M. Bruno Retailleau, rapporteur. Nous sommes tous victimes de l’article 40 !
M. Michel Teston. … nous ne pourrons pas débattre de cette proposition. Par conséquent, j’évoquerai ce point, que je juge essentiel, lors d’une intervention sur article.
Pour conclure, ce texte comporte des avancées, notamment en ce qu’il complète les dispositions de la loi de modernisation de l’économie et fixe des objectifs partagés. Toutefois, dans sa forme actuelle, il ne prévoit d’intégrer au service universel ni la téléphonie mobile ni le haut et très haut débit. Selon nous, c’est une occasion manquée.
La proposition de loi est également imprécise concernant le fonds d’aménagement numérique des territoires en ce qui concerne tant les travaux qu’il peut financer que les ressources dont il va disposer.
Enfin, le texte ne fixe pas un objectif suffisamment ambitieux en matière de couverture numérique hertzienne.
Dans ces conditions, nous ne nous opposerons pas à l’adoption de ce texte. Quant à savoir si nous le voterons, tout dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord féliciter notre collègue Xavier Pintat pour cette proposition de loi, qui s’attaque de manière pertinente, concrète et réaliste à un sujet fondamental, la fracture numérique.
Je souhaite également saluer le travail effectué par le rapporteur, Bruno Retailleau, qui, une fois de plus, prouve sa connaissance du sujet, sa compétence dans ce domaine et sa capacité à rendre compréhensible par chacun d’entre nous des aspects qui sont parfois techniques. Les travaux de la commission ont permis d’améliorer le texte qui nous est proposé aujourd’hui.
Je salue aussi le Gouvernement, qui a su prendre, au cours des derniers mois, des initiatives tout à fait positives, qu’il s’agisse du plan France numérique 2012, du volet numérique du plan de relance, dont la mise en place a cependant été un peu tardive et un peu timide, ou de l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour de la session extraordinaire.
Enfin, je suis très heureux de saluer, au banc du Gouvernement, non seulement la secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, mais aussi le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire,…
Mme Nathalie Goulet. Quel beau ministère ! (Sourires.)
M. Hervé Maurey. …car il ne peut y avoir d’aménagement du territoire sans développement du numérique. Votre présence, monsieur le ministre, est donc symbolique.
Nous sommes tous pleinement conscients, mes chers collègues, de l’importance du numérique tant dans le domaine économique – la Commission européenne a rappelé que le déploiement du très haut débit créerait un million d’emplois et 0,6 % de croissance annuelle supplémentaire –, qu’en termes de culture et de savoir, de développement durable, de qualité de vie et d’aménagement du territoire ; les élus ruraux que nous sommes sont particulièrement attachés à ce dernier aspect.
L’impact du numérique sur les territoires est en effet considérable. Un territoire rural peu favorisé pourra, grâce au numérique, être en situation d’accueillir des activités économiques et touristiques, ainsi que de nouveaux habitants. Au contraire, s’il ne bénéficie pas du numérique, il verra se réduire encore sa population et son activité. Ainsi, l’arrivée du numérique peut inverser un déclin, tandis que son absence peut l’accélérer.
Aujourd’hui, chacun le reconnaît, l’accès au haut débit, c'est-à-dire aux 512 kilobits par seconde, ne correspond plus aux besoins des utilisateurs. Le seuil minimal généralement admis comme nécessaire se situe autour de 2 mégabits : c’est d’ailleurs ce seuil que le gouvernement britannique s’est engagé à atteindre, dans le cadre d’un service universel qui sera mis en place en 2012.
Dans ces conditions, le rapporteur a raison de le souligner, « le déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire n’est pas un luxe. C’est le seul moyen pour que les entreprises et les particuliers puissent bénéficier de nouveaux usages d’internet […] et que les territoires puissent préserver leur attractivité ».
La question qui se pose est celle du coût. En effet, cela a été dit, la couverture du territoire en haut débit représente des montants considérables : on parle de 40 milliards d’euros ! On sait bien que les opérateurs n’investiront que dans les zones rentables, c’est-à-dire les zones denses. On risque donc d’assister à une nouvelle fracture numérique qui laisserait de côté 80 % du territoire et 60 % de la population. Ce n’est pas acceptable et il faudra que la puissance publique, plus précisément l’État, intervienne financièrement. On évalue à environ 10 milliards d’euros les fonds nécessaires.
La création du fonds d’aménagement numérique des territoires est une bonne chose, car on ne peut pas, une nouvelle fois, laisser les collectivités territoriales financer l’ensemble de cet investissement en très haut débit.
La question est de savoir comment alimenter ce fonds. Il me semble que l’État devra le faire au moyen du grand emprunt national – cela me paraît particulièrement approprié, le numérique étant, par essence, un secteur d’avenir –, mais aussi en mobilisant des financements européens et une partie du produit de la vente des fréquences numériques.
La commission a choisi d’exclure une participation des opérateurs, contrairement à ce que prévoyait le texte initial de la proposition de loi. En ce qui me concerne, je ne suis absolument pas hostile à ce que les opérateurs contribuent au financement de la couverture numérique du territoire, à condition que l’on cesse de leur demander de payer pour tout et n’importe quoi. Pour parler clairement, je préférerais qu’ils financent la couverture numérique du territoire plutôt que la suppression de la publicité à la télévision. Je rappelle que la taxe de 0,9 % instituée à cette fin permettrait de raccorder à la fibre optique 380 000 foyers supplémentaires chaque année. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à supprimer ce prélèvement, mais prévoyant en contrepartie un abondement du fonds par les opérateurs. Il ne serait pas non plus anormal que les départements densément peuplés, qui n’auront pas à financer le très haut débit et sont d’ailleurs souvent économiquement favorisés, puissent alimenter le fonds au titre de la solidarité territoriale.
M. Jean-Pierre Plancade. Qu’en pense le président du conseil général du Rhône ? (Sourires.)
M. Hervé Maurey. Il partage mon avis ! (Nouveaux sourires.)
La question de l’accès au très haut débit pour tous – qui ne deviendra une réalité, au mieux, que dans une dizaine d’années –, bien qu’essentielle, ne doit pas en cacher d’autres plus immédiates, à la résolution desquelles il faut s’atteler de toute urgence.
Le sujet de la télévision numérique terrestre a été largement abordé. Chaque jour, des élus et des citoyens découvrent qu’ils ne recevront plus la télévision au moment du passage de l’analogique au numérique : c’est tout simplement inacceptable ! L’objectif d’une couverture à 100 % du territoire fixé par la loi doit être atteint. La commission a d’ailleurs introduit des dispositions en ce sens, et je m’en félicite.
La téléphonie mobile constitue un autre problème majeur qui, malheureusement, n’est pas traité par la proposition de loi. Aujourd’hui, selon les données officielles, 3 000 communes ne bénéficient pas de la téléphonie mobile de deuxième génération, mais nous savons tous que le chiffre réel est sans doute plus important, une commune étant considérée comme couverte dès lors qu’une fraction de son territoire est desservie par la téléphonie mobile. Le problème sera-t-il résolu à l’échéance du plan France Numérique, en 2012 ?
En ce qui concerne la téléphonie mobile 3G, on sait que l’objectif de couverture du territoire n’est que de 98 %, et qu’il est loin d’être atteint. J’espère que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, n’hésitera pas à prendre les sanctions qui s’imposent. Là aussi, je préférerais que l’on demande aux opérateurs d’accomplir leur mission plutôt que d’attribuer une quatrième licence qui n’apportera rien aux territoires ruraux et qui leur servira de prétexte pour ne pas remplir leurs obligations en matière de couverture du territoire.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. François Marc. C’est cela, la concurrence !
M. Hervé Maurey. Nous convenons tous qu’un débit de 512 kilobits par seconde ne suffit pas, mais n’oublions pas que certains territoires n’en bénéficient même pas ! (M. Paul Blanc approuve.) Il est donc quelque peu inconvenant de parler aujourd’hui de très haut débit aux 550 000 foyers qui, selon les chiffres officiels, n’ont toujours pas accès au haut débit.
M. Paul Blanc. Tout à fait !
M. Raymond Vall. Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Hervé Maurey. Par exemple, comment certains bacheliers peuvent-ils s’inscrire à l’université sachant que les inscriptions ne se font que par internet ? Et comment les élus ruraux peuvent-ils accéder aux informations que les préfectures leur adressent désormais exclusivement par le même canal ? Le très haut débit est une belle chose, mais il faut donc assurer l’accès au haut débit pour tous. Le plan France Numérique 2012 prévoit que cet objectif soit atteint au 1er janvier 2010. J’espère que l’échéance sera tenue et que, dans certains cas, des offres légèrement supérieures à 512 kilobits par seconde seront même proposées. Comme M. le rapporteur, je souhaite que nous puissions, chaque fois que cela est possible, augmenter les débits existants.
La commission a bien voulu accepter mon amendement relatif au droit aux tranchées pour les collectivités territoriales, et je l’en remercie. Elle a élaboré un texte important, qui recevra le soutien du groupe de l’Union centriste. Néanmoins, je regrette pour ma part que nous ne soyons pas allés plus loin, notamment en mettant en place un service universel de la téléphonie mobile et de l’internet à haut débit. J’avais également déposé un amendement en ce sens, mais il a été rejeté au titre de l’article 40 de la Constitution. J’aimerais, madame la secrétaire d’État, monsieur le ministre, que le Gouvernement ait la même ambition que le Royaume-Uni, qui prévoit d’instaurer un service universel à 2 mégabits par seconde.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Hervé Maurey. Dès lors que chacun reconnaît que le haut débit et la téléphonie mobile sont indispensables, ils devraient être inscrits dans le service universel. Il serait grand temps que les pouvoirs publics montrent, par des gestes forts, qu’ils considèrent le numérique comme une priorité, tout particulièrement en zones rurales, et qu’ils sont prêts à mobiliser les moyens nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Danglot.
M. Jean-Claude Danglot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici réunis, à quelques jours de la fin d’une session extraordinaire, pour débattre d’une proposition de loi émanant de la majorité, dont le titre donnait à penser qu’elle avait été élaborée dans un souci d’intérêt général.
Cependant, au-delà de cet affichage, et malgré les efforts de la commission, que je tiens à saluer, les délais qui nous ont été imposés ne pouvaient permettre un travail législatif efficace, compte tenu de l’ordre du jour de la semaine qui débute.
La commission de la culture a nommé en urgence un rapporteur pour avis, mais cet avis est resté bien discret, pour ne pas dire qu’il a été étouffé, alors que de nombreux points auraient certainement dû faire l’objet de vifs débats, moins de deux semaines après l’adoption de la très discutable loi dite Hadopi 2.
En effet, la fracture numérique est un véritable sujet de société, qui mériterait mieux qu’une discussion précipitée dans la mesure où elle est le reflet d’inégalités sociales et territoriales dont la résorption représente un enjeu allant au-delà de l’amélioration de la compétitivité de l’économie.
Les arguments développés dans l’exposé des motifs du texte et dans le rapport de la commission, à la fois généraux et techniques, visent à justifier des dispositions que nous combattons depuis des années.
En premier lieu, ce texte est un nouveau moyen d’entériner le désengagement de l’État au profit du marché, qui est désormais l’alpha et l’oméga. Il résulte d’ailleurs de la transposition de directives européennes comme le paquet « télécoms », fondé sur des options idéologiques ultralibérales.
En second lieu, la dérégulation d’un secteur d’intérêt général comme celui des communications selon le dogme de la concurrence libre et non faussée a conduit à renforcer les prérogatives des grands groupes privés, qui accroissent leurs bénéfices au détriment de nos concitoyens, notamment de ceux d’entre eux qui vivent loin des centres d’activité, dans des territoires mal ou pas desservis par les technologies numériques, qu’il s’agisse d’internet, de la téléphonie mobile, de la télévision ou de la radio, et qui ne disposent pas des savoirs requis pour maîtriser les outils de communication les plus récents.
De surcroît, les dispositions relatives à l’accès au haut ou au très haut débit placent une nouvelle fois au pied du mur les collectivités locales, dont nous sommes les représentants : soit elles acceptent de financer le progrès, malgré la baisse constante de leur dotation globale de fonctionnement et l’amputation inéluctable des ressources tirées de la taxe professionnelle, soit elles seront stigmatisées et dénoncées comme hostiles au progrès et insensibles à la question de l’attractivité territoriale.
Tous les efforts déjà accomplis doivent être intensifiés avec moins de recettes, donc avec l’appui du secteur privé marchand. Ce dernier sera largement gagnant, la proposition de loi de notre collègue favorisant clairement les investissements privés qui seront consentis pour la couverture en haut et en très haut débit de nombreuses villes et régions, notamment en permettant leur défiscalisation.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres exposés dans les différents rapports et avis des commissions, conseils et autorités compétents, car ils ne sont que le reflet des inégalités engendrées par le reflux général des missions régulatrices de l’État. Nous avons maintes fois dénoncé cette tendance lourde à la dérégulation et à la course à la rentabilité, en particulier en 2003, lors de la discussion de la loi pour la confiance dans l’économie numérique et de la loi relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom, et plus récemment, en 2007 et en 2008, à l’occasion de l’élaboration de la loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur ou de la loi de modernisation de l’économie.
Pourtant, le constat est unanime : en ce qui concerne l’audiovisuel, l’extinction de la diffusion analogique interviendra avant que tout le territoire ne soit couvert par le numérique. Les plus âgés et les plus fragiles de nos concitoyens, qui sont parfois aussi les plus concernés par l’éloignement physique ou cognitif des moyens de communication, se trouveront alors laissés pour compte. À cet égard, le bilan du GIP France Télé Numérique n’est guère brillant en termes de soutien à l’équipement des ménages – mais sans doute les principales chaînes tiendront-elles un jour leurs engagements de 2007…
Le déploiement de la fibre optique devait être le moyen de résorber cette fracture technologique. Toutefois, l’abandon du modèle fondé sur la péréquation qui prévalait avec l’opérateur public, devenu aujourd’hui « historique », a sans aucun doute interdit de mener le plan câble à son terme et de diffuser cette technologie sur l’ensemble du territoire. Au lieu de mettre au cœur du dispositif un pôle public des communications qui soutiendrait le développement des réseaux de fibre optique, des réseaux sans fil ou des boucles Wimax, on offre une nouvelle chance aux grands groupes privés de capter le dividende numérique et de renforcer leurs positions oligopolistiques, au détriment des collectivités territoriales, qui devront financer des infrastructures lourdes, et, en dernier ressort, du portefeuille de l’usager final.
À ces solutions inégalitaires, à ce énième rapport commandé à l’ARCEP pour faire le point sur les zones blanches et les zones d’ombre que la libre concurrence entretient, nous opposons une réponse articulée non pas selon de nouveaux schémas territoriaux du numérique, mais autour d’un véritable service universel du numérique, du rétablissement d’un fonds de péréquation alimenté par les opérateurs qui, grâce à leurs ententes sur les prix, ont accumulé de substantiels bénéfices et, finalement, d’une intervention forte de l’État en faveur des territoires ruraux, des zones de montagne ou des quartiers périphériques, dont les habitants ne doivent pas rester à l’écart du progrès, mais se voir au contraire garantir l’accès aux technologies numériques en matière de communications.
Cette intervention ne doit pas devenir le dernier poste de l’emprunt national, ni reposer sur le seul engagement de la Caisse des dépôts et consignations. Mes chers collègues, la lutte contre la fracture numérique passe aussi par la mise en place d’un service universel du numérique, par la création d’un pôle public des télécommunications et par une réflexion sur les contenus, les logiciels libres, les droits d’auteurs ou la place des médias associatifs ou locaux. La fracture territoriale et sociale induite par les inégalités d’accès aux technologies ne sera pas réduite par le recours accru au marché et à la libre concurrence ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier et de féliciter M. Pintat de son initiative : l’examen de sa proposition de loi offre au Sénat l’occasion de remplir pleinement sa mission, en exprimant les attentes des collectivités territoriales, que nous représentons, et en traçant des perspectives.
Ce sont, bien sûr, ses qualités personnelles, mais aussi son expérience à la présidence de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, qui ont amené notre collègue à préparer ce texte. En effet, il existe de nombreux points de convergence entre ce qui s’est passé dans le secteur de l’électricité et ce qui devrait se passer pour le haut débit.
Je voudrais également remercier et féliciter M. Retailleau, éminent rapporteur de la commission de l'économie, et M. Thiollière, non moins éminent rapporteur de la commission de la culture.
La présence conjointe de Mme la secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique et du redoutable nouveau ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire (Sourires) atteste de l’importance du texte qui nous est soumis. Il ne saurait en effet y avoir de véritable aménagement du territoire et de l’espace rural sans mise en œuvre d’un plan ambitieux de lutte contre la fracture numérique. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
Le président du conseil général de Lozère a lancé une délégation de service public afin de créer un syndicat mixte chargé d’installer la fibre optique, qui associe six départements et trois régions traversés par l’A75. Ce n’est pas forcément là son rôle, mais il a bien fait de prendre cette initiative. Le syndicat départemental d’électrification et d’équipement de la Lozère, que je préside, a couplé la fibre optique à des lignes électriques torsadées à haute tension, mais nous pouvons aller plus loin. Nous étudions ainsi un plan d’enfouissement de 80 kilomètres de lignes électriques associées à des fuseaux. Une telle opération coûtera 1,4 million d’euros : un département comme la Lozère ne peut la mener s’il n’est pas aidé !
Nous sommes donc au cœur d’un débat d’avenir, dont l’issue peut changer complètement les perspectives en matière d’aménagement du territoire. Nous avons été trop longtemps victimes de l’enclavement numérique. Aujourd'hui, la lutte contre la fracture numérique peut donner à des espaces qui apparaissaient défavorisés, à l’écart, condamnés à la désertification, de vraies chances de bâtir un avenir. C’est un élément qui conditionnera l’évolution de ces zones sur les plans économique, culturel, sanitaire, social et même éducatif, car, dans les campagnes aussi, les parents souhaitent que leurs enfants maîtrisent les outils numériques, d’abord par le jeu. Ne manquons donc pas le coche !
La définition de trois zones devrait nous permettre d’éviter de faire payer les villes pour la campagne, ou l’inverse. Il faut s’inspirer de ce qui a été fait pour la fourniture d’électricité, d’abord assurée par des entreprises privées, puis par un monopole, avant que n’apparaissent des modes de production diversifiés. Les choses évoluent !
Dans les zones denses, la concurrence jouera entre les opérateurs, avec des investissements privés importants qui devront engendrer des profits, ce qui permettra peut-être à terme – il ne faut pas, pour l’heure, effrayer ou décourager les opérateurs – de constituer l’équivalent du fonds d’amortissement des charges d’électrification, le FACÉ, en vue d’instaurer un prix unique et un égal accès au numérique pour tous. Aujourd’hui, pour un même tarif d’abonnement, le débit est de 2 mégabits par seconde en Lozère, et encore pas partout, contre 100 mégabits par seconde à Issy-les-Moulineaux.
Dans les zones à densité de population moyenne, un certain degré de structuration et d’organisation suffira, mais dans les zones à faible densité, comme en Lozère, il est bien évident que la mutualisation devra être complète, avec le soutien de l’État et de l’Union européenne, laquelle s’est d’ailleurs fixée un objectif à cet égard et a inscrit dans le plan de relance des crédits pour favoriser la réduction de la fracture numérique.
À terme, je le répète, quand les zones denses auront été équipées, pourquoi ne pas envisager que le fonds dont la création est prévue et qui sera, nous l’espérons, alimenté par le biais du grand emprunt national – ce devra être, madame le secrétaire d'État, monsieur le ministre, un de vos combats – ou d’autres crédits permette la mise en place d’un mécanisme analogue à celui du FACÉ ?
Nous le voyons bien, l’enjeu dépasse toutes les approches partisanes. Il y a cinquante ans, nous aurions bâti un monopole. Aujourd'hui, nous entendons apporter des réponses diversifiées, tenant compte des territoires, du besoin d’initiatives privées, des règles de la concurrence. Cependant, nous ne voulons pas que l’État, au nom d’une idéologie, se désengage ; nous voulons au contraire qu’il remplisse pleinement sa nouvelle mission, qui est de réguler, de faire jouer la mutualisation et la solidarité, afin que notre pays continue d’être exemplaire dans le domaine de l’aménagement du territoire. Nous maintenons le plus possible une population et des activités, notamment agricoles ou artisanales, sur tout le territoire : c’est cela, le développement durable !
M. Bruno Retailleau, rapporteur. C’est vrai !
M. Jacques Blanc. Promouvoir le développement durable, ce n’est pas se soucier exclusivement de l’environnement naturel, c’est également penser à l’équilibre de vie de la population.
M. Bruno Retailleau, rapporteur. Absolument !
M. Jacques Blanc. Or les citadins ont besoin d’espaces ruraux vivants, non seulement pour pouvoir respirer pendant les vacances, mais aussi pour vivre dans un environnement équilibré. Promouvoir le développement durable, c’est donc répondre aux attentes angoissées de nos concitoyens, qui ont souvent perdu leurs repères spirituels et ont besoin de se ressourcer dans un environnement naturel. Les formidables avancées technologiques actuelles peuvent contribuer à un aménagement du territoire équilibré et nous permettre aujourd’hui de maintenir vivantes ces racines. Je compte sur vous, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, pour que nous gagnions ensemble ce fantastique pari ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les technologies de l’information et de la communication sont une branche d’activité économique essentielle pour l’avenir de l’outre-mer.
Les quatre départements d’outre-mer, qu’il s’agisse d’un département continental tel que la Guyane ou d’îles comme la Guadeloupe, la Martinique ou la Réunion, comptent peu de secteurs d’avenir à côté des domaines d’activité traditionnels que sont l’agriculture, la pêche, le bâtiment ou les travaux publics, mais, à n’en pas douter, les TIC en sont un, qui intéresse au premier chef la jeunesse de ces départements. Ainsi, à la Réunion, elles constitueront en 2010 le premier secteur d’activité créateur de richesses devant le bâtiment et les travaux publics, qui occupent pourtant 15 000 personnes, et ce malgré les handicaps que j’évoquerai.
Pour les départements d’outre-mer, situés à 10 000 kilomètres de la métropole, les TIC représentent la rupture de l’isolement, ainsi qu’un moyen de développer les échanges culturels avec le reste du monde, ces échanges devant d’ailleurs s’effectuer dans les deux sens : tous ceux d’entre vous qui sont venus à la Réunion ont pu constater la réussite de notre melting-pot ethnoculturel ! Le mécanisme d’intégration culturelle en œuvre à la Réunion est une réussite de la République. Faire connaître ce « vivre ensemble » réunionnais, où les différences culturelles sont ressenties non pas comme un handicap, mais comme un enrichissement mutuel, peut être, pour la métropole et pour l’Europe, un exemple de construction d’une société de paix !
En ce qui concerne le développement de l’activité économique, beaucoup de mes collègues se sont exprimés avec brio à cette tribune sur l’importance des TIC pour l’aménagement du territoire : c’est évident ! Nous n’avons pas le droit à l’erreur sur ce sujet. Outre-mer, nous devons développer le télétravail, et je propose que le département de la Réunion, que j’ai l’honneur de représenter, devienne un chantier d’expérimentation dans ce domaine. En Allemagne, le taux de télétravail est de 20 %, en métropole il s’élève à 7 % et à la Réunion il est pratiquement nul. Développer le télétravail contribuerait à la réalisation des objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement et permettrait de diminuer la circulation sur les routes, ainsi que de moins bétonner notre belle île, parfois défigurée par de grands travaux. Nous entrerions ainsi dans un cycle de développement durable et vertueux.
Quels secteurs faut-il développer ?
Je citerai maintenant, mes chers collègues, des chiffres qui vous surprendront. Pour l’usager ultramarin, il faut améliorer le rapport qualité-prix-débit des connexions, même si je suis bien conscient qu’il n’est pas possible, au nom de l’égalité, de desservir un territoire situé à 10 000 kilomètres exactement dans les mêmes conditions que la métropole. Cela étant, si un abonnement à 29,90 euros mensuels permet de bénéficier d’un débit de 20 mégabits par seconde en métropole, on ne dispose à la Réunion, pour 39,90 euros mensuels, que d’un débit de 1 mégabit par seconde, et de 128 kilobits par seconde en Guadeloupe ! Dans ces conditions, il est véritablement illusoire de vouloir développer l’activité économique en s’appuyant sur les TIC. Il est donc nécessaire d’améliorer les choses.
Pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Au départ, elle était inévitable, car pour relier la Réunion au monde par le biais du réseau de fibre optique international, il fallait installer un câble Safe. Ceux qui ont investi des milliards d’euros dans cet équipement ont donc bénéficié d’une situation de monopole jusqu’en 2006, date à laquelle l’ARCEP, qui a fait un très gros travail outre-mer, a aboli ce monopole, ce qui a permis l’instauration progressive de la concurrence et une réduction de notre handicap. Nous voyons désormais se développer une libre concurrence pour la téléphonie mobile et une concurrence « acceptable » en matière de fourniture d’accès à internet. M. Retailleau ayant décrit de façon réaliste et véridique la situation outre-mer, je ne plagierai pas son rapport.
Je souhaite plutôt formuler des propositions.
La ministre de l’outre-mer et vous-même, madame la secrétaire d’État, avez commandé un rapport à l’ARCEP, qui sera remis à la fin de l’année. Je vous propose que nous en tirions alors ensemble, en compagnie de M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, des conclusions pour l’avenir.
Tout d’abord, il existe un arbitrage sur lequel nous n’avons pas le droit de nous tromper : faut-il que les régions continuent à investir dans des câbles pour relier, par exemple, la Réunion à Madagascar, ou faut-il acheter des capacités de transport d’information sur les câbles des grands consortiums ? C’est là un point très important.
Par ailleurs, comment faire en sorte que le rapport qualité-prix-débit de la desserte outre-mer soit identique à ce qu’il est en métropole ?
Enfin, quels services existant en métropole pouvons-nous créer outre-mer, afin de nous inscrire sur la carte du développement économique lié aux TIC ?
En conclusion, je soulignerai que la proposition de loi prévoyait initialement la création d’un fonds d’aménagement numérique des territoires, qui devait être alimenté par les opérateurs. Toutefois, la commission a décidé de priver ce fonds des ressources qui lui étaient destinées. Monsieur le ministre, madame le secrétaire d’État, je raisonne en paysan : à quoi servira un fonds qui n’est pas abondé ? (Sourires.) Pourriez-vous rassurer la Haute Assemblée, en précisant à partir de quelle source de financement se construira l’égalité numérique,…