M. le président. La parole est à M. Bernard Angels.
M. Bernard Angels. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte économique et social de l’année 2010 s’annonce préoccupant. Or les orientations du projet de loi de finances que nous examinons aujourd’hui ne répondent pas aux exigences d’une telle situation.
Compte tenu de l’état fortement dégradé de nos finances publiques et des incertitudes sur les conséquences de la crise à moyen terme, le Gouvernement aurait dû opérer d’autres choix.
En effet, non seulement ce projet de budget n’est pas pertinent, mais il est également fiscalement injuste et amputé d’un élément pourtant fondamental, le grand emprunt, dont on apprenait la semaine dernière qu’il s’élèverait à 35 milliards d’euros.
En premier lieu, le projet de loi de finances pour 2010 ne prend la mesure ni des effets à venir du ralentissement de la conjoncture ni de la situation plus que préoccupante de nos comptes publics.
Lorsque Mme la ministre de l’économie, de l'industrie et de l'emploi se réjouit de la bonne tenue de la croissance française, chiffrée à plus de 0,3 % au troisième trimestre de 2009, elle omet de signaler que d’autres indicateurs pourraient considérablement hypothéquer le retour en France d’une croissance durable.
En effet, selon l’INSEE, la demande intérieure, pourtant l’un des principaux moteurs de notre croissance, a contribué négativement au PIB à hauteur de moins 0,1 point au troisième trimestre.
Ainsi, cette timide reprise est à mettre sur le compte non pas du plan de relance français, qui a eu un impact nul sur la consommation des ménages, mais bien des différents dispositifs mis en place dans le reste de l’Union européenne, qui ont considérablement relancé les exportations françaises, en particulier, la prime à la casse en Allemagne, qui a favorisé le bien-être de Renault ou de Peugeot.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Bernard Angels. Loin d’attester de l’utilité des mesures votées dans le cadre de la relance, ce résultat, lorsqu’il est analysé plus finement, apporte au contraire la preuve de l’erreur politique du Gouvernement qui, en faisant peu de cas des ménages, et en particulier des plus modestes, s’est privé d’un levier de relance majeur.
De plus, la fragilité de la reprise amorcée au deuxième trimestre sera également fortement affectée par les conséquences de la crise en termes de destructions d’emplois et d’augmentation du chômage. En effet, entre 2009 et 2010, 800 000 personnes devraient venir grossir le nombre des demandeurs d’emploi, portant le taux de chômage à 10,6 % l’année prochaine, contre 7,8 % fin 2008.
Pourtant, le Gouvernement préfère ignorer cette réalité, allant même jusqu’à ne pas comptabiliser les demandeurs d’emploi de catégories B et C dans le chiffre officiel du chômage. Or ces salariés, qui travaillent pour la plupart moins ou à peine plus de soixante-dix-huit heures par mois, demeurent, malgré leur activité, dans une situation précaire. Ainsi, si l’on ajoute ces salariés particulièrement vulnérables au chiffre officiel du chômage, en août 2009, on comptait non pas 2,6 millions, mais bien 3,7 millions de demandeurs d’emplois.
En outre, l’alarme aurait également dû être tirée du fait de l’augmentation significative du nombre de chômeurs de longue durée. En septembre 2009, presque 1,3 million de personnes appartenaient à cette catégorie.
Les conséquences en termes d’explosion de la pauvreté ne manqueront pas, hélas ! de se faire sentir lorsque ces chômeurs arriveront en fin de droit.
Peut-on croire qu’il est possible de relancer durablement l’économie en s’abstenant d’analyser les causes réelles de la croissance aux deuxième et troisième trimestres de cette année et en se voilant la face quant aux conséquences sociales de la crise ? C’est peu probable.
Cela paraît d’ailleurs d’autant moins probable qu’une reprise pérenne passe nécessairement par une maîtrise du solde public. Or, soucieux de ne pas revenir sur certaines mesures inefficaces – je les développerai plus tard –, le Gouvernement laisse filer le déficit et la dette publique, qui pèseront considérablement sur les générations futures.
En 2010, si l’hypothèse de croissance de 0,75 % était avérée, cela signifierait que l’État devrait financer à crédit 40 % de ses dépenses. Avec un déficit public de 8,5 % en 2010, lié autant à la conjoncture qu’à des facteurs structurels, la France se place en situation de voir toutes ses marges de manœuvre financières hypothéquées, d’autant plus qu’en ajoutant à ces prévisions le grand emprunt à venir notre déficit pourrait atteindre 10 % du PIB l’année prochaine.
Dans ce contexte, la dette publique enregistrerait un bond de 16 % entre 2008 et 2010 et s’établirait à 84 % du PIB à la fin de l’année prochaine.
Pourtant, si la baisse de la TVA dans la restauration n’avait pas vu le jour, si le paquet fiscal avait été révisé et si une taxe exceptionnelle sur les bénéfices des banques avait été adoptée, il aurait été possible de dégager près de 15 milliards d’euros et donc de limiter ces dérapages.
En outre, du fait des procédures pour déficit excessif lancées par la Commission européenne, il paraît fort probable que la Banque centrale européenne s’ajuste en renchérissant son principal taux directeur.
Cela est d’autant plus dommageable que la France vient de terminer de rembourser des emprunts à moyen et long terme en empruntant sur du court-terme, emprunts dont les taux vont donc augmenter. Cette situation risque de devenir rapidement intenable pour nos finances publiques ; d’ailleurs monsieur le rapporteur général partage cette analyse.
En refusant d’admettre que la croissance positive des deuxième et troisième trimestres ne doit rien au plan de relance français, loin s’en faut, et en choisissant de ne pas utiliser ce projet de budget comme un tremplin pour sortir, enfin, du marasme économique, le Gouvernement affiche clairement ses priorités : continuer de ne rien faire pour relancer notre demande intérieure, faire des collectivités territoriales les variables d’ajustement de ses réformes et ne pas revenir sur des dispositifs fiscaux coûteux et inefficaces.
L’injustice fiscale est en effet la seconde des caractéristiques de ce projet de loi de finances.
La déductibilité des intérêts d’emprunt, adoptée dans le cadre de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, la loi TEPA, n’a, par exemple, eu aucun effet sur la part de primo-accédants dans l’ensemble des opérations immobilières d’achat. Peut-on continuer à défendre une telle mesure lorsqu’elle s’apparente plus à un effet d’aubaine qu’à une dépense fiscale efficace ?
Par ailleurs, dans un contexte économique particulièrement morose et où toute recette supplémentaire doit être recherchée, pourquoi le dispositif du bouclier fiscal a-t-il été maintenu alors même que de nombreux ménages modestes auraient pu bénéficier de ces nouvelles recettes grâce à une politique redistributive et contribuer, par leur consommation, à la relance de la demande intérieure qui nous fait tant défaut aujourd’hui ?
Et si, madame et messieurs les ministres, vous doutiez encore de la pertinence d’une politique de relance s’appuyant sur la consommation des ménages, j’ai pu établir, dans un rapport que j’ai présenté au début de l’année devant la délégation pour la planification, que le contenu moyen en importation de la consommation des 10 % des ménages ayant les plus bas revenus est inférieur de 2,4 points à celui de la moitié des ménages ayant les plus hauts revenus.
Ainsi donc, une approche sociale de la relance aurait pu non seulement protéger les populations les plus fragiles mais aussi contribuer à favoriser la demande en produits nationaux.
Enfin, la future réforme de la taxe professionnelle devrait se traduire par un allègement de l’ordre de 12 milliards d’euros sur la trésorerie des entreprises en 2010, et de 7 milliards d’euros les années suivantes.
La nécessaire redynamisation de l’investissement en France est, certes, une préoccupation très largement partagée dans cet hémicycle, néanmoins, rien ne garantit que ce projet de réforme y contribue.
N’aurait-il pas été plus pertinent, dans le but de favoriser l’investissement et d’éviter les délocalisations, de cibler plus particulièrement les entreprises industrielles, dont le tissu économique français a particulièrement besoin et qui présentent les facteurs de localisation les plus souples ?
Mais, plus grave encore, cette réforme aura des conséquences désastreuses sur les ressources des collectivités qui sont pourtant les premiers investisseurs dans notre pays. Mes collègues du groupe socialiste y reviendront au cours de ce débat, néanmoins je souhaite en dire quelques mots.
La perte d’environ 15 milliards d’euros de recettes de taxe professionnelle pour les collectivités porte une atteinte grave à leur autonomie fiscale, car ces dernières n’auront d’autre choix que de recevoir les recettes de nouveaux impôts ou de bénéficier de transferts d’impôts d’État, dont elles ne seront libres ni de déterminer l’assiette ni de fixer le taux.
Vous ne pouvez ignorer, madame la ministre, messieurs les ministres, que cette modification substantielle de l’imposition locale fera peser plus de 70 % des impôts locaux sur les ménages, alors qu’ils n’en supportent aujourd’hui que 50 %.
Et, comme il paraîtrait tout aussi injuste d’augmenter massivement les impôts locaux acquittés par les particuliers, ce sont les services publics locaux qui, une fois encore, en subiront les effets néfastes.
Le projet de loi de finances pour 2010, tel qu’il nous est proposé, est inacceptable car il prive les communes, les intercommunalités, les départements et les régions, qui auraient pu contribuer à amortir les effets de la crise, de toute marge d’action et ne fait pas le choix de la redistribution.
La volonté du chef de l’État de ne pas revenir sur certaines de ses promesses a fortement contraint les deux précédents exercices budgétaires. Ce projet de budget ne fait pas exception à la règle.
Afin de financer des dépenses dites d’avenir, l’idée d’un grand emprunt fut avancée. Longtemps son montant exact ne fut pas connu : M. Henri Guaino affirmait qu’il pourrait atteindre 100 milliards d’euros ; le premier ministre tablait sur une somme comprise entre 20 milliards et 30 milliards d’euros. Désormais, le chiffre de 35 milliards d’euros est retenu.
Ainsi, alors que la sincérité budgétaire eût voulu que l’examen du grand emprunt soit débattu à l’occasion de la loi de finances initiale, le Gouvernement renvoie cette question à un collectif ultérieur, fragmentant de fait le débat budgétaire et empêchant les parlementaires de l’appréhender dans sa globalité.
En conclusion, et pour qualifier ce budget, je dirai qu’il est insincère et injuste.
Il va de soi que notre groupe s’attachera à défendre des amendements pour rétablir l’équité fiscale tant entre les catégories de la population qu’entre les échelons territoriaux et proposera des mesures visant à remettre notre pays sur la voie de la croissance durable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Président Pompidou affirmait qu’en politique il fallait absolument se donner des objectifs, le nôtre doit être d’atteindre l’équilibre budgétaire, au mieux en 2013 pour répondre aux exigences de la Commission européenne, au pire en 2014 pour répondre aux exigences de nos équilibres économiques et sociaux et aux exigences du poids international de la France.
Est-ce possible ? En tout cas, ce sera très difficile avec un contexte particulièrement morose, une récession économique qui s’est peu à peu installée, une croissance en berne, des chiffres du chômage de plus en plus inquiétants, des déficits publics abyssaux et une dette qui ne cesse de s’accroître.
Aujourd’hui, vos soucis sont grands, madame et messieurs les ministres, et notre inquiétude extrême.
Les déficits empoisonnent la vie politique française depuis trop longtemps. Tous les Gouvernements ont eu leur part de responsabilité, par le choix de la facilité et même de la lâcheté. À aucun moment, le Parlement n’est parvenu à voter un budget en équilibre.
Je dirai, en paraphrasant Oscar Wilde, que la France vit tellement au-dessus de ses revenus qu’en vérité ils mènent, elle et eux, une existence entièrement séparée. Ce déséquilibre s’est fortement accentué entre 2008 et 2009 pour des causes conjoncturelles du fait des mesures nécessaires de relance, mais aussi et surtout en raison de la forte diminution des recettes, en particulier du produit de l’impôt sur les sociétés, passé de 39 milliards à 19 milliards d’euros, et de celui de la TVA, passé de 186 milliards à 171 milliards d’euros.
C’est un effondrement catastrophique, mais la responsabilité n’est pas due à votre politique, au contraire, votre choix de privilégier l’investissement l’a freiné.
Ces causes conjoncturelles risquent de devenir structurelles sans un retour à une croissance forte et à une division par deux du chômage. La crise ne doit pas être un alibi nous autorisant à ignorer nos déficits, qu’il nous faut bien au contraire attaquer avec beaucoup de détermination et de courage.
Un déficit de116 milliards d’euros ! Une telle somme, il y a peu, était inimaginable ! Le temps où l’on se référait aux critères de Maastricht semble bien lointain. Il faut tout faire pour que ce chiffre, d’accidentel, ne devienne, par résignation, un élément du paysage économique.
Madame et messieurs les ministres, permettez-moi de rappeler comme mise en garde le précepte confucéen : « Trop de poux finit par ne plus démanger, trop de dettes finit par ne plus attrister. ». (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Le Gouvernement, comme les rapporteurs généraux, ont élaboré plusieurs scénarios. Lors du débat sur les prélèvements obligatoires, vous avez été clairs : les impôts ne doivent pas augmenter.
Dans ce cas, la seule piste à long terme est celle de la baisse des dépenses. Un antidote, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, n’est pas suffisant : l’économie annuelle réalisée ne représente que 0,2 % des dépenses nettes du budget général.
Nous devons nous inspirer des exemples de pays confrontés à des problèmes comparables, comme le Canada, la Belgique et la Suède. C’est la Suède qui a réussi le mieux à surmonter une situation désastreuse.
Elle a su créer les conditions nécessaires pour éviter de sombrer dans la spirale infernale des déficits. Pendant près de dix ans, elle n’a cessé de réduire ses dépenses. En imposant une politique budgétaire aux règles pluriannuelles strictes, elle est passée d’un déficit public de 12 % du PIB à un excédent public de près de 3 % !
La Suède s’était donné comme objectif à la fois un plafonnement des dépenses et un excédent moyen des finances publiques de 2 % du PIB.
Le taux de chômage a baissé de 9 % à 4 % de 1993 à 2000 malgré, ou plutôt, en raison de la réduction de 15 % du nombre d’emplois publics. Une forte hausse des emplois privés liée à une reprise de la consommation et de l’investissement a suivi le début de redressement des finances publiques.
Ce résultat fut atteint sans réduction du niveau des services au public dans les secteurs régaliens de l’État ni du niveau de qualification de la population.
Qu’est-ce qui nous empêche de nous inspirer de l’exemple suédois ? Il nous démontre que le redressement de notre déséquilibre budgétaire est possible.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Avec une TVA à 25 % !
M. Aymeri de Montesquiou. Nous devons tous faire preuve de courage en refusant la facilité et la démagogie.
Madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la dette publique explose : 64,9 % du PIB en 2004, 77 % en 2009, la Cour des comptes l’estime à 84 % en 2010, 88 % en 2012.
Lors du débat sur les prélèvements obligatoires, j’avais soutenu la proposition de notre collègue député Jean-Luc Warsmann de mettre en place un sommet national de la dette publique au-delà de tout clivage politique ou idéologique : plus que jamais, l’urgence l’impose.
J’en appelle à votre sens de l’hédonisme, madame et messieurs les ministres, en vous rappelant le proverbe russe : « Le beau moment d’une dette, c’est quand on la paie !».
Que cela se réalise sous votre ministère serait sans doute une utopie, mais soyez-en à tout le moins les initiateurs ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi de finances revêt, cette année, une importance et une portée toutes particulières, et ce à double titre.
D'une part, le budget 2010 tient compte de la crise économique actuelle, qui marquera à n’en point douter l’histoire contemporaine, tout en préparant la sortie de crise. D’autre part, il concrétise la suppression de la taxe professionnelle, réforme que le Président de la République s’était engagé à mener à bien, réforme souvent annoncée et toujours différée.
Je concentrerai donc mon propos sur quatre points.
Le premier portera, bien sûr, sur la taxe professionnelle, dispositif qu’il était devenu clairement nécessaire de supprimer. Déjà qualifié de « stupide » par François Mitterrand, il a été modifié, depuis sa création en 1975, par pas moins de 68 textes de loi destinés à en atténuer les effets antiéconomiques.
La plus importante de ces modifications a été conduite par Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn, qui ont supprimé la part salaire de la taxe professionnelle en expliquant que le meilleur moyen de lutter contre le chômage était de ne pas taxer les emplois. Mais ils ne sont pas allés jusqu’au bout du raisonnement. Il est donc particulièrement curieux d’entendre les voix qui plébiscitaient cette évolution reprocher aujourd’hui au Gouvernement de poursuivre le raisonnement, en faisant valoir que le meilleur moyen de ne pas pénaliser l’investissement est d’éviter de le taxer, tout particulièrement dans le contexte de crise que nous connaissons.
Plus que jamais, il convient donc de ne pas différer cette réforme. Le débat doit porter non pas sur la suppression de la taxe professionnelle, mais bien plus sur le dispositif destiné à la remplacer.
De ce point de vue, l’idée d’opérer un prélèvement sur la valeur ajoutée paraît plus cohérent et plus juste économiquement, surtout dans la situation actuelle où les entreprises à forte valeur ajoutée ne sont pas forcément les plus contributives.
Il est à mon sens nécessaire, sur le long terme, d’opérer des rééquilibrages entre les entreprises et les territoires. Je les appelle de mes vœux. Nos collectivités n’ont rien à craindre de la réforme puisque l’industrie française a perdu 500 000 emplois en 15 ans et que sa part dans la valeur ajoutée est passée de 21 % en 1988 à 14,1 % en 2007.
Aussi la vraie question porte-t-elle sur la détermination du mode de répartition de ce nouvel impôt et de la part respective qui devra revenir à chaque collectivité.
Nos collègues de l’Assemblée nationale ont élargi aux communes la cotisation assise sur la valeur ajoutée, initialement réservée aux départements et aux régions, et ce à hauteur de 20 %. C’est une heureuse initiative, de nature à conforter le lien entre territoires et entreprises et, surtout, à dynamiser le couple formé par la commune et l’EPCI.
Si d’autres évolutions sont souhaitables, je fais confiance à la commission des finances, tout particulièrement à son président, Jean Arthuis, et à son rapporteur général, Philippe Marini, pour inciter notre assemblée à améliorer et compléter le texte. Nous souhaitons en priorité obtenir – enfin ! – des simulations et la garantie de clauses de revoyure en fonction de l’évolution du dossier de la réorganisation territoriale.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien ! Nous y veillerons !
M. Dominique de Legge. Cela me conduit tout naturellement à évoquer le deuxième point de mon propos : l’autonomie fiscale et la péréquation.
Tout d’abord, peut-on encore parler d’autonomie fiscale lorsque la taxe professionnelle est aujourd’hui, pour plus d’un tiers, prise en charge par l’État ?
M. Dominique de Legge. C’est entre 1998 et 2002 que l’autonomie fiscale des régions a le plus diminué, conséquemment à la réforme des droits de mutation en 1998, à la suppression de la part régionale de la taxe d’habitation en 2000 et à celle de la part salaire de la taxe professionnelle en 2001.
Ainsi, pour la Bretagne, région qui m’est particulièrement chère, la part des recettes décidée par le conseil régional n’était plus que de 30 % en 2002 quand elle atteignait 56 % en 1998. Une telle diminution, qui fait suite aux réformes fiscales menées par Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn, permet de relativiser les accusations portées aujourd’hui sur la perte d’autonomie fiscale que la réforme entraînerait, d’autant que les régions ont retrouvé une certaine marge de manœuvre avec le mécanisme de la TIPP institué sous le gouvernement Raffarin.
Ensuite, n’y a-t-il pas un paradoxe, voire une certaine hypocrisie, à réclamer davantage d’autonomie fiscale tout en appelant de ses vœux une augmentation à la fois des dotations de l’État et de la péréquation ?
Mme Nicole Bricq. Non, et on va vous expliquer pourquoi !
M. Dominique de Legge. Je suis bien entendu, comme chacun d’entre nous, attaché au principe d’une autonomie fiscale la plus large possible.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Dominique de Legge. Cependant, compte tenu des déséquilibres territoriaux, que signifie l’autonomie fiscale lorsqu’il n’y a pas, ou peu, de masse taxable et, partant, de perspectives de recettes ?
Dans certains départements, le coût des compétences transférées, ne serait-ce que dans le domaine social avec le RSA et l’APA, est sans commune mesure avec le niveau réel de la contribution qui peut y être levé.
En la matière, une prise de conscience s’impose : plus loin nous souhaiterons aller dans la décentralisation, en confiant aux collectivités territoriales des missions jusque-là exercées par l’État sur son budget, plus il sera difficile, sur un plan macroéconomique, d’assumer le principe d’autonomie fiscale. Je prendrai, là encore, l’exemple de la Bretagne : l’État y collecte 11,3 milliards d’euros, mais en redistribue 16,3 milliards !
De ce point de vue, l’instauration de la nouvelle contribution économique territoriale me paraît ouvrir de nouvelles perspectives pour assurer, dans toute la mesure possible, une meilleure équité entre les territoires. Les péréquations et compensations sont peut-être des entorses au principe de l’autonomie fiscale, mais elles expriment une autre valeur, celle de la solidarité nationale, à laquelle nous sommes tous attachés. Cette dernière mérite selon moi d’être autant respectée et défendue qu’un principe d’autonomie dont nous mesurons bien les limites.
Le troisième point que j’aborderai concerne le sort qui sera réservé à la taxe sur le foncier non bâti compte tenu de la suppression de la taxe professionnelle.
Aujourd’hui, la taxe sur le foncier non bâti pèse fortement sur l’agriculture, secteur économique pourtant soumis lui aussi, comme chacun le sait, à une rude concurrence, et s’apparente, à bien des égards, à une taxe professionnelle. Aussi, le raisonnement qui prévaut pour alléger les charges sur les entreprises à fort investissement me semble également valable pour les entreprises agricoles, où le poids du foncier est lourd. Je sais que ces contributions ne sont pas tout à fait de même nature, puisque le foncier ne s’amortit pas. Pour autant, je souhaite que l’examen du dossier de la révision des bases foncières nous donne l’occasion de réfléchir à la pertinence économique de cette taxe et à son évolution.
Enfin, le quatrième point de mon intervention portera sur la maîtrise de nos dépenses
Si nous partageons tous cet objectif, il serait pour le moins fâcheux que la recherche de l’excellence en tous points – qualification des personnels, sécurité, environnement – conduise, par la création de normes excessivement contraignantes, à augmenter les dépenses des collectivités territoriales. Je ne suis pas de ceux qui considèrent que nos collectivités territoriales bénéficieraient d’une sorte de garantie de ressources provenant de l’État, indépendamment du contexte économique.
Pour autant, il ne faudrait pas que, dans le même temps, l’État, au mépris de ce même contexte économique, en vienne à mettre lui-même à faire supporter aux collectivités territoriales des charges nouvelles, au détour d’un décret ou d’une circulaire.
En d’autres termes, si l’État ne veut pas ou ne peut pas compenser toutes ces nouvelles charges, il serait bien inspiré d’éviter d’en créer, surtout lorsque leur utilité reste à démontrer.
Dans le même ordre d’idée, je reconnais à la fiscalité écologique une finalité pédagogique salutaire, et je me réjouis que le Gouvernement ait récemment annoncé son intention d’affecter le produit de la taxe carbone acquittée par les collectivités à un fonds de l’ADEME qui servira à financer les investissements des collectivités locales en matière d’économie, d’énergie et de développement durable. J’ai également noté que la taxe carbone serait intégralement remboursée aux particuliers. Cela étant, l’instauration de contributions écologiques ne doit pas aboutir à absorber l’intégralité du bénéfice tiré de l’exonération de la taxe professionnelle. Pour notre part, nous avons trop souvent déploré et dénoncé ce genre de pratique.
Mes chers collègues, le projet de budget pour 2010 est marqué par un souci de lucidité et de vérité. Il ouvre des perspectives et prépare la sortie de crise, en s’inscrivant, au-delà de la conjoncture particulière que nous traversons, dans une logique de libération de notre économie.
Je sais gré au Gouvernement, malgré un contexte difficile, de faire preuve de courage alors qu’il eût été plus facile de différer une décision aussi lourde de conséquences que la réforme de la taxe professionnelle. C’est parce que je le sais attentif aux propositions du Sénat, dans le but commun de rendre cette nécessaire réforme juste et équilibrée, que nous aborderons la discussion avec confiance. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, après avoir entendu de nombreux témoignages sur des sujets variés, je limiterai mon intervention à la réforme de la taxe professionnelle, sur laquelle je voudrais vous confier à la fois mes inquiétudes et mes espoirs.
Le Président de la République a donc annoncé en février dernier la suppression des investissements productifs de l’assiette de la TP, en précisant qu’une telle mesure était nécessaire pour « garder des usines en France ».
La question de l’incidence de la taxe professionnelle sur les délocalisations est à l’évidence parfaitement légitime, mais est-elle totalement fondée ? En effet, lorsqu’on interroge les chefs d’entreprise sur les raisons qui pourraient les pousser à délocaliser totalement ou partiellement leurs productions en Europe de l’Est, en Afrique du Nord ou en Asie, ceux-ci évoquent rarement le poids de la TP et beaucoup plus le coût de la main-d’œuvre et des charges sociales.
De ce fait, je ne suis pas certain que la suppression de la taxe professionnelle sur les investissements suffira à freiner les délocalisations. Cela ne veut bien sûr pas dire que cette taxe ne doit pas être modernisée.
La réforme envisagée ne concerne qu’un article du projet de loi de finances pour 2010, mais celui-ci couvre tout de même 135 pages, ce qui le rend quelque peu inintelligible. Or, s’il est une réforme qui a trait directement au fonctionnement des collectivités territoriales, c’est bien celle-ci.
Le dispositif proposé, à savoir le remplacement d’un impôt dynamique comme la TP par une cotisation locale d’activité – « cotisation foncière des entreprises » selon l’appellation retenue par la commission des finances – et par une cotisation sur la valeur ajoutée, constitue-t-il une bonne solution ? Rien n’est moins sûr si l'examen au Sénat ne permet pas de faire bouger quelques lignes importantes. Je compte sur vous, madame, messieurs les ministres, pour nous aider en ce sens dans la mesure du possible.
Si j’en juge par les simulations qui ont été opérées, les 18 millions d'euros perçus actuellement au titre de la taxe professionnelle par les communautés de communes meusiennes passeraient à 11 millions de taxes et recettes nouvelles. Quant au département lui-même, il subirait une diminution de ses recettes dans des proportions similaires.
À l’évidence, cette perte de recettes devrait être compensée par des dotations de l’État. Mais si, à compter de 2011, les collectivités ne doivent trouver leur salut que sous cette forme, elles vont au-devant de grandes difficultés. Il serait alors nécessaire d’instaurer une péréquation encore plus importante que celle que nous pouvons imaginer.
L’expérience nous le prouve, il n’y a rien de plus aléatoire que les dotations budgétaires de l’État. Il est donc à craindre que, dès 2012, cette garantie de ressources fonde comme neige au soleil, dans la mesure où l’État, surendetté et désargenté, voudra lui aussi faire des économies. Dans ces conditions, le versement de la dotation envisagée risque d’être peu pérenne, et c’est bien là que réside le grand danger de la réforme.
En ce qui concerne, plus précisément, la cotisation sur la valeur ajoutée, je m’interroge sur la clarté du texte en la matière. Il nous est indiqué que cette recette serait affectée pour 20 % au bloc communal, c'est-à-dire les communes et les intercommunalités. Or, dans une note diffusée par les services de Bercy comme dans les simulations dont je dispose, il n’y a aucune recette prévue à ce titre pour les communes de mon propre département, ce qui, bien sûr, ne fait qu’accroître un peu plus mes inquiétudes.
Par ailleurs, si les députés ont obtenu du Gouvernement la « territorialisation » de la cotisation sur la valeur ajoutée, ils se sont arrêtés au milieu du gué : en effet, la contrepartie à cette territorialisation consisterait, fort logiquement, à abaisser, peut-être à 150 000 euros, le seuil au-delà duquel les entreprises concernées devraient acquitter une cotisation assise sur la valeur ajoutée. J’ose espérer, madame, messieurs les ministres, que vous pourrez nous rassurer sur ce point avant l'examen des amendements. J’en ai moi-même déposé quelques-uns sur ce thème.
En effet, qu’adviendra-t-il pour les communautés qui ont opté pour la TPU et qui n’ont sur leur territoire que des entreprises dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas les 500 000 euros ? Cette question m’inquiète au plus haut point.
Pensons aux communes et aux EPCI qui ont fait des efforts en vue de développer des zones industrielles ou artisanales. Pour poursuivre dans cette voie, les élus n’auront d’autre choix que d’augmenter les impôts locaux, ce qui n’apportera guère d’amélioration et ne permettra certainement pas de créer des conditions propres à attirer les entreprises.
Quant au département, traditionnel levier pour la relance de certaines activités, une éventuelle diminution de ses recettes en 2011 serait à l’origine de difficultés qui ne manqueraient pas de se répercuter sur l’ensemble des collectivités territoriales, les communes, en particulier.
J’ajoute que la perspective de pouvoir encaisser la TP était un élément fort apprécié par l’ensemble des collectivités.
Adopter les principes généraux de la réforme de la présente loi de finances, pourquoi pas ? Encore faudra-t-il mettre ensuite à profit le temps qui nous reste jusqu’à juin 2010 pour élaborer un nouveau texte : il devra mettre en œuvre ces principes sans pénaliser aucune collectivité territoriale.
À l’issue du débat dont j’attends beaucoup, j’espère appartenir à la majorité « lucide et courageuse », pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Fourcade, qui votera ce texte, que vous aurez accepté d’amender. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur certaines travées de l’UMP.)