M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Yves Détraigne. Un avoué, c’est quelqu’un qui a d’emblée choisi d’exercer cette profession et qui aurait pu, s’il l’avait voulu, s’installer comme avocat. Les avoués qui vont disparaître n’ont donc pas nécessairement tous vocation à devenir avocats.
De plus, il me semble que la profession d’avocat n’attend pas après eux. Rappelons qu’un nombre croissant d’avocats travaillent principalement en étant commis d’office et en étant rémunérés au tarif de l’aide juridictionnelle.
Je ne m’étendrai pas sur le fait que les avoués n’ont pas de clientèle propre et qu’ils n’ont aucune chance d’en acquérir d’ici au 1er janvier 2011, puisqu’ils vont devenir les concurrents directs de leurs principaux pourvoyeurs d’affaires.
Quatrièmement, sait-on ce qu’il adviendra des 1 650 salariés qui vont perdre leur emploi, alors que rien, dans la situation de leur « entreprise », ne le justifiait ? A priori, on l’ignore !
Certes, 380 emplois leur ont été réservés dans le budget du ministère de la justice, cela a été rappelé par les orateurs qui m’ont précédé.
Certes, quelques-uns ont d’ores et déjà quitté la profession et d’autres vont partir à la retraite. Mais, pour la grande majorité d’entre eux, il s’agit bien d’un licenciement, qui ne survient pas pour des raisons économiques ni à la suite de fautes qu’ils auraient commises. En réalité, il s’agit bel et bien d’un licenciement qui fait suite à une décision politique !
Dans la situation économique actuelle, où l’on craint plus une augmentation du chômage qu’une diminution, le moment paraît fort mal choisi. Même si l’avoué devient avocat, il sera obligé de licencier. En effet, un avocat n’a pas besoin du même nombre de collaborateurs qu’un avoué, les chiffres en attestent !
Cinquièmement, les conditions dans lesquelles les avoués seront indemnisés sont-elles correctes ? L’indemnité prévue est-elle juste et équitable ? Non !
Même si le débat qui s’est déroulé à l’Assemblée nationale a permis d’améliorer sensiblement l’indemnisation, il n’en reste pas moins vrai qu’elle correspond en réalité au simple rachat de l’étude, mais ne dédommage pas les préjudices subis. Heureusement, M. le rapporteur a, là aussi, bien travaillé.
Le groupe de l’Union centriste se réjouit donc de la manière dont M. le rapporteur de la commission des lois a examiné ce texte et des propositions qu’il fait. Si l’on peut considérer qu’il est, à terme, d’utilité publique de supprimer un échelon dans la procédure d’appel, comme cela a déjà été fait en 1971, il n’en est pas moins vrai que les conditions dans lesquelles s’effectue cette réforme ne sont pas correctes, notamment au regard des personnes touchées. Notre rapporteur s’est efforcé de remédier à une telle situation.
À titre personnel, je tiens à vous dire, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, que j’ai été frappé par la dignité et l’incompréhension des avoués que j’ai rencontrés. L’un d’eux m’a dit cette phrase : « Notre profession est morte d’invisibilité ». Je crains malheureusement que cette remarque ne reflète bel et bien une triste réalité : jusqu’à présent, les avoués faisaient leur métier – et la grande majorité d’entre eux très bien –, ils gagnaient plutôt bien leur vie, étaient de bons patrons pour leurs salariés et ne demandaient rien à personne, ne faisant pas parler d’eux… Peut-être auraient-ils dû ?
Madame le garde des sceaux, je crois que les avoués vivent très mal depuis la publication des préconisations de M. Attali ; je crois que leurs propositions visant à faire évoluer leur métier n’ont pas été entendues ni même écoutées ; je crois que leur invisibilité ne signifiait pas médiocrité ou insignifiance et que ni la justice ni le justiciable ne sortiront gagnants de cette suppression telle qu’elle a été prévue.
Nous nous félicitons donc des travaux de la commission des lois. Le texte qu’elle propose améliore les conditions d’indemnisation du personnel salarié et prévoit une indemnisation plus équitable des avoués. Soutenant l’action de M. le rapporteur, je vous proposerai toutefois, mes chers collègues, quelques amendements de précision et un amendement visant à prolonger d’une année supplémentaire la période transitoire, de telle sorte que les avoués et leurs personnels ainsi que la justice et les justiciables n’aient pas à regretter les conditions de mise en œuvre de cette décision politique. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste. – Mme Bernadette Dupont ainsi que MM. Jacques Mézard et Jean-Pierre Godefroy applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je dois dire qu’en écoutant le doyen Patrice Gélard j’ai failli renoncer à prendre la parole. M. le rapporteur a en effet expliqué avec beaucoup de force et de pertinence que les motifs de la réforme étaient inopérants, qu’il s’agisse de respecter le droit européen, de réaliser des économies ou de simplifier la procédure.
Il a ensuite démontré avec vigueur que les modalités de la réforme n’étaient pas satisfaisantes, tout du moins comme elles avaient été conçues dans le texte d’origine.
Au fond, je suis d’accord avec lui sur tous les sujets, ou presque… En effet, après une telle démonstration, il appelle à voter ce projet de loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois Amendé !
M. Alain Anziani. Il est vrai que la commission des lois a beaucoup travaillé, même si ce fut sans enthousiasme excessif – nous sommes quelques-uns à pouvoir en témoigner ! –, un peu comme s’il s’agissait d’honorer une commande de la Chancellerie.
D’ailleurs, nous sommes plusieurs, de différentes sensibilités politiques, à estimer, au vu de la situation actuelle de la France, que le Parlement avait sans doute des réformes plus urgentes à engager.
Finalement, qui réclame cette réforme ? Sans doute quelques avocats, peut-être aussi certains magistrats, peu nombreux selon moi. Quant aux justiciables, ils ignorent, pour la plupart, cette dualité de représentation devant la cour d’appel.
Le terme peut sembler excessif, mais cette réforme paraît essentiellement motivée par des considérations idéologiques. Elle trouve son origine dans la réflexion d’un homme qui, s’il a parfois des idées de génie, défend aussi, dans d’autres cas, des thèses sinon absurdes, du moins irréalistes. J’ai nommé Jacques Attali, dont la commission avait conclu à la nécessité de transformer la France en un grand pays libéral. Il était question de renoncer à l’exception française, de réaliser des économies, de réduire les privilèges et, finalement, de niveler la France selon le modèle américain.
Les propositions de Jacques Attali n’ont pas toutes rencontré le même succès que la réforme des collectivités territoriales. Mais celle qui nous intéresse aujourd’hui a été reprise par la commission Darrois, qui estima que cette fusion-absorption de la profession d’avoué était devenue absolument nécessaire, et même indiscutable dans son principe.
La modernisation de la procédure d’appel, loin d’être seulement une question technique, concerne aussi le fonctionnement de notre justice. Nous aurions peut-être pu envisager d’autres solutions que la mort des avoués. En tout cas, je ne pense pas qu’il faille enterrer vivants les avoués et leur personnel. Nous aurions sans doute dû avoir plus d’égards pour cette profession et ses salariés.
Regardons un peu le détail. Quel est le devenir des 434 avoués ? Ce texte prévoit de les jeter dans le monde de la concurrence, souvent féroce, des quelque 45 000 ou 50 000 avocats. Tout le reste n’est essentiellement qu’une fable.
Il est en effet illusoire de croire que les avocats vont recruter d’anciens avoués, et ce pour une raison simple : ils ne sont pas totalement ignorants de la procédure, loin de là, puisqu’ils la suivent déjà devant les tribunaux de grande instance, et qu’ils y participent devant les cours d’appel.
Il n’est certes pas impossible qu’un cabinet d’avocats recrute un avoué, mais il se heurtera rapidement aux réalités économiques de la profession. Les anciens avoués pourront, quant à eux, s’installer comme avocats, mais il faudra de longues années avant qu’un avoué puisse se constituer une clientèle lui permettant d’atteindre un équilibre financier.
Venons-en à l’indemnisation. Au nom des avoués, je vous remercie des propos que vous avez tenus, madame la garde des sceaux. Il est vrai que, dans le texte initial présenté par votre prédécesseur, indemnisation rimait avec spoliation. Rien ne justifiait que l’indemnité soit limitée à 66 % de la valeur de l’office. Pourquoi pas 50 % ou 80 % ? On est passé à 92 %, puis à 100 %. Nous vous en savons gré, madame la garde des sceaux.
Il me semble toutefois que cette indemnisation reste insuffisante, notamment pour les jeunes avoués, qui ne détiennent généralement que des parts minimes dans le capital des offices.
J’attire aussi votre attention sur un point de droit : le mode d’indemnisation aujourd’hui retenu ne va-t-il pas exposer la France à la censure de la Cour européenne des droits de l’homme ? En effet, depuis les arrêts Lallement de 2002 et 2003, que M. Gélard cite dans son rapport, la Cour a analysé des cas similaires comme constituant une perte de l’outil de travail, qui nécessite une indemnisation spécifique devant être calculée sur la base du revenu perdu sur plusieurs années. Si le mode de calcul retenu devait exposer la France à une condamnation par la Cour européenne, l’image de notre pays en pâtirait inévitablement.
La proposition de la commission des lois me semble opportune, et je regrette que vous vous y opposiez, madame la garde des sceaux. Il paraît en effet assez naturel de confier l’indemnisation de l’ensemble des préjudices des avoués à un juge, qui statuerait au terme d’une procédure contentieuse contradictoire. Puisqu’il s’agit de l’outil de travail et d’un élément de propriété, la proposition de la commission de confier la décision au juge de l’expropriation devrait recueillir notre assentiment.
Si nous soutenons cette mesure, nous nous devons également de préciser que le juge accordera sans doute une indemnisation assez nettement supérieure à celle que prévoit actuellement la Chancellerie. Se pose donc la question de savoir qui va payer. Ce sera le justiciable, donc le contribuable.
Après avoir posé la question de l’avenir des avoués, permettez-moi de poser celle de l’avenir des 1 650 salariés de leurs études.
Nous connaissions jusqu’à présent le licenciement pour faute ou pour motif économique ; nous nous trouvons là en présence d’un licenciement du fait de la loi. L’État et le Gouvernement ont donc une responsabilité tout à fait particulière qui justifie l’adoption de mesures dérogatoires au droit commun.
Qu’avons-nous prévu en termes de reclassement des salariés ? La plupart d’entre eux retrouveront difficilement un emploi dans la situation sociale actuelle. Leur moyenne d’âge atteint quarante-trois ans. Pour 90 %, il s’agit de femmes. Pour 55 %, leur niveau de qualification est inférieur ou égal au bac. Enfin, près de la moitié de ces personnes n’ont jamais exercé une autre profession. Il est malheureusement assez facile de prédire le résultat des recherches menées par un tel profil sur le marché du travail…
Là encore, ne racontons pas de fables, et ne spéculons pas sur des embauches par les cabinets d’avocats. Nous savons tous qu’elles seront marginales, et qu’elles ne rempliront pas l’objectif fixé, pour la simple raison que les avoués comptent en moyenne cinq fois plus de salariés que les cabinets d’avocats. Ces derniers ne vont évidemment pas modifier leur modèle économique pour absorber le personnel des études d’avoués.
Je remercie également la commission d’avoir accepté les deux amendements du groupe socialiste visant à permettre aux salariés recrutés par un cabinet d’avocat de conserver les avantages acquis chez leur ancien employeur, sur la base de leur convention collective, et de bénéficier de leurs cotisations au sein de la caisse de retraite du personnel des avocats.
Vous avez par ailleurs annoncé une voie d’intégration dans le personnel des greffes. Nous nous félicitons évidemment de cet effort de l’État. Néanmoins, les 380 postes prévus risquent d’être insuffisants, d’autant que les deux tiers correspondront à des emplois de catégorie C. Or tous les emplois occupés dans les études d’avoués ne relèvent pas nécessairement de cette catégorie. En définitive, la moitié des salariés n’auront aucune perspective d’emploi au moment de leur licenciement.
Sur la question de l’indemnisation, la commission a bien travaillé, en fixant, de façon dérogatoire, son montant à un mois de salaire par année d’ancienneté dans l’étude d’avoués. Nous sommes pour notre part limités par l’article 40 de la Constitution, qui nous interdit de faire des propositions en la matière, mais je pense que vous pourriez, madame la garde des sceaux, envisager de mettre en place un système de préretraite pour les salariés de plus de cinquante ans, ou de créer d’autres types de compensations temporaires pour ceux qui connaîtront une baisse de rémunération dans leur nouvel emploi. Des possibilités existent, comme la prime de reconversion.
En ce qui concerne le coût de la procédure, je voudrais, là aussi, remercier M. Gélard. Les émoluments d’un avoué par affaire s’élèvent aujourd’hui à 981 euros, selon l’étude d’impact fournie par la Chancellerie, et à 500 ou 600 euros, selon la Chambre nationale des avoués. En ce qui concerne le coût de la nouvelle procédure, le Conseil national des barreaux a proposé un forfait de postulation d’un montant de 800 euros, assorti d’une majoration par incident de procédure.
De surcroît, il faut ajouter à ces frais le coût du financement du fonds d’indemnisation des avoués et de leur personnel. Les justiciables devront acquitter une taxe destinée à l’alimenter, dont le montant a été fixé à 330 euros par l’article 28 de la loi de finances rectificatives pour 2009. Même si, à l’issue du débat à l’Assemblée nationale, il a été décidé que la charge de cette taxe incombera pour moitié à l’appelant et pour moitié à l’intimé, le montant global de celle-ci n’est pas modifié.
Avouez, monsieur Gélard, qu’il est quand même étrange d’arrêter le montant de la taxe destinée à financer le fonds d’indemnisation dans la loi de finances rectificative pour 2009, avant même d’avoir commencé l’examen du projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel.
Monsieur le rapporteur, avec votre finesse habituelle – oralement, vous êtes plus abrupt – vous indiquez dans votre rapport écrit : « Il n’est pas certain que le justiciable ait à supporter finalement des dépenses plus faibles dans le cadre d’une procédure d’appel sans recours à un avoué. »
Je m’exprimerai plus brutalement : oui, la réforme coûtera plus cher au justiciable que le système actuel, à savoir 150 euros de plus pendant dix ans au moins, ce qui est totalement absurde. Peut-être faudra-t-il ultérieurement en réajuster le coût.
J’en viens maintenant aux conséquences de la réforme pour les procédures d’appel.
Selon l’étude d’impact, le nombre d’appels en matière civile devrait augmenter de 15 %. Je ne sais pas très bien comment a été obtenu ce chiffre, mais acceptons-le. Ainsi, cette réforme accroîtra le travail des greffes. Qu’avez-vous prévu pour que ceux-ci puissent absorber ces 20 000 affaires annuelles supplémentaires ?
Ensuite, cette réforme va intervenir au moment où les actes de procédure seront dématérialisés. Je suis favorable à cette dématérialisation, à la condition qu’elle soit efficace. Les greffes et les cabinets d’avocats disposent-ils des moyens informatiques compatibles entre eux ? Je n’en suis pas sûr. Dès lors, comment cette dématérialisation pourra-t-elle être mise en œuvre dès le 1er janvier 2011 ?
Dans cette attente, les greffes, au lieu de devoir travailler avec 434 avoués, vont devoir œuvrer avec 50 000 avocats.
Toutes ces raisons justifient de reporter la date d’entrée en vigueur de cette réforme, laquelle n’est pas réaliste.
S’agissant de la période de transition, je n’y suis pas favorable, contrairement à certains de nos collègues, et ce pour une raison simple : cette période sera source de confusion. D’ailleurs, j’ai noté qu’un certain nombre d’organisations syndicales de salariés n’y sont pas favorables. Évidemment, les uns, dans une sorte de réflexe de survie, essaieront de prendre des clients aux cabinets d’avocats pendant cette période où ils seront à la fois avoués et avocats, et les autres, les cabinets d’avocats, par instinct de conservation, multiplieront les litiges avec ceux qui les rejoindront demain. C’est organiser le désordre, ce qui n’est pas une bonne solution.
Afin d’éviter une telle situation, il existe une méthode simple : ne pas voter ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, nous voici réunis, la semaine de Noël, pour fêter non pas un avènement, mais le décès de la profession d’avoué. Ce choix des heures de toute fin d’année est-il innocent ? S’agit-il d’enterrer les avoués comme on enterrait les comédiens sous l’Ancien Régime ? (Sourires.)
À la fin du mois de juillet, nous avons voté la loi sur le travail dominical. Devons-nous nous inquiéter de ces lois de fin de session ? Prenons garde que ces lois de pré-vacances ne se conjuguent avec vacance de la démocratie !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jacques Mézard. La semaine d’initiative parlementaire a bon dos !
M. Jacques Mézard. Madame la ministre d’État, je ne pense pas faire preuve d’excès ; j’essaie simplement, avec mesure, de me faire l’écho des inquiétudes d’un certain nombre d’entre nous.
Vous avez hérité de ce projet de loi. Or, devant toute succession, il existe trois solutions de droit : l’acceptation, l’acceptation sous bénéfice d’inventaire et la renonciation. (Sourires.)
M. Jacques Mézard. La troisième formule aurait notre préférence, mais il semble que vous ayez choisi la deuxième, et c’est déjà un progrès notable par rapport au projet initial, provocateur, excessif, lui, et, pourquoi ne pas le dire, méprisant à l’égard de toute une profession, les avoués, et de l’ensemble de leur personnel, de ces 1 850 salariés d’entreprises en bonne santé, privés d’emploi en pleine crise par le fait du prince. Est-ce bien le moment ?
Vous avez, madame la ministre d’État, su faire preuve de votre compétence et de votre sens de l’humain pour améliorer un texte initialement inacceptable. Saluons, de la même manière, le travail de M. le président et de M. le rapporteur de la commission, travail sur lequel je reviendrai.
J’ai collaboré, pendant trente-sept ans, avec des avoués. Je puis témoigner de leur utilité. Les avoués méritent-ils un tel opprobre ? Méritent-ils d’être considérés comme une profession coûteuse et inefficace pour le justiciable, inutile pour le service de la justice ? Méritent-ils de ne plus être défendus par une large majorité de leurs partenaires de toujours, les avocats, gourmands de leurs dépouilles ? Méritent-ils l’indifférence finale de la magistrature, dont ils furent les auxiliaires dévoués durant des siècles ?
Ce soir, s’il est une voix pour dire que nombre d’entre eux n’ont pas mérité une telle fin, ce sera la mienne. Je note d’ailleurs que les orateurs qui se sont exprimés jusqu’à présent dans cette discussion générale soulignent le caractère négatif de ce projet de loi.
Les avoués, pour la plupart d’entre eux, ont acquis leur charge par leur travail, conseillé utilement correspondants et clients, rendu la procédure d’appel plus sûre, limité le nombre des appels en écartant au maximum ceux qui étaient infondés.
Cela ne veut pas dire que tout fut parfait : la signature automatique des conclusions d’avocat n’était point une singularité et les procédures sans avoué sur appel des jugements prud’homaux, des tribunaux des affaires de sécurité sociale ou des tribunaux paritaires des baux ruraux ont trouvé un certain équilibre, à défaut de démontrer leur excellence.
Mais pourquoi une telle précipitation ? Dans quel but ? Pour l’accélération de la procédure ? Pour permettre à l’État de réaliser des économies, alors que, bien au contraire, il y perdra des recettes fiscales ? Pour réduire les frais dont doit s’acquitter le justiciable, ce qui est très discutable ? Est-ce une friandise pour le Conseil national des barreaux ? S’agit-il de la réalisation phare découlant du rapport Attali, intitulée « décision 213 », à savoir seize lignes péremptoires, avec une motivation approximative ? Une graine du rapport Attali aurait donc germé sur le terreau des défunts avoués !
J’attends avec impatience la concrétisation des autres propositions du rapport Attali, en particulier l’ouverture des professions réglementées, la suppression du numerus clausus, la large ouverture des activités de notaire avec l’accroissement massif des offices notariaux et d’huissiers de justice, la suppression des greffes des tribunaux de commerce, le comité pour une meilleure gouvernance, les réformes concernant les taxis, les coiffeurs ; j’en passe, et des meilleures.
M. Jacques Mézard. L’évolution du droit et de la justice est inhérente à leur définition et donc indispensable pour s’adapter à la marche de la société. Cela demande une ligne directrice, que vous saurez certainement leur donner, et non un salmigondis de lois souvent médiatiques ou l’introduction asynchrone de morceaux des rapports Darrois, Guinchard, Léger et autres.
Accumulation de lois dites « sécuritaires », création de juges de proximité suivie de la disparition rapide d’une partie des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance au mépris de la proximité, création du pôle d’instruction suivie d’un amendement du Gouvernement, au printemps, bloquant cette réforme… La liste est longue, et on peut y ajouter les lois de simplification et de clarification, voitures balais de la prolifération législative dont le dossier de la scientologie a montré les failles dans le balayage, lequel sera, n’en doutons pas, amélioré par le travail d’un cabinet de conseil à la compétence coûteuse !
Interrogeons-nous plus avant sur les raisons de cette suppression brutale des avoués. Je dis bien « brutale », puisqu’on a même délivré des diplômes à de jeunes avoués cette année. Ces diplômes pourront concourir au prix du cynisme !
Les raisons invoquées sont multiples.
Accélération de la procédure ? C’est inexact, car l’étude d’impact note que le nombre des appels augmentera d’au moins 15 %, tandis que les effectifs des magistrats et des personnels des cours d’appel resteront constants. Aussi, les dossiers ne seront pas traités plus rapidement.
Selon M. le rapporteur lui-même, la transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur ne constitue pas, elle non plus, une raison valable : cette directive entraînait une réforme et non une suppression ; vous l’avez d’ailleurs noté devant la commission, madame la ministre d’État.
Simplifier la procédure pour le justiciable, qui pourra s’adresser à un professionnel unique ? C’était déjà le cas dans l’immense majorité des dossiers, le justiciable s’adressant à l’avocat qui correspondait avec l’avoué. Je suis favorable à la dématérialisation de la procédure d’appel, mais, jusqu’à présent, on ne pouvait pas dire que cette procédure était très compliquée.
La réduction du coût de la justice d’appel ? M. le rapporteur considère avec sagesse que ce motif est « discutable », en raison notamment de la taxe de 330 euros. Surtout, soyons réalistes : à moins d’imaginer que le travail de l’avoué était inexistant ou ne servait à rien, il est original d’envisager que le cumul du travail de deux professionnels par un seul réduira sensiblement les coûts.
Quant à l’argument selon lequel la concurrence entre les avocats fera baisser le coût, il est dangereux, et en premier lieu pour le justiciable : comment imaginer valoriser la qualité en spéculant sur la concurrence entre une majorité d’avocats impécunieux ?
À ce moment, madame la ministre d’État, je me dois de renouveler mon interpellation sur le problème fondamental de l’aide juridictionnelle dans la procédure d’appel, problème occulté par vos prédécesseurs de toutes sensibilités. Il s’agit là de la défense du justiciable démuni, défense d’autant plus difficile à organiser lorsque le siège de la cour d’appel est à quatre ou cinq heures de trajet aller et retour de son domicile ou de celui de son conseil.
Il existait une indemnité d’aide juridictionnelle ridicule de quatorze unités de valeur pour chacun des professionnels : allez-vous les cumuler, les réévaluer ? Il y va de la lutte contre les déserts judiciaires, de l’équilibre des petits et moyens barreaux et, surtout, de la possibilité pour le justiciable sans moyens d’avoir un conseil efficace de proximité.
Autre raison invoquée pour l’urgence : la concomitance avec la dématérialisation de la procédure d’appel et la mise en œuvre du rapport Magendie et du futur article 130-2 du code de procédure civile prévoyant, à peine d’irrecevabilité d’office, l’obligation de transmettre à la cour, par voie électronique, les actes de procédure pour le 1er janvier 2011. Or Paris n’est pas toute la France et M. le rapporteur, là encore avec réalisme, a souligné qu’il était improbable que les vingt-huit cours et les cinquante mille avocats soient prêts pour 2011.
Si la marche forcée ne réussit pas, les conséquences ne paraissent pas avoir été justement mesurées.
Nous sommes de ceux qui considèrent que l’évolution de la procédure d’appel était inéluctable et nécessaire, mais dans le cadre d’une approche complète englobant les questions de la dématérialisation, de la fusion, de la spécialisation, la question d’un véritable tarif répétible, donc de la postulation, dont la suppression brutale aujourd’hui aurait pour conséquence de bouleverser encore davantage l’existence des barreaux et celle d’un service du droit en dehors des métropoles régionales.
M. le rapporteur a titré : « une réforme aux modalités discutées. ». C’est le moins que l’on puisse dire, et je tiens de nouveau à saluer le travail du doyen Patrice Gélard, son rapport d’une indépendance d’esprit remarquable, où la technique juridique est au service du sens de l’humain.
Nous n’approuvons pas le projet du Gouvernement. Mais au cas où la suppression serait votée, nous considérons que la commission sénatoriale a abouti à des propositions beaucoup plus équitables, qui ne relèvent plus de la spoliation et du mépris, à supposer que la navette ne réduise pas à néant les efforts de la commission.
Tout d’abord, pour les 1 850 salariés, personnels compétents, bénéficiant de justes rémunérations, et pour lesquels on se demande comment l’État a pu imaginer de les maltraiter à ce point, l’indemnité de licenciement à hauteur d’un mois de salaire par année d’ancienneté est indispensable.
De la même manière, le versement direct par le Fonds d’indemnisation des indemnités de licenciement n’est que justice, ainsi que la mise en place d’une indemnité exceptionnelle de reconversion.
En ce qui concerne l’indemnisation des avoués, la commission a une fois encore fait preuve de sagacité, s’appuyant sur la jurisprudence européenne pour confier au juge de l’expropriation la fixation de l’indemnité qui devra englober l’ensemble des préjudices découlant de la perte de l’outil de travail, la réparation de tout préjudice, y compris futur et certain. Il en est de même pour l’article 13 exonérant les plus-values de toute imposition.
C’est le seul moyen d’assurer une indemnisation équitable, surtout à l’égard des avoués les plus jeunes, de ceux que l’on a laissé s’engager sans avertissement dans cette voie sans issue.
Quant à la période transitoire, nous considérons qu’elle doit être prolongée. Les difficultés qui viennent d’être relevées justifient cette prolongation et, in fine, l’équilibre des caisses de retraite n’est pas le moindre des problèmes subsistant.
Le président Jean-Jacques Hyest a conclu l’examen en commission de ce texte en indiquant que « la réforme devait être guidée avant tout par l’intérêt général et par le souci du justiciable, [...] que la justice ne devait pas être considérée comme un marché », et en rappelant la crise d’identité que traverse la profession d’avocat. C’est juste ! J’ajouterai que l’intérêt général, celui du justiciable, c’est l’existence de professionnels compétents, disposant de revenus du travail assurant leur indépendance financière, leur liberté au service de la défense du droit et du citoyen.
Je ne crois pas que cette loi de suppression aille réellement dans ce sens. En tout cas, s’il existe une majorité pour décider de la mort de la profession d’avoué, faites en sorte que cela se passe dans la dignité. Ce n’était point le cas du texte initial. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)