Mme Nicole Bricq, membre du groupe de travail. Un SMI !
M. Jean-Pierre Fourcade. Voilà déjà bien longtemps, j’ai signé les accords de la Jamaïque sur le flottement des monnaies : nous n’y reviendrons pas !
Mes chers collègues, lorsque les indicateurs économiques repasseront au vert, si le rapport entre l’euro et le dollar est non plus de un euro pour 1,30 dollar, mais de un euro pour 1,50 ou 1,60 dollar, nous ne pourrons plus exporter et nous éprouverons de grandes difficultés pour équilibrer nos comptes. Les variations des rapports de change risqueront de modifier de manière assez considérable nos perspectives de reprise.
Telles sont mes trois inquiétudes, que je me permets de synthétiser : premièrement, nous n’avons pas suffisamment nettoyé les actifs toxiques des banques ; deuxièmement, l’Europe, du fait du rejet du traité de Lisbonne par certains pays, n’a pas pu participer aux négociations avec toute la force et le dynamisme qui lui auraient été nécessaires ; troisièmement, les rapports de change risquent de nous être défavorables. Je crains que l’importance du plan de relance décidé par le président Obama ne se traduise assez rapidement par une baisse de la monnaie américaine. Nous connaissons la capacité des États-Unis à laisser baisser le dollar sans le défendre. J’ai peur que les relations entre les monnaies, que l’on n’a pas voulu traiter dans le cadre du G20 avec les pays émergents, lesquels sont aussi concernés que nous, ne pèsent sur nous comme une épée de Damoclès.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que le Gouvernement français prenne en compte ces préoccupations, à l’échelon tant national qu’international, dans la préparation du prochain G20 qui aura lieu en septembre. Il apaiserait ainsi mes inquiétudes. Je sais bien qu’il n’est pas habituel et qu’il est même parfois mal vu de ne pas s’exclamer devant le succès d’un G20 censé résoudre tous les problèmes !
L’expérience que j’ai acquise, les inquiétudes que je ressens, les nombreux problèmes qui n’ont pas été traités me conduisent à demander un effort de lucidité.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement doit, en liaison avec l’Allemagne et avec nos principaux partenaires commerciaux, préparer de manière précise et approfondie le G20 du mois de septembre prochain, qui devrait marquer de nouveaux progrès dans la sortie de crise. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le fait d’être le dernier orateur inscrit dans ce débat me permettra de revenir sur certains des points qui ont été évoqués.
Je me réjouis de constater que notre hémicycle se peuple un peu, car il est bien triste qu’un débat d’une telle importance se déroule non pas à huis clos, mais devant un auditoire réduit.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Plus c’est important, moins nous sommes nombreux !
M. Richard Yung. Monsieur le secrétaire d’État, le G20 a sans doute été un grand succès en termes de diplomatie et de politique économique. Il a donné un sens au concept de multilatéralisme. Il a montré que nous allons vers un rééquilibrage, qu’il y a non plus une omnipuissance mondiale, mais une foultitude de partenaires. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le nombre des pays et des grandes organisations internationales qui étaient invités. Sans doute faudra-t-il quelque peu institutionnaliser le G20, en veillant toutefois à ne pas sombrer dans le bureaucratisme.
Comme cela a déjà été souligné, la grande absente de ce sommet fut, de sa propre faute, l’Union européenne. Le cœur de tous les vrais Européens a saigné en voyant l’Europe céder la deuxième place à la Chine.
Certes, la Commission manque d’allant, joue petit bras. Certes, le président Barroso traîne un peu la patte. Mais ce n’est pas la seule explication. Cette situation relève aussi du comportement des différents États qui, tels l’Allemagne et la France, ne parviennent pas à s’entendre. Quant au Royaume-Uni, il reste fidèle à lui-même.
En fait, nous nous agitons. Nous sautons sur notre chaise en demandant une politique coordonnée. Mais rien ne se passe !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Cela me rappelle quelque chose !
M. Richard Yung. Oui, le cabri ! (Sourires.)
Il est bien sûr difficile de définir une action commune, car les problèmes de chaque pays sont différents : les importations et la dévaluation compétitive pour l’Allemagne, le marché intérieur, la consommation et la faiblesse de l’appareil de production pour la France, une bulle immobilière gigantesque qui explose pour l’Espagne. Quant à l’Angleterre… c’est l’Angleterre !
Une politique unique ne peut certes pas remédier à des situations aussi diverses. Néanmoins, les États auraient dû coordonner leur action. Il est bien triste de constater que tel ne fut pas le cas.
J’en viens au système bancaire. Le problème des actifs toxiques reste entier. On n’a nettoyé ni le système bancaire mondial, ni le système bancaire américain, ni le système bancaire anglais, même si c’est sans doute dans ce pays que l’on a fait le plus.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. On verra dans six mois !
M. Richard Yung. De la même façon que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à nos frontières, tous les pays ont des actifs toxiques, sauf la France ! C’est merveilleux ! Notre système bancaire ne détient pas d’actifs toxiques !
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Si !
M. Richard Yung. Tout le monde sait bien que tel n’est pas le cas. Du simple fait de la titrisation, outil diabolique, chaque fois que vous achetez des actions, vous acquérez 10 % ou 15 % d’actifs toxiques. En fait, vous ne savez pas exactement ce que vous achetez. Rappelez-vous l’expression de Warren Buffett : « Si je ne comprends pas, je n’achète pas ! »
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Cela ne l’a pas empêché de faire de très lourdes pertes !
M. Richard Yung. Certes, mais il possède tout de même la deuxième fortune mondiale. En tout état de cause, je souscris à ce principe.
Monsieur le secrétaire d’État, la question est de savoir ce que veut faire la France.
En Allemagne, Mme Merkel a institué un double système de structure de défaisance : le premier s’applique aux banques privées qui s’organisent en consortium et sera probablement assorti d’une garantie de l’État ; le second vise les banques des Länder et ne fera pas l’objet d’une garantie de l’État. Ces banques devront donc réaliser leur consortium et prendre leurs responsabilités.
J’admets volontiers qu’un tel modèle n’est pas transposable à la France. Mais c’est un exemple, et je demande au Gouvernement ce qu’il envisage pour nettoyer le système bancaire français.
Il faut, me semble-t-il, redescendre sur terre et revenir à des choses simples. Une banque commerciale a vocation non pas à spéculer, mais à recueillir des dépôts, à les rémunérer au taux normal du marché et à les transformer en prêts à l’économie.
Il est extraordinaire qu’une banque comme Dexia, issue de la fusion du Crédit local de France et du Crédit communal de Belgique, banque de père de famille qui finance les travaux d’assainissement ou d’électricité des communes, se retrouve avec 800 millions d’euros investis dans je ne sais quels produits spéculatifs : les bras m’en tombent !
Mme Nicole Bricq, membre du groupe de travail. C’est un scandale !
M. Richard Yung. Les banquiers sont devenus fous ! Il faut revenir à des choses simples.
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. Les banques ont été privatisées !
M. Richard Yung. On les a privatisées, et l’argent a rendu les banquiers fous !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Monsieur Yung, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Richard Yung. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Privatiser ! Nationaliser ! Ne s’agit-il pas de concepts d’un autre temps ?
Afin d’approfondir la réflexion, permettez-moi de me référer à l’audition, hier, de M. François Pérol, président du directoire de la Caisse nationale des caisses d’épargne et directeur général de la Banque fédérale des banques populaires, par la commission des finances, dans le cadre des auditions de suivi sur la crise financière internationale et le dispositif de financement de l’économie française.
Je me suis permis de rappeler que, parmi les actifs les plus douteux de Natixis, figurent pour une bonne part ceux qui avaient été acquis par la Caisse des dépôts et consignations. Je précise d’ailleurs, pour déterminer les responsabilités, que les choses se sont passées avant 2002 : un établissement public totalement sous la main de l’État s’est engagé aux États- Unis pour des montants à haut risque sur des marchés spécifiquement américains !
La possession par l’État n’est pas une vertu en soi. Ce n’est pas le paravent indispensable pour éviter de faire des erreurs et de prendre des risques. Ne l’oublions pas ! D’ailleurs, les banques nationales, gérées par l’État sous le contrôle direct de fonctionnaires, qui ont pris des risques très importants et ont fait de graves erreurs, sont légion…
M. Robert Hue. Ce sont les critères de gestion qui sont de nature privée !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. C’est beaucoup plus compliqué que cela !
Je me permets simplement d’instiller ce doute dans vos esprits pour que vous acceptiez de considérer que la situation n’est pas aussi simple, et qu’il n’y a pas une dichotomie aussi manifeste entre l’ombre et la lumière.
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. L’erreur est humaine !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Yung.
M. Richard Yung. Mon propos ne portait pas sur la question de la propriété publique ou privée.
Simplement, il ne faut pas tout confondre ! Si l’on veut spéculer, il existe pour cela des structures spécifiques permettant de mesurer le degré de risque que l’on prend, contrairement à ce qui se passe dans d’autres banques, notamment commerciales, dont ce n’est pas la fonction.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. L’État lui-même spécule très bien !
M. Richard Yung. Je me limiterai à faire deux autres remarques, compte tenu de mon temps de parole.
Tout d’abord, à l’instar des précédents orateurs, je suis très heureux du renforcement des moyens du FMI, qui est une excellente mesure. Cela dit, il convient dans le même temps de poser le problème des conditions d’octroi des aides du FMI aux gouvernements en difficulté. Par le passé, cela a entraîné beaucoup de problèmes et de malheur, en particulier en Afrique. Le FMI doit avoir une approche souple et ouverte ; c’est le cas maintenant, me semble-t-il, mais il convient de souligner cette nécessité.
Par ailleurs, j’interrogerai le Gouvernement sur les paradis fiscaux. On en a beaucoup parlé, et la liste noire a mystérieusement disparu.
Mme Nicole Bricq, membre du groupe de travail. Elle est devenue grise !
M. Richard Yung. Oui, mais n’y figurent plus que de tout petits poissons, ceux qui ne peuvent pas se défendre ! Les gros n’y sont pas !
Un mandat de négociation a été prévu à l’article 24 des anciens accords du GATT, ou accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Monsieur le secrétaire d’État, ma question est la suivante : comment envisagez-vous la négociation avec les pays qui étaient inscrits sur la liste noire et qui figurent maintenant sur la liste grise ? Je suppose que, après avoir été rayés de la liste, ils partent en courant…
Pour conclure, j’évoquerai la sortie de crise, sujet qui a été abordé par le précédent orateur. Nous espérons tous, bien évidemment, que la crise s’achèvera le plus rapidement possible, car les coûts induits sont gigantesques. Nous ne pouvons même pas concevoir les chiffres en jeu, tellement ils dépassent l’entendement ! Lorsque la croissance reviendra et que les économies seront de nouveau stabilisées, il faudra faire face à tout cela. De quelle manière ? Aurons-nous la force, comme je le souhaite, d’être vertueux ? La tentation de la dévaluation, des jeux de parité, avec, comme corollaire, l’inflation, ce mal terrible qui tue tout le monde, est bien là ! C’est la solution la plus attrayante, car personne ne sent rien. Mais elle est mortelle !
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les réflexions que je voulais vous soumettre. Je n’ai pas de réponse immédiate, mais nous devons à mon avis y penser dès maintenant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. –MM. Jean-Pierre Chevènement, Jean-Jacques Jégou et Jean-Pierre Fourcade applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Luc Chatel, secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de participer aujourd’hui avec vous à cet exercice d’un genre nouveau, puisque le Président de la République a proposé une réforme de la Constitution que vous avez adoptée : une plus grande initiative a été confiée aux élus, renforçant ainsi les pouvoirs du Parlement. Ce débat est l’une des concrétisations de cette volonté.
L’échange que nous avons aujourd’hui est aussi l’occasion de saluer le travail remarquable effectué par le groupe de travail parlementaire sur la crise financière internationale. Je tiens à saluer son coprésident et l’ensemble de ses membres.
Indiscutablement, les conclusions du G20 démontrent rétrospectivement à quel point vous étiez dans le vrai, puisqu’une bonne partie des recommandations que vous aviez formulées a été reprise dans le communiqué final du sommet.
Vous me permettrez également de vous prier d’excuser Christine Lagarde, qui a été retenue ce matin et m’a demandé de la remplacer. Je voudrais vous remercier des propos que vous avez tenus tout à l’heure à son égard. Effectivement, depuis le début de la crise, elle a souhaité à tout moment faire preuve d’une totale transparence vis-à-vis du Parlement, en particulier du Sénat, pour vous tenir informés de l’évolution des négociations internationales sur la crise financière. (M. Albéric de Montgolfier acquiesce.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce G20 a marqué une étape historique du fait même de son existence, et vous avez été plusieurs, sur ces travées, à le rappeler dans vos propos.
En effet, pour la première fois, les vingt pays les plus importants de la planète, représentant 85 % de la population mondiale, étaient rassemblés dans un même lieu. Il convient de s’attarder sur ce point pour méditer les progrès que le monde a réalisés en quelques années. Songeons que, voilà vingt ans seulement, deux blocs s’affrontaient encore, scindant le monde en deux. Voilà vingt ans, la Chine jouait sa partition en dehors du concert des nations. Voilà vingt ans, l’Inde était plus source de désespoir que d’espérance en matière économique, avec une démographie galopante et une pauvreté qui semblait absolument endémique.
Le G20 a été une bonne nouvelle pour la démocratie. Il a marqué la primauté du politique face à l’économique. Et le retour du politique, c’est le retour du pouvoir légitime, c’est-à-dire celui qui est exercé par le peuple.
On peut noter avec satisfaction que, pour l’instant, cette crise, si violente soit-elle sur le plan économique mais aussi sur le plan social, n’a pas eu, sur le plan politique, les effets dévastateurs qu’avait eus la crise des années trente. Jusqu’à présent, aucun régime démocratique n’a été mis à bas par la crise.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le G20 a été une réunion historique par son contenu. Les pays présents ont su dégager des consensus forts sur quelques grands principes : tout d’abord, la réaffirmation de l’économie de marché comme seul système économique viable ; ensuite, la nécessité de mieux réguler l’économie financière, son corollaire, grâce à une approche internationale, collaborative et multilatérale ; enfin, le refus du protectionnisme, qui se traduira, pour résoudre la crise, par une plus grande solidarité et le rejet des égoïsmes nationaux.
La tenue du G20 démontre une véritable inflexion idéologique de certains pays. L’intervention des États n’est aujourd’hui plus taboue. Elle a d’ailleurs été massive depuis le début de la crise. À ce propos, je voudrais souligner que le directeur du Fonds monétaire international, M. Strauss-Kahn, rappelait récemment l’effort budgétaire, en 2009, des différents pays en matière de relance, indiquant qu’il était assez homogène selon les pays : aux alentours de 2 % du produit intérieur brut. Je rappelle que, pour la France, cet effort s’approchera de 2,4 % du PIB en 2009.
Le G20 a aussi marqué le retour de l’Europe sur la scène politique internationale. Il faut se souvenir que le premier G20 organisé à Washington est né d’une initiative de notre Président de la République, alors président de l’Union européenne, à la suite de son discours aux Nations unies. L’Europe a, depuis, apporté un soutien constant à la démarche multilatérale et coopérative qui avait été prônée par la France.
Le dernier G20, à Londres, a été l’occasion de réaffirmer l’importance de l’axe franco-allemand. Christine Lagarde a travaillé en amont avec son homologue allemand, M. Steinbrück. Un certain nombre de propositions fortes ont été officialisées lors du conseil des ministres franco-allemand du 12 mars et soutenues par les membres de l’Union européenne le 2 avril, à Londres.
Le communiqué final du G20 a repris une grande partie de ces propositions. Ces dernières sont d’ailleurs, et l’on ne peut que s’en féliciter, extrêmement proches de celles qui ont été formulées par votre groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale, en matière tant de régulation que de redéfinition du rôle des institutions internationales chargées d’exercer cette régulation.
Les pays présents ont défini les modalités de refonte de la régulation du secteur financier, et le renforcement de cette régulation a fait l’objet d’une déclaration spécifique de près de six pages, avec un véritable plan d’action.
D’abord, la régulation nouvelle s’appuiera sur le contrôle de tous les acteurs : les territoires, les établissements financiers, les agences de notation, et même les particuliers. Il ne pourra plus y avoir de trou noir ou d’exception, comme c’était le cas jusqu’à présent.
En ce qui concerne le contrôle des territoires, on le sait, les centres non coopératifs en matière fiscale, les fameux paradis fiscaux, abritent deux tiers des fonds spéculatifs. Nous avons pu, au G20, obtenir que l’OCDE publie des listes, et ces dernières ont déjà produit leurs effets, puisque les quatre pays de la liste noire – le Costa-Rica, la Malaisie, les Philippines et l’Uruguay – se sont engagés à respecter les conventions internationales, ce qui les a donc fait passer de facto en liste grise, celle des pays ayant pris des engagements mais ne les respectant pas pleinement aujourd’hui. Ce sont ces pays que la communauté internationale doit aujourd’hui surveiller et accompagner dans leurs efforts.
La régulation nouvelle s’appuiera ensuite sur le contrôle des hedge funds, qui représentent 1 200 milliards de dollars de placements et, certains jours, plus de 50 % des volumes de transactions sur les marchés. À l’heure où les États sont appelés en soutien des banques, nous devons nous assurer que, demain, ces dernières ne seront pas fragilisées par des acteurs comptant parmi leurs plus importants clients et sur lesquels les autorités n’ont aujourd’hui aucune information. C’est pourquoi le G20 a décidé d’imposer une régulation spécifique : immatriculation obligatoire, transparence dans la gestion et contrôle des engagements des banques.
Est également prévu le contrôle des agences de notation, qui ont une lourde part de responsabilité dans cette crise, indiscutablement celle de la mauvaise appréciation des risques. Ces agences seront dorénavant enregistrées, et un code de bonne conduite permettra d’éviter les conflits d’intérêts. Elles devront mettre en place des notations différenciées, car il est impossible de noter de la même manière des entreprises, des États et des produits structurés.
Enfin, la régulation reposera aussi sur le contrôle des particuliers. Cette crise, c’est aussi celle de politiques de rémunérations qui ont failli. Ces politiques participent à la gouvernance économique. Quand la rémunération de traders ne dépend pas de la rentabilité finale des opérations qu’ils concluent, tout est réuni pour que des opérations qui n’auraient jamais dû voir le jour soient nouées. Cette question est centrale, et le G20 a fixé des principes forts pour que le versement des bonus soit directement lié à la performance réelle des transactions.
Notre défi, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est de mettre en place des dispositifs de coopération internationale entre superviseurs, qui permettent d’avoir une vision consolidée et de contrôler les groupes financiers internationaux ayant une importance systémique. Nous avons confié cette mission au forum de stabilité financière.
Cependant, ce G20 a également permis de consacrer un nouveau rôle pour les institutions financières internationales, au premier rang desquelles le FMI, qui doit jouer un double rôle, celui de suivi des risques financiers et celui de soutien aux pays émergents et en développement affectés par la crise.
Nous attendons du FMI qu’il joue un véritable rôle d’alerte précoce sur les risques financiers et sur les déséquilibres macroéconomiques. Il devra le faire en lien avec le nouveau Conseil de stabilité financière, sorte d’organisation mondiale de la finance, qui prend la place du forum de stabilité financière, dont le mandat est élargi.
Dès le mois d’avril, ces deux organisations vont présenter deux fois par an une carte des risques financiers, économiques et mondiaux. Avec le rôle d’alerte précoce confié au FMI et la constitution du Financial stability board, la communauté internationale dispose enfin d’une véritable capacité de contrôle de ces risques.
Les institutions seront plus fortes, mais elles seront aussi plus inclusives. Le nouveau forum de stabilité financière est en effet élargi aux membres du G20 ainsi qu’à l’Espagne et à la Commission européenne ; le FMI devrait, quant à lui, s’engager dans une revue des quotes-parts des États à son capital.
Enfin, le G20 a consacré des avancées certaines pour réformer les normes comptables et prudentielles, même si – je dois le reconnaître – nous aurions voulu aller encore plus loin.
La déclaration est claire sur la nécessité de revoir les principes comptables lorsque les références de marchés n’ont pas de sens et pour les placements à long terme.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Très bien !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Elle prévoit également l’adoption du principe du provisionnement dynamique, qui consiste à constituer des réserves de fonds propres en période de croissance pour ne pas avoir à durcir les exigences de fonds propres en bas de cycle, lorsqu’il est nécessaire de disposer de crédits pour l’économie.
Quels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les enseignements de cette crise et de ces mesures prises par le G20 pour la place financière de Paris ? Objectivement, la France – vous avez été nombreux, au sein du groupe de travail, à le souligner, comme Mme Christine Lagarde l’a d’ailleurs fait à plusieurs reprises – a bien résisté, ce qui prouve l’efficacité d’un cadre de supervision tout à la fois souple et rigoureux.
La France a globalement, sur le plan financier, bien résisté à la crise : d’une part, les banques françaises sont solides et saines ; elles détenaient des montants très limités d’actifs toxiques ; d’autre part, le modèle de la banque universelle et de dépôt qui est celui des banques françaises s’est, à notre sens, révélé être le bon pour traverser la crise actuelle. Le marché immobilier, en comparaison de celui d’autres pays, est sain et ne constitue pas un facteur de risques aggravés.
M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. Natixis, ce n’est pas génial !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Cette solidité s’explique également par la qualité de la régulation et du contrôle bancaire et assurantiel français, qui, lui aussi, a bien fonctionné.
Cette solidité a, de surcroît, été renforcée par une intervention des pouvoirs publics sous la forme de dispositifs simples d’octroi de garanties, et de dispositifs ciblés de consolidation de fonds propres.
Ceux d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui sont rompus à l’exercice des négociations internationales pourront reconnaître avec moi le caractère inédit de ce G20, par sa forme, bien sûr, mais aussi et surtout par les décisions qui en ont découlé. Rarement les sommets internationaux aboutissent aussi vite et aussi clairement à des décisions concrètes. Les pays réunis ont dépassé les grandes déclarations de principe, pour donner des gages de leur volonté réelle de réformer le système financier international.
S’il est vrai qu’à quelque chose malheur est bon, la crise aura été l’occasion de repenser en profondeur un système qui, par ses iniquités et son manque de régulation, a mené l’économie mondiale au bord du gouffre.
Ma conviction est que cette crise et les leçons que nous en tirons doivent nous permettre de réorienter nos économies fortement et, je l’espère, pour longtemps, vers un modèle capitalistique plus entrepreneurial, plus respectueux des équilibres de long terme, plus juste et, finalement, plus efficace. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. Les membres du groupe de travail ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d’État, M. Richard Yung et moi-même avons évoqué tout à l’heure, dans nos interventions, le problème des actifs toxiques.
Sans trahir de secret, je puis indiquer que le Président de la République, lorsqu’il a reçu le groupe de travail, a envisagé la possibilité, à l’échelle nationale, de résoudre ce problème en se référant à la proposition de Mme Angela Merkel : un consortium privé des banques et établissements qui mutualiserait les actifs. L’État apporterait-il sa garantie ? Nous avons posé la question.
Le sujet est capital. Je suis en effet convaincue que, comme M. Dominique Strauss-Kahn l’a dit et répété, le système bancaire et celui du crédit resteront paralysés tant que le problème des actifs toxiques n’aura pas été réglé.
Je l’ai dit voilà un instant, il n’existe pas un seul exemple d’une crise financière qui se serait achevée sans qu’il ait été procédé à un tel nettoyage. M. Fourcade a insisté à juste titre sur ce point : cette préoccupation est partagée par nous tous ici, quel que soit le banc sur lequel nous siégions.
Cette proposition du Président de la République a-t-elle déjà été évaluée par les services compétents du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, et, par conséquent, figurera-t-elle au programme des négociations intra-européennes ? Si tel n’était pas le cas – M. Fourcade a parfaitement raison –, la sortie de la crise risquerait de se faire attendre : au Japon, où ce travail n’a pas été réalisé, les choses ont traîné pendant dix ans.
Cette question n’est certes pas la seule qui mérite d’être posée, mais elle est malgré tout d’importance, à l’heure actuelle.