M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la modification constitutionnelle de 2003, qui a prévu l’organisation décentralisée de notre République, a été importante pour l’outre-mer. Elle permet désormais des adaptations statutaires et institutionnelles au plus près des préoccupations des populations ultramarines.
En effet, l’organisation déconcentrée de l’État outre-mer ne doit pas, compte tenu des spécificités juridiques, culturelles et historiques des collectivités ultramarines, être identique à celle qui prévaut en métropole. Le cadre, l’environnement, les problèmes sont différents. Or, bien souvent, en particulier dans les quatre départements d’outre-mer, il faut reconnaître que tant l’organisation que l’administration locales ne sont pas toujours adaptées aux contraintes et aux particularismes territoriaux.
Les facultés offertes par les nouvelles dispositions constitutionnelles des articles 73 et 74 de la Constitution ont été prévues pour permettre les aménagements nécessaires et donner tout son sens à une politique de proximité et de responsabilité respectueuse des contraintes du terrain, mais aussi des attentes locales.
Force est de constater que les facultés d’adaptation offertes par l’article 73 de la Constitution pour les départements d’outre-mer sont loin d’avoir porté tous leurs fruits, madame la ministre. Bien que la nouvelle liberté donnée aux départements et régions d’outre-mer en matière d’adaptation locale des lois et règlements ait été fortement demandée par leurs élus, sa mise en œuvre reste encore très limitée.
Par exemple, les demandes du conseil général et du conseil régional de la Martinique concernant l’aménagement des compétences en matière de transports publics de voyageurs n’ont pas été publiées par le Gouvernement au Journal officiel, au motif que ces demandes ne reflétaient pas un consensus local sur le sujet, du fait des demandes concurrentes des deux niveaux de collectivités, alors que le Gouvernement n’est, comme l’a souligné la Haute Assemblée, aucunement habilité à exercer un contrôle d’opportunité en la matière. (MM. Serge Larcher et Georges Patient marquent leur approbation.)
Pourtant, la procédure d’adaptation décentralisée prévue à l’article 73 de la Constitution a fait l’objet, à la suite de l’adoption de l’un de mes amendements, d’un assouplissement à la faveur de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, mais il est clair qu’elle n’est pas encore entrée complètement dans les usages, ce que l’on peut regretter, comme l’a fait la commission des lois dans son avis sur les crédits de la mission « Outre-mer ».
Quoi qu’il en soit, les élus de la Martinique et de la Guyane ont souhaité aller plus loin que les simples adaptations législatives, par une véritable refondation de leur organisation institutionnelle, comme le permet désormais la Constitution. Ils ont, ainsi, clairement manifesté leur intention de modifier leur gouvernance, actuellement caractérisée par la juxtaposition, sur un même territoire, de deux niveaux de collectivités : le département unique et la région d’outre-mer.
Il convient d’ailleurs de souligner que cette approche rejoint les conclusions de la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer. À travers ses cent propositions, celle-ci a notamment préconisé un nouvel élan vers un développement endogène réussi de ces territoires, fondé sur l’assainissement de la situation des collectivités territoriales en matière de gouvernance institutionnelle et financière, avec une meilleure prise en compte des spécificités et de la diversité de ces départements, pour valoriser leurs atouts et les libérer de contraintes inadaptées.
Réunis en congrès des élus départementaux et régionaux, les élus de Guyane, d’une part, et de Martinique, d’autre part, se sont donc déclarés favorables à un passage du régime de l’assimilation législative adaptée, organisée par l’article 73 de la Constitution, au régime de la spécialité législative, en application de l’article 74 de la Constitution, conférant un régime d’autonomie. Le Parlement se doit d’en prendre acte.
Comme cette évolution est soumise, en application de l’article 72-4 de la Constitution, au consentement des électeurs de Guyane et de Martinique, le Président de la République a naturellement décidé d’organiser une consultation, prenant ainsi en compte la position exprimée par les élus, ce que je tiens à souligner. Cette consultation aura lieu en janvier 2010 et se déroulera, le cas échéant, en deux temps, ainsi que vous l’avez précisé, madame la ministre.
Donner la parole au peuple est le fondement de la démocratie. Nous pouvons donc nous réjouir du processus qui est engagé et qui démontre, une fois de plus, après la création des deux collectivités nouvelles d’outre-mer que sont Saint-Martin et Saint-Barthélemy, l’importance et la qualité de la réforme constitutionnelle de 2003.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Christian Cointat. Bien entendu, il est essentiel que les électeurs de ces deux départements soient suffisamment et objectivement informés des conséquences juridiques d’une évolution statutaire ou institutionnelle, afin d’être à même de se prononcer en toute connaissance de cause. Il semble en effet qu’en 2003, l’absence de publicité et d’explication adéquate des projets d’évolution institutionnelle en Martinique et en Guadeloupe ait été, pour l’essentiel, à l’origine de leur rejet par les électeurs de ces départements. Nous pouvons donc former des vœux pour que la nécessité de l’information des électeurs, sans laquelle ils ne peuvent librement choisir leur destin, soit pleinement et clairement perçue.
Il convient par ailleurs de souligner que cette volonté d’évolution statutaire de ces deux départements d’outre-mer intervient au moment où s’engage, devant le Parlement, la réforme des collectivités territoriales. Or, se pose la question de la coexistence de ces deux sources d’évolution, qui se cristallise notamment sur la création du conseiller territorial, appelé à siéger tant au conseil régional qu’au conseil général.
Pour résoudre cette difficulté, le Gouvernement a exclu, à ce stade, d’appliquer aux trois départements français d’Amérique les dispositions du projet de loi de réforme des collectivités territoriales relatives au conseiller territorial, tout en sollicitant une habilitation, pour une durée de dix-huit mois, afin de les adapter par ordonnance en Guyane, en Guadeloupe et à la Martinique, en fonction des choix d’évolution institutionnelle décidés par les électeurs. On peut s’en féliciter, madame la ministre, car il s’agit d’une mesure de sagesse, frappée au coin du bon sens.
Nous devons également être conscients que la question de l’évolution institutionnelle ou statutaire de la Guadeloupe, ainsi que l’a rappelé notre collègue Daniel Marsin, devra être posée un jour. Toutefois, les élus de ce département ont souhaité se donner le temps d’aborder cette problématique dans le cadre d’une réflexion plus globale sur le « projet de société » guadeloupéen, et il convient de respecter leur volonté. Ce dossier reste donc en instance.
En ce qui concerne le quatrième département français d’outre-mer, celui de la Réunion, contrairement aux départements d’Amérique, il ne place pas la problématique institutionnelle au cœur de ses préoccupations.
M. Jean-Paul Virapoullé. On ne touche à rien !
M. Christian Cointat. D’ailleurs, la Réunion ne relève pas du dispositif d’évolution statutaire et institutionnelle introduit par la révision constitutionnelle de 2003, car telle fut la volonté de ses élus, que le Parlement a respectée.
Dans quelques semaines, les électeurs de Martinique et de Guyane vont donc, par leur bulletin de vote, construire leur avenir. Je souhaite ardemment que le résultat issu des urnes soit l’expression profonde de leurs espérances, et que le Gouvernement comme le Parlement soient prêts à répondre à leurs attentes.
N’oublions pas la leçon de Saint-Exupéry : « L’avenir, tu n’as point à le prévoir mais à le permettre ». Tel est notre devoir, tel est leur destin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un profond débat anime les sociétés martiniquaise et guyanaise, qui sont appelées à se prononcer, comme le stipule l’article 72-4 de la Constitution, sur le changement de statut de leurs départements.
Les mouvements sociaux du début de l’année ont révélé combien la crise économique et sociale a été rude, particulièrement en 2009, pour nos concitoyens ultramarins.
Le débat d’aujourd’hui ne doit donc pas nous faire perdre de vue l’urgence sociale dans laquelle sont placés ces territoires. Il y va même de la responsabilité de l’État qui, confronté à une situation d’une grande gravité, doit adopter une stratégie offensive et des mesures d’urgence, pour permettre à nos concitoyens d’accéder à une vie décente.
Ainsi, les comptes rendus des états généraux de l’outre-mer soulignent combien la population des DOM attend de l’État qu’il tienne ses engagements, qu’il soit garant de la cohésion sociale, de l’égalité des citoyens et de la prise en compte de leurs aspirations.
Chômage et précarité toujours en progression, prix en hausse, crise du logement, besoin d’éducation montrent combien, en dépit des mesures transversales prises par le conseil interministériel de l’outre-mer, le CIOM, ces territoires appellent une tout autre politique, et tout de suite !
Ainsi, notre collègue Éric Doligé, à propos de l’éventualité d’un changement de statut, insistait dans son rapport sur la nécessité d’organiser une campagne d’information permettant d’éclairer véritablement le choix des électeurs.
C’est bien tout l’enjeu de ce moment et de ce scrutin.
Il s’agit en effet de demander aux populations de faire un choix, dans un contexte de crise multidimensionnelle, alors que l’État semble incapable de remédier à la situation et d’exiger que ce changement de statut éventuel ne rime pas avec un nouveau désengagement de sa part.
Avant le 10 janvier prochain, le Président de la République doit donc prendre des engagements fermes de maintien de la dotation publique, de versement des minima sociaux, des retraites, de lutte contre le chômage. De mon point de vue, ces engagements devraient d’ailleurs être pris indépendamment du changement statutaire.
L’aspiration à l’émancipation de ces hommes et de ces femmes a été relayée par le choix de l’autonomie législative par le congrès de leurs élus. Cette aspiration débouche sur la contestation d’un système économique et financier qui privilégie l’argent, l’exploitation, l’opposition des uns aux autres.
Cela, le Président de la République et le Gouvernement ne semblent pas l’avoir entendu. J’en veux pour preuve, entre autres, la réflexion du Président de la République, qui, en octobre dernier, cite, comme premier axe des actions à mener après les états généraux de l’outre-mer, le « renforcement de la concurrence dans le secteur privé ».
On le sait bien, ces solutions ne fonctionnent pas, ni en métropole ni en Europe ni dans le reste du monde !
Quel mépris pour les aspirations de milliers de gens, qui, en manifestant début 2009, demandent l’opposé, c’est-à-dire plus de contrôle des pouvoirs publics sur le secteur privé, contre le racket organisé des populations, contre la fixation libre et opaque des prix. La concurrence ne fait pas baisser les prix, on le constate en métropole.
Dans le cadre de cette campagne sur le changement de statut, qui pourrait constituer une étape importante dans l’histoire de la Martinique et de la Guyane, le Gouvernement doit entendre les revendications populaires et prendre des engagements immédiats.
Concernant la baisse des prix et la hausse des salaires, un avis rendu par l’Autorité de la concurrence montrait l’état de fait inacceptable de la fixation des prix dans les DOM.
Au prétexte d’un coût important des transports de marchandises et de l’octroi de mer, les grandes enseignes gonflent les prix. Ainsi, certains produits sont payés dans les DOM jusqu’à 50 % plus cher qu’en métropole !
Dans un autre département d’outre-mer, la Guadeloupe, le LKP alerte depuis septembre : les produits dont les prix ont fait l’objet de négociations sont en pénurie organisée, alors que les prix des autres produits flambent. L’engagement de renforcer les effectifs de la direction de la concurrence n’est pas tenu, d’où une perpétuation de cette situation injuste.
De même, d’autres propositions pourraient être avancées pour soutenir le pouvoir d’achat, comme la baisse de la TVA ou la revalorisation des salaires.
Aujourd’hui, tous les voyants sont au rouge. J’ai eu moi-même l’occasion de le constater il y a quelques jours lors d’un déplacement en Martinique.
Il est nécessaire de rendre aux DOM les moyens financiers à la hauteur des enjeux et des graves inégalités que continuent de subir leurs populations. Nous condamnons les exonérations de charges et les exemptions fiscales, menées sans garantie ni contrepartie en termes de créations d’emplois et d’augmentation des salaires.
Avec la crise, les communes doivent faire face à un effondrement de leur principale recette, l’octroi de mer, alimenté par une taxe sur la consommation de produits importés. Quand on voit l’importance budgétaire locale de cet octroi, on peut comprendre l’inquiétude des domiens à l’annonce de la suppression de cette taxe à l’orée 2014, sous la pression libérale de l’Europe, qui y voit un droit de douane extravagant contraire à la concurrence libre et non faussée.
Madame la ministre, quels sont les engagements du Gouvernement sur cette question ?
Le chômage, je l’ai dit, est un des fléaux qui minent les DOM, avec la situation particulière de la jeunesse. Toutes tranches d’âge confondues, le taux est deux fois plus élevé que la moyenne nationale : il atteint 50 % pour les jeunes de quinze à vingt-quatre ans. On comprend que certains appellent à un plan Marshall !
La situation du logement est tout aussi catastrophique, avec un sous-développement du logement social et l’existence d’un habitat insalubre encore important.
La mise à disposition du foncier détenu par l’État et non utilisé, telle que décidée le 6 novembre par le conseil interministériel de l’outre-mer, pourrait contribuer à relancer la construction du logement social par les communes. Mais sous quels délais ? Et avec quel argent ? Le Gouvernement va-t-il très vite mettre en place un droit au foncier opposable ?
La gravité de la crise exige des mesures d’urgence pour stopper le glissement des départements d’outre-mer dans le sous-développement. Or les annonces et les décisions du conseil interministériel n’arrivent que plusieurs mois après les mouvements sociaux du début d’année.
De plus, même si certaines annonces sont reconnues comme appropriées, leurs effets ne seront sensibles que dans un avenir lointain. Aucun financement n’est venu relayer ces annonces, ce qui sème le doute sur leur mise en place effective, doute qui touche les populations mais aussi les élus locaux.
Avec cette proposition de changement statutaire, via l’article 74, nombre d’hommes et de femmes, d’élus locaux, généraux et régionaux, de parlementaires, voient l’opportunité non pas de revendiquer l’indépendance ni une quelconque sortie de la République française, mais d’avancer vers davantage d’autonomie et de conquête de pouvoirs réglementaires en matière d’adaptation et d’exécution de décisions les concernant.
Ils voient dans la simplification administrative que constitue la solution d’une collectivité unique gérée par une assemblée unique le moyen de garantir une plus grande efficacité des politiques publiques. Ce changement institutionnel pourrait, selon eux, contribuer à la définition de politiques qui prennent réellement en compte les réalités locales et leurs aspirations.
Ils y voient le moyen, en étant davantage maîtres d’œuvre, de participer ainsi, adossés à la métropole, à un développement plus durable, plus harmonieux, plus solidaire, contribuant au rayonnement de la France, de sa culture et de son économie dans cette partie du monde.
En réalité, tout ce qui va dans le sens de davantage d’autonomie pour ces populations est positif.
Il est dans ce cadre cependant impératif que l’inconnue que constitue la future loi organique qui en résultera soit levée. Le Gouvernement doit garantir l’intégrité pleine et entière des acquis sociaux dont bénéficient ces peuples. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne viens pas donner de leçons, mais ce qui intéresse l’outre-mer m’intéresse…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous aussi !
M. Jean-Paul Virapoullé. … et nous intéresse tous ! (Sourires.) Je vous remercie d’ailleurs d’être présents, chers collègues de la métropole, de droite comme de gauche !
Nous appartenons à une même communauté de destin.
J’ai écouté avec la plus grande attention mes collègues, notamment ceux de Martinique et Guyane, qui vont s’engager dans un choix difficile.
Sur le constat des objectifs, nous sommes d’accord. Nous avons fait partie ensemble d’une mission consensuelle et nous avons constaté ensemble que la situation ne pouvait plus durer.
Rien ne justifie des prix 50 % plus chers ! Rien ne justifie tant d’illettrés ! Rien ne justifie que la Guyane, par exemple, que je ne connais pas assez pour en parler précisément, n’ait pas un modèle de développement différent du nôtre ou de celui de la Martinique !
Mais on ne peut pas en faire grief à la départementalisation. Étant un peu plus ancien que d’autres, je me dis que, si, en 1946, les pères de la départementalisation n’avaient pas fait ce choix, nous n’aurions pas atteint aujourd’hui le niveau de développement qui est le nôtre ! Nous n’aurions pas multiplié par dix ou par cent le nombre de nos bacheliers !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Jean-Paul Virapoullé. C’est vrai, il manque des logements sociaux, mais on en a construit des dizaines de milliers. C’est vrai, il manque encore des routes, mais le niveau et la qualité de la politique de santé publique dans les quatre DOM dépassent parfois ceux de certains départements métropolitains !
Faire grief à la départementalisation pour aller vers un autre modèle, c’est dresser un bilan qui n’est pas juste. Pour cette raison, je souhaite rétablir la vérité.
Nous sommes d’accord pour déverrouiller l’économie de l’outre-mer, pour adapter le plus possible les lois, les règlements, notamment communautaires, au modèle que l’on va définir. Mais le chemin que nous voulons emprunter est-il le bon ?
Pour être libre, le choix doit être clair.
Un choix clair ?
Me promenant dans les rues de Fort-de-France, je rencontre une électrice, qui m’interpelle.
« Monsieur le sénateur, vous me dites d’aller voter dimanche ? Je vais aller voter ! Vous me dites que je peux passer de l’article 73 à l’article 74 de la Constitution ? Éventuellement, car je ne suis pas contre. Vous m’annoncez un changement de mode de gestion, une nouvelle assemblée dotée de nouvelles compétences ? Mais au fait, monsieur le sénateur, combien aura-t-elle de membres, cette assemblée nouvelle ?
- Je ne sais pas.
- Comment sera-t-elle dirigée ?
- Je ne sais pas.
- Mais quelles vont être ses compétences, monsieur le sénateur ?
- Madame, pour avoir écouté avec attention le discours de Mme la ministre, je peux vous dire que la garantie des libertés publiques, la défense, la sécurité et la justice ne feront pas partie de ses compétences, mais le reste, peut-être… ».
En bonne citoyenne, cette électrice ne s’arrête pas en si bon chemin et poursuit.
« Et la compétence sociale, que vous utilisez comme moyen de polémique pour intoxiquer l’électorat et pour m’empêcher de voter oui, sera-t-elle inscrite dans la loi organique ?
- Je ne sais pas.
- Mais au moins peut-elle être dans la loi organique ?
- Bien sûr, parce que ce n’est pas du domaine interdit.
- Et d’après vous, nos élus... ?
- Vos élus actuels ? Madame, il n’y a pas de raison de leur faire un procès d’intention.
- Mais demain ? Dans vingt ans ? Dans trente ans ? Il y a des fous qui sortent des urnes ! » (Rires.)
Ne me regardez pas avec cette insistance, mes chers collègues ! (Nouveaux rires.)
« Et si, monsieur le sénateur, dans vingt ans, dans trente ans, ces élus réclament la compétence sociale ?
- On la leur déléguera, madame. »
Et patatras ! (Sourires.)
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il y a une faille dans le processus que l’on nous propose, mais il n’y en a pas dans le raisonnement de cette brave Martiniquaise. Elle a en effet compris toute la portée du principe de l’assimilation législative, consacré par la décision du Conseil constitutionnel du 2 décembre 1982, qui a d’ailleurs pu être rendue à la suite de l’intervention vigilante des sénateurs.
Le corollaire de ce principe, c’est l’égalité sociale, dont la mise en œuvre par le président François Mitterrand s’est poursuivie et a abouti, serais-je même tenté de dire, sous la présidence de Jacques Chirac.
Oui, mes chers amis, l’égalité sociale est un principe constitutionnel ; elle est inscrite au cœur de nos droits. Loin de moi l’idée de vous faire un procès d’intention, mais, en soutenant le passage au régime prévu par l’article 74 de la Constitution, vous ouvrez la possibilité de transférer ce droit constitutionnel à une loi organique.
Le domaine de la loi est, certes, le domaine du possible, mais c’est aussi, parfois, celui de l’impossible. Dans la démarche prônée – c’est tout le problème –, apparaît en filigrane la transformation d’un principe constitutionnel en un principe législatif. Pour notre part, nous faisons le pari inverse : pour ce qui est des droits fondamentaux, restons-en au principe constitutionnel de l’égalité sociale. Ce n’est pas une question de polémique, c’est une question de vérité.
La loi n’est pas faite pour ne durer qu’un an. Compte tenu de la conjoncture actuelle, marquée par la mondialisation, la crise économique et la montée en puissance des pays d’Asie, qui peut dire si, dans vingt, trente ou quarante ans, la Haute Assemblée ne répondra pas favorablement à une demande de délégation ? Nous ne pourrons alors que reconnaître notre responsabilité, celle d’avoir poussé le peuple dans la voie de l’erreur !
Par conséquent, le choix proposé, peu clair, est pour le moins risqué. En optant pour l’article 74 de la Constitution, on quitte le boulevard de l’égalité constitutionnelle pour emprunter le sentier sinueux et ô combien aventureux de l’égalité législative.
Telle est notre analyse.
Nous respectons les positions de chacun, mais nous entendons que l’on respecte les nôtres, car elles sont partagées par la quasi-totalité des populations que nous représentons.
En cet instant, je veux citer le garant de l’unité de la République.
Voici, sans déformer le moins du monde ses propos, ce qu’a déclaré en Martinique, le 26 juin dernier, le Président de la République : « [Plus] une collectivité deviendra autonome, moins l’État aura de prise sur les affaires qui la concernent et plus elle devra assumer. Plus une collectivité est autonome, plus elle doit s’assumer. » C’est l’évidence même !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Jean-Paul Virapoullé. Faute d’un projet de loi organique présenté concomitamment, le choix ne peut se faire d’une manière éclairée. Lors du référendum sur la Constitution européenne, le texte du traité était annexé. Il y a vraiment deux poids, deux mesures, et je ne comprends pas pourquoi. Je n’en fais pas grief au Gouvernement, car la demande n’émane pas de lui.
Je veux le dire, nous ne sommes pas des conservateurs. En 1971, la revendication de l’autonomie se justifiait par le besoin de sortir de l’immobilisme. Depuis, la situation a bien évolué : la décentralisation, mise en place par le gouvernement Mauroy en 1982, s’est poursuivie en 1984, puis en 2003.
Madame la ministre, mes chers collègues, la France de 2009 n’est plus la France de 1971 ! Des pans entiers de responsabilités ont été transférés de l’État vers les collectivités locales, qui rencontrent parfois des difficultés pour les assumer.
Si nous en voulons plus, que cela se fasse sur la voie de la sécurité et non du risque !
Nos territoires, situés dans des océans de misère, sont petits, fragiles, avec très peu de ressources. Grâce à la départementalisation, notre population a pu atteindre un niveau de développement, de scolarisation et de confort de vie tel qu’elle n’est pas prête à accepter le sous-développement des pays voisins, dans lesquels, malgré quelques pics de prospérité, la misère est profonde. Voilà pourquoi, en la matière, nous entendons offrir une autre voie.
Madame la ministre, je suis d’accord avec vous : le développement n’est pas seulement affaire de statut ; il est, d’abord, affaire de volonté populaire, et même de conscience populaire.
La Martinique et la Guyane sont adossées au premier marché touristique du monde, les États-Unis : à elles d’en conquérir quelques miettes ! Ces îles ne peuvent risquer d’en être déconnectées par une réduction de la desserte maritime.
À la Réunion, aussi, nous en prenons pour notre grade ! (Sourires.) C’est l’Île Maurice qui est le porte-avions de la région sur le plan touristique. Nous avons donc décidé de travailler en commun pour apprendre à bien accueillir les touristes et leur donner l’envie de revenir.
Il en est de même aux Antilles : il ne peut y avoir de développement du seul fait du pouvoir local.
Mes chers collègues, le débat sur l’outre-mer est trop souvent brouillé par les positions partisanes. Nous avons tout à gagner à agir autrement : je partage à cet égard le point de vue de Jean-Étienne Antoinette. J’étais député à l’époque du gouvernement de Michel Rocard : ce dernier doit s’en souvenir, j’ai voté à peu près tous les budgets qu’il a présentés, ainsi que de nombreux textes de loi.
Il faut parvenir à un consensus. La mission commune sénatoriale d’information sur la situation des départements d’outre-mer, qui a rendu son rapport récemment, a ouvert la voie. La réforme constitutionnelle, en consacrant, au travers de l’article 48 de la Constitution, le partage de l’ordre du jour, encourage le dépôt et l'examen de propositions de lois à partir du moment où les groupes en conviennent. Faisons donc une proposition de loi dans le domaine du développement économique.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il y a la LODÉOM !
M. Jean-Paul Virapoullé. Nonobstant la qualité de ce texte, mon cher collègue, c’était à l’origine un projet de loi. Si je vous sais gré, madame la ministre, d’œuvrer à la promulgation rapide des décrets d’application, la vie ne s’arrête pas avec la LODÉOM !
Il y a d’autres problèmes concrets, parmi lesquels je citerai le schéma minier en Guyane, que je ne connais pas précisément mais dont je sais qu’il est bien réel, ou encore la situation de la pêche en Martinique, où les quotas ne correspondent pas aux besoins. Quant à nous, nous rencontrons un certain nombre de difficultés dans divers domaines.
Pourquoi ne pas nous entendre pour trouver des solutions et les présenter à la représentation nationale ? Le coût de la vie pose problème ? Attelons-nous à la préparation d’une proposition de loi pour faire sauter ce verrou issu du statut d’ancienne colonie !
Cela suppose que nous nous libérions du carcan dans lequel nous sommes enfermés sur le plan économique et que nous fassions notre examen de conscience. Car nous avons aussi notre part de responsabilité dans le manque de développement. Trop souvent, les gens s’endorment. Or il faut beaucoup transpirer pour s’imposer sur les marchés désormais mondialisés !
Sachons aussi dépasser ce combat d’arrière-garde qui veut que droite et gauche s’affrontent sur tous les terrains. Notre intérêt, celui de la France, c’est d’avancer tous ensemble, sans esprit partisan, pour explorer les pistes qui existent – et elles ne sont ni de droite ni de gauche -, faire sauter les verrous et éradiquer les idées reçues, avec l’objectif de mettre en place un vrai modèle de développement.
Nous avons déjà des outils à notre disposition pour ce faire : l’article 73 de la Constitution, le traité de Lisbonne, la réforme constitutionnelle, le droit à l’expérimentation. Grâce à la volonté du chef de l’État, une cellule spécifique sera créée à Bruxelles en vue d’instruire nos demandes de dérogations.
Je vous invite donc à utiliser tous ces outils et si, demain, il nous en manque, nous en imaginerons d’autres. Mais, je vous en prie, ne prenons pas le chemin de l’aventure !
Tel est, madame la ministre, mes chers collègues, le conseil que je voulais donner à mes amis et à mes frères de la Martinique et de la Guyane. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)