Saint-Denis, témoignent de la réalité de cette situation.
Les personnes qui, par humanité et de façon désintéressée, aident ces hommes, ces femmes et ces enfants ne sont pas mieux considérées. En effet, les réformes législatives successives qui ont renforcé tous les dispositifs de contrôle et de répression envers les étrangers n’ont pas épargné ceux qui, regroupés ou non en associations, viennent en aide aux étrangers en situation irrégulière.
L’un des symboles de cette tendance répressive est le tristement célèbre « délit de solidarité », qui ne concerne plus seulement les réseaux mafieux tirant parti de la détresse des migrants. En effet, de plus en plus de personnes ont pu se trouver menacées de poursuites pénales, arrêtées, placées en garde à vue, mises en examen, pour avoir aidé des étrangers en situation irrégulière.
À cet égard, monsieur le ministre, je regrette que vous vous obstiniez à mettre en doute la parole d’associations qui, dossiers à l’appui, vous démontrent que des personnes subissent vraiment des tracas judiciaires pour avoir aidé des sans-papiers. Vous n’êtes d’ailleurs pas sans savoir que, pour remédier à cette situation, nous avons déposé une proposition de loi visant à modifier l’article L. 622-1 du CESEDA, qui représente une véritable épée de Damoclès pour les nombreuses personnes agissant dans un dessein altruiste et, tout simplement, humain.
La lutte contre l’immigration clandestine semble ainsi résumer l’ensemble de la politique d’immigration menée tant en France qu’en Europe, entièrement axée sur la répression.
Je pense ici à la honteuse directive « retour », qui permet de placer en rétention des étrangers, y compris des mineurs, pour des durées pouvant aller jusqu’à dix-huit mois et de « bannir » les expulsés pendant cinq ans.
Je pense également au pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne et qui oscille entre instrumentalisation du codéveloppement et répression. Les Vingt-Sept se sont en effet prononcés en faveur d’une législation sur le renvoi des migrants, le renforcement des contrôles aux frontières, la sélection de travailleurs hautement qualifiés, les régularisations en fonction des exigences du marché du travail, l’interdiction des régularisations collectives…
Je pense enfin aux accords dits de gestion concertée sur les flux migratoires que le Gouvernement a fait signer à certains pays africains d’émigration et qui permettent à la France de faire pression sur ces derniers en exerçant une forme de chantage : le Gouvernement leur promet des possibilités de migrations légales – en vérité très limitées – et une aide au développement ; en contrepartie, ils doivent être les « gendarmes » de l’Europe, c’est-à-dire contrôler les flux migratoires à la source et faciliter les réadmissions des personnes expulsées par la France. Désormais, la France et l’Union européenne entendent empêcher les migrants non plus de pénétrer en Europe, mais de quitter leur pays d’origine. Par ailleurs, comment ne pas évoquer ici leur volonté de multiplier les camps de réfugiés à leurs portes, à l’image de ceux de Ceuta, de Melilla ou de Lampedusa ?
Ainsi, le Gouvernement dit vouloir lutter contre l’immigration clandestine, mais en même temps il a besoin de faire venir en France des étrangers triés sur le volet, conformément au concept de l’immigration choisie – choisie en fonction des besoins de l’économie et du patronat, selon le niveau de qualification des étrangers, qui doit être élevé pour intéresser la France : hommes d’affaires, sportifs de haut niveau, artistes, éligibles à la carte « talents et compétences » ou à la « carte bleue » européenne.
Comment peut-on parler, dans ces conditions, de développement solidaire, de codéveloppement, de coopération avec les pays du Sud, quand ceux du Nord, après avoir pillé leurs matières premières, veulent à présent piller leur matière grise ? En effet, cet intérêt pour les professionnels hautement qualifiés contribue à la « fuite des cerveaux » qui caractérise l’émigration du Sud vers le Nord. Cette fuite des cerveaux est totalement contraire aux intérêts des pays d’origine, qui subissent un manque de personnel, ainsi qu’une perte de revenu national au titre de l’impôt.
Pour conclure, j’insisterai sur le fait que la politique de lutte contre l’immigration clandestine menée par le Gouvernement est très coûteuse et inefficace, tout en étant dangereuse puisqu’elle s’attaque à des droits fondamentaux comme le respect de la vie privée, le droit à mener une vie familiale, le respect de la dignité, du droit d’asile et de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Soyons clairs : il ne s’agit pas, monsieur le ministre, de ne rien faire, mais, plutôt que de s’acharner à produire des textes qui n’ont aucun effet sur l’immigration clandestine, puisque celle-ci ne disparaît pas mais se transforme, le Gouvernement devrait enfin s’attaquer aux causes de cette immigration qui trouve toujours ses racines dans la pauvreté, la misère et l’injustice.
Enfin, je tiens à dire que votre politique est également dangereuse d’un point de vue idéologique, car elle est sous-tendue par une thématique populiste et démagogique que le Gouvernement aime à évoquer en période électorale ou en temps de crise ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est certes pas la première fois que nous abordons le sujet délicat de l’immigration, en particulier clandestine. S’il est une question complexe, c’est bien celle-là !
Nous devons trouver le moyen d’allier le respect de la règle, de la loi et de l’ordre public à la prise en compte du facteur humain, qui est essentiel s’agissant de personnes ayant parfois fait le choix de quitter leur pays d’origine pour essayer d’entrer, à tout prix et par tous moyens, sur notre territoire.
Il conviendrait d’évoquer l’ensemble de la politique de l’immigration, car on ne peut pas comprendre la lutte contre l’immigration clandestine si l’on n’examine pas en parallèle la question de l’immigration régulière. Je rappelle à cet égard que le Gouvernement s’est engagé en faveur de l’immigration choisie, de l’immigration du travail. Il faudrait en outre distinguer le problème spécifique du droit d’asile. Cela étant, tel n’est pas l’objet du présent débat.
En ce qui concerne l’immigration clandestine, nous sommes amenés à constater une réalité inacceptable.
La France est en effet depuis de nombreuses années un pays de destination, mais également un pays de transit pour de nombreux candidats à l’émigration.
L’analyse de la pression migratoire observée sur le territoire national, tant dans sa partie métropolitaine que dans sa partie ultramarine, qu’il ne faut pas oublier – je pense en particulier à la Guyane et à Mayotte –, met en exergue l’existence de flux irréguliers et pérennes.
Deux catégories de clandestins viennent grossir les rangs des communautés illégalement implantées ou en transit vers d’autres États de l’espace européen : ceux qui entrent dans l’espace Schengen par leurs propres moyens et ceux qui ont recours aux services d’une organisation structurée – il s’agit de la majorité des cas.
Comme vous l’indiquiez à juste titre, monsieur le ministre, « on ne vient pas tout seul en France, en organisant individuellement son arrivée. On vient en France accompagné, attiré, trompé par des réseaux mafieux qui réalisent un business aussi odieux que lucratif. »
Les filières d’immigration clandestine transportent et exploitent des femmes, des hommes et des enfants dans des conditions contraires à toute dignité humaine. En octobre 2005, le Sénat s’était saisi de ce problème majeur en constituant une commission d’enquête sur l’immigration clandestine, présidée par Georges Othily et dont j’ai été le rapporteur. Notre conclusion fut sans appel : « face à cette réalité inacceptable, la réponse doit être ferme, juste et humaine ».
Le développement de réseaux structurés est un fait avéré, extrêmement préoccupant. Les filières d’immigration clandestine sont de plus en plus perfectionnées et de mieux en mieux organisées. Elles constituent l’une des formes les plus abouties de la criminalité organisée et sont le plus souvent associées à la prostitution, à la production de faux documents, au blanchiment d’argent, voire au terrorisme.
Les officines qui opèrent sont en mesure de proposer au candidat à l’immigration un service « clés en main », depuis le recrutement dans le pays d’origine jusqu’à l’acheminement dans le pays de destination, selon un périple fragmenté, dans lequel interviennent successivement des structures constituées, mais toujours indépendantes les unes des autres. Cette immigration, par le biais du remboursement du prix du voyage, engendre de fait une économie souterraine, grâce notamment au travail dissimulé. Pour mettre fin à des situations humaines particulièrement difficiles et dramatiques, un signal d’extrême fermeté doit être adressé en permanence aux filières clandestines, aux trafiquants de vies humaines, aux nouveaux esclavagistes du monde contemporain.
Nous devons, en effet, engager une lutte sans merci contre tous ceux qui exploitent sans le moindre scrupule la misère humaine, en nous attaquant avec la plus grande fermeté aux passeurs, aux fraudeurs et aux marchands de sommeil. Contre les esclavagistes du temps, notre combat doit être plus résolu que jamais, aucun laxisme à l’égard de l’immigration clandestine n’étant acceptable. C’est là une exigence morale que nous devons respecter.
Les premières victimes de l’immigration clandestine sont les migrants eux-mêmes, qui sont de plus en plus déterminés et prennent de plus en plus de risques pour passer, coûte que coûte.
En outre, l’immigration clandestine dégrade la situation des immigrés légaux. Elle renforce les discriminations dont sont victimes ces derniers et nuit à leur intégration.
Partant, l’objectif doit être clair et intangible : il faut décourager les candidats à l’immigration clandestine de venir tenter leur chance en France et démanteler les réseaux qui rendent possible cette forme d’immigration. La politique du Gouvernement dans ce domaine est claire, et le groupe de l’UMP l’approuve.
La tradition d’accueil de notre pays, notre solidarité et notre compassion envers celles et ceux qui vivent des situations personnelles insupportables ne dispensent pas de rappeler que le premier droit, le premier devoir d’un État est de décider par lui-même qui il souhaite ou non accueillir, qui il est en mesure ou non d’admettre sur son territoire. Il n’est possible de venir en France que si l’on y est expressément invité : c’est tout l’enjeu de l’organisation de l’immigration légale.
Conformément aux objectifs fixés par le Président de la République et le Premier ministre, notre politique d’immigration doit être guidée par la recherche d’un équilibre entre la fermeté, la justice et l’humanité : fermeté à l’endroit de ceux qui ne respectent pas les règles de la République, fermeté dans la lutte contre l’immigration clandestine et ses filières criminelles ; justice pour les étrangers en règle, justice pour ceux qui font des efforts pour s’intégrer et réussir leur installation durable en France en se conformant aux règles d’admission que nous fixons ; humanité, bien sûr, dans l’accueil des immigrants, ce qui suppose que toute l’attention requise soit accordée à la singularité de chaque situation personnelle.
C’est le premier droit de l’État que d’adresser un signal de rigueur clair aux candidats à l’immigration clandestine et à ceux qui l’organisent. Il est important de ne jamais perdre de vue cet aspect de la question. Bien évidemment, nous ne pouvons qu’être sensibles à chaque situation individuelle. Personne, dans cet hémicycle, ne dira le contraire, mais n’oublions pas que le message que nous envoyons s’adresse avant tout aux filières qui profitent de la situation des immigrants clandestins.
La fermeté dans la lutte contre l’immigration irrégulière est d’autant plus juste et légitime que la France conduit parallèlement une politique volontariste visant à mieux organiser l’immigration légale, en faisant porter l’effort sur l’immigration du travail.
Depuis dix-huit mois, des textes ont été votés et la politique menée par le Gouvernement en matière de lutte contre l’immigration clandestine a permis d’obtenir des résultats satisfaisants.
Ainsi, le nombre de reconduites à la frontière effectivement réalisées en métropole au titre de l’année 2008 a atteint 20 000 pour les éloignements forcés et 10 000 pour les retours volontaires.
Par ailleurs, les efforts accomplis dans la lutte contre les trafics de migrants illégaux et la répression du travail clandestin ont débouché sur d’importantes réussites. En 2008, ce sont ainsi 101 filières qui ont été démantelées, soit près de six fois plus qu’en 2007, tandis que 4 300 personnes ont été interpellées pour des faits d’aide illicite à l’entrée et au séjour d’immigrés en situation irrégulière. Au total, 1 220 opérations « coups de poing » de lutte contre le travail illégal ont été réalisées en 2008.
Les résultats de ce combat contre l’immigration illégale laissent penser que le nombre de clandestins a diminué en France, ce que plusieurs indicateurs tendent d’ailleurs à montrer.
Tout d’abord, le nombre des sans-papiers bénéficiant de l’aide médicale d’État a baissé, et cette tendance s’accélère : entre septembre 2006 et mars 2008, une diminution de 6,2 % du nombre des bénéficiaires de l’aide médicale d’État a été enregistrée. Or nous savons, et les services compétents nous l’ont d’ailleurs confirmé lors des auditions auxquelles nous avons procédé, que l’aide médicale d’État a été, un temps, comme a pu l’être aussi la demande d’asile, un moyen de contourner le dispositif.
Le nombre d’éloignements, c’est-à-dire de sans-papiers présents en France raccompagnés dans leurs pays d’origine, constitue un deuxième indicateur : plus de 135 000 étrangers clandestins ont quitté, de manière volontaire ou contrainte, le territoire national et ont été reconduits dans leur pays depuis 2002.
Un troisième indicateur est évidemment fourni par le nombre de refoulements à la frontière d’étrangers ayant souhaité pénétrer en France mais qui en ont été empêchés parce qu’ils ne remplissaient pas les conditions d’une entrée régulière sur notre territoire.
Enfin, quatrième indicateur, le nombre de demandeurs d’asile déboutés, c’est-à-dire de personnes susceptibles de s’installer illégalement en France, a diminué. Cela tient en particulier au fait que l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, et la Cour nationale du droit d’asile ont disposé, au cours des dernières années, des moyens leur permettant de traiter rapidement les dossiers, ce qui réduit les espoirs de ceux qui escomptent qu’une attente prolongée de la décision les concernant leur permettra de rester durablement sur le territoire.
Personne, bien sûr, ne pense que tout est réglé et que les problèmes sont derrière nous. En revanche, nos concitoyens ont acquis la certitude que lorsque les politiques se donnent les moyens de prendre à bras-le-corps les problèmes, sans idées préconçues et avec une volonté indéfectible, les solutions ne sont jamais bien loin.
Il n’en reste pas moins, malheureusement, que tous les problèmes n’ont pas disparu, comme l’illustre le film réalisé par Philippe Lioret, qui est incontestablement une très belle fiction.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Une fiction ?...
M. François-Noël Buffet. Cela étant, on voit bien la difficulté, en la matière, de faire la part des choses entre la réalité du droit et la réaction affective très forte que peut susciter telle ou telle situation.
Vous vous êtes récemment rendu à Calais, monsieur le ministre, où l’on constate une recrudescence du nombre de migrants. Je souhaiterais que, à l’occasion de ce débat, vous puissiez dire au Sénat comment le Gouvernement envisage de régler la situation. À cet égard, il faut signaler les efforts très importants qui ont été accomplis par l’État pour assurer l’hébergement des étrangers en situation de détresse, quelle que soit leur situation administrative au regard du droit au séjour : accueil dans les centres d’hébergement d’urgence, mise en place de services médicaux, orientation et accompagnement dans les démarches administratives.
Pour « endiguer » le problème, il faut apporter une réponse durable. Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires, dans le respect de nos engagements européens, pour accroître l’efficacité du contrôle des frontières. L’effort doit porter en premier lieu sur la prévention de l’immigration irrégulière, c’est-à-dire sur la réduction des flux. Il faut rendre la tâche de ceux qui exploitent la misère de manière indigne beaucoup plus difficile, voire impossible.
Il n’est pas de politique crédible de contrôle de l’immigration sans possibilité d’éloigner les personnes qui n’ont pas le droit de séjourner sur le territoire. Pour éviter l’apparition de situations humaines difficiles, cet éloignement doit intervenir le plus rapidement possible après l’entrée sur le territoire, ce qui ne signifie pas que le respect du droit ne soit pas garanti.
La législation a évolué au cours des dernières années en matière de droits ouverts et d’exercice de ces droits, l’objectif étant précisément de faciliter les recours et de permettre une réponse judiciaire rapide, de façon que les situations difficiles ne perdurent pas. Nous savons en effet que le temps est un partenaire sans faille de ceux qui entendent rester illégalement sur notre territoire.
Par ailleurs, le nombre de réseaux clandestins démantelés doit devenir l’un des nouveaux critères de la politique de lutte contre l’immigration clandestine, monsieur le ministre.
La commission d’enquête sénatoriale sur l’immigration clandestine recommandait notamment la mise en place d’outils statistiques, indispensables pour évaluer et analyser l’immigration clandestine.
Par définition, il est très difficile de connaître précisément le nombre d’immigrés clandestins, mais les estimations dont nous disposons varient du simple au double, ce nombre étant compris entre 200 000 et 400 000 ! Une telle marge d’imprécision doit sans doute pouvoir être réduite, et c’est pourquoi il nous paraît important de mettre en place des outils statistiques adéquats.
L’efficacité de la lutte contre l’immigration clandestine dépend aussi très largement des actions conduites contre le travail clandestin.
Les sanctions prévues à l’encontre des employeurs, y compris les donneurs d’ordres et les sous-traitants, qui se rendent coupables d’infraction à la législation en matière de travail illégal ont été renforcées en 2003 et en 2004.
Faut-il rappeler que la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration comporte un ensemble de dispositions nouvelles visant à une meilleure efficacité de la lutte contre le travail illégal des étrangers ? Parmi ces dispositions figure notamment l’obligation faite désormais à un employeur de vérifier, avant toute embauche, l’existence du titre autorisant l’étranger intéressé à exercer une activité salariée en France.
Selon les rapports remis par le Gouvernement, les opérations conjointes de lutte contre le travail illégal menées en 2007 ont été un succès : elles ont permis d’engager 522 procédures à l’encontre d’employeurs d’étrangers dépourvus de titre de travail, soit plus qu’un doublement par rapport à 2006, et d’interpeller 992 étrangers en situation irrégulière, contre 430 seulement en 2006. Il faut naturellement poursuivre cette action contre les employeurs de main-d’œuvre clandestine.
Il est également important de continuer à lutter contre la fraude documentaire. La sécurisation de la délivrance des documents d’identité doit être renforcée. Il a été rappelé tout à l’heure qu’en métropole l’immigration clandestine résultait souvent de la transformation d’une situation régulière en situation irrégulière, des étrangers entrés régulièrement sur le territoire métropolitain grâce à un titre de séjour temporaire, d’une durée de validité de trois mois habituellement, ne repartant pas dans leur pays d’origine. Sur ce point, la commission d’enquête sénatoriale avait proposé la mise en place d’un visa diptyque, permettant de contrôler également la sortie du territoire.
En outre, il est absolument nécessaire d’assurer une dimension européenne et internationale à la lutte contre l’immigration irrégulière. Dans cette optique, l’adoption du pacte européen sur l’immigration et l’asile, sous la présidence française de l’Union européenne, est une avancée intéressante qui fait suite à un travail considérable. Il reste certes à préciser les moyens à mettre en place, mais tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, se sont mis d’accord sur le constat, notamment sur le fait qu’il ne fallait plus procéder à des régularisations massives. L’Espagne et l’Italie ont ainsi décidé de ne plus avoir recours à cette procédure, qui suscite, de facto, un phénomène d’aspiration, les candidats à l’immigration ayant l’impression qu’avec le temps ils finiront toujours par obtenir un titre de séjour. Il n’en ira désormais plus ainsi.
Par ailleurs, nous souhaitons la transposition rapide et intégrale dans notre droit interne de la directive européenne relative aux sanctions contre les employeurs de ressortissants de pays tiers démunis de titre de séjour. Il est en effet indispensable que nous renforcions notre arsenal législatif sur ce point.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez signé, le 5 février dernier, une circulaire sur les conditions d’admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme coopérant avec les autorités administratives et judiciaires. Un procès a été fait à ce texte. Pour ma part, j’estime que c’est une bonne mesure et qu’il est pertinent de régulariser les victimes ayant dénoncé leur passeur ou leur souteneur. Il faut en effet savoir qui nous entendons protéger : le réseau mafieux ou la victime ?
M. Alain Anziani. Il faut la protéger ici et ailleurs !
M. François-Noël Buffet. Le choix que vous avez fait de protéger la victime, monsieur le ministre, est évidemment judicieux !
En conclusion, le groupe UMP du Sénat apporte son plein soutien à l’action déterminée du Gouvernement. Certes, ce n’est pas une surprise, mais il convenait de l’affirmer clairement à cette tribune. Le sujet est extrêmement difficile, nous le savons. La lutte contre l’immigration clandestine et ceux qui l’exploitent nécessite une forte détermination, ainsi qu’une bonne gestion de l’immigration régulière, l’intégration des personnes concernées devant faire l’objet de la plus grande attention.
Il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous puissiez nous donner des précisions sur l’application de la circulaire du 5 février dernier, mais aussi sur les moyens que vous comptez mettre en œuvre pour poursuivre la lutte contre les filières mafieuses, ainsi que sur la coopération avec les pays « sources », qui constitue un élément important.
La matière est difficile, il faut du courage et de la détermination pour la traiter ; sachez, monsieur le ministre, que le groupe de l’UMP vous apporte son complet soutien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a souhaité que la Haute Assemblée débatte aujourd’hui de la politique de lutte contre l’immigration clandestine. Notre collègue Anne-Marie Escoffier, qui sait cultiver l’excellence en rejetant toute démagogie, a placé ce débat dans le cadre de nos valeurs : la règle de droit est faite par des hommes, pour des hommes ; son application ne doit jamais s’affranchir du respect de la dignité de l’homme. Ceux qui ne veulent ni voir ni entendre, cautionnant des situations non conformes à cette dignité, hypothèquent toujours l’avenir, et l’histoire les rattrape.
Nous savons, monsieur le ministre, la difficulté de votre tâche. C’est un exercice d’équilibre particulièrement délicat, qui suppose responsabilité et humanisme.
Responsabilité d’abord, car il est de notre devoir de représentants de la souveraineté nationale de débattre et de proposer des solutions à une question aujourd’hui cruciale pour notre société.
Humanisme ensuite, car l’immigration clandestine est le fruit de la misère et du désespoir. Entretenue par une exploitation sans scrupule, elle fait des immigrés eux-mêmes les premières victimes de cette forme moderne de traite des êtres humains. Or il appartient à un État de droit comme le nôtre de faire cesser toute atteinte à la dignité humaine, par définition intolérable.
Loin de tout angélisme ou manichéisme, notre groupe refuse le schéma idéologique simpliste qui opposerait les bonnes âmes aidant les clandestins aux moins bonnes, guidées par le seul sentiment du rejet de l’étranger. Une telle posture obère toute approche constructive permettant la compréhension du phénomène.
Comme le rappelait, en 2006, le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’immigration clandestine, présidée par notre ancien collègue du RDSE Georges Othily, « si l’immigration irrégulière demeure fâcheusement “indénombrable”, sa réalité est en revanche perceptible à travers ses conséquences ». On estime que de 200 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière seraient présents sur notre territoire, avec un afflux de 80 000 à 100 000 migrants illégaux supplémentaires chaque année.
Cette situation amène à s’interroger sur le modèle d’intégration que notre société propose aux immigrés. Il est indéniable que le refus de tout contrôle de l’immigration irrégulière fait obstacle à l’intégration des étrangers en situation régulière. En outre, laisser se développer une immigration irrégulière anarchique et déshumanisée ouvre la voie au développement d’une économie souterraine de type mafieux. Force est de constater, toutefois, que ce modèle d’intégration est aujourd’hui contre-productif.
La multiplication récente des lois relatives à l’immigration et à l’intégration a engendré, outre une insécurité juridique croissante rappelée par notre collègue Anne-Marie Escoffier, la prédominance d’une logique répressive au détriment du respect des droits de la personne et, par conséquent, une rupture de l’équilibre que nous avons évoqué. Le droit d’asile est pourtant consacré par l’article 53-1 de la Constitution. Certes, il faut bien distinguer la question du droit d’asile du problème de l’immigration clandestine, mais la réalité des faits nous conduit malheureusement à constater l’existence d’une « passerelle » juridique.
Souveraineté nationale et ordre public sont des valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés. Pour nous, elles ne devraient jamais être en opposition avec le respect de la dignité humaine. Cela nécessite une politique équilibrée, une clarification des compétences entre le juge des libertés et le juge administratif, une amélioration des conditions d’accueil et de placement dans des zones d’attente ou en centre de rétention administrative. En outre, on ne peut tolérer l’existence de centres d’accueil sauvages. La situation des centres de rétention administrative est aujourd’hui loin de satisfaire aux conditions élémentaires du respect de la dignité humaine. Monsieur le ministre, l’appel d’offres que votre prédécesseur avait lancé auprès des associations d’aide aux migrants est sous-tendu en réalité, sous couvert d’une mise en concurrence des structures associatives, par une logique de démantèlement d’un dispositif d’entraide indispensable. Je reste circonspect quant à l’efficacité de ce choix politique, que vous assumez.
Plus généralement, nous estimons que le Président de la République vous a mis, monsieur le ministre, dans la même situation difficile que votre prédécesseur, en vous assignant des objectifs chiffrés à atteindre coûte que coûte, quels que soient les dommages collatéraux qui en résulteront.
En y regardant de plus près, on s’aperçoit que la réalité ne correspond guère à l’autosatisfaction proclamée. En comptabilisant les réadmissions sur le territoire d’un État membre de l’espace Schengen ou les reconduites à la frontière des ressortissants bulgares et roumains séjournant au-delà des trois mois réglementaires, vous gonflez aisément le chiffre des reconduites, alors qu’en réalité seules 46 % de celles-ci s’effectuent hors d’une zone de libre circulation vers la France.
Exiger que soit privilégiée, à hauteur de 50 % du total, une immigration de travail au profit des secteurs économiques manquant de main-d’œuvre semble avoir placé votre administration dans l’embarras, en particulier pour ce qui concerne l’utilisation des statistiques : les demandeurs d’asile sont exclus des chiffres de l’immigration, des régularisations relevant de la catégorie « Vie privée et familiale » sont transférées vers la catégorie « Travail »... Enfin, avec la nouvelle procédure de naturalisation, qui déconcentre la décision vers les préfectures, vous vous approchez dangereusement de la rupture d’égalité, en promouvant les différences de traitement des dossiers d’une préfecture à l’autre.
Monsieur le ministre, je conviens tout à fait que l’immigration irrégulière est la source de nombreux dysfonctionnements économiques et sociaux, dans la mesure où elle alimente une forme de délinquance et le sentiment d’insécurité de certains de nos concitoyens. En revanche, nous ne pouvons adhérer à la politique que vous défendez, qui instille incidemment l’idée selon laquelle l’étranger constituerait un danger potentiel. Les sénateurs du RDSE ne peuvent accepter que soient assimilés clandestins et délinquants.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jacques Mézard. De la même façon, nous refusons que ceux de nos compatriotes qui les aident soient considérés et traités comme des délinquants. Comme l’a rappelé Anne-Marie Escoffier, aider un clandestin qui a faim, qui a froid ou qui est malade n’est pas un délit, c’est au contraire porter assistance à personne en danger. Vous comprendrez donc que certains membres de mon groupe, dont Michel Charasse et moi-même, déposent une proposition de loi supprimant le « délit de solidarité », qui incrimine actuellement des bénévoles associatifs, dont je tiens d’ailleurs à saluer ici l’indispensable travail quotidien. Cette proposition de loi répond à la seule logique de respect de la dignité de la personne. Certes, seules quelques dizaines de condamnations ont été prononcées sur ce fondement…
M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. Non, il n’y en a eu aucune !
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, j’ai lu vos échanges épistolaires avec certaines associations, ainsi que certains jugements rendus par des juridictions de l’ordre judiciaire. N’oublions pas non plus l’utilisation des gardes à vue à l’encontre des membres d’associations.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jacques Mézard. Vous avez pu constater la semaine dernière, à Calais, l’urgence humanitaire de la situation. Vous ne pourrez régler le problème en renvoyant ces étrangers, alors même que vous savez très bien qu’ils reviendront encore et encore tant qu’ils n’auront pas atteint leur but. Cet exemple illustre parfaitement les limites de la politique actuelle de lutte contre l’immigration clandestine. Le traitement initial du problème dans les pays d’origine n’a pas d’autre effet que de détourner les élites, tandis que les plus miséreux ne sont nullement découragés de tenter leur chance, pour la plus grande joie des réseaux de passeurs. Je rappelle aussi la situation alarmante de l’outre-mer, notamment à Mayotte et en Guyane.
Monsieur le ministre, quel que soit l’affichage compassionnel, une politique strictement répressive ne sera jamais satisfaisante, en tout cas de notre point de vue. Je vous donne acte de la difficulté de votre tâche, nous la connaissons, mais sachez que la culture du chiffre et du rendement n’a aucun sens dès lors qu’il s’agit d’êtres humains. La lutte contre l’immigration clandestine appelle une approche globale, qui traite d’ores et déjà dans les pays d’origine les maux qui conduisent des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à s’arracher à leur terre. N’oublions pas que le réchauffement climatique contribuera dans l’avenir à accentuer la pression sur les frontières de l’Europe. En aval, il s’agit de reconsidérer notre modèle d’intégration. Il faut, au final, constamment garder à l’esprit que ces migrants sont les premières victimes de la clandestinité.
Les sénateurs de notre groupe souhaitent, vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, que l’humanisme l’emporte, que la question de l’immigration clandestine cesse de crisper et de cliver artificiellement notre société. De la même façon, nous espérons que l’on renoncera à l’utiliser régulièrement comme une ressource politique et électorale. N’en faisons surtout pas un facteur de division du pays. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. Alain Anziani applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les membres du groupe du RDSE d’avoir inscrit à l’ordre du jour de cette semaine de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques ce débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine.
C’est l’occasion pour nous de revenir sur les méthodes très contestables employés par le Gouvernement à l’égard de tous ceux qui, aujourd’hui, aident les étrangers sans papiers, ces bénévoles qui n’ont d’autre souci que le respect de la dignité et des droits des étrangers en situation irrégulière. Certes, ces hommes et ces femmes sont dépourvus de papiers, mais ils ne sont pas pour autant privés de droits ! Nul papier n’est nécessaire, en particulier, pour que soient respectés les droits fondamentaux.
Votre démarche consiste à casser, de manière méthodique et régulière, la chaîne de solidarité qui s’est construite depuis plusieurs décennies autour de ces personnes, particulièrement vulnérables en raison de leur situation précaire.
Je citerai deux exemples, emblématiques de l’hypocrisie du Gouvernement, qui s’est lancé depuis deux ans dans une chasse aux sorcières ne disant pas son nom.
Je reviendrai d’abord sur le tristement fameux « délit de solidarité ».
Une disposition du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fonde des poursuites contre des citoyens honnêtes, qui n’ont d’autre ambition que d’aider, dans un élan de solidarité, les étrangers qu’ils croisent au détour de leurs actions bénévoles.
L’article L. 622-1 du CESEDA avait pour objet initial – il suffit de consulter le compte rendu des débats parlementaires pour s’en convaincre – de lutter contre les passeurs et les filières d’immigration qui exploitent la misère et se livrent au trafic d’êtres humains.
Or on constate que le champ de cette disposition a été étendu de manière sournoise à ceux qui, sans être des passeurs, offrent leur solidarité aux sans-papiers.
En effet, les termes, volontairement flous, de l’article sont interprétés par les autorités de police, sous vos instructions, comme concernant toute personne qui aide un étranger en situation irrégulière, quels que soient les moyens et les motivations.
Ainsi, à Norrent-Fontes, dans le Nord-Pas-de-Calais, une femme a récemment été interpellée à son domicile et placée en garde à vue pour avoir rechargé les batteries des téléphones portables de treize Érythréens.
Une autre personne, appartenant à la même association d’aide aux étrangers, Terre d’errance, a été placée en garde à vue, à Boulogne-sur-Mer, dans le cadre d’une procédure visant une « aide au séjour irrégulier commise en bande organisée ».
Cette disposition est donc devenue la base juridique de poursuites contre les acteurs de la solidarité, sans qu’aucune distinction ne soit établie en fonction de la nature de l’aide.
En effet, la loi ne distingue pas clairement l’aide désintéressée ou humanitaire de l’aide « à but lucratif ». Cela aurait pourtant permis d’exclure du champ de l’aide au séjour irrégulier les intervenants bénévoles qui distribuent des repas ou hébergent à titre gratuit un étranger.
Monsieur le ministre, aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2004 relative à la loi Perben II, qui a renforcé ce « délit de solidarité », « le délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers ».
Le 8 avril, sur une radio nationale, France Inter, vous avez tenu les propos suivants : « toutes celles et tous ceux qui, de bonne foi, aident un étranger en situation irrégulière doivent savoir qu’ils ne risquent rien ». Ce sont vos propres mots, monsieur le ministre.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Comment expliquer, alors, le placement en garde à vue de certains bénévoles, parfois pendant huit heures, à Norrent-Fontes, à Marseille ou à Boulogne-sur-Mer ? Admettez-vous qu’il s’agit là d’un abus de pouvoir ?
En fixant, dans la loi de finances de 2009, un quota de 5 000 interpellations d’aidants, vous avez, monsieur le ministre, conféré à cet article du CESEDA une nouvelle vocation : vous avez créé une arme pour combattre la solidarité.
Encore une fois, la politique du chiffre est au cœur de ce détournement de la loi, dont les autorités de police abusent avec frénésie, surtout depuis le mois de janvier dernier.
Vous le savez très bien, cet objectif chiffré a eu une incidence immédiate sur le comportement des autorités de police : on leur demande de faire du chiffre et, faute de trouver des passeurs, on élargit la définition de l’aidant à toute personne qui serait en contact avec un étranger sans papiers.
On aboutit à un paradoxe : cette disposition, censée protéger les étrangers en situation irrégulière contre les réseaux de passeurs, les patrons voyous qui exploitent le travail clandestin et les marchands de sommeil qui abusent de leur vulnérabilité, est devenue une arme contre toute tentative d’humanisation de la condition des étrangers séjournant irrégulièrement en France.
Aujourd’hui, votre mépris pour les associations s’affiche au grand jour. Nous nous souvenons tous de l’épisode de l’incendie du centre de rétention de Vincennes. À cette occasion, votre prédécesseur avait indirectement accusé les associations d’aide aux étrangers. Il avait même songé à créer un fichier de bandes, dans lequel les acteurs de la solidarité auraient pu être enregistrés. Comme lui, vous éprouvez une aversion à l’encontre de ces associations qui agissent au quotidien pour adoucir un peu la violence de la politique d’exclusion et d’expulsion mise en œuvre.
Vous œuvrez de manière méthodique et progressive à un appauvrissement de l’aide aux étrangers, notamment en créant les conditions d’une mise en concurrence des associations qui agissent dans ce domaine. En témoigne, monsieur le ministre, le sort réservé à la CIMADE pour ce qui concerne l’aide aux étrangers dans les centres de rétention : vous avez démantelé la mission d’accompagnement et de défense des droits des étrangers, qui était assurée jusqu’à présent par cet organisme, en éclatant son exercice en huit lots, répartis entre six associations sur tout le territoire français.
Par tous moyens, vous cherchez à casser la chaîne de solidarité qui existe autour des étrangers sans papiers. Par tous moyens, vous cherchez à rendre impossible, en droit comme en fait, l’aide bénévole à l’étranger. Par tous moyens, vous cherchez à « contaminer » pénalement toute personne qui viendrait en aide à un étranger à titre humanitaire.
Nous savons aujourd’hui quelle est la finalité de votre politique : isoler l’étranger, le transformer en paria, en faire le bouc-émissaire d’une crise à laquelle vous n’avez aucune solution à proposer, le couper de toute chaîne de solidarité, induire chez ceux qui épousent la cause des étrangers sans papiers un sentiment de peur et instaurer une quasi-obligation de délation. Par cette politique, vous criminalisez les mouvements associatifs et la solidarité.
Vous avez assuré, une fois encore dans les médias, que personne n’avait fait l’objet d’une condamnation pour délit d’aide au séjour irrégulier. C’est faux, monsieur le ministre ! Nous avons recensé, auprès de différents tribunaux, plus de soixante-dix exemples de condamnations pénales prononcées, sur la base de ce délit, contre des citoyens exemplaires, des combattants pour les libertés, des résistants ! Un chauffeur de taxi a même été condamné à un an de prison ferme pour avoir conduit un étranger sans lui demander ses papiers ! Vous rendez-vous compte de l’absurdité de cette condamnation ?
Il est devenu criminel d’avoir des sentiments, des idéaux et de la compassion pour ces personnes exclues, fragilisées, précarisées, qui tentent de survivre sur notre territoire. Monsieur le ministre, il est aujourd'hui urgent d’abroger l’article L. 622-1 du CESEDA. D’ailleurs, les Verts soutiennent toutes les propositions allant dans ce sens et visant à mieux définir le délit d’aide au séjour irrégulier en excluant, de manière expresse, les acteurs bénévoles de la solidarité.
Comme cela a été dit, traiter ce dossier demande du courage, monsieur le ministre : celui de régulariser, et non d’expulser ! Si vous avez ce courage, nous serons à vos côtés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je scinderai mon intervention en deux parties : dans un premier temps, je présenterai les éléments fondamentaux de notre politique de lutte contre l’immigration clandestine ; dans un second temps, j’apporterai, de façon plus improvisée, un certain nombre de précisions pour faire suite aux différentes interventions, que j’ai écoutées avec beaucoup d’intérêt.
Mme Escoffier a rappelé à juste titre que, depuis toujours, les hommes et les femmes se sont déplacés, poussés par la recherche de terres cultivables, chassés par les guerres, les conflits, les crises politiques, les tensions économiques, les catastrophes naturelles et peut-être, demain, écologiques.
Ces femmes et ces hommes nés dans un autre pays que celui où ils résident représentent aujourd’hui 3 % de la population mondiale, contre 2 % voilà quarante ans, et constituent virtuellement, avec 191 millions de personnes, le cinquième pays du monde.
L’immigration est donc une réalité incontournable dans tous les pays développés. Elle est un phénomène positif, accroissant notre bien-être collectif, lorsqu’elle répond à un triple intérêt : l’intérêt du migrant tout d’abord, qui veut légitimement améliorer son sort et celui de sa famille ; l’intérêt du pays d’origine ensuite, qui n’est pas de se voir privé de ses ressources humaines, essentielles pour assurer son développement ; l’intérêt du pays de destination enfin, qui est de bien vérifier qu’il est en mesure d’accueillir dignement le migrant et de l’intégrer, notamment en lui offrant un emploi et un logement, la langue, l’emploi et le logement restant les facteurs fondamentaux d’une bonne intégration.
Chaque relâchement de cette triple exigence est presque immédiatement sanctionné par l’apparition de problèmes d’intégration et par la résurgence de mouvements nationalistes, xénophobes ou racistes.
Ce triple intérêt est au cœur du pacte européen sur l’immigration et l’asile conclu l’an passé sous l’égide de mon prédécesseur, Brice Hortefeux. Ce pacte a permis de construire un consensus parmi les vingt-sept États membres de l’Union européenne, toutes tendances politiques confondues, pour maîtriser les flux migratoires, lutter contre l’immigration irrégulière et mieux intégrer les immigrants en situation régulière. J’invite qui en douterait à prendre connaissance des propos qu’a tenus hier le Premier ministre espagnol, José Luis Zapatero, devant le Président de la République française, lorsqu’il a affirmé sa détermination à lutter contre l’immigration clandestine et sa volonté de renforcer la coopération, en la matière, avec la France. Ce pacte européen proscrit à la fois les politiques d’immigration zéro et les politiques de régularisation massive.
Ce triple intérêt est à la base d’une politique française de l’immigration et de l’intégration équilibrée, juste et ferme, assurant à la fois la maîtrise de l’immigration et l’intégration effective des migrants. Cette politique traduit l’un des engagements souscrits devant les Français par le candidat à la présidence de la République Nicolas Sarkozy lors de sa campagne et l’une des priorités de l’action du Gouvernement.
Dans le cadre de l’exercice de cette mission, une préoccupation essentielle m’anime : la loi républicaine doit être appliquée avec humanité, mais aussi avec fermeté et rigueur.
Déterminer qui a droit de séjour sur son territoire et dans quelles conditions ce droit peut être accordé constitue le fondement même de la souveraineté d’un État. Un consensus républicain absolu devrait se dégager sur cette question, me semble-t-il.
Lionel Jospin, lors de l’élaboration de la loi du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers et au droit d’asile, indiquait que son objectif était de « conduire une politique de régulation des flux migratoires à la fois réaliste et humaine, qui prenne en compte les intérêts de la nation et respecte la dignité des personnes humaines, et de combattre sans défaillance l’immigration clandestine et le travail irrégulier ». Ces mots, je les fais miens aujourd’hui.
La délivrance du visa de long séjour accordé par le consul, en relation avec l’autorité préfectorale, s’impose comme le seul acte de souveraineté par lequel le Gouvernement autorise un étranger, avant son entrée sur le territoire, à s’installer durablement en France. Les régularisations, qui, par définition, y dérogent, ne peuvent être accordées qu’au cas par cas. Les étrangers en situation irrégulière sur le territoire national ont vocation à rejoindre leur pays d’origine, de préférence en y retournant volontairement, à défaut par exécution d’une mesure d’éloignement forcé. Ces termes sont ceux du pacte européen sur l’immigration et l’asile adopté par les vingt-sept États membres de l’Union européenne, toutes tendances politiques confondues, je le répète.
Oui, la frontière, même si son contrôle est repoussé aux limites de l’espace Schengen, conserve toute sa valeur. Elle reste le cadre à l’intérieur duquel les citoyens se sont organisés pour vivre ensemble, respecter les mêmes règles, accepter les mêmes devoirs, bénéficier des mêmes droits. La frontière doit être franchissable, mais il y faut des règles.
Non, abolir les frontières, ce n’est pas s’ouvrir au monde. C’est, au contraire, ouvrir le pays à toutes les peurs et à tous les replis. Dans un pays soumis à la crise économique mondiale, où le taux de chômage des étrangers non communautaires dépasse 23 %, et qui continue, malgré cela, de soutenir, par la solidarité nationale, un niveau élevé de protection sociale, les propositions conduisant à admettre sans limite de nombreux demandeurs d’emploi sur le territoire n’ont, en vérité, que l’apparence de la générosité.
Oui, comme dans beaucoup d’autres grandes démocraties, la politique française d’immigration et d’intégration est assortie d’objectifs chiffrés, non seulement pour les reconduites à la frontière d’immigrés en situation irrégulière – l’objectif, pour 2009, est de 27 000 éloignements, volontaires ou forcés –, mais aussi pour le nombre de filières clandestines démantelées – un doublement est visé en 2009, soit 240 filières –, pour le nombre de passeurs et de trafiquants d’être humains interpellés – 5 000 cette année, et je reviendrai ultérieurement sur le concept d’ « aidant » –, pour le nombre d’opérations conjointes de contrôles avec l’inspection du travail – 1 500 en 2009 : nous allons lutter avec plus de fermeté contre le travail illégal –, pour le nombre de demandes d’asile déposées et acceptées, qui doit rester le plus élevé en Europe, pour le nombre de naturalisations – 100 000 par an –, qui doit demeurer lui aussi, en pourcentage de la population, le plus élevé d’Europe, la France étant le pays le plus généreux en matière d’accès à la nationalité : 100 000 personnes naturalisées par an, ce n’est pas rien, et le délai de présence continue sur le territoire requis pour pouvoir prétendre accéder à la nationalité française, fixé à cinq années, est le plus court en Europe. J’ajoute, sur ce point, que le Gouvernement entend diviser par deux le délai de la procédure de naturalisation, pour le faire passer de vingt mois à dix mois.
S’agissant toujours des objectifs chiffrés, aux termes de ma lettre de mission, le nombre d’étudiants étrangers accueillis devra s’élever à 50 000 en 2009 et le pourcentage de diplômes initiaux de langue française obtenus par les primo-arrivants devra atteindre 90 %, tandis que celui des bilans de compétence effectués dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration devra s’élever à 80 % avant la fin de l’année. Enfin, le nombre d’entreprises et d’administrations labellisées pour leurs pratiques exemplaires en matière de diversité dans le recrutement et la gestion des ressources humaines doit être de 100 au moins avant la fin de 2009. Quant au nombre des principaux pays sources de l’immigration avec lesquels la France aura conclu des accords de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire, il doit passer à 20 avant 2012, contre 8 aujourd’hui.
Certains, se focalisant exclusivement sur les mesures d’éloignement forcé, que nous assumons d’ailleurs, nous accusent de mener une politique du chiffre. Ils oublient toutes les autres données – je viens de les rappeler – qui montrent que la France reste fidèle à cette tradition républicaine d’accueil et d’intégration qui l’honore. Ils travestissent, à mon sens, la réalité d’une France ouverte et généreuse, cherchant à ternir l’image de la République et à caricaturer notre politique, en la réduisant à son volet le moins agréable tout en passant sous silence les politiques d’accueil et d’intégration qui en sont la contrepartie.
Certes, reconduire des étrangers aux frontières ne fait plaisir à personne, pas plus à moi qu’à mon prédécesseur ! La question est de savoir si de telles mesures sont nécessaires ou non, et si une autre politique est possible.
M. Alain Anziani. Oui !
M. Éric Besson, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais rappeler d’autres chiffres : chaque année, 200 000 étrangers entrent légalement sur le territoire de la République française au titre du long séjour et deux millions de titres de court séjour sont accordés ; quelque 100 000 naturalisations, je l’ai déjà souligné, sont prononcées ; en matière de droit d’asile, la France est le pays d’Europe le plus généreux, j’y insiste, c'est-à-dire celui qui accueille le plus grand nombre de réfugiés politiques sur son territoire, se plaçant au troisième rang mondial à ce titre, après les États-Unis et le Canada.
Oui, au sein de cette politique d’immigration et d’intégration, nous devons assumer de reconduire dans leur pays d’origine certains étrangers en situation irrégulière. D'ailleurs, comment envisager de réguler les flux migratoires en abandonnant toute perspective de reconduite ?
Permettez-moi de citer de nouveau Lionel Jospin – ce sera la dernière fois aujourd'hui ! –, alors Premier ministre :
« Dire à ceux qui ne peuvent être régularisés qu’ils doivent repartir dans leur pays, qu’ils ont vocation à être reconduits à leurs frontières, c’est simplement le respect du droit international, et je dirais même du droit des gens.
« C’est très exactement cette politique, qui se complète d’une volonté d’intégration des étrangers en situation régulière qui vivent dans notre pays, que nous avons définie, que vous avez votée et que nous appliquons.
« Je ne connais aucune formation politique représentée sur ces bancs – il s'agissait de ceux de l’Assemblée nationale – qui ait préconisé l’entrée sans règles d’étrangers sur notre territoire et qui ait voulu qu’aucun étranger en situation irrégulière ne puisse être reconduit dans son pays. Peut-on avoir ce débat ? »
Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas la question !
Mme Alima Boumediene-Thiery. La question, c’est le respect des droits des étrangers !
M. Éric Besson, ministre. Ce débat, nous l’avons aujourd'hui, onze ans après les déclarations de Lionel Jospin. Ce sont exactement les mêmes principes et les mêmes valeurs que nous observons actuellement.
Ma conviction est que la France ne peut accueillir indistinctement toutes celles et tous ceux qui souhaitent s’y établir, précisément parce qu’elle doit bien accueillir celles et ceux à qui elle a donné droit de séjour. La lutte contre l’immigration clandestine et l’intégration sont les deux facettes d’une même politique.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais maintenant répondre aux interventions des différents orateurs.
Madame Escoffier, je vous remercie d’avoir été à l’origine de ce débat. Je vous sais également gré du ton de votre intervention : tout en affirmant vos convictions sur un certain nombre de points, vous avez évité la caricature et les effets de tribune.
Je reprends volontiers à mon compte certains des principes que vous avez évoqués.
Oui, traiter dignement les étrangers en situation irrégulière est un devoir qui s’impose à nous ; j’affirme que c’est ce que nous faisons.
Vous m’avez demandé si le film récent auquel vous avez fait référence ne m’avait pas ébranlé dans mes convictions. J’évoquerai le moins possible cette œuvre, dont on a déjà excessivement parlé… Certes, elle est émouvante par certains côtés, mais il s’agit d’une fiction et à ce titre je n’ai pas grand-chose à en dire. Comme dans toute fiction, il faut des bons et des méchants : le bon, en l’occurrence, est un jeune homme qui veut rejoindre sa fiancée au Royaume-Uni ; les méchants, par construction, ce sont les policiers. Bien sûr, dans un film, on peut caricaturer l’action de la police. Le problème est qu’on le présente comme un documentaire, et les multiples invraisemblances et erreurs qu’il comporte comme des vérités. Cela m’a obligé à intervenir pour rétablir les faits. À votre question, madame Escoffier, je répondrai donc, au risque peut-être de forcer le trait à vos yeux, que ce film, loin de m’avoir ébranlé dans mes convictions, a au contraire renforcé celles-ci !
En effet, ce que montre cette œuvre, c’est que l’immigration clandestine est organisée. Le jeune héros a payé très cher pour arriver jusqu’à Calais, comme dans la réalité. C’est d'ailleurs sur le terrain des faits que je souhaite me situer : il en coûte de 10 000 à 12 000 euros pour aller jusqu’à Calais, somme à laquelle s’ajoutent plus de 500 euros pour tenter de passer la Manche.
L’autre réalité que suggère le film, et qui est bien plus dramatique encore que ce qui est montré, ce sont les rixes, les bagarres entre bandes et les partages de territoire au sein de la « jungle ».
Mme Alima Boumediene-Thiery. Quelles solutions proposez-vous ?
M. Éric Besson, ministre. Ce mot de « jungle », ce sont les migrants eux-mêmes qui l’emploient, ainsi que les associations qui leur apportent de l’aide. Dans cette zone prévaut la « loi de la jungle » : l’État de droit n’y est plus respecté, les passeurs y règnent. Au cours des dernières semaines, certains journalistes et photographes, qui ne m’avaient pas semblé particulièrement bienveillants à l’égard de la politique migratoire du Gouvernement, ont voulu se rendre dans cette « jungle ». Ils m’ont confié, en privé, qu’on leur en avait interdit l’entrée : « Ici, c’est Kaboul ! Ici, c’est nous qui faisons la loi ! Vous n’entrerez pas ! »
Mesdames, messieurs les sénateurs, la République française ne peut accepter l’existence d’une telle zone de non-droit ! Les passeurs ne peuvent faire la loi ni à Calais, ni ailleurs sur notre territoire. C’est ce que je suis allé signifier dans cette ville il y a quelques jours, en annonçant le démantèlement de la « jungle » avant la fin de l’année.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas une solution ! On déplace simplement le problème.
M. Éric Besson, ministre. En même temps, j’ai proposé six mesures humanitaires, après une concertation étroite avec les associations concernées. J’ai d'ailleurs apprécié que plusieurs de ces dernières, tout en critiquant la décision de démantèlement des campements, aient eu le courage et l’honnêteté de saluer des « avancées » en matière humanitaire.
Madame Escoffier, je vous remercie aussi d’avoir souligné que la création du ministère dont j’ai aujourd'hui la charge avait abouti à clarifier les compétences en la matière et à rendre plus cohérent leur exercice.
Oui, il fallait, à l’instar de ce qu’ont fait de nombreux pays européens, regrouper dans une même administration des fonctions essentielles jusque-là éclatées entre les ministères de l’intérieur, des affaires sociales et des affaires étrangères, afin d’améliorer la cohérence de notre politique migratoire. Ainsi, nous serons plus efficaces pour répondre aux problèmes qui se posent à nous.
C’est ce que j’ai voulu faire également pour la politique de naturalisation, que vous n’avez pas évoquée, madame la sénatrice, mais dont je dirai néanmoins quelques mots.
J’ai voulu déconcentrer dans les préfectures non pas les décisions de naturalisation, mais seulement l’instruction des dossiers, dont j’ai souhaité en outre qu’elle ne soit pas double, pour éviter toute dépense inutile.
La sous-direction de l’accès à la nationalité française, qui est implantée à Rezé, près de Nantes, continuera d’assurer la cohérence des décisions prises en matière de naturalisation, l’administration de mon ministère et moi-même se prononçant en dernier ressort. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que je serai particulièrement vigilant sur ce point.
Madame Escoffier, il s’agit non pas de venir à bout de l’immigration, mais de la maîtriser. En effet, pourquoi voudrions-nous réguler la mondialisation dans tous ses aspects, sauf celui-là ? La migration est l’une des facettes de la mondialisation ! Je ne la présente pas comme un danger ; c’est aussi une chance, mais, dans ce domaine également, une régulation est nécessaire, j’en suis absolument convaincu. Dans cette perspective, les procédures en vigueur seront non pas compliquées, mais au contraire simplifiées.
Monsieur Buffet, vous avez souligné à juste titre que la sécurisation des documents d’entrée sur notre territoire, notamment le passeport et les visas biométriques, constituait l’une des clefs de la libéralisation de l’admission. D'ailleurs, ce ne sont pas simplement les pays du « Nord » ou les États européens qui l’affirment : les pays d’émigration, qui sont de plus en plus souvent, en même temps, des terres d’immigration, sont confrontés aux mêmes questions. Par exemple, les responsables des États d’Afrique de l’Ouest nous expliquent qu’ils veulent sécuriser leurs documents d’entrée pour faciliter leurs relations et les flux migratoires au sein de leur zone.
En ce qui concerne l’immigration choisie, elle doit être liée d'abord à notre capacité d’accueil. Je le répète, la maîtrise de la langue et, surtout, la possibilité de trouver un emploi et un logement sont les conditions incontournables de l’accès à notre territoire et de l’intégration.
Madame Escoffier, comme vous l’avez souligné, nous ne mettrons pas fin à ce que vous avez qualifié, en usant d’un mot qui m’est familier et cher, de « noria de l’immigration clandestine ».
Permettez-moi toutefois de citer, sans aucune malice car je partage vos convictions, un rapport que vous avez rédigé sur ce sujet alors que vous n’étiez pas encore parlementaire et que vous exerciez les fonctions d’inspectrice générale de l’administration.
Je n’évoquerai pas toutes les pistes de réflexion que vous traciez alors, mais seulement celle-ci, qui concerne la lutte contre les entrées illégales : « En donnant un signal fort aux filières et aux candidats à l’immigration régulière, la libre circulation des personnes n’est pas synonyme d’une ouverture incontrôlée du territoire national aux flux migratoires illégaux. »
Par ailleurs, en matière de laissez-passer consulaires, autrement dit de possibilité de reconduire les étrangers dans leur pays d’origine, vous souligniez le nécessaire affichage d’ « une volonté politique extrêmement ferme ». Je le répète, ne voyez pas malice à mes propos, mais c’est très exactement ce que nous cherchons à faire ! Je souscris tout à fait à vos propositions de l’époque.
Vous avez évoqué les parents qui sont interpellés alors qu’ils viennent chercher leurs enfants à la sortie de l’école. Soyons clairs : de tels cas ont pu se produire par le passé, une ou deux affaires ayant défrayé la chronique, mais ils ne sont plus possibles aujourd’hui. Des circulaires très explicites ont été adressées aux préfets et aux services de police pour qu’aucun étranger en situation irrégulière ne soit plus interpellé devant une école, à l’hôpital ou au guichet d’une préfecture.
Mme Christiane Demontès. C’est faux !
Mme Christiane Demontès. Alors, ce n’est vrai que depuis quelques jours seulement !
M. Éric Besson, ministre. Pas du tout : ce n’est pas moi qui ait signé ces circulaires, elles l’ont été par mes prédécesseurs. Je dois reconnaître modestement que je n’y suis pour rien, puisque ces circulaires existaient déjà avant mon entrée en fonctions !
M. Alain Anziani. Alors il faut les appliquer !
M. Éric Besson, ministre. Madame Escoffier, vous avez indiqué ne pas aimer l’expression « sans-papiers », ce qui est aussi mon cas. C'est pourquoi je m’efforce de ne pas l’utiliser, l’expression adéquate étant : « étranger en situation irrégulière ».
S’agissant du prétendu « délit de solidarité », j’aurai l’occasion de revenir plus longuement sur cette question à l’Assemblée nationale, où un texte y afférent sera débattu demain après-midi.
Je rappellerai néanmoins que l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est suivi d’un article L. 622-4, dont il convient également de tenir compte pour avoir une vision objective des choses.
Je voudrais réaffirmer avec force que ce prétendu « délit de solidarité » n’existe pas. Vous vous êtes demandé, madame Escoffier, si une personne qui offrirait une pomme à un enfant, qui rechargerait la batterie du téléphone portable d’un migrant ou qui apporterait un vêtement à quelqu'un qui a froid serait susceptible d’être poursuivie et, a fortiori, condamnée. La réponse est évidemment non, mille fois non, comme je l’ai déjà dit et répété lors de l’émission de radio à laquelle vous avez fait allusion. Je persiste et je signe !
M. Alain Anziani. Sauf qu’il y a eu des condamnations !
M. Éric Besson, ministre. Nous sommes à la veille d’un débat sur ce sujet à l’Assemblée nationale, une proposition de loi « visant à supprimer le délit de solidarité » ayant été déposée. Or voilà près de trois mois que l’on m’annonce très régulièrement que des listes de condamnations de cette nature vont m’être remises. Toutefois, j’observe que les auteurs de ces annonces deviennent plus prudents au fil du temps !
On se contente d’évoquer un « climat » ou une « épée de Damoclès », faute de pouvoir apporter la preuve de quelconques condamnations… On ne parle même plus tellement du fameux « délit de solidarité » ces derniers temps. Si j’ai bien compris, les critiques se focalisent désormais, depuis hier, sur la notion de « délit amoureux ». « Délit de solidarité », « délit amoureux », je préfère m’arrêter là et ne pas imaginer quelles expressions seront inventées dans les prochains jours, car je risquerais de déraper… (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Éliane Assassi. Mais vous dérapez déjà !
M. Charles Gautier. Et depuis longtemps !
M. Éric Besson, ministre. Quoi qu’il en soit, je persiste et signe : il n’y a pas eu une seule condamnation. D’ailleurs, même à la veille de l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi tendant à supprimer ce prétendu délit, personne n’a été capable de me prouver le contraire.
Mme Éliane Assassi. Si vous voulez, nous pouvons vous en apporter les preuves devant l’Assemblée nationale, demain !
M. Éric Besson, ministre. Par ailleurs, et vous l’avez souligné vous-même, madame Escoffier, l’État lui-même appuie les associations d’aide aux étrangers en situation irrégulière, en leur offrant des capacités d’hébergement et l’aide médicale d’État, qui coûte fort cher aux contribuables français. Même si je ne souhaite pas faire un usage excessif de cet argument, nous devons tout de même tenir compte de la réalité : notre générosité a un coût,…
Mme Alima Boumediene-Thiery. Les expulsions aussi !
M. Éric Besson, ministre. … et nous ne devons pas en abuser.
En réalité, ce prétendu « délit de solidarité » est un vieux serpent de mer.
Ainsi, pour préparer mon intervention de demain sur la proposition de loi que je viens de mentionner, je me suis replongé dans le compte rendu des débats de 1998 et j’ai pu constater en effet que M. Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’intérieur, était accusé de vouloir instituer un « délit d’humanité ». (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) À cette époque, le député Noël Mamère menait une véritable fronde parlementaire sur ce thème et demandait à M. Chevènement de modifier l’article L. 622-1, afin de mettre les associations à l’abri.
On parle à présent de « délit de solidarité ». Gageons que d’aucuns évoqueront peut-être dans dix ans un « délit de charité » ou un « délit de compassion »…
Cela étant, même s’il s’agit d’un serpent de mer, cette thématique correspond à une thèse. En effet, selon certaines associations, au demeurant parfaitement respectables – je pense notamment au Groupe d’information et de soutien des immigrés, le GISTI, et au Réseau éducation sans frontières, ou RESF –, il faudrait, acte I, régulariser tous les étrangers en situation irrégulière et, acte II, ouvrir les frontières de l’Europe pour que les règles de libre circulation applicables aux pays de l’espace Schengen deviennent la norme entre les pays du Sud et les pays du Nord.
À mon sens, non seulement c’est utopique, mais cela pourrait même se révéler extrêmement dangereux. Une telle politique minerait le pacte républicain et les fondements de notre protection sociale. Mais il faut au moins reconnaître à ces organisations le mérite de la cohérence intellectuelle.
Pour le reste, et je m’adresse à toutes celles et à tous ceux qui souhaitent une maîtrise de nos flux migratoires, je maintiens que le vieux serpent de mer du « délit d’humanité », rebaptisé « délit de solidarité » pour l’occasion, ne correspond à rien. Personne n’a jamais été capable d’apporter le moindre début de preuve de son existence !
Par ailleurs, madame la sénatrice, je ne vois pas bien le lien entre la politique de lutte contre l’immigration clandestine et les statistiques ethniques. Quoi qu’il en soit, et même si ce n’est pas le sujet du débat d’aujourd'hui, je vous réponds très simplement qu’il n’y aura pas de statistiques ethniques en France.
Comme le Président de la République l’a clairement indiqué lors de son discours devant l’école Polytechnique à Palaiseau, nous respectons les principes républicains que vous avez bien voulu rappeler et, en même temps, nous souhaitons nous doter d’un certain nombre d’outils de mesure de la diversité. C’est pourquoi M. Yazid Sabeg rendra prochainement ses conclusions sur le sujet et formulera des propositions. Il a notamment réuni une commission d’experts chargée d’examiner comment garantir le respect fondamental de ces principes tout en répondant à notre volonté de valoriser la diversité de la société française et d’en mesurer l’évolution.
Vous avez qualifié nos centres de rétention administrative d’« indignes ». Il faut faire très attention aux mots que l’on emploie. Sur les vingt-six CRA que compte la France métropolitaine, vingt-quatre n’ont absolument rien à se reprocher en termes de conditions d’hygiène, de salubrité ou de qualité d’accueil.
Mme Alima Boumediene-Thiery. De « qualité d’accueil » ? Vous pensez parler d’un hôtel trois étoiles ?
M. Éric Besson, ministre. Il est vrai qu’il y en a deux où des investissements s’imposent incontestablement.
Mais faisons un peu de comparaisons européennes.
Nous sommes le pays d’Europe où les délais de rétention dans de tels centres, c'est-à-dire trente-deux jours, sont les plus courts. D’autres pays, qui n’en sont pas moins tout à fait démocratiques, ont opté pour des durées de trois, six, douze ou vingt-quatre mois, voire pour des rétentions illimitées. Quant aux pays qui ne disposent pas de centres de rétention administrative comparables aux nôtres, ils placent les étrangers en situation irrégulière en prison, parfois dans des cellules simplement aménagées.
Honnêtement, madame la sénatrice, je pense que la France n’a pas à rougir de ses CRA.
Enfin, madame Escoffier, j’ai mal saisi le sens de votre « chute », inspirée d’une célèbre citation de Winston Churchill. Si je me souviens bien, selon l’homme d’État britannique, pour ceux qui avaient préféré le déshonneur à la guerre, c’était, au fond, « la peste et le choléra », c'est-à-dire le déshonneur et la guerre ! Dans votre propos final – mais j’imagine que ce n’est pas ce que vous souhaitiez suggérer – vous semblez mettre en parallèle l’immigration et la guerre. Or l’immigration, ce n’est pas la guerre, ce n’est pas un mal. Il me paraît donc peu opportun de procéder à des extrapolations à partir d’une telle citation !
Cela étant, ainsi que je l’ai déjà souligné, au-delà des divergences que nous pouvons avoir, j’ai trouvé votre intervention extrêmement intéressante, constructive et nuancée, madame la sénatrice.
Je souhaite à présent répondre à M. Anziani.
Monsieur le sénateur, j’ai des points d'accord avec certains des propos que vous avez tenus, notamment dans votre introduction.
Vous avez raison, l’immigration est – hélas! – rarement heureuse. Je n’ignore pas la situation des femmes et des hommes qui souhaitent venir sur notre territoire ou en Europe, souvent parce qu’ils ont des raisons de fuir leur pays ou parce qu’ils recherchent une vie meilleure pour eux-mêmes ou pour leur famille.
Je ne crois pas qu’il faille s’offusquer de l’expression « immigration choisie ». D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une invention du candidat, devenu Président de la République, Nicolas Sarkozy ; elle est utilisée dans la plupart des pays européens. Ainsi, nos voisins britanniques parlent de « targeted immigration », c'est-à-dire d’immigration ciblée, et les Espagnols d’« inmigración selectionada», c'est-à-dire d’immigration sélectionnée. Et tous les États européens ont recours à des expressions similaires. Cela signifie tout simplement que ces pays souhaitent choisir les migrants venant sur leur territoire pour être capables de les accueillir dignement.
La formule n’a donc rien de choquant.
Mme Éliane Assassi. Non ! À peine !
M. Éric Besson, ministre. Monsieur le sénateur, je souscris également à vos propos lorsque vous plaidez pour une sévérité accrue à l’égard des filières.
En revanche, je suis évidemment en désaccord avec vous lorsque vous évoquez la circulaire que j’ai présentée en application d’une directive européenne déjà retranscrite dans le droit interne de la plupart des pays européens. En l’occurrence, il s’agit non pas de satisfaire une lubie personnelle, mais bien de faire entrer en application une directive européenne que nous n’avions pas encore traduite dans notre droit.
D’ailleurs, celle-ci ne vise ni l’immigration clandestine traditionnelle ni même le travail illégal classique. Elle concerne un certain nombre de cas relevant de l’esclavagisme. On pense, par exemple, à ces femmes et à ces hommes cloîtrés qui ne peuvent pas voir le jour et qui sont exploités ou, pire encore, à ces jeunes filles qui, travaillant dans la domesticité clandestine, sont abusées sexuellement. La situation de ces personnes est telle qu’elles n’ont pas accès à l’information et que nombre d’entre elles ne pourront – hélas ! – pas bénéficier du dispositif mis en place par la circulaire que j’ai signée.
Par conséquent, autant le procès d’intention est insupportable, autant les interrogations sur l’efficacité d’une telle mesure pour les personnes auxquelles elle est destinée sont légitimes. Pour l’instant, il y a effectivement peu de bénéficiaires, mais le fait de pouvoir déjà sauver quelques personnes suffit à mon bonheur. Comme vous le savez, la politique est un art du relatif, et non de l’absolu.
Avant cette circulaire, si les femmes et les hommes concernés dénonçaient les passeurs ou les exploiteurs auprès des services de police ou de gendarmerie, ils pouvaient légitiment craindre d’être interpellés et reconduits à la frontière. Grâce à la circulaire, ils bénéficieront automatiquement d’un titre de séjour de six mois et d’un régime de protection sociale, qui leur seront accordés par les préfets.
J’accepte donc que l’on s’interroge sur l’efficacité d’un tel dispositif pour lutter contre l’immigration clandestine, dans la mesure où il y aura vraisemblablement peu de bénéficiaires. En revanche, il est inadmissible d’assimiler à de la « délation » la dénonciation par une victime de ses bourreaux. Je vous remercie d’ailleurs de n’avoir pas employé le terme, monsieur le sénateur, mais d’autres que vous l’ont fait. Il y aurait « délation » seulement si des personnes en situation irrégulière en dénonçaient d’autres pour obtenir des papiers !
M. Alain Anziani. Mais que fait-on contre les risques de représailles ?
M. Éric Besson, ministre. Vous avez raison de soulever le problème, monsieur le sénateur.
Nous ne pouvons évidemment pas envoyer l’armée française dans les pays d’origine pour protéger les familles des personnes qui pourraient craindre des représailles, mais nous donnons aux victimes la possibilité de témoigner sous X.
En d’autres termes, afin d’éviter qu’elles ne soient menacées, les personnes coopérant avec la police ou avec la justice pour dénoncer les passeurs et les exploiteurs pourront témoigner anonymement. Il s’agit d’une simple possibilité, et non d’une obligation. La semaine dernière, à Calais, un étranger en situation irrégulière a dénoncé son passeur et a tenu à le faire sans dissimuler son identité.
Vous disiez que le respect des droits de l’homme devrait être au cœur de la politique. Mais c’est le cas ! Contrairement à ce que vous avez insinué, nous ne voulons pas que les étrangers soient considérés comme des coupables. On n’est pas coupable parce que l’on est étranger. Mais reconnaissez aussi que ce n’est pas la même chose d’être en situation régulière ou en situation irrégulière ! C’est toute la différence. Ce n’est que cela, mais c’est tout cela.
Vous avez évoqué la « politique du chiffre ». En réalité, compte tenu de tout ce que je viens d’évoquer, il vaudrait mieux parler de « politique des chiffres », c'est-à-dire, d’abord et avant tout, les chiffre des reconduites à la frontière.
Nous sommes dans un monde ouvert, où l’information circule. Par conséquent, lorsque la France dit qu’elle reconduit à la frontière un certain nombre de personnes en situation irrégulière, elle adresse un signal très fort aux éventuels candidats à l’immigration clandestine.
Et ce ne sont pas des mots ou des vœux pieux. Dans tous les pays d’émigration, des associations ou des parents d’éventuels migrants se fondent sur nos chiffres de reconduites à la frontière et font de l’action pédagogique auprès de leurs enfants ou de leurs proches afin de les dissuader de traverser les mers et de risquer leur vie pour gagner un pays qui ne les accueillera pas.
Plus important encore, le message est également reçu par les passeurs. Car autant nous nous contentons de reconduire à la frontière les personnes en situation irrégulière, autant nous menons une véritable guerre contre les exploiteurs, les passeurs et les filières criminelles de l’immigration clandestine. Or, quand on est en guerre, il faut bien adresser des signaux clairs, et les chiffres que vous évoquez en font partie.
Par ailleurs, la fermeture de Sangatte était, me semble-t-il, une décision nécessaire, dont les effets en termes de diminution du nombre d’étrangers en situation irrégulière ont été pendant longtemps extrêmement favorables.
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est faux ! Cela n’a rien réglé !
M. Éric Besson, ministre. Malheureusement, depuis six mois, la courbe a remonté et les passeurs ont repris leur triste commerce. À cet égard, j’ai entendu beaucoup de constats, mais peu de propositions.
D’ailleurs, monsieur le sénateur, si votre intervention, sur laquelle j’avais des points d'accord et de désaccord, était intéressante, je n’ai pas entendu dans votre bouche l’expression d’une politique migratoire susceptible de se substituer à celle qui est menée par le Gouvernement.
M. Alain Anziani. En cinq minutes, c’était difficile !
M. Éric Besson, ministre. Je vous le concède. Je souhaitais même ajouter que vous n’en aviez peut-être pas eu le temps, mais je craignais que vous ne vous mépreniez sur le sens de mon propos, en y percevant à tort de l’ironie. Toutefois, compte tenu de votre observation, je reconnais que vous avez effectivement manqué de temps…
Madame Assassi, votre intervention était modérément nuancée, si vous me permettez la formule. Si j’ai bien compris votre introduction, selon vous, c’est la loi qui, parce qu’elle est modifiée en permanence, crée des hors-la-loi. Vous opérez là un curieux retournement du principe : il revient à un État de droit, souverain, de dire qui peut entrer et séjourner sur son territoire et qui ne le peut pas, et ceux qui ne respectent pas les règles ainsi définies se mettent hors la loi.
Mme Éliane Assassi. Vous faites semblant de ne pas comprendre !
M. Éric Besson, ministre. Vous nous avez reproché de nous servir de l’espace où se trouvent les migrants à Calais comme d’un affreux épouvantail. Pourtant, d’autres intervenants ont estimé, à juste titre, que nous devions cesser de nous autoflageller à ce sujet.
Pourquoi une telle situation s’est-elle développée à Calais ?
Tout d’abord, un certain nombre de ressortissants de pays en proie à des guerres intestines, à des guerres civiles, anglophones et anglophiles, veulent à tout prix gagner le Royaume-Uni et ne souhaitent pas rester en France, considérant notre pays uniquement comme une zone de transit.
Ensuite, les personnes rassemblées dans cette « jungle » de Calais pourraient être hébergées par l’État français, comme elles le sont parfois dans la zone du port, si toutefois elles acceptaient d’être déplacées dans des lieux d’hébergement où elles seraient accueillies plus dignement. Mais elles refusent, parce qu’elles veulent dormir à proximité du port à partir duquel elles espèrent entrer clandestinement au Royaume-Uni. Or la loi française ne peut obliger quelqu’un à aller dormir là où il ne veut pas aller. D’où ces images épouvantables, certes, mais à propos desquelles rien ne sert de nous autoflageller.
J’ai été surpris par ce que vous avez dit sur les fonctionnaires, que vous soupçonnez – peut-être est-ce plus qu’un soupçon, une accusation - de participer à une chasse aux étrangers. Je préfère vous laisser la responsabilité de ces propos.
Mme Éliane Assassi. Cela fait plusieurs fois que je le dis ! Je l’assume !
M. Éric Besson, ministre. En revanche, je vous remercie d’avoir évoqué la nécessité de lutter contre le travail illégal, lequel, je le redis, sape les fondements de notre protection sociale, surtout dans un pays qui prétend concilier compétitivité et haut niveau de protection sociale.
M. Jean-Luc Fichet. C’est clair !
M. Éric Besson, ministre. Je vous remercie également d’avoir dénoncé clairement les marchands de sommeil. J’indique au passage à Mme Boumediene-Thiery que ce sont ces trafiquants, ces marchands de sommeil, ces personnes qui font travailler les étrangers en situation irrégulière, qui sont les « aidants » mentionnés dans le texte qu’elle a cité, c'est-à-dire un document de police dépourvu de force juridique, mais qui a été évoqué lors du débat budgétaire.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il n’est pas appliqué !
M. Éric Besson, ministre. Le terme « aidants » me paraissant maladroit, j’ai souhaité que l’on parle désormais de trafiquants ou de personnes qui facilitent ce trafic. Reste que, au-delà de ce problème de terminologie, ce sont bien ceux-là qui sont visés dans les tableaux.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cela permet d’autres interprétations !
M. Éric Besson, ministre. Je ne reviens pas sur le « délit de solidarité », au sujet duquel je me suis déjà exprimé.
Vous vous étonnez, madame Assassi, de même que Mme Boumediene-Thiery, que je puisse mettre en doute la parole des associations. Permettez-moi de vous répondre par un argument d’autorité : comment pouvez-vous mettre en doute la parole de l’État, de la police, de la justice, des fonctionnaires ? Nous sommes dans une démocratie ! Alors, oui, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai le droit, moi, de m’interroger sur les propos d’un certain nombre d’associations.
Je vais même plus loin : je viens de publier un communiqué par lequel je démontre que la liste des trente-deux supposées condamnations au titre du supposé « délit de solidarité » présentée par le GISTI est, en fait, une très lourde et très grave erreur, ainsi que j’ai pu le constater après une dizaine de jours de vérifications, parce que je préfère ne m’exprimer qu’à partir d’arguments solides et non de on-dit.
La preuve, qui est consultable dès à présent sur le site du ministère de l’immigration, est cruelle pour le GISTI. Je ne m’étendrai pas, afin que vous ne me soupçonniez pas de le faire intentionnellement, ce qui me blesserait profondément. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Vous avez évoqué, ce qui m’a choqué au moins autant, le chantage sur les pays d’immigration qui aurait permis les huit accords bilatéraux signés par mon prédécesseur.
Lors de la visite que je viens d’effectuer dans plusieurs pays africains, notamment au Sénégal, au Cap-Vert, en Tunisie, les dirigeants, chefs d’État ou ministres concernés que j’ai pu rencontrer m’ont demandé – entendez-moi bien – de tout faire pour renforcer la lutte contre l’immigration clandestine parce qu’ils s’en estiment les premières et principales victimes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. Vous parlez de liberté en Tunisie, monsieur le ministre ? Vous ne pouvez pas dire de telles choses !
M. Éric Besson, ministre. Madame, je ne vous ai pas interrompue, tout à l’heure, et Dieu sait – Dieu laïc, s’entend –que la tentation a été grande à plusieurs reprises ! Souffrez donc que j’aille au terme de ma réponse.
Mieux encore, considérant que nos accords bilatéraux sont exemplaires, ces pays ont demandé que l’Assemblée nationale française les ratifie au plus vite – le Sénat l’a déjà fait – de façon qu’ils puissent s’en prévaloir auprès des autres États européens pour en signer de similaires avec eux.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’organisation d’un nouvel esclavagisme !
M. Éric Besson, ministre. Vous le voyez, nous sommes loin, très loin du chantage. Ce sont des pays souverains, aux dirigeants intelligents et responsables, qui assument les intérêts de leur pays et considèrent que ce sont des accords que l’on qualifierait aujourd’hui de « gagnants-gagnants ».
Vous vous inquiétez du « pillage » des cerveaux et des ressources humaines de ces pays. Nous sommes sensibles à votre préoccupation. C’est la raison pour laquelle nous voulons promouvoir une immigration de circulation.
À cet égard, la carte de séjour « compétences et talents » mise en place par mon prédécesseur, et que je compte développer autant que possible, permet à un étranger de demeurer en France pendant une durée de trois ans renouvelable, d’y acquérir une formation ou une expérience complémentaires, étant entendu, dès le départ, qu’il a vocation à retourner dans son pays d’origine pour faire profiter ses compatriotes des compétences et des talents qu’il aura pu développer.
Vous avez conclu en disant que cette politique était coûteuse, inefficace, dangereuse.
Je m’attendais à une proposition de votre part, la définition d’une politique migratoire alternative, d’autant que vous aviez dit, et j’avais été par l’odeur alléché (Sourires sur les travées de l’UMP.), qu’il n’était pas question pour vous de ne rien faire.
Mme Éliane Assassi. Le partenariat, la coopération, le codéveloppement, ces mots ont un sens !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Les régularisations !
M. Éric Besson, ministre. Malheureusement, comme pour votre collègue M. Anziani, le temps vous a sans doute manqué pour formuler une proposition, mais j’espère qu’une autre occasion se présentera. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
En revanche, vous avez parlé de populisme et, là, je n’ironiserai plus.
Puis-je vous faire remarquer, madame la sénatrice, que la France est actuellement l’un des rares pays d’Europe, pour ne pas dire le seul – mais soyons généreux – à ne pas connaître de montée de la xénophobie ?
Non, mesdames, messieurs les sénateurs, il ne se développe pas de mouvements xénophobes en France, ni de stigmatisation des travailleurs étrangers, en situation régulière ou irrégulière.
Vous trouverez toutes les raisons de la terre à cela. Moi, j’y vois une explication majeure : le peuple, dans le sens le plus noble et le plus profond du terme, adhère à notre politique migratoire, faite de fermeté et d’humanité, et c’est bien parce que nous concilions les deux qu’il n’existe pas de poussée xénophobe dans notre pays. (Mme Éliane Assassi proteste.)
Je salue maintenant la qualité de l’intervention de François-Noël Buffet, riche de précision, de pondération et d’humanisme.
Je veux vous remercier, monsieur le sénateur, d’avoir rappelé quelques éléments fondamentaux, en particulier que le respect de la règle devait être concilié avec la prise en compte de ce que vous avez appelé, à juste titre, le « facteur humain ».
Je le disais à l’instant : fermeté et humanité sont les deux piliers de notre politique migratoire et nous ne transigerons ni avec l’un ni avec l’autre.
Vous avez également très justement souligné, et je vous en remercie, que la lutte contre l’immigration clandestine ne constituait qu’un élément d’une politique globale. J’assume cet élément, mais il faut le replacer, en effet, dans un cadre plus général. La France et l’Europe ont mis fin au mythe de l’« immigration zéro », ne l’oublions jamais. Le Pacte européen sur l’immigration et l’asile adopté par le Conseil européen vise l’immigration légale assumée, ce qui implique la lutte contre l’immigration illégale et la promotion du développement solidaire, c’est-à-dire la création d’emplois, d’activités dans les pays d’émigration.
Je vous sais également gré d’avoir mis l’accent sur le fléau que constituent la professionnalisation, la criminalisation des filières de l’immigration clandestine. Dans les décennies à venir, nous aurons à lutter tous ensemble, les cinq continents confondus – les Latino-Américains, les Africains et les Asiatiques nous le disent avec force – contre la criminalisation croissante de ces filières et leur fusion progressive, et quasi inexorable à l’heure actuelle, avec d’autres réseaux d’activités criminelles, notamment le proxénétisme, le trafic de drogues, le prélèvement forcé d’organes.
C’est un fléau majeur dont il nous faut prendre la mesure dans nos politiques et sur lequel nous devons alerter les populations.
Oui, le signal de fermeté doit être donné en permanence. Je l’ai dit, dans un monde ouvert, globalisé, où règnent les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les informations circulent vite, d’où l’importance de ce signal.
Je vous remercie enfin d’avoir rappelé que l’État apporte sa contribution en consacrant 20 millions d’euros en faveur des associations qui aident les étrangers en situation irrégulière, notamment pour l’hébergement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne sommes pas schizophrènes ! Comment pourrions-nous apporter une aide matérielle et physique aux étrangers en situation irrégulière, une contribution financière aux associations qui les soutiennent, et, en même temps, les pourchasser ? On peut nous faire tous les procès, mais pas celui de la schizophrénie !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Eh si !
M. Éric Besson, ministre. Vous avez évoqué un certain nombre de points qui figurent dans la lettre de mission que le Président de la République et le Premier ministre viennent de m’adresser.
La rénovation de l’outil statistique global est, en effet, indispensable, et je compte m’y atteler avec mes services.
Je ne reviens pas sur la nécessité d’accroître la lutte contre le travail illégal. Nous allons faire procéder à un nombre accru de contrôles pour lesquels nous disposons désormais de tous les outils légaux nécessaires. À cet égard, vous avez insisté sur l’importance d’une volonté politique. Celle-ci est grande et forte, car, je le répète, le travail illégal sape les fondements mêmes de notre cohésion sociale et de notre pacte républicain.
Je vous suis reconnaissant d’avoir noté que les leçons ont été tirées des politiques dites de « régularisation massive ». La France, l’Espagne et d’autres pays ont admis l’échec de ces politiques qui engendraient systématiquement une grande poussée de l’immigration illégale.
C’est le drame que nous vivons.
Si l’on pouvait, d’un coup de baguette magique, régulariser pour solde de tout compte sans générer aucun flux, la question se poserait différemment. Mais telle n’est pas la réalité : les régularisations globales conduisent inéluctablement à une recrudescence de l’immigration clandestine.
Je vous remercie des propos que vous avez tenus concernant la circulaire que j’évoquais voilà un instant. En effet, ma préoccupation en la matière a été de protéger d’abord la victime.
Vous avez affirmé la nécessité de renforcer la lutte contre toute la chaîne de l’immigration clandestine. Nous nous y attelons.
En amont, c’est le rôle de l’Agence européenne aux frontières extérieures, ou FRONTEX. Il s’agit d’établir une coopération notamment avec la Libye et un certain nombre d’États qui peuvent être des pays de transit ou de rebond.
Par ailleurs, dans le cadre de l’espace ouvert de Schengen, auquel nous appartenons, nous allons développer les coopérations policières, y compris dans la police ferroviaire.
Aujourd'hui même, en fin de matinée, j’ai signé avec mon homologue allemand un accord de coopération pour assurer le contrôle devenu indispensable notamment dans les trains à grande vitesse.
Je salue l’approche constructive, pondérée et équilibrée de M. Mézard, son sens de la responsabilité et son humanisme.
Je lui suis reconnaissant d’avoir dit que l’immigration irrégulière constituait un obstacle à l’intégration et pouvait remettre en cause notre modèle social.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il aura une bonne note !
M. Éric Besson, ministre. Nous avons quelques divergences au sujet du droit d’asile, dont je réaffirme qu’il est strictement préservé.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, il ne s’agit plus là d’un simple sentiment. Le fait que la France soit le pays le plus généreux en matière de droit d’asile devrait nous permettre de clore le débat sur la volonté de notre pays d’accueillir les réfugiés politiques.
Je suis d’accord avec M. Mézard sur la clarification nécessaire des compétences. J’aurais été beaucoup plus sévère que lui sur les centres de rétention « sauvages » qu’il a évoqués. Je lui aurais également parlé de l’appel d’offres. Mais je n’abuserai pas de son absence, et il prendra connaissance de mes propos dans le Journal officiel.
Par ailleurs, M. Mézard a affirmé que nous gonflions les chiffres des reconduites à la frontière. Nous ne gonflons rien du tout ! Les chiffres cités sont les bons. Mon prédécesseur a mis clairement les statistiques sur la table : il y a eu, l’année dernière, 30 000 reconduites à la frontière, dont 20 000 reconduites forcées et 10 000 retours volontaires. Personne ne prétend esquiver cette réalité ou la travestir.
En ce qui concerne l’immigration de travail, j’invite M. Mézard à bien lire la lettre de mission qui vient de m’être adressée par le Président de la République et le Premier ministre. Il n’est plus fait référence au taux de 50 %. Sans remettre en cause le droit au regroupement familial, le Président de la République prend acte du fait que la crise économique que nous vivons rend plus difficile le respect mécanique de cet objectif.
J’en viens à l’intervention de Mme Boumediene-Thiery. Comme Mme Assassi, je l’ai trouvée très modérément nuancée, voire encore moins modérément nuancée ! (Sourires.)
Vous avez affirmé, madame la sénatrice, que nous voulions « casser la chaîne de solidarité ». Comment serait-ce possible puisque, au contraire, nous l’organisons ?
Ce sont les préfets qui, dans chaque département, ont la charge de mettre en œuvre cette chaîne de solidarité, en discussion permanente avec les associations humanitaires. L’État, c'est-à-dire vous, moi, tous nos concitoyens, finance l’hébergement, …
Mme Alima Boumediene-Thiery. Dans des centres de rétention !
M. Éric Besson, ministre. … finance cette chaîne.
Les six mesures que j’ai annoncées à Calais la semaine dernière reprennent, pour l’essentiel, les propositions que m’ont faites les associations lors de ma première visite, il y a près de trois mois.
Un des piliers de leurs revendications était la création d’une permanence pour le recueil des demandes d’asile à Calais et non plus à Arras, ville qui se trouve éloignée d’une centaine de kilomètres.
La semaine prochaine, le 4 mai, cette permanence ouvrira ses portes deux jours par semaine afin de permettre aux étrangers en situation irrégulière qui le souhaitent, aidés par les associations qui les accompagnent, de déposer leur demande d’asile.
Non seulement nous ne voulons pas casser cette chaîne de solidarité, madame le sénateur, mais nous essayons de l’organiser, de la canaliser, d’accompagner les personnes.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je n’ai rien compris à votre politique, alors !
M. Éric Besson, ministre. Vous avez évoqué deux cas à mon goût excessivement médiatisés. Dans l’État de droit qui est le nôtre et dont nous devons être les garants scrupuleux, vous, en tant que législateur, moi, en tant que ministre, il ne nous est malheureusement pas possible de parler des procédures en cours, même si cela me démange de vous répondre sur le fond de ces deux affaires !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cela prouve au moins qu’elles existent !
M. Éric Besson, ministre. En ce qui concerne le but lucratif, Jean-Pierre Chevènement, à l’époque ministre de l’intérieur, avait balayé avec courtoisie, mais détermination, la thèse de Noël Mamère sur le « délit d’humanité », en lui reprochant une proposition aussi inefficace que dangereuse.
Il faut savoir en effet que la France a, en matière de liberté associative, la législation la plus libérale et la plus favorable d’Europe.
Mme Alima Boumediene-Thiery. La loi de 1901 !
M. Éric Besson, ministre. Dans la mesure où deux personnes suffisent pour créer une association loi 1901, qu’est-ce qui empêcherait, madame la sénatrice, quelques passeurs de créer une association de ce type afin de s’en prévaloir pour en quelque sorte se « sanctuariser » ? (Mme Alima Boumediene-Thiery proteste.)
En 1998, un certain nombre de députés ont cru contourner l’immense difficulté que je viens de souligner en proposant de créer une espèce d’agrément d’État pour, en quelque sorte, protéger les « bonnes » associations aidant vraiment les étrangers en situation irrégulière, qui auraient ainsi été distinguées des « mauvaises ».
Le Conseil constitutionnel a censuré en 1998 un amendement en ce sens qui avait été porté par un certain nombre de députés de gauche. Je m’inscris, là encore, dans la lignée de Jean-Pierre Chevènement. J’espère que ce n’est pas pour vous un épouvantail ! (Sourires.)
Quant aux « aidants », j’ai eu l’occasion de vous le dire, le terme est maladroit ; il sera supprimé. Néanmoins, si l’expression est maladroite, …
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il faut le dire !
M. Éric Besson, ministre. … l’objectif, lui, a toute sa pertinence.
Par ce terme, certes, maladroit d’« aidants », sont visés les trafiquants, les délinquants, les « facilitateurs ». Quiconque s’est penché sur le tableau transmis par la police à l’Assemblée nationale et au Sénat sait de quoi nous parlons. Nous allons rayer le terme « aidants », …
Mme Alima Boumediene-Thiery. Notre débat aura au moins servi à ça !
M. Éric Besson, ministre. … mais nous allons accentuer la lutte contre les trafiquants et contre les filières de l’immigration clandestine.
Concernant l’appel d’offres, je serai très sobre. Une association a décidé d’exercer un recours devant le tribunal administratif sur un appel d’offres qui avait été lancé par mon prédécesseur – je ne précise pas ce point pour me dédouaner, mais pour rappeler les faits.
L’association à laquelle vous avez fait référence, madame la sénatrice, a obtenu trois lots sur huit. Les cinq autres associations ont eu chacune un lot. La principale association n’a pas été maltraitée, loin s’en faut.
Par ailleurs, la mission de coordination que vous appelez de vos vœux va être instaurée. Quatre associations ont déjà décidé de travailler en commun sur ce sujet.
Vous affirmez qu’un certain nombre de condamnations ont été prononcées.
Mme Alima Boumediene-Thiery. J’ai ici quelques documents qui l’attestent !
M. Éric Besson, ministre. Je me suis permis, quand vous êtes descendue de la tribune, de vous demander d’où vous tiriez ces informations. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait du GISTI.
Je vous suggère de lire la mise au point que je viens de faire et les conclusions auxquelles nous sommes parvenus après examen des prétendues condamnations. Je suis certain, madame la sénatrice, que c’est la dernière fois que vous utilisez des données du GISTI pour alimenter le débat dans une enceinte parlementaire ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Éliane Assassi. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ?
M. Éric Besson, ministre. Mais vous disposiez sans doute, comme deux autres de vos collègues, de très peu de temps, raison pour laquelle vous n’avez pas formulé de propositions. (Sourires sur les travées de l’UMP.) J’attends donc avec intérêt un prochain débat pour prendre connaissance de vos suggestions !
Mme Alima Boumediene-Thiery. J’ai proposé une régularisation !
Mme Éliane Assassi. Vous connaissez nos propositions !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ah bon ? Vous n’étiez pas sérieux jusqu’à présent ?
M. Jean-Luc Fichet. Pas sérieux ?
Mme Éliane Assassi. C’était une plaisanterie ?
M. Éric Besson, ministre. Il y avait un peu d’ironie dans mes derniers mots, cela ne vous a d’ailleurs pas échappé. Je tentais juste de faire preuve de délicatesse à votre endroit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre pays est ouvert. Il existe un vrai hiatus entre la réalité de la politique migratoire française et les critiques dont elle fait l’objet.
Je vous ai rappelé les chiffres. La France accueille, la France cherche à intégrer, la France naturalise, la France est généreuse, et plus généreuse que ses voisins en matière de droits des réfugiés.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas vrai !
M. Éric Besson, ministre. Or aucun autre pays en Europe n’a autant que nous pratiqué - j’en ai eu encore la preuve ici aujourd'hui - l’autoflagellation élevée au rang de sport national !
C’est dommage, non pas pour le jeu traditionnel entre la majorité et l’opposition, entre le Gouvernement et l’opposition, mais pour l’image biaisée que nous donnons de notre pays à l’étranger.
Nos débats sont écoutés, regardés, lus, notamment dans les pays francophones. Le hiatus dont j’ai parlé nous est même signalé par certains dirigeants, qui nous demandent pourquoi nous discutons, alors qu’ils sont d’accord avec notre politique de lutte contre l’immigration clandestine et qu’ils la soutiennent.
Je vais même m’offrir le luxe, avant la fin de cette année, de proposer à un grand nombre de ministres africains, maghrébins, moyen-orientaux, de venir expressément dire cette vérité dans notre pays.
Il se trouvera probablement une belle âme pour dénoncer leur manque de représentativité et de légitimité. Pour ma part, je ne travaille qu’avec les gouvernants que les peuples se donnent ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine.
10
Dépôt d'un projet de loi
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Botswana sur l’éducation et la langue française.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 376, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
11
Dépôt d’un texte d’une commission
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu le texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République du Monténégro, d’autre part (n° 353, 2008-2009).
Le texte sera imprimé sous le n° 375 et distribué.
12
Transmission de propositions de loi
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le président de l’Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement médical et social des victimes.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 372, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
M. le président du Sénat a reçu de M. le président de l’Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à modifier l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 373, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
13
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre les textes suivants, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de virement de crédits nº DEC13/2009 à l’intérieur de la Section III - Commission - du budget général pour l’exercice 2009 (DNO) ; ce texte sera imprimé et distribué sous le n° E-4443 ;
- Proposition de virement de crédits n° DEC14/2009 à l’intérieur de la Section III - Commission - du budget général pour 2009 (DNO) ; ce texte sera imprimé et distribué sous le n° E-4444 ;
- Proposition de virement de crédits nº DEC15/2009 à l’intérieur de la section III - Commission - du budget général pour l’exercice 2009 (DNO) ; ce texte sera imprimé et distribué sous le n° E-4445 ;
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 428/2005 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de fibres discontinues de polyesters originaires de la République populaire de Chine et d’Arabie saoudite, modifiant le règlement (CE) n° 2852/2000 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de fibres discontinues de polyesters originaires de la République de Corée, et clôturant la procédure antidumping concernant Taïwan ; ce texte sera imprimé et distribué sous le n° E-4446 ;
- Proposition de décision du Conseil concernant l’adoption d’un programme supplémentaire de recherche à mettre en œuvre par le Centre commun de recherche pour le compte de la Communauté européenne de l’énergie atomique ; ce texte sera imprimé et distribué sous le n° E-4447.
14
Dépôt d'un rapport
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. Didier Boulaud un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République du Monténégro, d’autre part (n° 353, 2008 2009).
Le rapport sera imprimé sous le n°374 et distribué.
15
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 30 avril 2009 :
À neuf heures :
1. Communication sur les suites du sommet du G20 des sénateurs membres du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale.
À quinze heures :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
Délai limite d’inscription des auteurs de questions : Jeudi 30 avril 2009, à onze heures.
3. Proposition de résolution européenne sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009, présentée par Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 57 rect., 2008-2009).
Rapport de M. Pierre Hérisson, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 369, 2008-2009).
Texte de la commission (n° 370, 2008-2009).
4. Débat européen sur le suivi des dispositions européennes du Sénat :
- Évolution du système d’information Schengen ;
- Association des parlements nationaux au contrôle d’Europol ;
- Mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement ;
- Application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD