M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de remercier M. Courteau, auteur de la présente proposition de loi, et M. Pillet, rapporteur, du travail remarquable qu’ils ont accompli sur un sujet qui me tient très à cœur.
Adapter notre arsenal juridique à une délinquance pendant trop longtemps renvoyée à la sphère privée, voire niée, relève en effet de notre responsabilité partagée.
Les violences commises au sein du couple – qui ne sont pas une fatalité, comme en témoignent les résultats obtenus grâce aux efforts déjà accomplis pour lutter contre ces actes dramatiques – doivent être mieux connues pour être encore mieux combattues.
La proposition de loi soumise à votre examen, dont je salue la qualité, procède ainsi à la fois d’une approche informative en direction du public, répressive à l’encontre des auteurs et protectrice au bénéfice des victimes.
Cependant, comme l’a à juste titre souligné M. le rapporteur, un autre texte portant sur le même sujet, la proposition de loi de Mme Bousquet et de M. Geoffroy renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, est actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Comme vous le savez, à la suite du long débat qui s’est tenu hier après-midi au sein de la commission chargée de l’étudier – débat au début duquel Mme le garde des sceaux s’est exprimée –, ce texte a été approuvé par tous les groupes, des amendements émanant tant de la majorité que de l’opposition ayant d’ailleurs été adoptés.
Ainsi élaboré conjointement par tous les groupes parlementaires, mais aussi enrichi par des propositions du Gouvernement, il sera examiné en séance à l’Assemblée nationale le 25 février et donc transmis dès la fin du mois de février au Sénat, qui pourra donc débattre à brève échéance des améliorations encore nécessaires en matière de lutte contre les violences au sein des couples.
Eu égard à la gravité du sujet et à la nécessité d’assurer la cohérence du travail parlementaire mené par le Sénat et l’Assemblée nationale, le Gouvernement soutient la position que vient de défendre de façon convaincante M. le rapporteur, à savoir l’adoption d’une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi, étant entendu qu’il ne s’agit ni d’une mesure dilatoire ni d’un refus d’aborder le débat.
Ce renvoi permettra de traiter ce sujet important dans le cadre d’un débat unique, afin non seulement d’éviter les incohérences entre les deux textes, mais aussi de fédérer les idées et les mesures qui vont dans le sens de la protection des victimes de violences. Il s’agit donc évidemment non pas de s’opposer à un texte dont tout le monde souligne d’ailleurs la qualité, mais de coordonner le travail parlementaire en vue de parvenir à texte unique sur un même thème.
Il n’en reste pas moins que débattre comme nous le faisons en ce moment des violences commises au sein de la sphère familiale est fort utile tant l’ampleur de cette forme de délinquance reste difficile à apprécier, ce qui rend d’autant plus fondés les efforts réalisés par l’ensemble des institutions et pouvoirs publics depuis plusieurs années. Il faut en effet mieux connaître et identifier ce fléau, les chiffres officiels ne permettant pas d’avoir une connaissance précise et affinée des violences commises au sein du couple.
La délégation aux victimes du ministère de l’intérieur a ainsi recensé pour l’année 2008 un total de 184 personnes décédées, dont 156 femmes, tombées sous les coups d’un conjoint ou d’un concubin. Mais combien de victimes de ces violences ont-elles mis fin à leur calvaire physique et psychique en se donnant la mort ? Ce chiffre reste inconnu alors même que les enquêtes de victimisation ont été multipliées depuis l’an 2000.
De même, les parquets français ont, en 2008, enregistré 59 427 nouvelles affaires de violences conjugales, contre 42 574 en 2005. Cette augmentation résulte-t-elle de la hausse – souhaitable – du nombre des plaintes liée à une plus forte sensibilisation à la question ou d’une dégradation des comportements au sein de notre société ? On ne le sait, mais force est de constater le phénomène.
Sur la même période, le nombre des condamnations prononcées de ce chef est passé de10 684 à 16 773. Mais personne, là encore, ne peut aujourd’hui affirmer connaître l’exacte ampleur du fléau tant la loi du silence reste trop souvent la norme chez les victimes, par peur des représailles, par « honte » – terme souvent employé par les victimes – ou par ignorance de leurs droits.
L’Observatoire national de la délinquance, je le rappelle, estime que les plaintes déposées par les victimes ne représenteraient que 9 % des violences conjugales réellement subies dès lors que la victime vit avec l’auteur au moment des faits.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprendrez que le chemin qui nous reste à parcourir est encore long. Il faut que nous allions vers une meilleure connaissance du phénomène, un renforcement dans l’accompagnement de la victime et une répression accrue des auteurs de ces violences, qui touchent tous les milieux sociaux, sans exception.
Il importe donc que les pouvoirs publics poursuivent leur lutte contre ce fléau. La répression plus sévère des violences dès lors qu’elles sont commises par un conjoint ou un concubin, inscrite dans le nouveau code pénal en 1994, avait montré leur attachement à combattre plus fermement les violences commises au sein du couple.
La loi du 26 mai 2004 relative au divorce, la loi du 12 novembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, à l’origine de laquelle se trouvait déjà le sénateur Roland Courteau, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et, enfin, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs ont, depuis, créé une dynamique salutaire.
D’abord, ce sujet douloureux n’est plus tabou : on en parle de plus en plus librement. Il fait aujourd’hui l’objet de débats, de campagnes de sensibilisation – et je puis témoigner que les collectivités territoriales s’y impliquent –, notamment au travers d’affiches, mais aussi dans les médias, lesquels ont d’ailleurs pris conscience du problème et se sont eux-mêmes engagés dans des démarches de sensibilisation, en particulier par le biais de films de courte durée diffusés à la télévision et qui ont eu un impact indiscutable.
Ensuite, le dispositif législatif existant est d’ores et déjà parvenu à atteindre un double objectif : la protection de la victime, souvent par l’éviction de l’auteur des violences du domicile familial, mais également une répression pénale accrue tant dans la sanction que dans le traitement thérapeutique imposé à l’auteur de violences.
Le ministère de la justice participe évidemment à cet effort en sensibilisant les parquets à cette question érigée pour cette année 2010 en « Grande cause nationale ». J’en veux pour preuve – et ce ne sont que des exemples parmi d’autres – la diffusion d’un guide de l’action publique consacré à la lutte contre les violences au sein du couple ou le lancement d’une expérimentation en Seine-Saint-Denis reposant sur l’attribution d’un téléphone portable d’alerte aux victimes de violences.
Vous le savez, beaucoup d’autres initiatives ont été prises, à tous les niveaux, et les magistrats comme les enquêteurs peuvent s’appuyer sur un corps législatif très sensibilisé et qui est à la pointe de la lutte contre les violences au sein de la sphère familiale.
Néanmoins, cette lutte ne peut souffrir aucun répit et, nous en convenons tous, beaucoup reste à faire.
Mme le garde des sceaux et moi-même avons la conviction qu’au cours des prochains débats parlementaires il nous faudra nous montrer attentifs sur plusieurs aspects afin de renforcer le dispositif existant. Je pense notamment à l’amélioration du délai de réponse de la justice en matière d’éviction de l’auteur du domicile familial ou d’attribution de l’aide juridictionnelle à la victime, sujet évoqué par l’auteur de la proposition de loi, ainsi qu’au renforcement des mesures d’accompagnement pour les enfants, témoins douloureux et impuissants des violences subies par l’un de leurs parents.
Mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup a déjà été fait, mais beaucoup reste à faire pour lutter efficacement contre les violences au sein du couple, notamment au préjudice des femmes. La présente proposition de loi comme celle qui sera défendue devant l’Assemblée nationale, puis devant le Sénat, réaffirment l’une et l’autre un objectif que nous partageons tous : garantir la protection de chacun, mais surtout des plus faibles, en toutes circonstances, y compris au sein de la sphère familiale. C’est notre devoir, c’est notre responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence au sein des couples, sujet resté trop longtemps dans l’ombre, est une nouvelle fois aujourd’hui mis en lumière avec cette proposition de loi de notre collègue Roland Courteau.
Cependant, la lumière reste insuffisante au regard de la situation d’urgence dans laquelle se trouvent les victimes, très majoritairement des femmes.
Inacceptables, ces violences ont des conséquences dramatiques pour les femmes et leurs enfants, témoins « privilégiés », si l’on ose dire, et victimes collatérales de ces violences perpétrées au sein des couples dans le huis clos de la sphère privée.
Selon une enquête de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales portant sur les années 2007 et 2008, on estime à 418 000, dont 310 000 femmes, le nombre de personnes de dix-huit à soixante-quinze ans victimes de violences physiques ou sexuelles et dont l’auteur principal est le conjoint.
L’enquête souligne également « l’augmentation significative des violences physiques ou sexuelles commises par un autre membre de la famille, en dehors du conjoint, mais vivant sous le même toit. ». Pour les mêmes années, cela concerne 250 000 femmes de dix-huit à soixante-quinze ans.
Aujourd’hui, de tels chiffres sont inadmissibles et l’un des éléments majeurs de la lutte contre les violences au sein des couples reste la répression de leurs auteurs, qui ne doivent plus bénéficier de l’ombre tenace dans laquelle ils continuent de se dissimuler. La répression fait, en ce sens, partie intégrante de la prévention, car elle indique clairement le refus de ces violences par la société et envoie un signe fort à l’ensemble de nos concitoyens.
Dévalorisées, humiliées, isolées, vivant dans la peur et sous la tyrannie de leur conjoint, les femmes victimes de violences ne sont pourtant que 10% à oser porter plainte. Ce chiffre illustre bien la difficulté pour ces femmes d’engager des procédures contre leur conjoint. Il montre aussi que les mesures de protection et d’écoute des victimes méritent encore d’être améliorées dans notre pays.
Si de réelles avancées ont été accomplies ces dernières années, telles la prise en compte des violences et l’inscription dans la loi du viol entre époux, notre pays doit avancer d’un pas plus déterminé dans la prévention et la lutte contre ce fléau, notamment par une formation adaptée et des moyens substantiels pour l’ensemble des professionnels et des services en contact avec les victimes.
À cet égard, l’Espagne a franchi un cap décisif avec sa loi-cadre et son « ordonnance de protection », qui comportent un arsenal de mesures visant à protéger les femmes et les enfants. Je vous rappelle, mes chers collègues, que le groupe CRC-SPG a déposé, le 25 novembre 2007, une proposition de loi n° 138 qui va précisément dans ce sens.
Cette proposition était issue des travaux de nombreuses associations féministes regroupées au sein du collectif national pour les droits des femmes. Celui-ci a été à l’origine des 16 000 pétitions déposées à l’Assemblée nationale en 2008 et qui ont conduit à la création d’une commission spéciale et à la proposition de loi qui sera examinée à l’Assemblée nationale le 25 février prochain.
Ainsi, même si de nombreux textes existent déjà dans notre législation, il faut envisager toutes les améliorations possibles pour compléter et perfectionner notre dispositif afin d’y intégrer l’ensemble des mesures nécessaires à une politique audacieuse de lutte contre les violences au sein des couples.
Dans cette optique, la prévention des violences doit prendre toute sa part, car, sans une prévention efficace et pertinente, c’est la place des femmes dans notre société qui est menacée, c’est l’égalité qui est mise en cause !
Relevant d’un véritable phénomène de société, les comportements violents des hommes envers les femmes sont des actes individuels inscrits dans des rapports de domination masculine encore trop tolérés par notre société.
Outre « l’extension de la compétence du juge aux affaires familiales aux situations de concubinage et de PACS » et les mesures de « formation de tous les acteurs en contact avec les victimes » proposées par le texte de notre collègue Roland Courteau, la sensibilisation aux violences appelle d’autres mesures.
De fortes résistances au changement persistent dans l’ensemble de notre société. Ces résistances sont fondées sur les discriminations liées au genre, car, si les femmes subissent des violences, c’est d’abord parce qu’elles sont des femmes !
C’est donc à un dispositif global de prévention que nous nous devons de réfléchir, afin de faire disparaître les comportements machistes qui conduisent à ces violences.
La sensibilisation et la formation dans la sphère éducative, que prévoit la proposition de loi déposée par mon groupe et que nous voulons introduire dans le présent texte, constituent un enjeu essentiel dans la lutte contre les violences.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Odette Terrade. La prévention par l’éducation doit être prise en compte dès le plus jeune âge pour modifier les comportements sociaux, afin que petites filles et petits garçons soient sensibilisés aux valeurs de respect mutuel et d’égalité entre les deux sexes.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Odette Terrade. La lutte contre les violences faites aux femmes comme aux hommes commence par une véritable révolution éducative !
La lutte contre les violences au sein du couple suppose aussi que l’accent soit mis sur le changement des modèles familiaux de notre société et qu’on prenne en compte son évolution dans ce domaine.
Devant l’ampleur des violences, les traumatismes pour les victimes, les enfants, le coût social pour la société, rien ne doit rester dans l’ombre !
Nous l’avons constaté, la cellule familiale est le premier terrain de violence, et le phénomène des « mariages forcés » concerne de plus en plus de jeunes filles, qui se retrouvent généralement dans des situations dramatiques.
Si la proposition de loi du 27 novembre 2009 crée une « ordonnance de protection » pour les victimes de mariage forcé, les jeunes femmes concernées sont confrontées au chantage familial. Faut-il rappeler qu’une femme en danger de mariage forcé est souvent une femme en danger de viol ?
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Odette Terrade. Faut-il rappeler aussi que la lutte contre les mariages forcés est tombée dans le champ du ministère de l’intégration, au détriment de la protection de l’enfance et de la législation contre les violences faites aux femmes ?
Vous le voyez, mes chers collègues, le champ d’action d’une loi contre les violences au sein du couple est vaste, complexe et mérite toute notre attention.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Odette Terrade. Il ne suffit pas, monsieur le secrétaire d'État, de déclarer l’année 2010 « année de lutte contre les violences faites aux femmes » à grands coups de communication, ou d’envisager le problème d’une façon plus sécuritaire.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Odette Terrade. Il faut dégager d’importants moyens humains et financiers afin de prévenir, sanctionner et éradiquer ces violences !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Odette Terrade. Au-delà de principes simples d’éducation non sexiste, cette proposition de loi aborde la question de l’aide aux victimes, notamment l’aide juridictionnelle.
La complexité des situations des victimes de violences implique une aide dans tous les domaines : économique, social, juridique et psychologique.
Trop souvent, les femmes ayant franchi le pas du dépôt de plainte sont confrontées à une procédure pénale vécue comme un processus long et abscons, intrusif et traumatisant. Il s’agit donc d’aider et de soutenir les victimes pour faire en sorte qu’elles ne risquent pas de sortir de leur expérience de la justice encore plus détruites qu’elles ne l’étaient auparavant.
Ainsi, les violences au sein du couple sont un fléau qui nous concerne tous, aux conséquences humaines, économiques et sociales incalculables. La proposition de loi que nous examinons comme la proposition de loi-cadre déposée antérieurement par mon groupe affirment que ces violences ne relèvent pas seulement du domaine privé, mais concernent bien l’ensemble de notre société.
C’est pourquoi, avec mon groupe, nous reconnaissons la nécessité d’une loi qui tienne compte de tous les aspects de cette question.
Même si tout ne se règle pas par la loi, la proposition du groupe socialiste défendue par notre collègue Roland Courteau, avec ses volets « sanction », « prévention » et « aide aux victimes », complète à propos les mesures déjà existantes. Elle constitue un point d’appui essentiel pour l’ensemble des victimes et un signe fort envoyé à ceux qui perpétuent cette violence intrafamiliale.
C’est pourquoi, devant l’urgence qu’il y a à se mobiliser pour que les violences au sein du couple soient prises en considération dans leur globalité, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, très longtemps, trop longtemps ignorées par notre société, les violences conjugales sont aujourd’hui reconnues au prix d’un long combat, combat mené d’abord par les femmes elles-mêmes.
Les violences au sein des couples sont réprimées pénalement depuis 1994, plus largement et plus sévèrement depuis la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises sur mineurs, adoptée sur l’initiative de nos collègues Roland Courteau et Nicole Borvo-Cohen-Seat.
Avec le présent texte, M. Roland Courteau et ses collègues du groupe socialiste nous proposent de légiférer de nouveau sur ces questions graves.
Je vous rejoins, monsieur Courteau, sur la nécessité d’améliorer le droit existant. J’ai été confortée dans cette certitude en prenant connaissance d’une analyse sociologique et juridique des arrêts de deux cours d’appel de votre région, celles de Montpellier et de Nîmes.
Au cours des années 2005 et 2006 et du premier trimestre 2007, ces juridictions ont statué sur 97 affaires de violences conjugales. L’étude de ces décisions nous donne des éléments d’information concernant les prévenus, les victimes et le contexte des violences intrafamiliales. Elle nous renseigne aussi sur la qualification des faits retenus par les juges d’appel et sur leur sanction. Surtout, elle met en relief certains points sur lesquels notre législation doit absolument évoluer.
Voici, brossées très rapidement, les informations pertinentes qui ressortent de cette jurisprudence pénale.
La grande majorité des prévenus a entre trente ans et cinquante ans.
On trouve des maris ou concubins violents dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Ainsi, dans les arrêts étudiés, ces derniers exercent des professions très diverses : militaire, ouvrier, œnologue, chef d’entreprise, agriculteur, sous-brigadier de police, routier, masseur-kinésithérapeute, gynécologue, plombier ou maçon.
Il convient toutefois de noter que 28 % de ces prévenus sont sans emploi et que 11% de ceux qui ont été jugés par la cour d’appel de Nîmes étaient des retraités.
Moins d’une victime sur deux se constitue partie civile. Dans 12,5% des cas, la victime a refusé de déposer plainte ou a souhaité la retirer au cours de la procédure. La cour d’appel de Montpellier a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler que la plainte de la victime n’était pas une condition préalable à la poursuite du chef des violences volontaires. Peut-être faudrait-il que la loi soit plus précise sur ce point.
Il ressort également des arrêts étudiés que, dans 27% des cas à Montpellier et 11% des affaires à Nîmes, le conjoint violent déclare qu’il était sous l’influence de l’alcool au moment des faits.
Dans de très nombreux cas, les violences ont eu lieu dans le cadre de la séparation ou du divorce du couple.
Dans plus de la moitié des affaires, la victime a déclaré que ce n’était pas la première fois qu’elle recevait des coups de son mari ou concubin, certaines subissant cette violence depuis de très nombreuses années. La loi du 4 avril 2006 ne retient pas le caractère habituel des violences comme une circonstance aggravante de l’infraction. Nous devons aussi changer cela !
Concernant la qualification des faits relevant des violences conjugales, c’est d’abord celle des coups et blessures volontaires que retiennent nos cours d’appel. En l’espèce, la peine encourue dépend de la durée de l’incapacité totale de travail, ou ITT, qui a pu, ou non, en résulter.
On constate que les violences physiques infligées dans le cadre conjugal entraînent dans la majorité des cas une incapacité totale de travail. La durée de cette ITT ne pose alors aucune difficulté du point de vue de la qualification puisque cette dernière est établie médicalement. Les services de police ou de gendarmerie ne manquent jamais de demander un certificat médical à la victime qui se présente pour déposer plainte. Toutefois, si l’ITT est de quelques jours, ce document n’est pas un élément de preuve suffisant. En effet, le prévenu peut être relaxé en dépit de l’existence d’un certificat médical. Notre droit devrait aussi évoluer sur ce point.
L’autre qualification retenue par les cours d’appel étudiées est celle des agressions sexuelles. Il s’agit d’une avancée indéniable de notre législation, amorcée par la jurisprudence, qui avait déjà admis avant 2006 le viol entre époux. Il reste que la victime sera confrontée au problème de la preuve, qui ne se posera pas dans des termes fondamentalement différents selon que l’agression sexuelle a été commise dans un cadre conjugal ou hors de celui-ci.
Dans l’échantillon d’arrêts étudiés, trois prévenus ont été poursuivis pour coups et blessures volontaires et pour agression sexuelle, dont un seul après l’adoption de la loi du 4 avril 2006. Cependant, pour cette seconde infraction, a été retenu comme circonstance aggravante uniquement le fait que la violence avait entraîné une blessure ou une lésion. La loi n’a en effet pas prévu, pour cette infraction, d’aggravation supplémentaire de la peine en cas de cumul de circonstances aggravantes. La cour a jugé que l’acte de violence sexuelle subi par la victime et reconnu par le prévenu a été fait en vue de blesser celle-ci et constitue donc non pas une agression sexuelle, mais un acte de violence. Là encore, nous devons revenir sur cette lacune !
Il arrive que les violences soient commises avec usage ou sous la menace d’une arme par nature ou par destination. Les juges retiennent dans ces cas, la circonstance aggravante.
Enfin, les conjointes ne sont pas les seules à subir des violences. Les violences contre les femmes constituent une violence indirecte pour les enfants, qui sont alors en situation de danger psychique. Ces violences devraient être signalées aux autorités administratives ou judiciaires, comme le prescrit l’article 434-3 du code pénal.
Des prévenus s’en prennent également verbalement ou physiquement à leurs enfants. Deux prévenus à Montpellier et trois à Nîmes ont en effet été condamnés pour violences sur mineur de quinze ans par ascendant.
Je conclurai cet exposé en évoquant les peines prononcées.
Sur 89 condamnations, les deux cours d’appel ont prononcé 80 peines d’emprisonnement. Les juges montrent une préférence indéniable pour la peine d’emprisonnement avec sursis simple, puisque celle-ci sanctionne 35 % des prévenus. La peine d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve est également souvent prononcée.
Quant à l’obligation de soins, elle s’impose largement puisqu’elle concerne 83 % des prévenus condamnés à la mise à l’épreuve. En revanche, l’obligation d’indemniser la victime et celle de ne pas entrer en contact avec la victime sont plus rarement prononcées.
Ces arrêts nous montrent que la répression pénale de ces violences est bien réelle. Toutefois, il paraît important que, en amont de la sanction pénale, les victimes puissent vivre en sécurité, ce qui implique un éloignement du mari ou du concubin violent. Nous en avons pris conscience puisque, depuis la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, l’article 220-1, alinéa 3, du code civil permet au juge aux affaires familiales, avant toute procédure de divorce, d’attribuer la jouissance du logement familial au conjoint victime de violences, ce qui revient à prononcer une véritable expulsion à l’encontre de l’époux violent.
Il convient toutefois d’aller plus loin, car cette disposition n’est pas applicable en cas de concubinage. Il faudrait permettre à la victime, parallèlement au dépôt de sa plainte, d’obtenir une mesure d’éloignement de son agresseur, exécutée par les services de police, au besoin sous le contrôle du procureur de la République.
Mes chers collègues, notre dispositif législatif doit donc encore évoluer pour mieux protéger les victimes de violences conjugales. Des améliorations sont proposées dans le présent texte ; d’autres le seront dans la proposition de loi qu’examineront les députés à partir du 25 février prochain.
Les sénateurs du groupe Union centriste approuvent la démarche du rapporteur tendant au renvoi à la commission de cette proposition de loi, afin de joindre ultérieurement son examen à celui du texte des députés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le domicile est un espace plus dangereux pour les femmes que l’espace public, et les hommes qu’elles connaissent sont plus dangereux pour elles que les inconnus.
Ces phrases ne sont pas tirées des gros titres de la presse à sensation. Il s’agit malheureusement de la réalité : une réalité triste, insoutenable et intolérable ! Telle est la routine quotidienne, révélée par de nombreuses enquêtes, notamment celle de 2000, et vécue par 10 % des femmes environ dans notre République.
En France, l’insécurité, le danger et la souffrance sont en effet le lot quotidien d’au moins une femme sur dix. Il ne s’agit pas uniquement de violences physiques, celles auxquelles on pense tout d’abord parce qu’elles sont les plus marquantes, les plus visibles, et parce qu’elles provoquent la mort d’une femme tous les deux jours et demi. Il existe bien d’autres formes de violences, beaucoup plus insidieuses, mais tout aussi destructrices, inacceptables et intolérables : ce sont les violences psychologiques, c’est-à-dire le harcèlement, la domination, la culpabilisation, la possession et l’humiliation, qui peuvent aussi mener à la mort – même s’il est parfois difficile d’en établir la preuve – puisqu’elles conduisent à la dépression et au suicide.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Virginie Klès. Une femme sur dix : cela signifie que je connais certaines de ces femmes, que j’en côtoie régulièrement dans l’exercice de mes fonctions d’élue locale ; cela signifie aussi que chacun et chacune d’entre nous en connaît, même si nous ne les avons pas forcément reconnues. Il n’est pas aisé, en effet, de recueillir leurs confidences. Il faut avoir les oreilles et les yeux grands ouverts pour reconnaître ces femmes, parce qu’elles se cachent, qu’elles ont honte, que la culpabilité est inversée, et sans doute aussi parce que nous sommes quelque peu démunis.
Que dire, que faire face à ces drames cachés, « culpabilisés », qui se déroulent au sein d’un domicile devenu prison, huis clos ? N’avons-nous pas un devoir d’ingérence ? C’est une question que je me suis souvent posée. Un devoir d’ingérence, certes, mais pour quoi faire, et comment ?
Les femmes victimes de ces violences sont de tous âges et appartiennent à toutes les catégories sociales ou professionnelles. L’auteur des faits est souvent leur mari ou compagnon, leur ex-mari ou ex-compagnon, mais ce n’est pas toujours le cas. Ce peut être aussi un fils, un gendre, un père, un beau-père, voire un cousin ou un neveu.
Et puis, les femmes ne sont pas les seules victimes de ces violences. Les hommes aussi peuvent être touchés. Une compagne – parce qu’elle a été victime, mais pas uniquement dans ce cas –, un compagnon ou un fils peut se retourner contre un homme. Il convient de poser le regard sur ces hommes qui souffrent et de les écouter. Mais pour dire quoi, et pour faire quoi ? Comment les aider à sortir de leur silence, alors que leur sentiment de honte est sans doute plus important encore que celui des femmes ?
La question du devoir d’ingérence se pose avec encore plus d’acuité pour les enfants, car ils grandissent dans deux univers totalement différents, où les valeurs sont inversées : ce qui est autorisé dans l’un est interdit dans l’autre. Leur père et leur mère, qui sont leurs modèles et qu’ils aiment tous les deux, leur donnent le spectacle de la violence, de l’humiliation, de l’acceptation de l’inacceptable. Or ce modèle, le premier qu’ils connaissent, est totalement battu en brèche par ce qu’ils apprennent à l’école, par les valeurs de la République, par la loi sociale, par le milieu scolaire et, plus tard, par la vie professionnelle. Comment ces enfants peuvent-ils se construire correctement ? N’avons-nous pas, en l’occurrence, un réel devoir d’ingérence ?
Nous devons prendre en charge ces hommes et ces femmes. C’est un constat ! Et nous devons le faire sans démagogie ni populisme, sans complaisance ni esprit de polémique. Aucun partenaire – élus, professionnels, bénévoles, associatifs – ne doit être écarté du combat commun contre ce fléau totalement inadmissible. Nous devons tous avancer ensemble !
La dernière enquête sur ce sujet a été réalisée en 2000. Nous avons besoin aujourd’hui d’une nouvelle enquête pour apprécier, dix ans après, l’évolution de la situation. Un rapport devrait être remis au Parlement au moins tous les deux ans, afin de permettre aux parlementaires d’évaluer les progrès, les dysfonctionnements, les faiblesses et les points positifs, pour mettre en commun les expériences, pour avancer. Ainsi pourrons-nous, dans l’urgence et à court, moyen et long termes, tout faire pour garantir la sécurité des victimes et les mettre à l’abri, mais aussi pour prendre en charge les auteurs de violences et les mettre hors d’état de nuire. Il faut en effet permettre à des personnalités de se reconstruire, éviter la réitération des faits et redonner des repères solides aux enfants pour qu’ils puissent se construire correctement.
Nous n’avons pas le droit, en France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’en rester au mode déclamatoire : nous devons prendre des mesures concrètes.
En conclusion, je forme le vœu solennel que le renvoi du texte à la commission, vers lequel nous nous dirigeons, ne soit pas un renvoi ad vitam aeternam vers un futur lointain et vague, qui sonnerait comme un glas, un adieu, un abandon. Je souhaite qu’il soit l’occasion d’un rassemblement véritable de l’Assemblée nationale et du Sénat, de la majorité et de l’opposition, des hommes et des femmes, l’occasion d’une concertation entre tous les acteurs impliqués dans la lutte contre ce fléau. La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée « Grande cause nationale 2010 » par le Premier ministre. Ce combat, qui fait l’unanimité au sein de cet hémicycle, doit se traduire dans les faits : ne passons pas à côté, car il y va de notre responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que nous abordons le sujet dramatique des violences au sein des couples, en particulier celles qui sont faites aux femmes. De nombreux textes ayant pour objet la prévention et la lutte contre ce fléau social existent déjà dans le droit français.
Pourtant, force est de constater que de grands progrès restent à faire dans notre pays en matière de prévention. Les études menées ne laissent pas franchement place à l’optimisme. Voilà dix ans, déjà, selon l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, 10 % des femmes étaient victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques au sein de leur couple, soit près de 1,3 million de femmes de tous âges et de toutes situations matrimoniales.
En 2008, 157 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint dans notre pays, ce qui représente un décès tous les deux ou trois jours. Ces chiffres, qui sont insoutenables, ne dévoilent malheureusement que la partie visible de l’iceberg des violences subies par les femmes du fait de leur sexe.
L’acquisition de données précises relève d’un exercice très complexe. Ces violences ont en effet lieu à huis clos, au cœur du foyer familial. Le plus souvent, elles ne font malheureusement pas l’objet de plaintes auprès des services de police ou de gendarmerie. Elles sont protéiformes et touchent les femmes dans leur intégrité physique et dans leur liberté, y compris financière.
Moins de 9 % des femmes victimes de violences conjugales porteraient plainte, ce qui représente un quart de l’ensemble des faits de violences volontaires. Ces actes restent donc un sujet tabou et indigne, d’une ampleur considérable.
L’Observatoire national de la délinquance a mené, en 2007 et en 2008, deux enquêtes sur les victimes, qui nous donnent davantage de précisions : 4,9 % des femmes et 4,7 % des hommes de dix-huit à soixante ans déclarent avoir subi au moins un acte de violence physique sur cette période de deux ans. Mais la nature et la répercussion de ces actes sont différentes. Parmi les 870 000 femmes victimes de violences physiques, 60 % les subissent dans le cadre de leur foyer, tandis que 66 % des hommes victimes de telles violences les ont subies en dehors de leur foyer. Il y a donc bien une spécificité de la violence au sein des couples ; elle est transversale, repose sur les rapports de pouvoir et sur les rapports sociaux relatifs au genre.
Pour autant, nous ne devons pas passer sous silence d’autres formes de violences à l’égard des femmes : les violences dans l’espace public, les violences au travail et les violences coutumières. Je pense notamment au mariage forcé et aux mutilations sexuelles.
Notre devoir d’élus de la République est d’aider et de protéger ces femmes, ainsi que leurs enfants, qui sont à la fois les premiers témoins et les victimes, directes ou indirectes, de ces violences.
Nous avons la responsabilité d’améliorer, encore et toujours, l’arsenal juridique existant afin d’accroître la réactivité et de renforcer l’efficacité non seulement des dispositifs d’accueil, de soin, d’hébergement et de réinsertion sociale destinés aux victimes, mais aussi des systèmes de prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs de violences. L’un ne va pas sans l’autre : il faut garantir à la fois l’éviction du conjoint violent et la protection de la victime, l’accès de cette dernière à la justice, son droit à une aide financière immédiate ou encore à un logement. Il y va du respect de notre pacte républicain, qui repose notamment sur le principe de l’égalité des droits entre tous les citoyens, quel que soit leur sexe. La société tout entière en ressortira grandie.
La proposition de loi soumise à notre examen va dans ce sens. Son auteur, notre collègue Roland Courteau, est à l’origine de l’adoption, en 2006, de la loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Je tiens à saluer ici son engagement, efficace et persévérant, au service de la défense du droit des femmes.
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !