Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, élue du Val-d’Oise, je suis entourée de personnes qui empruntent quotidiennement le RER A pour venir travailler à Paris. S’il est vrai que la récente grève leur a posé bien des problèmes, leur exaspération avait cependant aussi d’autres sources.
En effet, ce n’est pas l’exigence d’un service minimum en cas de grève qui les préoccupait, mais la médiocre qualité du service au quotidien. Aujourd’hui, les désagréments et les retards les plus courants subis par les usagers sont dus non pas à des grèves, mais à des dysfonctionnements techniques, à des suppressions de trains, à des matériels à bout de souffle et à des infrastructures surchargées. C’est le sous-investissement dans l’entretien des réseaux et du matériel qui pose problème.
La question de fond n’a donc rien à voir avec l’instauration d’un service minimum, mais a trait aux moyens dégagés par l’État et les entreprises de transport pour faire fonctionner dans de bonnes conditions les transports publics terrestres de voyageurs. Ce sont une fois de plus les priorités budgétaires du Gouvernement qui sont au cœur du problème.
Faute d’investissements de l’État depuis des années, la région a hérité en 2006 d’un réseau arrivé à saturation et incapable de répondre à la demande croissante. Elle a donc lancé un programme de renouvellement des matériels et d’ouverture, de renforcement ou de prolongation de nouvelles lignes, qu’elle assume seule, sans aucun soutien de l’État. Le Gouvernement a ainsi refusé, en 2006, d’aider la région à renouveler le matériel roulant afin de lui transférer un outil sain, son objectif se réduisant à se débarrasser de charges lourdes et de problèmes de gestion à court terme.
Dans le même ordre d’idées, rappelons que l’État n’a pas tenu les engagements du contrat signé avec la région, bloquant ainsi plusieurs projets en matière de transports.
Rappelons également que l’État a refusé de s’associer à la réalisation du plan de modernisation des transports en Île-de-France, alors que lui était demandé non pas un financement supplémentaire, mais l’attribution de ressources nouvelles telles que l’augmentation du versement transport, taxe payée par les entreprises, le reversement du FARIF, le Fonds d’aménagement de la région Île-de-France, ou le produit de la taxation des plus-values foncières ou immobilières.
Rappelons encore que la décision du Gouvernement de transférer à la RATP l’intégralité du patrimoine du STIF laisse ce dernier sans aucun actif, donc sans patrimoine propre lui permettant d’emprunter : c’est là un vrai coup porté à la capacité d’investir pour l’avenir !
Pendant que la région lutte pour faire face aux besoins du présent et anticiper l’avenir, l’État se lance dans des projets pharaoniques : la réalisation de la ligne de métro prévue dans le cadre du Grand Paris coûtera 21 milliards d’euros au contribuable. Une telle somme permettrait de résoudre les problèmes actuels du transport ferroviaire en Île-de-France et de financer de nouveaux projets. Mais le Gouvernement exclut les collectivités locales et les usagers du choix du tracé, privilégie un aménagement qui ne répond en rien aux besoins quotidiens des usagers actuels et met en place un système de transport à deux vitesses : d’un côté, un réseau existant qui, faute de moyens, continue de se dégrader ; de l’autre, un TGV urbain destiné à une clientèle de privilégiés.
Cerise sur le gâteau, ces 21 milliards d’euros ne sont bien sûr pas financés. Les collectivités locales devront donc prendre une grande part de cette somme à leur charge. L’État refuse de les associer à la prise des décisions, mais n’a aucun scrupule à siphonner leurs moyens…
On le voit bien, réduire la problématique des transports à la seule question de la mise en place d’un service minimum relève de l’imposture. Le débat sur le service minimum vise surtout à susciter la polémique sur l’exercice du droit de grève pour mieux éviter tout débat sur l’organisation du transport ferroviaire en Île-de-France.
En outre, la notion de service minimum, lequel se réduit dans les faits à un service restreint, permet surtout aux entreprises de transport, en l’occurrence la RATP et la SNCF, de s’exonérer de tout remboursement de titres de transport ou réduction de tarifs pour service non rendu. Voilà pourquoi, malgré la demande insistante de M. Jean-Paul Huchon, président de la région d’Île-de-France, aucune modification tarifaire prenant en compte la gêne considérable subie par les usagers n’est intervenue après la grève du RER A.
C’est là encourager l’entreprise à l’irresponsabilité. On peut même se demander si cette irresponsabilité organisée de l’entreprise ne sert pas des manœuvres politiciennes. À l’heure où les élections régionales se profilent, pouvoir critiquer la gestion de la crise par le président de la région représente une aubaine pour les ministres candidats, alors que, comme l’écrit dans son rapport de février 2009 le député UMP Hervé Mariton, « la vitalité du dialogue social est à l’évidence du ressort du management de la SNCF ». On ne saurait être plus clair ! C’est également la précision qu’ont voulu apporter l’ensemble des présidents de région au moment de l’instauration du service dit minimum : « La gestion du service de transport relève des entreprises de transport, de même que ces entreprises sont seules responsables du dialogue social avec leurs salariés. »
Rendre les élus responsables des conséquences fâcheuses, pour les usagers, du mauvais climat social susceptible de régner dans des entreprises de transport sans leur donner le pouvoir d’intervenir dans leur management est une aberration. La contrepartie de la liberté d’action de l’entreprise doit être sa responsabilité. À ce titre, la grève de décembre du RER A constitue un parfait contre-exemple.
Les critiques des ministres candidats aux élections régionales sont donc injustes. Elles témoignent au mieux de leur ignorance des sujets sur lesquels ils s’expriment, au pire d’une criante malhonnêteté intellectuelle, à moins que les deux ne se conjuguent dans un électoralisme que je m’abstiendrai de qualifier.
Cette mise en cause est d’autant plus dérisoire que l’instauration d’un véritable service minimum vise à assurer un fonctionnement quasiment normal des transports aux heures de pointe dans les grandes agglomérations. Or, pour que cela soit possible, il est nécessaire que de 70 % à 75 % des agents soient présents, autrement dit que la grève soit un échec ! Dans ce cas, le problème ne se pose plus, puisque le service est de fait assuré…
Une fois de plus, la loi et le discours sur le « service minimum » ne sont qu’incantations inopérantes. Outre les difficultés rencontrées, les usagers ont le sentiment détestable d’avoir été manipulés par un gouvernement qui leur « vend » des engagements qu’il sait pertinemment ne pas pouvoir tenir.
Pour ne pas avoir à assumer les effets désastreux de lois inefficaces et impossibles à mettre en œuvre, la droite se met en quête de boucs émissaires : ce seront les collectivités territoriales, en tant qu’autorités organisatrices de transport, alors même qu’elles n’ont pas la maîtrise de la situation, l’issue finale dépendant du nombre de grévistes au sein de l’entreprise de transport. Sauf à donner aux collectivités locales l’autorité directe sur ces entreprises, les ministres candidats et leur coach présidentiel devraient donc, par respect pour les usagers, cesser d’instrumentaliser des situations douloureuses pour servir des causes douteuses.
Tel est également l’avis du Bureau international du travail, le BIT, qui a déclaré la loi non conforme à la convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Selon le BIT, « la fixation d’un service minimum négocié devrait être limitée aux opérations strictement nécessaires pour que la satisfaction des besoins de base de la population ou des exigences minima du service soit assurée, car elle limite l’un des moyens de pression essentiels dont disposent les travailleurs pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux ».
Le BIT souligne en outre que les organisations de travailleurs devaient pouvoir, si elles le souhaitent, participer à la définition de ce service minimum, comme les employeurs et les pouvoirs publics. En conséquence, il a demandé au Gouvernement français d’amender la loi en ce sens.
Cependant, cette loi n’ayant vocation qu’à susciter un « buzz », et non à instaurer un véritable dialogue au sein de l’entreprise ou entre celle-ci et les usagers, gageons que les recommandations du BIT n’intégreront pas rapidement la liste des urgences gouvernementales…
Aujourd’hui, bien que la grève du RER A soit terminée, les désagréments continuent pour les usagers : temps de déplacement allongés, retards et suppressions de trains, pannes… Il est encore risqué, pour un usager soucieux d’arriver à l’heure à son travail, de ne pas prévoir une marge de trente à quarante-cinq minutes pour un trajet de trois heures aller-retour. Les problèmes de fond, tenant aux infrastructures, aux équipements, aux conditions de travail, de salaires ou de sécurité, à la qualité du management et surtout à l’ouverture à la concurrence dans un contexte libéral, subsistent.
Dans ces conditions, le service minimum n’est qu’un rideau de fumée. Il vise à faire croire que les difficultés rencontrées par les usagers sont le fait de salariés irresponsables et privilégiés. Il permet surtout au Gouvernement et à l’entreprise de s’exonérer de leurs responsabilités et de ne pas agir pour améliorer l’état du réseau, son entretien et sa sécurité.
Le groupe socialiste n’est pas dupe de telles manœuvres, mais il est probable qu’aucun de vous ne l’est, mes chers collègues… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, peu de temps après la dernière élection présidentielle, le Parlement a adopté la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. L’objectif était double : d’une part, prévenir le plus efficacement possible les conflits sociaux dans les transports terrestres et ferroviaires, par le dialogue social ; d’autre part, garantir, en cas de grève, un service réduit mais connu des usagers à l’avance et répondant à leurs besoins prioritaires.
Il s’agissait de trouver un équilibre entre plusieurs principes, dont ceux de la liberté d’aller et venir, de l’accès aux services publics et du respect du droit de grève. Ce texte a vocation à permettre que l’exercice du droit élémentaire de contester les conditions de travail ne porte pas atteinte au droit de nos concitoyens de pouvoir circuler librement, sans entrave majeure. Pour cela, il vise à assurer la continuité du service public, essentielle pour les déplacements quotidiens.
Aujourd’hui, l’heure du bilan est venue, monsieur le secrétaire d’État. Selon l’ensemble des entreprises concernées, notamment la SNCF et la RATP, la loi a eu un effet plutôt positif sur le dialogue social. Elle a en premier lieu renforcé les acquis des accords préalablement conclus entre les partenaires sociaux au sein des deux entreprises. En second lieu, elle a eu une incidence globalement positive sur le service rendu aux usagers. À cet égard, permettez-moi de souligner, monsieur le secrétaire d’État, que le service est paradoxalement parfois mieux assuré, pour certaines interconnexions de la région parisienne, en période de grève, les trains de réserve étant à l’heure, qu’en période normale, où les horaires indiqués sont de moins en moins souvent respectés !
Le nombre de journées perdues à la SNCF pour raison de grève est le plus bas depuis quatre ans. À la RATP, en 2008, sur 3 051 agents tenus de faire part de leur intention de faire grève, seuls 63 n’ont pas respecté la loi. Ces données sont encourageantes, mais il ne faudrait pas sous-estimer les différences entre collectivités et, plus largement, entre territoires en matière d’application de la loi.
Que le bilan soit globalement positif, selon la formule consacrée, ne signifie pas que tout aille bien : certaines limites de la loi sont inhérentes au droit de grève, droit garanti par notre Constitution et qu’il ne s’agit en aucun cas, bien entendu, de remettre en cause. Ainsi, en cas de grève massive d’une catégorie de personnel, aucun service ne peut être assuré, sauf à avoir recours au droit de réquisition, ce qui n’entre pas dans les prérogatives dévolues aux pouvoirs publics par la loi de 2007.
En outre, la loi ne prévoit aucun dispositif en cas de grève illégale. Elle n’a pas non plus pour objet de régler les problèmes liés à une insuffisance des investissements, dont on sait, monsieur le secrétaire d’État, qu’elle est la principale cause de la vétusté des infrastructures et du matériel roulant. Du fait de cette insuffisance, des voyageurs se trouvent soumis aux caprices du temps : nos matériels ne résistent pas au froid en hiver, à la canicule en été… Chaque saison est marquée par des retards, voire des interruptions du trafic.
Ce débat met bien en évidence, au-delà des questions d’organisation et de fonctionnement, le problème récurrent de la capacité des entreprises publiques à financer l’investissement et l’innovation. Ce problème relève aussi en partie de la responsabilité de l’État. À cet égard, je tiens à souligner que si le service des TER, les trains express régionaux, ou du Transilien en Île-de-France est perturbé, ralenti, voire arrêté sur certaines lignes, c’est le plus souvent en raison de l’état du réseau. L’audit réalisé en 2005 avait ainsi révélé que 500 millions d’euros supplémentaires par an étaient nécessaires pour le régénérer.
Or les collectivités territoriales, qui financent, il faut le rappeler, le réseau à hauteur de 80 %, sont déjà très largement mises à contribution pour développer un service de transport de qualité. Aujourd’hui, les régions sont même amenées à se substituer à l’État pour l’entretien du réseau ferré national. À cet égard, je souligne que la région Midi-Pyrénées n’est pas en reste ; elle est même en pointe.
Enfin, se pose aussi la question des détournements de la loi, notamment par le biais des grèves de courte durée. Celles-ci ne cessent de se multiplier – nous l’avons vu à propos d’événements récemment survenus gare Saint-Lazare – et rendent difficile, voire impossible, toute prévision en matière de trafic lorsqu’elles alternent avec des grèves de vingt-quatre heures.
Élaborer une nouvelle loi pour améliorer les dispositions adoptées en 2007 ne me paraît pas être la meilleure solution. Le dialogue entre les parties, qui a déjà porté des fruits, doit être poursuivi.
Monsieur le secrétaire d’État, si vous êtes attaché comme moi à la continuité du service public de transport collectif, il est urgent que vous donniez aux entreprises publiques les moyens financiers de régénérer les réseaux ferrés et de mettre à la disposition des voyageurs des équipements en bon état de fonctionnement. Cela évitera bien des perturbations, la plupart d’entre elles étant, je le répète, liées à l’obsolescence des voies et des matériels.
Depuis vingt ans, la société française a beaucoup évolué. Dans une mesure de plus en plus large, les usagers des services publics de transport sont devenus des clients, qui attendent la même qualité de service que celle qu’ils exigent des entreprises privées. Finançant ces services par l’impôt, ils n’en sont que plus exigeants. Les sentiments de dépendance et d’incertitude que suscitent les incidents et une mauvaise information entraînent des critiques souvent vives à l’encontre des entreprises de transport publiques.
Enfin, compte tenu du rôle majeur confié aux autorités organisatrices de transport, c'est-à-dire aux collectivités locales, les décisions doivent être prises au plus près des citoyens et sous leur contrôle. Un dialogue plus franc doit être entamé avec les organisations syndicales, qui comprennent, me semble-t-il, la nécessité de participer aux transformations de la société. Dans le secteur des transports, je ne doute pas que cela renforcera leur représentativité, les salariés concernés étant également des citoyens et des usagers des services publics.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout débat sur le service minimum dans les transports qui opposerait les salariés aux usagers serait voué à l’échec. Il est aujourd’hui évident que la loi sur le service minimum dans ce secteur ne règle pas tous les problèmes, tant s’en faut. Aussi me paraît-il indispensable, avant même de reprendre ce chantier et de revoir le dispositif en vigueur, de faire preuve de sagesse et de mesure. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Deux excellentes citations ouvriront mon propos.
La première est de vous, monsieur le secrétaire d’État : à l’occasion de l’une des grèves les plus suivies que nous ayons connues ces derniers temps dans le secteur des transports, vous avez déclaré qu’ « il y a en effet un problème, c’est que la loi sur le service minimum ne fonctionne pas lorsque tout le monde est en grève ». Votre collègue Éric Woerth, ministre chargé du budget, mais aussi de la fonction publique, a quant à lui tenu les propos suivants : « Le service minimum a très bien fonctionné jusqu’à présent, notamment à la SNCF. Maintenant, quand il y a un conflit de cette nature et quand tous les conducteurs sont en grève, il est difficile de l’appliquer car il n’y a pas de réquisition. » Tout est dit !
Mme Procaccia a très bien expliqué l’objet de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. Il s’agit non pas d’un texte sur le service minimum, dont nous étions quatre-vingts sénateurs à demander l’instauration, malgré l’opposition du gouvernement de l’époque, clairement exprimée par M. Bertrand, mais d’une loi au champ restreint, portant sur le dialogue social dans les entreprises publiques de transport terrestre.
Cette loi impose la tenue d’une négociation avant tout dépôt d’un préavis de grève, d’une part, et la mise en œuvre d’un service garanti en cas de grève ou de perturbation prévisible des transports publics, d’autre part.
Cependant, le texte ne comporte pas une définition uniforme du service minimum, laissant aux autorités organisatrices de transport le soin de désigner les dessertes prioritaires en fonction des spécificités locales. Il prévoit par ailleurs l’obligation, pour les salariés, de déclarer, deux jours avant le début de la grève, s’ils entendent ou non y participer. En outre, la loi dispose que, après huit jours de grève, une consultation à bulletin secret des salariés sur la poursuite ou la cessation de celle-ci pourra être organisée, sur l’initiative de l’employeur ou à la demande d’une organisation syndicale représentative.
Quel bilan peut-on faire de l’application de ces dispositions ?
Le problème est, pour l’essentiel, celui du dialogue social. À l’instar de nombre de mes collègues, je m’interroge sur le sens que peut revêtir cette notion à la SNCF ou à la RATP : quel dialogue social peut-il y avoir lorsque la représentation syndicale est balkanisée entre de multiples organisations, divisées par des considérations idéologiques ou par des oppositions catégorielles ?
Quel dialogue social peut-il y avoir lorsque certains responsables syndicaux avouent benoîtement que la prolongation de la récente grève ayant affecté le RER A était en partie motivée par une surenchère syndicale à la veille d’élections professionnelles ? Quel dialogue social peut-il y avoir lorsque des trains sont retardés ou même supprimés, en dehors de tout mouvement social collectif déclaré, en raison, selon la formule que les usagers entendent de plus en plus souvent quand ils attendent sur le quai un hypothétique train, d’ « équipages non complets », comme s’il s’agissait d’avions ? Un tel message signifie tout simplement qu’une partie du personnel ne s’est pas présentée à son travail à l’heure prévue ! Cela arrive régulièrement, et n’a rien à voir avec un quelconque fait de grève.
Enfin, quel dialogue social peut-il y avoir si la bonne foi n’est pas partagée ? Les événements récemment survenus à la gare Saint-Lazare ont montré que le droit de grève pouvait être manipulé en observant des arrêts de travail de moins d’une heure. En l’occurrence, la bonne foi élémentaire a été bafouée. Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, plusieurs de mes collègues et moi-même avons déposé, voilà quelque temps déjà, une proposition de loi visant à mettre fin aux grèves de cinquante-neuf minutes en modifiant les modalités de calcul de l’arrêt de travail. Nous souhaiterions savoir si un tel texte est susceptible d’être un jour examiné avec bienveillance par le Gouvernement, dans le cadre de son dialogue social avec sa majorité parlementaire ! (Sourires.)
Un troisième volet de la loi concerne l’information des usagers et le remboursement des titres de transport en cas de grève.
Je dois reconnaître que l’information est correctement assurée, bien que, dans la gare que je fréquente quotidiennement, les téléviseurs soient en panne depuis environ un mois et demi… Cependant, grâce à internet, il est possible de s’informer sur la circulation des trains et les horaires en consultant des sites tels que celui du Francilien ou Abcdtrains.com.
En revanche, la loi n’est pas appliquée en matière de remboursements. De mémoire, ces dispositions n’ont été mises en œuvre qu’une seule fois dans la région parisienne, à la suite d’un mouvement social qui avait été long et massif. Mais quid des trains qui, chaque jour, sont supprimés ou arrivent en retard, ce qui oblige des usagers, dont je suis, à prévoir une marge de trois trains d’avance pour être sûrs d’être à l’heure au travail ? Ce n’est pas normal ! Certains de nos concitoyens ne disposent pas d’autre moyen de transport, d’autant que les autoroutes A 15 et A 115 sont saturées à partir de six heures et demie du matin ! Ils sont dépendants de transports collectifs dégradés, au point que les employeurs répugnent aujourd'hui à recruter des personnes habitant le Val-d’Oise, de crainte qu’elles n’arrivent souvent en retard au travail. Un tel préjudice n’est pas indemnisable ! Un certain nombre de mes concitoyens en viennent d’ailleurs à déménager afin de pouvoir trouver plus facilement un travail.
Je souhaiterais enfin aborder un point qui ne figure pas dans la loi, mais qui, comme le soulignait Catherine Procaccia tout à l’heure, prolonge notre débat.
Je partage en partie l’avis de Mme Le Texier sur l’insuffisance des investissements dans des modes de transport collectif concernant l’immense majorité de la population. Mieux vaudrait pourtant faire en sorte que les trains de banlieue fonctionnent correctement, plutôt que de réaliser des lignes de TGV supplémentaires destinées à une minorité.
Je reconnais donc, madame Le Texier, que pendant très longtemps l’État a insuffisamment investi, mais j’ajouterai que cette situation perdure aujourd’hui avec la région. En effet, si l’Île-de-France investit, elle le fait, me semble-t-il, à mauvais escient. Par exemple, on nous annonce l’arrivée de nouveaux trains Bombardier, mais ceux-ci n’ont qu’un seul étage et ne passeront que toutes les quatorze minutes aux heures de pointe, alors que la cadence actuelle est de sept minutes. En d’autres termes, nous aurons des trains plus petits et moins fréquents… Peut-être tomberont-ils moins souvent en panne, mais ce n’est pas ainsi que nous réglerons les problèmes.
À propos des dysfonctionnements que subissent au quotidien les usagers, j’observe que pour échapper aux sanctions du STIF en cas de retards, la SNCF autorise les conducteurs de train à ne pas s’arrêter à toutes les gares. De ce fait, l’horaire d’arrivée en gare du Nord ou en gare Saint-Lazare est certes respecté, mais le service public n’a pas été assuré puisque les usagers ont été laissés sur le quai ! Si de surcroît on supprime les conducteurs, comme le proposent certains de mes collègues, le problème du service public des transports en Île-de-France sera réglé ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le service minimum est un serpent de mer, invoqué régulièrement comme la solution aux dysfonctionnements des services publics, qu’il s’agisse des transports ou de l’éducation nationale. En effet, cela permet à leurs détracteurs de faire habilement l’impasse sur les maux véritables dont ils souffrent, c’est-à-dire un sous-financement chronique et le désengagement de l’État, tout en pointant du doigt les agents du secteur public, dont le statut est considéré comme une hérésie par le Gouvernement.
En guise de préalable, je souhaiterais mettre en garde contre les amalgames : gardons à l’esprit qu’une démocratie ne peut sans se dénaturer porter atteinte au droit de grève, moyen d’exercice fondamental de toute citoyenneté.
L’ordre du jour nous conduit, à la demande du groupe UMP, à faire le bilan de l’application de la loi sur le service minimum dans les services publics de transport. Il faut dire que l’actualité nous y invite, eu égard aux grèves ayant touché la ligne A du RER en Île-de-France, au mois de décembre dernier. Ces mouvements sociaux ont participé de la démonstration de l’inefficacité de cette loi, en dépit des déclarations de Nicolas Sarkozy, qui considère l’instauration du service minimum comme un succès personnel.
Sur la forme, et à l’heure où la campagne des élections régionales bat son plein, comment ne pas voir dans cette initiative du groupe UMP une démarche politicienne, dont procèdent également les déclarations de la tête de liste de ce parti en Île-de-France ?
Ainsi, Mme Pécresse prend appui sur le conflit social ayant touché le RER A pour porter ses attaques contre la majorité régionale sortante, accusant notamment le président Huchon de « parasiter le dialogue social » et de « mettre de l’huile sur le feu de la grève en demandant la nomination d’un médiateur ». Mais c’est le comble de la démagogie ! La nomination d’un médiateur résulterait simplement de l’application de l’article 6 de la loi du 21 août 2007, disposition considérée sur toutes les travées comme une avancée en matière de dialogue social !
Mme Pécresse a également estimé, sans autre forme de procès, que M. Huchon « aurait pu apporter un plus au service minimum en finançant par exemple des bus de nuit ». Elle oublie un peu vite que la décentralisation de la compétence liée aux transports de l’État vers les régions s’est opérée sans transfert des moyens adéquats. Ainsi, on ne peut sans faire preuve de mauvaise foi discréditer les efforts des autorités organisatrices de transport que sont les régions, qui offrent au quotidien un service public de transport en commun de qualité. Les régions ont investi des millions d’euros pour pallier le désengagement de l’État et garantir un véritable droit à la mobilité. En matière de transport de voyageurs, si la fréquence des ralentissements sur les voies a été réduite, c’est presque exclusivement grâce aux investissements consentis par elles, notamment en Midi-Pyrénées.
De plus, il est étonnant que l’on puisse caractériser aujourd’hui la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs comme « relative au service minimum » ! Là encore, le choix des mots donne une indication claire sur l’objectif profond sous-tendant l’instauration d’un service minimum : il s’agit de limiter l’exercice du droit de grève, et non de promouvoir une modernisation du dialogue social.
Nous craignons que ce débat, dont l’objectif affiché est l’élaboration d’un bilan de l’application de la loi de 2007, ne serve au final de ballon d’essai pour tester la mise en œuvre de dispositions encore plus régressives.
Comme je viens de le souligner, les récentes grèves ont démontré l’inefficacité du dispositif adopté. À ce titre, je rappelle que les partenaires sociaux avaient unanimement rejeté ce dernier et qu’ils continuent de penser que le dialogue social n’a pas connu de véritable amélioration. J’attends, monsieur le secrétaire d’État, que vous me démontriez le contraire… Je pense que le bilan envisagé doit comporter un volet relatif au dialogue social, et non porter seulement sur le « service minimum » en tant que tel.
Pour notre part, nous avions regretté le caractère polémique et démagogique d’une telle loi, qui n’apporte aucune amélioration en matière de dialogue social ou de continuité du service public, pour différentes raisons.
Premièrement, l’impératif de continuité du service public ne peut se penser uniquement en temps de grève. Cela a été souligné à plusieurs reprises par les orateurs précédents : pour les usagers, c’est tous les jours la galère ! En effet, l’écrasante majorité des perturbations quotidiennes subies par les usagers sont imputables non pas aux grèves, mais aux défaillances du matériel roulant et à l’insuffisance des moyens humains et financiers, ainsi que des infrastructures, qui provoquent des incidents, des accidents, des suppressions de services ou de dessertes, des retards… Or la loi ne répond à aucune de ces préoccupations.
Deuxièmement, en matière de dialogue social, rien ne sert de traiter les conséquences des conflits au sein des entreprises de transports si rien n’est fait parallèlement pour remédier aux causes de ces conflits. L’instauration d’un service minimum s’apparente ainsi à un emplâtre sur une jambe de bois.
D’une part, malgré la décision rendue par le Conseil constitutionnel, nous continuons à penser que les atteintes portées au droit de grève par cette loi sont disproportionnées et modifient l’essence même de ce droit. En effet, le droit de grève est un droit individuel qui s’exerce collectivement, ce que remet en cause l’article 5 de la loi d’août 2007, la déclaration individuelle de grève contribuant à désolidariser les salariés en les rappelant à un lien hiérarchique. Cela reste inacceptable et contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle « il ne peut être imposé à un salarié d’indiquer à son employeur, avant le déclenchement de la grève, qu’il participera au mouvement ».
D’autre part, nous considérons que le fait d’imposer une négociation préalable de huit jours s’ajoutant aux cinq jours du préavis revient à soumettre la légalité du droit de grève à une condition supplémentaire restreignant ses conditions d’exercice. À ce titre, comment ne pas voir que le « préavis du préavis » n’a été utilisé par la direction que comme un moyen d’enliser les débats et qu’il n’a pas permis une amélioration du dialogue social ?
La seule disposition favorable figure à l’article 12. Celui-ci, qui a été inséré grâce à l’adoption d’un amendement déposé par mon groupe, dispose que « les autorités organisatrices de transport incorporent dans les conventions qu’elles concluent avec les entreprises de transport des critères sociaux et environnementaux de qualité de service ». Nous estimons qu’il s’agit là d’une mesure de nature à limiter les conflits au sein des entreprises de transport. Nous regrettons de ne disposer d’aucun élément de bilan sur ce point, mais sans doute allez-vous nous en fournir, monsieur le secrétaire d’État.
Je ne reviendrai pas ici sur la provocation que constitue l’article 10, qui stigmatise encore un peu plus les agents des services publics de transport, en rappelant le principe du non-paiement des jours de grève. Cela donne à entendre en creux que les grèves seraient sans incidence financière pour les agents du service public. C’est totalement inacceptable ! Les premières victimes économiques des grèves, ce sont les grévistes ! Je crois qu’il est important de le rappeler ici.
Je regrette que nous ayons manqué d’éléments pour préparer ce débat sur le bilan de l’application de la loi. Faute d’un bilan dressé par le Gouvernement ou les entreprises publiques de transport, faute également d’auditions menées par la commission de l’économie du Sénat, nous n’avons pu nous appuyer que sur des rapports d’information, certes de qualité, réalisés à l’Assemblée nationale au début de l’année 2009 par M. Hervé Mariton, d’une part, MM. Maxime Bono et Jacques Kossowski, d’autre part.
Sur le fond, si ces deux rapports se rejoignent pour porter une appréciation positive s’agissant de l’information des usagers, leurs préconisations sont radicalement différentes : alors que le premier prône la restriction absolue du droit de grève, le second souligne à juste titre la nécessité de renforcer le dialogue social, notamment par la mise en œuvre d’un observatoire des relations sociales, par davantage de démocratie sociale au sein des entreprises ferroviaires et par une meilleure intégration dans ces instances des représentants des usagers ; nous approuvons ces propositions.
A contrario, nous estimons que le rapport du député Hervé Mariton, loin de faire le bilan de l’application des dispositions existantes, notamment en termes de dialogue social, lesquelles n’ont pas fait la preuve de leur utilité, vise uniquement à préconiser de nouvelles mesures particulièrement dangereuses.
Qu’il s’agisse de porter à soixante-douze heures le délai pour la déclaration individuelle de grève, d’interdire le dépôt d’un préavis pour des motifs de même objet avant l’expiration du préavis précédent ou, pour lutter contre les grèves de cinquante-neuf minutes, de renforcer les sanctions financières à l’encontre des grévistes en portant la retenue sur salaire à un cinquantième du traitement à compter du deuxième arrêt de service relatif à une même déclaration d’intention, toutes ces propositions ne concernent ni le dialogue social ni la continuité du service. Comme le reconnaît le rapporteur, les grèves de cinquante-neuf minutes ne sont pas insurmontables au regard de l’organisation du service par les entreprises.
Nous regrettons l’absence de bilan sur l’amélioration du dialogue social durant le préavis, voire le « préavis du préavis », ainsi que l’absence d’analyse du fait que les obligations instaurées par cette loi pèsent uniquement sur les salariés et non sur les directions des entreprises. Peut-être serait-il temps d’envisager des dispositions contraignantes pour ces dernières en matière de dialogue social.
Parallèlement, des parlementaires, sans attendre ces travaux d’analyse, ont déposé des propositions de loi ne visant qu’à une restriction abusive du droit de grève. Ces textes tendent tous à un élargissement du service minimum, qu’il s’agisse d’étendre son domaine d’application aux transports maritimes et aériens, comme le prône Mme Procaccia, ou de sanctionner financièrement de manière disproportionnée les grévistes, comme le préconise M. Portelli. Je souligne que cette proposition est jugée trop sévère, y compris par M. Mariton !
Enfin, le dernier texte, qui est aussi le plus dangereux, est celui du député Éric Ciotti, qui vise à permettre la réquisition de personnels. Je rappelle, puisque cette idée semble séduire un certain nombre de mes collègues, que la réquisition, sous réserve de quelques dérogations très limitativement énumérées, est contraire à un exercice normal du droit de grève. La jurisprudence tant administrative que judiciaire n’admet le recours à la réquisition que lorsqu’il est question de sécurité publique.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !