Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Parole d’orfèvre !
M. Alain Gournac. À entendre certains, le texte porterait atteinte aux droits des salariés et banaliserait le travail le dimanche. (Oui ! sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les touristes se font faire des lunettes de vue le dimanche !
M. Alain Gournac. Au contraire, l’article 2 réaffirme le principe du repos dominical, dans l’intérêt des salariés.
Cette proposition de loi ne vise pas à étendre le travail du dimanche à l’ensemble du territoire. II s’agit non de révolutionner le droit existant, mais simplement d’apporter des réponses ciblées à des questions spécifiques.
Ainsi, le texte vise trois cas : premièrement, l’ouverture du commerce le dimanche dans les communes et zones touristiques - eh oui, peut-être faut-il penser à ouvrir les boutiques pour les touristes ! - ;…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela dépend desquelles !
M. Alain Gournac. … deuxièmement, l’ouverture dans des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » ; enfin, troisièmement - et c’est très grave ! -, le droit pour les commerces alimentaires de fermer à treize heures au lieu de midi le dimanche. Ouvrir une heure de plus, c’est vraiment une honte !
Dans ces trois cas, on constate que le droit ne répond pas aux réalités du commerce. II n’est pas nécessaire d’épiloguer sur la prolongation de l’ouverture des commerces alimentaires jusqu’à treize heures. Cela ne pose pas de difficulté, car cette pratique est progressivement entrée dans les faits. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Mais oui, cela existe, mes chers collègues !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui ?
M. Alain Gournac. Cela existe ! Sortez le dimanche entre midi et treize heures !
Dans le cas des communes touristiques, actuellement, un commerce ne peut ouvrir que s’il met à disposition du public des biens et services destinés à « faciliter son accueil ou ses activités de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les lunettes de vue, c’est caractéristique !
M. Alain Gournac. Est-il normal, et ce cas est souvent cité, qu’un magasin situé dans une commune touristique puisse ouvrir le dimanche s’il vend des lunettes de soleil, alors qu’une boutique voisine vendant des lunettes de vue ne le peut pas ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr ! Tous les touristes achètent des lunettes de vue le dimanche !
M. Alain Gournac. Oui, cela arrive, madame ! Il y a beaucoup d’Italiens qui viennent acheter des lunettes de vue en France !
Est-il normal qu’un vendeur de chaussures de sport puisse ouvrir mais non un vendeur de chaussures de ville ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est honteux ce que vous dites !
M. Jacques Mahéas. Encore cette scie !
M. Alain Gournac. De nombreux contentieux sont nés de ces incohérences. Il est évident que la réglementation en vigueur est imparfaite et d’application complexe. La situation paraît injuste aux commerçants et invraisemblable aux touristes étrangers et français.
La France, première destination touristique mondiale, n’arrive pourtant qu’en troisième position s’agissant des recettes issues du tourisme. Pourquoi priver les touristes qui passent un week-end à Paris de la possibilité de consommer le dimanche des produits français ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Vous avez raison, mieux vaut qu’ils partent faire leurs achats en Angleterre ! À Londres, tout est ouvert !
Mme Annie David. Nos produits sont peut-être trop chers !
M. Alain Gournac. La question de l’ouverture dominicale des commerces apparaît également essentielle dans les zones frontalières. Il suffit de passer la frontière pour faire ses courses le dimanche, alors que, contre toute logique, nos commerces sont obligés de rester fermés. C’est inacceptable !
J’en arrive à l’ouverture dominicale dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, des PUCE qui n’ont rien à voir avec les Puces de Paris
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais si ! Les Puces de Clignancourt sont ouvertes le dimanche.
M. Alain Gournac. Dans les très grandes agglomérations, les Français souhaitent faire leurs achats le week-end, surtout quand ils concernent certains secteurs, comme l’équipement de la maison ou la décoration. En effet, on s’y rend avec femme et enfants, et on fait un choix ensemble.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand on travaille le dimanche, on ne peut plus y aller !
M. Alain Gournac. Dans une France de plus en plus urbaine, l’ouverture des magasins le dimanche apparaît comme une évidence. Les Français passent trop de temps dans les transports pour avoir le loisir de faire leurs achats le soir en rentrant du travail. Il ne leur reste donc que le week-end, à condition que les magasins soient ouverts.
Pour le moment, le constat, c’est qu’ils sont obligés de faire leurs courses le samedi, en pleine affluence.
M. Nicolas About. Quelle vie ! Quel enfer !
M. Alain Gournac. Ou bien, ils font leurs courses sur Internet, ce qui constitue un vrai danger pour les commerces de proximité.
Le Conseil économique et social a mis l’accent à plusieurs reprises sur les nouveaux rythmes de vie et les nouveaux comportements de consommation. Il a précisé que de nombreux salariés sont prêts à travailler le dimanche.
C’est d’ailleurs déjà le cas pour de nombreux Français. Les chiffres de l’INSEE montrent que 3,4 millions de Français travaillent habituellement le dimanche et 4 millions occasionnellement. Dans les hôpitaux, les commissariats et les services de secours, on travaille aussi le dimanche !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dans les services publics, en somme !
M. Alain Gournac. Et dans les restaurants, figurez-vous qu’on travaille aussi le dimanche ! C’est incroyable ! Et même dans les transports ! Arrêtons la caricature et acceptons la réalité de ce qui se passe dans notre pays !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous oubliez le travail du dimanche pour les sénateurs !
M. Alain Gournac. Mais aussi dans les magasins qui sont attaqués en justice aujourd’hui ! Si on ne légalisait pas la situation de ces commerces, souvent ouverts le dimanche de longue date, ils se verraient contraints de supprimer des emplois. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est honteux de dire cela !
M. Alain Gournac. Pour parler du travail dominical, il faut en connaître la réalité !
Nombreux sont les salariés intéressés par la possibilité de travailler le dimanche, parce que cela leur permet d’être mieux payés. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr ! Vu ce qu’ils gagnent !
M. Alain Gournac. C’est vrai, mais c’est comme ça ! Vous pouvez toujours protester, mes chers collègues...
La proposition de loi prévoit que les conditions salariales des salariés travaillant dans les PUCE, les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, dépendront des accords collectifs. À défaut d’accord, ils percevront obligatoirement le double de leur salaire, au minimum.
Dans le cas des communes et zones touristiques, la proposition de loi ne prévoit pas de garanties particulières, mais un amendement adopté par l’Assemblée nationale impose que des négociations soient engagées sur ce sujet dans toutes les branches du commerce où des contreparties ne sont pas déjà prévues.
Notre pays traverse l’une des crises économiques les plus graves de son histoire. Je le rappelle à un orateur précédent qui nous a expliqué que le chômage augmentait mais qui a oublié de mentionner que la crise était là !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En tout cas pour le chômage, vous êtes champions !
M. Alain Gournac. Dans ce contexte, le travail dominical fait partie des solutions pour créer de l’emploi. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Caffet. Au contraire, il en détruit !
M. Alain Gournac. On ne peut écarter d’un revers de main le souhait de nombreux salariés confrontés à d’importantes difficultés. Pourquoi leur interdire de travailler à partir du moment où ils sont volontaires ?
Une sénatrice du groupe socialiste. « Volontaires », c’est vite dit !
M. Alain Gournac. Chacun doit être libre de travailler le dimanche, ...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous voyez bien que vous voulez le généraliser !
M. Alain Gournac. ... et chacun doit pouvoir choisir de ne pas le faire si cela ne correspond pas à son mode de vie. (M. Jean-Pierre Michel s’exclame.)
L’opposition évoque une généralisation dont il n’a jamais été question. Ce faisant, elle donne aux Français une fausse information !
Je suis attaché autant que vous, mes chers collègues, au repos dominical. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À la messe !
M. Alain Gournac. Notre groupe est attaché à l’équilibre familial, à la notion d’un dimanche partagé en famille, et qui peut l’être à l’occasion de l’achat d’un meuble pour la maison, avant une séance de cinéma. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Car les cinémas sont aussi ouverts le dimanche ! Quel scandale, n’est-ce pas ? (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ceux qui travaillent le dimanche iront certainement acheter un canapé ce jour-là… C’est honteux de dire cela !
M. Alain Gournac. Le dimanche est un jour différent des autres pour des raisons culturelles, spirituelles, familiales et sociales.
Nous ne souhaitons pas que le visage du dimanche change. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Mais nous refusons que le respect des traditions fasse le lit de l’archaïsme et qu’une vision conservatrice du repos dominical nous empêche d’adapter notre droit à la réalité du commerce, dans les deux cas dont j’ai parlé : les zones touristiques et les très grandes agglomérations.
Le législateur doit faire preuve de pragmatisme en reconnaissant qu’il peut exister des dérogations au principe du repos dominical. Ce n’est pas scandaleux : il en existe déjà 180, introduites par des gouvernements de tous horizons politiques.
Je tiens à insister sur les nombreuses garanties entourant le texte.
Tout d’abord, en ce qui concerne les communes et zones touristiques, la décision d’application se fera au niveau local, à l’initiative des maires, auxquels vous devriez faire un peu confiance, avec l’accord du préfet, donc au plus près du terrain.
Lors des débats à l’Assemblée nationale, certains ont tenté de nous faire croire qu’une multitude de communes seraient concernées. Ils faisaient l’amalgame entre deux procédures distinctes : le classement des communes touristiques selon le code du travail et le classement des communes touristiques selon le code du tourisme.
La procédure relevant du code du travail a permis de classer environ 500 communes touristiques, contre plus de 3 500 selon les termes du code du tourisme. Mais il n’a jamais été question d’appliquer le code du tourisme ! Puisque cela ne semblait pas suffisamment clair, les députés ont qualifié de « communes d’intérêt touristique » les communes relevant du code du travail, afin de les différencier. Toute confusion est désormais évitée.
En ce qui concerne les nouveaux périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE, le texte crée également plusieurs garanties au profit des salariés.
Ces conditions concernent d’abord la procédure à suivre : initiative du conseil municipal, consultation du conseil de communauté, fixation du périmètre de la zone par le préfet. Il était important de confier cette responsabilité aux élus locaux – auxquels, pour ma part, je fais confiance ! –, qui ont le plus de légitimité pour évaluer les besoins et les attentes de la population.
Ces conditions concernent également la nature des garanties accordées. L’accord collectif prévoira les contreparties pour les salariés : repos compensateur et majorations salariales.
À défaut d’accord collectif, la décision unilatérale de l’employeur sera soumise à un référendum, et le salarié bénéficiera au minimum d’un doublement de salaire et d’un repos compensateur.
L’Assemblée nationale a apporté encore d’autres garanties : une entreprise ne pourra refuser d’embaucher une personne qui refuse de travailler le dimanche ; ...
Mme Annie David. Impossible à appliquer !
M. Alain Gournac. ... l’évolution de la situation des salariés sera prise en compte, notamment par l’octroi pour ceux qui le souhaiteraient d’une priorité vers les emplois ne nécessitant pas un travail le dimanche ; enfin, le droit du salarié de revenir sur son choix est reconnu.
Tout le mécanisme institué par la proposition de loi repose sur le volontariat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bla-bla !
M. Alain Gournac. Le texte issu des débats de l’Assemblée nationale a été amélioré et nous semble présenter toutes les garanties possibles concernant les salariés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bla-bla !
M. Alain Gournac. Aussi le groupe UMP suivra-t-il l’avis de notre rapporteur, qui n’a pas souhaité le modifier.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Surprise, surprise !
M. Alain Gournac. Bien évidemment, notre groupe votera cette proposition de loi, qui conserve l’équilibre entre le respect du repos dominical et la reconnaissance d’exceptions très encadrées. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous ne voyons pas très bien comment !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jean Desessard. Enfin une intervention sérieuse !
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, les radicaux ont été et continuent d’être les apôtres du repos dominical !
Ajournée en décembre dernier, faute de majorité dans la majorité, la discussion sur le travail dominical revient en force devant le Parlement, dans une version soi-disant plus édulcorée. Permettez-nous d’en douter : si le travail dominical était le remède à la crise, cela se saurait !
Nous avons l’impression que ce texte est un cheval de Troie introduit en plein jour dans le droit du travail.
M. Roland Courteau. Bien dit ! (Murmures approbateurs sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mézard. Ce n’est certes pas le grand soir, mais une expérimentation dont nous connaissons la suite, d’autant que le tourisme lui sert de paravent ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.)
Mon collègue François Fortassin a parfaitement démontré les dangers de ce texte. Cette proposition de loi, dont le titre réaffirme le principe du repos dominical, mais qui sape en fait ce principe, nous inquiète.
Tout d’abord, d’une manière générale, au moment où le code du travail n’est plus un code mais une accumulation de textes disparates, un maquis juridique, est-il opportun de rajouter de nouvelles dérogations génératrices de conflits d’interprétation ? Est-il opportun de diversifier encore davantage l’application de la loi entre les territoires ? C’est le meilleur moyen de rendre la loi illisible et difficile d’application.
Loi différente selon les territoires, inégalité accrue entre les salariés : est-ce là un progrès ?
Bien sûr, plusieurs millions de Français travaillent régulièrement, ou épisodiquement, le dimanche : le secteur de la santé en est un exemple illustratif. Et l’évolution de la société justifie des changements auxquels nous ne sommes nullement opposés, à la condition que l’évolution législative soit transparente et diminue les inégalités sociales et territoriales, au lieu de les aggraver.
En dépit des effets d’annonce du Gouvernement, la proposition de loi sur le travail dominical est loin de garantir que les salariés qui travaillent le dimanche seront tous volontaires et payés double. Nous assisterons donc à de nombreuses nominations de « volontaires désignés ». Vous avez pourtant affirmé, monsieur le ministre, que « le volontariat sera la règle et le doublement des salaires assuré pour tous les salariés qui accepteront de rendre ce service particulier ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Demandez aux caissières comment ça se passe !
M. Jacques Mézard. Dans les zones et communes d’intérêt touristique ou thermales, comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, « tout emploi est susceptible d’impliquer pour un salarié un travail le dimanche puisque cela découle de facteurs structurels ». Cela signifie clairement que, dans ces communes, il n’y aura ni volontariat, ni majorations de salaire, ni repos compensateurs, c’est-à-dire aucun des avantages promis par votre gouvernement.
M. Roland Courteau. Voilà la vérité !
M. Jacques Mézard. Mme le rapporteur a regretté, à juste titre, que le ministre du travail ne soit pas en mesure de fournir la liste des communes concernées, dont les préfets devraient pourtant disposer. Ce n’est pas rassurant ! Et le fait de prendre pour seul exemple le magasin Vuitton des Champs-Élysées ne l’est pas davantage.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça rapporte !
M. Jacques Mézard. Certes, l’Assemblée nationale a adopté un amendement imposant que des négociations soient engagées dans toutes les branches du commerce où des contreparties au travail dominical ne sont pas déjà prévues. Mais il n’y a aucune obligation de résultat.
Cette proposition de loi met donc en place un système à deux vitesses selon le lieu de travail, provoquant ainsi une rupture d’égalité entre les salariés du dimanche ; nous ne pouvons l’accepter.
Par ailleurs, dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE, où le volontariat est la règle, il est illusoire de croire qu’en cette période économiquement difficile où le chômage ne cesse d’augmenter, les salariés auront réellement la possibilité de refuser de travailler le dimanche.
M. Roland Courteau. C’est évident !
M. Jacques Mézard. Ce que vous présentez comme un choix deviendra, dans la pratique, une obligation pour les salariés.
Ne nous voilons pas la face ! En période de crise, les employeurs disposent de facilités encore plus grandes pour imposer leurs conditions de travail.
Croire que seuls les salariés volontaires travailleront le dimanche procède d’une méconnaissance totale du fonctionnement même des entreprises. En effet, comment croire qu’un employeur ne tiendra pas compte du refus d’un salarié de travailler le dimanche et que cela n’aura aucune incidence sur les augmentations, les primes et les promotions ? (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.) Comment être certain que le refus de travailler le dimanche ne sera pas un motif de refus d’embauche ? Et que se passera-t-il lorsque le nombre de volontaires sera insuffisant ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
M. Jacques Mézard. La puce a toujours eu le don de se reproduire facilement et de transmettre quelques germes pathogènes. (Sourires.)
M. Gérard Cornu. Ça gratte ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Le texte qui nous est soumis est un texte d’opportunité, élargissant une brèche aux contours mal définis dans notre droit du travail. C’est pourquoi la majorité de notre groupe ne le votera pas. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y a pas si longtemps, en janvier 2007 plus exactement, je me souviens être intervenue dans la discussion générale d’un projet de loi de modernisation du dialogue social, qui visait à accorder aux partenaires sociaux un temps de négociation avant tout examen parlementaire d’un texte portant sur le travail, l’emploi et la formation professionnelle. Il s’agissait, pour le gouvernement de l’époque, de se racheter et de se réconcilier avec les partenaires sociaux, après les avoir ignorés systématiquement durant la précédente législature.
Malheureusement, les mauvaises habitudes reviennent vite. Alors que le travail dominical constituait l’une des promesses de campagne du candidat Nicolas Sarkozy et que, voilà quelques mois, les déclarations tonitruantes sur la liberté de consommer et le droit de travailler plus se multipliaient, on pouvait s’attendre à d’âpres négociations avec des partenaires sociaux majoritairement hostiles au travail dominical. Mais il n’en a rien été.
En effet, le Gouvernement n’a finalement déposé aucun projet de loi sur le travail dominical ; c’est une proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, une proposition de loi a minima, serais-je tentée de dire, qui, tout en réaffirmant le principe du repos dominical, n’aurait d’autre objet que de régler quelques situations urgentes.
Mais personne n’est dupe : l’intention de libéraliser le travail du dimanche est omniprésente dans ce texte qui élargit notamment les possibilités de dérogations aux zones et aux communes d’intérêt touristique ou thermales. Au moins 6 000 communes sont concernées.
D’ailleurs, pourquoi vouloir réaffirmer le principe du repos dominical alors qu’il figure noir sur blanc à l’article L. 3132-3 du code du travail ? Il y a de quoi semer le doute !
Comme l’a rappelé notre collègue François Fortassin, historiquement, le repos du dimanche trouve son origine dans la Bible, mais la Révolution l’a aboli en 1789. Il fut réintroduit lors de la Restauration, puis supprimé une nouvelle fois le 12 juillet 1880.
Le jour chômé était alors décidé par le patron. Sa réintroduction date de 1906 : elle fut votée sous le gouvernement de Ferdinand Sarrien afin d’apaiser les vives tensions sociales consécutives à la tragédie des mines de Courrières, mais aussi les tensions religieuses, moins d’un an après la séparation de l’Église et de l’État.
La loi Sarrien est toujours d’actualité, même si elle a fait l’objet de nombreuses dérogations au fil du temps.
Ne nous y trompons pas : c’est d’un vrai choix de société que nous débattons aujourd’hui, un choix entre le dimanche et le « jour du patron » !
Défendre le repos dominical, ce n’est pas défendre un simple jour de repos : c’est défendre une conception de la vie.
C’est défendre la vie de famille tout d’abord : la famille doit pouvoir se retrouver ailleurs qu’au supermarché, au moins une fois par semaine, autour d’un repas, d’une activité commune, qu’elle soit sportive, culturelle ou festive. Seul le dimanche le permet.
C’est aussi l’occasion de se promener, de rendre visite aux parents, aux grands-parents. Pour les enfants, le rendez-vous du dimanche en famille est un facteur de stabilité et d’équilibre.
Il n’y a pas si longtemps, monsieur le ministre, vous déclariez : « L’école le samedi matin n’est pas favorable à la vie familiale. » Pensez-vous que le travail du dimanche le soit davantage ?
D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas. D’après un récent sondage, près de 55 % de nos concitoyens sont hostiles au travail dominical et, pour 80 % d’entre eux, le dimanche doit rester un jour différent des autres, un jour où l’on ne travaille pas.
Défendre le repos dominical, c’est aussi défendre la vie associative. C’est souvent le dimanche qu’on se réunit pour une fête de quartier, une kermesse d’école, une fête patronale, autant de moments où se tisse le lien social. Le sport se pratique également le dimanche, qu’il s’agisse du jogging du matin ou des compétitions sportives. Chaque semaine, ce sont des milliers de bénévoles qui s’activent aux quatre coins du pays pour faire vivre leur passion.
Pourtant, le bénévolat est en crise. Croyez-vous, monsieur le ministre, que celles et ceux qui travailleront le dimanche vont continuer à s’engager ?
Enfin, n’oublions pas la vie religieuse. Nombre de nos concitoyens veulent pouvoir pratiquer leur culte le dimanche. C’est tout à fait respectable. Or, s’ils travaillent, ils en seront empêchés. Et, pour les non-pratiquants, les offices, les mariages, les baptêmes, les communions et les confirmations sont des moments importants. Des centaines de milliers de salariés en seront privés, en totalité ou en partie. C’est regrettable.
Je souhaite à présent me livrer à une petite chasse à la désinformation s’agissant de ce texte.
On nous dit que les salariés seront payés double le dimanche. Ce n’est pas exact. À ce propos, le président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale parlait de « grosse bourde ». Bien évidemment, tous les salariés qui travailleront le dimanche ne seront pas payés double, puisque ceux des zones touristiques et thermales sont d’ores et déjà exclus du dispositif.
S’agissant des salariés qui travaillent dans les zones commerciales situées autour de Paris, de Lille et de Marseille, les fameuses PUCE, s’il y a déjà un accord collectif de branche, c’est celui-ci qui s’applique tel quel. Et si cet accord ne prévoit pas de double rémunération, rien ne changera pour eux.
Donc, le doublement n’interviendra éventuellement que pour les métiers dont la convention collective ne prévoirait pas ce cas, c'est-à-dire une toute petite minorité, car très peu d’accords de branche prévoient un tel doublement. Il y a fort à parier que la surprime éventuelle liée au travail du dimanche dans les PUCE tendra très naturellement à disparaître à proportion de la banalisation du travail du dimanche. C’est ce qui s’est passé en Angleterre et en Irlande.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est leur modèle !
Mme Gisèle Printz. C’est déjà ce qui se passe en France, où, à la suite du vote de l’amendement ConfoKea – l’amendement Debré –, le travail dominical des salariés du secteur du meuble n’entraîne aucune compensation salariale.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Si !
Mme Gisèle Printz. On nous dit que les salariés auront le choix de ne pas travailler le dimanche, mais c’est méconnaître le lien de subordination entre l’employeur et le salarié, les rapports de force et les pressions qui peuvent régner dans la grande distribution.
D’ailleurs, l’actualité récente nous donne raison : trois salariés ont été licenciés pour avoir refusé de travailler le dimanche dans le magasin Ed d’Oyonnax, dans l’Ain. Ces salariés avaient pourtant été informés que le travail dominical se ferait « sur la base du volontariat ».
Cet exemple est particulièrement significatif de ce que veut dire « volontariat ». L’une des trois salariés, après cinq années de bons et loyaux services, a préféré renoncer à une prime de 5 euros et réserver son dimanche à sa famille, puisque c’est le seul jour où elle peut voir son fils, en internat la semaine.
Mme Gisèle Printz. Résultat : au motif d’« insubordination » et de « non-respect des horaires planifiés », selon la direction, elle est licenciée dans la foulée !
Je n’ose imaginer le nombre de cas similaires qui passent inaperçus, car non motivés de la sorte.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
Mme Gisèle Printz. Je vais arrêter là cette chasse à la désinformation. Il y aurait encore beaucoup à dire. Par exemple, nous ne pensons pas que ce texte soit créateur d’emplois, contrairement à ce qui est affirmé.
Je souhaite évoquer encore un point important, celui des femmes. En effet, 63 % d’entre elles travaillant dans le commerce, elles sont les plus nombreuses à être concernées par les conséquences du travail dominical sur la vie familiale.
La situation des femmes est difficile sur le marché du travail. Leur taux de chômage est supérieur à celui des hommes et les écarts de salaire avec ces derniers restent significatifs. Elles sont aussi plus nombreuses que les hommes à être titulaires de contrats à durée déterminée ou à temps partiel. C’est particulièrement vrai dans la grande distribution, où s’ajoutent des horaires discontinus et des amplitudes d’ouverture de plus en plus grandes.
Ainsi, quand un magasin ferme à vingt heures ou à vingt-deux heures, il faut encore faire la caisse, puis prendre les transports en commun pour rentrer, tard, chez soi. Le lendemain, il faut se lever tôt, préparer les enfants avant de les conduire à l’école. Aussi, le dimanche arrive à point nommé dans la vie de ces femmes, souvent mères célibataires.
Quand bien même elles seraient payées double si, par chance, leur accord collectif de branche le prévoit, il ne leur restera pas grand-chose une fois qu’aura été payée la garde d’enfant, très onéreuse.