M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Dépôt de rapports du gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre a transmis au Sénat :
- en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi visant à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ;
- le rapport sur les conditions de mise en œuvre des procédures de rescrit, de promotion du dispositif et de publication des décisions de rescrit.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Le premier sera transmis à la commission des lois et le second, à la commission des finances.
Ces documents seront disponibles au bureau de la distribution.
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Avenir du programme de l'Airbus A400M
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 37 de M. Jean-Jacques Mirassou à M. le Premier ministre sur l’avenir du programme de l’Airbus A400M.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Jean-Jacques Mirassou attire l’attention de M. le Premier ministre sur le programme de l’avion de transport militaire Airbus A400M, dont l’avenir sera scellé à la date butoir du 1er juillet 2009. Il revêt une importance cruciale à l’échelon européen pour des raisons économiques, de stratégie industrielle mais également en matière de politique de défense. Cette importance avait justifié la confiance de sept pays européens - Allemagne, France, Espagne, Grande-Bretagne, Turquie, Belgique et Luxembourg -, futurs acquéreurs de cent quatre-vingts exemplaires de cet appareil.
« Les difficultés techniques rencontrées au cours de la construction de l’Airbus A400M ont engendré un retard estimé à trois ans pour sa première livraison. Ce retard pourrait, dans le pire des cas, conduire à l’abandon pur et simple du programme.
« Les déclarations contradictoires du patron d’Airbus et de la direction d’EADS ne sont pas de nature à conforter l’avenir même si, par ailleurs, le Premier ministre et le ministre de la défense ont récemment affirmé leur volonté de faire aboutir ce projet.
« Il est donc temps de clarifier la situation, et la question posée ici est simple : où en sont les négociations menées avec les sept ministres de la défense concernés, et comment agit le Gouvernement pour affirmer sa détermination et garantir la poursuite du programme de l’A400M ? »
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la question.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, j’avais la faiblesse de penser que ma question revêtait un caractère certain d’actualité, mais, à en juger aux travées désertées par mes collègues, qui étaient pourtant nombreux pour assister à la séance de questions au Gouvernement, je serais tenté de relativiser…
Je reste cependant persuadé que cette question est tout à fait d’actualité et je pense, monsieur le secrétaire d’État, que vous serez, en tout état de cause, convaincu de la légitimité de notre interrogation en ce qui concerne l’avenir du programme de l’A400M.
Sur cet avion de transport militaire reposent des ambitions industrielles et de défense non seulement à l’échelon national, mais également et surtout au niveau européen.
Vous comprendrez également, monsieur le secrétaire d’État, que je sois, en ma qualité d’élu de la Haute-Garonne, particulièrement attentif à ce dossier.
À quelques jours d’une décision déterminante pour l’avenir du projet A400M, nous écouterons bien entendu avec beaucoup d’intérêt les réponses que vous voudrez bien nous fournir.
Je tiens par ailleurs à saluer le rapport d’information, intitulé L’Airbus militaire A400M sur le « chemin critique » de l’Europe de la défense, établi par nos collègues Jean-Pierre Masseret et Jacques Gautier : ce travail remarquable et équilibré a été apprécié non seulement par les élus que nous sommes, mais également par toutes les personnes d’EADS ou de Latécoère que j’ai eu l’occasion de rencontrer ces derniers jours.
L’A400M constitue à bien des égards un enjeu plus que symbolique de la politique de défense de l’Union : sans la réalisation du programme, cette politique ne saurait s’affirmer ni se concrétiser.
Ce programme est donc fondamental, tant sur le plan de la stratégie industrielle que sur celui de la mise en perspective d’une politique européenne de défense. Voilà bien, à n’en pas douter, un sujet d’actualité.
La Haute-Garonne s’est profondément investie dans ce projet parce qu’il est porteur d’avenir, à tel point, du reste, que de très nombreux emplois sont tributaires de sa pérennité et de sa réussite. Le maintien et l’essor d’un tissu industriel et d’un secteur d’activités de recherche connu et reconnu méritent aussi toute notre attention.
Cela veut dire clairement, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que la décision éventuelle de renoncer à la poursuite du programme de l’A400M occasionnerait, notamment pour la région toulousaine, un véritable traumatisme économique et social.
Je rappelle que, dans le cadre de la réforme de la carte militaire, le général Klein s’était rendu à Toulouse pendant l’été 2008 pour annoncer – je dois le dire, à la stupeur générale – la fermeture totale de la base aérienne 101 de Francazal à l’échéance de septembre 2010.
Au-delà des choix opérés dans le cadre de cette refonte de la carte militaire, l’une des raisons avancées pour justifier cette décision était que la base aérienne de Francazal n’avait pas la capacité d’accueillir l’A400M ou au prix d’un aménagement qui, trop onéreux, ne pouvait pas être retenu.
Vous comprendrez bien que cette information conduit les élus à penser, et je me fais aujourd’hui en quelque sorte leur interprète, qu’il résultera inévitablement de cette décision-là une forme de sanction, avec des conséquences économiques très pénalisantes pour l’agglomération toulousaine, privée du pouvoir d’achat de près de mille personnes et d’autant de familles.
La région serait donc en quelque sorte frappée d’une « double peine » si l’A400M ne se faisait pas, puisque, de toute façon, la ville où devait être produit l’appareil ne pouvait pas l’accueillir.
Faut-il souligner, monsieur le secrétaire d’État, que la Haute-Garonne a durement pâti des graves difficultés rencontrées récemment par le couple EADS-Airbus ? Ces difficultés ont du reste conduit à la mise en place du plan « Power 8 », imposé à Airbus dans les conditions que l’on connaît, au prix d’un volet social très dur : 10 000 emplois supprimés sur quatre ans, dont 3 200 en France et 1 100 pour le seul siège d’Airbus, à Toulouse.
Le prix à payer n’était vraiment pas de nature à dissiper les craintes et les incertitudes exprimées par les salariés d’Airbus, les sous-traitants, et, plus largement, l’ensemble de la population de Toulouse, voire de la Haute-Garonne et même de la région Midi-Pyrénées.
Ces inquiétudes perdurent à plus forte raison depuis que l’on connaît les effets néfastes de la crise économique et monétaire, qui a amplifié la dépression de l’industrie aéronautique.
Il est donc fondamental de tout mettre en œuvre pour éviter le choc considérable que constituerait l’arrêt du programme de l’A400M non seulement à l’échelon du département, mais aussi au niveau national et international, avec le retentissement qu’il aurait sur la politique industrielle, de défense et de recherche-développement de l’Europe.
Toujours est-il que des négociations avec les pays clients ont été engagées pour décider de la poursuite ou de l’arrêt du programme. Ces négociations ont été très difficiles et continuent sans doute de l’être au moment où je parle.
La période économiquement trouble que nous traversons complique certains arbitrages, et cela d’autant plus qu’il est de la responsabilité des gouvernements de prendre en compte les attentes légitimes des populations de leur pays respectif. À cela s’ajoute le fait que, dans certains États, des échéances électorales importantes se profilent, ce qui doit compliquer encore les discussions.
Ce sont donc, au total, sept pays qui doivent à nouveau s’entendre pour statuer sur la production de cent quatre-vingts avions, et chacun a ses propres priorités.
Ainsi, l’Allemagne, qui s’était engagée à acheter soixante de ces appareils, dénonce les trois ans de retard qui ont déjà coûté 1,8 milliard d’euros à EADS. À ce propos, il peut être intéressant et même indispensable de relativiser et de considérer le retard pris dans la perspective plus large d’un programme dont la réalisation est destinée à s’étaler sur plusieurs décennies. Trois ans, c’est peu, au regard de la durée du programme !
La presse a par ailleurs laissé entrevoir que la Grande-Bretagne envisageait d’annuler sa commande initiale de vingt-cinq appareils pour se tourner vers des avions de transport militaire tels que le Boeing C17. Ce pays, du reste, n’est pas le seul à envisager de trouver en dehors du consortium européen des solutions de remplacement à l’A400M.
La France elle-même, qui est pourtant le deuxième plus gros client, puisqu’elle a commandé cinquante appareils, n’a pas exclu, comme on l’a appris le 17 mars 2009, de réduire le nombre d’A400M qu’elle souhaite acquérir. Elle a justifié ce changement de cap en arguant du retard pris par le programme.
Pourtant, notre pays est, à l’évidence, un important bénéficiaire des programmes d’Airbus. De plus, pour ses armées, en matière de transport tactique et logistique, la France pourrait trouver des solutions de repli qui, sans être idéales, certes, devraient lui permettre de faire face à ses engagements de défense jusqu’à la livraison des Airbus militaires et d’assurer ainsi la « soudure ».
Je pense, par exemple, au renforcement de la voilure des Transall les plus récents, ceux qui ne sont pas à bout de souffle, ainsi qu’au recours accru aux appareils CASA pour les besoins opérationnels tactiques.
En ce qui concerne le niveau logistique, le programme SALIS – Strategic airlift interim solution ou, en français, solution intérimaire pour le transport stratégique - dans le cadre duquel sont louées des heures de vol sur Antonov, offre des solutions palliatives qu’il convient aussi d’explorer rigoureusement.
En tout état de cause, acheter des avions Boeing pour faire face aux besoins immédiats de l’armée française - solution qui a été envisagée -, serait foncièrement illogique.
En effet, l’un des modèles qu’il pourrait s’agir d’acquérir – le C135 – est, selon nos informations, pratiquement aussi cher que l’A400M et, surtout, presque deux fois moins performant. Et, pour couronner le tout, si un tel choix devait être fait, nous n’aurions aucune garantie que les appareils soient livrés à la date prévue pour les Airbus, même en tenant compte du retard.
Par conséquent, cette solution est en quelque sorte mort-née.
Rappelons que l’Airbus A400M, anciennement connu sous le nom d’ATF, avion de transport futur, offre des avantages qu’aucun autre appareil n’est en mesure de proposer.
L’Airbus A400M n’a pas d’équivalent.
Il se caractérise par une polyvalence sans précédent. Il sera, en outre, le seul avion militaire disposant d’une certification civile, ce qui accrédite une technicité et une fiabilité qui iront bien au-delà de tout ce qui existe actuellement. Il est fondamental d’insister sur ce point.
M. Yvon Collin. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Mirassou. Indépendamment de toute autre considération, ces données techniques, à même de garantir une efficacité et une sécurité accrues de nos armées, justifient les efforts qu’ont décidé de consentir les États européens lorsqu’ils se sont engagés dans ce programme.
Les conflits contemporains, tout à la fois polymorphes, dangereux et éclatés sur l’ensemble du globe, plaident pour que les armées européennes disposent de capacités de projection de forces.
M. le ministre de la défense a défini la projection de forces dans l’annexe au projet de loi de finances pour 2009 comme étant « la capacité de faire intervenir, jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres, avec leur soutien et leur logistique associés, des groupements de forces interarmées, sous commandement interarmées, dans un cadre national ou multinational ».
Il est impensable que l’Europe se prive d’une telle capacité dans un contexte international de plus en plus « instable », pour utiliser un euphémisme.
L’A400M répond à des besoins solides nettement identifiés par les États signataires. C’est le cas de la France, comme je l’ai précédemment souligné, mais également de la Belgique, de l’Allemagne et du Royaume-Uni.
Il revient donc à chaque pays de redéfinir son positionnement par rapport à ce programme.
En effet, dans le cadre d’un projet industriel européen, nous avons rarement eu l’occasion, comme aujourd’hui, de pouvoir répondre tout à la fois à des impératifs politiques, de défense et de recherche-développement, ainsi qu’au besoin de garantir des savoir-faire de qualité.
Une expertise de ce type est manifestement l’un des piliers sur lesquels souhaite reposer l’Europe de la connaissance, notamment parce qu’elle renforce le tissu économique, social et industriel des États membres de l’Union européenne et de leurs partenaires.
De plus, compte tenu de la nécessité d’éviter qu’un département tel que la Haute-Garonne, pardonnez-moi d’y revenir, ne soit sinistré par une décision qui, indépendamment de sa résonance globale, touchera en premier lieu, et de plein fouet, le Grand Toulouse, il importe que la pérennité du programme de l’A400M soit assurée.
Nous avons bien pris note du fait que le groupe EADS sera contraint de rediscuter les modalités du contrat de 20 milliards d’euros passé par lui avec les sept clients concernés : la France, l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Belgique, le Luxembourg et la Turquie.
Les premières livraisons n’étant pas prévues avant la fin de l’année 2012, les dispositions de ce contrat de nature commerciale donnent à ces sept États la possibilité de renoncer en cours de route à leurs ambitions industrielles et de défense, démarche néanmoins onéreuse à plus d’un titre.
Rappelons tout de même que, dans le contexte économique très dégradé que nous connaissons, s’agissant en particulier d’une filière aéronautique très durement touchée par la crise actuelle, Airbus est quasiment le seul avionneur à maintenir, et nous savons à quel prix, des performances satisfaisantes.
On ne peut que convenir de la nécessité de préserver ce fleuron de l’industrie aéronautique européenne, d’autant qu’il travaille avec de très nombreux sous-traitants qui ont investi énormément dans le programme de l’A400M.
Il en va ainsi de l’entreprise Latécoère de Toulouse, qui a consenti beaucoup d’efforts, je peux en témoigner pour l’avoir visitée récemment, le travail de ses bureaux d’études ayant abouti à de véritables avancées technologiques, par exemple en matière de meubles électriques ou de câblages.
Il est évident que si, par malheur, ce programme était abandonné, les investissements consentis par les sous-traitants, sur le plan humain comme sur le plan économique, auraient été vains, ce qui viendrait alourdir encore la tâche de tous ceux qui s’efforcent de surmonter une crise dont j’ai déjà dit à quel point elle était pénalisante pour l’ensemble du secteur aéronautique.
Aujourd’hui, EADS souhaite une nouvelle répartition des risques industriels entre les partenaires du programme de l’A400M.
Il s’agirait de prendre en compte un nouveau calendrier de livraison, plus réaliste que celui qui a été initialement fixé, pour en conséquence réaligner les pénalités sur les échéances ainsi redéfinies.
Si responsabilité il y a par rapport au retard enregistré, elle doit être partagée : les États qui actuellement renâclent à payer les pénalités de retard sont ceux qui, antérieurement, ont poussé les feux pour que ce programme soit réalisé le plus rapidement possible, en faisant l’impasse sur le caractère novateur de cet avion et sur les incertitudes technologiques, inévitables en la matière ; elles devaient, il est vrai, pénaliser la finalisation du projet, notamment en ce qui concerne le moteur.
Cette solution est non seulement raisonnable, mais aussi nécessaire.
Cependant, les États européens hésitent à prendre en charge le surcoût induit – on les comprend –, alors qu’il était pourtant prévisible s’agissant d’un programme portant une ambition aussi considérable que l’A400M et qui sera pérennisée à très long terme.
En tout état de cause, il est indispensable, mes chers collègues, que la France s’engage de manière aussi ferme et aussi claire que l’Espagne et la Turquie. Ces deux pays ont en effet annoncé le samedi 4 avril, lors d’une réunion à Strasbourg, qu’ils maintiendraient leurs commandes quoi qu’il arrive et quel que soit le temps que cela prendrait.
M. Yvon Collin. Belle preuve de confiance !
M. Jean-Jacques Mirassou. Pour mémoire, je rappelle que l’Espagne a passé commande de vingt-sept exemplaires de cet appareil militaire et que la Turquie s’est engagée pour dix appareils.
La société Airbus a elle-même souligné un temps les difficultés qu’elle rencontrait dans la fabrication du futur avion de transport militaire, et ce d’une manière qui a beaucoup surpris. C’est ainsi que, le 29 mars 2009, le patron d’Airbus a déclaré à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel : « Dans les conditions actuelles, nous ne pouvons pas construire l’appareil. », ajoutant, sans craindre la redondance, qu’il préférerait « une fin qui provoque des cris d’orfraie plutôt que des cris d’orfraie sans fin » !
D’autres déclarations toutes aussi intempestives ont suivi qui, dans une période délicate, n’ont fait qu’ajouter de la confusion à la confusion.
La maison mère EADS, qui, selon ses dires, ne voyait pas dans de telles déclarations le reflet de ses propres positions, a été contrainte de réaffirmer explicitement son total engagement et sa totale détermination à mener à bien le programme de l’A400M. Ce faisant, elle n’a pas pour autant minimisé les difficultés auxquelles elle se heurte.
Cette péripétie est venue bien inutilement aggraver un contexte déjà tendu dont il faut, à quelques jours de la prise de décisions importantes, « sortir par le haut ».
Le programme de l’A400M est, à plus d’un titre, un enjeu stratégique, tant du point de vue économique, notamment en termes d’emplois, que du point de vue de la défense et de la recherche-développement européennes.
Il est donc grand temps de lever l’ambiguïté suscitée par des propos contradictoires et d’affirmer clairement les intentions de la France ainsi que la détermination de notre pays en ce domaine. J’espère que c’est en ce sens que vous me répondrez, monsieur le secrétaire d'État.
M. le ministre de la défense a déclaré récemment souhaiter que « ce programme soit préservé » et a rappelé, à propos de l’A400M, qu’il s’agissait d’« un programme européen phare, un programme majeur pour l’industrie, un programme extrêmement bien placé et unique dans le monde ». Nous sommes tous ici d’accord sur ce point !
De même, M. le ministre a souligné, le 14 mai dernier, que la France faisait tout pour sauver cet avion de transport militaire. Or cette déclaration, même si elle est empreinte de volontarisme, peut être entendue de façon optimiste ou de façon pessimiste… S’il faut tout faire pour sauver l’A400M, c’est qu’il y a effectivement danger !
Faute d’une information claire, notamment en direction de la représentation nationale, l’expression de la détermination absolue du Gouvernement français à assurer la pérennité de l’A400M reste pour le moins confidentielle, ce qui n’est pas de nature à rassurer toutes celles et tous ceux qui, impliqués dans l’avenir de ce programme, souhaiteraient obtenir des certitudes ou à tout le moins des indications leur permettant d’espérer.
Certes, le sujet est délicat, compte tenu des négociations en cours avec les autres pays clients, mais je fais confiance à la représentation nationale pour utiliser à bon escient et avec pertinence les informations qui lui seraient communiquées.
Pour l’heure, il est regrettable que les sénateurs ou les députés bénéficient du même niveau d’information, jusqu’à présent assez faible, d’ailleurs, qu’un simple citoyen lisant la presse et s’intéressant au sujet.
Une période décisive s’est ouverte au début du mois d’avril dans le cadre de négociations dont la date butoir a été fixée au 1er juillet 2009.
Nous savons que M. le ministre de la défense a rencontré à plusieurs reprises, notamment à Prague, le jeudi 2 avril, ses sept homologues européens concernés par le projet d’Airbus militaire.
J’imagine que, depuis cette date, d’autres rencontres ont eu lieu. Monsieur le secrétaire d'État, qu’en est-il résulté ? Des décisions ont-elles été prises ? Enfin et surtout, la stratégie arrêtée garantit-elle la poursuite du programme de l’A400M et son corollaire, le maintien de nombreux emplois ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le programme A400M constitue un triple défi, un défi de coopération entre États, un défi industriel et, enfin, un défi militaire.
En effet, la réalisation de l’Airbus A400M est, à ce jour, l’un des deux plus importants programmes d’armement réalisés en coopération par les nations européennes.
Elle est le fruit d’un long, trop long processus de concertation au terme duquel sept États disposeront du même avion de transport militaire à la fois tactique et logistique. Il s’agit de l’Allemagne, de la France, de l’Espagne, du Royaume-Uni, de la Turquie, de la Belgique et du Luxembourg.
Les besoins de la France dans ce domaine ne datent pas d’hier. En effet, c’est dès le début des années quatre-vingt que nos forces armées ont commencé à réfléchir sur un projet de nouvel avion de transport stratégique à longue distance.
Ce projet constitue un bel exemple de coopération dans le domaine industriel, mais aussi et avant tout dans le domaine de la défense européenne.
Malheureusement, le groupe EADS a annoncé au début de cette année un retard d’au moins trois ans pour la première livraison de l’A400M ; mais il est vrai que cette entreprise, outre ses tensions internes, a été soumise à des désidératas de plus en plus nombreux émanant des donneurs d’ordre, à savoir les pays concernés par ce projet, ce qui a considérablement compliqué sa tâche et, de facto, retardé la conception et la réalisation de cet appareil. C’est ainsi que la première livraison de ce dernier, initialement fixée au mois d’octobre 2009, est désormais prévue au mieux pour la fin 2012, et probablement en 2013.
Ce retard sera lourd de conséquences. D’abord, il remet en cause l’avenir même du projet. Ensuite, il provoquera, en l’absence de solution de substitution, une grave remise en cause des capacités de projection de nos forces armées. En effet, la flotte actuelle de transport tactique française, constituée de C-160 Transall et de C-130 Hercules, est vieillissante, ce qui pose dès aujourd’hui des problèmes de disponibilité des appareils.
Le rapport réalisé en début d’année par nos collègues MM. Jean-Pierre Masseret et Jacques Gautier précisait que, dans l’hypothèse où l’A400M n’entrerait jamais en service et où rien ne serait fait pour retarder ou compenser le retrait des Transall et autres appareils, la capacité d’emport à 8 000 kilomètres en cinq jours serait réduite d’un tiers d’ici à 2015.
Si l’A400M est un avion militaire, ses missions ont une vocation autant stratégique qu’humanitaire.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous indiquer quelles sont les intentions du Gouvernement sur l’avenir du projet et, surtout, les mesures palliatives qui pourraient être prises en cas de non-respect de l’avancée de ce projet ? Qu’en est-il notamment de l’achat éventuel d’avions de type C-130 – nous l’entendons évoquer parfois –, qui me paraîtrait, pour ma part, très regrettable ?
L’Airbus A400M devra nous permettre d’équiper nos forces armées avec du matériel innovant et performant. L’un des atouts majeurs de ce projet réside dans sa capacité à concevoir un appareil à la pointe de la technologie, sans être contraint d’avoir recours à des constructeurs hors d’Europe, notamment américains.
Le projet A400M, comme tout projet industriel d’envergure, fait appel à un grand groupe industriel, en l’occurrence EADS. Mais, derrière ce grand constructeur aéronautique, c’est une multitude de PME qui travaillent quotidiennement à l’avancement de ce projet et fondent des espoirs d’avenir. Parmi l’ensemble de ces sous-traitants européens, c’est naturellement au sort des PME françaises que je suis particulièrement sensible.
Sur ce point, je m’interroge, monsieur le secrétaire d’État, car, si le principe de préférence communautaire semble bien respecté dans le cadre de ce projet, certains sous-traitants français ont perdu des marchés au profit d’autres entreprises européennes ; je pense notamment à la fabrication de certains missiles.
Je ne remets nullement en cause le principe de préférence communautaire, au contraire. Je tiens cependant à rappeler ici que les PME françaises disposent d’un réel savoir-faire technique. Or ce savoir-faire est mis en péril si on n’assure pas à ces entreprises un minimum de commandes. C’est une réelle expertise française qui est en jeu.
La situation de ces entreprises sous-traitantes est d’autant plus délicate qu’elles sont déjà victimes de la faiblesse du plan de charges de la construction du Rafale, dont les commandes publiques ont été réduites, de l’incertitude relative à la modernisation des Mirage 2000D, pourtant prévue dans le Livre blanc de la défense nationale et dont notre force aérienne tactique a impérativement besoin, ainsi que de l’opération missile que j’évoquais à l’instant.
En cette période de crise économique mondiale, l’A400M comme la modernisation du Mirage 2000D font partie de ces grands projets industriels qui pourraient très utilement participer à la relance. Il faut donc à tout prix s’assurer que le plus grand nombre possible de nos entreprises puissent participer pleinement et durablement à cet élan, qui est effectivement un élément fort de la commande publique.
Je sais que M. le ministre de la défense et vous-même, monsieur le secrétaire d’État, êtes très sensibles à ce sujet. Ce magnifique projet européen qu’est l’A400M doit donc se poursuivre, dans l’intérêt tant de l’Europe que de la France. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Jean-Jacques Mirassou applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord souligner l’importance de la question de notre collègue Jean-Jacques Mirassou, qui interroge le Gouvernement sur ce qu’il compte entreprendre pour tenter de sauver le programme européen de nouvel avion de transport militaire A400M.
« Sauver », le terme n’est pas trop fort, car il s’agit bien d’un programme que de grands industriels européens de l’aviation n’ont pas su mener à bien, même s’ils ne sont pas les seuls responsables de ce que l’on peut aussi appeler un « fiasco ».
L’échec actuel de ce programme européen est révélateur de beaucoup de choses et comporte des enjeux d’une importance majeure.
Les enjeux, ce sont, par exemple, les capacités opérationnelles de nos forces armées, les menaces qui pèseraient sur de nombreux emplois dans notre pays, le savoir-faire de milliers d’ingénieurs, cadres techniciens et ouvriers de nos industries aéronautiques, mais aussi la capacité des industries aéronautiques européennes à construire un avion de transport militaire.
J’espère donc, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous apporterez des réponses précises sur l’état actuel des discussions engagées avec nos partenaires européens et avec EADS.
Il me semble toutefois que les dernières informations de presse faisant état d’une nouvelle demande de moratoire d’EADS aux gouvernements participant au programme ne sont pas de bon augure. Comment doit-on interpréter ce nouveau délai ? Quelles en sont les raisons ? À quoi cela servira-t-il ?
Lorsque, au début de cette année, EADS a annoncé qu’il serait incapable de tenir les délais de livraison de l’avion, ses spécifications et, bien sûr, son coût, les gouvernements européens ont rapidement considéré qu’il fallait renégocier les contrats, comme le souhaite d’ailleurs l’avionneur. EADS a donc déjà bénéficié d’un moratoire pour présenter de nouvelles propositions, ce qui permettait temporairement d’éviter que certains pays n’annulent leurs commandes et ne demandent l’application de pénalités qui auraient signé l’arrêt de mort du nouvel appareil.
Je crois ainsi comprendre que le ministre de la défense cherche à trouver un compromis sur un nouveau calendrier, sur le partage des coûts et sur les solutions de remplacement temporaires pour les différentes armées.
Nous attendons donc que vous nous exposiez tous les tenants et aboutissants de ce dossier.
Mais, pour ne pas commettre de nouvelles erreurs, il faut tout de même tirer quelques enseignements de cette malheureuse opération qui nous avait été présentée par la ministre de l’époque comme le nec plus ultra de l’économie de marché au service des industries de défense.
Le résultat, aujourd’hui, est que les forces armées d’Europe et de Turquie n’auront cet avion ni dans les délais ni aux coûts sur lesquels EADS s’était engagé.
Les raisons avancées par EADS pour expliquer les retards ont été essentiellement techniques : l’entreprise a insisté sur la difficulté à faire réaliser un moteur entièrement nouveau par quatre constructeurs européens différents ainsi que sur la peine à satisfaire les exigences particulières de chaque pays à partir d’un modèle de base.
À ces raisons s’en ajoutent d’autres, plus profondes.
Les responsabilités sont partagées entre les industriels et les gouvernements, dont celui auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État. Cela s’explique, car ils ont souvent des conceptions proches dans le domaine économique et social.
Je vois quatre explications principales à l’échec actuel du programme de l’Airbus A400M.
Tout d’abord, ce contrat de type purement commercial était totalement inadapté aux exigences et aux spécificités d’un programme d’équipement militaire.
Ensuite, les quatre constructeurs du moteur, concurrents dans le civil, n’ont pas su trouver les formes de coopération adaptées nécessaires à ce programme spécifique.
De plus, il est incontestable qu’EADS a connu des problèmes de « gouvernance » motivés par des rivalités nationales entre notre pays, le Royaume-Uni et l’Allemagne, chacun défendant les intérêts purement capitalistiques et financiers de ses industriels.
Enfin, il faut noter que l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, l’OCCAR, qui est l’organisme européen censé veiller au contrat signé et est chargé de gérer le programme, n’a joué aucun rôle, n’a pris aucune décision et s’est contenté d’accumuler les demandes des armées de l’air des pays.
Le fiasco de ce programme pose la question d’une nécessaire coopération industrielle en Europe en matière de défense, dans le respect de l’identité de chacun.
Ce n’est pas votre conception, monsieur le secrétaire d’État, ni celle de vos homologues, car vous préférez à cela des alliances capitalistiques qui privilégient la rentabilité financière sur les critères industriels, militaires et stratégiques. Les exemples de GIAT-Industries, de DCN, la Direction des constructions navales, et bientôt de la SNPE, la Société nationale des poudres et explosifs, illustrent malheureusement mon propos.
Au-delà, cet échec fait aussi peser de lourdes menaces sur la possibilité d’avoir un jour une politique européenne de défense qui soit réellement autonome. Il est en tout cas révélateur de l’absence de volonté politique d’un certain nombre de nos partenaires européens d’aller dans ce sens.
La renégociation des contrats ne doit pas se faire à n’importe quelles conditions. Mais il n’y aurait rien de pire que l’abandon de ce programme, car il entraînerait des conséquences désastreuses en termes d’emplois, de savoir-faire technologique, de crédibilité des avionneurs européens, mais s’accompagnerait aussi, d’un point de vue économique, de pertes financières majeures.
Il faut également avoir présent à l’esprit que, dans cette hypothèse, ce serait abandonner pour longtemps encore aux industriels américains le transport militaire aérien.
Enfin, pour les raisons que j’ai évoquées précédemment, les dysfonctionnements de ce programme ont d’ores et déjà des répercussions négatives sur les capacités opérationnelles des forces armées en Europe. Les gouvernements devront trouver des solutions qui seront onéreuses sans être toujours satisfaisantes pour pallier le déficit de capacités créé par ce retard.
Pour cet ensemble de raisons, nous souhaitons vivement, monsieur le secrétaire d’État, que, dans les discussions qui sont en cours, et dans l’intérêt bien compris de notre pays, vous fassiez preuve de fermeté pour qu’EADS respecte ses engagements et que ce programme aboutisse, et cela sans céderau chantage à l’emploi auquel se livrent des industriels qui n’ont que trop tendance à mettre en avant, pour partager les risques, les seules conséquences financières des dérives du programme de l’A400M. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)