M. Michel Teston. Dans ce contexte, pourquoi nous présente-t-on ce nouveau texte budgétaire ?
Il a notamment pour objet de mettre en œuvre le grand emprunt qui doit financer les investissements d’avenir. Soit, mais ce grand emprunt alourdit la dette de la France, et il y aurait bien d’autres moyens d’assurer le financement de ces investissements si le chef de l’État n’avait pas mené une politique visant à faire des cadeaux fiscaux à certaines parties de la population : je pense, en particulier, au bouclier fiscal.
Ces remarques préliminaires étant formulées, j’en viens aux différentes observations que m’inspire ce projet de loi, caractérisé par des insuffisances et des oublis.
Tout d’abord, les infrastructures et services de transport font une nouvelle fois les frais des adaptations budgétaires prévues par le Gouvernement. Plus de 81 millions d’euros sont ainsi annulés en autorisations d’engagement et en crédits de paiement au titre de cette action de la mission « Écologie, développement et aménagement durables ».
En outre, en ce qui concerne les investissements d’avenir, il est seulement prévu de soutenir les programmes intégrés urbains. Or il aurait été utile de mettre en œuvre des projets de ligne à grande vitesse dont la réalisation a été décidée. Quid des promesses du Grenelle de l’environnement ? Comment réaliser tous les projets retenus et régénérer dans un délai raisonnable les lignes existantes si chaque collectif budgétaire prévoit des annulations de crédits affectés aux transports et si un grand emprunt ignore la question essentielle du développement du réseau ferroviaire à grande vitesse ?
Doit-on en conclure que les préconisations du Grenelle ont vocation à rester lettre morte ou, plus probablement, que, l’État ne prenant pas ses responsabilités, ce seront les collectivités territoriales qui prendront le relais ? Il n’est pas acceptable que le Gouvernement supprime régulièrement des crédits en rognant sur certains éléments essentiels de la politique d’aménagement du territoire.
J’en viens à la place réservée, au titre du grand emprunt, à l’aménagement numérique du territoire.
En octobre 2008, lors de la présentation du plan « France numérique 2012 », le Gouvernement avait annoncé deux grands objectifs : assurer l’accès de tous au haut débit et réduire la fracture numérique. L’annonce de ce plan n’avait pas été suivie de l’inscription de crédits par l’État…
Pour tenter d’atteindre ces objectifs, il est prévu, dans ce projet de loi de finances rectificative, d’attribuer 4,5 milliards d’euros de crédits au Fonds national pour la société numérique, dont la gestion sera confiée à la Caisse des dépôts et consignations.
La répartition par action de ces crédits est la suivante : 2,5 milliards d’euros pour le développement des usages, services et contenus numériques innovants, 2 milliards d'euros pour le développement des réseaux à très haut débit. Si l’État se décide enfin à affecter des crédits importants au développement du numérique, il n’en reste pas moins que le grand emprunt oublie complètement le numérique à l’école. Grâce au grand emprunt, il aurait pourtant été possible d’ouvrir un vaste chantier de développement des « écoles numériques », aujourd’hui encore uniquement au stade de l’expérimentation.
Comme le souligne Françoise Benhamou, professeur à l’université Paris-XIII, dans Le Monde du 27 janvier dernier, l’équipement massif en tableaux interactifs numériques constitue un projet à la fois pédagogique et industriel. Le développement de tels outils permettrait d’initier tous les élèves à un usage responsable et raisonné des ressources d’internet et constituerait un puissant levier économique.
Un certain nombre des conclusions du rapport qui doit être remis aujourd'hui même au ministre de l’éducation nationale vont également dans le sens de la mise en œuvre d’un plan massif d’équipement numérique des établissements scolaires.
Afin de susciter un effet de levier sur l’investissement privé, le Fonds mobilisera 2 milliards d’euros pour le développement des réseaux à très haut débit, selon des règles d’intervention publique censées être adaptées aux caractéristiques des territoires. Aucune intervention publique n’est prévue dans les zones denses. Pour les zones moyennement denses, le Fonds n’attribuera pas de subventions, mais distribuera des prêts à hauteur de 1 milliard d’euros pour accélérer et optimiser l’investissement des opérateurs privés : 250 millions d’euros sont prévus pour des subventions et des prises de participation en vue du déploiement, d’ici à cinq ans, d’une solution technique apportant le très haut débit à 750 000 foyers en zones rurales.
À court et à moyen termes, il ne reste donc plus que 750 millions d’euros pour attribuer des subventions, notamment aux projets d’initiative publique dans les zones peu denses. Compte tenu de l’immensité des besoins, il est à craindre que ces sommes soient bien loin de suffire à assurer la couverture totale du territoire.
Le grand emprunt fait aussi l’impasse sur un secteur qui crée des emplois durables et répond aux besoins de la population : le logement social.
Comme l’a très bien souligné Thierry Repentin dans une tribune publiée par La Gazette des communes, « les organismes HLM sont les seuls, dans le secteur immobilier, à pouvoir obtenir des résultats substantiels en matière d’économie d’énergie et de soutien aux filières innovantes ». Dans cet article, notre collègue rappelle aussi que « Michel Rocard et Alain Juppé, co-présidents de la commission chargée d’étudier les modalités de mise en œuvre du grand emprunt, l’avaient bien compris mi-novembre lorsqu’ils ont proposé la création d’un fonds de deux milliards d’euros pour le financement de prêts à taux zéro sur quinze ans destinés à la réhabilitation thermique de 700 000 logements sociaux des catégories E, F et G ». Mais le chef de l’État n’a pas jugé bon de reprendre cette idée, et M. Repentin poursuit en ces termes : « Tout juste [ce texte] prévoit-il une enveloppe de 500 millions d’euros exclusivement dédiée aux travaux d’amélioration thermique des propriétaires occupants. Une telle mesure n’aura pas l’effet levier qu’aurait permis l’intervention massive sur le parc social. »
En conclusion, ce projet de loi souffre de lacunes et d’oublis majeurs dans des domaines essentiels en matière d’investissements pour l’avenir. L’appréciation portée sur ce collectif budgétaire par les membres socialistes de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire rejoint donc celle, totalement défavorable, de Mme Bricq et de M. Lagauche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Le contexte dans lequel s’inscrit la discussion de ce projet de loi de finances rectificative a été excellemment retracé par MM. Arthuis et Marini. En particulier, elle intervient très rapidement après le vote de la loi de finances initiale, et certains orateurs de l’opposition y voient la preuve que le projet de budget présenté pour 2010 était insincère. Il n’en est rien, et le Conseil constitutionnel a d’ailleurs été d’avis contraire. Du reste, lors du débat budgétaire, j’avais bien spécifié devant la représentation nationale que le projet de budget ne prenait pas en compte le grand emprunt et que nous discuterions de ce dernier ultérieurement.
L’examen du présent texte se place à un moment charnière, entre la fin de la crise et le début de la reprise. La situation doit encore être consolidée, en France comme dans le monde entier, notre pays s’en sortant toutefois plutôt mieux qu’un certain nombre de ses partenaires européens.
Ce projet de loi de finances rectificative n’est pas un texte financier, il est surtout, M. Marini a eu raison de le souligner, un texte de réforme de l’État, qui nous engage pour l’avenir et par lequel nous essayons d’amorcer des évolutions. Il nous permet notamment d’aborder des questions qui n’avaient pas suffisamment été posées depuis bien longtemps, celles qui concernent l’investissement.
C’est aussi un texte « Janus », répondant à une double logique : d’un côté, il prévoit des investissements, donc des dépenses, se traduisant d’ailleurs par une augmentation du déficit budgétaire ; de l’autre, il nous projette vers l’avenir.
Ce projet de loi de finances rectificative n’a rien d’ « illusoire », monsieur le président de la commission des finances, ni de « magique », comme l’a affirmé votre homologue de l'Assemblée nationale. Nous avons construit ce texte pour que les 35 milliards d’euros d’investissements prévus produisent un effet important en termes de développement économique, sans avoir une incidence trop négative sur les déficits publics.
Peut-on parler de débudgétisation ?
Mme Nicole Bricq. Bien évidemment !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l’autorisation de M. le ministre.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je souhaiterais dissiper un malentendu.
En parlant tout à l’heure d’illusion budgétaire, je visais le fait que le budget pour 2010 fait apparaître une dépense supplémentaire de 35 milliards d’euros, alors que la dépense effective sera au maximum de 4 milliards d’euros. En revanche, le budget pour 2011 ne comportera aucune dépense supplémentaire, alors que nous écluserons, à partir de cet exercice et au moins jusqu’en 2015, des dépenses qui auront été passées, en apparence, dans le budget pour 2010.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est un texte habile !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Monsieur le président de la commission des finances, la construction financière du texte a été conçue ainsi : ce n’est pas une illusion, en tout cas pas une illusion perdue… (Sourires.)
Notre stratégie en matière de finances publiques est claire. Un programme de stabilité a été transmis à Bruxelles : il s’agit de dégager 50 milliards d’euros de recettes fiscales nouvelles, tout en réduisant pour un même montant les dépenses liées au plan de relance dans les trois années à venir. Notre ambition est donc extrêmement élevée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la conférence sur le déficit public, à laquelle vous participez, et ses groupes de travail sur les dépenses sociales, sur les dépenses de l’assurance maladie ou sur la maîtrise des dépenses locales n’édulcorent pas la réalité : nous l’affrontons pleinement, au contraire, afin de mettre en place un meilleur pilotage de la dépense publique. Des décisions devront encore être prises pour tenir compte de l’incidence de la crise, qui a bouleversé nos finances publiques.
M. le rapporteur général et M. de Montesquiou ont appelé l’attention sur le fait que si la France est aujourd'hui bien notée, il faut veiller à respecter le programme de stabilité afin de préserver l’image de sérieux et de solidité dont bénéficie notre pays : cette dimension psychologique ne doit pas être ignorée. Pour autant, ce programme prévoit que son application ne vaut qu’en période de croissance, et non en temps de crise. Il convient de tenir compte de cet élément, mais je réaffirme que le rééquilibrage des finances publiques est au cœur de notre politique. Cet effort d’assainissement est mené sur tous les fronts. Ainsi, ce matin même, au cours d’une réunion avec les partenaires sociaux organisée par le Président de la République, il a notamment été question du calendrier et de la méthode de la réforme, structurelle s’il en est, des retraites.
Pour sa part, Mme Bricq a évoqué un différend entre le Gouvernement et la Cour des comptes. Cela étant, il ne s’agit pas d’une polémique. Le Gouvernement a le droit de s’exprimer pour répondre aux observations de la Cour des comptes. Sur le fond, nous sommes d’ailleurs d’accord : l’accélération du creusement du déficit est liée à la crise. Simplement, la Cour juge que celle-ci est à hauteur de 90 % la cause de cette évolution négative, alors que nous estimons quant à nous qu’elle l’explique entièrement.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas ce que la Cour a dit !
M. Éric Woerth, ministre. Cet écart de 10 % traduit notre divergence de vues sur la chute des recettes de l’État, qui selon la Cour est en partie due à des raisons étrangères à la crise. Tel n’est pas notre avis, que nous étayons par des arguments : la Cour des comptes n’a pas forcément raison, et le Gouvernement n’a pas nécessairement tort ! Il est tout à fait normal qu’un tel débat, qui n’est pas méthodologique mais qui repose sur des approches différentes, s’instaure en démocratie.
En ce qui concerne les réformes fiscales, M. Dominati nous encourage à poursuivre les baisses d’impôts, comme les Allemands. La coalition au pouvoir en Allemagne envisage certes cette possibilité, mais je sais, pour en avoir discuté récemment avec M. Schäuble, que les choses ne sont pas si simples. En tout état de cause, le moins que l’on puisse dire est que nous avons déjà consenti quelques efforts en ce sens ! Sur certaines travées, on nous le reproche, sur d’autres, on déplore que nous n’allions pas plus loin ! Le crédit d’impôt-recherche, n’est-ce pas une baisse d’impôt ?
Mme Nicole Bricq. On ne sait pas vraiment ce que c’est…
M. Éric Woerth, ministre. C’est une niche fiscale très importante, destinée à favoriser l’innovation.
N’oublions pas non plus la suppression de l’imposition forfaitaire annuelle, que les entreprises demandaient depuis fort longtemps et qui représente tout de même 1,4 milliard d’euros. Quant à la suppression de la taxe professionnelle, qu’est-ce sinon une baisse d’impôt ? Je pourrais citer d’autres exemples encore, mais notre politique économique, budgétaire et fiscale est claire : les impôts sont aujourd’hui trop élevés en France. Nous devons certes sécuriser les recettes, mais aussi accroître notre compétitivité en vue de la reprise.
De nombreux intervenants, dont MM. Marini et Dallier, ont évoqué le programme d’investissement d’avenir, doté de 35 milliards d’euros. Jamais un tel effort n’avait été accompli depuis les grands plans d’investissement des années soixante. Nous avons en effet des retards stratégiques à combler, et la commission Juppé-Rocard avait pour tâche de réfléchir aux moyens d’y parvenir.
Nous avons décidé d’intervenir massivement, selon un horizon pas trop éloigné, avec des priorités bien définies.
S’agissant du numérique, M. Retailleau a été très précis. J’indique que le milliard d’euros annoncé s’ajoute aux 750 millions d’euros apportés par la Caisse des dépôts et consignations pour les zones moyennement denses. Par ailleurs, je confirme que 750 millions d’euros de subventions destinées à la couverture des zones peu denses seront versés au Fonds national pour la société numérique, ce qui permettra d’abonder le Fonds d’aménagement numérique des territoires. J’ignore quelle est exactement la structure juridique de ce dernier fonds, mais il faudrait éviter, autant que possible, de passer par une intermédiation. En tout cas, il s’agit bien de crédits supplémentaires.
Je remercie le groupe de l’Union centriste de son soutien, manifesté par les voix de Jean-Léonce Dupont et de Jean-Jacques Jégou. Les priorités sont en effet clairement délimitées. Le recours à l’emprunt ne portera que sur 22 milliards d’euros, les 13 milliards d’euros restants provenant du remboursement par les banques des fonds publics prêtés.
Nous avons décidé de faire appel aux marchés financiers plutôt qu’aux particuliers, monsieur Chevènement, parce que c’était la solution la moins coûteuse, et donc la plus raisonnable. Notre objectif n’était pas, en levant cet emprunt, de réaliser une opération politique au mauvais sens du terme. Je regrette que vous soyez moins d’accord avec notre démarche a posteriori que vous ne l’étiez a priori. Certes, dans notre pays, tout dispositif peut être qualifié d’usine à gaz, d’autant que nous vivons dans un monde de plus en plus complexe, notamment sur le plan juridique.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous sommes un vieux pays !
M. Éric Woerth, ministre. Cependant, il ne s’agit pas en l’occurrence d’une usine à gaz : la mesure est limitée dans le temps et le mode de gouvernance associe la nécessaire expertise à l’intervention du Parlement et de l’exécutif. Des projets pourront assez vite être sélectionnés parmi les milliers qui existent, le seul objectif étant d’obtenir un surcroît de croissance pour notre pays. Là est bien l’important !
Les propos de M. Foucaud ont largement dépassé le cadre de ce collectif, mais il était sans doute dans son rôle en s’exprimant comme il l’a fait.
Cela étant, je lui rappellerai que l’INSEE a établi que le pouvoir d’achat a augmenté de 2,2 % en 2009. Certes, tout le monde pense qu’il a au contraire baissé, mais telle est pourtant la réalité, que deux facteurs expliquent : l’inflation a été très faible et de nombreuses prestations sociales ont augmenté. Le pouvoir d’achat des fonctionnaires a quant à lui progressé de plus de 3 %. Là encore, même si beaucoup le contestent, telle est la réalité, incontournable.
Le pouvoir d’achat a donc résisté de façon assez exceptionnelle en ces temps de crise. Les catégories les plus modestes de la population ont été mieux protégées dans notre pays que dans bien d’autres. Le défi qui s’offre à nous pour les prochains mois sera de faire en sorte que nos concitoyens puissent profiter également au maximum de la sortie de crise, sans que cela obère les chances de notre pays. Seule la croissance pourra permettre que le niveau de vie continue à augmenter en France et que nos déficits commencent à se réduire de façon significative.
Concernant les priorités pour l’avenir, je salue la remarquable intervention de M. Étienne sur l’enseignement supérieur et sur la recherche.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout à fait !
M. Éric Woerth, ministre. Ces secteurs sont au cœur du grand programme d’investissement : 19 milliards d’euros leur seront consacrés, ces fonds n’étant d’ailleurs pour l’essentiel pas directement consommables. Cela signifie que l’on ne touchera pas au capital, seuls les intérêts produits par celui-ci devant servir à financer les dépenses d’investissement au profit des campus d’excellence et des universités présentant des points forts. C’est là une option « durable » et « soutenable » compte tenu de l’état de nos finances publiques.
En tout état de cause, le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche continuera de progresser chaque année, ce qui marque très clairement la volonté du Gouvernement dans ce domaine, monsieur Lagauche, même si l’on peut toujours estimer que l’effort devrait être encore plus important. Cela étant, la démarche suivie est empreinte de rigueur, qu’il s’agisse de la gouvernance des universités, de la définition des priorités ou de l’affectation des moyens. Dans ce domaine, l’Agence nationale de la recherche est un partenaire incontournable.
S’agissant des infrastructures de transport, je voudrais dire à M. Teston que nous ne sommes pas en retard par rapport à nos voisins, la France ayant beaucoup investi dans ce domaine ces dernières années. Nous avons choisi de ne pas financer de telles infrastructures par le biais du grand emprunt, pour éviter que le président de la commission des finances ou le rapporteur général puissent nous reprocher de pratiquer la débudgétisation. (Sourires.) En effet, dans la plupart des cas, les infrastructures de transport bénéficient déjà de financements spécifiques inscrits dans divers plans, associant souvent les collectivités territoriales, au travers par exemple des contrats de plan État-région. Le lancement d’un grand programme d’investissement ne signifie d’ailleurs pas que le budget de l’État ne comportera plus de crédits destinés à l’investissement, ce qui constituerait, pour le coup, de la débudgétisation : l’effort d’investissement classique doit au contraire être poursuivi et renforcé.
Concernant la filière industrielle de l’aluminium en France, à titre personnel, je suis tout à fait favorable à la réalisation de l’étude demandée par M. Vial. J’en parlerai à Mme Lagarde et à M. Borloo, qui sont plus compétents que moi sur ce sujet.
Il est vrai que notre pays s’est désengagé des industries électro-intensives au fil du temps. Cela me semble d’autant plus regrettable que, pour avoir travaillé chez Pechiney pendant quelques années, j’ai pu mesurer quelle a été l’extraordinaire puissance de cette entreprise dans son secteur, avant d’assister avec beaucoup de tristesse à son effondrement. Je suis sûr que la France a encore un rôle à jouer dans le domaine de la production d’aluminium.
Pour en revenir à la débudgétisation évoquée par MM. Marini, Retailleau et Étienne, je voudrais souligner que cette critique n’est pas fondée.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas une critique, c’est un constat !
M. Éric Woerth, ministre. Eh bien je ne partage pas ce constat !
Tout d’abord, on procède bien à une ouverture de crédits sur le budget de l’État. C’est un fait incontestable !
Mme Nicole Bricq. Vous faites de la trésorerie !
M. Éric Woerth, ministre. Par ailleurs, que faut-il exactement entendre par « débudgétisation » ? La débudgétisation aurait consisté par exemple à autoriser les opérateurs à emprunter directement, en mettant en place leur propre système de financement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est bien vu !
M. Éric Woerth, ministre. Or ce n’est pas le cas ! L’État va leur donner de l’argent, dont l’utilisation sera ensuite contrôlée, notamment par les commissions des finances et le commissariat général à l’investissement.
Cependant, le mécanisme de contrôle ne devra pas étouffer les projets : l’objectif est de favoriser la création. Sur le plan budgétaire, je le répète, les opérateurs disposeront de crédits ouverts dans le cadre de programmes. Ce schéma est sans doute assez original, mais cela permet de préserver la spécificité du dispositif et de le rendre « soutenable », pour reprendre une expression de M. le rapporteur général.
Il était logique de s’appuyer sur les opérateurs existants, car ce sont eux qui disposent de la compétence nécessaire. Imaginez notre débat si nous avions décidé de créer spécialement deux, trois ou quatre opérateurs pour recevoir les fonds, au lieu de passer par Oséo et l’ANR ! Pour le coup, on aurait pu parler à juste titre d’usine à gaz. Nous avons voulu éviter ce travers.
J’ajoute que les opérateurs ne sont pas déconnectés de la politique mise en œuvre par l’État : ils en font partie. Ils ne sont pas indépendants, et il appartiendra donc aux ministres de tutelle d’exercer leur autorité sur eux. Il s’agit ici non pas d’un budget bis, mais d’une autre manière de consommer des crédits budgétaires et de contrôler les choses. Ce contrôle sera étroit : les conventions seront transmises au préalable aux commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat, comme l’ont demandé les présidents des deux chambres, un comité de surveillance où siègeront deux sénateurs et deux députés sera instauré, enfin des documents d’information budgétaire, et pas seulement des « jaunes » budgétaires, monsieur Chevènement, seront publiés.
Une procédure complète de contrôle associant étroitement le Parlement sera donc mise en place, qui ne devra toutefois pas empêcher la consommation des fonds. Vous aurez toute latitude pour auditionner qui vous souhaiterez ; aussi vous reviendra-t-il de contribuer à la création de ce contrôle. Le Gouvernement émettra d’ailleurs un avis favorable sur des amendements qui seront présentés sur ce sujet.
Le financement de l’emprunt sera compensé par une diminution des frais de fonctionnement de l’État.
Mme Nicole Bricq. Tu parles !
M. Éric Woerth, ministre. Au titre de 2010, nous annulons 500 millions d’euros de crédits pour compenser 500 millions d’euros d’intérêts d’emprunt. La charge des intérêts sera plus élevée en 2011, premier exercice complet. Notre démarche consiste, même si cela est difficile, à substituer de la dépense d’investissement à de la dépense de fonctionnement.
Enfin, M. Arthuis s’est interrogé sur la nature du véhicule législatif qui portera la taxe carbone. Je ne sais pas s’il s’agira d’un collectif ou d’un texte spécifique, mais la solution pourrait être de choisir un véhicule hybride ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? …
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 116, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010 (n° 276, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Bernard Vera, auteur de la motion.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce collectif ne peut être examiné en faisant abstraction de la situation économique internationale.
Depuis quelques mois, on perçoit dans certains pays, y compris le nôtre, des signes de reprise économique, même s’il convient de relativiser ces indices à la lecture des données fournies par l’INSEE sur la récession en 2009, dont le taux est évalué à 2,2 %.
L’économie nord-américaine semble avoir repris de la vigueur, et tout laisse à penser que le gouvernement des États-Unis souhaite en tirer parti pour son propre compte, au détriment des autres puissances économiques.
Aussi observons-nous depuis quelque temps déjà une spéculation renforcée sur les matières premières, ainsi qu’une offensive particulièrement vigoureuse sur les marchés obligataires. Cette offensive, pilotée par les fonds de pension américains, porte notamment sur la dette obligataire des pays de la zone euro les plus fragilisés par la crise.
Les hedge funds s’attaquent aux pays de la zone euro dont la situation précaire laisse augurer de notables plus-values pour tous ceux qui joueront à la fois sur la progression des taux d’intérêt consentis par ces pays et sur la remontée prévisible de l’euro face au dollar, après quelques semaines de chute.
En clair, les fonds de pension américains, dont certains sont encore empêtrés dans les créances douteuses du marché immobilier américain, s’apprêtent à se refaire une santé aux dépens des pays européens les plus fragiles.
Ainsi, à l’issue de la crise financière internationale provoquée par les crédits immobiliers américains, nous nous engageons, après un bref intermède de vertueuse indignation lors des sommets du G20, dans une nouvelle aventure, celle de la crise obligataire.
La plupart des États de la zone euro se sont endettés pour soutenir les activités bancaires et éviter l’explosion du système. Ils font face aujourd'hui à des acteurs des marchés financiers qui ont repris leurs mauvaises habitudes spéculatives. La moralisation et la régulation du capitalisme, ce ne sera pas encore pour cette fois !
On s’apprête aujourd'hui à administrer à la Grèce une potion d’austérité qui consistera en un ensemble de mesures très dures : réduction du nombre de fonctionnaires, baisse de leur rémunération, allongement de la durée de cotisation pour la retraite, hausse de certains impôts, touchant d’abord et avant tout la consommation, et autres dispositifs frappant lourdement les plus nombreux, c’est-à-dire les moins riches.
Si l’Europe avait eu un sens, elle aurait aidé ce pays à se reconstruire après le désastre qu’ont représenté deux étés d’incendies. Elle aurait mis au service de la Grèce un dispositif de conseil en recouvrement fiscal pour l’aider à lutter contre les maux endémiques dont elle souffre, à savoir la fraude fiscale et l’économie informelle.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La Grèce n’est pas une colonie européenne, c’est un pays indépendant !