Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Demuynck, rapporteur. Il se trouve que je suis élu d’une commune voisine de Neuilly-sur-Marne, dont Jacques Mahéas est maire.
Il est vrai que les banlieues connaissent des problèmes et des difficultés. Il faut donc absolument les valoriser, comme cela se fait à Neuilly-sur-Marne, comme je le fais à Neuilly-Plaisance, car certains des jeunes de ces quartiers ont des qualités absolument remarquables.
Ce serait sûrement plus facile si nous pouvions faire passer ce message dans les médias. Bien sûr, l’opération « Talents des cités », dont le Sénat est partenaire, rencontre quelque écho, mais, tout le reste de l’année, lorsqu’on parle de la Seine-Saint-Denis ou de certains quartiers, c’est de manière négative. On en donne une image déformée.
Comment remédier à cette situation ? Pour ma part, je crois beaucoup aux contrats aidés, notamment dans les collectivités.
M. Jacques Mahéas. Six mois, c’est trop court !
M. Christian Demuynck, rapporteur. Permettez-moi d’évoquer ma propre expérience. J’ai, comme d’autres sans doute, mis en place des contrats d’accompagnement dans l’emploi, des CAE, pour des jeunes en très grande difficulté. Personne d’autre que nous n’est prêt à les prendre ! L’objectif est d’amener ces jeunes à un certain niveau de compétence – meilleure aptitude à la lecture et au calcul, simplement – afin de les insérer dans les services municipaux. La collectivité peut alors – c’est ce qui s’est passé dans ma commune – prendre en charge la formation de ces jeunes dans un CFA. Seule une collectivité publique peut assumer cette tâche !
Voilà un moyen d’aider ces jeunes. D’autres dispositifs sont mis en place par l’État, mais je pense que les contrats aidés sont un moyen efficace pour lutter contre cette situation.
M. Jacques Mahéas. Remettez donc en place les emplois-jeunes ! C’est beaucoup plus intelligent !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Avant d’en venir à l’objet de ma question, permettez-moi de réagir aux propos que vient de tenir M. Demuynck en réponse à M. Mahéas, l’un et l’autre étant maires d’une commune de Seine-Saint-Denis.
Vous déclarez, monsieur le rapporteur, qu’il faut cesser de stigmatiser les jeunes de banlieue, et je ne peux que partager ce point de vue. Mais ne pensez-vous pas que Mme la ministre de l’intérieur devrait, d’abord, appliquer elle-même ce précepte ? Déclarer que certaines villes de ce département sont des « supermarchés de la drogue » ne contribue pas à aplanir les difficultés !
En qualité de membre de la mission, je tiens à saluer à mon tour le sérieux et la qualité de ses travaux. Cela a été rendu possible grâce à sa présidente, Mme Le Texier, à son rapporteur, M. Demuynck, et aux collaborateurs du Sénat qui nous ont accompagnés.
Monsieur le haut-commissaire, comme cela a été rappelé du haut de la tribune, chacun des membres de la mission a constaté qu’un consensus se formait sur l’objectif d’octroyer à tous les jeunes une allocation ; c’est ce que, pour notre part, nous appelons le « revenu pour l’autonomie des jeunes ».
Je considère que ce consensus est une avancée. Les élus de mon groupe soutiennent ce projet depuis de nombreuses années, mais force est de constater qu’il ne s’est jamais trouvé une majorité pour le mettre en œuvre.
Aujourd’hui, pour justifier le report de son étude, a fortiori de sa mise en œuvre, on avance bien entendu son coût. Monsieur le haut-commissaire, pouvez-vous donc nous indiquer la nature et le montant actuel des différentes aides fiscales et budgétaires destinées aux jeunes ?
Pour calculer le coût réel d’une telle aide, nous vous proposons d’envisager un revenu qui comprendrait deux allocations : l’une, fixe, pour tous les jeunes, l’autre, variable en fonction des revenus de chacun. Il est bien évident qu’il s’agit du revenu du jeune, pas de celui de ses parents, et que la somme de ces deux allocations devra dépasser le seuil de pauvreté.
Enfin, monsieur le haut-commissaire, comme l’a suggéré M. Jean-François Voguet, ne pourrait-on pas rechercher les fonds nécessaires à la mise en place de ce revenu d’autonomie du côté des niches fiscales et du bouclier du même nom ?
Mme la présidente. La parole est à M. le haut-commissaire.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Madame le sénateur, on estime à 30 milliards d’euros le coût des divers dispositifs de soutien fiscaux et sociaux. Je parle sous le contrôle de votre collègue Virginie Klès, coprésidente du groupe « ressources », en charge de ce dossier.
La question de la mise en place d’un revenu ou d’une dotation d’autonomie pour les jeunes n’est pas simplement de nature financière.
Si, depuis des dizaines d’années, ce projet figure dans les programmes politiques sans pour autant trouver une traduction concrète, ce n’est pas seulement pour une question de coût. C’est aussi pour une question de principe. Nous considérons en effet qu’il serait préjudiciable d’accorder un revenu sans avoir, parallèlement, une augmentation du taux d’activité, du niveau de formation ou de qualification. C’est le nœud du problème et cela nous force à être imaginatifs.
Nous envisageons donc différents scénarios. Il faut expérimenter divers dispositifs en évitant de créer un revenu de soutien qui se substituerait à un revenu du travail. Je suis persuadé que vous seriez les premiers à accuser le gouvernement qui instaurerait un tel dispositif de se substituer aux employeurs, de faire de l’insertion factice, d’encourager la concurrence vis-à-vis de vrais contrats salariaux. Il faut donc trouver un levier.
À cet égard, il existe plusieurs pistes, mais je pense surtout à celle qui consisterait à créer une sorte de capital dont le jeune pourrait disposer sous certaines conditions. Cela aurait évidemment des effets sur le pourcentage de jeunes en formation ou ayant un emploi. Mais cela doit aussi avoir une incidence sur les efforts qu’ont, de leur côté, à consentir les entreprises et les différents organismes publics pour ne pas continuer à avoir 14 % ou 15 % de jeunes qui ne sont ni en formation ni dans un emploi.
Nous ne travaillons donc pas uniquement dans un esprit comptable. Nous essayons de trouver la dynamique qui permettra d’augmenter les taux d’activité, de formation et de qualification.
J’ai cru comprendre que vous me demandiez par ailleurs s’il serait envisageable – mais il s’agit aussi de savoir si la représentation nationale l’accepterait – que des aides soient versées directement aux jeunes, sans passer par leur famille.
Parmi les différentes aides, qu’il s’agisse du quotient familial, des prestations familiales après dix-huit ans, pouvons-nous trouver un accord pour que tout ou partie des ressources allouées aille directement sur le compte du jeune ? Au passage, est-il possible de prévoir une égalisation pour que les jeunes issus de familles modestes perçoivent une aide supérieure à celle qu’ils perçoivent aujourd'hui ?
Effectivement, la logique impose d’accepter de telles propositions. J’espère que le réalisme politique ne s’y opposera pas. (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Chacun d’entre nous sait que la crise ne fait qu’amplifier le problème récurrent du chômage des jeunes.
La flexibilité accrue du marché du travail pèse, pour une large part, sur leurs épaules : dans le secteur privé comme dans la fonction publique, ils servent souvent de variable d’ajustement.
En marge de l’actualité conjoncturelle, il convient de ne pas négliger un aspect déterminant qui est la perte de sens, voire la perte du sens même de notre culture.
Depuis le siècle dernier, le travail s’impose comme une notion centrale. La formation doit déboucher sur l’emploi ; l’emploi assure l’autonomie. Cette centralité est en adéquation avec notre culture, qui établit que l’épanouissement de la personne est intimement lié à son activité professionnelle.
Aujourd’hui encore plus qu’hier, la réalité économique détruit cette logique, mais aussi l’emploi, la qualité du parcours pour y parvenir, les conditions de travail et, parfois, toute perspective d’épanouissement.
En 2008, seulement 26 % des jeunes Français jugeaient leur avenir prometteur, contre 60 % au Danemark et 54 % aux États-Unis.
C’est dans ce contexte que s’effectue le précieux travail des missions locales ; précieux parce qu’il relève de l’accompagnement de publics à qui l’on ne cesse de promettre des solutions qui tardent à venir ou auxquelles on ne croit plus depuis longtemps.
La notion d’accompagnement est cruciale. Un seul chiffre vous convaincra : en 2007, grâce aux missions locales, 600 000 jeunes ont trouvé un emploi bien qu’ils n’aient pas été inscrits à l’ANPE ni répertoriés dans vos statistiques.
Ces résultats attestent que les missions locales ont développé un savoir-faire contribuant sans aucun doute à restaurer le sens et la valeur – la vraie ! – du travail dans notre société, comme en leur temps les emplois-jeunes avaient eu pour vertu d’intégrer le public concerné dans un parcours cohérent au sein du monde du travail en le maintenant à distance de la précarité.
L’actuel gouvernement considère ouvertement que l’insertion des jeunes a un coût élevé. Cette conception étriquée ne prend pas en compte la notion incontournable du coût évité.
Si ce rapport valorise les missions locales, et l’on doit s’en féliciter, il s’abstient de préconiser une augmentation de leurs moyens alors que le nombre de jeunes concernés ne cesse de croître. Au moment où les charges des missions locales augmentent, leur budget stagne désespérément depuis 2005. À l’heure actuelle, un conseiller de mission locale peut suivre jusqu’à 400 jeunes sur l’année… C’est plus qu’incompréhensible : c’est inadmissible ! Comment concevoir un accompagnement personnalisé réalisable dans ces conditions ?
Monsieur le haut-commissaire, envisagez-vous de prendre les mesures budgétaires qui s’imposent pour donner aux missions locales, qui n’ont plus à faire la preuve de leur utilité et de leur efficacité, les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement ?
En parlant de coût évité, monsieur le haut-commissaire, je fais référence à un rapport qu’avait remis au Gouvernement, en 1990, un homme que vous connaissez bien, M. Claude Alphandéry, puisque ce rapport au gouvernement traitait du coût évité des politiques sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le haut-commissaire.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Madame le sénateur, vous avez raison.
Nous avons évoqué tout à l’heure les évolutions qui se sont produites au cours des trente dernières années. La création des missions locales, en 1982, a été une des initiatives les plus intéressantes parmi celles qui ont été prises à l’époque en matière de politique sociale en faveur des jeunes. Ce n’est pas un hasard si les missions locales ont peu à peu essaimé sur l’ensemble du territoire et si elles ont acquis la place qui est actuellement la leur.
Comme toutes les autres structures, elles ont connu des réussites variables d’un endroit à l’autre, mais il ne viendrait aujourd'hui à l’esprit de personne de remettre en cause leur existence. Au contraire, il convient de voir comment peut être améliorée leur articulation avec les autres acteurs.
Effectivement, un million de jeunes passent par les missions locales chaque année, lesquelles affichent un taux de retour à l’emploi d’environ 42 %, ce qui signifie aussi que, sur cent jeunes franchissant leurs portes, cinquante-huit ne trouveront ni un emploi ni une formation.
Mais il faut savoir que beaucoup de jeunes n’arriveront pas jusqu’à la mission locale ou mettront deux ou trois ans pour y parvenir. De nombreux acteurs des missions locales déplorent qu’ils n’aient pas accès aux établissements d’enseignement parce que, pour ces derniers, les missions locales sont synonymes d’échec.
Sur la question des moyens des missions locales, je peux vous annoncer que, face à l’afflux actuel de la demande, Pôle emploi augmentera de 20 % à 25 % sa contribution aux réseaux des missions locales dans les prochaines semaines. Le directeur général de Pôle emploi me l’a garanti il y a trois jours.
M. Jacques Mahéas. Sous quelle forme ? Financière ?
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Sous forme de co-traitance. Dans la mesure où l’on reconnaît que les missions locales traitent plus de jeunes, il est clair qu’il faut augmenter le nombre de forfaits que Pôle emploi versera, à partir de ses ressources, aux missions locales.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le haut-commissaire, le déficit de confiance dont souffrent les jeunes a été un véritable leitmotiv au cours de nos travaux.
Nous vivons le paradoxe d’une société dont l’objectif est d’émanciper l’individu, de le rendre plus autonome, mais qui, dans le même temps, dresse des obstacles devant lui.
C’est un problème de conscience et de justice sociale. Mais notre devoir d’élus et de parents doit aussi nous amener à considérer la jeunesse comme notre richesse et notre avenir.
Il s’agit de réconcilier la société avec ses jeunes, c’est-à-dire de croire en leur potentiel et de définir les moyens pour faciliter leur prise d’autonomie.
Accéder à un logement autonome est un moment fort dans la vie d’un jeune. Il marque le passage à l’âge adulte. Pour ceux qui sont en situation plus difficile, l’acquisition d’une adresse est aussi un préalable indispensable à la recherche d’emploi.
Le logement est un domaine où le déficit de confiance envers les jeunes est flagrant. On le mesure, notamment, à tout ce que les jeunes doivent fournir à un bailleur : caution parentale, fiches de paie, attestations de toutes sortes, avance de loyers, etc.
De nombreuses propositions sont faites à cet égard dans le rapport, qui ont reçu l’assentiment de mon groupe : extension des garanties des risques locatifs ; généralisation des Loca-Pass ; attribution d’une APL beaucoup plus réactive et adaptée aux jeunes.
Je souhaite apporter un éclairage particulier sur deux dispositifs et mettre en évidence une nécessité.
Tout d’abord, dans le cadre de la location, une piste intéressante, susceptible d’apporter une réponse innovante, alternative et immédiate – elle a été évoquée par le rapporteur – consiste à favoriser les rapprochements intergénérationnels. Nous avons, d’un côté, des jeunes qui rencontrent des problèmes de ressources et de logement et, de l’autre, des personnes âgées qui éprouvent des difficultés liées à la solitude. Les avantages matériels et pratiques apparaissent d’emblée : on soulage la demande de logement et l’on contribue à répondre au problème de solitude des personnes âgées en créant du lien social.
Il y a là une convergence qui relève indiscutablement d’une stratégie de gagnant-gagnant, grâce à des baux encadrés favorisant une cohabitation à la fois constructive et équilibrée.
Derrière ces évidences, c’est la notion de confiance qui réapparaît. Une telle démarche réhabiliterait le rôle des jeunes et réaffirmerait leur utilité aux yeux de la société et d’eux-mêmes.
Les agences immobilières à vocation sociale, les AIVS, ont aussi un rôle à jouer en matière d’autonomie grâce, notamment, au mécanisme de garantie locative.
Sur le plan pratique, ces agences tiennent lieu de « tiers de confiance » en dissipant la crainte du bailleur. Leur intervention facilite l’obtention d’un toit, le maintien de la dignité et permet au jeune de s’inscrire dans un parcours résidentiel ainsi que dans un processus d’autonomisation.
Le rôle dévolu aux AIVS s’affirme d’autant mieux qu’elles couvrent un éventail potentiel d’actions très large et qu’elles sont capables de s’adapter aux besoins des jeunes et aux réalités.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Maryvonne Blondin. La pénurie de logements sociaux ressort de manière frappante de nos auditions. La priorité des priorités est d’en construire non seulement pour les familles, mais aussi pour les jeunes et pour les moins jeunes.
Les collectivités territoriales ont un rôle à jouer, qu’elles assument au travers d’outils de planification que nous connaissons tous.
Monsieur le haut-commissaire, il faut que nous puissions construire des logements et que nous en ayons les moyens.
J’espère que ces thèmes seront abordés lors des IVèmes rencontres parlementaires sur le logement, qui se dérouleront le 11 juin prochain.
Les jeunes attendent beaucoup de nous. Nous ne devons pas les décevoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le haut-commissaire.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Madame Blondin, j’ai pu apprécier dans le Finistère les initiatives prises en faveur des jeunes et du logement.
La mission d’information a mis l’accent sur cette question, et nous y travaillons.
Concernant le logement intergénérationnel, il existe un paradoxe : tout le monde le plébiscite, mais il reste très marginal.
Les assises du logement intergénérationnel que nous organisons et qui se tiendront en septembre ont tout simplement pour objet de mettre les différents protagonistes autour d’une table et de populariser cette pratique. Les collectivités locales soutiennent cette démarche et nous devons mettre à contribution les différents acteurs pour que ce type d’échange se diffuse.
Cela suppose aussi que soit traité un problème juridique qui n’est pas bien compliqué, mais qui n’a jamais résolu à ce jour : il faut que le jeune puisse être accueilli en échange de quelques heures de travail sans violation de la législation en vigueur.
Le bail de colocation soulève également quelques problèmes juridiques, mais ils devraient être résolus assez facilement et le dispositif sera opérationnel au mois de juin.
Vous m’avez par ailleurs interrogé sur la garantie du risque locatif.
Il faut le marteler ici comme partout, le risque d’impayé de loyer n’est pas plus élevé chez les jeunes !
Du reste, la présomption d’impayé et de non-fiabilité que l’on fait peser sur les jeunes s’assimile purement et simplement à une pratique discriminatoire : tel est le cas lorsque l’on exige plus de garanties, à revenu égal, d’un jeune qui cherche à louer un logement que d’une personne plus âgée. J’ai donc décidé de saisir la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, afin que, au-delà du travail qu’elle a déjà réalisé sur les discriminations en fonction de la couleur de la peau – et qu’elle a eu raison de mener ! –, elle procède à un testing pour démontrer la nécessité de mettre un terme aux discriminations à l’accès au logement en fonction de l’âge. J’espère que cette saisine sera traitée dans l’année.
Enfin, vous avez insisté sur le foncier et la commission de concertation sur la politique de la jeunesse devra se prononcer sur cette question. Le maire de Courcouronnes qui co-préside le groupe de travail sur le logement au sein de la commission estime, par exemple, que deux stratégies sont possibles : la première consiste à proposer une dizaine de mesures, assortie de quelques crédits, la deuxième consiste à mobiliser le foncier pour la construction de logements. Notre effort doit porter sur cette deuxième option, plutôt que sur la création de dispositifs spécifiques. Le Livre vert qui sera soumis à votre sagacité, avant la conclusion de vos travaux, abordera également cette question.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Demuynck, rapporteur. Nous avons travaillé sur la question du logement intergénérationnel et nous avons considéré, comme vous, monsieur le haut-commissaire, que trop peu de contrats étaient signés : le dispositif fonctionne donc plutôt mal.
Aussi, nous avons envisagé la possibilité de distinguer, d’une part, le bail portant strictement sur les modalités de location et, d’autre part, les services supplémentaires que la personne âgée peut souhaiter et qu’elle rémunère au moyen de chèques services ou de tout autre mode de paiement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Je tiens tout d’abord à saluer le travail remarquable réalisé par la mission sénatoriale d’information et j’exprime l’espoir que des mesures pragmatiques et immédiatement applicables apportent des réponses aux difficultés rencontrées par nos jeunes dans tous les domaines évoqués aujourd’hui.
Plusieurs de mes collègues, monsieur le haut-commissaire, ont exprimé des interrogations quant à la tranche d’âge retenue, 16 à 25 ans. En effet, tout le monde en conviendra, les problèmes des jeunes trouvent généralement leur source avant l’âge de 16 ans.
Ce préalable étant posé, j’en viens plus précisément à ma question, relative à l’apprentissage, qui mérite de retrouver effectivement ses lettres de noblesse. L’accès à l’apprentissage à l’âge de 16 ans est une bonne chose, mais il vaudrait encore mieux permettre à certains jeunes d’y accéder plus tôt : je pense très précisément au dispositif de l’« apprentissage junior ». (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Les jeunes qui en bénéficient réussissent le plus souvent parfaitement leur parcours. Pour eux, deux ans de scolarité normale en collège les auraient conduits à l’échec et auraient contribué à les démotiver, les poussant à décrocher totalement. Tel est, en effet, le langage tenu par les jeunes en rupture suivis par les missions locales, au sein des services « info-jeunes ».
Monsieur le haut-commissaire, comptez-vous promouvoir toute mesure qui permettrait à un jeune de moins de 16 ans qui en exprimerait le souhait d’accéder à l’apprentissage ?
Mme la présidente. La parole est à M. le haut-commissaire.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Madame la sénatrice, ces questions se sont déjà posées dans le passé. Je ferai délibérer sur ce sujet la commission sur la politique de la jeunesse, mais il me semble que, s’il peut être bon d’effectuer un passage en milieu professionnel avant 16 ans – pour changer d’air, apprendre autre chose, éventuellement reprendre confiance en soi en pratiquant des activités plus concrètes par rapport à ses aptitudes –, le fait de placer un jeune de moins de 16 ans dans la situation de subordination induite par un contrat de travail pose en revanche un problème.
On peut encourager la transition vers le monde du travail par un dispositif du type de la formation en alternance, mais en maintenant le terme de la scolarité obligatoire à 16 ans et sans abaisser l’âge à partir duquel on peut souscrire un contrat de travail. Il me semble possible de concilier ces objectifs sans rouvrir les débats infructueux sur l’apprentissage et le salariat de jeunes de 13 ou 14 ans engagés il y a trois ans.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la mission.
Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission commune d’information. Puisque notre débat est interactif, je souhaiterais ajouter un commentaire aux propos de M. le haut-commissaire.
Il me semble qu’il ne faut pas faire l’économie d’une réflexion sur la tendance que l’on observe trop souvent, consistant à renvoyer les jeunes qui « s’ennuient » dans le cursus scolaire classique vers l’apprentissage, des stages ou, directement, l’emploi. Je souhaiterais que l’on se pose vraiment la question de savoir pourquoi tant de jeunes ne réussissent pas dans le circuit scolaire classique : pourquoi conserver ce système d’éducation linéaire, le même pour tous, auquel tous les gamins – excusez ce terme familier qui se voulait chaleureux – doivent s’adapter ? Nous devons réfléchir aux différences existant entre les élèves et tenter de trouver des réponses adaptées.
Notre mission d’information propose de dédoubler les effectifs des cours de lecture au cours préparatoire, ou CP, parce que 80 % des enfants qui ne savent pas lire à la fin du CP ne sauront jamais lire : elle reprend ainsi une idée émise notamment par Luc Ferry. En même temps, lorsque nous avons intégré cette proposition à notre rapport, je me disais qu’il serait bon de dédoubler complètement les classes de CP : je n’ai cependant pas formulé cette proposition parce que j’étais sûre qu’elle serait refusée, en raison du coût financier et des difficultés de tous ordres qu’elle entraînerait, en termes d’effectifs, de locaux, etc. En revanche, le dédoublement des classes de lecture est indispensable. Il devrait également être possible d’inventer d’autres solutions pour les enfants en difficulté scolaire, avant de les orienter vers l’apprentissage.
M. Mahéas a soulevé la question des villes et des quartiers en difficulté : je la connais bien, étant élue dans une ville difficile, eu égard aux nombreux problèmes que rencontrent ses habitants. Notre commune compte vingt et un groupes scolaires : le taux de réussite au brevet des collèges s’élève à 43 % ! Les remèdes sont connus : au lieu de constituer des classes de trente élèves, limitons les effectifs à douze élèves, renforçons la présence des adultes dans les établissements… (M. Jacques Legendre s’exclame.) Oui, cela coûte cher ! Mais voulez-vous que des milliers de gamins continuent d’échouer au brevet des collèges ? Les solutions existent, elles ont été expérimentées notamment aux États-Unis, des sociologues comme Edgar Morin en parlent très bien ! Les remèdes sont connus, mais ils ont un coût : les choix financiers sont des choix politiques, et vice-versa. Je ne vous dis pas que nous allons adopter cette solution ce soir, mais je voudrais que l’on se pose sérieusement cette question ! (Mme Maryvonne Blondin applaudit.)
M. Patrice Gélard. C’est de la démagogie !
Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission commune d’information. Non, je ne fais pas de démagogie !
M. Jacques Legendre. Si !
Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission commune d’information. Qu’allez-vous faire de ces jeunes ?
Je vous le dis très amicalement, pour abonder dans le sens de l’intervention de Jacques Mahéas, – et je profite de la présence de M. le haut-commissaire – les situations dans ces villes deviennent absolument ingérables : on y trouve une concentration de toutes les misères, la mixité sociale n’y existe plus ! Ne vous faites pas plaisir en continuant de parler de notre idéal de mixité sociale, il est mort ! Nous sommes en train de fabriquer ce que l’on a toujours voulu éviter en France : des ghettos et de l’apartheid ! (Mme Patricia Schillinger opine.)
Nous devons donc nous interroger sur cette situation. Je suis très heureuse que M. le haut-commissaire soit présent aujourd’hui parce qu’il ne pourra pas me répondre en évoquant l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, et les moyens qui lui sont accordés. L’action de l’ANRU est très positive, mais il ne suffit pas de ravaler les façades, de restructurer les quartiers ; il faut réfléchir aux moyens de mettre un terme à la formation de ghettos.
Vous ne voulez pas vous poser cette question : je vous assure que nous allons tous le payer très cher, dans peu de temps ! Mais ce sont ces jeunes qui le paieront le plus cher, et cela, ce n’est pas de la démagogie !
M. Jean-François Voguet. Chez nous, l’échec scolaire est inévitable !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Je souhaite simplement répondre à Mme la présidente de la mission d’information car je suis un peu choquée par ses propos liminaires sur l’apprentissage. J’ai clairement dit qu’il importe, à mes yeux, de rendre à l’apprentissage ses lettres de noblesse. Je n’ai pas voulu dire qu’il fallait placer en apprentissage, dès 14 ou 15 ans, des enfants en rupture qu’il faudrait aiguiller sur une voie de garage. Cessons de dire qu’un enfant qui ne réussit pas doit aller en apprentissage !
Au contraire, des jeunes disposant des capacités intellectuelles qui permettent de poursuivre des études longues – vers lesquelles on les pousse d’ailleurs ! – décident de quitter l’école à 16 ans, parce que ce type d’enseignement ne répond pas à leurs attentes. Le monde de l’apprentissage manque précisément de ces jeunes, dotés de capacités intellectuelles importantes, et qui, par la suite, continueront à se former parallèlement à l’apprentissage et fréquenteront peut-être un jour l’université. Donnons-leur la possibilité d’accéder plus tôt à l’apprentissage !
Mon propos ne portait donc pas sur les enfants en difficulté majeure, mais sur les enfants qui ont envie, à un moment donné, de quitter le circuit normal des études et se trouvent en difficulté à 16 ans, parce que cette possibilité ne leur a pas été offerte plus tôt.