M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat sur la politique de l’État en matière de gestion des ressources halieutiques et des pêches intervient alors que nous sommes pris dans un tourbillon de « Grenelles ».
La multiplication des mesures gouvernementales vide un peu de son sens la démarche positive du Grenelle de l’environnement ainsi que les mesures liées aux ressources halieutiques, déjà traduites à l’article 30 du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dont nous avons débattu voilà peu.
Certes, dans le domaine de la pêche et compte tenu de la mauvaise santé de la filière, nous pouvons comprendre que, face aux négociations à venir, le Gouvernement choisisse une formule qui prévienne les agitations du secteur.
Dans les deux mois à venir, deux cents experts, écologistes, syndicalistes, représentants de fédérations multiplieront les réunions pour proposer une politique nationale de la mer. Ce débat intervient aujourd’hui en amont, nous donnant l’occasion de montrer aux différents acteurs notre engagement et notre détermination.
Grâce à ses territoires d’outre-mer, la France possède le deuxième domaine maritime au monde. Il s’étend sur près de 11 millions de kilomètres carrés, dont seulement 3 % en métropole.
Au-delà de la dégradation générale des écosystèmes marins, deux défis doivent être relevés.
Le premier défi est économique. En Europe, la mer fait vivre environ 4 millions de personnes, dont 190 000 pêcheurs ; la richesse créée représente de 3 % à 5 % du PIB européen, soit 1 154 milliards d’euros.
Le second défi est vital : il convient de mesurer le risque pour l’avenir. Ainsi, 30 % des espèces sont surexploitées et l’augmentation des captures conduira inévitablement à l’épuisement des ressources. La surpêche est la menace principale qui guette la filière.
Toutefois, mes chers collègues, comment lutter contre un mal difficilement perceptible, alors que chaque mesure fragiliserait tout un pan de notre économie ?
Nous devons prendre nos responsabilités. Sans être manichéen, il est nécessaire de mettre un terme à cette « guerre des poissons » engendrant une course à la pêche, le premier à capturer étant le mieux rémunéré.
La politique des pêches – en particulier la question de la gestion des ressources halieutiques – est aujourd’hui élaborée et décidée au niveau européen, avec divers outils, dont, principalement, les totaux admissibles des captures, les TAC, et les quotas.
Cette approche a eu pour conséquence de faire diminuer notre flotte nationale de 21 % en dix ans. La demande a continué de croître et la France importe près de 85 % des produits de la mer qu’elle consomme.
S’agissant des quotas, vous souhaitez les réduire. Soyons raisonnables : ils étouffent nos pécheurs ! Appliquons déjà les limites de captures ; concentrons-nous également sur les contrôles, et alors les quotas pourront être adaptés et individualisés.
Seule une politique sérieuse de contrôle et d’individualisation des quotas réduira les effets de piraterie et incitera les pêcheurs à jouer le jeu de la réglementation européenne, en les encourageant à être davantage gestionnaires et responsables.
Notre rôle de parlementaire est de protéger notre patrimoine marin.
Un constat s’impose : 75 % de la biomasse pouvant être pêchée est concentrée dans 5 % de l’espace marin, le plus souvent côtier et très exposé. L’objectif à court terme, d’ici à 2012, est de valider et de protéger 10 % des aires maritimes. Aujourd’hui, seulement moins de 0,1 % de ces aires sont protégées. C’est évidemment insuffisant.
La dégradation des ressources halieutiques ainsi que celle des écosystèmes marins conduisent à s’interroger sur les palliatifs aux captures.
Si l’aquaculture ne peut être présentée comme la solution miracle, elle peut, à court terme, constituer un palliatif, afin d’écarter les problèmes de ce secteur de façon provisoire.
Développer cette filière permettra d’assurer temporairement l’alimentation, mais je ne veux pas croire que la population se contentera, à terme, de se nourrir de carpes et de crevettes.
L’aquaculture est avant tout une culture d’eau douce. Elle ne pourra pas remplacer la pêche maritime et il est vain d’espérer qu’elle représentera une issue aux maux de la filière pêche. Elle soulève également le problème de l’alimentation des espèces, qui conduira, de toute façon, à l’épuisement des stocks.
La France est forte d’une flotte de 5 232 navires, de 63 ports de pêche, de nombreuses organisations de producteurs et de plus de 350 entreprises de mareyage et de transformation des produits de la mer. Le secteur de la pêche est important sur le plan économique, mais aussi en termes d’aménagement du territoire.
L’objectif contradictoire en matière de gestion des pêches est d’assurer la durabilité des ressources marines et des entreprises qui les exploitent, dans un contexte de demande croissante en produits de la mer, avec un marché évalué à 5 milliards d’euros en 2005.
La pêche n’est plus un secteur économique rentable. En France, par exemple, les subventions couvrent les trois quarts du chiffre d’affaires réalisé dans ce secteur. Il faut se mobiliser pour aider et diversifier la filière de la pêche.
Il convient, dans un premier temps, d’améliorer la commercialisation des produits de la mer. Une politique de labellisation, par exemple, ou encore d’incitation aux modes coopératifs permettrait d’encourager un commerce diversifié et d’accroître la professionnalisation d’un secteur par une meilleure reconnaissance de ses acteurs.
En effet, il me semble nécessaire de valoriser les métiers de la mer au travers de la création de l’éco-labellisation prévue à l’article 30 du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, et de favoriser des produits éco-certifiés.
Il serait également opportun de diminuer les aides à la modernisation des navires, afin de réduire la surcapacité des techniques de pêche et de préserver en même temps une pêche artisanale.
Pour maximiser l’efficacité de cette politique de gestion halieutique, à l’autre bout de la chaîne, il ne faut pas négliger la sensibilisation du consommateur à une consommation responsable et éco-citoyenne.
Enfin, la situation des stocks fait l’objet de nombreux débats entre professionnels et scientifiques. Le rétablissement et le renforcement des coopérations entre ces acteurs sont également des enjeux majeurs des années à venir.
Les solutions permettant d’assurer la pérennité de la filière halieutique existent et sont multiples. D’autres approches sont expérimentées localement. Ainsi, dans mon département, l’Hérault, une réflexion stratégique a été menée ; elle cible l’enjeu majeur de l’accès aux ressources halieutiques. L’approche a consisté à développer la biomasse et non à subir sa raréfaction.
Ce département vient de s’engager dans un partenariat de recherche et développement d’une nouvelle génération d’habitats artificiels pour développer les ressources halieutiques. D’autres pistes innovantes sont également à l’étude, notamment la collecte de larves de poissons dans le milieu naturel pour le repeuplement de la bande côtière.
Il est donc intéressant aujourd’hui d’envisager d’autres approches, afin d’assurer la pérennité de la filière pêche et de garantir l’avenir de nos pêcheurs.
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après le débat sur la politique agricole commune qui a eu lieu la semaine dernière, nous abordons aujourd’hui la deuxième grande politique communautaire, dédiée à la pêche, dans un contexte de crise économique faisant suite à une année 2008 marquée par une forte augmentation des produits pétroliers.
Cette situation difficile, encore exacerbée par la gestion délicate des quotas – rappelons les problèmes récents survenus à Boulogne-sur-Mer –, est d’autant plus grave que l’examen des dossiers par le Fonds européen pour la pêche, qui aurait dû être engagé dès janvier 2007, n’a démarré qu’en juin 2008.
La crise économique actuelle ne fait donc qu’aggraver une situation qui n’a que trop duré, sans que soient proposées de véritables solutions pérennes : les contrats bleus devraient prendre fin en 2009 et des activités ont cessé en raison de la destruction des navires. Étant d’une région aimant beaucoup la mer et la pêche, c’est avec un pincement au cœur que je constate que quarante-sept navires bretons ont été sortis de pêche en 2008, et que cinquante autres devraient connaître le même sort en 2009.
Dans un contexte particulièrement tendu, le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre une réforme des structures professionnelles d’ici à 2011. Pourtant, chacune des crises de ces dernières années a mis en avant le manque total de visibilité de ces structures peu ou mal organisées, qui, sans véritable perspective, se tournent parfois vers des solutions qui risquent, à terme, d’être contraires à l’intérêt de la profession.
Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, rédigé par notre collègue Marcel-Pierre Cléach, a bien posé le problème structurel traversé par le monde de la pêche : « captures stagnantes ou déclinantes, effort de pêche croissant, voilà l’équation fondamentale d’un secteur économique en crise profonde ».
Pourtant, la France, avec une production annuelle d’environ 600 000 tonnes pour un chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros, est à la troisième place européenne pour ce qui concerne la pêche, derrière le Danemark et l’Espagne.
Le secteur regroupe environ 16 000 emplois à taux plein et concernerait 24 000 personnes embarquées. Mais, depuis plus de vingt ans, le nombre des navires métropolitains a chuté de plus de 50 %, passant de près de 12 000 à environ 5 000, tandis que la taille moyenne des navires s’est accrue de 6 % et la puissance moyenne de 19 %.
Les Français, pour leur part, consomment de plus en plus de poisson, environ trente-cinq kilogrammes par habitant et par an. On devrait s’en réjouir, mais la production nationale est loin de satisfaire la demande. Alors, comment mettre en adéquation demande et ressource ?
En 2008, le Conseil international pour l’exploration de la mer annonçait que, sur les cinquante-trois stocks communautaires de la façade Ouest, dix étaient en bon état, trente-trois étaient estimés à risque, et les dix restants étaient dans un état critique.
Au moment où se déroule le Grenelle de la mer, il convient de rappeler les objectifs spécifiques fixés pour la gestion des pêches lors du sommet mondial sur le développement durable de 2002, dont celui de ramener l’exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec leur production maximale d’équilibre d’ici à 2015. Vaste programme !
La responsabilité des États en général, et de la France en particulier, est donc majeure : au niveau mondial, ceux-ci contrôlent, grâce aux zones économiques exclusives, environ 90 % du potentiel halieutique, et la France détient le deuxième plus grand espace maritime du monde.
Dans ce cadre, la politique commune de la pêche devrait constituer un formidable levier de régulation, d’organisation et d’action.
À la suite de la réforme de 2002, la politique commune a aujourd’hui pour objet de garantir l’exploitation durable des ressources halieutiques et de tenter d’empêcher une pression excessive sur les stocks.
Vouloir abandonner des quotas et des outils communautaires de gestion, comme l’a évoqué le Président de la République, reviendrait à programmer, à terme, la mort de la pêche. D’autant que si la Commission européenne soumet des propositions au Conseil, ce sont bien les ministres des vingt-sept États membres qui décident en dernier ressort de la répartition par État des quotas de pêche par espèce et par zone maritime.
Le livre vert de la Commission sur la réforme de la politique commune de la pêche du 22 avril indique ainsi, à juste titre : « Une autre conséquence notable du cercle vicieux alliant surpêche, surcapacité et faible résilience économique réside dans les fortes pressions politiques exercées pour augmenter les possibilités de pêche à court terme, aux dépens de la viabilité future du secteur », en faveur d’« un nombre incalculable de dérogations, d’exceptions et de mesures spécifiques. »
Plus que dans tout autre secteur, nous nous retrouvons confrontés à la nécessité de maintenir l’équilibre entre l’économie, le social et l’écologie, et ce n’est pas la « marchandisation » maximale des quotas qui permettra le développement durable de la pêche.
Si les règlements communautaires déterminent les objectifs stratégiques de la politique commune de la pêche – répartition des fonds entre États membres, règles de cofinancement – ce sont bien les États membres qui mettent en place des programmes opérationnels et répartissent les fonds au niveau national. La responsabilité de chaque État est donc essentielle.
À l’échelon européen, tout d’abord, si le Fonds européen pour la pêche, instrument financier et structurel de la politique commune de la pêche qui a succédé à l’IFOP depuis 2006 pour sept ans, n’est doté que de 3,8 milliards d’euros – soit une diminution de 33 % – c’est bien le Conseil des ministres de l’Union européenne qui l’a voulu.
Sur le plan purement national ensuite, à l’occasion de la discussion des projets de loi de finances de 2008 et de 2009, j’avais souligné l’insuffisance et, parfois, l’inadéquation des moyens déployés par le Gouvernement pour réconcilier compétitivité, durabilité et solidarité.
Ainsi, au-delà des plans conjoncturels, nous devons nous attendre à une baisse drastique des autorisations d’engagement de près de 20 % dans les deux prochains budgets du ministère de l’agriculture et de la pêche.
J’ai déjà évoqué la politique de casse des navires. Parmi les principales modifications apportées à la politique commune de la pêche en 2002 figurait l’abandon des objectifs obligatoires de réduction de la capacité, au profit de plafonds nationaux dans la limite desquels les États membres sont libres de décider de la manière dont ils mènent leur politique. Le livre vert de la Commission du mois d’avril dernier va dans le même sens, précisant bien que l’effort doit porter sur la capacité et pas nécessairement sur le nombre de bateaux.
Je réaffirme donc notre scepticisme à l’égard de la politique engagée par le Gouvernement et consistant en un plan de casse, certes commencé par d’autres gouvernements, notamment au travers du plan pour une pêche durable et responsable lancé au début de l’année 2008 et doté de 310 millions d’euros sur deux ans. Celui-ci a malheureusement révélé un profond malaise, car les demandes de destruction et de retrait ont été deux fois plus importantes que prévu. Cette politique comporte des effets pervers sur le prix de l’occasion et des effets néfastes sur l’installation et la sécurité des marins, y compris par le renchérissement du prix des bateaux.
Quitte à devoir sortir de la flotte des navires – et c’est souhaitable –, il semblerait plus pertinent de favoriser la sortie de vieux navires peu économes en énergie et peu sûrs, en permettant d’accorder une prime pour la construction de navires neufs, plus économes en énergie, le patron s’engageant à pratiquer une pêche responsable. Nombre d’entre eux préfèrent déjà « trier sur le fond et non sur le pont ». Car les quotas ne règlent pas le problème : si les marins ramènent au port les quotas autorisés, pour ce faire, des tonnes de poissons sont détruites !
À chaque conflit, le Gouvernement a tenté d’acheter la paix sociale, parfois au prix de mesures illégales au regard de la réglementation communautaire relative aux aides d’État. Nous avions ainsi pu le constater à la fin de l’année dernière concernant les aides versées entre 2004 et 2006 par le fonds de prévention des aléas pêche. Et même si le ministre nous a dit qu’il n’était pas envisageable que cette récupération des fonds mette en péril la pérennité des entreprises, il faudra bien payer, et ce à un moment où il semble que certaines clauses des contrats bleus ne soient pas non plus eurocompatibles.
Le rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques reconnaît par ailleurs que « Globalement, ce plan reste un ajustement conjoncturel qui ne traite pas les questions fondamentales qui expliquent le déficit de rentabilité de la flotte française ».
Vous le voyez, madame la secrétaire d'État, bien des clignotants sont au rouge dans le secteur de la pêche, et si je me fonde sur ce que les pêcheurs vivent dans ma région, je puis vous affirmer que la situation ne fait que s’aggraver depuis le début de l’année : mévente importante des produits, effondrement des cours en criée, quantités importantes de retrait, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer, et, bien sûr, fragilisation extrême d’un secteur déjà durement touché.
Il est donc grand temps d’envisager la future réforme de la politique commune, mais aussi de la politique nationale, non pas par petites touches, mais comme une véritable mutation permettant de venir à bout des raisons profondes qui sont à l’origine du cercle vicieux dans lequel la pêche se trouve emprisonnée depuis quelques décennies.
Il s’agit de promouvoir une activité économiquement rentable, socialement protectrice et écologiquement durable. Certains se sont déjà engagés résolument dans cette voie.
Pour cela, il faudrait favoriser le renouvellement de la flottille et la transmission des entreprises, adapter le secteur aux mutations économiques et énergétiques, soutenir la recherche sur les outils de pêche mieux adaptés à la sélection des espèces et, surtout, promouvoir l’adaptation et la généralisation de ces outils à bord des navires. Tout cela vaut mieux que les sorties de flotte !
Pour repenser la politique commune, il faut que, tous, nous portions un regard neuf sur la situation maritime globale et acceptions de lui consacrer les moyens financiers et humains nécessaires, en sortant de la logique de rationnement nationalisé dans laquelle se trouve enfermé le budget européen.
Je forme donc le vœu que nos futurs parlementaires européens, qui, à terme, disposeront des pouvoirs de la nouvelle procédure de codécision, portent la voix d’une politique commune de la pêche capable de préserver les ressources, de répondre aux besoins des consommateurs et de fournir une activité solide et pérenne à nos pêcheurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.
M. Jean-Claude Merceron. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la semaine dernière, la Commission européenne a lancé, avec beaucoup d’avance sur le calendrier prévu, les premières réflexions sur la réforme de la politique commune de la pêche, qui doit aboutir en 2012.
Le livre vert qu’elle a adopté s’ouvre sur une page qu’il faut malheureusement qualifier de politique-fiction pour l’horizon 2020 :
« Presque tous les stocks halieutiques européens ont été reconstitués au niveau de leur production maximale équilibrée, ce qui signifie, pour nombre d’entre eux, un accroissement considérable des effectifs par rapport à ceux de 2010. Les pêcheurs tirent un meilleur revenu de ces populations de poissons plus nombreuses, composées d’individus matures et de plus grande taille. Dans les communautés côtières, les jeunes voient de nouveau la pêche comme un moyen stable et attrayant de gagner leur vie. »
Hélas, à l’heure actuelle, la réalité est tout autre... Ainsi, dans le département de la Vendée, les marins pêcheurs sont confrontés, pour la quatrième année consécutive, à la fermeture de la pêche à l’anchois.
C’est l’avenir même de la pêche qui est en jeu, notamment dans le port de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Pour les jeunes, s’installer et espérer pouvoir vivre du produit de leur pêche est aujourd’hui une pure gageure.
La pêche représente encore 16 000 emplois à temps plein, mais pour combien de temps ? D’importants efforts ont déjà été consentis par la profession, puisque, en vingt-cinq ans, le nombre des navires a chuté de 54 %. Toutefois, globalement, la situation reste toujours aussi difficile, comme l’attestent les blocages de ports de ces dernières semaines.
En effet, les quotas qui, chaque fin d’année, font l’objet d’âpres discussions entre les ministres des différents pays, sont très rapidement atteints, tout du moins pour certaines espèces. Or comment les marins pêcheurs peuvent-ils faire face à leurs charges s’ils ne peuvent aller pêcher ?
Je ne nie pas la situation très dégradée des ressources halieutiques et la nécessité d’instaurer une pêche durable, mais, pour résoudre les crises récurrentes auxquelles la profession doit faire face, il faut prendre en compte plusieurs points.
Tout d’abord, la flotte française, du fait de sa spécialisation chalutière, est beaucoup plus vulnérable à la hausse des coûts de l’énergie, comme on l’a vu l’année dernière.
Au début de 2008, le Gouvernement a mis en place un plan d’aide, à hauteur de 310 millions d’euros sur deux ans, afin, notamment, de diminuer la consommation d’énergie. Madame la secrétaire d'État, j’espère que nous disposerons bientôt d’un premier bilan de l’application de ce plan.
Par ailleurs, il me semble indispensable de revoir la procédure de fixation des quotas. En effet, celle-ci s’appuie aujourd’hui sur les préconisations des scientifiques, nullement sur les observations des pêcheurs. Les propositions de la Commission sont ensuite soumises en décembre aux ministres de la pêche des vingt-sept États membres. Ce sont eux qui décident de la répartition des quotas par pays. Les discussions sont souvent très longues et aboutissent à une décision votée à la majorité qualifiée. Les marins pêcheurs ne connaissent donc qu’au dernier moment les quotas qui leur sont alloués et ils ne peuvent, de ce fait, ni anticiper ni planifier leur saison de pêche.
Il est nécessaire que la profession ait une plus grande visibilité sur les nouvelles normes édictées par Bruxelles. Dans son livre vert, la Commission stigmatise d'ailleurs ce mode de décision, qui encourage une vision à court terme.
Enfin, il ne faut pas l’oublier, malgré tous les efforts déployés depuis plusieurs années, le marché français reste composé à 85 % de poissons d’importation.
L’état de la ressource halieutique explique pour une part importante cette situation. C’est du reste le constat établi et par la Commission et par notre collègue Marcel-Pierre Cléach dans son très intéressant rapport.
Aujourd’hui, pour la plupart des espèces, la pêche européenne dépend de poissons jeunes et de petite taille, qui sont le plus souvent capturés avant d’avoir pu se reproduire.
Si la surpêche se trouve sans conteste à l’origine de cette situation, elle n’est pas la seule responsable : le changement climatique et les pollutions marines ont également un impact non négligeable.
Ainsi, à la suite du réchauffement climatique, les zones désertiques de l’océan ont progressé depuis 1998 de plus de 6 millions de kilomètres carrés, soit douze fois la superficie de la France. Parallèlement, ce phénomène entraîne un déplacement des espèces vers le nord, mais aussi, ce qui est plus grave, des déphasages chrono-biologiques.
De même, l’impact de la pollution sur la faune marine, s’il reste mal connu, est incontestable.
Pour la Commission européenne, cette diminution des ressources halieutiques est due à cinq grands problèmes structurels : la surcapacité des flottes, des objectifs stratégiques flous se traduisant par un manque d’orientations pour la prise des décisions et leur mise en œuvre, un mécanisme décisionnel qui encourage une vision à court terme, un cadre qui ne responsabilise pas suffisamment le secteur, enfin un manque de volonté politique pour faire respecter la réglementation, qui n’est que faiblement appliquée.
Je souscris largement à ce diagnostic. Toutefois, il me paraît indispensable de mettre rapidement en place des mesures que je qualifierais de bon sens, et qui rejoignent largement l’analyse de Pierre-Marcel Cléach.
Tout d’abord, il importe de rouvrir le dialogue entre les pêcheurs et les scientifiques. Le passif entre ces deux parties est lourd, mais il leur faut impérativement travailler de concert dans l’avenir. Des relations continues permettront à chacun de bien appréhender la ressource halieutique, d’adapter au mieux les quotas et de faire accepter pleinement cette contrainte par les pêcheurs, qui y trouveront leur intérêt. Ne pas l’avoir fait par le passé a constitué une grave erreur.
Madame la secrétaire d'État, je me félicite de la tenue du Grenelle de la mer, qui permet à toutes les parties prenantes – élus, associations, pêcheurs et scientifiques – de se réunir, d’échanger, de mener une réflexion de fond et, je l’espère, de faire le point sur ce qui se passe véritablement sur le terrain.
Les assises de la pêche, annoncées par Michel Barnier pour le mois de décembre prochain, ne peuvent, elles aussi, qu’être bénéfiques. Par ailleurs, il me semble indispensable de mieux coordonner les ressources.
Le livre vert propose ainsi de recourir, partout où c’est possible, à des systèmes de gestion régionaux spécifiques mis en œuvre par les États membres et soumis aux normes et au contrôle de la Communauté. Je suis tout à fait favorable à cette proposition, qui vise à décentraliser la mise en œuvre de la politique européenne de la pêche au profit de régions marines, comme la Méditerranée, la mer du Nord, la mer Baltique ou l’Atlantique, qui seraient partagées entre plusieurs États.
Les conseils consultatifs régionaux pourraient ainsi voir leur rôle accru. La meilleure prise en compte des problématiques régionales à l'échelle européenne est nécessaire, car la politique commune de la pêche ne peut plus et ne doit pas être un bloc monolithique. Les relations de terrain avec Bruxelles seront ainsi beaucoup plus régulières.
Toutefois, au-delà des frontières des vingt-sept États, un renforcement de la coopération régionale est nécessaire. À ce titre, les organisations régionales de gestion des pêches restent jusqu’à présent les meilleurs instruments de gouvernance, notamment pour ce qui est des stocks chevauchants et des réserves de poissons grands migrateurs des zones économiques exclusives et de la haute mer.
Toutefois, leurs résultats sont inégaux, et elles n’ont pas toujours fait preuve d’efficacité dans l’adoption de mesures de conservation et de gestion rigoureuses, l’application de ces décisions ou la mise en œuvre des moyens de contrôle correspondants. Il y a donc lieu de renforcer l’engagement de ces organisations en la matière et d’améliorer leurs résultats globaux.
Dans cette perspective, la coopération avec nos partenaires internationaux continuera à jouer un rôle crucial. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au moment où se pose avec force la question de l’alimentation du monde, le problème des ressources maritimes revêt une importance capitale, sur notre planète, qui est couverte à 70 % d’océans, et dans notre pays, qui, avec 5 500 kilomètres de côtes, devrait théoriquement occuper une place prépondérante dans le monde de la pêche.
La France a délégué à l’Europe l’essentiel de ses prérogatives dans ce domaine en 1983, année de naissance de la politique commune de la pêche. Son rôle se limite donc, d’une part, à négocier les quotas par espèces et par secteurs, une fois les taux de capture admissibles établis, et, d’autre part, à accompagner les crises cycliques en proposant des plans financiers qui doivent être acceptés par la Commission européenne.
Dans le courant de l’année 2008, nous avons pu constater les difficultés créées par Bruxelles à la France au nom du sacro-saint droit européen et de la concurrence libre et non faussée, qu’il s’agisse du prix du carburant ou des 310 millions d’euros d’aides prévus en 2008, dont 40 millions d’euros au titre de l’aide sociale et 230 millions d’euros destinés à « moderniser » et restructurer la flotte de pêche au cours des trois années à venir. « L’euro-compatibilité » est toujours là pour jouer les gendarmes !
En ce moment même, la porte-parole de la Commission européenne tergiverse pour 4 millions d’euros destinés à aider les pêcheurs de Calais ou de Dunkerque. Mes chers collègues, où allons-nous ?
Nous pouvons donc globalement nous interroger sur les effets des politiques communautaires et nationales menées en matière de pêche depuis 1983.
Au travers de l’exemple de la Bretagne, le rapport de l’OPECST souligne l’augmentation de l’intensité capitalistique du secteur de la pêche depuis les années 1980. Il met en évidence l’augmentation du nombre des bateaux mesurant de 16 à 25 mètres, au détriment de ceux qui font moins de 10 mètres, en raison de la politique des subventions. Le même rapport établit un fort lien entre cette dernière et la crise de la pêche artisanale.
La casse des bateaux de pêche, appelée en langage politiquement correct « sortie de flotte », représente déjà 78 bateaux en 2009, dont 24 pour les départements bretons. Depuis vingt ans, c’est la moitié de la flottille qui a disparu en France !
La pêche artisanale côtière est menacée de disparition alors qu’elle contribue à maintenir le tissu social de nos ports, qu’elle constitue une sécurité face aux délocalisations et qu’elle est garante de qualité et de proximité. Existera-t-elle encore en 2013, au moment de la réforme de la politique commune de la pêche qui a été annoncée ?
Allons-nous faire comme pour la PAC, c’est-à-dire prendre conscience qu’il faut aider les petits agriculteurs au moment où ceux-ci ont disparu ? Il s'agit d’une véritable question au regard du parallélisme que nous pouvons établir entre la PAC et la PCP.
La France et l’Europe n’échappent pas à la situation mondiale de la pêche et de la ressource halieutique en ce qui concerne tant les capacités d’exploitation que la surexploitation des stocks. Aujourd’hui, les réserves des dix espèces les plus importantes sont surexploitées.
Les techniques et les périodes de pêche entraînent un volume de rejets qui représente entre 20 % et 50 % des quantités débarquées. La pêche minotière industrielle écume les mers pour environ 23 millions de tonnes. En comparaison, les rejets représentent 30 millions de tonnes.
Ce type de pêche non sélectif est certes utile pour l’aquaculture, mais il est dangereux pour la conservation des espèces. Selon l’INRA, des farines végétales pourraient remplacer les farines de poissons, mais Bruxelles ne semble pas avoir pris ce sujet à bras-le-corps !
La pêche française souffre certes des quotas, mais aussi d’un réel problème de revenu, qui n’est pas automatiquement lié aux quantités pêchées. La désorganisation logistique du marché et ses règles économiques conduisent à de multiples aberrations dans un pays qui importe près de 85 % de sa consommation de poissons.
Il est scandaleux de voir détruire quarante tonnes d’un produit aussi noble que les coquilles Saint-Jacques. C’est pourtant ce qui vient de se passer !
Ce seul exemple illustre toutes les imperfections du marché du poisson en France, depuis les criées, les pêcheurs et les mareyeurs jusqu’à la distribution.
Les produits sont divers, irréguliers, débarqués en de multiples points de l’Hexagone, les prix souvent élevés et instables, les consommateurs désorientés et dubitatifs devant une offre inorganisée.
Certaines des dix propositions formulées par M. Marcel-Pierre Cléach dans son rapport vont dans le bon sens.
Nous approuvons l’idée de développer les partenariats entre pêcheurs et scientifiques. Il ne serait pas inutile d’y associer les décideurs politiques, qui, le plus souvent, se contentent d’une approche très théorique du sujet.
En ce qui concerne la gestion des ressources, seuls ces partenariats permettront le respect des totaux admissibles de capture et des quotas, à condition que ceux-ci soient gérés de façon pluriannuelle.
La question des rejets et celle de la pêche minotière appellent respectivement à une aide technique et à une réglementation plus sévère.
Les quotas individuels transférables portent en eux-mêmes le danger de la concentration et de la délocalisation. Ils risquent fort d’être détournés de leur vocation initiale, à savoir la responsabilisation individuelle des pêcheurs.
La question de la rentabilité de la pêche est complexe et coûteuse, dans la mesure où des études sérieuses montrent que la perte annuelle au plan mondial est égale à 64 % de la valeur débarquée et représente un manque à gagner de 51 milliards d’euros. Les conclusions à en tirer seraient qu’il convient de réduire de 43 % le coût de la pêche, d’augmenter de 71 % le prix du poisson ou de réduire de 25 % à 50 % la capacité de capture.
Dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques est également évoqué le sevrage des aides publiques. S’il est vrai que ces aides ont parfois des effets négatifs pour la pêche artisanale – concentration et destruction de la flottille –, il conviendrait, dans un premier temps, de les cibler sur une assurance revenu pour compenser, d’une part, les périodes de non-pêche, et, d’autre part, les aléas du marché, qui engendrent une dégradation des revenus.
Les politiques actuelles de la pêche ressemblent davantage à une fuite en avant face à l’effondrement de la ressource qu’à la traduction d’une réelle volonté de rétablir les stocks et de restructurer le marché.
Il s’agit d’un problème qui appelle des décisions européennes et mondiales pour contrecarrer le braconnage, la surpêche, la falsification des chiffres réels, ainsi que le colonialisme de pêche.
L’acidification des océans, qui serait liée aux émissions de CO2, doit amener les scientifiques et les chercheurs à accélérer leurs investigations, à condition que les moyens financiers et humains nécessaires leur soient donnés pour conduire cette recherche vitale. C’est peut-être tout l’avenir de l’équilibre des océans et de la pêche qui en dépend.
Je conclurai en faisant miennes ces déclarations de Daniel Pauly, expert mondial de la pêche : « Il faut pêcher moins si l’on veut continuer à pouvoir pêcher. En ciblant la pêche industrielle, on réduirait beaucoup les capacités de pêche, sans affecter beaucoup de personnes. » M. Pauly ajoute : « On ne gère pas les stocks avec son estomac, mais avec sa tête. »
Je terminerai sur une réflexion personnelle : ne gérons pas la pêche pour capitaliser de l’argent, mais pour nourrir les hommes, sans oublier les pêcheurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)