M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas vrai !
Mme Marie-France Beaufils. Vous avez davantage d’exigences lorsqu’il s’agit des collectivités et de leurs élus !
Aides aux banques et à la finance et destruction de nos services publics : tout cela va de pair. La suppression de la taxe professionnelle est, en fait, un des instruments que vous utilisez pour mettre fin aux services publics locaux.
Tout le monde reconnaît pourtant que les services publics sont de véritables amortisseurs sociaux, en particulier dans cette période de crise. Les services publics prônent des principes de solidarité. Votre politique est aux antipodes de ces principes.
C’est l’intérêt privé contre l’intérêt général ; c’est la rentabilité financière contre l’efficacité sociale ; c’est le choix de la loi du marché contre celui d’une organisation politique et sociale démocratique et planifiée.
Nous n’assistons pas à la mise en place d’une réforme supplémentaire, mais nous sommes bien face à un bouleversement profond de notre société, ce bouleversement qu’appellent de leurs vœux les représentants du grand patronat.
Les élus sont, dans leur très large majorité, très inquiets. Je citerai quelques propos glanés ici et là, à droite comme à gauche : « La gestion fiscale est extrêmement risquée et on ne peut pas l’improviser » ; « Nous n’avons pas de visibilité dans le temps sur les moyens d’assumer nos compétences. Et il serait bon de se doter d’un délai pour que toutes les simulations aient pu être fournies ».
Tout cela vous ne l’entendez pas ! Votre seule réponse est qu’il faut restaurer la compétitivité des entreprises.
Pourquoi ce cadeau fiscal supplémentaire serait-il efficace ? On le sait, et le rapport Cotis l’a confirmé, sur les vingt dernières années, il y a eu stabilité de la part salariale, baisse des investissements et augmentation sensible des dividendes pour les actionnaires dans l’utilisation de la valeur ajoutée.
Cela montre bien que les exonérations de taxe professionnelle sur la part « salaire », aussi bien que celles sur les cotisations sociales, n’ont pas eu l’effet escompté sur la compétitivité ou sur l’emploi.
Si certains représentants des PME pris à la gorge espèrent que cette baisse de fiscalité améliorera leur quotidien, d’autres s’interrogent davantage sur l’attitude des banques qui leur refusent des crédits.
Les entreprises, en particulier celles du bâtiment, ont bénéficié jusqu’à présent de la dynamique des collectivités locales, qui sont les premiers investisseurs publics de ce pays avec plus de 80 % des investissements.
Vouloir ignorer que les collectivités sont les premières pourvoyeuses d’emplois et tabler sur un allégement fiscal pour renforcer ces entreprises répond essentiellement à une analyse à courte vue.
Lorsqu’une entreprise s’installe dans une commune, elle ne le fait pas en fonction de la fiscalité locale. J’ai pu le constater en tant que maire, et je pourrais vous donner de nombreux exemples. Ce sont les services offerts dans la ville ou le département – les infrastructures, les écoles, l’université, la vie culturelle – qui déterminent les installations.
Le lien économique entre les collectivités et les entreprises est indispensable. Il a forgé pendant des décennies le développement de notre territoire. Les collectivités locales sont des partenaires essentiels du développement économique, des partenaires privilégiés du monde de l’entreprise.
En supprimant la taxe professionnelle, vous allez rompre ce lien au détriment de l’économie et de l’emploi. Vous allez transférer sur les ménages les impôts dus par les entreprises puisque toute marge de manœuvre sera supprimée pour que les collectivités modulent la fiscalité en direction des entreprises. Je rappelle que cette modulation est relativement faible aujourd'hui, puisqu’elle est encadrée.
On peut réellement craindre pour le maintien des services qui sont rendus à la population jusqu’à présent. Tous les élus savent pertinemment que la taxe professionnelle reste un instrument dynamique, avec des progressions notables chaque année. Qu’en sera-t-il de la nouvelle contribution économique territoriale ? On peut fort justement craindre qu’elle sera beaucoup moins dynamique, le barème progressif n’étant pas un modèle d’efficacité dans ce domaine.
Les élus locaux ne peuvent comprendre le peu de cas que vous faites de leurs remarques, de leurs attentes. Ils le comprennent d’autant moins que devant l’accroissement indécent des profits des banques vous proposez de laisser faire. Elles peuvent même tranquillement continuer à provoquer les faillites des PME.
Nous pensons, pour notre part, qu’une réforme de la taxe professionnelle est indispensable. En étendant les bases d’imposition de la taxe professionnelle aux actifs financiers des entreprises, des banques, des assurances, des groupes de la grande distribution, nous la rendrions plus efficace.
Vous avez accordé des milliards d’euros au secteur bancaire au cours de la dernière période, et leurs profits ont quadruplé. Plutôt que de financer la reprise économique, les liquidités accumulées retournent à la spéculation. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, beaucoup d’économistes craignent fort justement que la crise ne soit relancée, et non l’économie.
Il est vrai que la taxe professionnelle pèse plus sur les industries et beaucoup moins sur les secteurs financiers et bancaires, moins sur les services et la grande distribution. Le rapport est bien souvent du simple au double.
Comme je l’ai dit à maintes reprises, n’est-il pas préférable de réfléchir à l’évolution de l’assiette de la taxe, à l’importance et à la pertinence des correctifs à lui apporter, et trouver les voies d’une réforme permettant d’assurer aux collectivités locales les moyens financiers de leur action et de rétablir entre les entreprises contribuables un traitement équitable au regard de l’impôt ?
L’intégration de la richesse financière dans les bases d’imposition rétablirait l’équité face à l’impôt pour les entreprises et serait bénéfique à notre économie.
Une taxation des actifs financiers qui permettrait d’alimenter un fonds de péréquation national supprimerait tout risque de perte de recettes, situation que l’on connaît bien avec les dotations de compensation de l’État.
Les collectivités y gagneraient en visibilité sur leurs ressources. En effet, ce que vous leur proposez, avec votre projet de suppression de la taxe professionnelle, c’est une navigation dans le brouillard.
Les seuls qui y verront vraiment clair, ce sont les grandes entreprises, en particulier du secteur financier. Vous leur offrez sur un plateau 11 milliards d’euros en 2010 et 5,8 milliards en vitesse de croisière pour les prochaines années.
L’argent dégagé retournera à la spéculation. L’investissement stagnera de nouveau. Les effectifs des entreprises se réduiront également. Vous contribuerez ainsi à relancer la crise.
La suppression de la taxe professionnelle est symbolique d’orientations aventureuses sur le plan économique et social.
Vous n’écoutez pas les élus de terrain qui savent de façon concrète ce que représente dans la gestion d’une collectivité l’intérêt de la population.
Ce projet est dangereux pour les collectivités, il est inquiétant pour l’emploi et pour les entreprises, et il est facteur d’inégalités entre nos territoires, entre nos habitants, puisque nous ne pourrons plus assurer les services publics.
Par votre proposition, vous préemptez tout le débat sur la réforme des collectivités. Quand vous aurez asséché les ressources de ces dernières, elles n’auront plus beaucoup de choix. Nous sommes loin de l’amélioration de la démocratie dont vous parliez, monsieur le ministre.
Vous avez pu le constater, nous ne rejetons pas purement et simplement votre projet puisque nous vous proposons une autre réponse dont nous pensons, avec mes collègues du groupe CRC-SPG, qu’elle apportera aux collectivités territoriales les moyens de satisfaire les besoins de nos concitoyens tout en gagnant en efficacité économique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG – MM. Jean-Claude Frécon et François Marc applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de répéter des choses que vous avez déjà entendues, je souhaite revenir sur la méthode.
Premièrement, de nombreux élus, en particulier les maires, que je connais bien, ont été perturbés par l’ordre dans lequel sera menée la réforme territoriale.
On nous a annoncé une réforme territoriale et, dans l’esprit d’un grand nombre d’élus, elle devait traiter globalement et successivement de l’architecture, des compétences et des finances des collectivités locales. Or, tous ces éléments sont mis sens dessus dessous : nous sommes d’abord saisis d’un projet de loi de réforme territoriale qui ne porte que sur l’architecture, ensuite la suppression de la taxe professionnelle est venue télescoper la réforme territoriale et, enfin, on nous annonce que les compétences seront traitées ultérieurement.
Je déplore donc ce manque de vision globale, je le répète, madame la ministre, monsieur le ministre, et il faudrait que vous en soyez convaincus, car il angoisse les élus : on a mis la charrue avant les bœufs, cette réforme n’est pas menée dans le bon ordre !
Mme Michèle André. Voilà !
Mme Jacqueline Gourault. Deuxièmement, je voudrais revenir sur la méthode proposée par la commission des finances. Je pense avoir fini par comprendre…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bravo !
Mme Jacqueline Gourault. … une démarche que l’on nous avait annoncée en deux temps, mais qui s’apparente plus à une valse à quatre temps !
Mme Nicole Bricq. De toute façon, c’est un artifice !
Mme Jacqueline Gourault. Si j’ai bien compris, nous allons aborder une première partie, qui porte sur la suppression de la taxe professionnelle. Dans quinze jours, nous allons revenir sur la répartition des ressources entre les collectivités locales. Je ne saisis pas bien ce qui se passera pendant ces quinze jours…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Nous ferons réaliser des simulations !
M. Thierry Foucaud. Comme si on n’avait pas pu le faire plus tôt !
Mme Jacqueline Gourault. J’ai effectivement compris que des simulations devaient être réalisées : je veux bien que ce délai soit suffisant, mais je m’interroge.
Mme Jacqueline Gourault. Ensuite, si j’ai bien compris, une clause de retour devrait jouer avant le mois de juillet 2010, suivie d’une nouvelle – il s’agit peut-être de la clause de revoyure–, qui interviendrait après le deuxième volet de la réforme territoriale. Je distingue donc quatre temps, mais je ne vois toujours pas quand nous traiterons du volet relatif aux compétences.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est sans importance ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault. Ce dernier point me gêne : la discussion du volet portant sur les compétences n’est prévue que pour la fin de l’année 2010, voire en 2011 ! Cette procédure me semble donc un peu compliquée, même si je fais confiance à la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci !
Mme Jacqueline Gourault. Troisièmement, puisque nous parlons d’évaluations, il me semblerait intéressant de pouvoir disposer, d’ici à quinze jours, d’une présentation macroéconomique des apports et du coût de cette réforme pour les collectivités territoriales,…
Mme Nicole Bricq. On le sait déjà !
Mme Jacqueline Gourault. … pour les entreprises, et aussi, enfin, pour l’État.
M. Jean-Pierre Chevènement. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. En effet, je ne voudrais pas que l’on nous considère comme les défenseurs exclusifs des collectivités territoriales. En tant que parlementaires, nous devons aussi avoir une vision nationale du budget de l’État !
Avec tous ces transferts, je n’ose pas dire ces tours de passe-passe,…
Mme Nicole Bricq et M. Pierre-Yves Collombat. Mais si !
Mme Jacqueline Gourault. … entre les dotations et les impôts qui vont dans un sens et dans un autre, j’avoue que nous aurions besoin de lisibilité. Il faudrait donc que nous disposions d’une évaluation des grandes masses pour les trois niveaux de collectivités territoriales.
Quatrièmement, pour reprendre les propos de Philippe Adnot, on ne peut pas nous faire croire que les collectivités territoriales, après cette réforme, disposeront du même degré d’autonomie fiscale : c’est faux ! (Mme Marie-France Beaufils opine.) Je vous concède que les communes et les intercommunalités la perdront le moins, mais les départements et les régions vont connaître une situation dramatique par rapport à la situation antérieure. En gros, ils ne pourront plus modifier leurs taux d’imposition que sur 70 % de leurs recettes fiscales. Cette réforme n’intervient donc pas à la marge et elle revêt une importance extrême pour les collectivités territoriales.
Cinquièmement, j’ai entendu dire à plusieurs reprises par des membres de l’exécutif que la compensation accordée en 2010 serait calculée sur la base du taux de 2008, le taux de 2009 n’étant pas retenu pour éviter les « effets d’aubaine » : certaines collectivités auraient augmenté leurs taux d’imposition…
Mme Marie-France Beaufils. Par anticipation !
Mme Jacqueline Gourault. … et risqueraient ainsi de bénéficier de ressources indûment majorées. Je me permets d’observer que la suppression de la taxe professionnelle a été annoncée en février 2009 : à cette date, beaucoup de collectivités, notamment les plus grandes, avaient déjà préparé ou voté leur budget et ne pouvaient imaginer que la suppression de la taxe professionnelle interviendrait aussi rapidement, même si elles savaient que l’idée était dans l’air du temps.
M. Jean-Claude Frécon. Bien sûr !
Mme Jacqueline Gourault. Cet argument ne me semble donc pas recevable pour écarter la prise en compte des taux de 2009.
J’ajoute, au passage, que les bases d’imposition, même si elles ont augmenté moins vite en 2009 du fait de la crise, comme l’a indiqué Jean-Pierre Fourcade, ont tout de même augmenté. (Mme Marie-France Beaufils opine.) Dans ma communauté d’agglomération, elles ont même beaucoup augmenté ! Non seulement on ne tient pas compte de l’augmentation des bases, mais on ne retient que les taux de 2008 : la perte est évidente et la compensation ne sera donc pas totale !
Sixièmement, si j’ai bien compris, le Fonds national de garantie individuelle des ressources sera figé. Cela voudrait dire qu’une commune qui augmentera ses recettes grâce au passage de la taxe professionnelle au niveau système, verra ses bases écrêtées ; si elle perd ensuite des entreprises sur son territoire, elle devra continuer à verser de l’argent au fonds national de garantie. Inversement, une collectivité qui aura perdu des recettes du fait de la réforme, mais qui connaîtrait ensuite une augmentation de ses ressources grâce au développement d’entreprises sur son territoire pourra continuer à percevoir des reversements du fonds national de garantie. Cette solution me paraît injuste : elle crée la même injustice que celle à laquelle a remédié un amendement adopté par l’Assemblée nationale, concernant la taxe payée par France Télécom.
En conclusion, je souhaiterais poser deux questions.
En premier lieu, si j’ai bien compris, dans le cadre du transfert de la taxe d’habitation et de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, une taxe complémentaire sera attribuée aux communes ou aux intercommunalités à fiscalité mixte. Le taux d’imposition ne pourra augmenter que sur la part initiale et non sur la part transférée. Je voudrais que vous me confirmiez que j’ai bien compris le mécanisme.
En second lieu, il semble que les communes qui ne sont pas membres d’un établissement public de coopération intercommunale ne toucheront pas de cotisation supplémentaire. Ai-je bien compris ? (Mme la ministre opine.)
Pour conclure, comme l’a dit Charles Guené, il faut rétablir certaines vérités : madame la ministre, monsieur le ministre, hier, un membre de l’exécutif m’a affirmé que les communes et les intercommunalités pourraient fixer elles-mêmes le taux de la cotisation complémentaire. J’ai eu beau affirmer que cette information me semblait inexacte…
Mme Jacqueline Gourault. Je vous le dirai en privé, monsieur le ministre. Tout le monde peut se tromper.
Vous devez comprendre que, d’une manière générale, les élus ont pour seule préoccupation de continuer à être efficaces sur leurs territoires pour mener une politique au service de leurs concitoyens. Je ne crois pas qu’il faille leur prêter de mauvaises intentions : je vous accorde qu’il peut toujours y avoir des exceptions, mais on en trouve aussi ailleurs ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste. – MM. François Marc, Pierre-Yves Collombat et Alain Fouché applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Edmond Hervé.
M. Jean-Claude Frécon. Depuis dix minutes, nous sommes le 20 novembre, c’est la saint Edmond ! Bonne fête, Edmond ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Edmond Hervé. Je vous remercie infiniment et je suis persuadé que ces souhaits nous donneront le courage commun d’avancer dans la décentralisation !
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsqu’on lit l’article 1er de la Constitution, on constate que la décentralisation fait partie de notre pacte républicain, et ce sont bien évidemment nos collectivités territoriales qui donnent tout son sens à ce principe, avec leur part d’autonomie et d’impulsion, mais également leurs partenariats, leur complémentarité et, parfois, les transferts. L’État a besoin des collectivités territoriales : évitons donc leur stigmatisation et préférons-lui la confiance qui mobilise !
Aujourd’hui, une rupture s’installe dans le processus de décentralisation, processus bien évidemment perfectible, mais qui, il faut le reconnaître, a porté des fruits. Je vois la preuve de cette rupture dans la critique systématique de la dépense publique appliquée aux collectivités territoriales : il y aurait trop d’échelons, trop de collectivités, trop d’élus, trop de compétences, trop de ressources. Résultat : on supprime la taxe professionnelle !
Je vois une autre preuve de cette rupture dans les déclarations précipitées, qui mêlent une fidélité idéologique contestable et, aussi, une improvisation technique surprenante. Je ne veux pas épiloguer sur la succession des annonces, ni sur la diversité des expressions au sein de la majorité. Pour ma part, je ne suis absolument pas surpris par l’absence du ministère de l’intérieur puisque, mes chers collègues, cette réforme de la taxe professionnelle n’a pas été conçue dans l’intérêt des collectivités territoriales. (Mme Nicole Bricq opine.)
Je n’insisterai pas non plus sur les relations difficiles qui peuvent exister au sein même de la majorité, ou entre l’exécutif et le Parlement.
M. Alain Fouché. Vous savez de quoi vous parlez, vous !
M. Edmond Hervé. Et si j’’évoque ce point, c’est parce que, tous les jours, on nous donne des leçons de bonne gouvernance : il y a toujours des progrès à faire ! Ces différences, ces divergences expliquent peut-être les précautions de lenteur que prennent certains de nos collègues face à l’insoutenable lourdeur de la dette et du déficit.
Cette rupture existe donc bien, et elle amène une régression. Je vois cette régression, mes chers collègues, dans l’atteinte portée à l’autonomie des collectivités territoriales. Prenons le seul exemple de la contribution économique territoriale fondée sur la valeur ajoutée : la fixation d’un taux national ne favorise pas l’autonomie des collectivités locales, pas plus que les seuils élevés qui déclenchent l’imposition, pas plus que les fortes exonérations que vous avez prévues, même si, je l’ai compris, des modifications vont être proposées.
Mme Nicole Bricq. Minimes !
M. Edmond Hervé. Je relève encore une atteinte à l’autonomie dans les transferts d’impôts et les dotations, dont la fixation du montant échappe bien évidemment au pouvoir des collectivités territoriales. Une autre atteinte résulte aussi du plafonnement des cotisations à 3 % de la valeur ajoutée, contre 3,5 % aujourd’hui. Toujours en ce qui concerne l’autonomie, la comparaison de l’application aux communes de votre contribution économique territoriale assise sur la valeur ajoutée avec le produit de la taxe professionnelle affecté à ces mêmes communes permet de constater que leur autonomie fiscale diminue de 35 % par rapport à la situation antérieure.
En matière d’autonomie, je sais faire la différence conceptuelle entre autonomie fiscale et autonomie financière. Lorsque j’observe les compétences sociales du département, je crains que l’autonomie fiscale de celui-ci ne soit limitée et que cette limitation n’entraîne une grave atteinte à l’autonomie financière de ce même département, compte tenu des compétences qui sont les siennes.
Permettez-moi donc de formuler quelques propositions, sans être exhaustif.
Au nom, précisément, de l’autonomie fiscale, j’apprécierais beaucoup que la fixation d’un taux local de la cotisation assise sur la valeur ajoutée puisse être acceptée, au bénéfice des collectivités territoriales, dans le cadre, bien évidemment, d’une limite générale.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est une bonne idée !
M. Edmond Hervé. En ce qui concerne le taux national, je trouverais tout à fait normal qu’il soit légitimé par une forte péréquation.
Par ailleurs, le département a une compétence principale : la solidarité. Je vous le dis et je vous prie de m’excuser de cette répétition, le département ne peut honorer ses compétences sociales s’il ne bénéficie pas d’une part de CSG au niveau national ou, mieux, d’une part d’un nouvel impôt cumulant CSG et impôt sur le revenu des personnes physiques, dans la mesure où l’impôt sur le revenu des personnes physiques est un impôt progressif, quand bien même auriez-vous porté atteinte à ce point.
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Edmond Hervé. J’ai bien noté le problème de la relation entre les moyens financiers et les compétences. Il est tout à fait justifié, dans une logique rationnelle et digne de Descartes, que l’on commence par définir les compétences avant d’arrêter les ressources. Il y a aussi une évidence à adapter la nature de la fiscalité à la nature des compétences financées. Toutefois, mes chers collègues, ne vous faites pas d’illusion : je ne suis pas certain qu’un bouleversement général de la répartition des compétences actuelles nous sera proposé dans quelques mois !
Madame la ministre, monsieur le ministre, vous nous plongez, avec cette réforme, dans l’incertitude. D’où viennent ces incertitudes ? Simplement de la conception que vous avez des prélèvements obligatoires ! Ainsi, vous estimez qu’il faut systématiquement faire baisser ces prélèvements. Ce procédé doit être étudié, critiqué et corrigé et j’attends celui ou celle qui viendra me démontrer qu’il existe une corrélation entre le niveau des prélèvements obligatoires et l’emploi. En observant notre pays au cours des trente dernières années, ou encore la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Japon, on constate qu’il n’en existe aucune !
Il faut aussi examiner les différentes composantes de ces prélèvements obligatoires. Or, vous le savez bien, mes chers collègues, si nous ne sommes pas au sommet du classement en termes d’impôt sur les sociétés, nous le sommes lorsqu’il s’agit des impôts indirects.
Il faut également prendre en compte le contexte : le déficit, la dette, l’emprunt doivent tout de même conduire à modérer les critiques.
Enfin, il faut considérer l’utilisation qui est faite de ces prélèvements obligatoires. À ce titre, je vous invite à vous reporter à certains extraits du dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, car il ne faut pas oublier les éléments positifs que contiennent ces pages. Ce rapport évoque une qualité de la main-d’œuvre, de l’encadrement, des loyers, des communications, des énergies, de tout un ensemble de services qui profitent très directement aux entreprises et à leur personnel. Or ces services sont bien sûr issus de l’utilisation des prélèvements obligatoires.
Madame la ministre, monsieur le ministre, pour en revenir à la question des incertitudes, je veux souligner le civisme – je sais que le Gouvernement l’a remarqué – dont ont fait preuve tous les élus qui se sont investis dans votre plan de relance. Vous avez besoin des collectivités territoriales pour avancer et vaincre les défis du chômage !
Vous ne pouvez pas plaider la cause d’une grande industrie du transport, du logement, de l’énergie, des réseaux, de l’environnement si vous ne disposez pas de collectivités locales actives. Il faut donc faire en sorte qu’elles ne restent pas dans l’incertitude et l’arme au pied.
Je terminerai mon propos en évoquant un triple étonnement.
Je suis très surpris de voir le coût, pour l’État, de la suppression de la taxe professionnelle : 11,6 milliards d’euros en 2010, 4 milliards d’euros en vitesse de croisière.
En outre, lorsque les ministres évoquent l’impératif de compétitivité, je constate que, dans les tableaux qui nous ont été fournis, toutes les entreprises et tous les secteurs, à l’exception d’un seul, sont gagnants, même si je m’interroge sur certaines professions libérales.
L’allégement des charges des entreprises atteindra, en 2010, 11,7 milliards d’euros et, en vitesse de croisière, 5,8 milliards d’euros. Les perdants, ce sont les collectivités territoriales et les ménages, car chacun ici sait bien que si, jusqu’à présent, les impôts locaux étaient supportés à 48 % par les ménages et à 52 % par les entreprises, ce rapport va être modifié et la participation des ménages s’élèvera à 70 %.
M. Edmond Hervé. Ce n’est pas la première fois que vous entendez ces chiffres, monsieur le ministre ! Ils ont été démontrés ; d’autres que moi, appartenant à d’autres sensibilités, les ont également avancés et ils seront répétés.
M. Edmond Hervé. Si vous avez des inquiétudes à ce sujet, voyez ce que vous avez fait de l’APA, au détriment des départements ! (M. Alain Fouché s’exclame.) Je n’exagère pas, monsieur le ministre, et vous verrez ce qu’a écrit un excellent rapporteur de la commission des finances à ce sujet.
Ma conclusion est simple : je suis très surpris que, dans la plupart des documents officiels intéressant la décentralisation et les collectivités territoriales, on ne parle pas de nos principes constitutionnels. La venue de M. Balladur devant la commission des finances fait figure d’exception : avec son langage très diplomatique, celui-ci nous a indiqué qu’il ne serait peut-être pas insensible de modifier le principe de libre administration des collectivités territoriales.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce n’est pas ce qu’il a dit !
M. Edmond Hervé. Nous y sommes ! Je suis en effet intimement convaincu que le principe de libre administration des collectivités territoriales est aujourd’hui malmené. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est tout de même paradoxal de commencer une réforme des collectivités territoriales par la suppression de leur principale recette. Est-ce bien adroit que de mettre ainsi la charrue avant les bœufs ? Il eût fallu commencer par les règles d’organisation et les compétences des collectivités et conclure par les recettes. Le fait que vous inversiez cet ordre logique contribue inévitablement à susciter les réticences des élus. Vous n’avez donc qu’à vous en prendre à vous-même !
Le Conseil économique, social et environnemental avait proposé, il y a deux ou trois ans, un vaste plan de réforme et de remise en ordre de la fiscalité locale, un plan rationnel et progressif, restaurant la lisibilité perdue de l’impôt payé à chaque niveau de collectivité. Au lieu de cela, vous nous proposez une réforme bâclée, en l’absence de toute simulation, mais sans doute avec beaucoup de dissimulation, sans que les collectivités sachent comment cette recette manquante pourra être compensée.
La visibilité n’est pas au rendez-vous et je pourrais multiplier les exemples à ce sujet. La cotisation complémentaire, assise sur la valeur ajoutée, sera-t-elle déductible comme l’est la TVA ? Est-il bien raisonnable d’exonérer 90 % des entreprises, si c’est pour réintégrer ensuite leurs bases dans le calcul de ce que recevront les collectivités ? N’est-ce pas là une considérable entorse au principe de la territorialisation ? Comment, enfin, le coût pour les finances publiques va-t-il passer, en deux ans, de plus de 12 milliards d’euros à environ 4 milliards d’euros ?
Nous sommes dans le bleu, madame la ministre, monsieur le ministre !
Je ne veux pas faire l’éloge de la fiscalité locale actuelle : c’est un fouillis. Mais, à un fouillis, vous allez substituer un autre fouillis !