M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que vous construisez aujourd’hui est appelé à prendre une place essentielle dans notre pays. Il y a ainsi des textes qui marquent parce qu’ils peuvent avoir une influence directe à la fois sur le destin individuel des jeunes et sur le destin collectif d’une nation.
Il s’agit aujourd’hui de créer un cadre nouveau pour assouvir le désir d’engagement, si souvent exprimé, des jeunes ou le déclencher auprès de celles et ceux qui, dépourvus de projets, pourront s’épanouir dans le service civique.
La reconnaissance de la nécessité d’un service civique, nous l’avons constaté lors du débat qui s’est tenu au Sénat le 10 juin dernier, dépasse les clivages politiques, dépasse les remparts générationnels, dépasse les ségrégations sociales. Le service civique doit rassembler, doit mobiliser ; bref, il doit permettre un épanouissement de l’engagement.
Des personnalités de tous horizons en ont demandé la création. Parmi elles figurent d’éminentes figures de l’engagement le plus noble, qui ont su que, à certains moments de notre histoire, engagement rimait avec résistance.
Avec le service civique, engagement pourra résonner avec environnement, solidarité, développement et service de l’autre.
Permettez-moi d’exprimer ma reconnaissance à l’égard de la Haute Assemblée, qui a permis, dans un premier temps, que s’engage le débat et, dans un second temps, que s’écrive un nouveau chapitre de notre code du service national. Le service national, ce sera la possibilité, demain, d’accomplir un service civique en faveur d’une cause noble que pourront choisir ceux qui l’accompliront.
Permettez-moi également d’exprimer ma reconnaissance à l’égard de tous les membres du groupe du RDSE, à l’origine de ce texte, de celles et ceux qui ont participé au débat du 10 juin dernier, du rapporteur, M. Christian Demuynck, et de Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes, qui ont défendu le service civique, et de l’ensemble de celles et ceux qui ont permis, au sein de la commission de la culture, de présenter aujourd’hui en séance publique un texte de très bonne facture. Beaucoup de chemin a été parcouru. Il nous reste à parvenir à bon port, en traduisant ces idées dans les faits.
Je souhaite également exprimer ma reconnaissance vis-à-vis de celles et ceux qui, ces dernières années, ont porté, contre vents et marées, avec des moyens toujours insuffisants, la flamme du service civil. Ils ont fait en sorte que cette flamme, qui a parfois vacillé, ne s’éteigne jamais. Je pense aux associations qui ont engagé des volontaires, aux collectivités territoriales qui y ont cru, aux premiers volontaires qui se sont engagés, à celles et ceux qui se sont réunis au sein de la commission présidée par Luc Ferry pour faire émerger de nouveau un consensus sur le service civique.
Cette flamme du service civil, nous allons aujourd’hui la faire passer au flambeau du service civique. Et nous n’avons pas le droit de décevoir les espoirs, de ne pas saisir les mains qui se tendent, chargées de bonne volonté, de tarir cette soif d’engagement, de ne pas répondre à ces élans de générosité. Ces dernières années, trop de ces élans ont été brisés, beaucoup trop de ceux qu’animaient cette bonne volonté et cette soif d’engagement ont été déçus. Une réponse concrète, à la hauteur des enjeux, doit leur être offerte dans les années qui viennent.
Que pouvons-nous souhaiter ? Que le service civique soit vite débordé par son succès. Nous nous engageons à recruter 10 000 jeunes dans le cadre du service civique en 2010. Nous espérons que davantage encore y prétendront, non pas pour les frustrer de cet engagement, mais pour pouvoir atteindre rapidement l’objectif de 10 % d’une classe d’âge évoqué par le Président de la République, ce qui représente le « seuil critique » pour qu’une génération se familiarise avec le dispositif.
Nous souhaitons que le service civique devienne un réflexe, un atout valorisant et valorisé. Cette proposition de loi ouvre une telle voie puisqu’elle permet aux universités de prendre en compte l’engagement du service civique dans le parcours universitaire et qu’elle en fait un élément de valorisation des acquis de l’expérience.
Nous souhaitons que le service public puisse être apprécié dans ses réalisations. On devra pouvoir dire que, sans le service civique, notre pays se porterait moins bien et que, à l’inverse, grâce au service civique, moins de personnes sont isolées, l’environnement est mieux protégé, tel chantier est plus avancé, les liens avec tels pays du Sud sont consolidés.
Cette proposition de loi porte création du service civique que beaucoup de nos concitoyens appellent de leurs vœux. Vous êtes d’ailleurs nombreux ici à avoir signé, voilà trois ans, l’appel de La Vie pour un service civil obligatoire ; vous êtes également nombreux à avoir associé vos voix à celles de représentants associatifs de la société civile, de grandes figures et de jeunes qui nous font part de leur aspiration à un tel engagement.
Peut-être faudra-t-il aller plus loin. Mais, comme l’a rappelé l’auteur de la proposition de loi lui-même, la qualité devra être au rendez-vous. Il ne faut pas que le service civique soit considéré comme une sorte de formalité qu’on accomplirait sans se soucier d’y donner un sens.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Très bien !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Il faut que les premiers volontaires puissent donner à d’autres l’envie de s’engager aussi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous légiférez aujourd’hui en faveur d’une œuvre durable qui marquera peut-être des générations entières. Combien d’entre nous parlent encore de leur service militaire avec des trémolos dans la voix ! Certains y mettent surtout de la nostalgie, d’autres, de la fierté ; tous, ou presque, expriment le sentiment d’avoir su appartenir à une collectivité. J’espère que des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de nos concitoyens, pourront évoquer, dans les décennies qui viennent, avec encore plus de trémolos, le service civique comme une expérience unique et indispensable de rencontre et de dévouement à l’intérêt général, qui aura influé sur leur parcours et, plus largement, sur leur vie.
Ceux qui auront écrit cette loi pourront dire, comme Horace dans une de ses Odes, Exegi monumentum aere perennius. C’est tout ce que je vous souhaite, mesdames, messieurs les sénateurs, de « bâtir un monument plus durable que l’airain » ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de féliciter nos collègues du groupe RDSE, et tout particulièrement M. Yvon Collin, pour l’opiniâtreté dont ils ont fait preuve à propos de ce service civique.
À la fin de la dernière session parlementaire, ils avaient déjà été à l’origine d’un fort intéressant débat sur cette question en séance publique. Celui-ci avait permis à ma collègue et amie Éliane Assassi de faire part de l’approche de notre groupe à ce sujet.
Tous les groupes s’étant exprimés, il nous semblait alors qu’un vrai travail législatif pouvait s’ouvrir pour mettre au point un service national d’un type réellement nouveau, s’appuyant sur l’aspiration de notre jeunesse à l’engagement et à la reconnaissance.
Malheureusement, nous estimons que ce processus opportun se trouve, à travers l’examen du texte qui nous est soumis, détourné de son objectif. Nous pourrions même dire que la proposition de loi de nos collègues est, d’une certaine façon, victime d’un double hold-up législatif.
Tout d’abord, tout juste déposée par ses auteurs, elle se trouve propulsée au rang de mesure gouvernementale, annoncée par le Président de la République dans le cadre d’un plan pour la jeunesse manquant singulièrement d’ambition.
Ensuite, il ne s’agit pas – et notre étonnement fut grand en le découvrant ! – d’une mesure en faveur de la jeunesse puisqu’elle s’adresse finalement à l’ensemble de la population.
Ainsi, le service civique proposé se transforme, d’une part, en mesure de placement conservatoire des jeunes de seize à dix-huit ans en rupture scolaire et, d’autre part, en un dispositif permettant aux adultes en rupture d’activité professionnelle de se consacrer à des missions d’intérêt général.
Autrement dit, à partir d’une idée généreuse et novatrice censée permettre à tous les jeunes qui le désirent de s’engager au service de la collectivité nationale, nous en arrivons à un texte portant diverses mesures en faveur du volontariat, notamment une nouvelle forme de contrat d’activité qui renforce la précarité de ceux qui, en fin de compte, devront se satisfaire de cette offre.
En effet, cette proposition de loi relative au service civique est en fait, pour partie, une réécriture de la loi relative au volontariat associatif, un dispositif que nous avions combattu et qui, à l’usage, s’est montré incapable d’intéresser autant de personnes qu’espéré. Aussi, pour tenter de le rendre plus attrayant, on en élargit l’accès aux jeunes âgés de moins de dix-huit ans et aux personnes occupant un emploi.
On profite également de cette modification pour « nettoyer » les textes relatifs à diverses autres formes de volontariat et pour réduire les avantages sociaux du volontariat associatif, en supprimant notamment la cotisation aux caisses de retraite complémentaire qui y était liée.
N’est-ce pas d’ailleurs la perspective de réaliser une telle économie qui a permis à cette proposition de loi d’être inscrite à l’ordre du jour de nos travaux ? En effet, chacun le sait ici, l’article 40 de la Constitution précise que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Or, depuis quelques années, la majorité de notre assemblée a décidé que ces propositions ou amendements ne devaient même plus être examinés s’ils n’avaient franchi le filtre de la commission des finances.
Cette interprétation nous a d’ailleurs été à nouveau opposée à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi puisque deux de nos amendements ont été rejetés par le président de la commission des finances, alors que nous pensions que ceux-ci étaient gagés par l’article 12 de cette proposition de loi, qui a été adopté par la commission de la culture.
Refusant de croire qu’on puisse faire, au sein de notre assemblée, des différences dans la lecture et l’interprétation de notre Constitution, devons-nous en déduire que cette proposition de loi n’engage aucune dépense supplémentaire ? Nous attendons des précisions sur cette question, monsieur le haut-commissaire.
Cependant, notre groupe étant particulièrement favorable à l’initiative législative des parlementaires, nous nous réjouissons malgré tout que cette proposition puisse être débattue, même si nous émettons d’expresses réserves à son endroit.
C’est tout d’abord la dénomination de ce service national telle qu’elle est justifiée dans l’exposé des motifs, qui nous pose problème. Nous ne saurions voir dans ce dispositif la nécessité d’inculquer les valeurs de la République aux citoyens et, en particulier, à ceux qui sont issus des milieux les plus défavorisés. Une telle vision, déjà fort critiquable si elle ne s’adressait qu’à des jeunes, devient insupportable lorsqu’elle s’adresse à toute la population. Ni notre peuple ni sa jeunesse ne méritent une telle approche.
À l’inverse de ces gages de responsabilité citoyenne que d’aucuns croient devoir exiger, nous nous prononçons en faveur d’un véritable service national de solidarité, et non d’un service civique. Nous souhaitons qu’il soit ouvert à tous les jeunes majeurs, mais uniquement à ces jeunes, non pas pour leur inculquer quoi que ce soit, mais pour leur permettre de développer un engagement responsable au service de la solidarité nationale.
Selon notre conception, il ne peut s’agir que d’un service suffisamment intéressant, attrayant et souple dans sa mise en œuvre pour retenir l’attention de tous les jeunes, sans exception. Dès lors, il doit être réellement utile à ceux qui s’y engagent, mais aussi, et surtout, à la nation et à l’ensemble de la population, par les missions exercées. Aussi ce service national doit-il permettre à chaque jeune qui le souhaite d’effectuer de multiples missions, dans de nombreux domaines et sur tout le territoire. Il ne saurait être considéré comme un instrument d’insertion sociale ou professionnelle : de tels objectifs doivent relever d’autres types de dispositifs. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous sommes favorables à la prolongation de la scolarité jusqu’à dix-huit ans.
Il faut par ailleurs que ce service national soit piloté, précisément, au niveau national, avec un guichet unique territorialisé chargé de sa mise en place auprès des services publics et des associations, du développement des offres sur l’ensemble du territoire ainsi que du contrôle de son déroulement, bref, une porte d’accès permettant à chaque jeune de se renseigner et de s’engager.
Il faut aussi, bien sûr, qu’il ouvre droit à toutes les couvertures sociales et qu’il soit reconnu comme un élément de la formation de tout citoyen, pris en compte dans les parcours éducatifs.
Enfin, ce service national que nous appelons de nos vœux ne doit pas constituer un dispositif isolé dans un désert de politiques publiques qui met de côté notre jeunesse. Au contraire, il doit s’inscrire dans un ensemble de mesures favorisant l’autonomie responsable et solidaire de la jeunesse.
C’est à ces conditions que les jeunes se retrouveront majoritairement dans ce dispositif et seront tentés de s’y engager ; c’est à ces conditions que nous ferons naître un véritable service national utile à la nation.
Malheureusement, cela suppose une ambition qui semble aujourd’hui faire défaut aux pouvoirs publics. En mélangeant civisme, volontariat, insertion et engagement, le Gouvernement continue d’empiler de petites mesures catégorielles pour répondre aux multiples attentes de divers intervenants dont les objectifs sont souvent flous et disparates.
Pourtant, en utilisant cette proposition de loi comme base de travail, et en prenant réellement le temps de la rencontre et du débat sur les divers rapports qui ont été réalisés depuis plusieurs années sur cette question, il nous aurait été possible de parvenir à un tout autre texte. Nous ne laisserions alors pas à des décrets et autres règlements le soin d’en définir les conditions de mise en œuvre, comme c’est le cas aujourd’hui.
Ce rendez-vous manqué, nous le devons une nouvelle fois à la précipitation d’un gouvernement et d’un président qui souhaitent que le Parlement légifère toujours plus vite, sur des textes qui, finalement, manquent souvent leur cible ou s’avèrent inapplicables. Nous le savons, à l’heure actuelle, l’important n’est pas de faire, encore moins de bien faire ; l’essentiel est de faire savoir ! C’est ainsi que le piège s’est refermé sur cette proposition de loi. Sans son intégration au « plan jeunes » de Nicolas Sarkozy, elle n’aurait même pas été discutée ; en y étant intégrée, elle a été détournée.
Bien que les 10 000 volontaires associatifs annoncés voilà quatre ans soient devenus quelques centaines dans la réalité, malgré l’engagement des associations et la satisfaction des jeunes qui se sont engagés, on n’hésite pourtant pas aujourd'hui à avancer le chiffre de 70 000 jeunes mobilisés à terme par le service civique grâce à cette proposition de loi. Nous savons pourtant tous qu’en l’état actuel du texte, ils ne seront pas au rendez-vous, à moins, bien sûr, que des pressions ne soient exercées ou que des procédures ne soient instaurées à destination, d’une part, des jeunes qui décrochent, particulièrement ceux qui ont de seize à dix-huit ans et, d’autre part, de tous les adultes englués dans des petits boulots ou bénéficiant du RSA.
Finalement, nous risquons d’avoir plus de volontaires désignés que d’engagés volontaires !
Malgré cette vision pessimiste, nous espérons que nos débats et la navette parlementaire pourront encore améliorer ce texte. Nous proposerons ainsi une série d’amendements en ce sens, même si nous n’avons déposé que ceux qui nous paraissaient essentiels, le temps imparti à nos débats n’étant pas suffisant pour effectuer une réécriture complète du texte, qui nous semblait pourtant nécessaire.
Pour autant, nous ne perdons pas espoir. Nous souhaitons que le Parlement prenne le temps de se pencher sur cette question et parvienne, enfin, à la mise en place d’un véritable service national digne de notre époque et répondant aux enjeux de notre avenir.
En l’état, nous voterons contre ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, après avoir débattu ici même, la semaine passée, de la réforme du lycée, nous voici réunis autour de la proposition de loi relative au service civique. Ces deux textes concernent notre jeunesse, à laquelle le Sénat a voulu consacrer une mission commune d’information.
La finalité et les objectifs de l’école sont multiples : transmettre des connaissances, préparer à l’exercice d’un métier, mais aussi aider les jeunes à se construire et à devenir des adultes épanouis et responsables qui, chacun à leur place, joueront un rôle dans la société. L’école, c’est aussi le creuset de notre République, à travers la transmission des valeurs auxquelles nous sommes attachés, et qui constituent notre culture commune.
Les centristes prônent une éducation et une culture de l’ouverture, de l’émulation et de l’échange, qui contribuent à construire une identité vivante, à l’opposé du repliement sur soi. Au sortir de l’adolescence, à cette période charnière de la vie des jeunes, quel meilleur dispositif qu’un service civique pour offrir à ces derniers, dans le prolongement de l’école, l’occasion d’un engagement au service des autres ?
Le 22 février 1996, le Président de la République annonçait la suppression du service militaire obligatoire. Chacun s’accorde pour dire que, si une telle décision était légitime, ce passage obligé pour les jeunes hommes avait ses mérites. Facteur de brassage social et culturel, il permettait en effet de faire l’apprentissage de la vie en communauté et de cimenter le sentiment d’appartenance à une même nation.
Voilà pourquoi, quelques années plus tard, est apparue chez certains la volonté de recréer un dispositif qui permettrait de réunir les jeunes autour des valeurs fondatrices de notre société. À cet égard, je me permets de vous rappeler que, dès 2001, les centristes demandaient la création d’un service civique obligatoire et universel de six mois, « concernant les garçons et les filles, qui amènera chacun à donner un moment de sa vie aux autres, aux plus fragiles, sur notre sol ».
Depuis, l’idée a fait son chemin et, à la suite des émeutes de 2005, elle s’est imposée à tous. Le service civil volontaire fut alors instauré par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances. Reposant sur l’engagement dans des associations, ce dispositif permet aujourd’hui aux jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans d’accomplir une mission d’intérêt général pendant six à neuf mois, pour une rémunération de 600 à 650 euros par mois.
Néanmoins, après trois années d’application du dispositif, le bilan est décevant : à peine plus de 3 000 volontaires ont été recrutés alors que le dispositif devait concerner 50 000 jeunes en 2007. Comment expliquer un chiffre si faible ? Quand on sait que tous les jeunes qui ont bénéficié de cette expérience en sont satisfaits et que, d’après un sondage réalisé en juin 2008, plus de 260 000 d’entre eux, chaque année, seraient prêts à accomplir un service civique de six mois, il paraît évident que ce n’est pas le principe en tant que tel qu’il faut remettre en cause.
La relative inefficacité du service civil volontaire relève plutôt de ses modalités d’application, comme l’a démontré le rapport de Luc Ferry, et comme l’a très bien expliqué tout à l’heure notre collègue Yvon Collin.
Le système souffre notamment d’un réel déficit d’information et de visibilité, ainsi que de la lourdeur, de la complexité et de l’opacité des procédures, aussi bien pour les volontaires que pour les structures d’accueil. De ce fait, les jeunes, qui sont peu sensibilisés à ce nouveau dispositif et n’en ont pas toujours connaissance, passent à côté de cette opportunité et de cette aventure personnelle qui leur est offerte.
Partant de ce constat, notre collègue Yvon Collin a déposé, au nom du groupe RDSE, une proposition de loi dont nous avons à débattre aujourd’hui. La portée philosophique du texte qui nous est soumis est significative. Nous parlons enfin, comme le demandaient les centristes, d’un service « civique » et non plus civil. C’est une première avancée que je tiens à souligner. Ce glissement sémantique met en relief l’objet même du dispositif, qui est de « réaffirmer, voire d’inculquer les valeurs républicaines aux citoyens ou résidents de notre pays ou de l’Union européenne ».
Parmi les valeurs fondatrices de notre République doit figurer, comme je l’ai dit précédemment, l’ouverture aux autres. Or le service civique sera bel et bien l’occasion pour les jeunes de seize à vingt-cinq ans de s’engager au service des autres. Il s’imposera comme une expérience humaine leur permettant de mieux se connaître eux-mêmes à travers la découverte des autres.
Qui peut nier que l’échange, la confrontation des origines et des expériences soient utiles ? Ce brassage, ce changement d’horizon, couplé avec l’accomplissement d’une activité d’intérêt général, seront profitables aux jeunes, leur donneront l’occasion d’affirmer leur personnalité, de nuancer leurs certitudes et favoriseront ainsi leur entrée dans la vie active ou universitaire. Garçons et filles de dix-huit ans ont besoin, en effet, de sortir du cocon familial, de sentir la diversité de la société et, a fortiori, de briser les barrières qui entourent le ghetto de certains quartiers.
Par ailleurs, force est de constater que nos jeunes peuvent, à l’heure actuelle, souffrir d’un certain manque de repères. Sans être réductrice, je pense qu’il existe une certaine causalité entre le délitement du lien social et le mal-être de notre jeunesse, qui peut prendre parfois des formes dramatiques.
Fondamentalement, la clé d’une société civile dynamique réside dans cette double aspiration à l’épanouissement personnel, au bien-être, et à l’adhésion à des valeurs collectives qui fondent la solidarité. L’un et l’autre sont respectables et nécessaires. L’affirmation de sa propre individualité ne saurait être remise en cause, mais elle ne signifie ni indifférence ni mépris pour les autres. Au contraire, la meilleure façon de réussir sa vie est d’en consacrer une part aux autres. Ainsi s’affirme la double dimension, individuelle et sociale, de chaque homme.
C’est ainsi que le service civique doit être l’occasion de retisser du lien entre des individus d’origines diverses. Facteur de cohésion sociale, il doit permettre l’intégration de tous. En tant qu’outil de lutte contre l’individualisme, le consumérisme et l’exclusion des jeunes, la nécessité d’un service civique prend tout son sens.
Néanmoins, la proposition de loi ne se limite pas à un énoncé de beaux principes philosophiques. Elle fournit aussi un cadre plus satisfaisant au dispositif. Elle prévoit une indemnisation non imposable, dont le montant équivaut à celui que perçoit actuellement un volontaire du service civil, soit 650 euros par mois. Cette somme paraît constituer une juste rémunération, reflet d’un équilibre garantissant au dispositif son esprit. Un tel montant permettra alors à n’importe quel jeune, quelles que soient ses ressources financières, de subvenir à ses besoins le temps de son service. C’est une condition sine qua non de la mixité sociale du dispositif.
L’article 4 établit un cadre juridique. Il définit les structures qui peuvent le proposer – organismes sans but lucratif ou personnes morales de droit public agréées –, et pose les conditions relatives à la personne volontaire ainsi que les régimes d’indemnité et de protection sociale applicables. Comme le souligne Christian Demuynck dans son rapport, ces garde-fous éviteront que le service civique ne devienne une forme de salariat ou de bénévolat déguisé.
Une autre avancée du texte concerne la reconnaissance et la valorisation du service civique. S’inscrivant dans le parcours de formation des jeunes de seize à dix-huit ans, et permettant une validation des acquis de l’expérience, comme cela se fait déjà au Canada, le dispositif est un parfait complément du cursus scolaire. La question de la valorisation de l’engagement est primordiale ; si un jeune fait la démarche de s’engager pour sa nation, celle-ci doit lui accorder en retour une juste reconnaissance.
Enfin, je tiens à le souligner, ce texte permet une unification des différentes formes de volontariat tout en tirant le régime vers le haut.
Si je souligne les avancées nombreuses de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui – et à laquelle, je le sais, monsieur le haut-commissaire, vous avez apporté un large soutien – je regrette toutefois qu’elle ne fasse pas plus profondément évoluer le dispositif.
Mon premier regret est que la dimension européenne, pourtant affirmée dans l’exposé des motifs, ne se traduise pas par des propositions plus concrètes à travers le texte.
D’une part, nous pourrions nous inspirer des dispositifs mis en place dans d’autres pays européens qui sont des modèles de réussite. Ainsi, le service civil volontaire italien parvient à mélanger des jeunes de toutes classes sociales et suscite au moins deux fois plus de candidats qu’il n’y a de projets proposés. Il semblerait pertinent de travailler en collaboration avec ces équipes.
D’autre part, nous pourrions songer à créer un statut européen pour le service civique, qui offrirait aux jeunes de plus larges perspectives de mobilité. La réussite des programmes tels que Erasmus ou Leonardo, ou encore du volontariat international en entreprise, en complément de la validation des acquis de l’expérience, est très encourageante. Ainsi, les structures d’accueil pourraient développer des partenariats et proposer des projets d’intérêt public européen.
Enfin, comme l’a rappelé mon collègue François Zocchetto le 10 juin dernier, lors du débat sur le service civil volontaire, le service civique a vocation à être obligatoire et universel. Il mérite de concerner toute une tranche d’âge qui partage en même temps une même expérience et se constitue ainsi un socle de valeurs communes.
Je le sais, la question reste en suspens, notamment en raison du coût non négligeable d’une telle mesure – de 3 milliards à 5 milliards d’euros, selon les estimations – et de l’état préoccupant de nos finances publiques.
Il est également vrai que, dans la mesure où le contexte économique actuel n’est guère favorable aux jeunes, ceux-ci, faute de s’approprier véritablement le dispositif, pourraient y voir, faute de mieux, une forme d’occupation temporaire en attendant de trouver ce premier travail auquel ils aspirent tous. Ce n’est pas ce que nous souhaitons.
Nous devons imaginer une montée en charge progressive d’un dispositif maîtrisé et qui aura fait ses preuves. Comme l’indique l’exposé des motifs, nous souhaitons une évaluation régulière, qui nous permettra d’apporter les ajustements adéquats à ce dispositif, dans le but, si l’expérimentation est positive, de la généraliser.
En attendant, monsieur le haut-commissaire, tout cela ne fonctionnera que si le service civique fait l’objet d’une promotion volontariste et efficace.
Ayons, en tout cas, de l’ambition pour ce projet, car, comme le disait Léon Gambetta, « il ne suffit pas de décréter des citoyens, il faut en faire ». (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, du RDSE et de l’UMP. – Mme Claire-Lise Campion applaudit également.)