M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.
M. Alain Dufaut. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc de nouveau réunis pour compléter le dispositif que nous avons adopté le 13 mai dernier et que nous avions déjà voté au Sénat le 30 octobre 2008.
Cette ultime étape est nécessaire puisque le Conseil constitutionnel a censuré le pouvoir de sanction de la HADOPI en matière d’accès à internet.
Pour le Conseil constitutionnel, en effet, la décision de suspension de l’abonnement du fraudeur ne saurait être prise par une autorité administrative. Dont acte !
On peut regretter que la décision du Conseil constitutionnel nous oblige à modifier le projet initial dans la mesure où le Gouvernement souhaitait éviter au contrevenant la voie pénale : il distinguait la situation du fraudeur occasionnel, du pirate du dimanche, relevant de l’autorité administrative de la HADOPI, du cas beaucoup plus grave du fraudeur « massif » ou se livrant au piratage de masse dans un but lucratif, jugé pour contrefaçon par les tribunaux.
Cependant, comme il n’est pas possible d’éviter une judiciarisation de la procédure, le Gouvernement s’est attaché à mettre en place un dispositif simple et rapide.
Je souhaite tout d’abord souligner que le Conseil constitutionnel ne revient pas sur le principe de riposte graduée, n’ayant pas considéré l’accès à internet comme un droit fondamental.
Le cœur du dispositif mis en place par la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet demeure donc dans son principe, ce dont on ne peut que se féliciter. Je me devais de le rappeler aux opposants à la loi, qui prétendaient que le Gouvernement menaçait les libertés individuelles, des propos que je viens encore d’entendre à l’instant. (M. David Assouline fait un signe de dénégation.)
Bien au contraire, ce projet de loi vise simplement à restaurer l’équilibre actuellement rompu entre deux séries de droits fondamentaux qui doivent être nécessairement conciliés : le droit de propriété et le droit moral des créateurs sur leurs œuvres, d’une part, le droit au respect de la vie privée des internautes, d’autre part.
La liberté n’est-elle pas de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ? La seule liberté à laquelle il est mis aujourd'hui fin, c’est celle de se servir abondamment dans le répertoire de nos artistes, sans leur rendre des comptes. Qui peut être contre ?
En effet, les conséquences du piratage de masse sont désastreuses pour l’économie des industries culturelles et, par conséquent, pour toute la création. Je citerai quelques chiffres récents communiqués par le syndicat national de l’édition phonographique : le marché des ventes de CD et de DVD a connu une chute de 18,5 % pour le seul premier trimestre de 2009. Depuis le début de la crise du disque, voilà sept ans, ce marché a été divisé par trois, mes chers collègues !
Or cette chute est loin d’être compensée par les ventes numériques légales – internet et téléphonie mobile –, qui ne représentent que 15 % du total des ventes musicales. Si l’on veut que les offres légales progressent, il faut donc stopper le piratage ou y mettre un frein important.
La lutte sera essentiellement préventive et pédagogique. Selon un sondage IPSOS réalisé en 2008 et une étude du même type menée au Royaume-Uni, 90 % des personnes interrogées cessent de « pirater » après deux avertissements successifs.
Le rapporteur l’a souligné, ce projet de loi tend à restaurer la crédibilité de la sanction dans l’esprit des internautes. Le dispositif est, j’y insiste, particulièrement dissuasif, ce qui devrait limiter considérablement les contentieux. Pour les réfractaires, est prévue la possibilité de recourir aux ordonnances pénales et au juge unique. Le déroulement de la procédure judiciaire est ainsi facilité et gagnera en rapidité. Comme il est indiqué dans l’étude d’impact préalable, les conséquences budgétaires en seront limitées d’autant.
L’étude conclut que le système de sanctions prévu par le projet de loi évitera aussi bien la « criminalisation » des pirates ordinaires que l’engorgement des services d’enquête et des tribunaux.
Je tiens à souligner que la commission de la culture a adopté plusieurs amendements visant à perfectionner le dispositif. Elle propose ainsi de clarifier la situation du titulaire de l’abonnement à internet « négligent » n’ayant pas protégé suffisamment son accès. Celui-ci sera averti par courrier recommandé préalablement à toute sanction.
Par ailleurs, la commission souhaite éviter des sanctions disproportionnées : elle propose en particulier que le fraudeur qui se réabonnerait malgré la décision de suspension ne puisse encourir une peine d’emprisonnement.
J’adhère également aux garanties proposées pour protéger la vie privée, notamment l’effacement des données personnelles une fois la période de suspension de l’abonnement terminée. Un amendement prévoit que la sanction de suspension en cas de négligence ne soit pas inscrite au bulletin n° 3 du casier judiciaire, accessible aux employeurs, ce qui est une très bonne chose.
Notre rapporteur, Michel Thiollière, qui s’est beaucoup investi dans l’étude de la loi HADOPI, …
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. C’est vrai !
M. Alain Dufaut. … et de ce nouveau texte, doit être félicité pour sa volonté de clarifier et rendre plus efficace encore le dispositif, et ce dans le respect des droits de chacun.
Comme l’a dit Mme le garde des sceaux dans son propos introductif, il s’agit d’un texte équilibré. Bien évidemment, le groupe UMP votera ce projet de loi essentiel pour garantir le respect de la création dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous sommes aujourd’hui saisis est le résultat du parcours chaotique de la loi HADOPI, texte dont le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de souligner les graves insuffisances et les travers dans sa décision du 10 juin 2009.
Cette décision est éclairante à plus d’un titre. Le Conseil constitutionnel ne se contente pas de censurer un dispositif de riposte graduée contraire au principe de la séparation des pouvoirs ; il affirme également la compétence de principe de l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, notamment pour ce qui concerne les droits de la défense et la présomption d’innocence.
Après une telle décision, on aurait pu imaginer que le nouveau texte se conformerait à ces sages prescriptions, et nous offrirait toutes les garanties en termes de respect des droits constitutionnellement protégés.
Or, je regrette de le dire, le texte qui nous est aujourd'hui présenté est pire que le précédent ! Au lieu de se conformer aux principes développés dans la décision du Conseil constitutionnel, il cherche à les esquiver, maladroitement, parfois même de manière éhontée. La manœuvre est peu habile, puisque ce texte est, au final, un ensemble de bricolages juridiques, indigeste et inapplicable. Il ne tire donc aucune conséquence de la censure du Conseil constitutionnel !
À cet égard, je citerai quatre difficultés soulevées par la procédure mise en place pour juger des infractions de contrefaçon sur internet ou de négligence dans la surveillance de sa connexion internet.
Premièrement, j’aborderai la nature du pouvoir d’enquête de la commission de protection des droits de la HADOPI.
Selon le projet de loi, une autorité administrative dite « indépendante » peut exercer des prérogatives normalement dévolues au juge judiciaire, au mépris du principe de séparation des pouvoirs !
La question est simple : les membres de la commission de protection des droits ont-ils des pouvoirs de police judiciaire leur permettant de constater des infractions et d’en récolter les preuves ?
Il est écrit dans l’exposé des motifs du projet de loi, de manière très explicite, que les membres de la commission ont des pouvoirs de police judiciaire. Or, devant la commission de la culture, Mme le garde des sceaux avait souligné qu’il n’y avait « pas lieu de reconnaître à ces agents une habilitation aux pouvoirs d’enquête de police judiciaire dans la mesure où ils n’ont pas vocation à prononcer de mesure répressive ».
Cette contradiction révèle un malaise profond, pour ne pas dire de réelles difficultés. En effet, qui croire ? L’exposé des motifs du projet de loi ou Mme le garde des sceaux ? Dans les deux cas, il y a manifestement entorse au principe de la séparation des pouvoirs.
Soit ces agents ont des pouvoirs de police judiciaire et, dans ce cas, il faut donner au juge la possibilité de contrôler leurs opérations ; soit ils n’ont aucun pouvoir de police judiciaire, et, dès lors, leurs constatations ne valent pas plus que celles d’un enquêteur privé, que notre justice répugne, à juste titre, à considérer comme des auxiliaires de justice !
Il est donc absurde de dire que leurs procès-verbaux font foi jusqu’à preuve du contraire. C’est donner à ces agents des pouvoirs de police judiciaire que Mme le garde des sceaux leur a explicitement refusé devant la commission de la culture !
Au passage, je tiens à rappeler à Mme le garde des sceaux que la qualité d’officier ou d’agent de police judiciaire ne donne pas compétence pour prononcer des mesures répressives, contrairement à ce qu’elle a sous-entendu devant la commission. Il revient au juge de prononcer de telles mesures, et vous l’avez d’ailleurs appris à vos dépens, avec la décision du Conseil constitutionnel.
Il revient à la police judiciaire dans l’exercice de ses pouvoirs de faire respecter la régularité de la procédure et les droits du prévenu. C’est l’équilibre même de la procédure pénale qui en dépend, indispensable à tout procès équitable !
Dans la procédure que vous nous proposez, il n’y a aucun encadrement de la constatation des infractions. Ni juge ni officier de police judiciaire ! Une personne simplement assermentée peut mener des actes d’investigation, allant, je le rappelle, jusqu’à la saisie de données, sans qu’un juge en soit même une seule fois tenu informé !
Madame le garde des sceaux, vous avez pris en exemple les agents de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Toutefois, vous avez oublié de préciser que ces derniers agissent sous l’autorité du procureur de la République, qui peut s’y opposer !
Avec ce projet de loi, vous préférez malheureusement sacrifier les droits fondamentaux sur l’autel de la répression et du chiffre ! Voici revenue la politique du chiffre ! C’est absolument scandaleux !
Ce texte fait fi des principes constitutionnels, pourtant rappelés par le Conseil constitutionnel dans sa dernière décision, pour confier à des entreprises privées le soin de récolter des preuves qui relèvent normalement du pouvoir judiciaire !
Cette pratique aura des conséquences importantes dans la procédure qui s’ensuivra. Le juge qui devra statuer aura donc compétence liée, puisqu’il ne pourra se prononcer que sur le fondement des éléments qui lui auront été fournis par la HADOPI, des preuves dont la récolte n’aura pas été contrôlée et dont la loyauté est douteuse, en l’absence de tout contrôle de l’autorité judiciaire !
C’est une méthode qui est dangereuse pour l’avenir des libertés publiques, puisqu’elle organise en réalité le « muselage » des juges au profit d’officines privées !
Madame le garde des sceaux, je vous rappelle que nos juridictions ne sont – heureusement ! – pas des chambres d’enregistrement, ni les juges les pourvoyeurs d’une justice expéditive et secrète ! Incarnation du pouvoir judiciaire, les magistrats sont, à ce titre, les garants de nos libertés individuelles en vertu de la Constitution !
Mes chers collègues, oui, ce texte est un bricolage juridique qui n’a d’autre objectif que de sauver les meubles dans la précipitation et l’impuissance à trouver une solution équilibrée aussi respectueuse des droits de la défense que de ceux des auteurs et de leurs ayants droit.
Cet équilibre, nous aurions peut-être pu le trouver au sein de la commission des lois, dont je suis membre, si celle-ci avait été saisie, au moins pour avis ! Or vous avez soigneusement évité de la consulter au fond, et ce pour une simple raison : vous connaissez la méfiance de ses membres à l’égard des procédures expéditives, qui, trop souvent, font peu de cas des principes constitutionnels.
Deuxièmement, j’évoquerai l’absence de garanties d’un procès équitable.
Dans votre texte, madame le garde des sceaux, la personne poursuivie ne pourra pas automatiquement être entendue par les membres de la commission de protection des droits.
En effet, il est prévu que cette commission « peut » recueillir les observations des personnes mises en cause. Il s’agit donc d’une possibilité, qui ne repose que sur le bon vouloir de ladite commission, au gré de son humeur ou du nombre des affaires à traiter ! Certains auront droit de s’exprimer, tandis que d’autres ne l’auront pas ! Voilà, en somme, des garanties à géométrie variable !
Mes chers collègues, le principe du droit à un procès équitable commande que toute personne mise en cause soit convoquée afin de pouvoir faire valoir, si elle le souhaite, ses observations et soit informée des charges retenues contre elle. C’est ce que disposent non seulement l’article préliminaire du code de procédure pénale, mais également l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. D’autant que les principes directeurs du procès équitable ne s’appliquent pas seulement au prononcé d’une sanction ; ils irriguent toute la procédure en amont, qu’elle soit pénale, administrative ou fiscale.
En conséquence, la procédure que vous nous présentez ne respecte pas le droit à un procès équitable.
Troisièmement, je dénoncerai la violation du principe de la présomption d’innocence.
Dans le cadre de la procédure prévue, c’est non plus le parquet qui instruit, mais une autorité indépendante. Le juge est écarté, et la HADOPI agit comme une autorité investie de pouvoirs d’enquête, au mépris du principe de la présomption d’innocence.
En effet, la culpabilité de la personne est établie sur le fondement d’un constat d’infraction porté sur un procès-verbal. Ce même procès-verbal est réputé faire foi jusqu’à preuve du contraire. Il faut donc en déduire que la personne poursuivie doit apporter la preuve contraire.
Or, vous le savez, en droit pénal, ce n’est pas à la personne poursuivie d’apporter la preuve de son innocence : c’est justement ce que recouvre la notion même de « présomption d’innocence » ! C’est au parquet de fournir les preuves de la culpabilité. Or, il faut se rendre à l’évidence, il est totalement absent de votre dispositif !
Votre système organise ici un renversement complet de la charge de la preuve, ce qui est contraire à l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Quatrièmement, enfin, je relèverai le recours abusif à la procédure simplifiée.
Le recours à l’ordonnance pénale pour juger les infractions de contrefaçon est un non-sens absolu. C’est même, à mon avis, un détournement de procédure !
Ceux qui ont lu les propositions de la commission sur la répartition des contentieux, présidée par M. Serge Guinchard, savent que le développement de telles procédures n’est pas recommandé. À l’occasion de l’examen du projet de loi de simplification du droit, nous avons d’ailleurs repoussé le recours à de telles procédures dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice dans plusieurs contentieux.
Le Gouvernement connaît la méfiance de la commission des lois du Sénat à l’égard de ces procédures expéditives, et c’est certainement l’une des raisons – une de plus ! - pour lesquelles elle a tout simplement été écartée de l’examen de ce projet de loi !
Ces ordonnances pénales sont habituellement réservées aux infractions « simples et parfaitement constituées », comme les infractions routières. Dans ces cas, en effet, il n’y a en général pas de doute sur la culpabilité de l’auteur de l’infraction, par exemple grâce à un éthylotest, et aucune ambiguïté sur l’identité de l’auteur et l’imputabilité de l’infraction. C’est souvent celui qui conduisait la voiture qui souffle dans le ballon pour que soient constatés le taux d’alcoolémie et donc l’infraction…
Mais, dans le cas de la contrefaçon sur internet, les choses ne sont pas aussi évidentes ! En l’occurrence, le support qui permettra au juge de rendre son ordonnance pénale est le procès-verbal établi par la commission de protection des droits, qui est loin de présenter toutes les garanties de fiabilité. Par exemple, il n’y a aucune certitude sur l’identité de l’auteur, vous le savez, puisque n’importe qui peut s’emparer d’une adresse IP. Les logiciels visant à pirater des adresses IP sont d’ailleurs déjà disponibles !
Le juge ne disposera d’aucun autre élément lui permettant de statuer que ceux qui sont fournis par le procès-verbal. Il ne cherchera donc pas plus loin et prononcera les peines de manière quasi automatique. Il s’agit ainsi d’une présomption de culpabilité contraire à notre droit, puisque le juge n’exerce, in fine, aucun contrôle sur l’établissement de la culpabilité.
Cette procédure est également contraire au principe de proportionnalité : comment serait-il possible de rendre une décision dont la peine serait proportionnelle à la gravité de l’infraction si l’identité de l’auteur n’est pas établie avec certitude et si la véracité de l’infraction n’est pas incontestable ?
Mes chers collègues, nous voyons bien qu’il s’agit en réalité d’organiser une justice expéditive, afin de permettre au juge de rendre toujours plus d’ordonnances pénales, en somme, de faire de l’abattage judiciaire !
Selon les statistiques dont nous avons connaissance, un juge rend environ 120 ordonnances pénales par semaine, soit 15 000 environ par an. Et c’est pour ces raisons que l’ordonnance pénale a été choisie : pas de présence du prévenu, pas de droit à la représentation ; bref, une justice au rabais !
En principe, le système du juge unique permet de mieux prendre en compte les droits de la défense de l’individu. En effet, il existe une confrontation, et donc une présence physique de l’individu apte à assurer sa défense. Ce n’est pas le cas ici.
Mais il reste que ce dispositif est une dérogation au principe de collégialité, laquelle constitue un rempart contre la justice secrète ou les égarements individuels de juges, et donc la garantie d’une justice équitable.
En conclusion, mes chers collègues, nous devons réellement nous demander à qui va bénéficier ce projet de loi.
Prenons l’exemple d’un CD à 15 euros, dont le prix de revient réel est de 7 euros. Il rapporte exactement 70 centimes à l’auteur ou 14 centimes à chacun des artistes qui interviennent dans ce CD lorsqu’ils sont cinq. Pour mieux valoriser leur travail, n’y avait-il aucun autre chantier à ouvrir de préférence à celui de la régulation pénale et répressive ?
Permettez-moi de vous le dire en toute franchise : ce texte est une insulte à l’égard tant des juges que de nos règles constitutionnelles, des règles violées qu’il s’agisse tant de présomption d’innocence que du droit à un procès équitable. C’est encore une insulte à l’égard des parlementaires, saisis d’un texte mal rédigé, incomplet et inconstitutionnel.
Donnez-nous la possibilité de modifier ce texte par voie d’amendements, afin de le rendre acceptable. À défaut, le Conseil constitutionnel s’en chargera !
Je regrette, mais, en l’état, les élus Verts ne peuvent pas soutenir ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier Mme le ministre d’État de la contribution essentielle qu’elle vient d’apporter à l’élaboration de ce texte relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, qui complète la loi HADOPI.
Je ferai quelques observations en réponse aux orateurs qui ont ouvert un débat extrêmement intéressant à la suite de la présentation du projet de loi et du rapport de M. Michel Thiollière.
Je précise tout d’abord à M. David Assouline que l’accord relatif à la chronologie des médias a bel et bien été signé, à l’exception d’un organisme ou de deux sur plus de vingt. C’est le signe que le « troisième volet » de la loi HADOPI est déjà en cours d’élaboration.
En effet, après avoir mis en chantier les deux premiers volets que sont la loi HADOPI et le présent texte, un troisième volet existe dans les faits, à la demande du président de la République et du Premier ministre, avec l’engagement que j’ai pris de rencontrer un certain nombre d’organisations pour établir une meilleure rétribution des créateurs, trouver davantage de ressources pour les industries culturelles et améliorer l’offre mise à la disposition des internautes.
Je rappelle que tout ce dont nous parlons constitue essentiellement un préalable : il s'agit d’organiser tout à la fois la pédagogie et la répression des sanctions.
Le débat tout à fait intéressant que nous venons d’avoir a permis de rappeler l’étendue du drame vécu actuellement par les créateurs : un milliard de fichiers sont chaque année consultés illégalement, les ventes de CD et de DVD ont baissé respectivement de 50 % et de 30 %, avec inévitablement, à la clé, des pertes d’emplois dans des proportions considérables.
Au cours de ce débat, quelques-unes des grandes voix de la République, voire de la littérature, furent appelées au secours. Si l’on ne peut que saluer le brio avec lequel elles le furent, on peut aussi se poser quelques questions...
Les deux idées importantes qui ont été évoquées sont en fait contradictoires. En effet, pour les uns, on est allé trop lentement dans l’élaboration de mesures envisagées pourtant depuis des années. Mais, pour les autres, on est allé trop vite et l’on n’a pas pris le temps de la concertation nécessaire.
En vérité, on ne va ni trop lentement, car tous les problèmes de société nécessitent une certaine maturation, ni trop vite, dans la mesure où la situation ne cesse de s’aggraver avec le développement accéléré de nouvelles techniques. En fait, nous respectons le bon tempo pour élaborer une loi ni bricolée, ni bâclée, mais qui est, au contraire, le fruit d’une large réflexion.
Par conséquent, je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, d’adopter le texte qui vous est proposé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur le président, avec votre permission et celle de la Haute Assemblée, je voudrais, après Frédéric Mitterrand, m’exprimer sur quelques aspects plus juridiques et judiciaires de ce texte.
Auparavant, je tiens à remercier les orateurs qui, à une exception près, ont apporté leur réflexion, dont je ne doute pas qu’elle soit sincère et souvent profonde, sur la problématique qui nous occupe et qui concerne à la fois la protection et la sanction.
Je voudrais rassurer ceux qui ont exprimé, de bonne foi, certaines inquiétudes, et tordre le cou à des arguments avancés avec beaucoup moins de bonne foi !
M. Alain Gournac. C’est nécessaire !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. À M. Jack Ralite et à Mmes Françoise Laborde et Alima Boumediene-Thiery, qui ont soulevé le problème, je rappelle que l’ordonnance pénale est une procédure respectueuse des droits de la défense ; personne ne peut affirmer le contraire !
En effet, il est possible de faire opposition et de saisir le juge si l’on a le moindre doute ou si l’on veut faire valoir ses droits, notamment en se constituant partie civile.
En tout état de cause, l’autorité judiciaire conserve son total pouvoir d’appréciation.
Le procureur saisi des procès-verbaux établis par les agents de la commission de protection des droits pourra ouvrir une enquête, laquelle sera ensuite confiée à la police. Le juge n’entrera en voie de condamnation qu’au vu du dossier et des preuves, avec toutes les garanties en matière de perquisition et de saisie.
Autrement dit, si l’on a bien voulu écouter et entendre ce que j’ai dit, la HADOPI se bornera à faire des constatations.
Aussi, madame Boumediene-Thiery, quand je vous entends parler d’« égarements individuels des juges », vous comprendrez que je réagisse, car je ne peux pas admettre que soient proférées du haut de cette tribune de telles attaques contre la magistrature et contre nos institutions.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous sommes dans un État de droit. Nous nous devons, y compris en termes d’exemplarité, d’être respectueux de nos institutions et de la personne des magistrats. J’ai toujours dit que, si des erreurs sont commises et si des magistrats commettent des fautes, des sanctions seront prises selon les procédures prévues. (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.)
Par conséquent, en aucun cas je ne laisserai accuser injustement les magistrats sur la base de tels présupposés et de tels a priori. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Selon vous, madame, le texte serait une insulte. Pour moi, ce sont certains de vos propos qui sont une insulte à la magistrature, et ce n’est pas admissible ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Alain Gournac. Oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est quoi, ça ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Vous avez le droit de contester le texte sur le fond ; c’est sans doute ce que vous avez fait auparavant. Vous avez le droit de soutenir ceux qui, via internet, pillent la création artistique de notre pays.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il ne s’agit pas de cela, madame le garde des sceaux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais c’est quoi, ça ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Assumez vos positions, mais ne prenez pas de faux prétextes...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est incroyable !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. ... pour attaquer des femmes et des hommes éminemment responsables qui sont les garants de nos droits et de nos libertés ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est scandaleux !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. M. Assouline m’a posé des questions très précises, notamment sur les moyens qui vont être dédiés à ces mesures. Je lui ai déjà répondu en citant un certain nombre de chiffres.
Je vous rappelle que le dispositif va monter en puissance de manière progressive. Les moyens seront alloués au fur et à mesure que le besoin s’en fera sentir.
Je suis profondément convaincue que la sanction pénale aura un effet dissuasif, et c’est bien tout l’intérêt ici. Par conséquent, une régulation s’opérera rapidement.
Si une enquête est nécessaire pour établir les faits, je répète qu’elle sera placée sous la direction du procureur, ce qui donne toutes les garanties nécessaires.
Monsieur le président, voilà les quelques éléments purement techniques que je tenais à ajouter, car il est un certain nombre de propos que je ne pouvais laisser passer ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)