M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Isabelle Pasquet. Or la crise dans laquelle nous a entraînés l’incroyable cécité dont vous avez fait preuve et que vous continuez à manifester au regard de la financiarisation de l’économie se traduit désormais par des dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires tous les mois, et des centaines de milliers sont attendus à la fin de l’année.
Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Annie David. Eh oui !
Mme Isabelle Pasquet. La consommation des ménages a fortement chuté par la conjonction d’une bulle spéculative de l’immobilier et de la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec des dizaines d’emplois supprimés ! C’est honteux !
Mme Isabelle Pasquet. Les perspectives offertes à notre jeunesse à l’issue du baccalauréat ou même des filières universitaires se tarissent au point que les « stages rémunérés » promus par M. Frédéric Lefebvre deviennent la norme, contrairement à ce qu’il affirmait dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi visant à mieux rémunérer les stages et à valoriser ceux-ci dans la formation des jeunes : « Il convient de veiller à ce que les stages ne soient utilisés que pour les besoins de la formation des jeunes et combattre les abus induisant une utilisation des stagiaires comme des faux salariés payés en dessous du SMIC. C’est pourquoi il faut donc réserver les stages uniquement aux cursus pédagogiques et les interdire en dehors. En effet, dans les autres situations, il pourra être recouru à la formation professionnelle ou à un contrat de travail. »
Aujourd'hui, il serait donc urgent de favoriser le travail du dimanche pour rendre du charme à nos villes, notamment Paris, de l’attractivité à nos zones commerciales, du droit dans les zones de non-droit, telles que Plan-de-Campagne, de la compétitivité à nos entreprises et de l’appétit aux consommateurs, à défaut de pouvoir d’achat.
J’aborderai le volet concernant le tourisme.
La France, première destination touristique au monde, serait-elle acculée à user des mêmes expédients que Bahreïn ou Abu Dhabi, que Cancun ou Las Vegas pour attirer le chaland ?
M. Jean Desessard. Bonne question !
Mme Isabelle Pasquet. Notre patrimoine architectural, culturel, historique et géographique, de même que notre patrimoine industriel, œnologique et gastronomique sont pourtant en tête des raisons invoquées par les touristes séjournant dans notre pays. Leur séjour ne se cantonnant pas à une journée – que je sache, ils ne viennent pas que le dimanche –, ils peuvent donc en profiter pour fréquenter également les artères commerçantes.
Mme Annie David. En effet !
Mme Isabelle Pasquet. En outre, pour le tourisme de transit – je pense aux croisières, aux correspondances aériennes ou ferroviaires –, il existe déjà des dispositifs spécifiques autorisant l’ouverture dominicale.
Permettez-moi d’ailleurs de m’interroger sur un argument invoqué par le Président de la République, censé démontrer l’anachronisme de la fermeture dominicale des commerces dans un pays moderne. M. Sarkozy a dû lui-même prendre son téléphone pour faire ouvrir les magasins afin de permettre au couple présidentiel américain de faire quelques emplettes pendant sa visite officielle à Paris. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
On peut - M. Sarkozy en particulier gagnerait à le faire - s’interroger sur la pertinence de notre arsenal législatif, sur son adaptation à nos pratiques contemporaines dans de nombreux domaines. Mais il est inconcevable que le chef de l’État, en charge plus que tout autre du respect de nos institutions, s’estime autorisé à exiger de personnes privées qu’elles enfreignent la loi, fût-ce pour faire plaisir à un ami.
La question des frontières à ne pas dépasser semble, en l’occurrence, échapper à l’entendement commun.
Il faut relever, par ailleurs, que cette dérogation par la grâce présidentielle au jour de fermeture habituel des commerces résulte d’abord d’impératifs de sécurité. Imaginons un instant le couple Obama faire ses courses pendant les soldes, au milieu d’une foule empressée : c’est impensable ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Eût-il fallu faire fermer les magasins le temps nécessaire ? L’argument est donc irrecevable !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
Mme Isabelle Pasquet. Pour conserver l’illusion que le repos du dimanche reste la règle et que le travail ce jour serait dérogatoire et donc exceptionnel, on nous annonce que les zones touchées par le dispositif seraient au nombre de cinq cents environ, plus précisément quatre cent quatre-vingt-dix-sept, et qu’une généralisation à la quasi-totalité de notre territoire ne serait qu’une interprétation abusive de quelques farfelus, voire carrément une invention au caractère bassement politicien. (Mme Annie David rit.)
Mais qu’en est-il vraiment ? Les zones désignées comme touristiques, qui bénéficieront donc de la possibilité d’ouvrir le dimanche, capteront de la clientèle, mécaniquement, dirons-nous, et les communes voisines, sous la pression des acteurs économiques, souhaiteront entrer dans le dispositif.
Encore une fois, au nom de la concurrence, on verra s’étendre les zones touristiques et, encore une fois, ce sont les salariés qui en feront les frais. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays comme le nôtre, qui cumule un tel patrimoine dans chacun de ses départements ?
J’en viens aux périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE.
S’agissant du principe d’égalité de droits et de devoirs devant la loi, force est de constater que nous construisons des usines à gaz qui s’en éloignent de plus en plus, sans autre raison que l’intérêt bien compris de quelques privilégiés.
Ainsi, l’agglomération de Lyon, qui compte plus de deux millions d’habitants est concernée a priori à double titre, pour le tourisme et, plus prosaïquement, pour les périmètres d’usage de consommation exceptionnel ; pourtant, elle se trouve exclue du dispositif, puisqu’il n’y existe apparemment pas d’usage de consommation le samedi et le dimanche.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bizarre !
Mme Isabelle Pasquet. Nous ne fustigerons pas des élus qui ont choisi de ne pas être demandeurs pour leurs communes de travailler le dimanche. En revanche, il se trouve, parmi ces élus, des partisans de cette proposition de loi, à condition qu’elle s’applique aux autres, c’est-à-dire en dehors de leur circonscription électorale.
Voilà qui démontre bien, s’il en était besoin, que l’égalité des citoyens, l’égalité des salariés d’une même branche professionnelle, d’une même enseigne, ne sont pas respectées.
Je ne peux pas parler des PUCE sans évoquer « l’affaire » de Plan-de-Campagne, zone située dans mon département, puisque c’est de là qu’est partie toute l’histoire, si l’on peut dire.
M. Jean Desessard. Absolument !
Mme Isabelle Pasquet. Sans revenir sur la genèse de ce qui est aujourd’hui l’une des plus grandes zones commerciales d’Europe, ni sur quarante-trois ans de dérogations, d’ouvertures illégales,…
M. Jean Desessard. Et qui le sont toujours !
Mme Isabelle Pasquet. … de conflits, de procédures judiciaires, et j’en passe, je ferai simplement un petit rappel.
Le 24 janvier 2007, les partenaires sociaux se sont réunis, sous l’égide du préfet de région, pour trouver un accord de méthode, qualifié à l’époque de particulièrement positif, permettant un retour progressif au droit commun, à la légalité. Cet accord faisait suite à un conflit résultant d’un jugement rendu par le tribunal administratif de Marseille dénonçant l’arrêté préfectoral pour l’ouverture dominicale de certaines enseignes.
Cet accord envisageait la nécessaire modernisation de la zone afin de permettre la diversification de ses activités, sa sécurisation et son accessibilité. Il prévoyait également des contreparties à négocier avec les différents interlocuteurs concernés, c'est-à-dire l’État, la région, le conseil général et les propriétaires, de manière que les entreprises ne soient pas pénalisées et que les emplois puissent être maintenus. Ces contreparties portaient notamment sur la révision des loyers, l’allégement de la taxe professionnelle et de la taxe foncière.
Seule la communauté du Pays d’Aix a émis un avis favorable.
M. Jean Desessard. Oui !
Mme Isabelle Pasquet. « Les partenaires sociaux ayant constaté le défaut d’engagement de l’État et des collectivités locales sur un programme précis pouvant garantir la pérennité de la zone de Plan-de-Campagne sur le plan social et le plan économique ont donc mis fin à l’accord de méthode du 24 janvier 2007 conformément à ses dispositions », est-il écrit dans l’accord.
Ils sont convenus d’un nouvel accord, le 19 juillet 2007, tendant à un retour au droit commun sur la zone de Plan-de-Campagne dans un délai expirant le 30 juin 2008. Malheureusement, rien n’a été fait depuis.
La seule réponse apportée à ce jour aux partenaires sociaux est la proposition de loi de M. Mallié, qui, soit dit en passant, lui a coûté son canton, ce qui me fait dire que le travail du dimanche ne fait peut-être pas consensus au sein de la majorité !
M. Dominique Braye. Vous n’avez pas le droit de dire cela !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il a perdu son canton au profit d’un communiste, alors taisez-vous !
Mme Isabelle Pasquet. Cette proposition de loi vise à légaliser l’ouverture des magasins le dimanche mais, surtout, elle met fin à tout espoir de trouver un consensus entre les salariés et les chefs d’entreprise, les usagers et les habitants de la zone, sans oublier les collectivités territoriales concernées.
Petite précision : il ne reste plus que sept cents salariés à régulariser sur sept mille, dont cent étudiants, à la suite de l’adoption de l’amendement de Mme Debré visant à autoriser l’ouverture le dimanche des établissements de commerce de détail d’ameublement, dans le cadre du projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.
On le voit bien, le problème que veut régler la majorité est ailleurs.
M. Mallié a mené une campagne acharnée contre les organisations syndicales qui veulent faire respecter la loi
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui a gagné ?
Mme Isabelle Pasquet. Aujourd’hui, il nous demande en réalité de légiférer pour légaliser une zone de non-droit (M. Jean Desessard applaudit.), où l’État a complètement démissionné.
En matière de permis de construire, par exemple, de grandes enseignes se sont installées sans déposer de demande ; d’autres ont déclaré la construction de bâtiments à usage d’entrepôts qui se sont transformés en surfaces de vente sans autorisation. (M. Jean Desessard applaudit.)
Pour ce qui est de la sécurité, aucun plan d’évacuation ni même de secours ne peut être mis en œuvre un jour de grande affluence. Selon un rapport de la direction départementale de l'équipement, il faut une heure trente pour traverser la zone et il est impossible d’y faire atterrir un hélicoptère.
Mme Annie David. Et voilà ! C’est important !
Mme Isabelle Pasquet. Telle est la réalité de Plan-de-Campagne, et la proposition de loi de M. Mallié n’apporte aucune solution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Isabelle Pasquet. J’ajoute que, en ces temps où la majorité semble découvrir que le développement, pour être véritablement durable, a besoin de toute autre chose que de slogans – et je vous renvoie aux débats sur le Grenelle de l’environnement –, encourager le développement de ce type de zones – même les États-Unis en reviennent ! –, c’est aller à l’encontre des besoins et des réponses que nous devrions apporter collectivement aux menaces qui pèsent sur notre planète.
En effet, ne l’oublions pas, le développement de l’activité commerciale le dimanche s’accompagne de toute une logistique, de nombreuses heures perdues dans les embouteillages, des hectares de parkings, des tonnes d’emballages, des travailleurs sous-payés. Que de gaspillages, de contresens, qui menacent l’avenir de l’humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Et, maintenant, ils auraient lieu également le dimanche, pour régulariser une situation de fait !
Et au nom de quoi ? Pour « répondre aux nouvelles habitudes de consommation », alors que des études ont montré qu’elles changent très vite, pour éviter que la précarité, qui est le lot de la majorité des salariés du commerce, ne rime définitivement avec « travailleurs pauvres », et, surtout, pour en finir avec cette vieille conquête sociale et collective du repos hebdomadaire, que le patronat n’avait pas réussi à contourner jusqu’à présent.
Après la Commission européenne qui s’accorde sur la semaine de travail de quarante-huit heures, après le Gouvernement qui estime raisonnable de retarder l’âge de départ à la retraite jusqu’à soixante-sept ans, nous devrions aussi nous accorder sur la mise à mort du repos hebdomadaire.
Pour les sénateurs de notre groupe, comme cela a été le cas pour nos collègues à l’Assemblée nationale, c’est « non » et nous continuerons à ferrailler contre ce texte, jusqu’au Conseil constitutionnel s’il le faut ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus d’un siècle, le 13 juillet 1906, la loi « Sarrien », du nom du président du Conseil de l’époque, instaurait de façon définitive le repos hebdomadaire dominical.
M. Jean Desessard. Très bien ! Bonne idée !
M. François Fortassin. C’était indiscutablement une loi progressiste, qui a permis au gouvernement de l’époque d’apaiser les tensions sociales, mais aussi religieuses, moins d’un an après la séparation de l’Église et de l'État.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. On peut dire cela, c’est honnête !
M. François Fortassin. Il s’agissait d’une loi républicaine, humaniste et laïque. (M. Jean Desessard applaudit.)
Aujourd'hui, ces grands principes sont foulés au pied ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. François Fortassin. Comme d’autres lois fondatrices de la République, cette loi est toujours en vigueur même si de très nombreuses dérogations ont été accordées au fil du temps.
Or, aujourd'hui, le Président de la République et son gouvernement veulent passer en force, au cœur de l’été, à un moment où les Français ont sans doute d’autres préoccupations que le travail législatif.
Mais, monsieur le ministre, ne vous inquiétez pas, nous sommes là pour les réveiller à l’heure de la sieste ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. À l’heure des Vêpres !
M. Jean Desessard. Et le dimanche aussi d’ailleurs !
M. François Fortassin. Il s’agit de remettre en cause de façon très grave l’un des piliers de notre « vivre-ensemble » ! (M. Dominique Braye s’exclame.)
Le dimanche, jour de repos, chacun peut se consacrer aux activités de son choix, qu’elles soient familiales, sportives, associatives, culturelles ou religieuses.
M. Dominique Braye. Sauf à des achats !
M. François Fortassin. On est en train de mettre à mal un grand principe. Quelles que soient nos sensibilités, nous devons y prendre garde.
La majorité des travailleurs du commerce, que ce soit dans la grande distribution ou dans le petit commerce, ont des salaires relativement modestes.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. François Fortassin. L’avantage qu’ils ont, par rapport à des personnes ayant des responsabilités très importantes, c’est qu’ils peuvent se consacrer à une vie familiale harmonieuse.
M. Dominique Braye. C’est faux ! Demandez aux caissières ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Fortassin. C’est votre analyse, monsieur Braye, mais on peut fort bien ne pas la partager !
M. Dominique Braye. C’est aussi la leur ! Le temps partiel imposé, vous n’en avez pas entendu parler ?
M. Jacques Mahéas. Alors, pour une fois, soyez cohérent, monsieur Braye, votez contre ce texte !
M. François Fortassin. Par ailleurs, comment peut-on croire qu’en supprimant le repos du dimanche on dopera le commerce ? On ne va pas améliorer le pouvoir d’achat d’un coup de baguette magique !
Mme Annie David. Ah ça !
M. François Fortassin. En outre, monsieur le ministre, par une ironie du sort, il se trouve que vous étiez, il n’y a pas si longtemps, en charge d’un autre ministère où vous avez imposé la fermeture des écoles le samedi. Vous nous expliquiez alors qu’il fallait que les enfants aient, en plus du dimanche, un jour de repos supplémentaire ! (Rires et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jacques Mahéas. Les écoles ouvriront le dimanche à la place !
M. François Fortassin. Certes, monsieur le ministre, vous avez changé de ministère, mais vous n’étiez pas obligé de changer en même temps de conviction ! (Mêmes mouvements.)
M. Dominique Braye. Cet amalgame n’est pas très fin, cher collègue !
M. François Fortassin. En réalité, la plus grande confusion règne. On va créer des disparités supplémentaires et rallumer des guerres qui n’ont pas lieu d’être.
Croyez-vous sincèrement que ceux qui travaillent dans le petit commerce auront véritablement le choix ? (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
J’invite ceux d’entre vous qui font des stages – et ils sont nombreux – à suivre mon exemple en se rendant plus particulièrement, comme je l’ai fait l’été dernier, dans les grandes surfaces. Vous verrez que, dans la réalité, la liberté des salariés est beaucoup moins grande que ne le disent les textes !
M. Dominique Braye. Vous venez de dire le contraire !
M. François Fortassin. Pas du tout, mon cher collègue !
M. le président. Monsieur Fortassin, ne vous laissez pas interrompre ! Veuillez poursuivre.
M. François Fortassin. N’ayez crainte, monsieur le président, ce n’est pas la voix tonitruante de M. Braye…
Mme Raymonde Le Texier. … Le bien-nommé !
M. François Fortassin. … qui va m’arrêter ! Sur ce plan-là, je peux rivaliser… (Sourires.)
M. Dominique Braye. Les salariés des Hautes-Pyrénées ne sont pas les plus concernés par ce texte !
M. le président. Ni les magasins de Lourdes, qui sont toujours ouverts ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Tout le problème est de savoir, en définitive, quel modèle de société nous voulons. Le lien social doit-il reposer seulement sur la valeur travail et sur l’activité marchande ?
M. Jean Desessard. Non !
M. François Fortassin. L’économie est-elle vraiment au service de l’homme ? (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
Ce texte, s’il est voté, démontrera exactement le contraire. (Oui ! sur les travées du groupe socialiste.)
Or, il faut bien qu’il existe tout de même certains points d’accord entre nous sur l’organisation de la société. Nous ne pouvons pas remettre en cause ce qui a fait l’harmonie de notre pays et nous a permis de vivre ensemble.
Si notre pays a la chance d’être considéré dans le monde entier comme un modèle de démocratie, il le doit essentiellement au fait que nos prédécesseurs avaient créé une société qui était fondée non pas exclusivement sur ces « ajustements techniques » dont on nous a parlé, mais sur des valeurs fondamentales, parmi lesquelles figure, qu’on le veuille ou non, ce repos hebdomadaire, qui est absolument essentiel.
Mme Annie David. Parfaitement !
M. François Fortassin. Voilà pourquoi nous considérons, nous, sénateurs radicaux, de même que la majorité du groupe RDSE, que le fait de voter cette proposition de loi comporte certains dangers.
D’une part, on portera atteinte au petit commerce.
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
M. François Fortassin. C’est la grande distribution qui tirera tous les avantages de ces dispositions.
M. André Trillard. Et la vie familiale ? Il n’en est plus question ?
M. François Fortassin. D’autre part, en termes d’aménagement du territoire, ses conséquences seront catastrophiques. On va créer sur le terrain des disparités qui engendreront du désordre. Nous faire croire qu’il s’agit là d’un simple ajustement technique, c’est de la duperie !
M. Jean-Pierre Michel. Eh oui !
M. François Fortassin. Bien entendu, si l’on demande à un consommateur qui a besoin d’une baguette de pain à 14 heures le dimanche s’il accepterait que sa boulangerie soit ouverte jusqu’à 15 heures, il répondra que oui !
Mme Annie David. Évidemment !
M. François Fortassin. Mais, à l’évidence, ce n’est pas ainsi que l’on créera une société harmonieuse.
Encore une fois, les avantages seront pour la grande distribution, dont j’ai personnellement stigmatisé certaines pratiques. En l’espace de dix ans, les plus grosses fortunes françaises se sont constituées dans ce secteur, alors que, par le passé, dans la grande industrie, il fallait trois ou quatre générations pour asseoir une réussite. Et l’on va encore accentuer ce mouvement !
Ce n’est pas la conception que nous avons d’une économie mise au service de l’homme. Il s’agit donc d’un texte nocif et c’est la raison pour laquelle la majorité de mon groupe le rejettera avec force ! (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a des débats qui dépassent les clivages traditionnels, parce qu’ils ne relèvent pas d’une logique partisane, mais engagent une conviction personnelle. C’est le cas de cette proposition de loi relative au « repos dominical », étant bien entendu que cet intitulé recèle une habileté sémantique.
Autant le dire franchement : il me semble que ce texte posera bien plus de difficultés qu’il ne résoudra de problèmes, et ce pour trois raisons.
D’abord, il risque de créer des différences de traitement que la logique a du mal à justifier. Il y aura ainsi des différences entre les territoires. L’Alsace-Moselle bénéficiera d’un régime à part, de même que les métropoles telles que Lyon, Paris, Lille et Marseille ; il existera une distinction entre les communes touristiques au sens du code du tourisme stricto sensu et au sens du code du travail.
Il y aura en outre – ce qui est peut-être plus important – des différences de traitement entre les salariés. En effet, ceux qui travaillent le dimanche dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel seront payés double et bénéficieront d’un jour supplémentaire de repos compensatoire, alors que certains, qui travaillent d’ailleurs depuis longtemps déjà dans les communes touristiques, n’y auront pas droit.
À travers ce texte, il nous est donc proposé d’écorner ce vieux principe : à travail égal, salaire égal. On entre dans une sorte de relativisme juridique qui, loin de simplifier les choses, créera à mon avis beaucoup de situations complexes.
M. Roland Courteau. C’est évident !
M. Bruno Retailleau. Ensuite, je crains qu’avec ce texte, au lieu de procéder à une simple régularisation, on n’enclenche un processus de banalisation du travail du dimanche.
Celui-ci deviendra, au moins potentiellement, la règle dans les communes touristiques, puisque les deux verrous traditionnels que sont la limitation dans le temps, avec la saison touristique, et la limitation tenant au type de commerce, vont sauter.
Même si les PUCE n’englobent pour l’instant que trois grandes agglomérations, c’est pratiquement un quart de la population française qui va se retrouver dans la zone de chalandise affectée par ces rythmes de consommation et de production nouveaux.
Le risque de contagion concerne aussi, bien sûr, les salariés qui vont travailler le dimanche. En effet, des services périphériques se développeront nécessairement pour répondre au fait qu’ils seront absents de leur foyer. Il en ira de même pour les magasins qui seront ouverts : toutes les entreprises périphériques devront suivre le mouvement et les accompagner dans un nouveau rythme.
Tout cela, enfin, pour quel bénéfice ? Le bénéfice économique est incertain. Aucune étude, à ce jour, ne permet de montrer de façon décisive que le travail du dimanche crée plus de croissance ou d’emplois.
M. Jean-Pierre Caffet. Exact !
MM. Roland Courteau et Jacky Le Menn. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. En termes d’aménagement du territoire, en revanche, il existe un vrai risque d’effet collatéral d’aspiration de toute la zone de chalandise autour de ces grands centres, ce qui aura bien sûr pour conséquence une dévitalisation de l’arrière-pays.
Mais surtout, mes chers collègues, quel sera le bénéfice en termes de cohésion sociale ? La question fondamentale que soulève ce texte est la suivante : quel prix sommes-nous prêts à payer collectivement pour régulariser des situations particulières ?
Je crois que nous sommes un grand nombre, ici, à faire, au-delà de nos sensibilités politiques, la même lecture de la crise économique actuelle, qui n’est rien d’autre que la conséquence d’une logique financière poussée à l’excès.
Nous partageons aussi sans doute cette idée, qui pourrait constituer un remède, selon laquelle le marché propose peut-être un modèle économique mais qu’il ne peut certainement pas être un modèle de société, et qu’il a besoin de limites.
En d’autres termes, ce n’est pas au marché de réguler les activités humaines, c’est à l’homme de réguler les activités du marché. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Avec cette proposition de loi, nous prenons le risque d’abîmer notre lien social pour un profit qui reste aléatoire. Au bout du compte, le choix que nous avons à faire est bien celui de l’orientation de notre modèle de société : quelle cité voulons-nous construire ensemble ?
Est-ce un simple État marchand, c’est-à-dire une communauté de producteurs et de consommateurs, ou bien une véritable communauté politique, autrement dit une communauté de citoyens, rassemblée dans un projet collectif ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Mme Anne-Marie Payet applaudit également. )
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est des cas où l’activité du Sénat évolue dans le bon sens. Ainsi, je me réjouis d’être membre de la commission qui a, pour la première fois au Sénat, élu une femme à sa présidence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
Toutefois, il arrive que le Sénat évolue vraiment dans le mauvais sens ! Je pense en particulier au fait qu’il examine la majorité des textes qui lui sont soumis selon la procédure accélérée.
Mme Gisèle Printz. Eh oui !
M. Jean Desessard. Ce n’est pas bien ! Et pourquoi, en l’occurrence, procéder ainsi sur ce texte, monsieur le ministre ?
M. Nicolas About. C’est la logique de la réforme !
M. Jean Desessard. Pour satisfaire la grande distribution, comme on l’a déjà dit, celle-là même qui met en péril les commerces de proximité, que par ailleurs vous dites défendre,…