M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, comme chaque année, l’examen des crédits de votre ministère est l’occasion de nous interroger sur vos moyens et sur la manière dont vous les mettez en œuvre, au travers de la politique étrangère de notre pays.
Vous l’avez vous-même souligné devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, les effectifs de votre ministère diminueront de 2 % en 2010, soit une perte de 255 postes, pour n’atteindre plus que 15 564 équivalents temps plein travaillé. Parallèlement, les moyens de fonctionnement diminueront également de 2 % à Paris et dans les postes diplomatiques.
Vous parlez de « modernisation » : en vérité, vous êtes prisonnier de cette fameuse RGPP et ne pourrez donc maintenir, au fil des réductions qui se succèdent année après année, la présence universelle de notre diplomatie, dont vous convenez vous-même qu’elle est encore l’un de ses principaux atouts.
La légère progression, de 413 à 420 millions d’euros, des moyens accordés à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger ne peut compenser l’alourdissement des charges pesant sur cette dernière, du fait de l’augmentation des cotisations au titre de la retraite de ses employés. De même, il serait souhaitable de revenir sur l’engagement, pris à la légère, de financer les frais de scolarité des lycéens français. Il y a d’autres priorités, comme les bourses accordées aux étudiants étrangers, appelées à baisser très fortement.
Nous constatons enfin que vos crédits sont de plus en plus utilisés dans le cadre d’organisations internationales. Ces actions gagneraient en légitimité si elles étaient mieux contrôlées. Nos participations internationales amputent les moyens dévolus aux actions bilatérales, dont M. Trillard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, a souligné avec raison qu’elles contribuaient de manière déterminante à notre rayonnement à l’étranger.
Entre nous, peut-on vraiment en dire autant de nos contributions financières aux tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie ou pour le Rwanda, qui – excusez du peu ! – s’élèvent respectivement à 9,7 et 8,2 millions d’euros ?
Le soutien au multilatéralisme, que vous prônez, n’est bien souvent qu’un des aspects de l’effacement de la France.
Deux grands événements ont marqué l’année 2009 : la réintégration par la France des structures militaires de l’OTAN et la ratification du traité de Lisbonne. Ce furent deux marches que la France a descendues par rapport au point élevé où l’avaient placée l’Histoire, la volonté de nos grands hommes d’État au siècle dernier, ainsi que l’effort et le sacrifice de millions de Français.
La réintégration des structures militaires de l’OTAN, que personne ne nous demandait, n’a obéi qu’à la pulsion « occidentaliste » du Président de la République.
M. Didier Boulaud. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Selon lui, la France appartient non pas à la famille des nations, mais à celle des nations occidentales : c’est une régression, monsieur le ministre, un manquement au principe d’universalité dont la France s’était fait historiquement le héraut.
M. Didier Boulaud. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. Cette réintégration est un frein au développement de nos relations avec les grands pays émergents, dont le Président de la République ressent lui-même la nécessité, comme en témoignent ses nombreux déplacements, notamment au Brésil, car là est l’avenir du monde et, par conséquent, celui de la France.
Ce retour au bercail de l’OTAN s’est de surcroît opéré à contretemps : comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, vous retardez d’un Président américain ! (M. Didier Boulaud s’esclaffe.) Vous rêviez de Bush ; vous avez rencontré Obama !
M. Didier Boulaud. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Certes, ce dernier entend restaurer le leadership des États-Unis, mais il vous prend à contre-pied dans maints domaines, à commencer par le Proche-Orient.
Le président Obama y avait pointé l’illégitimité des colonies israéliennes en Cisjordanie, avant, il est vrai, de s’incliner devant le fait accompli. Sur ce sujet, on ne vous a guère entendu. Pourtant, vous le savez bien, toute idée de réforme et de modernisation dans le monde musulman ne progressera que s’il est mis fin à la politique du « deux poids, deux mesures ». Mais il n’est pas trop tard pour faire entendre plus fermement la voix de la France et son refus du fait accompli, de la colonisation permanente des territoires palestiniens. Ce serait une piqûre de rappel utile, y compris par rapport aux engagements pris par le nouveau président américain au lendemain de son élection.
Sur l’Iran, à l’inverse, on vous entend beaucoup trop répondre aux provocations du président Ahmadinejad, comme si, à chaque occasion, vous cherchiez à jeter de l’huile sur le feu. Vous n’avez, hélas ! pas à craindre le succès de la voie diplomatique (M. Didier Boulaud ironise) : l’aveuglement des dirigeants iraniens n’aura eu d’égal jusqu’ici que celui de l’administration Bush, refusant d’ouvrir le dialogue quand il en était temps avec le président Khatami. Mme Clinton n’a pas complètement fermé la porte à la reprise du dialogue d’ici à la fin de l’année, mais force est de constater que l’obstination des dirigeants iraniens à ne pas répondre aux demandes de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, conduira logiquement le Conseil de sécurité à durcir sa position.
La question de l’ordre nucléaire mondial, tel que l’a défini le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, est posée. La France doit défendre ce traité par des moyens qui laissent la porte ouverte à un changement d’attitude de Téhéran. Notre intérêt est dans la stabilité au Moyen-Orient. Nous devons aussi prendre en compte la société iranienne, et pas seulement le régime, qui profite apparemment de la radicalisation du conflit. Le dossier nucléaire fait figure de moyen de gesticulation à la fois interne et externe et, cette dimension doit également être prise en compte.
Monsieur le ministre, je ne m’étendrai pas sur la question de l’Afghanistan, que nous avons déjà évoquée : à l’évidence, pour ce pays, la solution est politique. Or, sur ce plan, les objectifs de l’intervention de l’OTAN ne sont pas clairement définis. Notre intervention ne saurait se justifier par l’exportation de la démocratie, thèse « bushiste » dont on a déjà vu le résultat, et son but ne peut se réduire à l’éradication d’Al-Qaïda. L’indépendance de l’Afghanistan devrait être une cause nationale propre à susciter le patriotisme chez les forces nationales afghanes, qui manquent certes d’« esprit régimentaire », comme vous l’avez déclaré ce matin dans les colonnes du Figaro, mais pas seulement. Cette clarté dans la définition des objectifs, nous la devons aussi à nos soldats, dont je tiens à saluer le courage et le stoïcisme.
Vous avez vous-même exprimé la contradiction dans laquelle nous sommes d’avoir à soutenir un gouvernement dont le crédit est usé. J’ose simplement espérer que notre complète réintégration dans les structures militaires de l’OTAN ne nous conduira pas à augmenter le contingent français, qui s’est aventuré dans une affaire que nous ne maîtrisons pas.
J’aurais également aimé parler du Pakistan, dont nous devons soutenir la réorientation démocratique : il s’agit d’un enjeu décisif.
En tout cas, sur tous ces dossiers, monsieur le ministre, l’administration Obama joue aujourd’hui une partie difficile. La France a tout intérêt à ce qu’elle soit couronnée de succès.
Je crains, pour tout dire, que la réintégration de l’organisation militaire de l’OTAN ne crée un réflexe conditionné d’alignement sur une position belliciste, qui n’est certes pas à l’ordre du jour, mais qui peut le devenir, dans cet écheveau où chaque crise interagit avec toutes les autres. En vous engageant dans un mécanisme d’alignement, vous n’avez pas, selon moi, servi les intérêts de la France. (M. François Trucy proteste.) Depuis que celle-ci est rentrée dans le rang, le président Obama n’a pas marqué un grand intérêt pour elle, pas plus que pour l’Europe en général.
La France ne peut faire entendre utilement sa voix qu’en préservant jalousement son indépendance. Quel avantage la réintégration de l’OTAN nous apporte-t-elle ? « Vingt-cinq étoiles », a déclaré le général Georgelin devant la commission des affaires étrangères ! (M. Didier Boulaud s’esclaffe.) Mais le général Abrial, nommé à la tête du commandement allié pour la transformation de l’OTAN, pourrait-il se prononcer, au nom de la France, sur l’avenir des armes nucléaires tactiques américaines stationnées en Europe, ou sur l’opportunité de déployer un bouclier antimissiles dit « de théâtre » sous l’égide de l’OTAN ? Ces questions seront sans doute abordées à Moscou, ou peut-être à Lisbonne, lors du prochain sommet de l’OTAN. La France a-t-elle au moins une position sur ces questions, dont dépendent évidemment la paix et l’équilibre de l’Europe à l’avenir ?
Cela étant dit, monsieur le ministre, je voudrais vous décerner un bon point. (M. le ministre se réjouit.)
M. François Trucy. Tout de même !
M. Jean-Pierre Chevènement. Je me félicite du resserrement de nos relations avec la Russie dans les domaines énergétique et industriel, illustré par le récent voyage de M. Poutine à Paris. Le partenariat stratégique de l’Europe et de la Russie se trouve en effet au fondement d’une paix durable sur notre continent.
Malheureusement, la ratification du traité de Lisbonne n’st pas de nature à renforcer notre capacité à desserrer l’étau que la concurrence déloyale du dollar et celle des pays à bas coût salarial, comme la Chine, exercent sur la zone euro. Elle va, au contraire, nous rendre encore plus prisonniers d’un mécanisme d’impuissance. Et rien n’illustre mieux cet état de fait, dans l’Europe de Lisbonne, que les deux désignations qui viennent d’intervenir. Bien sûr, le mérite de M. Van Rompuy et de Mme Ashton, nommés respectivement président « stable » du Conseil européen et Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne, n’est pas en cause. Ce qui pose problème, c’est leur choix même, fondé sur leur complète absence de notoriété.
En réalité, le traité de Lisbonne a repris les dispositions d’esprit fédéraliste qui étaient celles de la Constitution européenne. Mais, comme aucun gouvernement ne veut s’effacer devant des instances fédérales, les chefs d’États et de gouvernements se sont mis d’accord sur des personnalités qui ne sauraient leur faire de l’ombre.
Un service européen pour l’action extérieure va être mis sur pied, sous l’autorité de Mme Ashton, connue pour son militantisme dans les associations antinucléaires. Puis-je réitérer le conseil que je vous donnais, monsieur le ministre, le 27 octobre dernier, lors du débat préalable au Conseil européen ? Je vous suggérais pour ce service « l’ambition minimale, le format le plus modeste possible, et surtout […] les primes les plus réduites » ! N’écrémez pas de ses meilleurs éléments ce qui reste de la diplomatie française. (M. Josselin de Rohan sourit.) Elle a assez à faire avec la RGPP ! N’ajoutez pas une couche, si mince soit-elle, au millefeuille européen, où les conflits de compétence se multiplient déjà.
Monsieur le ministre, M. Kissinger feignait jadis de demander pour l’Europe un numéro de téléphone. Vous lui en donnez trois ! Rompez avec cette politique d’illusions qui ne peut qu’étouffer notre voix et accélérer notre déclin. Revenez à la France ! Revenez-nous ! Revenez à vous ! Revenez à l’identité nationale (M. Didier Boulaud s’esclaffe), dont le gouvernement auquel vous appartenez fait grand cas en paroles, mais si peu dans sa politique extérieure, domaine pourtant emblématique de l’existence d’une nation, et, a fortiori, d’une nation comme la nôtre ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Boulaud. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Dulait. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Action extérieure de l’État » pour 2010 est l’occasion pour nous de donner à la maison France les moyens d’exister hors de ses frontières.
Notre pays possède le deuxième réseau diplomatique mondial, ce qui favorise la promotion permanente de nos valeurs, de notre culture et de notre façon d’appréhender le monde.
Toutefois, il convient de le rappeler, ces vecteurs et ces outils s’inscrivent, d’une part, dans le cadre d’une réforme globale, la RGPP, qui implique que chaque euro dépensé le soit de la façon la plus utile et optimale possible et, d’autre part, dans un contexte de très grave crise économique. L’état pour le moins inquiétant de nos finances publiques nous invite à une extrême vigilance budgétaire, alors même que les foyers français traversent une période extrêmement difficile.
Dans ce contexte, on ne peut que se féliciter de l’augmentation des crédits de 11 % par rapport à 2009, le budget passant de 4,6 à 4,9 milliards d’euros. Je tiens à souligner également la dotation exceptionnelle de 20 milliards d’euros consacrée à l’action culturelle de la France.
Devant cet effort de réformes, le groupe UMP votera les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».
Monsieur le ministre, je souhaiterais revenir sur cette augmentation imputable en partie à la hausse des crédits de contributions obligatoires aux organisations internationales et au Fonds européen de développement.
Ces contributions, notamment celles qui sont versées à l’ONU pour les opérations de maintien de la paix, offrent la possibilité d’une double analyse, dont il faut absolument tirer les conclusions : elles témoignent de la forte implication de notre pays dans les zones de conflit et confirment sa place sur la scène internationale en tant qu’acteur diplomatique incontournable.
Cependant, il est temps que ces barèmes soient réajustés et les quotes-parts renégociées…
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. Très bien ! Mais c’est plus facile à dire qu’à faire…
M. André Dulait. … en vue d’un juste rééquilibrage entre la part de notre PIB dans la richesse mondiale et notre contribution, et cela, précisément, par rapport aux pays émergents, comme l’Inde et la Chine.
D’ailleurs, ce rééquilibrage des participations dans les enceintes onusiennes devrait non pas se limiter au seul niveau de la contribution financière, mais s’accompagner du respect d’un code de valeurs communes et entraîner l’envoi d’un minimum de moyens humains effectifs – effectifs, monsieur le ministre – dans la gestion des crises.
Pour étayer mon propos, permettez-moi de citer l’exemple de la très active et très efficace diplomatie chinoise sur le continent africain.
Au Soudan, nous nous impliquons pleinement pour restaurer le dialogue entre ce pays et le Tchad et créer les conditions d’une sortie de crise au Darfour – vous y avez très largement participé, monsieur le ministre, vos déplacements à Khartoum en témoignent – par les voies tant diplomatique que militaire, je pense en particulier à l’opération Épervier.
En revanche, la République populaire chinoise, la RPC, au nom du respect de la sacro-sainte règle de non-ingérence, est parvenue à implanter dans ce pays deux usines d’armement léger, ce qui conduit à contourner les embargos sur les ventes d’armes.
Parallèlement, la Chine doit investir dans les matières premières et les produits du sol du fait de son développement industriel exponentiel. Comme elle se trouve dans une situation de déficit énergétique, la volonté de maintenir son taux de croissance l’incite à se fournir auprès de différents pays du continent africain, dont les sous-sols sont riches en pétrole, fer, cuivre ou uranium.
Ainsi, au Soudan, les investissements chinois dans les champs pétrolifères se chiffrent en milliards, au moment même où ce pays sert de refuge à des groupes appartenant à la nébuleuse Al Qaïda.
Rappelons d’ailleurs que la China National Petroleum Corporation a investi 8 milliards de dollars dans des opérations conjointes d’exploration et que, parallèlement, elle détient 40 % du principal consortium de forage pétrolier du pays…
Le 16 novembre dernier, s’est tenu à Rome le sommet de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, à l’issue duquel la sonnette d’alarme a été tirée pour la énième fois afin de tenter d’intéresser les grandes puissances à la crise alimentaire mondiale.
L’Afrique – faut-il le rappeler ? – est dramatiquement touchée par la famine depuis déjà des années et elle ne parvient pas encore à l’autosuffisance alimentaire. Pour exemple, je prendrai le cas du Niger, dont les surfaces cultivables sont très limitées et qui, à ce titre, bénéficie assez largement des programmes d’aide alimentaire mondiaux.
Les exportations de minerai d’uranium de ce pays, à un moment où les cours sont au plus haut, ne devraient-elles pas assurer sa sécurité alimentaire ? Or tel n’est pas le cas, parce que les ressources naturelles exportées vers la Chine sont gagées avec des prêts concessionnels chinois dont le remboursement s’effectue en quantité et en temps.
J’évoquerai un dernier point, peut-être le plus inquiétant pour notre diplomatie : les réserves financières chinoises hissent la RPC au rang des premiers bailleurs de fonds au Soudan, au Nigeria, en Angola et en Égypte.
Le montant total des prêts d’origine chinoise à la fin du premier semestre de 2007 s’élevait déjà à 20 milliards de dollars. Dès lors, monsieur le ministre, permettez-moi de manifester quelque inquiétude face à une telle concurrence en termes de diplomatie financière…
Mes chers collègues, mon objectif n’est pas de stigmatiser la Chine, mais je souhaiterais que s’opère une « péréquation » de participation financière et humaine ainsi que d’obligations morales entre les puissances contributrices à l’ONU, sinon, à terme, alors que nous affrontons encore les affres de notre passé colonial en Afrique, la diplomatie française n’aura pour unique argument que le rôle de « moralisatrice » qu’elle joue dans les enceintes internationales et elle observera, sur le terrain, un véritable recul de son influence, à tous égards. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre, vous venez, comme moi, d’entendre nos rapporteurs, de toutes tendances politiques. Je n’aurai donc pas la cruauté de répéter des analyses qui, si on sait les écouter, accablent ce budget, dont vous êtes d'ailleurs le premier responsable !
Mes collègues socialistes viendront plus tard développer quelques points très symboliques. Pour ma part, je voudrais simplement présenter l’opinion du groupe au nom duquel j’ai l’honneur de m’exprimer sur la politique étrangère et ses moyens.
Pour commencer, monsieur le ministre, je formulerai trois remarques sur les moyens qui vous sont octroyés.
Premièrement, en ce qui concerne la diplomatie dite « culturelle », votre bilan et celui de vos prédécesseurs immédiats est catastrophique. La politique culturelle extérieure de la France souffre et décline depuis 2002.
Cette grave crise du rayonnement culturel français à l’étranger est le symptôme d’une affection bien connue : le libéralisme à tout crin, c’est-à-dire la méfiance à l’égard des acteurs publics, la vénération des agents privés, l’antiétatisme primaire.
Le gouvernement auquel vous appartenez en sait quelque chose : externalisations, privatisations, bouclier fiscal, niches fiscales, dette colossale – je pourrais poursuivre cette énumération – sont les autres caractéristiques de cette pathologie que notre pays supporte, de plus en plus mal, depuis 2002.
Pour autant, puisque vous vous piquez de bonne gouvernance, avez-vous favorisé l’essor de nos industries à l’international, et celui de notre commerce extérieur ? Je crains que tel ne soit pas le cas... Monsieur le ministre, les chiffres sont encore accablants : le déficit du commerce extérieur est aujourd’hui abyssal ; il atteignait 55,7 milliards d'euros en 2008. Pourtant, c’est aussi cela, la politique étrangère !
Quel échec ! Quelle catastrophe !
Malgré, entre autres, les voyages d’affaires du Président de la République, malgré le tapage médiatique qui l’accompagne dans ses déplacements, malgré la pompeuse war room installée à l’Élysée, malgré, malgré, malgré, notre commerce extérieur ne décolle pas, il plonge !
Deuxièmement, vous êtes l’esclave consentant – pardonnez-moi cette métaphore – de la révision générale des politiques publiques, cette machine à tuer l’emploi et à démanteler les services publics. Votre ministère paie un très lourd tribut au dogme du « moins d’État ».
La RGPP qui, je vous le concède, est appliquée avec brutalité aujourd’hui - et le sera encore demain - au ministère des affaires étrangères et européennes, remet en cause l’universalité du réseau aussi bien que les conditions de travail des personnels. Elle met ainsi en danger, monsieur le ministre, toute perspective de politique étrangère autonome !
Troisièmement, avec ce projet de budget, et malgré les arguties de sa présentation financière, les moyens dont vous disposez pour développer la politique extérieure de la France n’augmentent pas, vous le savez bien.
Certains dogmatiques – j’en ai entendu ! – peuvent s’en féliciter : moins de moyens, moins de personnels, moins d’actions, bref, une politique extérieure rabougrie, condamnée au suivisme, incapable de porter haut et fort la voix et les intérêts de la France.
Tel n’est pas notre cas : nous ne voulons pas nous résigner à un nouveau recul de la France sur le plan extérieur. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, j’aborderai maintenant l’aspect politique de votre action.
Nous avons la fâcheuse impression que la politique étrangère, confuse et chaotique, est conçue et conduite depuis l’Élysée. Mais peut-être nous trompons-nous ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Le « domaine réservé » a été reconstitué et même consolidé et élargi, le dossier du renseignement en est la preuve. Une nouvelle cellule africaine a vu le jour à l’Élysée, votre collègue Jean-Marie Bockel en sait, paraît-il, quelque chose… (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.)
Les émissaires sont nombreux à parcourir le monde au nom du Président de la République. L’incontournable secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, qui, comme chacun sait, est l’élu de nos territoires (Mêmes mouvements), est l’un des principaux missi dominici : en Syrie, au Qatar, au Liban, chaque fin de semaine ou presque il porte la parole, mais laquelle ? Ces voyages vous sont étrangers, monsieur le ministre !
D’autres envoyés spéciaux s’occupent de l’Afghanistan, de la Chine, du Brésil... Ils ne rendent compte qu’à M. Sarkozy. Pour eux, le Parlement n’existe pas, mes chers collègues ! Exit l’Assemblée nationale ! Exit le Sénat !
D’ailleurs, monsieur le ministre, quel est votre rôle ? Missions secrètes et dossiers commerciaux mobilisent les discrets émissaires de la diplomatie élyséenne. Accords, partenariats, coopérations internationales sont négociés dans une opacité pesante.
L’efficacité est-elle au rendez-vous ? Les intérêts de la France sont-ils bien défendus ? Le Parlement ne peut contrôler ni vérifier la pertinence de cet activisme !
Ainsi va la diplomatie française sous le règne de l’hyper-président. Et pendant ce temps, le ministre des affaires étrangères « gère les affaires courantes »…
La politique étrangère vient d’ailleurs, et elle n’atteint pas le Parlement. La dernière réforme constitutionnelle a renforcé l’exercice du pouvoir exécutif et, sous l’apparence d’un parlementarisme rénové, se cache mal la solide prééminence de l’exécutif. Devons-nous nous en satisfaire ? Certainement pas !
Les accords de défense en constituent un bon exemple, monsieur le ministre. Le Gouvernement s’était engagé à les présenter tous au Parlement. Or, comme sœur Anne, nous ne voyons rien venir, même haut perchés à cette tribune ! (Sourires.)
Le Président Sarkozy a inauguré en grande pompe aux Émirats arabes unis une base militaire française permanente qui implique la rénovation de l’ancien accord de défense. Quel est le contenu du nouvel accord ?
Selon un quotidien – merci la presse ! –, la France « s’engage à utiliser tous les moyens militaires dont elle dispose – tous les moyens, mes chers collègues – pour défendre les Émirats arabes unis s’ils venaient à être agressés ». Ces moyens devront être « définis en commun » par les deux pays.
Présenté comme « extrêmement contraignant », cet accord le serait plus encore que le traité de l’Atlantique Nord, qui fonde l’Alliance atlantique. Ce nouvel accord fait suite à un accord de défense, signé en 1995, qui « maintenait la décision d’intervenir dans une ambiguïté et une incertitude ».
Monsieur le ministre, la France s’est-elle engagée à utiliser des moyens militaires nucléaires pour défendre un pays tiers ?
La nouvelle base militaire, face à l’Iran, répond-elle à une politique bien définie ? Si oui, laquelle ? Récemment, les accords de défense entre la France et le Koweït ont été mis à jour. Ces dernières années, notre pays a sensiblement renforcé ses liens avec les États du Golfe…
Lors d’un discours prononcé devant le parlement sud-africain, en févier 2008, le Président Sarkozy avait annoncé la révision des accords de défense « obsolètes » signés par Paris avec des pays africains. Est-ce que ce mouvement a déjà commencé, monsieur le ministre ?
Avons-nous analysé, contrôlé, débattu de ces accords nouveaux ou renouvelés ? Non ! Je vous l’affirme, mes chers collègues, le Parlement devrait se pencher sur ces accords de défense, et sur leurs conséquences. Toutefois, objectivement, à l’hyper-président il convient un micro ou un mini-parlement !
Monsieur le ministre, l’Union européenne va se doter d’un « service d’action extérieure ». Nous en parlerez-vous ? Quelles sont les propositions de la France en la matière ? Allons-nous vers une diplomatie à deux vitesses, l’une nationale et l’autre européenne ? Allons-nous, en cette période de vaches maigres, « doublonner » les services extérieurs ? Vaste programme pour le nouveau Haut Représentant, qui sera sans doute une Haute Représentante, d'ailleurs !
Le service européen d’action extérieure sera composé de fonctionnaires du Conseil, de la Commission et de diplomates des États membres, et son effectif pourrait dépasser, à plein régime – écoutez bien, mes chers collègues ! – 5 000 personnes, ce qui n’est pas rien !
Devrions-nous attendre que tout soit cuisiné, ficelé, pour être informés, pour émettre notre avis ?
Par ailleurs, je crains que la nouvelle donne, vu le choix du président de l’Union européenne et de la ministre des affaires étrangères, Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ne soit qu’un leurre – un de plus, me direz-vous – destiné à distraire et les opinions publiques et les parlements nationaux.
L’Europe patine et la dernière présidence française n’a pas fait avancer la lourde machine européenne. Si, peut-être, en matière de communication, où vous excellez tous, bien sûr !
Monsieur le ministre, avec de petits moyens et une politique manquant d’ambition et de souffle et se développant dans une opacité qui semble convenir au domaine réservé, le compte n’y est pas !
Nous ne pouvons, dans ces conditions, approuver ni cette politique étrangère ni le budget qui la contraint, mais qui l’illustre bien ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)