Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L'amendement n° I-33 est présenté par Mme N. Goulet.
L'amendement n° I-42 est présenté par Mme Beaufils, MM. Foucaud, Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° I-70 est présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini, Collomb et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° I-126 est présenté par MM. Collin, Baylet, Charasse, Chevènement et Fortassin, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Vendasi, Vall, Tropeano, Plancade, Milhau, Mézard, Marsin et Alfonsi.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour présenter l’amendement n° I-33.
Mme Nathalie Goulet. Le Président de la République l’a dit, le Parlement doit le faire, peu importent les conditions, en évitant le pire vraisemblablement… Bel effet de la réforme constitutionnelle et du renforcement des droits du Parlement !
Vous l’avez compris, mes chers collègues, il s’agit d’un amendement de mauvaise humeur (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) face à un texte totalement incompréhensible pour la majorité d’entre nous.
Mme Nicole Bricq. Mais non !
Mme Nathalie Goulet. Je regrette d’ailleurs l’absence de nos collègues représentant les Français de l’étranger pour nous expliquer doctement ce qu’ils ont compris du texte qu’ils vont voter dès demain.
Les territoires les plus actifs risquent d’être pénalisés par des bases de compensation incertaines. C’est un bien mauvais procès que l’on intente à ces collectivités locales, pourtant présentées, il y a quelques mois, comme les principaux vecteurs du plan de relance.
Ce texte est, je le répète, incompréhensible. Il a dû susciter quelques orgasmes intellectuels dans les couloirs de Bercy ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.) N’y voyez là aucune allusion douteuse, je ne veux aucun mal aux fonctionnaires de Bercy, bien au contraire ! Mais ils ont dû prendre beaucoup de plaisir à faire de la dentelle d’Alençon avec cet article !
Le Conseil constitutionnel risque de censurer ce texte totalement incompréhensible et que le commun des élus ne pourra expliquer. Il risque également d’être censuré en vertu du principe de précaution qui devrait s’appliquer aux finances des collectivités locales et à la manière dont ce projet de loi les régit.
C’est pourquoi j’ai déposé cet amendement de suppression. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour présenter l'amendement n° I-42.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, les trois minutes dévolues à la présentation d’un amendement ne seront pas suffisantes pour faire le tour des multiples raisons pour lesquelles nous proposons la suppression pure et simple de l’article 2 du projet de loi de finances.
Outre le fait, sur un plan purement formel, que l’adoption de cet amendement nous ferait probablement gagner un temps précieux, notre position a le mérite de la limpidité.
Nous sommes pour la suppression de l’article 2, car, contrairement à un prétendu consensus, nous ne sommes pas du tout convaincus du bien-fondé de la suppression de la taxe professionnelle.
Au demeurant, s’il fallait s’en convaincre, il suffirait, par exemple, de rappeler les déclarations de bon nombre d’élus qui se sont exprimés ici, dans cette enceinte, ou lors du congrès des maires qui vient de se dérouler : des maires, des présidents d’agglomération de tous bords et de l’ensemble de notre pays, appellent au maintien de cette taxe professionnelle.
Dans le dossier de presse présentant le projet de loi de finances pour 2010, l’article 2 était agrémenté de quelques exemples intéressants de son application.
Reprenons, par exemple, le cas de cette PME, une entreprise comme il y en a beaucoup dans notre pays, qui a embauché un personnel non négligeable et réalise 8 millions d’euros de chiffre d’affaires et 2,7 millions d’euros de valeur ajoutée. Avec la réforme, cette entreprise bénéficierait d’une économie d’impôt de 19 440 euros, ce qui représente un gain de 0,7 % sur la valeur ajoutée et de moins de 0,25 % au regard de son chiffre d’affaires.
Mes chers collègues, le caractère ridicule de ces montants, à savoir un quart de point de chiffre d’affaires, correspond à moins d’une journée d’activité ! Cette démonstration suffit presque à elle-même à réduire l’article 2 à ce qu’il est : une banale mesure de trésorerie, qui ne relancera ni l’emploi ni l’investissement, et ne fera qu’améliorer, fort modestement, la trésorerie disponible des entreprises.
C’est pour l’ensemble de ces raisons, et pour toutes celles que nous exposons depuis hier soir, que je vous demande, mes chers collègues, de voter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq pour présenter l'amendement n° I-70.
Mme Nicole Bricq. Dans son rapport écrit, le rapporteur général s’est interrogé : s’agit-il d’une suppression, d’une transformation ou d’une réforme de la taxe professionnelle ? Pour le groupe socialiste, c’est clair : il s’agit d’une suppression.
En réalité, supprimer la taxe professionnelle, c’est s’attaquer à l’idée même de décentralisation. Tel est d’ailleurs le débat que nous devrions avoir avec la majorité. En effet, notre choix à nous, groupe socialiste, c’est d’assumer et de poursuivre la décentralisation. C’est pourquoi nous portons un jugement sévère sur votre projet.
Celui-ci signifie, en effet, la fin de l’investissement public local. Vous l’avez dit vous-même à de nombreuses reprises, il s’agit, par la suppression de la taxe professionnelle, de ne plus avoir à choisir entre investissement privé et investissement public.
Vous vous attaquez à l’investissement public civil, alors que l’investissement des collectivités locales représente trois quarts de celui-ci. De plus, l’investissement privé n’est jamais spontané dans notre pays. La preuve en est que l’on attend du « petit » emprunt de l’État qu’il soit le déclencheur de l’investissement privé à une hauteur égale à celui de l’État.
Enfin, l’engagement des collectivités locales dans l’investissement étant capital pour la sortie de crise, il est quelque peu paradoxal de les accuser de trop dépenser ! D’ailleurs, en période de crise, quand les usines menacent de fermer, c’est vers elles qu’entrepreneurs et salariés se tournent, sachant qu’elles sont réactives, pour qu’elles se battent à leurs côtés afin de préserver le tissu industriel local !
Le choix d’attaquer l’investissement public n’est pas anodin. L’action publique, particulièrement celle des collectivités territoriales, permet aujourd’hui l’égal accès de tous les citoyens à un même service public. C’est l’un des fondements de notre pacte républicain.
Par la suppression de la taxe professionnelle et la perte de plus de 10 milliards d’euros de recettes fiscales qui seront plus ou moins bien compensées – plutôt moins que plus ! –, cela dans des conditions fortement critiquables, vous signez l’acte de décès du service public local. Cette grave remise en cause de la décentralisation dans notre pays, nous la refusons. Nous souhaitons, au contraire, reprendre le bon chemin de la décentralisation !
Le président de la République déclarait à Saint-Dizier, le 20 octobre dernier : « tous nos rois n’eurent de cesse, pour asseoir leur souveraineté, de construire un État fort, centralisé, hostile aux féodalités et, au fond, à toute forme de pouvoir local, qu’il soit politique, économique ou intellectuel ». Madame la ministre, puisqu’il y a un roi, on comprend mieux pourquoi on ne veut pas organiser les féodalités !
C’est avec gravité, et au nom de trente ans de décentralisation, que nous vous demandons de retirer votre projet de suppression de la taxe professionnelle, madame la ministre. Nous invitons la majorité à se montrer décentralisatrice et à voter notre amendement de suppression de l’article 2. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin pour présenter l'amendement n° I-126.
M. Yvon Collin. Si vous êtes pour le maintien de la taxe professionnelle, alors vous serez favorables à cet amendement de suppression de l’article 2 que je vous propose d’adopter et que j’ai déposé avec plusieurs de mes collègues du RDSE.
Compte tenu de la façon dont a été amené et conduit ce projet de suppression de la taxe professionnelle, et considérant qu’à ce jour personne ne peut dire à quoi ressemblera le dispositif de substitution, il serait judicieux de la part du Sénat de voter la suppression de l’article 2 et, ce faisant, de voter la suppression de la suppression de la taxe professionnelle.
Depuis l’annonce, au mois de février 2009, de la suppression de la taxe professionnelle, l’absence de dialogue et de concertation avec les élus a prévalu, si bien que nous sommes aujourd’hui dans une situation de flou, d’imprécision et d’approximation. Alors que des budgets doivent être votés, des financements engagés et des décisions prises par les collectivités, notre excellent collègue Jean-Pierre Chevènement a particulièrement bien résumé la situation hier soir en disant : « les collectivités locales ne savent toujours pas à quelle sauce elles vont être mangées ! ».
Loin de nous l’idée d’être sur une position conservatrice, de défendre des prés carrés et de maintenir des féodalités. Le Gouvernement n’a pas le monopole de la modernité ! Mais, dans ces conditions, si réforme de la taxe professionnelle il doit y avoir, prenons le temps de faire une bonne réforme, une réforme qui associe « France d’en haut » et « France d’en bas », qui soit fondée sur le dialogue et l’écoute, et, surtout, qui soit comprise et intelligible.
J’en viens aux raisons pour lesquelles il faut, à ce jour, maintenir la taxe professionnelle, voter cet amendement et prendre le temps d’une réforme à l’architecture bien pensée.
La taxe professionnelle constitue une ressource essentielle pour les collectivités. Étant longuement intervenu hier soir à la tribune dans le débat spécifique, je ne rappellerai que deux chiffres : la taxe professionnelle représente 43,9 % du produit des quatre taxes locales et les collectivités réalisent 75 % de l’investissement national. La taxe professionnelle est un extraordinaire levier économique pour le développement de nos territoires et, surtout, elle donne tout son sens au principe constitutionnel d’autonomie financière des collectivités territoriales.
La raison et, plus encore, la grande sagesse de notre assemblée nous imposent de ne pas décider aujourd’hui de supprimer la taxe professionnelle. C’est pourquoi, mes chers collègues, avec plusieurs membres de mon groupe, nous vous proposons de supprimer l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010. Je crains que tout autre choix du Sénat ne se révèle être une faute politique majeure. Ce serait, en effet, un mauvais coup porté aux collectivités territoriales et donc à l’esprit même de la décentralisation. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Michel Charasse. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission des finances n’a pas choisi la solution de facilité qui aurait consisté à rechercher toutes les complexités, toutes les difficultés, voire toutes les contradictions, pour repousser à plus tard l’examen du dispositif qui nous est proposé.
Nous avons consacré beaucoup de temps et d’énergie à rechercher la manière de réécrire l’article 2. Nous l’avons scindé en deux de manière à répartir son examen sur les deux parties du projet de loi de finances, afin de profiter d’un délai supplémentaire pour poursuivre la discussion avec le Gouvernement et traiter de manière explicite, claire et plus convaincante pour le monde des collectivités territoriales et l’opinion publique en général les différents sujets en balance.
En effet, si nous avions voulu crier avec tous ceux qui, souvent, crient avant même d’avoir mal,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous aurons mal, cela ne fait aucun doute !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. ... il eût été très simple de faire l’économie de tout ce travail et de ne pas entrer dans la technique extrêmement complexe qui sous-tend notre proposition de réécriture de l’article 2. C’était la solution de facilité !
En effet, mes chers collègues, si nous vous suivions, nous économiserions un certain nombre d’heures, voire de jours de débats, nous nous camperions dans des postures avantageuses, nous pourrions plastronner devant le petit monde des collectivités et de la gestion locale !
Mme Nicole Bricq. Vous auriez du mal !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous n’avons pas choisi une telle attitude. Cela aurait été pourtant si simple ! On attendait en effet de nous le plus simple, la ligne de plus grande pente, c’est-à-dire ce qui consiste à faire prévaloir le négatif sur le positif. Mais ce n’est pas l’attitude adoptée, dans sa majorité, par la commission des finances du Sénat.
Si nous devions voter vos amendements de suppression, nous serions, nous membres de la majorité, extrêmement frustrés. En effet, cela reviendrait à jeter à l’eau l’important travail de réécriture, de discussion et de compréhension qui a nécessité des débats d’orientation et des séances de travail avec les collaborateurs du Gouvernement.
Mes chers collègues, faisons preuve d’un peu de réalisme politique. Que l’on soit ou non intellectuellement persuadé de l’opportunité du moment, du bien-fondé du dispositif de cette réforme, il faut accepter que le Sénat joue son rôle de pédagogie, d’explication, et, pour éviter un certain nombre d’erreurs, reconnaître qu’il a la capacité d’améliorer ce texte !
Nous pourrions vous suivre et pratiquer, en quelque sorte, la politique du pire – elle a rarement été bonne conseillère dans l’histoire... – qui consisterait à laisser agir la seule Assemblée nationale, laquelle a moins de liens que nous avec la diversité des territoires.
La commission des finances considère qu’il faut maintenant entrer dans l’examen technique concret de l’article 2, en particulier sur la base de la réécriture que nous proposons. C’est pourquoi il est évidemment nécessaire, au préalable, de rejeter les amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Je voudrais, bien sûr, rendre hommage au courage qui fut celui de la commission des finances, ou en tout cas de la majorité de ses membres, qui s’est pliée à l’exercice de réécriture et d’amélioration du texte.
Permettez-moi tout d’abord quelques mots sur l’article 2, afin d’éviter d’avoir à revenir sur la genèse de cet article à l’occasion de l’examen de chacun des amendements. Nous examinerons avec beaucoup d’attention, bien évidemment, chacune des propositions de modification de la commission.
Il faut se rappeler quel est notre objectif et aussi se souvenir de la situation dans laquelle se trouve le pays : nous traversons une crise, un certain nombre de nos entreprises connaissent des difficultés de trésorerie. Il ne faut pas oublier non plus le lien très net qui existe entre l’industrie, la recherche et le développement, et le lien étroit et souvent très fort entre l’industrie et les services.
Ce serait nourrir une grande illusion que d’imaginer que nous pourrions nous contenter, à l’avenir, d’une économie fondée sur des services, laquelle d’ailleurs, en l’état actuel de la taxe professionnelle, serait fortement exonérée de ce mode d’imposition ! Un pays ne peut durablement conserver sa capacité de recherche, de développement et d’innovation sans posséder parallèlement une industrie. La commission Juppé-Rocard sur le grand emprunt préconise d’ailleurs que nous nous concentrions sur un certain nombre de secteurs éminemment industriels, afin de doter notre pays d’une vraie puissance économique, d’une valeur ajoutée constituée localement et permettant d’éviter ce que vous redoutez tous régulièrement, à savoir les effets des délocalisations.
Je reprendrai très rapidement les trois principes qui sont au cœur de cette réforme.
Le premier, sur lequel nous serons amenés à revenir, est la territorialisation. La contribution économique territoriale qui se substituera à la taxe professionnelle reposera sur deux jambes, si vous me permettez cette image : une jambe « foncière », établissant un lien étroit entre l’entreprise et le territoire, et une jambe « valeur ajoutée », élément moderne, dynamique, intelligent et conforme à l’évolution de notre économie, dont le barème sera progressif. Comme l’a très justement rappelé Jean-Pierre Fourcade lors de la discussion générale, la progression de cette assiette sera plus importante et meilleure que celle de la taxe professionnelle au cours des dernières années.
C’est dans un esprit d’ouverture que nous allons examiner ces trois principes qui intéressent votre assemblée, notamment sa commission des finances.
Le second principe est celui d’une compensation intelligente qui ne repose pas seulement sur les dotations, mais qui respecte le principe de l’autonomie financière. Nous y reviendrons à l’occasion de l’examen de certains amendements.
Le troisième principe auquel vous êtes légitimement attachés, mesdames, messieurs les sénateurs, est celui d’une véritable péréquation.
Par conséquent, territorialisation, compensation, péréquation fondées sur le respect de l’autonomie financière : c’est à l’aune de ces trois principes que la réforme que nous vous proposons doit être appréciée.
Pour notre part, nous ferons preuve d’une volonté passionnée de pédagogie. À cet égard, j’ai été effarée tout à l’heure d’entendre M. Massion reprocher à M. le Premier ministre d’avoir été abusivement pédagogique ! Notre engagement dans la vie publique ne nous impose-t-il pas, aux uns et aux autres, de faire preuve de pédagogie, en particulier pour expliquer l’effort collectif auquel nous astreint le niveau de la dette publique ? Si nous refusons d’assumer cette tâche, alors nous ne sommes pas à notre place ! J’espère que, durant toute cette discussion, nous saurons tous faire montre de pédagogie !
Je voudrais rassurer Mme Goulet, qui a appelé dans un mouvement d’humeur, comme elle l’a elle-même reconnu, à ne pas examiner ce texte. Il est vrai qu’il s’agit d’une réforme de grande ampleur, d’un texte effroyablement compliqué. Le dispositif de la taxe professionnelle, vieux de trente ans, était intelligent à l’origine, mais a été par la suite détérioré, abusivement détourné de son objet, détruit pour partie, au fil de plus de soixante-dix réformes intervenues au cours des trente dernières années.
Si la matière est effectivement difficile, la réforme que nous proposons, bien campée sur ses deux jambes et fondée sur les trois principes que j’ai évoqués, fait œuvre de modernité et permettra de bien enraciner les entreprises dans leur territoire. Nous sommes placés devant une tâche ardue mais exaltante, dont Éric Woerth et moi-même avons tiré un plaisir qui ne nous a cependant jamais conduits jusqu’à l’ivresse (Sourires) : nous sommes restés lucides et modérés devant les réalités ! Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à suivre avec nous ce chemin où se mêlent principe de plaisir et principe de réalité, afin que notre travail commun soit efficace.
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. L’instant est quelque peu solennel, car il s’agit d’une décision capitale. Nous sommes nombreux à l’avoir dit au cours des dernières semaines, la suppression de la taxe professionnelle et la création d’un dispositif de remplacement risquent de désorganiser gravement notre République décentralisée. Les élus, profondément inquiets, sont conscients que cette réforme a été conçue dans un climat d’’improvisation totale et de bricolage, de nombreuses questions restant en suspens. Il serait très dangereux de voter aujourd’hui l’article 2 dans un tel brouillard.
De plus, notre pays est financièrement exsangue, la dette s’accroissant dans des proportions inquiétantes. Le Gouvernement a fait cependant le choix, prolongeant une orientation définie dès 2002, de baisser les impôts de façon quasiment systématique. Nous en sommes à 50 milliards d’euros de baisses d’impôts dans ce projet de budget pour 2010 ! Ce montant considérable ne peut manquer d’inquiéter au regard de la dérive des déficits et de la dette publique. Or avec cette réforme, il s’agit d’accroître encore le déficit, en amputant de nouveau les recettes de l’État de 10 milliards d’euros en 2010, et de 5 milliards d’euros les années suivantes.
On nous explique que ces baisses d’impôts sont utiles, qu’elles favoriseront le développement économique et la croissance, que la suppression de la taxe professionnelle améliorera la compétitivité de notre pays, mais personne n’a jamais été capable de prouver la vérité de ces assertions ! Au contraire, toutes les analyses réalisées au cours de ces dernières années, qu’il s’agisse des études des cabinets Ernst & Young et KPMG ou du rapport, remis en octobre dernier, du Conseil des prélèvements obligatoires, établissent clairement que la France figure dans le peloton de tête des pays attirant les investissements étrangers et que la fiscalité n’arrive qu’en huitième position sur la liste des facteurs freinant les implantations d’entreprises.
Mes chers collègues, voter aujourd’hui l’article 2 serait prendre une mauvaise décision pour la France, qui aurait pour conséquence de creuser considérablement le déficit et de désorganiser notre République décentralisée. Cette perspective fait naître, parmi les élus locaux, une profonde inquiétude et une démobilisation devant l’action qu’il leur est demandé d’accomplir sur le terrain.
Pour toutes ces raisons, nous demandons que ce dispositif soit réexaminé de façon approfondie au cours de l’année 2010, afin que nous puissions émettre, lors du prochain débat budgétaire, un vote éclairé sur un sujet d’une telle importance. Dans l’immédiat, mes chers collègues, il convient donc de supprimer l’article 2. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Collomb, pour explication de vote.
M. Gérard Collomb. Madame la ministre, nous prenons acte du plaisir que M. Woerth et vous-même avez pris à élaborer cette réforme ; sachez néanmoins qu’il n’est pas partagé par nous, élus locaux…
Nous savons en effet ce qui nous attend. Certes, vous nous dites, monsieur le rapporteur général, qu’il ne faut pas crier avant d’avoir mal ! Or Mme la ministre, sur un autre sujet où il était moins question de jambes que de main, a estimé qu’il fallait rejouer le match. Hélas, c’est trop tard, et les Irlandais auront beau crier au scandale, le mal est fait : ils n’iront pas à la Coupe du monde !
Pour notre part, nous préférons crier maintenant, sans attendre d’être relégués sur la touche pour y assister, impuissants, à la déconstruction de nos économies locales.
Dans une perspective macroéconomique, je reprendrai les propos de mon collègue François Marc, qui évoquait à l’instant les facteurs déterminant l’implantation d’une entreprise sur un territoire. D’après le dernier classement de l’European Cities entrepreneurship ranking, les entreprises placent au nombre de ces critères essentiels un accès aisé aux marchés et aux clients, à 60 %, la possibilité de disposer d’une main-d’œuvre qualifiée, à 57 %, la qualité des télécommunications, à 54 %, les transports et les liaisons avec les grandes cités européennes ou internationales, à 51 %, le coût de la main-d’œuvre, à 35 % – le pourcentage est déjà plus faible, comme il est logique dans une économie de la qualité –, le coût de l’immobilier, à 34 %, et, au septième rang seulement, juste avant la diversité des langues pratiquées, le poids des impôts locaux, à 26 %... Votre réforme n’est donc peut-être pas aussi urgente que vous l’affirmez, madame la ministre !
Passant maintenant à la microéconomie, je prendrai un exemple local. Dans ma communauté urbaine, une zone d’aménagement concerté de trois hectares jouxte une commune résidentielle très recherchée. Souhaitant y développer l’activité économique, notamment tertiaire, j’ai résisté jusqu’à présent aux assauts du maire de cette commune, qui plaide pour la transformation de cet espace en zone d’habitation. Mais demain, il pourra arguer du fait que, en plus, la création d’une zone de développement économique lui ferait perdre de l’argent…
Je pourrais également évoquer de nouveau, dans le même esprit, la vallée de la chimie. La suppression de la taxe professionnelle y entraînera une catastrophe, car tous les maires de ce territoire demanderont instamment la délocalisation des activités industrielles.
C’est pourquoi nous réclamons un examen du texte en commission des finances, avant que nous ne soyons relégués sur le banc de touche et qu’il ne soit trop tard pour rejouer le match. Nous pourrions ensuite reprendre le débat sur de meilleures bases. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. Ce débat montre bien que la suppression de la taxe professionnelle n’aura pas une forte incidence sur la situation des entreprises et se résumera à une mesure de trésorerie. En revanche, elle aura un effet dévastateur sur les services publics locaux.
Les choix futurs des élus locaux seront fortement contraints : privés de taxe professionnelle, dotés d’une cotisation locale d’activité à la base étroite et dépendants de la répartition du produit d’impôts transférés assez peu dynamiques, il leur faudra soit reporter l’effort sur les ménages, soit réduire leurs dépenses.
Dans le premier cas, la hausse continue de la taxe foncière, de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et de la taxe d’habitation est programmée, ce qui rendra ces impôts encore plus impopulaires. Pour l’État, comme nous le verrons à l’article 16, le risque de devoir supporter une hausse des compensations liées aux exonérations sera en partie évité, puisque la progression de la compensation sera sujette à plafonnement. Ce sont donc les collectivités locales qui seront perdantes !
Dans le second cas, les sacrifices seront encore plus sévères. En effet, les collectivités locales, dans une mesure sans cesse croissante, supportent un grand nombre de dépenses à caractère obligatoire, tandis que la marge de manœuvre et de liberté qui leur est laissée est sans cesse réduite.
Le Premier ministre ayant parlé, hier, de « la folie dépensière des élus locaux de gauche », permettez-moi simplement de rappeler qu’un certain nombre de départements sont déjà en cessation de paiement, au regard de leurs ressources propres, une fois acquittées les dépenses obligatoires.
Chacun ici sait parfaitement qu’une grande part des capacités financières des conseils généraux de la Creuse et du Lot, ainsi que, vraisemblablement, de ceux de la Lozère et de la Haute-Marne, est consommée par la prise en charge de l’allocation personnalisée d’autonomie.
Le champ des dépenses non contraintes, déjà restreint, va donc être encore réduit, pour peu que les recettes fiscales des collectivités locales connaissent une inflexion à la baisse, comme cela se produira après l’adoption de ce texte. Ce sont les subventions à la vie associative locale, les engagements de crédits au titre de l’action culturelle, c'est-à-dire toutes les dépenses ne présentant pas un caractère obligatoire, qui en pâtiront. Des milliers d’emplois seront perdus, notamment dans le secteur privé non marchand.
Aussi est-il à peu près acquis qu’avant même qu’elle ait eu la moindre incidence sur le niveau de la création d’emplois, la suppression de la taxe professionnelle affectera les emplois dépendant de l’action des collectivités locales, notamment ceux du milieu associatif.
Le dispositif de l’article 2 comporte un autre défaut : neuf ans après sa suppression, la part taxable des salaires revient par la bande, la cotisation assise sur la valeur ajoutée consistant tout simplement à taxer, à nouveau, les salaires. Quand on sait que les salaires et les cotisations sociales représentent de 50 % à 60 % de la valeur ajoutée des entreprises, on mesure l’effort accompli en faveur de l’emploi au travers de cet article 2…
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à supprimer l’article 2.