M. Charles Guené, rapporteur pour avis. Toutefois, d’une part, cette situation était due à la nécessité de redonner rapidement des marges de compétitivité à nos entreprises, surtout dans le domaine industriel, et, d’autre part, grâce au Sénat, des clauses de rendez-vous ont été introduites dans le dispositif initial de suppression de la taxe professionnelle, qui permettront l’ajustement des différents volets de la réforme, y compris lorsqu’on aura traité de la nouvelle répartition des compétences.
C’est bien dans l’esprit de mettre son expérience particulière de la loi de finances au service d’une coordination entre les différents volets de la réforme des collectivités territoriales que la commission des finances s’est saisie de ce texte.
Aussi, elle a strictement limité sa saisine aux seuls articles ayant une incidence directe ou indirecte sur les finances des collectivités territoriales et des nouvelles structures institutionnelles prévues par le projet de loi. Il s’agit de l’article 5, relatif à l’organisation de la métropole, des articles 8, 9 et 10, relatifs à la création d’une commune nouvelle, à l’intégration fiscale des communes nouvelles et à l’adaptation du code général des collectivités territoriales à la création des communes nouvelles et, enfin, de l’article 35, qui porte sur la clarification des compétences des collectivités territoriales, car il aborde la question des financements croisés.
En ce qui concerne les métropoles, la commission des finances a considéré que nombre des amendements adoptés par la commission des lois ont nettement amélioré la rédaction du texte du Gouvernement. Il en est ainsi notamment des modifications apportées à la définition des compétences, à la réintroduction, sur un périmètre bien défini, de la condition de l’intérêt communautaire et à la souplesse introduite pour le partage des services entre la métropole et les collectivités départementales et régionales.
Toutefois, dans le domaine de la définition des recettes budgétaires et fiscales et du partage de ces recettes entre les communes membres et la métropole, la commission des finances n’a pas eu la même évaluation des enjeux de cette nouvelle structure intercommunale. Elle vous proposera donc sur plusieurs points, et au-delà des simples ajustements par rapport aux votes intervenus dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2010, de modifier le texte adopté par la commission des lois.
Le texte de la commission des lois est revenu très nettement sur les points les plus innovants du régime financier des métropoles : tout d’abord, en réaffirmant le principe de la perception des impôts par les communes membres des métropoles, alors que le texte du Gouvernement proposait de les affecter de droit et dans leur totalité aux métropoles ; ensuite, en supprimant le principe d’une dotation de reversement de la métropole vers les communes membres ; enfin, en prévoyant que le transfert de la dotation globale de fonctionnement des communes membres à la métropole s’effectue sur délibération concordante de l’organe délibérant de la métropole et des conseils municipaux.
La commission des finances est, pour sa part, persuadée de la nécessité de doter les métropoles d’un dispositif fiscal et budgétaire très intégré.
D’ailleurs, cette intégration poussée va dans le sens des dispositions votées dans la loi de finances pour 2010, qui créent le régime nouveau des établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, anciennement à taxe professionnelle unique.
Pour compenser la disparition de la taxe professionnelle, ces EPCI se voient affecter des ressources fiscales nouvelles sur les entreprises, que ce soit l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux ou la contribution économique territoriale, mais également sur les ménages, par le biais de la taxe d’habitation en provenance des départements. Ce régime s’appliquera aux communautés urbaines, auxquelles le texte en discussion assimile les métropoles. Cette évolution interpellera sans aucun doute.
Il est donc nécessaire d’aller encore plus loin vers l’intégration si l’on souhaite donner du sens à la nouvelle structure intercommunale que seront les métropoles. C’est ce qui justifie le transfert global de la fiscalité au niveau métropolitain, même si l’on peut comprendre le souhait d’acter ce transfert par une délibération des communes. Cela justifie également la mise en place d’une première expérimentation de la DGF territorialisée, qu’appelait de ses vœux la mission d’information présidée par notre collègue Claude Belot.
En effet, la métropole bénéficie d’une dotation globale de fonctionnement composée d’une dotation forfaitaire, d’une dotation de compensation et d’une dotation communale, somme des dotations dues aux communes membres de la métropole au titre de la dotation globale de fonctionnement.
En parallèle, la compensation financière des transferts de compétences est organisée, dans le respect du principe de neutralité budgétaire, sous le contrôle d’une commission consultative d’évaluation des charges et par le moyen d’une dotation de compensation versée par la région et le département, ainsi que d’une dotation de reversement à la charge de la métropole et à destination des communes.
Même si certains aspects du statut de la métropole mériteraient sans doute d’être justifiés ou précisés – je pense notamment à l’absence de notion de « ville-centre » –, celle-ci ne représente pas, aux yeux de la commission des finances, un « danger » pour l’équilibre institutionnel du territoire.
À cet égard, il convient de souligner que la métropole est créée sur la base du volontariat et que, compte tenu des critères exigés, un tel statut est accessible à seulement huit agglomérations, Lyon, Lille, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Nice et Strasbourg, elles-mêmes déjà constituées en communautés urbaines.
Dans ces conditions, la création de métropoles par transformation de communautés urbaines existantes ne pèsera pas sur l’ensemble de la DGF des communes. En effet, la dotation métropoles, qui s’imputera sur la part intercommunalité de la DGF, est calée sur la dotation de type « communautés urbaines », qui a un caractère forfaitaire et ne varie pas en fonction du coefficient d’intégration fiscale.
De notre point de vue, si l’intercommunalité a effectivement un coût pour l’ensemble des collectivités, en raison de la ponction sur la DGF, il serait profondément injuste et inexact de laisser croire que ce coût serait lié aux métropoles.
Le deuxième sujet dont s’est saisie la commission des finances, au sein du présent projet de loi, est celui de la création des « communes nouvelles ».
La volonté du Gouvernement est de donner un nouveau dynamisme au processus de fusions de communes. En effet, chacun le sait, le paysage communal français est particulièrement morcelé, avec 36 686 communes, auxquelles s’ajoutent les structures intercommunales. Un tel émiettement est, dans de nombreux cas, préjudiciable à l’efficacité de l’action publique. Notamment, les plus petites communes n’ont souvent ni les moyens humains ni les moyens financiers de faire face aux charges qui leur incombent.
La loi du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes, dite « loi Marcellin », principale initiative prise pour remédier à l’émiettement communal, s’est soldée par un échec incontestable. En effet, depuis cette date, le nombre net de communes effectivement supprimées par application de la loi s’élève à 1 100, soit moins de 3 % du nombre actuel de communes.
Pour répondre à un impératif de rationalisation, les articles 8 à 11 du projet de loi prévoient la possibilité de créer des « communes nouvelles », qui se substitueront à plusieurs communes et auront seules le rang de collectivités territoriales.
Le dispositif d’incitation financière proposé par le Gouvernement créait un « bonus » de DGF pour les communes nouvelles. Comme l’a relevé la commission des lois, un tel « bonus » aurait eu pour effet d’amputer la DGF des autres communes, même si l’on peut penser que l’ampleur des regroupements de communes n’aurait pas été suffisante pour réduire sensiblement la DGF perçue par l’ensemble des autres communes. Le « bonus » a donc été supprimé.
Cette suppression a un effet pervers : le texte auquel on aboutit est, sur le plan procédural comme sur le plan financier, autant, voire plus strict que celui de la loi Marcellin. Cela a d’ailleurs fait dire, je crois, à M. le rapporteur qu’il faudrait l’inviter à la première inauguration, de peur qu’il n’y en ait pas de seconde… (Sourires.)
Si nous ne voulons pas, trente-neuf ans plus tard, voter un dispositif qui connaîtrait le même sort que la précédente loi, nous devons, me semble-t-il, trouver de nouvelles incitations financières et, à tout le moins, éviter de pénaliser les regroupements de communes, que nous appelons parallèlement de nos vœux.
Dans cet esprit, la commission des finances vous proposera un amendement visant à garantir aux communes qui se regroupent un montant de dotation de solidarité rurale, ou DSR, égal à celui qu’elles perçoivent actuellement. En effet, il serait absurde que des communes souhaitant se regrouper en soient dissuadées parce qu’elles n’atteindraient plus les seuils démographiques nécessaires pour bénéficier de certains avantages. Si c’était le cas, les communes qui se regroupent seraient pénalisées par une perte de dotations et les regroupements bénéficieraient à l’ensemble des autres communes.
Outre cet amendement, votre commission des finances a prévu, d’une part, les coordinations nécessaires avec la suppression de la taxe professionnelle et, d’autre part, des amendements de simplification du dispositif, concernant notamment l’indexation des dotations de l’État aux collectivités territoriales, qui sont aujourd’hui d’une complexité déjà très regrettable.
Enfin, votre commission des finances s’est saisie de l’article 35, car il aborde la question des cofinancements de projets par plusieurs collectivités territoriales.
Dans la perspective du futur projet de loi précisant la répartition des compétences entre les différentes catégories de collectivités territoriales, l’article 35 propose d’établir dès maintenant certaines orientations de principe.
Après avoir été profondément modifié par la commission des lois, cet article prévoit désormais, en matière de cofinancements, d’une part, d’encadrer la pratique des financements croisés entre les collectivités territoriales afin de répartir l’intervention publique en fonction de l’envergure des projets ou de la capacité du maître d’ouvrage à y participer et, d’autre part, de confirmer le rôle du département dans le soutien aux communes rurales.
La commission des finances considère – ce point a d’ailleurs été relevé par notre excellent collègue et rapporteur Jean-Patrick Courtois – qu’il s’agit d’une simple déclaration de principe, dépourvue de valeur normative. Elle a manifesté son intérêt pour un dispositif qui permettrait d’envisager, en fonction de l’envergure des projets et de la capacité du maître d’ouvrage à y participer, une intervention alternative de la région ou du département dans le financement d’un projet. Cette proposition paraît d’autant plus intéressante que les compétences des départements et des régions pourraient être strictement délimitées par le futur projet de loi, auquel cas le cumul de leurs participations financières n’aurait plus de justification.
Toutefois, il paraît difficile de s’engager aujourd’hui dans une déclaration de principe comme celle qui est proposée à l’article 35 sans connaître le contenu de ce futur projet de loi sur les compétences. Les principes que nous poserons aujourd’hui en matière de répartition de compétences pourront toujours être modifiés par le texte qui traitera précisément de ce sujet.
C’est la raison pour laquelle votre commission n’a pas jugé utile de proposer d’amendements sur cette partie du texte.
Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu’elle vous présentera, votre commission des finances a donné un avis favorable à l’adoption des dispositions du projet de loi dont elle a été saisie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. (M. Bruno Sido applaudit.)
M. Alain Lambert, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà déjà sept ans que le Constituant – nombre d’entre vous en faisaient alors partie – a promu la décentralisation comme oxygène de notre République indivisible. Pourtant, disons-le franchement, la vitalité démocratique de ce grand dessein se heurte encore et toujours au carcan administratif, voire au centralisme bureaucratique.
L’organisation territoriale de l’État n’a pas suivi la vision moderne d’une action publique plus proche du citoyen, les transferts de compétences n’ont pas été accompagnés des traductions financières appropriées et la clarification des financements et des compétences n’a pas répondu aux impératifs d’une démocratie locale efficiente et responsable.
Or, mes chers collègues, il n’y a pas, selon moi, de démocratie vraie sans responsabilité claire ! Et que devient la responsabilité quand le citoyen se perd dans un labyrinthe de compétences, de guichets, d’imprimés parallèles, de décisions enchevêtrées et de financements croisés ?
Le constat a été partagé par tous. L’organisation décentralisée de notre République souffre non pas d’un manque de diagnostics, mais d’une absence de traitement. Comme cela a été souligné par une voix beaucoup plus autorisée que la mienne, il est temps de décider.
Alors décidons ! Décidons en allant, le plus loin possible, dans la voie du consensus. (M. Bruno Sido applaudit.) L’enjeu est trop grand pour nous laisser prendre en otages par des querelles partisanes. Décidons avec pragmatisme, en nous inspirant des travaux de qualité dont nous disposons, au premier rang desquels je placerai ceux de nos rapporteurs, dont je salue l’excellence, et les conclusions de la mission présidée par notre collègue Claude Belot, qui figurent dans le rapport de Jacqueline Gourault et d’Yves Krattinger.
Mais le pragmatisme n’interdit pas l’audace, et c’est le mérite du Président de la République et du Gouvernement d’avoir pris l’initiative d’une réforme ambitieuse. À nous, qui sommes le Parlement, de saisir l’occasion qui nous est offerte !
Votre délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a pour rôle non pas de se substituer aux commissions, mais au contraire de leur apporter son appui et notamment de rechercher les plus vastes espaces de consensus supra-partisan, afin de parvenir à une réforme territoriale répondant aux besoins et aux attentes.
Dans ce cadre, elle a bien l’intention d’apporter sa contribution sur les questions fondamentales qu’une telle réforme soulèvera, comme elle a d’ailleurs commencé à le faire sur les valeurs locatives, sujet dont vous connaissez l’importance pour les budgets de vos collectivités. Elle le fera aussi en amont que possible, afin que le Sénat dispose déjà, lors du dépôt d’un texte, de l’analyse de l’une de ses composantes représentative de sa configuration politique.
Cependant, c’est à titre personnel que je m’exprimerai aujourd’hui, car l’installation récente de votre délégation ne lui a pas permis de discuter en amont des sujets qui sont en débat dans le cadre du présent projet de loi.
Mes observations seront formulées à l’aune des principes qui doivent, selon moi, constituer l’impératif catégorique de la décentralisation, c'est-à-dire la légitimité et l’efficacité. Ces principes sont au cœur des dispositions qui nous sont proposées et je me limiterai à quatre illustrations.
Premièrement, je note la recherche d’une meilleure assise démocratique des autorités locales, à commencer par l’élection au suffrage universel direct des délégués des communes dans les EPCI à fiscalité propre, mesure qu’avait déjà proposée la mission présidée par Claude Belot. C’était devenu une nécessité eu égard à l’importance prise par l’intercommunalité ces dernières années et à l’ambition affichée, et souhaitable, de la renforcer. Pour le reste, veillons à faire en sorte que la question controversée des conseillers territoriaux n’affecte pas la qualité de nos discussions et travaux. Le texte sur le mode d’élection nous offrira un large espace de débat.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Alain Lambert, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Votre délégation entend bien y contribuer en préparant techniquement le travail.
Deuxièmement, et toujours au nom des principes d’efficacité et de légitimité, je salue l’approche pragmatique du projet de loi en matière d’intercommunalité et de regroupement de communes. Je pense par exemple à la création de communes déléguées au sein des communes nouvelles issues de fusion d’EPCI, solution habile pour concilier développement de l’intercommunalité et proximité de l’action publique. Cependant, même si je comprends l’objectif de la commission des lois, je m’interroge sur la réduction d’un tiers du nombre de représentants du conseil général à la commission départementale de coopération intercommunale, la CDCI. Dans les départements ruraux, quelle est la tête de réseau des intercommunalités, sinon le conseil général ?
Troisièmement, je veux évoquer la mutualisation des services. C’est un sujet capital. Nous pouvons avoir de grands points de vue généraux sur la démocratie, mais encore faut-il que cette dernière rende au citoyen ce qu’il attend. La mutualisation des services est un enjeu considérable.
Le projet de loi va dans le bon sens, mais il reste encore, à mes yeux, monsieur le ministre, un peu timide, d’autant que les contraintes du droit communautaire se sont allégées. Prenons un exemple : faut-il maintenir l’obligation de passer par un syndicat mixte pour des initiatives de simple bon sens telles que la création d’une cantine commune à un collège et à un lycée ou une école primaire ? Ces sujets doivent absolument être traités.
Quatrièmement, il me semble que la légitimité et l’efficacité sortiront renforcées si des principes clairs sont posés pour la clarification des compétences.
Dès lors que les initiatives resteront possibles lorsqu’elles seront justifiées par l’intérêt local bien compris, je crois utile d’encadrer les financements croisés, qui brouillent la vision du citoyen sur les responsabilités de chaque échelon public. Je note, au passage, pour l’approuver totalement, le souhait de la commission des lois de confirmer le rôle du département dans le soutien aux communes rurales ; nous pourrions utilement y ajouter, monsieur le rapporteur, les intercommunalités.
S’agissant du rôle de l’État, monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure qu’il ne fallait pas opposer l’État aux collectivités territoriales, et je souscris totalement à votre affirmation. Il est cependant urgent de redéfinir son rôle. Il lui faut enfin choisir entre le rôle d’arbitre, qui est naturellement le sien, et celui d’acteur, lequel n’a plus lieu d’être dans les compétences transférées. Disant cela, je ne pense pas au ministère de l’intérieur.
Quant aux compétences des collectivités, travaillons dans la concorde pour, l’année prochaine, adopter les modalités d’une clarification idéale. Le Sénat en est capable.
Le citoyen devra pouvoir identifier qui fait quoi, savoir qui finance et à quelle hauteur.
Est-il possible, par exemple, de poser la règle élémentaire du décideur-payeur ? La séparation du maître d’œuvre et du maître d’ouvrage doit être à la décentralisation ce que la séparation de l’ordonnateur et du comptable est aux finances publiques, c'est-à-dire un principe clé !
Comment conclure sans évoquer ce qui ne figure pas formellement dans les textes, mais qui reste présent à l’esprit de chacun, à savoir la place de l’État, dont j’ai parlé à l’instant ?
La légitimité comme l’efficacité commandent que l’État joue le jeu de la décentralisation. L’organisation décentralisée de la République a besoin d’un État fair-play et sincère.
L’État fair-play – je vous prie de me pardonner cet anglicisme, mais j’ai cherché en vain un vocable convenable et élégant –, c’est celui qui accepte de tirer les conséquences d’un transfert de compétences en laissant aux autorités locales la responsabilité des décisions à prendre. L’État fair-play, c’est celui qui sait opter entre le rôle de contrôleur et celui de prescripteur. L’État fair-play, ce n’est donc pas celui qui confère une compétence pour imposer ensuite ses propres objectifs par voie réglementaire.
L’État sincère, c’est celui qui prend des engagements et qui les tient. C’est celui qui applique le principe de la compensation intégrale des dépenses qu’il engage par collectivité interposée et qui réalise les transferts de personnels correspondant aux compétences transférées. C’est celui qui garantit aux collectivités le respect d’un cadre financier pluriannuel. L’État sincère, ce n’est donc pas celui qui invente, par exemple, une allocation personnalisée d’autonomie dont il n’assure qu’un tiers du financement, laissant aux conseils généraux une facture de 3 milliards d’euros. Ce n’est pas non plus celui qui crée des maisons départementales du handicap en conservant ses agents qui assuraient la gestion des COTOREP. La rétention des personnels par l’État oblige ce dernier à s’acquitter à la fois de la rémunération des agents qu’il conserve et de la compensation financière des dépenses des collectivités territoriales pour les agents que celles-ci doivent recruter !
En conclusion, mes chers collègues, c’est ensemble, en ayant l’audace et la générosité de dépasser nos clivages, que nous moderniserons l’organisation territoriale de la République pour le plus grand bien de la démocratie, qui est elle-même sans doute le plus grand bien que nous ayons en commun. Je veux y croire, car la légitimité et l’efficacité nous rassemblent et transcendent tous les courants représentés dans cette assemblée. Héritiers de Tocqueville ou chantres du jacobinisme, nous avons tous un même devoir à l’égard de la nation : nous devons être crédibles pour rassurer nos concitoyens et responsables pour mériter le mandat que nous avons reçu ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, malgré les multiples critiques de tous horizons, de la commune au Parlement, qui se sont exprimées depuis un an, le Président de la République nous a informés, le 31 décembre dernier, qu’il était déterminé à mettre en œuvre sa réforme des collectivités locales, laquelle ne se heurterait, selon lui, qu’à des conservatismes.
Le Président de la République avait d’ailleurs tracé au comité Balladur une feuille de route très claire : casser l’autonomie des collectivités territoriales. Il avait indiqué deux axes : la reprise en main des collectivités territoriales par l’État et une réduction drastique des dépenses publiques.
Les justifications les plus fallacieuses ont été utilisées pour convaincre.
Il a été dit que nos concitoyens attendaient cette réforme. Outre le fait que nos concitoyens ont déjà bien du mal à faire face à leur quotidien dégradé, ils se sont exprimés dans le cadre d’une enquête commandée par l’Assemblée des départements de France : 76 % d’entre eux estiment que la réforme est « plutôt confuse et incompréhensible » tandis que 73 % refusent la suppression du département et le transfert de ses compétences à d’autres échelons, parce qu’ils jugent le département pertinent.
M. Éric Doligé. Bonne nouvelle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il a également été dit que la France allait à contre-courant de l’Europe. Cette allégation est difficile à prouver. La plupart des pays européens disposent de trois niveaux de collectivités. La France a, il est vrai, un nombre très important et une grande diversité de communes. Elles sont le fruit de l’histoire, et nos concitoyens les plébiscitent.
Cet argument est d’autant plus spécieux que vous inventez de nouvelles configurations : métropoles, pôles métropolitains, et même une collectivité devant se substituer à la région et aux départements qui la composent !
Vous tentez – c’est un jeu dangereux – d’opposer nos concitoyens à leurs élus en affirmant que ces derniers coûtent cher. Ce point aussi est difficile à établir. Ils sont, pour l’essentiel, des bénévoles qui contribuent dans leur mission à répondre aux attentes du public. L’argument est, là encore, spécieux : vous ne nous informez pas clairement du coût des nouveaux conseillers territoriaux et de celui de leurs remplaçants. Il est à parier qu’ils coûteront plus cher que les actuels conseillers généraux et régionaux.
Vous affirmez que les financements croisés rendent la gestion inextricable et la font paraître confuse à nos concitoyens. Il faut néanmoins ajouter que sans ces financements de nombreux projets utiles à notre pays ne verraient pas le jour. Une étude d’impact s’imposerait en la matière.
Ce qui est vrai, en revanche, c’est que les dernières lois de décentralisation de 2003-2004 ont conduit à une confusion des rôles en transférant des responsabilités de l’État sans justification, si ce n’est le transfert des charges.
D’ailleurs, vous dénoncez un accroissement des dépenses locales et des impôts locaux. Le Gouvernement l’a lui-même programmé au travers d’une politique sociale et économique désastreuse, du désengagement de l’État, des transferts de compétences mal compensés – ce qu’a confirmé récemment la Cour des comptes –, de la réduction des dotations nationales aux collectivités, de la fin du pacte de stabilité et de croissance, de la révision générale des politiques publiques ou RGPP, et maintenant de la suppression de la taxe professionnelle !
Ces arguments trouvent aussi leurs limites, car les citoyens savent que les collectivités territoriales ont un bilan. Elles contribuent, ô combien ! à la richesse nationale, leurs investissements représentant 73 % des investissements publics. Nos concitoyens voient bien les réalisations qu’ils leur doivent.
En réalité, monsieur le ministre, vous savez tout cela et votre discours d’aujourd'hui sert surtout à rassurer vos amis.
Hélas, la présentation de votre réforme n’est pas sincère ! Déjà, le cadre des financements n’est pas défini, après la suppression de la taxe professionnelle. Par ailleurs, vous souhaitez un bouleversement du paysage institutionnel, avec en ligne de mire la disparition des départements et des communes ; mais vous ne pouvez pas le dire aussi clairement ni engager la nouvelle réforme constitutionnelle nécessaire à la suppression de ces deux niveaux de collectivité.
Vous supprimez donc la compétence générale des départements et la spécificité de leurs élus. Vous voulez que les communes rejoignent une intercommunalité et lui transfèrent leurs compétences. Vous désirez mettre fin à l’autonomie des communes existant aujourd'hui en créant des communes nouvelles.
Vous avez une vision globale, à savoir réorganiser le territoire autour des métropoles – votre innovation phare – qui cumulent l’essentiel des compétences et sans doute des moyens.
Dans le même temps, vous supprimez sans le dire ce qui fonctionne aujourd'hui en matière de coopération volontaire.
Certes, une réforme des collectivités territoriales est nécessaire, mais celle que vous proposez va à contresens.
La réforme devrait commencer par une réflexion sur la pertinence des différents niveaux de compétences. Elle amènerait à considérer que l’État a opéré des transferts abusifs et doit reprendre en charge, en termes de pouvoir et de finances, les grands services publics nationaux sur tout le territoire pour l’égalité des citoyens.
Elle permettrait également de rappeler que tout regroupement de collectivités doit être volontaire et fondé sur leurs choix démocratiques et sur ceux des citoyens, ce que vous refusez.
Elle permettrait aussi de réaffirmer la commune comme l’échelon premier de proximité, les décisions devant être prises selon un principe de subsidiarité allant du bas vers le haut – c’est le contraire de ce que vous proposez –, tout ce qui peut être réalisé au plus près de nos concitoyens devant l’être par la commune.
Votre réforme contredit l’aspiration de nos concitoyens à plus de démocratie. Jamais, jusqu’à présent, la libre administration des collectivités locales, leur droit à décider de leur politique, n’avait été mise en cause, même si les lois de décentralisation de 2003-2004 lui ont porté des coups. Les lois de 1982 s’inspiraient d’un esprit de démocratisation et de proximité, soit l’inverse de ce que vous proposez aujourd'hui.
Vous voulez supprimer la compétence générale des départements et des régions alors qu’elle est précisément consubstantielle à cette libre administration des collectivités locales, et vous le savez très bien. C’est la raison pour laquelle vous essayez de tourner autour de cette question sans l’aborder frontalement, contrairement à votre texte.
Cette réforme signe la fin de trente années de décentralisation et de démocratie locale.
Elle organise une recentralisation des décisions, mais à la différence d’avant 1982 l’État a abandonné pour partie les grands services publics nationaux. Les collectivités seront, de fait, sous sa tutelle. Il pilotera tout, mais paiera de moins en moins.
Vous avez d’ailleurs réorganisé les services de l’État dans cette optique. La région est devenue le premier échelon décentralisé de l’administration de l’État, en lieu et place du département. Les décisions sont concentrées autour de « super-préfets », à l’image des directeurs des agences régionales de l’hospitalisation.
La démocratie, c’est la reconnaissance concrète des droits des citoyens, des personnels et des élus. Ce projet de loi est à mille lieues des budgets participatifs, de l’initiative législative des citoyens et des collectivités locales, du référendum d’initiative citoyenne ! Vous préférez casser des lieux de souveraineté populaire et éloigner les populations des lieux de prise de décision, alors qu’elles revendiquent la proximité, comme le confirme le récent sondage réalisé pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF : parmi tous les élus, c’est le maire qui inspire la plus grande confiance à nos concitoyens. La liberté des collectivités territoriales vous gêne.
La création des conseillers territoriaux est une caricature : ces élus seront hybrides, puisqu’ils auront à la fois des pouvoirs dans les départements et dans les régions, et leur création annonce sans doute la disparition des départements ; ils seront élus dans des cantons dont nul ne connaît les configurations et dont on peut craindre un découpage « sur mesure ».
Le mode de scrutin que vous envisagez est critiqué de toutes parts. En tout état de cause, il pousse à la bipolarisation et à la suppression de la parité, chèrement acquise. Ces « super-élus » professionnalisés, cumulant deux mandats, sont la négation de la démocratie locale.
Vous énoncez clairement l’objectif de réduction des dépenses publiques locales, c’est-à-dire – il faut appeler les choses par leur nom ! – la mise en cause des services publics locaux. Pourtant, le Président de la République déclare à qui veut l’entendre – il l’a fait à nouveau lors de ses vœux à nos concitoyens – que notre pays a été moins éprouvé que beaucoup d’autres grâce à son modèle social. Or c’est précisément contre ce modèle social que s’acharne la politique du Gouvernement !
Votre obstination à diminuer les dépenses publiques vous a conduits à réduire la capacité d’intervention de l’État dans sa mission de garant de la solidarité nationale : nous voyons ce qu’il en est ! Avec cette réforme, faisant fi des besoins des habitants, vous voulez réduire également la capacité d’intervention des collectivités locales, au moment où nos concitoyens rencontrent des difficultés et éprouvent donc des besoins croissants. Vous cassez, par la même occasion, les possibilités de relance que constituent les investissements des collectivités.
Le privé est le grand absent de vos propos, mais il se tient en embuscade. De votre point de vue, une anomalie s’avère insupportable : les investissements publics et de nombreux services publics locaux échappent en grande partie aux appétits des grands groupes privés, à la logique de compétitivité, de rentabilité et de concurrence. Vous voulez y mettre fin !
Quant aux fonctionnaires territoriaux, ils seront des « pions » déplacés au gré des regroupements et réorganisations. Ce projet de loi ne prévoit pas de les consulter, de même qu’il ne dit rien des conséquences de cette réforme sur leur statut.
Dans sa conférence de presse sur le grand emprunt, en décembre, le Président de la République s’est vanté que l’État ait supprimé en un an 35 000 fonctionnaires et a déploré, une nouvelle fois, que les collectivités locales aient, à l’inverse, recruté. Or la seule question qui vaille est la suivante : nos collectivités disposent-elles de trop de moyens ? Les 1 750 000 agents publics territoriaux assurent au quotidien le service public au plus près de nos concitoyens.
Sont-ils trop nombreux, ces agents publics qui ont travaillé ces dernières semaines des heures et des heures dans des conditions très difficiles pour que le pays puisse continuer à fonctionner malgré les conditions atmosphériques ? Sont-ils trop nombreux, les personnels des crèches, alors que les familles ont besoin de plus de crèches publiques près de chez elles ? Sont-ils trop nombreux, les personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS, que vous avez décentralisés et qui sont indispensables à la vie quotidienne des collèges et des lycées ? Excusez-moi, la liste serait longue, mais je vous l’épargnerai.
Oui, il faut maintenir, moderniser et développer la fonction publique territoriale nationale dont le statut, depuis 1983, garantit la pérennité du service public dans notre pays, à l’inverse d’autres dispositifs qui ne favorisent pas le maintien des services publics.
En réalité, derrière ce projet de loi qui traite, pour l’essentiel, de l’intercommunalité et de divers regroupements, se cachent des mesures extrêmement graves et beaucoup de non-dits. Ce projet est tout simplement redoutable, car l’enjeu est énorme. Ne nous y trompons pas : le texte qui nous est soumis est le vecteur d’un projet structurant, le projet de société de l’UMP. Cette réforme dessine une organisation territoriale rompant avec notre histoire singulière d’autonomie communale et de démocratie locale.
Vous nous demandez un chèque en blanc pour l’avenir, puisque ce projet de loi induit des conséquences qui ne seront dévoilées que plus tard, à savoir les compétences des collectivités, les modes de scrutin et les découpages électoraux. Ce procédé est tout à fait inacceptable !
Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à cette réforme et nous défendrons dans le débat une tout autre vision de l’organisation territoriale, sans accepter aucun compromis ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. François Patriat. Très bien !
(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)