Sommaire

Présidence de Mme Catherine Tasca

Secrétaires :

MM. François Fortassin, Marc Massion.

1. Procès-verbal

2. Loi de finances rectificative pour 2010. – Discussion d'un projet de loi

Discussion générale : MM. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État ; Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances ; Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis de la commission de la culture ; Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission de l’économie ; Jean Arthuis, président de la commission des finances.

Organisation des débats

MM. le ministre, le président de la commission

Discussion générale (suite)

MM. Jean-Pierre Chevènement, Thierry Foucaud, Mme Nicole Bricq.

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

MM. Philippe Dallier, Jean-Léonce Dupont, Aymeri de Montesquiou.

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

MM. Philippe Dominati, Jean-Jacques Jégou, Serge Lagauche, Jean-Pierre Vial, Michel Teston.

MM. le ministre, le président de la commission.

Clôture de la discussion générale.

Question préalable

Motion no 116 de M. Thierry Foucaud. – MM. Bernard Vera, le rapporteur général, le ministre, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Pierre Fourcade, Thierry Foucaud. – Rejet par scrutin public.

3. Dépôt d'un rapport du Gouvernement

Suspension et reprise de la séance

4. Loi de finances rectificative pour 2010. – Suite de la discussion d'un projet de loi

Première partie

Articles additionnels avant l'article 1er A

Amendement n° 102 de M. Thierry Foucaud. – M. Thierry Foucaud.

Amendements nos 76 rectifié et 78 rectifié de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq.

MM. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances ; Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État ; François Marc, Thierry Foucaud. – Rejet des amendements nos 102, 76 rectifié et 78 rectifié.

Amendement no 48 de M. Jean-Jacques Jégou. – MM. Jean-Jacques Jégou, le rapporteur général, le ministre. – Retrait.

Amendement n° 83 rectifié de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq.

Amendement n° 104 de M. Thierry Foucaud. – M. Thierry Foucaud.

MM. le rapporteur général, le ministre, François Marc. – Rejet des amendements nos 83 rectifié et 104.

Amendement n° 41 rectifié de M. Michel Thiollière. – MM. Philippe Dominati, le rapporteur général, le ministre. – Retrait.

Article 1er A

Amendement n° 1 de la commission. – MM. le rapporteur général, le ministre, Bruno Retailleau. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Amendement n° 54 rectifié de M. Philippe Adnot. – Devenu sans objet.

Articles additionnels après l'article 1er A

Amendement n° 103 de M. Thierry Foucaud. – MM. Thierry Foucaud, le rapporteur général, le ministre, Mme Nicole Bricq. – Rejet.

Amendement n° 105 de M. Thierry Foucaud. – MM. Thierry Foucaud, le rapporteur général, le ministre. – Rejet.

Amendement n° 77 rectifié de Mme Nicole Bricq. – M. François Marc.

Amendement n° 106 de M. Thierry Foucaud. – M. Thierry Foucaud.

MM. le rapporteur général, le ministre, Mme Nicole Bricq. – Rejet des amendements nos 77 rectifié et 106.

Article additionnel avant l'article 1er B

Amendement n° 107 de M. Thierry Foucaud. – MM. Bernard Vera, le rapporteur général, le ministre. – Rejet.

Article 1er B

Amendements identiques nos 2 de la commission et 94 rectifié de M. Thierry Foucaud. – MM. le rapporteur général, Bernard Vera, le ministre, le président de la commission. – Adoption des deux amendements supprimant l'article.

Article additionnel après l'article 1er B

Amendement n° 60 rectifié de M. Yvon Collin. – MM. Michel Charasse, le rapporteur général, le ministre. – Retrait.

Articles additionnels avant l'article 1er

Amendement n° 82 de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq, MM. le rapporteur général, le ministre, Mme Michèle André. – Rejet.

Amendement n° 80 rectifié de Mme Nicole Bricq. – MM. Claude Haut, le rapporteur général, le ministre, Mme Nicole Bricq, MM. le président de la commission, Michel Charasse. – Rejet.

Amendement n° 72 de Mme Nicole Bricq. – MM. Michel Sergent, le rapporteur général, le ministre. – Rejet.

Amendement n° 75 de Mme Nicole Bricq. – MM. François Marc, le rapporteur général, le ministre. – Rejet.

Amendement n° 81 de Mme Nicole Bricq. – Mme Nicole Bricq, MM. le rapporteur général, le ministre. – Rejet.

Amendement n° 84 de M. Serge Lagauche. – Mme Nicole Bricq, MM. le rapporteur, général le ministre. – Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion.

5. Mise au point au sujet d'un vote

MM. Philippe Dominati, le président.

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Catherine Tasca

vice-présidente

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Marc Massion.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Discussion générale (suite)

Loi de finances rectificative pour 2010

Discussion d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Organisation des débats

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010 (projet de loi n° 276, rapports nos 278, 283 et 284).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, pendant toute l’année 2009, nous avons répondu à l’urgence de la crise en mettant en œuvre tous les moyens, à la fois fiscaux et budgétaires, pour soutenir notre économie et aider nos concitoyens les plus fragiles à traverser cette épreuve.

Cette action a d’ores et déjà porté ses fruits. Les chiffres publiés depuis la fin de l’année dernière sont les premiers signes d’une reprise économique qu’il nous faut encore conforter. Avec une progression de notre PIB de 0,6 % au quatrième trimestre 2009, la croissance est en nette accélération, après une progression de 0,2 % au troisième trimestre.

Nos perspectives de croissance pour 2010, évaluées à 1,4 %, nous placent avec l’Allemagne dans le peloton de tête des pays dont la reprise est la plus marquée, la prévision de croissance pour l’ensemble de la zone euro étant de 1 %, selon le FMI.

Si la comparaison par rapport à nos voisins est à notre avantage, elle ne doit pas non plus masquer certaines de nos faiblesses historiques, qui, si nous ne les surmontons pas rapidement, constitueront autant de handicaps pour l’avenir. Car c’est aujourd’hui, en cette période de sortie de crise, que notre avenir se joue. Nous ne pouvons pas nous permettre de passer à côté des évolutions, non seulement des technologies, mais aussi des savoirs, qui vont dessiner le monde de demain.

Il serait facile d’expliquer qu’il ne faut pas tout attendre de l’État. Mais ce n’est pas notre choix. Au contraire, nous avons la conviction qu’il est possible d’agir et d’investir aujourd’hui pour se donner un avenir crédible.

Cette conviction ne date pas d’hier. Elle imprime depuis bientôt trois ans nos priorités budgétaires, tournées vers la recherche et l’enseignement supérieur, la compétitivité et le développement durable. La progression de 1,8 milliard d’euros chaque année depuis 2007 des crédits alloués à l’enseignement supérieur et la recherche, l’extension du crédit d’impôt recherche et le Grenelle de l’environnement ont marqué une rupture très profonde des priorités de l’État.

Alain Juppé et Michel Rocard rappelaient, dans le rapport qu’ils ont remis au Président de la République, qu’« il y a deux façons de mal préparer l’avenir : accumuler les dettes pour financer les dépenses courantes ; mais aussi, et peut-être surtout, oublier d’investir dans les domaines moteurs ».

Personne ne peut douter de la détermination du Gouvernement à redresser l’équilibre de nos finances publiques. L’organisation, à la fin du mois de janvier, de la conférence sur le déficit public, présidée par le Président de la République, le prouve. Personne ne peut non plus reprocher au Gouvernement d’ignorer la préparation de l’avenir. C’est ce qu’il démontre chaque jour dans son action.

La réflexion à laquelle nous sommes aujourd’hui appelés sur nos priorités nationales s’inscrit dans la même vision, la même stratégie et la même ligne que celle qui est suivie par nos principaux partenaires européens. Il suffit d’ailleurs de regarder au-delà de nos proches frontières : le Royaume-Uni s’est doté d’un fonds d’investissement stratégique pour financer les projets innovants dans les hautes technologies ; l’Allemagne a conçu pour sa part un programme de 2 milliards d’euros pour soutenir l’innovation de ses PME. Notre démarche va dans le même sens, mais elle est évidemment très exceptionnelle par l’ampleur des moyens que nous sommes prêts à lui consacrer.

Cette réflexion inédite a suscité beaucoup de débats. Certains ont voulu enfermer la discussion dans la pure et unique question de l’emprunt, comme si la question se résumait à donner une succession à la longue liste des emprunts déjà lancés sous la Ve République ! La polémique est passée à côté de l’enjeu posé par cette question : où, combien et comment investir pour renforcer durablement la compétitivité de notre économie sans pour autant compromettre le redressement de nos finances publiques ?

La réponse que nous avons apportée repose sur quatre principes : la sélection de priorités limitées ; la recherche de l’excellence ; la mise en place d’une gouvernance exceptionnelle ; enfin, le choix du mode de financement le moins coûteux et la préférence donnée aux dépenses d’investissement sur les dépenses courantes.

Quelles sont, tout d’abord, les priorités d’investissement ? La commission présidée par Alain Juppé et Michel Rocard a très précisément éclairé cette question. Les ouvertures de crédits proposées sont les suivantes : 19 milliards d’euros pour l’enseignement supérieur, la formation et la recherche ; 6,5 milliards d’euros pour l’industrie et les PME ; 5 milliards d’euros pour le développement durable ; 4,5 milliards d’euros pour le numérique. Cela représente, au total, 35 milliards d’euros tournés vers l’innovation.

Certains ont regretté l’absence du financement des infrastructures de transport. J’aurai l’occasion de revenir sur ce choix lors de la discussion d’un amendement voté par la commission des finances et portant sur le canal Seine-Nord Europe.

Les projets financés à travers ces actions sont d’ailleurs extrêmement divers : des campus d’excellence à la promotion des nouveaux usages dans le numérique ; de la conception du véhicule du futur à la recherche dans les biotechnologies.

Tous ces projets se rejoignent en revanche dans la recherche d’une seule ambition, l’excellence pour la France.

Ce mot, malgré son usage fréquent, conserve encore un sens. Il faut en réalité le promouvoir, en évitant de céder à la pression constante du nivellement. Évidemment, l’excellence ne se fait pas contre ce qui existe.

Pour prendre l’exemple de l’enseignement supérieur, nous allons consacrer presque 8 milliards d’euros à des campus d’excellence, avec l’objectif de faire de ces partenariats d’écoles, d’universités, d’organismes de recherche et d’entreprises des pôles de visibilité mondiale. Nous mobilisons 1 milliard d’euros supplémentaire pour la constitution du plus important campus scientifique et technologique européen sur le plateau de Saclay.

Avec l’émergence de ces pôles d’excellence, nous nous donnons les moyens de ne plus jouer dans la deuxième division du célèbre classement de Shanghai.

Mais nous n’oublions pas non plus les autres campus. Des financements sont prévus pour ceux qui, sans être sélectionnés dans le processus des « campus d’excellence », ont des points forts qui en font, dans leur domaine, des acteurs de référence : 1 milliard d’euros sera destiné à des laboratoires d’excellence et 1 milliard d’euros à des équipements d’excellence ; 3,5 milliards d’euros permettront de mieux valoriser les résultats de la recherche publique.

En tout état de cause, ces investissements d’avenir se font sans remettre en cause la progression des moyens des autres universités et des autres organismes de recherche.

On ne peut cependant viser cette excellence sans un cadre rigoureux de mise en œuvre et sans une gouvernance propre au grand emprunt.

L’exception se traduit tout d’abord, dans ce collectif, par l’ouverture de crédits sur des programmes budgétaires spécialement créés. Au sein des missions déjà existantes, il s’agit d’isoler les dépenses d’avenir, par nature exceptionnelles, des autres dépenses de l’État.

Nous avons fait le choix d’un décaissement en bloc à des opérateurs chargés de leur gestion. Ce décaissement ne traduira pas, il est vrai, la réalité des décaissements chez les opérateurs, car les décaissements de ces derniers s’inscriront nécessairement dans la durée, en fonction des projets.

Plus que l’architecture budgétaire retenue, c’est bien la procédure d’instruction et de mise en œuvre des investissements d’avenir qui les distinguera des autres interventions de l’État. Je sais que le Sénat est particulièrement sensible à ce point.

Dans cette démarche, l’évaluation est un enjeu majeur, à tous les stades du projet, depuis la sélection sur la base d’appels à projets lancés avec le concours d’experts reconnus jusqu’à la mesure des résultats obtenus.

La recherche d’un effet de levier sur les autres financements, privés ou publics, ne peut que servir l’objectif d’un investissement intelligent. Alain Juppé et Michel Rocard visaient dans leur rapport un objectif de 60 milliards d’euros d’investissement global avec cet effet de levier. Nous maintenons cet objectif dans le choix des futurs projets.

Dans l’architecture qui sera mise en place, le commissariat général à l’investissement, confié à René Ricol, a vocation à jouer un rôle central. Il aura la charge de préparer, avec tous les ministères concernés – qui, il importe de le noter, sont également au cœur du dispositif –, les outils de contractualisation avec les opérateurs gestionnaires des fonds.

Des conventions détermineront précisément leur emploi, en cohérence avec les politiques menées par le Gouvernement, ainsi que les indicateurs de mesure des résultats attendus, que le Parlement, comme le Gouvernement, surveillera attentivement.

Un comité de surveillance sera mis en place, dans le prolongement de la mission confiée à Alain Juppé et Michel Rocard. Il veillera plus particulièrement au suivi de la mise en œuvre et aux résultats des programmes d’investissement, au fur et à mesure de leur lancement.

Quelle est la place du Parlement dans cette gouvernance ? (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Je crois que ce serait faire un mauvais procès au Gouvernement…

Mme Nicole Bricq. Un procès peut-être, mais certainement pas un mauvais procès !

M. Éric Woerth, ministre. … que de voir dans ce schéma une opération de « débudgétisation ».

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela y ressemble pourtant…

M. Éric Woerth, ministre. Personne n’avait songé à cela… (Sourires.) D’ailleurs, je me demande pourquoi j’en parle, c’est totalement inutile. (Nouveaux sourires.)

La nature et les objectifs visés par ces investissements sont détaillés dans les documents budgétaires. Naturellement, nous ne sommes pas nécessairement capables, à ce stade de la procédure, de définir chacun des projets avec toute la précision souhaitable. Ce sera, en pratique, aux opérateurs – ils existent, nous n’allons pas en créer de nouveaux –, sous le pilotage du commissariat général et en liaison avec les ministères concernés, de traduire ces objectifs, ces enveloppes budgétaires, dans le choix des investissements et d’en rendre compte, d’une part, au comité de surveillance, dans lequel siégeront bien évidemment des parlementaires, et, d’autre part, surtout, directement au Parlement à travers une information régulière.

Les présidents des deux assemblées ont exprimé leur souhait d’une étroite association du Parlement à la gouvernance de ce programme d’investissement. Le texte qui vous est soumis aujourd’hui satisfait, me semble-t-il, leurs demandes d’amélioration par rapport au texte initial. Je ne veux pas dire qu’il faut en rester là – vos amendements démontrent que le texte est encore perfectible – mais il ne serait pas souhaitable de trop s’écarter de ce point d’équilibre. Il s’agit de faire en sorte que l’exécutif reste l’exécutif, que le législatif reste le législatif et contrôle l’exécutif.

L’exemplarité, nous ne l’avons pas limitée à la définition de la gouvernance, améliorable. Elle inspire également les choix que nous avons faits dans les modes de financement des investissements d’avenir.

L’annonce de l’emprunt national a dérouté au début. Pourquoi ajouter de la dette à une dette que tout le monde – le ministre du budget en tête – s’accorde à trouver déjà trop lourde ? Les décisions que nous avons prises lèvent aujourd’hui, me semble-t-il, ces inquiétudes.

La première décision tient aux conditions d’emprunt retenues, qui ont été guidées par le souci de minimiser le coût de l’emprunt.

M. Nicolas About. C’est bien !

M. Éric Woerth, ministre. Le remboursement de 13 milliards d’euros de financements prêtés aux banques pendant la crise a tout d’abord permis de limiter à 22 milliards d’euros le recours à l’emprunt, 22 milliards d’euros qui feront l’objet d’un appel aux marchés financiers, dans le cadre du programme d’emprunt de l’Agence France Trésor.

Nous avons donc écarté l’appel aux particuliers car il aurait fallu, dans ce cas, supporter le coût supplémentaire de l’intermédiation des réseaux bancaires, c’est-à-dire entre 1 % et 2 % sur le montant des sommes empruntées,…

M. Nicolas About. Très bien !

M. Éric Woerth, ministre. … ce qui n’avait aucun sens.

Complément du choix précédent, l’obligation de dépôt au Trésor des fonds gérés par les opérateurs permet de limiter l’augmentation de la dette publique. Nous avons eu cette discussion en commission des finances, monsieur le président Arthuis.

Cette obligation procure en effet à l’État une ressource de trésorerie qui lui permet de réduire son recours à l’emprunt de court terme. L’impact des dépenses d’avenir sur la dette publique n’est donc pas de 35 milliards d’euros. L’argent qui est emprunté, remis aux opérateurs et replacé au niveau de l’État, c’est autant d’argent que l’on n’emprunte pas, c’est donc un cercle, qui bien sûr prend fin au moment où on déboucle l’ensemble de l’investissement, mais comme on met plusieurs années avant de le déboucler, cela a agi par étapes successives sur l’endettement. L’étape 2010 est de 5 milliards d’euros, et non de 35 milliards d’euros.

Enfin, pour conclure sur ce chapitre, il y a cette idée particulièrement importante de réorienter les moyens des dépenses courantes vers les dépenses d’investissement.

Si l’on considère l’ensemble des dotations non consommables, des prises de participation et des mécanismes de prêts, 63 % des investissements d’avenir se traduiront par un enrichissement du patrimoine de l’État et de ses opérateurs, 71 % si l’on y ajoute les avances remboursables, ce qui peut être discutable puisqu’elles font l’objet de discussions au cas par cas, selon la nature de l’avance remboursable. Nous avons donc entre 63 % et 71 % de dépenses considérées comme non consomptibles – ou non consommables ; c’est peut-être plus clair (Mme Nicole Bricq opine.) –, qui ne viendront pas charger les déficits publics au sens maastrichtien.

Pour compenser la charge du financement de ces investissements d’avenir, nous avons décidé – c’était, me semble-t-il, très important – de faire un effort supplémentaire sur les dépenses courantes de l’État, en les réduisant d’un montant équivalent dès 2010.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !

M. Éric Woerth, ministre. Par conséquent, 500 millions d’euros de crédits sont annulés, en dehors de la réserve de précaution, monsieur le rapporteur général,…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !

M. Éric Woerth, ministre. … sur les budgets des ministères, pour compenser la charge d’intérêt générée par l’emprunt.

Au total, l’impact des investissements d’avenir sur le déficit sera d’environ 2,5 milliards d’euros par an, soit 0,1 point de PIB par an, parce que nous avons su faire les choix responsables, notamment dans la nature des investissements et leurs modalités de financement.

J’en viens maintenant – puisqu’il s’agit d’un collectif budgétaire – à l’actualisation de nos perspectives financières issues de la discussion du projet de loi de finances.

Le déficit public attendu pour 2010 sera de l’ordre de 8,2 % du PIB, c’est-à-dire 0,3 point de mieux que la prévision précédente, inscrite dans le projet de loi de finances.

Certes, le déficit budgétaire ressortant du projet de collectif s’élève à 149 milliards d’euros. Il est évidemment augmenté, et je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter la comptabilité en termes budgétaires et en termes maastrichtiens. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Mais ce niveau historiquement élevé est dû à l’ouverture des 35 milliards d’euros de crédits destinés au financement des investissements d’avenir, qui, eux, pèsent directement en comptabilité budgétaire et ne pèsent pas en comptabilité maastrichtienne. Il ne doit pas faire illusion sur l’amélioration cependant bien réelle de nos perspectives financières.

Cette amélioration est due aux premiers effets de la reprise économique, certes modeste, il faut faire preuve d’une très grande prudence, chacun ici sera évidemment d’accord sur ce point. Nous avons déjà constaté sur les rentrées fiscales de la fin de l’année dernière un certain nombre de « frémissements » : 2 milliards d’euros de recettes supplémentaires au titre de l’impôt sur les sociétés et 1,5 milliard d’euros sur la TVA, pour ne prendre que les impôts les plus importants, et ce par rapport à la dernière prévision. La baisse est bien sûr gigantesque par rapport au projet de loi de finances pour 2009, mais par rapport au dernier collectif, les chiffres sont un peu meilleurs.

Avec la réactualisation de la prévision de croissance attendue cette année – 1,4 %, contre 0,75 % qui était l’hypothèse de construction du projet de loi de finances –, l’amélioration se confirme en 2010. Dans l’ensemble, et malgré l’impact de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2010 – moins 2,2 milliards d’euros –, le produit des recettes de l’État est revu à la hausse de 3 milliards d’euros cette année. La décision du Conseil porte à la fois sur la taxe carbone et sur les bénéfices non commerciaux dans la taxe professionnelle.

Si l’on tient compte également de l’impact de ces perspectives économiques plus favorables sur les recettes sociales, le déficit public est ainsi évalué à 8,2 % du PIB, en amélioration de 0,3 point par rapport à la prévision associée au projet de loi de finances, et ce malgré le coût du financement des investissements d’avenir, à savoir 0,1 point, et nonobstant le coût de la censure du Conseil constitutionnel – que je ne mets pas sur le même plan –, qui est également de l’ordre de 0,1 point de PIB.

Un déficit de 8,2 % – personne ne peut se réjouir de ce chiffre, il est bien sûr extrêmement préoccupant et je n’ai nullement l’intention de dire qu’une diminution de 0,3 point, c’est formidable – est, dans l’absolu, un chiffre très élevé. Je veux juste y voir un coup d’arrêt à la dégradation continue du déficit, un nouveau point de départ ouvrant le chemin d’un déficit à 3 % en 2013, conformément au programme de stabilité que nous avons fait parvenir à la Commission. J’en profite d’ailleurs pour excuser Christine Lagarde, qui est à Bruxelles pour discuter des sujets à l’ordre du jour de l’Eurogroupe ; elle nous rejoindra demain après-midi.

L’objectif est bien de réduire notre déficit de 5 points de PIB en l’espace de trois ans, c’est-à-dire 100 milliards d’euros ? Ce n’est pas une moindre ambition : il s’agit de sommes considérables.

Le retour de la croissance nous permettra de faire environ la moitié du chemin, soit 50 milliards d’euros, grâce à l’impact mécanique de la croissance sur les recettes. Nous reprenons, au bout d’un certain nombre d’années, un rythme de recettes équivalant à celui que nous avions abandonné, et ce rattrapage des recettes fiscales est en fait plus rapide car en cas de crise, les recettes fiscales baissent plus brutalement – 60 % de recettes en moins pour l’impôt sur les sociétés quand on fait moins 2,2 % en macroéconomique – et les sorties de crise, même si celle-ci était particulièrement importante, ont montré une sur-réactivité des recettes fiscales. J’ajoute que la fin progressive de la crise nous permettra de réduire les mesures de relance et donc de supprimer les dépenses liées au plan de relance. Ce ne sera pas le cas en 2010, mais nous espérons tous que ce sera possible dès l’année prochaine.

C’est cette croissance supplémentaire que nous allons chercher afin de pouvoir faire la seconde partie du chemin, c'est-à-dire les 50 autres milliards d’euros, notamment grâce aux investissements d’avenir dont ce collectif budgétaire est porteur.

Toutefois, la croissance ne suffit pas si elle n’est pas accompagnée d’un effort partagé, soutenu et durable dans la maîtrise des dépenses publiques.

Lorsqu’on constate un écart aussi important entre nos recettes et nos dépenses, alors même que les recettes publiques sont en France parmi les plus élevées du monde, c’est bien que le problème se situe au niveau des dépenses car dans ce cas, il n’y a pas de marge de manœuvre sur les recettes. Or les dépenses sont l’affaire de tous : l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales, chacun à sa place. L’État apporte chaque année, sous diverses formes, près de 100 milliards d’euros de concours financiers aux collectivités territoriales et environ 50 milliards d’euros aux organismes de sécurité sociale. Les interactions financières entre ces différents acteurs sont telles qu’il serait vain de vouloir ne faire porter l’effort que sur une partie d’entre eux.

C’est pourquoi le Président de la République a réuni à la fin du mois de janvier une conférence sur le déficit public associant l’ensemble des acteurs de la dépense publique. Cette conférence est le début d’un processus. Les travaux ont été lancés, ils déboucheront sur des décisions concrètes à partir du printemps.

Le programme de stabilité que nous avons transmis à la Commission est la traduction de cette démarche. Il repose sur un effort de maîtrise des dépenses représentant environ 50 milliards d’euros d’économies d’ici à 2013. Cet effort portera sur tous les types de dépenses, y compris – je sais que vous y êtes, à juste titre, particulièrement sensibles – les dépenses fiscales et les niches sociales, avec l’objectif non pas d’une coupe brutale dans les dépenses, comme on l’entend, mais d’un ralentissement de leur progression. C’est une chose difficile à expliquer, mais il s’agit de ralentir de façon très significative la progression des dépenses que nous connaissons depuis de nombreuses années.

Comme vous le constatez, et je terminerai sur ce point, notre politique budgétaire vise deux objectifs qui sont liés. Le premier, c’est le soutien à la croissance de demain, avec un encouragement massif à l’investissement, public et privé, autour de priorités clairement définies et porteuses d’avenir. C’est bien l’objectif du collectif et l’objectif du grand investissement soutenu par un grand emprunt.

Le second objectif, c’est la réduction des déficits par la maîtrise des dépenses. Le Président de la République a fixé le cap en souhaitant, lors de la conférence sur le déficit, que la France se dote d’une règle d’équilibre pour l’ensemble des administrations. Il a également proposé une méthode : les prochains mois seront ceux du diagnostic partagé, de la concertation au sein des groupes de travail, de la préparation des plans d’action. À partir d’avril et de mai, avec la prochaine conférence viendra le temps des décisions. Beaucoup de décisions ont déjà été prises, nous ne passons donc pas de rien à tout, mais nous accélérons le processus de décisions parce que la crise a rendu cette accélération nécessaire et, d’ici au printemps, je présenterai notamment un plan d’économies sur les dépenses de l’État, incluant les niches fiscales et sociales.

Voilà ce que je pouvais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, en guise d’introduction à ce débat passionnant sur le collectif budgétaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Nicolas About applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un plaisir que de se retrouver pour le premier collectif budgétaire de l’année. En 2009, nous en avions eu plusieurs ; nous ne savons pas si ce sera de nouveau le cas cette année. Cela étant, le présent texte est particulièrement intéressant.

Je souhaiterais commencer par aborder son contexte, puis faire ressortir quelques paradoxes du texte, et enfin faire état des quelques préconisations de notre commission des finances.

En premier lieu, je rappellerai que la crise a d’abord été financière : c’était une crise des marchés. Elle s’est ensuite transmise à la sphère réelle de l’économie ; puis, l’attention s’est portée sur la soutenabilité des finances publiques, qu’il s’agisse des dépenses accrues nécessitées par les plans de lutte contre la crise ou des effets cumulés des endettements du passé.

Aujourd’hui, la question essentielle redevient une question monétaire. C’est la monnaie, c’est en particulier l’euro qui est au cœur des inquiétudes.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Dix ans après la création de l’euro, mes chers collègues, c’est le premier vrai test pour la zone monétaire européenne.

Souvenez-vous-en : avant 1999, lorsque nous réunissions nos amis économistes, dans les colloques et les groupes de travail, ils appelaient notre attention sur le phénomène du « choc asymétrique », qui se produirait dans le cas où un pays divergerait par rapport à la zone monétaire intégrée. L’ironie des choses veut que l’on ait toujours cité la Finlande, avec la mémoire d’événements précis qui s’y étaient déroulés. En vérité, c’est du sud de l’Europe, et plus précisément de la Grèce, que les nouvelles inquiétudes sont parties.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous savons bien que, ces derniers jours, un soutien politique a été accordé à la Grèce, et qu’une certaine mobilisation s’est produite pour qu’elle tienne et pour que les marchés cessent de l’attaquer. Est-ce suffisant, monsieur le ministre ? Je crois que l’on peut très sérieusement se poser la question.

La politique monétaire n’est plus aujourd’hui un instrument d’ajustement à la disposition des États. La marge de manœuvre de la Banque centrale européenne est fortement affaiblie par le fait que les taux d’intérêt sont à un niveau historiquement bas. Par ailleurs, les marges de manœuvre budgétaires sont réduites par les interrogations sur la soutenabilité des finances publiques qu’expriment les marchés, les analystes, les agences de notation.

Tout cela se traduit par un renchérissement du coût de la dette pour les États perçus comme les plus fragiles. La semaine dernière, c’est la Grèce qui en a fait les frais ; mais personne ne peut imaginer l’enchaînement de circonstances fortuites qui peut conduire, d’ici à quelque temps, à mettre tel ou tel autre État de la zone euro sur la sellette.

Lorsque j’ai eu l’occasion, au nom de la commission, de me rendre dans certains des nouveaux États membres de l’Union européenne, j’y ai vu intervenir de concert – c’est en particulier le cas de la Lettonie – le Fonds monétaire international et l’Union européenne, avec les mêmes méthodes et des moyens d’intervention coordonnés.

Mais, bien entendu, à l’intérieur de la zone euro, l’intervention du FMI est un sujet tabou ; elle serait d’ailleurs difficile à imaginer. Pourtant, qu’est-ce qui distingue fondamentalement, sur le plan de l’économie réelle, la Grèce, la Roumanie, la Hongrie et les pays baltes ?

Dans ce contexte, monsieur le ministre, la gouvernance économique de la zone euro est un sujet incontournable. Nos gouvernants vont avoir à traiter le problème essentiel des règles du jeu de la zone euro. Est-il possible, aujourd’hui, d’entretenir la fiction selon laquelle les Vingt-Sept auraient tous vocation à entrer dans la zone euro un jour ou l’autre ? Nous vivons toujours dans cette idée, bien que nous sachions désormais qu’il s’agit d’une fiction, et que les États ayant l’euro en partage ne disposent pas des institutions qui leur permettraient véritablement de faire face aux circonstances. Au titre du contexte, ce point me paraît essentiel.

Permettez-moi de m’attarder un instant sur la question monétaire. Mes chers collègues, la dépréciation de l’euro que l’on a vu se concrétiser récemment sur les marchés est une bonne nouvelle pour la France ! Qu’il me suffise de rappeler que, transposée sur une année pleine, une dévalorisation de 10% de l’euro par rapport à toutes les autres monnaies, c’est 0,7 point de croissance supplémentaire.

Bien entendu, cette hypothèse favorable, dont nul ne sait quelle est la réalité, est contrebalancée par un autre élément qui risque d’être beaucoup plus défavorable, je veux parler du regard porté par les marchés sur le redressement de nos finances publiques.

Nous sommes véritablement au cœur de ces contradictions. Et cette sortie de crise, monsieur le ministre, va être l’épreuve de vérité pour nos finances publiques. D’où le caractère très important du texte que nous examinons. S’il est signal de laxisme, il desservira la France. S’il nous permet, au contraire, de mieux nous organiser pour faire face aux investissements d’avenir, de créer des procédures transparentes, d’assurer une convergence réelle vers le respect des règles auxquelles nous avons souscrit, peut-être ce texte aura-t-il alors un rôle vertueux.

Le programme triennal de stabilité que vous venez, monsieur le ministre, de transmettre à Bruxelles comme en chaque début d’année est particulièrement volontariste. J’oserai dire que, même si aucun des précédents n’a été respecté – et loin s’en faut ! –, nous n’avons pas le droit à l’erreur pour celui-ci, compte tenu du contexte que je viens d’évoquer.

En effet, nous avons un beau crédit. Nous sommes crédibles. Les conditions de notre dette sont attractives. Mais tout cela ne repose que sur de la psychologie ! Le rapport de la dette sur le produit intérieur brut, l’envolée du déficit et notre incapacité à obtenir que la dépense publique augmente de moins de 2 % en volume par an ces dernières années militeraient effectivement plutôt pour des appréciations mitigées.

Or, Dieu merci, les appréciations portées sur nous jusqu’à présent sont plutôt valorisantes et bienveillantes. À nous de les mériter. Je crois que c’est en particulier à vous, monsieur le ministre, qu’il incombe de faire en sorte que ces réalités-là ne soient pas oubliées.

Nous espérons que votre détermination à faire respecter les chiffres contenus dans le programme de stabilité est totale. Ces chiffres doivent permettre, au prix d’économies de dépense lourdes, douloureuses, d’aboutir à un déficit de 3 % du produit intérieur brut à l’horizon 2013. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Je terminerai sur cet aspect en rappelant l’importance des règles du jeu. Que ces règles soient constitutionnalisées ou intégrées dans la loi organique ne peut pas faire de mal ; mais cela ne saurait se substituer à une volonté active, qui se prouve chaque jour dans la réalité de la gestion. En tout cas, un objectif en termes de solde, exprimé par des règles simples, que l’on ne puisse pas – ou plus – manipuler au gré des circonstances, est évidemment essentiel à notre crédibilité. Aujourd’hui encore plus qu’hier nous avons un besoin impérieux de crédibilité.

J’en viens maintenant aux paradoxes du projet de loi de finances rectificative. Ce texte, monsieur le ministre, est une sorte de Janus : d’un côté, il accroît le déficit de 31,6 milliards d’euros, il alourdit de 27% le déficit que nous venons tout juste de voter dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2010 ; de l’autre côté, il me paraît porteur de quelques évolutions que j’oserai qualifier de vertueuses.

M. François Marc. Il n’y a que la foi qui sauve !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout d’abord, il réhabilite l’investissement, en particulier l’investissement public.

Mme Nicole Bricq. Après des années de baisse !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il identifie des priorités, et il le fait de manière à servir, même si l’effet sera forcément très limité, la croissance potentielle de l’économie et il servira, en tout cas de façon sans doute plus décisive, la compétitivité de nos entreprises et de leurs exportations. (Très bien ! au banc des commissions.)

Ensuite, et je pense que c’est véritablement grâce à vous, monsieur le ministre, le texte affirme le principe selon lequel l’ensemble des charges financières nouvelles – charges de l’emprunt et charges résultant des quasi-intérêts facturés aux opérateurs bénéficiaires de l’emprunt – seront gagées par des économies de fonctionnement, à hauteur de 500 millions d’euros en 2010, puis de 1,2 milliard d’euros en 2011.

Ces sommes, il faudra les trouver ! Mais je fais naturellement toute confiance à la direction du budget, qui a toujours été une administration extrêmement efficace dans ce domaine. (M. le ministre sourit.) À la vérité, dans les périodes difficiles, on ne peut compter que sur la direction du budget pour faire des choses qui ne sont pas simples, qui sont désagréables, mais qu’il faut bien faire.

L’exercice, cependant, montrera un jour ses limites et, nous le savons tous, il faudra s’interroger sur le périmètre et les modes d’action de l’État. Ce texte milite, en vérité, pour de profondes réformes administratives. Certains peuvent d’ailleurs s’interroger sur la nécessité de continuer à avoir un certain nombre de ministères alors qu’on les contourne par des administrations de mission.

Pour ma part, j’ai plutôt tendance à préférer les administrations de mission aux ministères trop structurés. Lorsqu’on a des priorités essentielles, qui correspondent à un moment de la conjoncture, il est bon de les confier à des équipes dynamiques, réactives, et qui auront vocation à disparaître avec la fin des politiques ainsi mises en œuvre.

L’exemple de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, et de son mode décisionnel – des jurys pluralistes où siègent, dans des conditions véritablement pluridisciplinaires, des experts, français et étrangers, de différents domaines – montre qu’il est possible d’« aérer » la recherche, l’innovation, et de retenir, en réponse aux appels à projets, les solutions qui sont vraiment les meilleures, dans le seul souci de la compétitivité et de l’innovation, et non du respect de quelque mandarinat ou de quelque position acquise que ce soit. De ce point de vue, l’ampleur donnée, dans le dispositif de cette réforme, à l’Agence nationale de la recherche est à mon sens un très bon élément.

J’évoquerai maintenant les préconisations de la commission des finances.

Vous ne serez pas surpris, monsieur le ministre, que notre première préoccupation soit la protection des intérêts budgétaires et patrimoniaux de l’État.

L’obligation est faite aux opérateurs publics bénéficiaires des délégations de crédits de déposer leurs fonds libres au Trésor. C’est tout à fait essentiel, car l’impact des dépenses d’avenir s’en trouve lissé et l’État peut optimiser sa propre gestion de trésorerie. La commission des finances a cependant souhaité aller plus loin en ce qui concerne le dénouement de l’opération. Pour nous, il est primordial de s’assurer que l’État sera en mesure, à la fin de l’opération ou en cas de divergence de l’opération, de récupérer les sommes temporairement transférées aux opérateurs sous forme de dotations en capital, appelées ici « dotations non consomptibles ». Il convient également d’orienter les processus de décision vers le financement des projets présentant une rentabilité réelle, mesurable, sur laquelle l’État puisse compter.

Notre seconde préconisation est relative au contrôle démocratique. Oui, le dispositif qui nous est soumis est sans conteste une débudgétisation. Dès lors, il convient de nous assurer que le contrôle du Parlement sera de même qualité, de même pertinence et de même profondeur que s’il s’agissait de crédits classiques, dans des programmes ou des missions classiques du budget de l’État.

Nous n’avons, monsieur le ministre, aucune religion des formes : ce qui importe, c’est la réalité des choses et, par conséquent, que l’ampleur des arbitrages soit à la mesure de la qualité et de la motivation du contrôle parlementaire. C’est pourquoi nous avons, par une série d’amendements, imaginé des solutions transposant l’esprit de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, pour superviser et mettre en œuvre le programme d’investissements.

Quand nous avons voté la LOLF, nous ne pouvions certes pas prévoir le « grand emprunt » ; il nous faut donc, bien entendu, en adapter les procédures à l’esprit de la loi organique de telle sorte que le Parlement, que nos concitoyens s’y retrouvent.

Je soulignerai, en conclusion, à quel point le dispositif qui nous est proposé est original et, à ce titre, éveille l’intérêt et suscite l’adhésion. Il en résultera des dynamiques nouvelles, des conséquences imprévues sur le fonctionnement des structures et sur les relations entre les acteurs.

À la vérité, monsieur le ministre, vous qui nous présentez ce projet de loi de finances rectificative êtes non seulement le ministre du budget, mais aussi le ministre de la réforme de l’État. Or ce texte est un texte de réforme de l’État, et c’est notamment en tant que tel qu’il doit être analysé.

Le collectif budgétaire, vous le savez, mes chers collègues – et je terminerai par là –, ne se résume pas à l’emprunt national. D’autres sujets, d’ordre fiscal, seront traités à l’occasion de la discussion des amendements que les uns et les autres ont préparés, notamment la commission des finances.

Nous avons en particulier souhaité que soit lancé le débat sur les moyens d’évasion fiscale qu’offre la « grande toile ». Car les ressources publicitaires « pompées » par de merveilleux moteurs de recherche globaux sont des ressources issues de notre marché qui profitent à d’autres, ailleurs ! De réels problèmes de concurrence et de viabilité de nos médias, notamment audiovisuels, peuvent en résulter. C’est donc là un des sujets que nous souhaitons traiter à l’occasion de l’examen de ce texte.

Enfin, il est un point sur lequel la commission souhaite qu’il n’y ait pas de dérive, permettez-moi de le dire en toute franchise : c’est la taxe professionnelle.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Si nous avons fixé une clause dite de revoyure, c’est bien pour pouvoir traiter de l’ensemble du sujet.

M. Éric Woerth, ministre. Oui !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous n’allons pas l’effeuiller comme on effeuille… un artichaut !

Mme Nicole Bricq. Ah bon ! J’ai eu peur ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Par conséquent, et à une seule exception près – un amendement de précision excellemment préparé par notre collègue Jean-Paul Alduy –, la commission émettra un avis défavorable sur tous les amendements consécutifs à la réforme de la taxe professionnelle : nous avons besoin des simulations, d’une mise en perspective et, tout simplement, du respect de la clause de revoyure, qui fut l’un des apports importants du Sénat lors de la discussion de la loi de finances pour 2010.

M. Michel Charasse. C’est logique !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances a donc examiné le projet de loi de finances rectificative dans un esprit très constructif et positif, et vous soumettra ses amendements dans le cours du débat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Nicolas About, Aymeri de Montesquiou et Michel Charasse applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis.

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’instant même, Philippe Marini, avec le talent et la rigueur que chacun lui connaît, vient de nous rapporter le travail parfaitement ciselé de la commission des finances.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a abordé le texte avec le souci de déchiffrer… le chiffrage. (Sourires.) Il lui fallait en effet, derrière les réalités financières – plus de la moitié des 35 milliards d’euros du grand emprunt relèvent du champ de compétence de notre commission –, découvrir et mettre en exergue pour les analyser les réalités qualitatives qui, dans les domaines de l’enseignement supérieur, de la recherche, de la promotion de l’égalité des chances et de la mixité sociale, seront concernées.

L’insuffisance d’innovation – que disséquera d’ailleurs, naturellement, l’orateur qui va me succéder à cette tribune – nous est apparue comme la conséquence d’un manque de valorisation de la recherche ; elle a été intégrée dans la construction de ce projet de loi de finances rectificative comme un objectif premier.

La recherche elle-même est intimement liée à l’enseignement supérieur, dont elle constitue le label de qualité le plus communément pris en compte. Les classements internationaux – vous y avez fait référence, monsieur le ministre –, qu’il s’agisse de celui de Shanghai ou d’autres, même s’ils ne sont pas exempts de failles, en font régulièrement le plus grand cas.

Philippe Marini, à l’instant même, a bien mis en évidence le rôle que doit jouer en l’occurrence l’Agence nationale de la recherche et a montré comment, par l’intermédiaire des modes de financement, on pouvait peser sur certains facteurs déterminants pour induire dans l’université, la recherche et l’innovation des séquences de procédures qui soient porteuses d’espoir et ne s’enferment pas, comme c’est encore trop souvent le cas actuellement, dans l’obsolescence et le manque de pertinence.

L’initiative qu’a prise la commission coprésidée par Alain Juppé et Michel Rocard de placer au cœur de ses réflexions la trilogie que forment innovation, recherche et enseignement mérite d’être saluée. Comme Michel Rocard, voilà trois jours à peine, a encore tenu à le souligner devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « la clé de l’édifice proposée [à travers ce texte] est très consensuelle : ce sont les unités productrices de savoir (enseignement supérieur et recherche) qui seront à l’origine d’un nouveau tissu économique français plus innovant et donc plus compétitif ».

L’occasion nous est enfin donnée, avec 25 des 35 milliards d’euros prévus dans ce projet de loi de finances rectificative, d’ébrouer des pans entiers de nos structures d’enseignement supérieur et de recherche. Ne l’oublions pas, ce sont là les fondements mêmes de l’innovation puisque la recherche fondamentale et la recherche appliquée forment – le débat aristotélicien sur le sujet est aujourd’hui épuisé ! – un continuum : toutes nos sociétés modernes de la connaissance savent à quel point l’interdépendance est grande entre enseignement supérieur, recherche et innovation. Encore faut-il que nous soyons capables d’élaborer les protocoles de la valorisation de cette recherche afin de ne pas en rester, comme c’est trop souvent le cas, à des brevets dont nous pouvons à juste titre nous enorgueillir mais qui sont rarement, voire qui ne sont jamais, transformés en brevets exploitables. Il nous revient donc, de ce point de vue, de forcer l’enchaînement des structures pour qu’il soit enfin mis un terme aux cloisonnements.

Le texte qui nous est aujourd’hui soumis nous offre par conséquent la possibilité de franchir un nouveau pas dans la transformation en profondeur de notre enseignement supérieur et, avec lui, de notre recherche. On connaît déjà l’une de ses singularités, qui est d’ailleurs souvent ressentie comme flatteuse à l’échelle hexagonale : le prestige, la notoriété des grandes écoles d’un côté, et les structures universitaires de l’autre. Je voudrais cependant insister sur le fait que, en matière de recherche, nous devons construire une synergie entre ces structures, synergie qui d’ailleurs commence à s’ébaucher de facto : ainsi, les laboratoires de recherche des grandes écoles sont de plus en plus souvent animés par des directeurs qui ne sont pas issus de celles-ci mais sont au contraire des purs produits de la recherche universitaire. Le processus est en marche, il nous suffit de forcer les feux pour parvenir à un niveau de performance que nous n’avons jusqu’à présent jamais atteint.

Concernant les modes de recrutement, qui diffèrent, on le sait bien, entre les universités et les grandes écoles, nous avons à repenser, là encore, les synergies, en nous inspirant de ce que font les structures universitaires étrangères les plus performantes : les épreuves de travaux de recherche et de pédagogie du transfert des savoirs y sont au premier plan.

Nous avons ici l’occasion de recentrer l’activité de recherche, en lui donnant toute l’ampleur qu’il convient pour espérer les meilleurs prolongements concrets en termes d’innovation, notamment.

Dans le cadre exigu – trop exigu encore ! – que nous connaissons aujourd'hui, le chercheur, parfois décrié par les humoristes, est souvent condamné à n’être honoré que pour chercher, sans être suffisamment distingué pour ce qu’il a trouvé.

Arrêtons d’essouffler les talents et la créativité de nos chercheurs en les laissant claquemurés dans des systèmes qui, certes, ont eu leur heure de gloire, mais qui sont aujourd’hui devenus obsolètes et constituent des handicaps face à la dynamique et à l’ampleur de la compétition internationale !

Compte tenu de cette réalité, ne soyons pas étonnés que les chercheurs français restent très demandés et soient, toujours, si convoités dans le monde, alors même que, dans l’Hexagone, nos structures de recherche sont, trop souvent, assez compassées. Il nous faut désormais les moderniser, et ce grand emprunt nous fournit l’occasion de le faire !

Il s’agit, pour nous, d’avoir des acteurs académiques et technologiques mondialement reconnus, qui attirent les meilleurs, à l’image de ce qu’ont fait la plupart des grandes nations de l’innovation, telles que les États-Unis ou la Corée du Sud, pour ne citer qu’elles. Ce n’est d’ailleurs pas la taille d’un pays qui donne la mesure de sa capacité à innover, c’est sa propension politique générale et entrepreneuriale qui est, en l’occurrence, déterminante.

En la matière, la France a les chercheurs qui lui permettront de compter, à son tour, au nombre des tout premiers pays pour l’innovation.

L’un de mes collègues chercheurs, fidèle à sa paillasse, me confiait que la France a tout pour devenir un dragon de l’innovation, façon occidentale. Eh bien, saisissons-le au mot ! Avec ce projet de loi de finances rectificative, il s’agit véritablement de conforter une université d’un nouveau type : ambitieuse et au centre même du dispositif de recherche.

À cette fin, il nous faut dès maintenant imposer un fonctionnement contractualisé, décloisonné, et encourager le développement d’« écosystèmes ».

Les sites d’excellence retenus doivent jouer un rôle de locomotive pour l’ensemble du système. Pour ce faire, il est impératif, aux stades de la sélection et de l’évaluation des projets, auxquels ont fait référence M. le ministre et M. le rapporteur général, d’inciter les campus à fonctionner en réseau, matérialisé ou virtuel. Et, en la matière, c’est le chèque attaché au contrat de recherche et à la procédure évaluative qui permettra d’avancer !

Sur les sites d’enseignement et de recherche eux-mêmes, il convient de susciter la création des futurs « écosystèmes ». Depuis la grande histoire de la Silicon Valley, on sait combien ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’effet cafétéria » est essentiel. Mais cela suppose que des directeurs de recherche se voient confier la responsabilité de thématiques multisites. La dynamique de la contractualisation, avec financements à la clé, doit assurer cette synergie. Le suivi évaluatif de l’unité, sur lequel vous avez légitimement insisté, doit être, lui aussi, contractualisé au départ. Charge est donnée à la gouvernance du projet de veiller au contenu du contrat, non seulement lors du lancement du projet, mais aussi, et peut-être surtout, dans son suivi évolutif.

Ainsi que vous l’avez souligné tout à l'heure, monsieur le ministre, il nous faut gagner le pari de l’opération du plateau de Saclay. Outre les 850 millions d’euros déjà prévus pour conduire une opération à haute valeur emblématique, Saclay va recevoir une manne exceptionnelle de 1 milliard d’euros.

Le plateau rassemble aujourd’hui 10 % des effectifs de la recherche en France et devrait en compter, demain, près de 20 % avec, dès 2015, plus de 34 000 étudiants, dont 7 000 doctorants et 12 000 chercheurs et enseignants-chercheurs.

Le regroupement des acteurs doit donner la visibilité internationale qui nous manque et que soulignent les classements.

Le succès du plateau de Saclay nous semble subordonné au « décloisonnement » des acteurs. Même si 10 % des effectifs de la recherche sont aujourd'hui concentrés sur ce plateau, on peut légitimement être attristé par ce qui s’y passe.

Certes, des laboratoires prestigieux sont déjà en place in situ, mais ils sont matériellement délimités par d’importants grillages. Rien n’unit donc les acteurs qui travaillent actuellement sur le plateau de Saclay.

M. Nicolas About. C’est certain ! Les routes ne sont même pas terminées !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Exactement !

Si, demain, d’autres établissements d’importance aussi marquée, voire de plus grande importance encore, viennent s’installer sur ce plateau, mais que, simultanément, nous ne faisons pas sauter les barrières qui entourent chacun d’entre eux, alors nous n’aurons rien fait ! C’est une chose que d’habiter sur le même palier, c’en est une autre de se parler quand on se rencontre. Or, comme me le faisait remarquer l’un de mes amis chercheurs sur le site, sur le plateau de Saclay, les gens ne se rencontrent même pas !

Mes chers collègues, c’est précisément là que tout va se jouer !

M. Nicolas About. Entre Polytechnique et HEC, il y a un monde !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, vous pourrez aligner les chèques, mais si, dans le contrat de départ, vous n’inscrivez pas les synergies, les thématiques susceptibles de réunir les structures entre elles, nous n’aurons pas avancé ; nous n’aurons fait que regrouper sur un même site des structures qui resteront chacune des étrangères pour les autres.

L’enjeu est d’utiliser ces fonds pour faire en sorte que, dans notre pays, la recherche sorte des cloisonnements dans lesquels elle est aujourd'hui enfermée.

M. Michel Charasse. Il faut casser les castes !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Bonne idée !

Nous apprécions que 750 millions d’euros soient consacrés à la numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques. Cela répond à une forte demande de notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui suit cette problématique avec la plus grande attention. Notre commission a d’ailleurs adopté un amendement visant à « sanctuariser » la somme allouée.

Par ailleurs, nous relevons également avec intérêt qu’un effort financier de 500 millions d’euros sera consenti en faveur des actions assurant la promotion de l’égalité des chances et de la mixité sociale. Nous nous en réjouissons d’autant plus que ces crédits devraient permettre de concrétiser certaines des propositions émises, en mai 2009, par la mission commune d’information du Sénat sur la politique en faveur des jeunes, que présidait Raymonde Le Texier et dont Christian Demuynck était le rapporteur.

Il s’agit notamment de créer des internats d’excellence et d’investir dans la formation et l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, en prenant très en amont le problème que l’on veut résoudre en imposant des quotas d’entrée aux concours ou aux examens. Quoi qu’on en dise, il est fâcheux qu’un candidat n’ayant répondu que partiellement aux questions soit reçu, au motif qu’il est issu d’un milieu défavorisé. Certes, il faut prendre en compte ces situations, mais sans toucher au protocole retenu pour sélectionner les étudiants. C’est, tout du moins, l’avis de la commission, et c’est en ce sens que ces crédits nous semblent dignes d’intérêt.

Compte tenu des enjeux, nous souhaitons que le Parlement soit plus largement associé à la mise en œuvre de ce projet. M. le rapporteur général lui-même, qui voit une forme de débudgétisation dans ce projet de loi de finances rectificative, y trouve une raison supplémentaire pour le Parlement de se montrer particulièrement vigilant. (M. le rapporteur général acquiesce.)

En la matière, notre commission a déposé deux amendements visant respectivement, d’une part, à renforcer la place du Parlement dans les missions du comité de surveillance des investissements d’avenir et, d’autre part, dans le même esprit, à transmettre les projets de convention entre l’État et les organismes attributaires des crédits à l’ensemble des commissions parlementaires compétentes, et pas uniquement, monsieur Arthuis, à la commission des finances !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Évidemment !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. La commission des finances pourrait d’ailleurs trouver dans les quelques remarques que je viens de formuler matière à assurer la veille chiffrée en ces domaines.

S’agissant toujours de l’enseignement supérieur et de la recherche, il faut certes concentrer les crédits sur les sites porteurs d’espoir, mais sans pour autant abandonner et gâcher les perspectives de développement de structures qui, parce qu’elles seraient plus modestes, risqueraient d’être laissées pour compte. En effet, il peut exister dans ces petites structures, disséminées sur notre territoire, de véritables « pépites » en termes de recherche et d’innovation – j’en connais précisément - et ce sont justement souvent les étrangers qui viennent les chercher. Mais vous les avez prises en compte, monsieur le ministre, en leur consacrant 2 milliards d’euros, afin de les valoriser et de leur donner une nouvelle dynamique.

À propos du soutien aux usages, services et contenus numériques innovants, j’apprécie la façon dont vous prenez en compte la « e-santé ». Pour avoir introduit la notion de « télémédecine » dans la loi du 13 août 2004, je suis bien placé pour voir dans cette mesure la prise en compte des problèmes si prégnants de démographie médicale qui n’avaient toujours pas trouvé de début de solution avant ces quelques lignes, ces quelques dispositions d’un projet de loi de finances rectificative dont l’incidence pratique et concrète sera en ce domaine majeure.

M. Nicolas About. Tout à fait !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme la présidente. Veuillez vous acheminer vers votre conclusion, monsieur le rapporteur pour avis.

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Quant à l’impact du grand emprunt sur la politique du livre numérique et sur les perspectives de partenariat avec une entreprise privée telle que Google, il est prévu de limiter à 25 % la part des crédits pouvant être alloués à ces actions par le biais de subventions ou avances remboursables.

Si la commission de la culture, de l’éducation et de la communication voit dans le grand emprunt une chance à saisir pour amplifier le projet de numérisation des livres de la Bibliothèque nationale de France en coopération avec des partenaires privés, elle s’interroge sur la modicité de ce taux de 25 %, alors qu’il nous faut définir un rapport de force favorable dans un tel partenariat.

M. Jean-Pierre Vial. Absolument !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’interroge sur une démarche qui a été interprétée comme la reprise d’une main de ce que l’on a donné de l’autre. Mais les explications sur la veille ne manqueront pas de nous être apportées au cours du débat, pour ce qui est tant de l’investissement que du fonctionnement.

Mme la présidente. Veuillez maintenant conclure, monsieur le rapporteur pour avis.

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Avant de conclure, je dois vous préciser que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est saisie pour avis de l’article 1er A introduit par l’Assemblée nationale en faveur du jeu vidéo. J’ai promis à l’orateur qui va suivre de l’évoquer ; ainsi, nous aurons gagné du temps ! (Sourires.)

Nous sommes favorables à cet article et nous regrettons que la commission des finances en propose la suppression.

Au total, la commission de la culture donne un avis favorable à l’adoption du présent projet de loi de finances rectificative, sous réserve des amendements que je défendrai en son nom et de la prise en compte des questionnements et des recommandations qu’il vient de m’être donné d’exprimer. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la commission de l’économie, que je représente, a souhaité se saisir de ce texte pour deux raisons.

D’abord, l’emprunt national est un instrument de politique économique et industrielle. Ensuite, trois des cinq priorités entrent directement dans son périmètre de compétence.

L’emprunt national est un instrument de politique économique assez exceptionnel. En effet, la crise n’est pas une simple transition conjoncturelle dans un cycle économique banal. C’est, au contraire, une vraie rupture structurelle, en ce sens qu’il y aura un avant et un après.

Avant, la croissance a été artificiellement dopée par le crédit. Après, elle sera voisine de ce que l’on appelle la croissance potentielle.

Or l’analyse économique nous apprend que cette dernière n’a que deux facteurs déterminants : la démographie, variable sur laquelle nous avons peu de prise à moyen terme, et, surtout, la productivité, qui est un vrai sujet de politique économique sur lequel on peut avoir prise en incorporant toujours plus d’innovations au moyen d’investissements.

La chaîne causale que l’on cherche donc à renforcer est la suivante : recherche - innovation - investissement – productivité – croissance, notamment croissance potentielle.

Si nous ne faisons rien, la France court plusieurs risques.

D’abord, dans notre pays, nous avons du mal à convertir l’excellence de notre recherche en succès économique. De l’autre côté du Rhin, l’Allemagne dépose, par million d’habitants, soixante brevets triadiques par an, alors que nous n’en déposons que quarante en France !

Surtout, notre investissement, tant public que privé, souffre d’une grande faiblesse, ce qui écrase tendanciellement la croissance potentielle que nous pouvons attendre dans les prochaines années.

Toute la philosophie de l’emprunt national est précisément d’accrocher un nouveau modèle économique, plus vertueux, moins dépendant des énergies fossiles et davantage tourné vers la connaissance.

Si la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire partage les objectifs du Gouvernement sur le grand emprunt, elle souhaite formuler trois propositions pour améliorer la méthode de gestion.

La première proposition, évoquée tant par M. Philippe Marini que par M. Jean-Claude Etienne, concerne la gouvernance. Pour faire contrepoids, si j’ose dire, à ce qui ressemble furieusement à une procédure de débudgétisation, nous souhaitons renforcer le contrôle parlementaire et mieux répartir les compétences entre le commissaire général et le comité de surveillance.

Je suis donc très heureux que, à cette fin, la commission des finances, la commission de la culture et la commission de l’économie se soient entendues pour proposer un amendement commun.

Ensuite, deuxième proposition, parce que les cinq priorités comportent des sujets transversaux - les pôles de compétitivité ou les réseaux intelligents ressortissent à trois ou quatre priorités - il est par conséquent nécessaire d’avoir une gestion la plus transversale possible.

Enfin, troisième et dernière proposition, si les appels à projets pour les opérateurs sont sans doute une très bonne méthode, c’est à la condition toutefois qu’ils soient conçus pour profiter à notre tissu industriel ou économique non seulement de petites et moyennes entreprises, mais aussi d’entreprises de taille intermédiaire.

En effet, si nous souhaitons que les bienfaits de l’emprunt national « percolent » l’ensemble du tissu économique, si vous me permettez cette image, les appels à projets ne devront pas systématiquement écarter les petites et moyennes entreprises. Au contraire, ces dernières devront bénéficier tant des recherches, de l’innovation que des investissements.

Au total, le grand emprunt donnera lieu à des investissements d’avenir concentrés sur cinq priorités, dont trois concernent la commission de l’économie : la filière industrielle et les PME, le développement durable et le numérique.

S’agissant de l’industrie et des PME, vous le savez, monsieur le ministre, l’un des problèmes récurrents de notre économie est la difficulté qu’ont nos PME à croître. Elles sont en effet arrêtées par ce que l’on appelle un « plafond de verre », l’un des problèmes les plus importants étant pour nos entreprises la difficulté à se financer.

J’attire votre attention sur le fait que, contrairement à ce que l’on peut penser, l’année 2010 sera sans doute encore plus dure que l’année 2009 pour les financements des petites entreprises. En effet, elles vont transmettre à leur banque des bilans beaucoup plus détériorés que ceux de l’année précédente. Il est donc capital de conforter l’accès de nos PME aux différentes sources de financement.

De ce point de vue, la création d’un fonds national d’amorçage, richement doté, géré par le Fonds stratégique d’investissement, FSI, ou encore le renforcement d’Oséo, aussi bien en fonds propres qu’en prêts, sont de très bonnes nouvelles pour nos PME.

Monsieur le ministre, au sein de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, nous nous sommes interrogés pour savoir s’il n’était pas possible d’adopter une répartition différente pour Oséo entre les 500 millions d’euros en fonds propres et le milliard d’euros en prêts. Des fonds propres plus importants auraient sans doute permis de créer un effet de levier meilleur pour nos entreprises.

Mais peu importe ; l’important est que ces entreprises-là aient un accès aux financements facilité.

Nous approuvons aussi, bien sûr, le soutien aux pôles de compétitivité, qui sont des instruments essentiels et, surtout, très efficaces pour valoriser nos efforts de recherche et dynamiser nos territoires.

Enfin, preuve que les cloisons ne doivent pas être étanches, les actions de soutien à l’industrie, qui seront déterminées notamment par les états généraux de l’industrie, se feront essentiellement par des prêts verts bonifiés pour améliorer la performance environnementale en termes tant de process que de produit.

De même, le programme « véhicule du futur », qui concernera aussi bien l’avion que l’automobile, le train ou encore le navire, participe à ce décloisonnement. Il a pour objet de développer des nouvelles technologies de mobilités plus propres, puisque le secteur des transports est aujourd’hui le premier émetteur de gaz à effet de serre en France.

Il existe donc entre les différentes priorités non pas une quelconque contradiction, mais une assez grande cohérence au contraire. J’en prendrai pour preuve le Centre national d’études spatiales, le CNES, qui est un exemple caractéristique de cette ambivalence économique et écologique.

D’un côté, investir dans le CNES, donc dans les études spatiales, c’est susciter un effet de levier maximal, le facteur étant de un à dix-neuf pour les retombées économiques.

D’un autre côté, la nouvelle génération de satellites nous permettra, depuis l’espace, de mieux surveiller la planète, les changements climatiques, notamment les émissions de gaz à effet de serre, avec MicroCarb, ou le programme CHARME pour les émissions de méthane.

C’est la preuve qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre développement économique et respect de l’environnement.

Une deuxième priorité concerne le développement durable, qui absorbera 5 milliards d’euros.

Quatre axes ont été retenus : les énergies renouvelables, le « nucléaire de demain », les transports et l’urbanisme durable, et, enfin, la rénovation thermique des bâtiments, c'est-à-dire 40 % de la consommation d’énergie nationale, ce qui permettra de lutter contre la précarité énergétique pour les foyers les moins favorisés ; 500 millions d’euros y seront consacrés.

Le numérique est la troisième priorité.

Investir dans le numérique, c’est investir pour l’avenir. C’est typiquement un secteur dont l’action systématique se diffusera dans l’ensemble de l’économie.

Déjà le numérique génère 40 % des gains de productivité et plus du quart de notre croissance annuelle. Non seulement c’est un démultiplicateur de productivité et un accélérateur de croissance, mais c’est aussi un facteur déterminant d’économie d’énergie. En apportant de l’intelligence au cœur des réseaux d’électricité notamment, nous pourrons, demain, diminuer sensiblement les émissions de gaz à effet de serre.

Ce sont 4,5 milliards d’euros qui seront consacrés au numérique, avec 2 milliards d’euros pour le déploiement des réseaux à très haut débit en dehors des zones denses, dont le financement du projet MegaSat, et 2,5 milliards d’euros pour le développement des contenus et des usages. J’attire votre attention notamment sur « l’informatique en nuages », mes chers collègues, qui permettra à nos entreprises, et pas seulement les grandes, un accès à des puissances de calcul dont elles ne pourraient pas disposer seules.

C’est capital, demain, pour l’économie de la connaissance et pour le tissu de nos petites entreprises. C’est aussi une question de souveraineté numérique nationale. En effet, les grands centres de calcul sont aujourd’hui monopolisés par de grandes entreprises, notamment américaines : Amazon, Google...

Si, demain, nous disposons de centrales de calcul et maîtrisons l’informatique en nuages sur le sol national, ne doutons pas qu’en matière de sécurité de nos réseaux, de mutualisation des ressources informatiques, notamment numériques, nous améliorerons considérablement la performance de notre économie.

Monsieur le ministre, je terminerai par quelques questions et remarques qui concernent justement le déploiement du réseau.

Les sommes qui seront consacrées au numérique vont transiter par ce que vous appelez le Fonds national pour la société numérique, ou FSN. Or, par la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, nous avions créé un fonds d’aménagement numérique des territoires avec des règles de gestion destinées à garantir le déploiement du très haut débit en milieu rural.

Mme Nathalie Goulet. Très juste !

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Il serait judicieux, et assez naturel, que la subvention de 750 millions d’euros consacrée à la troisième zone, la moins dense et la plus rurale, transite par ce fonds d’aménagement numérique et obéisse à ses règles de gestion.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Par ailleurs, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet avait annoncé il y a un an une enveloppe de 750 millions d’euros gérés par la Caisse des dépôts et consignations pour des prêts en coïnvestissements en zone intermédiaire, c’est-à-dire en zone moyennement dense. Qu’en est-il de cette somme ? Y aurait-il eu comme un tour de passe-passe, une substitution entre les deux annonces ?

Bien entendu, le très haut débit est un grand chantier national. Même si je me félicite que l’État, pour la première fois, intervienne lourdement dans le financement des réseaux numériques, je pense que nous n’épuiserons pas le débat avec l’enveloppe de 750 millions d’euros de subventions destinée aux zones très rurales et l’intervention du FSN sous forme de prêts, à hauteur de un milliard d’euros. Il faudra prévoir, dans le futur, des financements plus pérennes, et pas forcément budgétaires, car d’autres moyens existent.

Enfin, l’objectif d’offrir le très haut débit à 70 % de la population dans les dix ans à venir me paraît insuffisant. Il serait préférable de se fixer comme objectif à la même échéance une couverture de 100 % de la population, et pas uniquement par la fibre optique. En effet, on ne pourra pas installer partout la fibre optique, car cela coûterait trop cher. Le déploiement du très haut débit sera donc multimodal. Dans les zones les plus denses, la préférence ira bien sûr à la fibre optique. Ailleurs, on aura recours au satellite et à la quatrième génération de mobile, notamment grâce au dividende numérique.

Mes chers collègues, la commission de l'économie approuve ce projet de loi de finances rectificative. Elle se réjouit que l’État investisse pour préparer la France de demain. À nous de ne pas subir l’avenir, mais, au contraire, de le construire ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains esprits chagrins pourraient dire que les années se suivent et se ressemblent ! Nous avions entamé en effet l’exercice 2009 avec un collectif budgétaire, alors que l’encre de la loi de finances initiale n’était pas encore sèche. Nous voici de nouveau, en ces premiers jours de 2010, avec un premier projet de loi de finances rectificative, qui pourrait en annoncer d’autres…

Cependant, en ce qu’il actualise notre taux de croissance, qui passe de 0,75 % en loi de finances initiale à 1,4 %, le présent collectif budgétaire est porteur d’une bonne nouvelle, qui peut sans doute nous laisser espérer, dès l’année prochaine, un retour à un calendrier plus classique pour l’examen des lois de finances.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, ces perspectives de progression de la richesse nationale nous placent, avec l’Allemagne, dans le peloton de tête des pays bénéficiant de la reprise la plus marquée, alors que le FMI prévoit une croissance de 1 % seulement du PIB de la zone euro en 2010.

Voilà un an, la crise économique, née des graves défaillances du système financier mondial, menaçait les équilibres sociaux de notre pays et portait en germe la ruine de notre pacte républicain.

Si la reprise se confirme aujourd’hui, nous le devons notamment à l’action énergique du Gouvernement, qui a su agir avec discernement et célérité, d’abord pour rompre la paralysie qui menaçait le système bancaire et, donc, le financement de l’économie, ensuite pour donner un coup de fouet indispensable à l’activité économique au travers du plan de relance.

Ce redémarrage, pour incontestable qu’il soit, ne doit cependant pas occulter deux constats.

Le premier, c’est que les mécanismes à l’origine de la très grave crise que nous venons de traverser seront de nouveau à l’œuvre si la communauté internationale ne parvient pas à parler d’une seule voix sur les sujets de la régulation et de la supervision des activités bancaires et financières.

Le second, c’est que le redémarrage de notre économie ne doit pas être une excuse pour ne pas s’attaquer aux handicaps qui l’affectent et qui nous rendent moins compétitifs que nos partenaires dans le cadre d’une économie mondialisée.

À sa manière, le présent collectif, qui instaure une taxation des bonus des professionnels des marchés financiers et fixe les modalités d’un grand emprunt supposé financer les « dépenses d’avenir », tente d’apporter des réponses sur ces deux terrains. Sont-elles convaincantes ? Vous me permettrez d’exprimer mes interrogations et mes doutes à ce sujet.

En ce qui concerne la taxation des bonus, l’examen des amendements nous permettra d’expliquer la position de la commission des finances, qui soutient le schéma adopté par l’Assemblée nationale, et d’insister sur la prudence nécessaire pour ne pas désavantager la place de Paris dans la compétition à laquelle elle est soumise.

Nous approuvons sans réserve l’affectation du produit de la taxe à Oséo, ce qui permettra de réduire le déficit budgétaire de près de 300 millions d’euros, tout en contribuant au soutien des PME, qui en ont tant besoin pour surmonter la crise, aller de l’avant en matière de recherche et développement et créer des emplois pérennes.

Par ailleurs, il est indispensable de soumettre l’ensemble de la chaîne décisionnelle et du contrôle à cette taxe, en incluant les responsables hiérarchiques des opérateurs des salles de marché. À cette condition, le dispositif me semble parfaitement lisible : il établit un lien très clair entre la prise de risques par les banques et l’obligation qui leur est faite de participer au rétablissement du fonctionnement normal de notre économie, qui passe par le renforcement des fonds dont disposent nos petites et moyennes entreprises.

Je conclurai sur ce point en exprimant cependant une inquiétude : la France - c’est tout à son honneur – s’est incontestablement placée à la pointe du combat pour un meilleur encadrement des rémunérations au sein du milieu bancaire. Or ce combat n’aura de sens que si nos partenaires nous suivent. Par ailleurs, la question des rémunérations, si sensible, car elle touche à notre conception de la justice sociale, n’est pas épuisée par la taxation des bonus. D’autres rendez-vous nous attendent, concernant notamment les retraites chapeau. Certes, ce sujet n’a pas sa place ici, …

Mme Nicole Bricq. Ah bon ? On se demande pourquoi !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … mais nous en reparlerons.

J’en viens à l’emprunt national.

J’ai eu l’occasion de le dire ici, à cette tribune, dès la fin de l’année dernière, il ne m’aurait pas paru possible de voter un dispositif qui aurait creusé encore de plusieurs dizaines de milliards d’euros l’endettement déjà colossal de notre pays, alors que nous avons l’ardente obligation de rétablir des finances publiques excessivement dégradées.

Par un habile procédé, monsieur le ministre du budget et des comptes publics, vous parvenez à accroître le déficit d’une trentaine de milliards d’euros, sans recourir à la dette ! Je vous adresse, à ce titre, toutes mes félicitations ! (Sourires.)

Le Gouvernement nous annonce un grand emprunt de 35 milliards d’euros. Je voterai ce dispositif, sans avoir à me déjuger ni renier mes critiques. En effet, cet emprunt est, je n’hésite pas le dire, une illusion budgétaire, un « trompe-l’œil », au sens littéral du terme.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je salue à cet égard la subtilité du concept novateur de « fonds non consomptibles »…

Certes, par ce collectif, le déficit doit formellement passer de 117,4 milliards d’euros, chiffre adopté en loi de finances initiale, à 149 milliards d’euros. Cependant, près de la moitié du grand emprunt, soit 16 milliards d’euros environ, est fléchée vers la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Ces fonds sont « non consomptibles » : seuls les revenus procurés par leur dépôt au Trésor pourront être dépensés. Le versement aux opérateurs du solde, c'est-à-dire des 19 milliards d’euros restants, sera étalé dans le temps. En conséquence, la dette de l’État ne serait accrue que de 5 milliards d’euros cette année. Encore le commissaire général à l’investissement, René Ricol, a-t-il reconnu devant la commission des finances que les décaissements effectifs ne seraient sans doute pas supérieurs à 2 ou 3 milliards d’euros en 2010.

De 35 milliards d’euros à 2 milliards d’euros, les ordres de grandeur, vous en conviendrez, mes chers collègues, ne sont pas les mêmes ! Restent les apparences offertes aux Français…

En définitive, cette opération revient, d’une certaine façon, à substituer une dette à moyen et long terme à une dette à court terme dont le poids relatif s’était considérablement accru ces derniers mois, notre collègue Jean-Pierre Fourcade l’a excellemment démontré ici même. Vous l’avez compris, mes chers collègues, je ne m’opposerai donc pas à cet emprunt national.

Pour le reste, je partage l’idée selon laquelle nous devons faire preuve tout à la fois d’exigence dans la sélection des projets, afin de maximiser leur impact sur la croissance, et de vigilance s’agissant de la gouvernance du grand emprunt. Celui-ci, en effet, n’est pas seulement une illusion : il s’analyse aussi comme une débudgétisation, qui nous contraint à définir les voies et moyens d’un contrôle efficace du Parlement, conformément à l’esprit de la loi organique relative aux lois de finances.

Les amendements déposés par la commission des finances ont pour objet de nous permettre d’exercer pleinement nos prérogatives en ce domaine. Je voudrais assurer à cet égard nos deux collègues rapporteurs pour avis respectivement de la commission de la culture et de la commission de l’économie que la commission des finances ne jouit d’aucune prééminence en ce domaine ! Toutes les commissions permanentes et, bien sûr, tous les sénateurs sont impliqués dans cette véritable mobilisation générale pour le contrôle.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Oui !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Au moment de conclure, je voudrais vous rappeler, monsieur le ministre, mes chers collègues, que d’autres échéances, ô combien plus décisives, nous attendent ! Je pense, bien sûr, à la contribution carbone, dont nous débattrons dans les semaines à venir.

Sur ce sujet, pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, quel sera le véhicule législatif utilisé pour introduire la nouvelle version de cette taxe ? Aurez-vous recours à un projet de loi de finances rectificative ou bien à un « simple » projet de loi ?

Je pense aussi à la clause de rendez-vous que nous avons adoptée dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle.

Ces deux dossiers devront être réglés avant l’été.

Au-delà, je songe surtout à la loi de programmation des finances publiques, qui devra traduire notre engagement, pris auprès des instances communautaires, de supprimer, à l’horizon 2013, un déficit devenu excessif. Et l’exercice ne sera pas aisé, monsieur le ministre ! J’étais présent lors de la conférence nationale sur les déficits publics du 28 janvier dernier et j’ai pris bonne note des chantiers ouverts par le Président de la République. J’ai également retenu que des efforts considérables devront être accomplis pour freiner l’évolution de nos charges.

J’inscrirai mes propos dans la continuité de ceux qui ont été tenus par M. le rapporteur général, pour appeler le Gouvernement à la plus grande prudence sur ce terrain.

Ayons toujours à l’esprit l’obligation qui est la nôtre de défendre la crédibilité de notre pays à l’égard de nos partenaires. Nous ne nous en sortirons pas une nouvelle fois en fixant une norme d’évolution de la dépense publique que nous nous empresserons de ne pas respecter au premier incident de parcours venu.

Cela implique d’abord d’opérer des choix, et tous n’ont pas encore été faits au moment où je parle. Cela impose aussi de piloter, et non plus de subir, comme c’est trop souvent le cas, la dépense publique. Pour ce faire, il nous faut disposer des instruments susceptibles d’en infléchir les évolutions au fil de l’eau. Dès les prochains mois, et même les prochaines semaines, nous ouvrirons ce débat.

Dans cette attente, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent collectif budgétaire, sous réserve du vote de quelques compléments et adaptations que vous a présentés à l’instant M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Organisation des débats

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Madame la présidente, en vertu de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, le Gouvernement souhaite réserver la discussion de l’article 1er, qui est relatif aux bonus des traders. En effet, Mme Lagarde étant retenue à l’Eurogroupe cet après-midi, elle ne pourra être présente que demain, à partir de quatorze heures trente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Favorable.

Mme la présidente. Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale (suite)

Organisation des débats
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Question préalable (début)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’étais de ceux qui trouvaient que le grand emprunt était une bonne idée.

M. Nicolas About. Cela commence bien ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Les Français épargnent beaucoup, notre économie est stagnante et s’est installée depuis plus de trois décennies dans un chômage de masse désespérant pour la jeunesse. Notre pays se désindustrialise, les délocalisations industrielles frappent beaucoup plus l’emploi que ne le prétendent des économistes myopes ou des faiseurs de rapport aux ordres, car pour évaluer leur impact, il faut prendre en compte les emplois que nos entreprises suppriment en France ou tout simplement ne créent pas, au regard de ceux dont elles permettent en revanche la création à l’étranger, notamment dans les pays à bas coût.

C’est vraiment se moquer du monde que de soutenir, comme l’a fait le Conseil d’analyse économique dans un récent rapport à Mme Idrac, que l’implantation de nos entreprises à l’étranger aurait un impact positif sur l’emploi en France, alors que l’économie française a détruit 470 000 emplois en 2009 !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Chevènement. C’est vraiment nous prendre pour des imbéciles !

Monsieur le ministre, vous savez bien que les entreprises du CAC 40 n’ont pas créé un seul emploi en France depuis cinq ans. L’État est pour elles aux petits soins. Nos multinationales ont évidemment leur logique : elles veulent profiter des très bas coûts salariaux et s’installer là où elles supputent la plus forte croissance dans les années à venir. Mais cette logique est mortifère pour l’économie française : elle contribue à la désindustrialisation et au tassement de notre croissance.

On ne s’en sortira pas sans un investissement massif, à la fois public et privé. Sinon, nous ne pourrons pas offrir, demain, des emplois dignes de ce nom à notre jeunesse. Voilà pourquoi, a priori, le grand emprunt me paraissait une bonne idée, celui-ci étant le moyen de mobiliser l’épargne française au service de l’investissement, de la croissance et de l’emploi en France.

Et puis il y a eu le rapport de MM. Juppé et Rocard et la transposition que vous en faites, à travers l’article 4 de ce projet de loi de finances rectificative.

J’avais souhaité un grand emprunt à hauteur de 60 milliards d’euros, soit trois points de PIB ; or vous nous offrez 22 milliards d’euros, soit un point de PIB, puisque 17 milliards d’euros proviennent du remboursement par les banques des fonds publics qui leur avaient été alloués. C’est pour moi un premier motif de déception, mais ce n’est pas le seul !

Naïvement, je m’étais demandé comment vous alliez rendre compatible cet effort, si modeste soit-il, avec les engagements que vous avez pris à Bruxelles de réduire le déficit budgétaire d’ici à 2013 de cinq points de PIB, c’est-à-dire 100 milliards d’euros. Vous-même, monsieur le ministre, avez réclamé 50 milliards d’euros d’économies budgétaires. Cette cure d’austérité va frapper d’abord les couches populaires et moyennes.

La réponse à ma naïve question est simple : ayant étudié votre texte, j’ai compris que le grand emprunt est fait pour n’être pas consommé ! Je souscris là entièrement aux propos qu’a tenus M. le président de la commission, même si je n’en tire pas tout à fait les mêmes conclusions. Tel est l’objet des mécanismes passablement opaques que vous nous proposez.

Ce grand emprunt ne sera donc qu’une usine à gaz de plus…

M. Nicolas About. Sans gaz ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. … et ne contribuera guère à la compétitivité de l’économie française !

M. le rapporteur général l’a d’ailleurs fait observer.

D’abord, il y a trop de dépenses « non consomptibles », ou non consommables, pour parler clair : 16 milliards d’euros sur 35 ! Que feront les dix universités heureusement élues des 5 milliards d’euros de dotations du Plan campus ? Seuls les intérêts produits seront disponibles pour ces universités ! Et pour quoi faire ? Pour acquitter les redevances annuelles des futurs partenariats public-privé qui seront mis en œuvre pour rénover le patrimoine immobilier universitaire !

Monsieur le ministre, on aurait pu imaginer procédure plus rapide et plus efficace pour retaper les amphis !

Tout se passe comme si l’État, à travers le grand emprunt, était appelé à financer le capital des fondations d’université pour compenser la ladrerie légendaire des grandes entreprises françaises.

Une seule exception : le milliard d’euros versé au plateau de Saclay, sur lequel, comme l’a remarqué M. Étienne, se concentrent et se concentreront à l’avenir beaucoup de moyens.

Une même procédure lente et inefficace se retrouve pour les cinq à dix campus dits « d’excellence ». L’Agence nationale de la recherche gardera et placera la dotation de 5,9 milliards et ces campus percevront seulement le revenu de ce placement.

Le même schéma se retrouve encore pour le fonds de valorisation de la recherche – 1 milliard d’euros non consomptibles –, les instituts Carnot – 500 millions d’euros non consomptibles – et les instituts de recherche technologique – 2 milliards d’euros consomptibles dans la limite de 25 %.

Le Gouvernement a été très soucieux de fixer des règles qui empêchent la dépense publique. Quelle en est la raison ? Ne s’agirait-il pas d’une raison « maastrichtienne », c’est-à-dire en fait une raison très déraisonnable, au moment où l’ensemble des critères de Maastricht explosent dans tous les domaines : prohibition des aides d’État, limitation de la dette, du déficit budgétaire, absence de politique de change. Voyez le système de l’euro, dont les cours sont chahutés par la situation de la Grèce, pays malheureux autour duquel les marchés financiers ont entamé la danse du scalp !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il l’a quand même bien cherché ! Ce n’est pas un pays budgétairement très vertueux !

M. Jean-Pierre Chevènement. La Grèce fut autrefois la patrie de mathématiciens ; c’est sans doute pourquoi les Grecs excellent aujourd’hui dans l’art de jouer avec les statistiques ! (Sourires.) Cela étant, monsieur le rapporteur général, le déficit de ce pays n’est pas plus important, relativement, que celui des États-Unis ou du Royaume-Uni. À en juger pas votre mine qui s’allonge, j’en déduis que vous ne me contredirez pas !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La Grèce a un poids moindre !

M. Jean-Pierre Chevènement. La raison du plus fort est évidemment toujours la meilleure !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Toujours !

Mme Nathalie Goulet. Timeo Danaos(Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Donc, tout cela à seule fin de constituer des « actifs » pour l’État, promesse de l’étalement prolongé dans la durée du plan dit « d’investissement » !

Pour ce qui est des dépenses consomptibles – 19 milliards d’euros –, la procédure consiste à doter des opérateurs de premier rang qui sélectionneront à leur tour les projets d’opérateurs de second rang, en fonction de cahiers des charges établis par le commissaire général à l’investissement, M. Ricol, assisté par la commission Juppé-Rocard.

Là encore, vous ne faites pas dans la simplicité, et la dépense a vocation à être étalée sur plusieurs années. Quel sera le rôle du commissaire général à l’investissement ? Non pas de veiller à l’accélération de l’investissement, comme l’intitulé de sa fonction pourrait le laisser croire, mais de s’assurer de la régularité de la procédure sous le contrôle du Gouvernement. D’ailleurs, pourquoi ne pas l’avoir placé sous l’autorité du ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance?

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

L’étalement sur plusieurs années des fonds consomptibles du grand emprunt se fera sous le contrôle de la commission Juppé-Rocard et, en dernier ressort, de l’État. On peut se demander si le grand emprunt ne sera pas une poire pour la soif très opportune dans les temps de grande disette budgétaire que vous nous promettez.

On le voit, la montagne du grand emprunt aura ainsi accouché d’une souris !

Soit dit en passant, monsieur le ministre, il n’est pas possible de laisser dans le flou les conditions dans lesquelles les fonds mobilisés pour le grand emprunt seront dépensés. Il ne suffit pas d’un « jaune » budgétaire publié chaque année sous la responsabilité conjointe du commissaire général à l’investissement et d’une commission Juppé-Rocard ! C’est une curieuse idée que de mélanger ainsi les fonctions de proposition, de décision et d’évaluation. Quelle garantie nous donnez-vous d’un minimum d’impartialité de l’État ?

M. Michel Charasse. Tout cela est-il bien constitutionnel ?

M. Jean-Pierre Chevènement. Je ferai une autre observation au sujet du choix des affectations : tout va vers la recherche et l’enseignement supérieur, mais ces crédits ne seront pas consommés.

Mme Nathalie Goulet. Il n’y a rien de plus triste que quelque chose qui n’est pas consommé ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Je n’en dirai pas trop de mal, ayant moi-même été ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur. Les pôles et les thématiques d’excellence font florès, mais, comme le relève fort justement M. le rapporteur général, quand l’excellence est partout, elle risque de n’être nulle part.

On voit bien où seront les bénéficiaires : dans les grandes métropoles, là où sont concentrés les cadres supérieurs. Bref, c’est de la redistribution à rebours !

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Chevènement. Je croyais que le grand emprunt allait doper la compétitivité de notre pays. En réalité, M. le rapporteur général chiffre à 0,1 % du PIB l’accroissement de compétitivité qu’il permettrait. Et cet effet sera infinitésimal après 2014.

Ce grand emprunt aurait pu être le moyen de stopper la désindustrialisation accélérée du pays. On annonce 185 millions d’euros d’avances remboursables pour une « relocalisation compétitive d’entreprises industrielles » à la suite des états généraux de l’industrie, convoqués à grands sons de trompe par le Président de la République en octobre dernier. Mais tout cela, c’est de la rigolade ! On croit rêver ! C’est vraiment l’Himalaya accouchant d’un souriceau !

M. Michel Charasse. Un souriceau sauvageon ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, ce n’est pas ainsi que l’on va enrayer la désindustrialisation ! Celle-ci, en effet, a d’autres causes : ce sont les règles du jeu biaisées que nos dirigeants ont acceptées depuis plus de deux décennies, la libération totale des capitaux, y compris à l’égard des pays tiers, l’ouverture incontrôlée du marché européen, le démantèlement, au nom de la concurrence, des politiques industrielles, le choix d’une monnaie surévaluée.

Ces règles du jeu conduisent évidemment nos grandes firmes à localiser leurs investissements à l’étranger. Cela étant, je ne veux pas crier haro sur nos multinationales, car qui pose les règles du jeu, sinon vous, monsieur le ministre.

Nous ne prenons pas le chemin du redressement, mais nous nous coulons dans le moule de règles nocives. J’aurais aimé pouvoir applaudir à cette initiative, en faveur de laquelle je m’étais d’ailleurs prononcé.

M. Nicolas About. Lâchez-vous ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Mais, monsieur le ministre, votre grand emprunt risque bien de rester comme une grande illusion. M. le président de la commission des finances l’a dit avant moi.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Une illusion budgétaire !

M. Jean-Pierre Chevènement. Hélas, n’est pas Renoir qui veut ! Cette tuyauterie complexe est certes une œuvre, mais une œuvre de bureaucrates dont l’art suprême consiste à contourner les règles désormais caduques posées jadis par le traité de Maastricht. Plus que le chef-d’œuvre cinématographique de Renoir, leur art évoque ces grandes structures de ferraille tordue à travers lesquelles les plasticiens contemporains nous donnent à contempler… l’infini du vide ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à entendre certains, nous ne serions plus en situation de crise et la reprise poindrait, mais il faudrait néanmoins se préparer à examiner un collectif budgétaire cet hiver, peut-être un autre au printemps, et, pour faire bonne mesure, pourquoi pas un autre avant la fin de l’année, en plus de celui que le Parlement examinera, comme c’est la tradition, dans la foulée du projet de loi de finances initiale, en l’occurrence pour 2011.

Histoire de marquer la différence, ce collectif budgétaire comporte un certain nombre de mesures, dont je parlerai plus avant dans cette intervention, mesures qui aboutissent à un résultat immédiatement compréhensible : l’accroissement du déficit de l’État, celui-ci passant, en 2010, de 116 milliards d’euros à 149 milliards d’euros, soit bien huit milliards de plus que le déficit constaté à la fin de 2009.

Quelques esprits chagrins auraient tendance à critiquer de prime abord cette situation, alors même que, en vertu d’engagements européens validés par la grâce de la ratification parlementaire du traité de Lisbonne – au mépris de l’opinion exprimée par le suffrage universel – nous devrions plutôt nous situer dans la perspective d’une réduction programmée de ce déficit.

Comme le dit à qui veut l’entendre le Président de la République, nous serions sortis de la crise, en grande partie grâce à son intervention déterminée, et une bonne part du déficit pour 2009 serait intimement liée à l’action menée contre les effets de la crise.

À la vérité, monsieur le ministre, puisque nous avons l’occasion de constater qu’une fois encore le déficit budgétaire atteindra des records et que l’on fera tourner avec constance et conviction les planches à imprimer les bons du Trésor et les titres obligataires de la dette publique, cette discussion devrait, pour nous, être l’occasion de revenir sur le bilan remarquable de l’action gouvernementale depuis 2007 et ce fameux printemps où, selon un slogan désormais quelque peu désuet, « tout devenait possible ».

Eh bien oui, les promesses ont été tenues et les engagements respectés : tout était possible et tout est devenu réalité, mais, d’abord et avant tout, le pire.

Hausse du pouvoir d’achat des ménages ? Je ne sais pas où le Président de la République a pu trouver la moindre statistique prouvant que le pouvoir d’achat est reparti à la hausse, mais ce n’est que par quelques transferts sociaux d’urgence et, surtout, par les produits du capital et de la propriété que la situation des ménages semble s’être améliorée.

Du côté des retraités, aux retraites gelées sur l’indice des prix, et du côté des salariés, confrontés de plus en plus nombreux sinon aux plans de licenciement, à tout le moins au chômage technique, pas grand-chose à se mettre sous la dent, même pas ces fameuses « heures sup’ » défiscalisées, dont vous n’osez d’ailleurs plus guère parler aujourd’hui.

À moins que l’on n’impute une partie de la hausse des salaires à celle de la rémunération des traders et des dirigeants d’entreprise, lesquels accumulent bonus, primes exceptionnelles, retraites chapeau et parachutes dorés !

En 2009, le nombre des chômeurs de catégorie A a progressé de 22 %, ce qui ne constitue d’ailleurs qu’un élément de la situation générale du monde du travail actuel, confronté à la précarisation galopante, aux incertitudes du lendemain, à une gestion patronale arbitraire qui, près de trente ans après les lois Auroux, continue d’avoir une essence purement monarchique.

Et permettez-moi de trouver indécent le discours de M. Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi, qui se félicitait de n’enregistrer, pour 2009, « que » 450 000 suppressions d’emploi, au lieu des 700 000 attendues ! Pourtant, 450 000 à 500 000 suppressions d’emploi, cela représente plus de 1 000 chômeurs supplémentaires par jour !

Dans la France de 2010, on continue de licencier pour assurer la rentabilité des investissements et le niveau des dividendes. On se sert même parfois des concours de l’État pour monter des plans sociaux sur fonds publics !

Lorsque l’on considère le rôle du Fonds stratégique d’investissement dans les affaires Nexans ou Trèves, par exemple, on se dit qu’il y a décidément quelque chose qui ne va pas dans la politique industrielle de ce gouvernement !

Mes chers collègues, si nous étions vraiment sortis de la crise, nous n’aurions sans doute pas constaté la chute libre des mises en chantier de logements neufs, sociaux ou pas, que nous avons observée en 2009, ni l’essoufflement des ventes de voitures neuves, malgré les incitations publicitaires que ne manquent pas de multiplier les constructeurs. Et nous n’aurions sans doute pas à déplorer non plus le fait qu’un million de chômeurs ayant épuisé tout droit à indemnisation seront appelés à « basculer », dans le courant de l’année, sous le régime du revenu de solidarité active.

Au-delà de l’indécent discours de certains membres de la majorité – MM. Bertrand et Lefebvre, notamment – qui considèrent qu’un million de chômeurs en fin de droits sur l’année, ce n’est jamais que 150 000 chômeurs de plus par rapport aux autres années, la vérité nous impose de dire que la gestion des situations difficiles va être transférée aux collectivités territoriales, aux départements en particulier, sans que les moyens nécessaires soient prévus pour compenser les dépenses nouvelles. Ensuite, il se trouvera toujours un sémillant porte-parole de l’UMP pour critiquer la « folie fiscale » des gestions locales de gauche, sans considérer plus avant la réalité.

Et quelle est-elle, cette réalité ?

Non seulement les politiques menées depuis 2007 n’ont pas résolu, loin de là, la situation de l’emploi, mais, sous bien des aspects, elles ont même contribué à l’aggraver.

On peut toujours froncer les sourcils devant Carlos Ghosn qui délocalise la production de la plupart des modèles de Renault en Espagne, en Slovénie ou ailleurs, mais c’est oublier un peu vite que l’actionnaire de référence qu’est l’État se dispense, depuis plusieurs années, notamment depuis 2002, date à laquelle le mouvement de délocalisation s’est accéléré, d’intervenir de quelque façon que ce soit dans la gestion du groupe. Sans doute parce que les avisés gestionnaires de l’Agence des participations de l’État – objet si désiré par certains de nos collègues – ne s’inquiètent, depuis longtemps, que du niveau du dividende versé au budget général, quel que soit le coût social ou économique de ce dividende.

Ainsi, une bonne partie du déficit commercial désormais chronique de notre pays réside précisément dans le retour en France des voitures « françaises » fabriquées à Bursa ou à Novo Mesto.

S’il fallait prouver encore l’absence d’une véritable politique industrielle, nous pourrions aussi évoquer la situation de Total, société éminemment stratégique dans notre économie. Rappelons, pour mémoire, que ce groupe est né de la fusion de deux anciennes sociétés à base française, Total et Elf, d’une part, la société belge PetroFina, d’autre part.

Nous avons ainsi vu naître un géant du pétrole – avec en aval de nombreuses activités dans tous les secteurs de la chimie –, un géant qui, au fil du temps, s’est désengagé du territoire national, en réduisant progressivement ses capacités de raffinage, comme le montre l’affaire toute récente de la raffinerie de Dunkerque. Pressé par l’opinion, et risquant de payer la facture lors du scrutin régional, le Gouvernement a obtenu que Total examine le devenir du site après que l’on aura passé l’écueil électoral. Je crains, hélas, que cela ne suffise pas !

On nous avait aussi promis, en 2007, que, grâce à la croissance, la situation économique allait s’améliorer. Il est évident que le Gouvernement avait fondé de grands espoirs sur la loi de modernisation de l’économie, le LME, dont il convient, à ce stade du débat, d’esquisser le bilan.

Je commencerai par les auto-entrepreneurs : 300 000 de nos compatriotes ont tenté l’aventure et réalisé un chiffre d’affaires cumulé de 500 millions d’euros. Allons à l’essentiel : 500 millions d’euros, cela représente 0,025 % du produit intérieur brut, soit un peu plus de deux heures de l’activité économique du pays…

Ce qui est indéniable, c’est que les artisans régulièrement inscrits au registre du commerce se sont trouvés face à une concurrence déloyale, quoique ponctuelle dans la plupart des cas. Et si quelques millions d’euros de recettes nouvelles sont venus alimenter les caisses de l’État et de la sécurité sociale, nous sommes bien loin, très loin de la révolution idéologique promise par Hervé Novelli !

Évoquons la suppression des marges arrière, autre disposition de la LME. La crise qui touche les producteurs de lait et la filière des fruits et légumes, dont le présent texte porte d’ailleurs une trace incongrue avec l’article 8, est venue opportunément nous rappeler que, si l’on privait les grandes enseignes de la distribution de la possibilité d’exercer une de leurs pratiques coercitives, elles en appliquaient immédiatement d’autres, notamment en pesant à la baisse sur les prix à la production.

Le résultat ne s’est pas fait attendre : le revenu agricole s’est effondré, chutant de 37 % en 2009, sans que les consommateurs, en bout de chaîne, constatent de baisse du prix des produits frais, par exemple du lait, mais aussi du pain

En ce qui concerne la banalisation de la distribution du livret A, nous sommes en plein paradoxe.

L’ouverture à la concurrence, voilà une dizaine de mois, a, dans un premier temps, entraîné un accroissement du nombre des livrets ouverts et du montant des dépôts, mais il y a un « hic », monsieur le rapporteur général : ce mouvement a accompagné la lente mais constante dégradation du nombre de logements mis en chantier, notamment des logements sociaux.

Bref, tout ce qui peut permettre, faute d’utilisation des sommes disponibles, à M. Apparu, promu au Gouvernement à la grande surprise de Mme Boutin (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG), d’annoncer un plan pour le logement sentant quelque peu le réchauffé…

La loi de modernisation de l’économie, l’un des pivots de la thématique sarkozyste, n’a donc pas eu beaucoup d’effets sur la situation économique. Elle a d’ailleurs littéralement volé en éclats avec le développement de la crise financière ! Les déficits ont alors gagné en importance, prenant leurs aises avec l’argent public et franchissant la barre fatidique des 100 milliards d’euros annuels – plus que l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés réunis – pour atteindre le niveau de 141 milliards d’euros dans le collectif de la fin de l’année 2009.

La dette publique galope, même si le compteur affolé ne figure plus sur le plateau de Mme Chabot, comme lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007. Et nous risquons de l’accroître encore avec le présent projet de loi de finances rectificative !

Monsieur le ministre, quelques mauvais esprits, dont nous sommes, considèrent d’ailleurs qu’une bonne part du déficit que nous avons constaté en 2007, en 2008 et en 2009, et que nous risquons d’observer encore en 2010, aurait pu être évitée. Sans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, connue sous l’appellation de loi TEPA, nous aurions sans doute constaté un résultat légèrement différent.

Cela coûte cher de payer un bouclier fiscal à un millier de privilégiés qui continuent pourtant de préférer les investissements spéculatifs, comme cela coûte cher de permettre à quelques familles particulièrement aisées d’optimiser la gestion de leur patrimoine grâce aux donations entre vifs, d’alléger la douleur d’avoir perdu un parent proche grâce à la baisse des droits de succession, de réduire l’impôt de solidarité sur la fortune et, plus généralement, de multiplier niches, exemptions et régimes dérogatoires divers !

Lors du débat que nous consacrons tous les ans à la dépense fiscale, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances, nous constatons que le seul poste budgétaire qui progresse constamment, et souvent très vite, est la mission « Remboursements et dégrèvements », dont ma collègue et amie Marie-France Beaufils est le rapporteur.

L’impôt sur le revenu est ainsi perverti et détourné de sa finalité. Aujourd’hui, compte tenu des mesures prises, on peut dire qu’il existe un type d’impôt sur les sociétés par entreprise, tant est grande la variété des dispositifs d’exonération, d’allégement, d’évasion fiscale ou d’assiette !

Il suffit de considérer ce que rapporte à Renault ou à Total le régime du bénéfice mondial consolidé ! Ce qui semble positif pour la compétitivité de ces groupes ne l’est manifestement pas autant pour l’emploi en France !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est bien parce que l’État a décidé, voilà déjà un certain temps, de prendre à sa charge une part importante de ce qui incomberait aux entreprises que notre pays connaît cette situation de déficit budgétaire durable et de dette publique confortée.

Certes, on peut toujours soutenir que ce collectif comporte des mesures qui sont en rupture avec certaines habitudes du passé, reprenant ainsi le « cela ira mieux demain » que nous avons déjà si souvent entendu.

Rendez vous compte ! Nous aurions trouvé les coupables de la crise financière de 2008, ceux-là même qui – comme l’indique le texte – par leurs actes inconséquents, ont provoqué les tensions interbancaires, l’explosion des déficits publics et la mise en œuvre de plans de sauvetage, à grand renfort d’argent public. Ces coupables, ce sont les traders, caste privilégiée d’acteurs de salles de marchés électroniques, scandaleusement rémunérés en fonction de la spéculation qu’ils organisent.

À la vérité, la taxe prévue par l’article 1er du présent texte semble bien relever du symbole. Elle représente le millième de ce que l’État était prêt à garantir pour sauver le secteur financier et elle est de peu de poids dans un déficit ayant atteint les niveaux que l’on sait, et qui ont été rappelés voilà quelques instants.

En outre, comme la taxe ne figure que dans ce collectif et pas dans la loi de finances initiale, nul doute que les banques auront tôt fait de trouver les moyens d’éviter de la payer. D’autant que ces mêmes banquiers avaient tenté, dans un premier temps, d’en affecter le produit au financement du système de garantie mutuelle que les sommets du G20 ont recommandé.

Je crois même me souvenir que quelques-uns de nos collègues avaient envisagé, sans doute en toute magnanimité, de gager la nouvelle taxe sur la suppression de la taxe sur les salaires payée par les banques ! Mais, en annonçant à l’avance les mesures que l’on envisage, on crée sans doute les conditions qui permettent aux intéressés d’y échapper !

En conclusion, le présent projet de loi de finances rectificative, largement consacré au grand emprunt, ne rompt aucunement avec les errements qui, depuis trop longtemps, entraînent les comptes publics sur une pente périlleuse, et la France dans le même temps. Il prépare sans doute, à sa manière, la nouvelle purge d’austérité qui nous semble promise pour les années à venir, du fait des engagements européens que j’ai évoqués. Pour toutes ces raisons, nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à peine avions-nous entamé l’examen du projet de loi de finances pour 2010 que le Gouvernement annonçait le présent collectif budgétaire. Et la loi de finances tout juste votée, le conseil des ministres adoptait, le 20 janvier, le projet de loi de finances rectificative qui nous est soumis aujourd’hui, essentiellement destiné à « loger » l’emprunt annoncé par le Président de la République devant les parlementaires réunis en Congrès, à Versailles, le 22 juin 2009.

Monsieur le ministre, pour la sincérité des comptes, il eût été certainement préférable d’effectuer cet exercice lors de la discussion du projet de loi de finances initiale, car l’emprunt alourdit le déficit pour 2010 et pèse sur la dette, même si vos services l’ont pourtant habilement réaménagée en fin d’année dernière.

Ensuite, on nous annonce, une fois les élections régionales passées, une trajectoire des finances publiques destinée à faire entrer notre pays dans l’épure maastrichtienne dès 2013. Il faudrait être bien naïf pour croire à une telle fable. La trajectoire, qui a d’ailleurs été rectifiée – à la fin de l’année dernière, M. François Fillon, Premier ministre, avait fixé l’échéance à 2014 –, est qualifiée de « virtuelle » par M. le rapporteur général lui-même.

Cela nous ramène au contexte dans lequel s’inscrit le présent collectif budgétaire. De ce point de vue, la crise grecque est un révélateur de nos faiblesses. À ce stade, nous pouvons déjà en tirer deux leçons.

Première leçon, ce sont les mécanismes du marché qui, après avoir causé l’éclatement de la bulle en 2007 du fait des spéculations sur les dettes privées, provoquent à présent des spéculations sur la dette publique.

Aujourd’hui, comme hier, après trois G20 et de multiples réunions et sommets, rien n’a avancé en matière de régulation financière, pas plus en Europe qu’outre-Atlantique. La directive sur les « fonds alternatifs » est toujours encalminée à Bruxelles, et c’est bien timidement que l’on s’est penché sur les agences de notation.

Le constat est tout de même paradoxal : alors que les États sont venus au secours des marchés au nom de leurs contribuables respectifs, assumant ainsi en dernier ressort le risque systémique, ces mêmes marchés invitent aujourd'hui les contribuables à se serrer la ceinture !

Mme Nicole Bricq. Aujourd'hui, c’est le cas de Grèce. Demain, ce sera celui d’autres pays qui ont peut-être moins menti, mais qui – nous le savons tous – sont dans l’œil du cyclone.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Et quelles conséquences tirez-vous de ces évidences ?

Mme Nicole Bricq. D’ailleurs, pourquoi les marchés se gêneraient-ils ? Ils obéissent à leur propre rationalité, celle du profit à court terme, qui n’a pas encore rencontré de véritable obstacle.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Et qu’envisagez-vous de faire ?

Mme Nicole Bricq. Seconde leçon, la sortie de crise sera néanmoins plus compliquée que prévue, l’Union européenne et ses États se révélant incapables de réguler les marches.

Tout comme ils se révèlent également incapables de mener, par des choix économiques coordonnés, des politiques de croissance de long terme, d’effectuer l’assainissement budgétaire nécessaire et – c’est le point essentiel pour nous – de répartir les efforts le plus justement possible.

Nous demandons au Gouvernement d’arrêter les cocoricos sur le thème : « La France s’en sort mieux que les autres pays. » La réalité est connue. Notre économie, à l’instar des autres économies européennes, stagne sur un rythme de croissance des plus mous. Le chômage s’accroît. La société vieillit. Nos finances publiques sont dans un état calamiteux.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est de l’autodénigrement !

Mme Nicole Bricq. Voilà plusieurs mois, nous avons dénoncé les assertions du Gouvernement selon lesquelles le déficit serait imputable à la seule crise.

En effet, malgré une croissance, certes modérée, mais somme toute convenable, de plus de 2 % par an, les déficits et la dette étaient fortement aggravés dès 2008, du fait à la fois des dépenses non contenues et des pertes de recettes consécutives à d’inutiles, coûteuses et injustes baisses d’impôts.

Depuis, dans son rapport annuel, la Cour des comptes a montré que le déficit structurel équivalait à la moitié du déficit. Monsieur le ministre, vous contestez cette démonstration, mais vos arguments ne nous ont jusqu’à présent pas convaincus.

C'est la raison pour laquelle nos amendements visent pour partie à supprimer des mesures fiscales présentant les défauts que je viens d’indiquer, c'est-à-dire l’inutilité, le coût excessif et le caractère injuste.

Et encore n’avons-nous pas été exhaustifs ! Nous aurions pu y ajouter la baisse de la TVA dans la restauration, une nouvelle dépense fiscale non compensée, contrairement aux engagements du Gouvernement, et la défiscalisation des heures supplémentaires, dont le maintien est proprement criminel en période de chômage.

C’est dans un contexte budgétaire défaillant, avec une perspective de sortie de crise plus qu’aléatoire, qu’intervient l’emprunt.

Le 22 juin, le Président de la République posait la question des secteurs stratégiques et prioritaires pour préparer, selon ses propres termes, l’avenir de la France « une fois la crise refermée ». Comme le montrent les événements récents, à l’exception des marchés financiers, la crise n’est pas une parenthèse que l’on pourra aisément « refermer ».

Nul ne conteste, et surtout pas notre groupe, les impératifs de recherche, d’innovation et la nécessité de mettre l’accent sur les universités. Toutefois, on peut s’étonner que le secteur du logement social, pourtant sélectionné par la commission Rocard-Juppé, ne soit pas considéré comme relevant des dépenses d’avenir. Notre collègue Thierry Repentin, président de l’Union sociale pour l’habitat, s’est exprimé sur ce point. Je laisse le soin à mes collègues du groupe membres de la commission de l’économie et de la commission de la culture d’évoquer les priorités retenues.

Permettez-moi tout de même un petit retour en arrière. En 2007, dès l’arrivée au pouvoir du nouveau Président de la République et de son nouveau gouvernement, nous avions dénoncé l’absence de prise en compte du retard accumulé de notre appareil productif, notamment de notre industrie. À ce titre, nous avions critiqué les choix effectués en 2007, en particulier la distribution de cadeaux fiscaux qui ont encouragé seulement la thésaurisation et la rente, et certainement pas la productivité de notre pays.

Et le même gouvernement nous propose maintenant de mettre en œuvre un emprunt dont la rentabilité n’est pas assurée ! De toute manière, le dispositif s’appréciera sur le long terme et son effet sur la croissance potentielle – c’est M. le rapporteur général qui l’écrit – est quasi nul.

En revanche, il y a une certitude : l’emprunt entraîne un surcroît de charges d’intérêt…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Qui seront compensées !

Mme Nicole Bricq. … et envoie un mauvais signal à nos partenaires européens. Je pense en particulier au pays le moins enclin à mener une politique coopérative, c'est-à-dire à l’Allemagne.

N’eût-il pas été préférable, pour financer ces dépenses d’avenir, de revenir sur les dépenses fiscales les plus improductives ? On aurait ainsi évité d’ajouter de l’emprunt à l’emprunt « ordinaire ». Je le rappelle, en 2009, nous avons emprunté 225 milliards d’euros…

Mme Nicole Bricq. La charge financière de l’emprunt est gagée sur la réduction de même ampleur des dépenses, soit 500 millions d’euros en 2010. Elle s’impute sur les dépenses de tous les ministères. En 2011, la régulation budgétaire portera sur 1,2 milliard d’euros. Cela s’apparente tout de même à une politique de gribouille ! (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)

Faut-il considérer le budget de l’État comme celui des dépenses du passé ? Faut-il considérer que l’on peut, comme vous le faites, justifier la suppression de 14 000 postes dans l’éducation nationale en 2009 et de 16 000 postes en 2010 ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Parce que, selon vous, il faudrait en créer toujours plus ?

Mme Nicole Bricq. S’agit-il de dépenses du passé ? À cette question, nous répondons bien évidemment « non », et vous sans doute « oui » …

Et que dire des mécanismes de gouvernance proposés pour gérer l’emprunt ? Ils ne sont ni plus ni moins qu’une débudgétisation qui prive le Parlement du pouvoir de contrôle et d’évaluation que lui confère la Constitution en son article 24. Nous avons eu ce débat ici il y a peu.

Le Gouvernement a tout simplement fait le choix d’un fonds de trésorerie pour évacuer la question budgétaire.

Monsieur le rapporteur général, par vos amendements, vous tentez tant bien que mal de mettre le pied dans la porte à la fois en amont, par un droit de regard du Parlement sur les conventions avec les opérateurs destinataires des fonds, en aval en vous efforçant d’assurer un suivi budgétaire et, entre les deux, en essayant de séparer la prise de décision de l’évaluation.

Nous ne mettons pas en cause vos efforts, qui sont louables,…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Merci !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien !

Mme Nicole Bricq. … mais nous doutons légitimement de leur efficacité, tant la gouvernance et le choix des projets par un jury international s’apparentent à une « agenciarisation » de l’État, phénomène que vous avez pourtant maintes fois dénoncé, monsieur le rapporteur général. Pour nous, il s’agit d’un euphémisme qui masque la privatisation de la sphère publique. (M. le rapporteur général s’exclame.)

Dans un contexte annoncé d’austérité budgétaire, il ne reste au Parlement que les dépenses de fonctionnement, c'est-à-dire celles que vous qualifiez de « dépenses du passé »… Autant dire que le Parlement n’a plus aucune marge de manœuvre !

Au demeurant, les crédits d’investissement du budget de l’État n’ont fait que diminuer d’année en année. Aujourd'hui, ils représentent 6 milliards d’euros à peine. La baisse est constante sous tous les gouvernements de droite qui se sont succédé depuis 2002.

Et vous n’avez rien fait pour redresser la barre. Le recours à cet emprunt exceptionnel n’efface pas votre inaction cumulée depuis huit ans. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

L’autre point notable du collectif est l’introduction d’une taxe sur les bonus. Fragile dès le départ, le dispositif imaginé par le Gouvernement pour que la taxe soit indolore pour les banques – le mécanisme qui nous avait été proposé initialement était tout de même bien celui-là – a été heureusement démonté par nos collègues députés. En effet, ils ont obtenu l’affectation de la totalité du produit de la taxe au budget, et non pas au paiement de ce qui était dû, c'est-à-dire l’application de la directive, qui prévoit de relever le plafond du fonds de garantie des dépôts.

À ce stade, nous faisons trois observations.

D’abord, même légèrement élargi par la commission des finances à la chaîne hiérarchique, le périmètre est encore, pour nous, beaucoup trop étroit. Il devrait comprendre les gestionnaires des fonds alternatifs. En commission, nous avons regretté que M. le rapporteur général se soit arrêté sur sa lancée. Il nous a confié avoir hésité, mais il a fini par pencher du côté de la solution la plus étroite.

Le périmètre doit s’apprécier dans un dispositif plus large, concernant la place des rémunérations variables des salariés de ces établissements. Bien entendu, comme il s’agit non seulement de bonus mais aussi de bonus supérieurs à 27 500 euros, il n’est pas question ici de viser l’huissier de la banque ; cela se saurait ! En revanche, les mandataires sociaux, eux, devraient être concernés. C’est l’objet d’un premier amendement que nous vous présenterons.

Ensuite, la taxe sur les bonus ne saurait être déductible au titre de l’impôt sur les sociétés, ce qui sinon priverait l’État d’une recette qui est tout de même estimée à 90 millions d’euros. C’est l’objet d’un deuxième amendement.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce serait une double taxe ! Une taxe sur une taxe !

Mme Nicole Bricq. Le dispositif proposé ne règle pas la question de la cotisation supplémentaire que doivent verser les établissements pour porter la garantie des dépôts à 100 000 euros, comme cela est prévu par la directive 2009/14/CE.

Le Gouvernement doit nous dire si la directive s’applique de droit ou s’il faut la transposer. Si cette transposition n’est pas encore faite, peut-être le Gouvernement a-t-il d’ores et déjà envisagé la procédure qu’il retiendra pour ce faire, c'est-à-dire une ordonnance ou un texte réglementaire.

Nous ne voulons pas que le fléchage vers Oséo du produit de la taxe ampute d’autant les crédits budgétaires. C’est l’objet d’un troisième amendement.

Enfin – pour nous, c’est l’essentiel –, le mécanisme proposé occulte la recherche d’un mécanisme pérenne de prévention des crises financières.

Depuis plusieurs mois, nous défendons la mise en œuvre d’une mesure proposée notamment par le directeur général du FMI, M. Dominique Strauss-Kahn : une assurance contre le risque systémique dont le coût serait proportionnel au risque pris.

Encore évoqué lors du G7 des ministres des finances qui s’est tenu voilà quelques jours au Canada, le principe semble en être accepté, au moins au stade des déclarations, mais à la condition, dixit Mme Christine Lagarde, que le dispositif soit mis en œuvre pour tous et en même temps. Force est de le constater, cette condition aboutit a l’impuissance à agir pour la régulation.

C’est pourquoi nous redéposons un amendement visant à demander au Gouvernement un rapport sur la mise en œuvre d’une telle prime d’assurance systémique. C’est notre manière à nous, membres de l’opposition, de demander que les contribuables ne soient pas les assureurs des risques pris par les marchés financiers. Peut-être existe-t-il des manières plus fines, mais, pour l’heure, elles n’ont pas été soumises au débat public, et nous attendons qu’elles le soient.

En conclusion, l’actualisation des comptes publics ne lève pas le doute sur la sincérité de nos finances. L’emprunt n’est pas de nature, même à moyen terme, à assurer notre rebond économique. La taxe sur les bonus telle qu’elle nous est présentée ne constitue ni réparation pour le passé ni prévention pour le futur.

Ce constat nous conduira donc très logiquement à repousser ce collectif budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

(M. Roger Romani remplace Mme Catherine Tasca au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici saisis du premier collectif budgétaire de l’année 2010, qui ne sera assurément pas le dernier.

Tout comme la loi de finances que nous avons adoptée voilà à peine plus d’un mois et demi, ce projet de loi de finances rectificative vise, dans un contexte de sortie de crise – nous l’espérons – à soutenir le retour de la croissance en privilégiant les dépenses d’investissements.

Le groupe UMP approuve pleinement cette démarche.

Dans un contexte de forte crise économique qui a plombé nos déficits et a vu s’effondrer les recettes fiscales de l’État, il était primordial d’orienter massivement notre effort vers l’investissement, qui deviendra producteur de richesses, tout en poursuivant parallèlement la réduction de nos dépenses de fonctionnement grâce à la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques.

Le plan engagé l’an passé a apporté une première réponse en faisant le choix d’une relance essentiellement ciblée sur l’investissement, alors que certains nous demandaient d’augmenter les dépenses courantes.

La réforme de la taxe professionnelle, qui allégera l’impôt local payé par les entreprises à caractère industriel, jusque-là lourdement imposées sur leurs investissements, a constitué une seconde étape.

Dans la continuité de cette démarche, le Gouvernement nous propose aujourd’hui de mettre en place un grand emprunt national afin de financer un plan exceptionnel d’investissements publics à hauteur de 35 milliards d’euros, qui, par un effet de levier sur les entreprises, les collectivités territoriales et l’Union européenne – elles participeront au financement de certains projets –, devrait conduire à un investissement total estimé à 60 milliards d’euros.

De telles sommes, mes chers collègues, engagent fortement notre responsabilité. Si elles étaient utilisées à mauvais escient, c’est-à-dire sans espoir de retour sur investissement par la création de richesses, le grand emprunt ne serait qu’un emprunt de plus qui ne ferait qu’accroître nos déficits.

Son coût, non-consomptibilité aidant, varie de 2 milliards d’euros à 5 milliards d’euros par an et demeure donc raisonnable. Les trois principales agences de notation estiment qu’il ne devrait pas avoir d’impact négatif sur la qualité de la signature de la France. Elles jugent, en effet, que la France peut emprunter de 20 milliards d’euros à 30 milliards d’euros supplémentaires sans se mettre dans une position trop délicate.

Or la somme qui sera levée sur les marchés s’élèvera à 22 milliards d’euros, puisque 13 milliards d’euros proviendront du remboursement par les banques des aides que l’État leur avait consenties.

Par ailleurs, le groupe UMP se félicite du choix judicieux du recours au marché plutôt qu’à l’épargne publique. Un emprunt auprès des particuliers aurait été forcément beaucoup plus coûteux, pour être incitatif et convaincre les ménages.

Ces nouvelles dépenses d’investissement ne sont, en outre, selon le Gouvernement, pas incompatibles avec l’objectif fixé de réduire le déficit public à moins de 3 % d’ici à 2013. Le Gouvernement nous dit avoir réussi à résoudre la quadrature du cercle : ces investissements accroîtront, certes, le déficit budgétaire de 35 milliards d’euros en 2010, ce qui portera le déficit total à près de 150 milliards d’euros, mais l’impact sur le déficit public au sens de Maastricht sera faible.

En effet, les 500 millions d’euros de charge d’intérêts créés par l’emprunt seront intégrés à la norme de dépenses. Ils seront donc compensés par une réduction équivalente des dépenses de l’État. Nous nous en félicitons.

Ensuite, ces dotations généreront des actifs pour une certaine proportion d’entre elles, entre 50 % et 75 %, cela dépendra des conventions pluriannuelles entre l’État et les organismes gestionnaires des fonds. Elles ne devraient donc pas être considérées comme des dépenses publiques au sens maastrichtien du terme.

Ces actifs prendront la forme de prises de participation, prêts et avances remboursables, et, pour les actifs non consomptibles, seuls les intérêts seront dépensés.

Ce choix de privilégier la création d’actifs s’inscrit dans la continuité du plan de sauvetage des banques à travers la Société de financement de l’économie française et la Société de prise de participation de l’État. Les intérêts des prêts aux banques ont d’ailleurs rapporté des sommes considérables inscrites au budget de l’État, il convient de le rappeler.

Si cette débudgétisation offre l’avantage de créer des revenus pour la puissance publique, elle présente toutefois l’inconvénient d’échapper au contrôle budgétaire du Parlement. C’est effectivement une préoccupation.

Gardons-nous, par conséquent, de transformer le financement du plan d’investissement en un monstre financier opaque et trop complexe. C’est le vœu que nous formulons.

Voilà pourquoi il importe, à notre sens, de prévoir des contrôles à chaque niveau et d’assurer, notamment, le suivi budgétaire et la transparence du processus de sélection des projets dont la rentabilité devra être examinée avec soin.

Le Parlement devra remplir sa mission de contrôle, au-delà du rôle dévolu au commissaire général à l’investissement et au conseil de surveillance coprésidé par Alain Juppé et Michel Rocard, dont le rapport de novembre 2009 a largement inspiré le projet de grand emprunt.

Le groupe UMP se félicite, par conséquent, que les députés aient proposé de créer deux nouveaux « jaunes » budgétaires, l’un pour informer le Parlement de l’emploi et de la gestion des crédits de l’emprunt national, l’autre pour présenter un rapport décrivant les conséquences sur les finances publiques des investissements d’avenir.

Nous soutenons également la proposition de nos collègues députés de transmettre aux commissions des finances, avant leur signature, les conventions passées entre l’État et les organismes attributaires des crédits consacrés aux investissements d’avenir.

Nous ne connaissons pas encore le détail des choix de projets d’investissement. Néanmoins, le choix des secteurs bénéficiant du plan d’investissement nous semble pleinement pertinent. Il recueille l’assentiment et le plein soutien du groupe UMP.

Retenir l’enseignement supérieur, la formation et la recherche, l’industrie et les PME, le développement durable et le numérique répond à la volonté de soutenir l’innovation et de cibler des activités d’avenir fortement créatrices de valeur ajoutée.

Nous nous réjouissons que le Gouvernement non seulement entende combler le retard de la France en matière d’investissements –  je rappelle que notre pays figure parmi les derniers pays de l’OCDE en termes de progression des dépenses globales pour la recherche et développement depuis 2000 –, mais souhaite également faire de la France l’un des leaders mondiaux dans ces domaines.

Cette approche sectorielle s’inspire des programmes des années soixante et soixante-dix, qui ont fait du nucléaire, du TGV, d’Airbus ou d’Arianespace, jusqu’à aujourd'hui encore, les fleurons de notre technologie et des moteurs de notre économie.

Le plan qui nous est proposé est d’une ambition presque sans précédent au regard de l’ampleur des montants engagés, lesquels dépassent très largement ceux des grands projets des années soixante et soixante-dix que j’évoquais.

Le choix de secteurs d’investissement stratégiques va réorienter de manière ambitieuse notre économie vers l’innovation et nous spécialiser dans une économie verte et de la connaissance.

L’enjeu consiste donc à passer d’une économie des ressources à une économie à la fois des savoirs et du développement durable.

Cette formule se traduit très concrètement par l’utilisation des sciences et techniques afin de tirer le maximum de profits du minimum de ressources, d’autant que ces dernières, n’en doutons pas, se feront de plus en plus rares à l’avenir !

La formidable croissance des pays émergents depuis la fin des années quatre-vingt dans un contexte de plus en plus mondialisé, qui voit le développement des moyens et réseaux de transports, mais aussi de l’économie virtuelle via internet, constitue bien le bouleversement majeur de l’économie mondiale à l’aube du xxisiècle.

La montée en puissance de la Chine, de l’Inde ou du Brésil remet en question les vieux équilibres stratégiques mondiaux en se traduisant par une compétition accrue sur les matières premières qui risque de précipiter la pénurie des ressources énergétiques et d’accélérer le dérèglement climatique.

La réforme de notre modèle de croissance hérité des Trente Glorieuses, époque où la consommation de masse semblait illimitée et circonscrite à la fraction occidentale de la population mondiale, est désormais nécessaire.

Le choix de la recherche, de l’industrie et des PME au sein des pôles de compétitivité, du numérique et du développement durable devrait donc être déterminant pour l’avenir de notre économie.

La deuxième grande mesure de ce collectif est la mise en œuvre de la taxation des bonus des opérateurs de marché.

Cette mesure fait suite à la crise financière qui avait contraint l’État à intervenir pour sauver les banques de la faillite alors même que leur comportement n’avait pas été vertueux, c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’il était à l’origine de cette crise.

Une réflexion avait alors été engagée sur la possibilité de taxer les bonus perçus par les traders ayant pris des risques jugés souvent trop excessifs.

Le Président de la République, dont le groupe UMP tient à saluer l’action déterminante, avait ainsi convaincu ses partenaires du G20, à Pittsburgh, en août 2009, d’adopter des règles communes en matière d’encadrement des bonus.

Il nous est aujourd’hui proposé de voter pour concrétiser cet engagement.

La Grande-Bretagne, l’autre grande place financière européenne, s’est elle aussi engagée à rapidement faire de même. Le gouvernement allemand, quant à lui, vient d’adopter il y a tout juste une semaine un projet de loi visant à encadrer les bonus des dirigeants du secteur bancaire.

Cela prouve bien que le choix de la France était le bon.

Mais ce choix est également celui de limiter la taxation : il n’est en effet pas envisageable d’alourdir la fiscalité des banques de manière trop importante.

Nous partageons donc le point de vue du Gouvernement et nous pensons qu’une pression fiscale trop élevée pourrait être contre-productive, sachant que le secteur bancaire se situe dans un contexte de forte compétition internationale.

En outre, ce secteur est déjà assujetti chez nous à une fiscalité « pérenne » significative, qui vient d’ailleurs d’être alourdie, puisque la réforme de la taxe professionnelle se traduira par une taxation supplémentaire de 150 millions d’euros.

Par ailleurs, 100 millions d’euros en 2010, qui deviendront 150 millions d’euros dans les prochaines années, découleront de la mise en œuvre de la contribution pour frais de contrôle au profit de la Banque de France créée par la loi de finances pour 2010.

Enfin, je rappelle l’existence de la taxe de 14 % sur les salaires, qui est propre à la France.

Le groupe UMP approuve également le choix des députés d’affecter les 360 millions d’euros que cette taxe devrait rapporter à l’établissement public Oséo pour permettre le financement de nos PME.

Les fonds propres d’Oséo, dont les interventions se sont sensiblement accrues du fait de la crise, seront ainsi renforcés par une contribution des banques qui sont à l’origine de cette crise. Il y a là une certaine morale.

Mme Nicole Bricq. Cela n’a rien à voir avec la morale !

M. Philippe Dallier. Nous soutiendrons également la proposition du rapporteur général, Philippe Marini, dont nous saluons la qualité du travail, qui souhaite étendre la taxe exceptionnelle sur les bonus aux « responsables hiérarchiques » des traders, comme les directeurs des salles de marchés.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Voilà !

M. Philippe Dallier. Là aussi, il nous semble qu’il s’agit d’une mesure de justice.

De plus, le concept de « trader » n’étant pas précisément défini, il est de notre responsabilité de déterminer exactement lesquels de ces professionnels des marchés financiers sont susceptibles d’être visés par la taxe au regard des risques qu’ils peuvent faire courir à leur entreprise et, comme on l’a vu, au système bancaire tout entier.

C’est la raison pour laquelle l’assiette porte sur la part variable des rémunérations, qui correspond à la prise de risques.

Enfin, le groupe UMP se félicite de la révision des prévisions économiques dans un sens plus positif.

Ces chiffres, qui sont meilleurs que ceux que nous attendions au dernier trimestre de 2009, nous encouragent à soutenir plus que jamais toute initiative visant à appuyer le retour de la croissance. Certes, cette dernière reste trop « molle », mais les chiffres sont meilleurs.

De notre point de vue, les mesures contenues dans ce collectif budgétaire vont dans le bon sens, celui d’un soutien à la croissance.

Compte tenu, en outre, de la tenue en janvier de la conférence sur les déficits, avec la mise en place de groupes de travail, ainsi que de la future remise à plat de l’ensemble des niches fiscales et sociales, nous ne pouvons qu’approuver la détermination du Gouvernement à conjuguer soutien de la croissance et maîtrise des dépenses.

C’est pourquoi le groupe UMP aborde la discussion de ce projet de loi de finances rectificative dans une optique constructive de soutien au Gouvernement, sous réserve des améliorations qui pourront encore être apportées au texte au cours de nos débats. (Applaudissements sur les travées de lUMP.- M. Nicolas About applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 22 juin dernier, le Président de la République annonçait au Parlement réuni en Congrès à Versailles qu’un grand emprunt serait levé pour préparer l’avenir.

Parmi les domaines importants qu’il s’agissait de financer étaient cités, pêle-mêle, l’aménagement du territoire, l’avenir de la ruralité, l’éducation, la formation professionnelle, la recherche, la santé.

Un grand emprunt était nécessaire, car le développement de ces secteurs demande des moyens importants. « Nous ne pourrions pas les satisfaire dans le strict cadre budgétaire annuel », ajoutait le Président de la République.

Dans les jours qui ont suivi cette annonce, divers montants plus faramineux les uns que les autres étaient évoqués, et ce avant même que les besoins aient été identifiés.

Cette proposition avait suscité la plus grande réserve au sein de notre groupe.

Alors que les comptes publics affichaient déjà un déficit abyssal, alors que la dette publique se creusait de façon inédite, il était question d’engager massivement de nouvelles dépenses publiques, et financées exclusivement, c’est leur originalité, par l’endettement, autrement dit par les générations futures !

Mme Nathalie Goulet. C’est la technique du sapeur Camember !

M. Jean-Léonce Dupont. Il a été question un temps de lever l’emprunt auprès des particuliers : les contribuables de demain auraient financé les intérêts des créanciers d’aujourd’hui.

Notre attachement à une gestion responsable de la dépense publique, à l’équité sociale et intergénérationnelle, notre lutte contre l’endettement qui limite chaque année un peu plus nos marges de manœuvre, tout militait contre cette proposition.

Puis, en août dernier, la commission chargée de réfléchir aux priorités stratégiques a débuté ses travaux. Il semble qu’elle ait identifié les domaines stratégiques et les besoins avant de fixer le montant de l’emprunt.

Elle a veillé à éviter les saupoudrages de fonds. Elle s’est efforcée de proposer des investissements rentables pour la collectivité, susceptibles de stimuler l’emploi et la croissance.

Le montant de l’emprunt a finalement été fixé à 35 milliards d’euros, soit un peu plus du tiers des 100 milliards d’euros un temps envisagés. Et, fort heureusement, l’hypothèse de l’emprunt populaire a rapidement été écartée, compte tenu de son coût exorbitant.

Le travail de la commission présidée par MM. Juppé et Rocard a donc permis de lever une partie de nos réticences.

À la lecture du texte qui nous est soumis, on constate finalement que le « grand emprunt national » consiste en fait, d’une part, à effectuer un transfert tout à fait opportun de la dette de court terme vers la dette de moyen et long terme, et, d’autre part, à investir massivement dans quatre domaines stratégiques.

Sincèrement, il eût été préférable de le dire tout de suite ! Car il s’agit bien d’investir 19 milliards d’euros dans l’enseignement supérieur, la formation et la recherche ; 6,5 milliards d’euros dans l’industrie et les PME ; 5 milliards d’euros dans le développement durable et 4,5 milliards d’euros dans le numérique.

Le dépôt obligatoire auprès du Trésor par les opérateurs gestionnaires des fonds d’un montant d’environ 30 milliards d’euros permettra de réduire d’autant le besoin d’endettement à court terme de l’État sur les marchés. Cette modalité va permettre d’optimiser l’action de l’Agence France Trésor et de restreindre les charges d’intérêt.

Les investissements d’avenir induisent bien une augmentation du déficit budgétaire de 35 milliards d’euros en 2010, mais leur incidence sur le déficit des administrations publiques, au sens du traité de Maastricht, sera plus réduite.

Au total, l’incidence sur les déficits publics au sens « maastrichtien » devrait être comprise entre 2,5 d’euros et 3 milliards d’euros en 2010 et les années suivantes.

On est loin des montants pharaoniques dont il fut un temps question, et nous nous en réjouissons. Le montant de l’emprunt, la gestion des fonds, le calendrier de décaissement semblent donc bien conçus.

Les priorités, également, ont été bien ciblées. Il est capital d’investir dans des domaines qui représentent un enjeu stratégique de moyen ou long terme et de concentrer l’investissement sur des domaines dans lesquels la France dispose d’avantages comparatifs.

Dans un rapport d’information sur la recherche et l’innovation en France, notre collègue Joseph Kergueris, rapporteur, a souligné l’importance d’intervenir là où nos retards sont rattrapables, et de ne pas nous perdre dans des courses d’ores et déjà perdues. Il faudra y veiller.

Nous approuvons tout particulièrement l’effort majeur décidé en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous en sommes convaincus, et je le martèle depuis des années, dans l’économie mondiale de la connaissance, l’innovation est le levier qui permettra de redresser notre croissance potentielle.

Notre attachement à la discipline budgétaire n’est pas synonyme de myopie. Oui, nous pensons qu’un effort considérable est nécessaire et urgent pour mieux contenir les dépenses de fonctionnement, mais aussi pour réduire les dépenses fiscales. Et, oui, nous sommes convaincus qu’investir de façon à la fois massive et intelligente dans la formation, la recherche et l’innovation est indispensable pour préparer l’avenir.

Qu’il s’agisse de la loi de programme pour la recherche, des travaux de notre collègue Christian Gaudin sur le crédit d’impôt recherche ou de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dont j’ai été le rapporteur, toutes ces occasions nous ont permis de dire notre conviction à ce sujet.

Cette conviction n’est pas idéologique, elle est fondée sur les conclusions concordantes des meilleurs observateurs économiques. Elle n’est pas béate. Nous ne pensons pas que l’emprunt suffira à nous sortir de l’impasse dans laquelle nous avançons chaque année un peu plus.

Il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle les dépenses publiques ne pèsent pas sur la croissance : c’est faux, une fois certains seuils passés. Des dépenses excessives imposent une taxation excessive. Cette taxation pèse sur la mobilisation du travail et du capital, et donc sur la croissance.

Il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle la hausse de la croissance permettra de financer notre système social à moyen terme : c’est faux. Comme disent les mathématiciens, c’est une condition nécessaire et non suffisante.

Nous ne pourrons pas faire l’économie de nouvelles réformes, notamment de notre système de retraites. Si nous n’avons pas le courage d’engager ces réformes, le rythme d’évolution de nos dépenses sociales accompagnera celui du PIB, et les gains de croissance seront annulés.

Il faut tordre le cou, enfin, à l’idée qu’investir pour l’avenir serait une opération sans risque, assurément gagnante : c’est faux. L’opération présente un risque considérable, et il nous appartient de prendre toutes les mesures pour nous assurer que les retombées économiques seront supérieures aux dépenses engagées.

Par exemple, il faut investir dans nos universités mais il faut aussi asseoir leur autonomie, promouvoir des financements flexibles et diversifiés, développer la sélection par projets, s’attaquer au cloisonnement des structures.

Une autonomie sans concurrence et sans mobilité des enseignants-chercheurs, une autonomie qui passe par la présidentialisation et la marginalisation des personnalités extérieures, une autonomie sans moyens suffisants ferait le terreau du localisme. Là où on espérait avancer, nous régresserions.

Pour la distribution des budgets additionnels, la création d’agences de moyens visant l’excellence scientifique ou l’excellence pédagogique est essentielle, et nous saluons les dispositions du texte qui vont dans ce sens.

Le saupoudrage et l’uniformité n’aboutiraient à rien. Ce sont les incitations, la contractualisation et l’évaluation qui amèneront les progrès à même de faire de nos universités des générateurs de croissance.

C’est la conjonction de ces efforts qui a porté ses fruits chez nos voisins. Financer ne suffira pas. Partout où l’État investira, il faudra mettre en œuvre un train de mesures concrètes sans lesquelles l’argent que nous allons dépenser pourrait bien être gaspillé.

Avec prudence donc, le groupe Union centriste dans sa grande majorité soutiendra cette initiative tournée vers l’avenir. (M. Nicolas About applaudit.) Indiscutablement, elle nous contraint à un effort supplémentaire pour réduire nos dépenses publiques.

À ce sujet, nous avons constaté que le débat portant sur l’opportunité d’inscrire la fameuse règle d’or dans la Constitution était à nouveau ouvert. Cette réflexion que nous portons depuis longtemps va dans le bon sens, tout comme les conclusions de la première conférence nationale sur les déficits publics.

Cependant, mes chers collègues, ce débat bienvenu ne doit pas nous faire oublier que nous disposons déjà d’un arsenal normatif important : il y a peu, nous avons élevé au niveau constitutionnel les orientations pluriannuelles et la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Il est précisé que les lois de programmation doivent s’inscrire dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques.

Un autre arsenal, européen celui-là, est bafoué, année après année. Respectons les règles que nous nous sommes librement imposées avant d’envisager d’en créer de nouvelles.

Nous appelons à cette discipline mais aussi, je l’ai dit, à plus de transparence : monsieur le ministre, nous pensons qu’il eût été plus simple d’expliquer dès l’annonce de ce projet de quoi il était question.

Les parlementaires ne s’y trompent pas, les citoyens non plus. Nous comprenons la nécessité d’afficher le volontarisme du Gouvernement. Nous sommes convaincus que cela peut aller de pair avec un effort de sincérité. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou. (MM. Jean-Pierre Raffarin et Jean-Pierre Fourcade applaudissent.)

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les données et le contexte de ce PLFR peuvent être qualifiés d’extraordinaires. Extraordinaires, en effet, les 138 milliards de déficit de l’État, un déficit public représentant 7,9 % du PIB, une dette, 80 %, et une dépense publique absorbant 55 % de la richesse nationale. Extraordinaires, car qui, majorité ou opposition, aurait pu imaginer une telle situation au début de cette législature ? Extraordinaires, car certains s’interrogent aujourd’hui sur la survie même de l’euro.

La Commission européenne a engagé une procédure pour déficit excessif à l’encontre de vingt des États membres. Que nous soyons moins frappés que d’autres est une consolation bien modeste.

Monsieur le ministre, vous devez nous démontrer comment, et avec quelle croissance, nous pourrons résorber 5 points de déficit d’ici à 2013 pour parvenir aux 3 % de déficit compatibles avec les exigences de Maastricht, puis à un équilibre indispensable pour réduire la dette. Cette dette pénalise notre capacité d’investissement et, paradoxalement, rend nécessaire un emprunt qui l’augmente à son tour.

Pour ce qui est des PME, plutôt que d’emprunter pour les financer, il serait plus responsabilisant pour elles que l’État garantisse les prêts qu’elles sollicitent. Elles choisiraient en connaissance les investissements qui s’inscriraient le mieux dans leur stratégie de développement. De plus, les critères de Maastricht ne seraient pas concernés. Quelle articulation a-t-elle été prévue pour le FSI-PME ?

Il est difficile de trouver le meilleur niveau d’efficacité entre l’augmentation de la dette et le retour sur ces investissements d’avenir. Sont prévus 35 milliards d’euros pour l’économie de la connaissance et de la haute technologie dans des secteurs stratégiques, ce qui devrait entraîner 25 milliards d’euros d’investissements privés. Mais cet emprunt accentue de 12 % le déficit de 2009.

Cet emprunt est certainement indispensable. Comme le dit La Fontaine, « les vertus devraient être sœurs, ainsi que les vices sont frères ». Remédions donc aux vices de la dette et du déficit par les vertus d’excellence, de recherche, d’innovation, d’efficacité, maîtres mots du grand emprunt et du commissaire général à l’investissement, René Ricol.

En s’entourant des meilleurs et en s’adjoignant les conseils de personnalités étrangères, il veut s’assurer, entre autres, de la pertinence de nos projets à l’international, de l’exploitation des brevets et de la création d’emplois et de richesse que ceux-ci génèrent en France. Je rappelle, en effet, que, au-delà du quadruplement de leurs dépôts, nombre de brevets sont rachetés et exploités par des groupes étrangers.

L’accumulation, au fil des gouvernements, de faiblesses coupables est responsable de notre situation budgétaire actuelle, hors crise mondiale.

Nous avons été nombreux, président et rapporteur général de la commission des finances en tête, à exprimer depuis des années des inquiétudes devant l’incapacité à présenter des budgets où les dépenses se stabiliseraient en euros constants puis en euros courants.

Monsieur le ministre, vous avez justement déclaré que « quand on observe un écart aussi important entre les recettes et les dépenses alors même que les recettes publiques sont parmi les plus élevées du monde, c’est bien que le problème se situe du côté des dépenses. »

Pour ce qui est des dépenses, nous sommes toujours rattrapés par les faits. Nous maintenons, depuis la désastreuse mise en place des 35 heures, une compensation au niveau des entreprises qui coûte, à chaque budget, 15 milliards d’euros.

Bien sûr, c’est un sujet très délicat politiquement mais, est-ce si difficile d’expliquer que la compétitivité des entreprises, et donc l’emploi, sont en jeu ? Aujourd’hui, en Grèce, des mesures drastiques touchent notamment les agents publics. Or, seuls 10 000 d’entre eux défilaient à Athènes, preuve que les Grecs ont compris quel terrible effort était nécessaire pour redresser leurs finances.

En France, les dépenses publiques représentent, chacun le sait, 55 % du PIB. Cela handicape considérablement notre capacité à investir et donc notre compétitivité. Le Conseil d’analyse économique affirme que l’attractivité de la France a été surestimée, car le montant des investissements français à l’étranger est quatorze fois, et non deux fois, supérieur aux investissements étrangers en France en 2008. Il faut donc poursuivre la révision générale des politiques publiques.

Pour ce qui est des recettes, nous ne pourrons échapper à une augmentation des prélèvements nécessitant l’effort de tous. Le bouclier fiscal est un compromis pour ne pas supprimer l’impôt sur la fortune, que l’on sait très négatif pour l’investissement. Certes, il s’appuie sur un bon principe - ne pas payer plus d’un euro sur deux-, mais les augmentations d’impôts épargnent les plus gros revenus, et ce n’est pas juste.

Pourquoi n’acceptez-vous pas le fameux triptyque suppression de l’ISF, suppression du bouclier fiscal et création d’une cinquième tranche ?

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce serait la bonne solution !

M. Aymeri de Montesquiou. Merci, monsieur le rapporteur général.

Monsieur le ministre, combien de temps la France aura-t-elle la note maximale « AAA » des agences de notation, aux conclusions aléatoires ?

Si les réformes indispensables ne sont pas mises en place très vite, la France risque fort d’être déclassée comme le Royaume-Uni ou l’Espagne, car la ligne de partage est l’analyse de l’état des finances publiques.

Le philosophe Thalès de Milet affirmait avec raison : « La nécessité est la chose la plus forte, puisqu’il n’y a rien dont elle ne vienne à bout. » Je souhaite la même force à vos réformes, car elles sont vitales. Équilibre, compétitivité, justice sociale : dans tous ces domaines, nous pouvons mieux faire. Nous savons que la tâche sera très ardue, alors pour la mener à bien écoutez avec plus d’attention le Sénat et sa commission des finances, et vous aurez notre appui ! (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !

(M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Roger Romani au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici invités à procéder à la première révision budgétaire de l’année. Les données sont simples : les recettes augmentent de 3,3 milliards d’euros, tandis que les dépenses connaissent une hausse dix fois supérieure, à hauteur de 33,9 milliards d’euros. Ce collectif nous amène à battre le record du déficit budgétaire qui avait été établi en 2009, pour le porter à 149 milliards d’euros, soit une augmentation de 27 % par rapport au montant voté en loi de finances initiale. Ce chiffre est à comparer aux 270 milliards d’euros de recettes nettes de l’État.

Telle est, au milieu de la crise que nous traversons, la réalité de nos finances publiques.

Monsieur le ministre, nombre d’orateurs ont salué l’habileté dont vous avez fait preuve en mettant en place ce grand emprunt, objet du présent collectif budgétaire. Je ne reviendrai pas sur les subtilités de son mécanisme, mais je voudrais insister sur l’environnement perturbé dans lequel s’inscrit cette opération.

Premièrement, les prévisions des économistes viennent systématiquement contredire les estimations de vos services, monsieur le ministre. Aujourd’hui, il apparaît que le taux de croissance devrait finalement être deux fois supérieur à ce qui était annoncé et le rythme de la reprise beaucoup plus soutenu que prévu.

Deuxièmement, il arrive régulièrement que le pacte de stabilité européen ne soit pas respecté. En définitive, il devient habituel que la France ne tienne pas les engagements pris et que les échéances soient sans cesse reportées.

Troisièmement, l’effet qu’aura ce grand emprunt national sur la croissance est difficilement mesurable. Cela étant, M. le rapporteur général estime qu’il entraînera une augmentation de 0,3 % du PIB, soit l’épaisseur du trait…

Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre, vous avez su mener avec habileté le débat national suscité depuis un an par l’annonce de cet emprunt. Comme M. Chevènement, je m’étais prononcé, à Versailles, en faveur du lancement d’un grand emprunt, parce qu’il s’agissait alors, pour le Président de la République, de rassurer l’opinion publique sur la solidité du système bancaire.

Cependant, la situation ayant évolué extrêmement rapidement depuis lors, on peut se demander aujourd’hui en quoi une telle opération serait encore nécessaire. À l’occasion de la discussion budgétaire, j’avais proposé d’y renoncer : cette suggestion n’a pas été retenue, mais, alors qu’un certain nombre de mes collègues de la majorité souhaitaient que le montant du grand emprunt s’élève à 100 milliards d’euros, vous avez obtenu, monsieur le ministre, qu’il soit limité à 35 milliards d’euros, puis à 22 milliards d’euros, une partie des crédits n’étant pas consommables.

Avec une réelle habileté, vous avez su faire preuve de démagogie… (Rires sur les travées du groupe socialiste) ou plutôt, vous avez su vous opposer à la démagogie que pouvait représenter le lancement d’un grand emprunt national de 100 milliards d’euros. (Sourires et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Bravo l’artiste !

M. Philippe Dominati. Finalement, vous avez su faire accepter à votre majorité un montant qui, comme l’a dit M. Chevènement, est relativement faible au regard de la situation actuelle des finances de l’État, marquée par un déficit de 150 milliards d’euros. Selon vos propres mots, monsieur le ministre, vous avez « minimisé l’exercice ». Je tiens donc à saluer votre habileté.

Cependant, je dois vous faire part de l’incompréhension, sinon de la colère, des acteurs de la sphère réelle de l’économie.

Se pose tout d’abord un problème de calendrier : au moment où la Grèce est en difficulté et l’euro attaqué, où tant d’instances mettent l’accent sur la nécessité de maîtriser les déficits publics, ce grand emprunt apparaît totalement inopportun ! Nous avons oublié les conclusions des rapports Camdessus, Attali et Pébereau, les recommandations de l’OCDE ou de la Cour des comptes qui, dans son dernier rapport, élaboré sous l’égide de M. Séguin, soulignait que les dépenses publiques avaient augmenté de 2,6 % en volume au cours de l’année 2009. Finalement, une nouvelle commission Camdessus devrait se pencher sur la question des déficits.

En réalité, la problématique des finances publiques est simple : il y a d’un côté les prélèvements obligatoires, de l’autre la dépense publique.

S’agissant des prélèvements obligatoires, heureusement, vous avez maintenu le bouclier fiscal. Toutefois, je constate que ce collectif budgétaire comporte une augmentation de 2 milliards d’euros des recettes, alors que la France reste championne du G20 en matière de prélèvements obligatoires. La tentation est forte de créer des impôts, par exemple sur les bonus des traders, mais je salue votre volonté de maintenir le bouclier fiscal et de ne pas alourdir les prélèvements, car cela constitue la seule politique qui vaille aux yeux d’une partie de votre majorité.

Reste le problème de la dépense publique. Nombre de mes collègues ont fait l’éloge de la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Pour ma part, je peine encore à percevoir ses effets, monsieur le ministre. En effet, économiser 6 milliards d’euros n’est pas suffisant : au regard des 50 milliards d’euros que vous avez annoncés, l’écart est considérable ! On aimerait une action beaucoup plus énergique sur ce plan.

Par ailleurs, la crise actuelle a amené le retour de l’État dans la sphère industrielle, par exemple chez Renault, GDF-Suez ou dans l’audiovisuel. Si l’on peut s’en féliciter à certains égards, il est source de contraintes : sur le plan économique, nous savons très bien que l’État ne peut pas s’opposer à la mondialisation, parce que nous avons besoin d’exporter nos produits et d’être compétitifs.

Je voudrais en outre souligner que l’État externalise. Ainsi, 60 % des emplois publics affectés à la culture relèvent d’un certain nombre d’organismes d’État. Autre exemple, à propos du projet du Grand Paris, que nous étudions actuellement sous l’autorité de Jean-Pierre Fourcade, il est question d’une dotation en capital de 4 milliards d’euros, tandis que les investissements devraient atteindre 40 milliards d’euros, les dépenses de fonctionnement étant estimées entre 30 milliards et 40 milliards d’euros : nous ne trouvons pas trace de ce retour de l’État dans ce collectif budgétaire.

Pour conclure, monsieur le ministre, certains élus de la majorité pensent qu’une autre voie était possible en ce qui concerne les dépenses publiques. Beaucoup d’entre nous ont fait référence à l’Allemagne : je rappellerai que, à la suite des récentes élections, le gouvernement allemand a décidé, sous la pression des libéraux, de baisser les impôts,…

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas encore fait !

M. Philippe Dominati. … afin de redonner de la compétitivité aux entreprises et du pouvoir d’achat aux consommateurs. C’est la seule mesure de relance qu’il ait prise ! Vous n’avez pas choisi cette solution, au risque de provoquer la colère des acteurs de la sphère réelle de l’économie.

Mme Lagarde, avant M. Fillon, avait prononcé le mot de faillite. Le Président de la République, s’exprimant en janvier sur TF1, a indiqué qu’il ne voulait pas conduire le pays à la ruine. Or l’exemple de certains autres pays européens nous montre que la ruine pourrait nous menacer si nous ne prenons pas rapidement les choses en main.

Vous avez annoncé la mise en œuvre dans quelques semaines d’un plan d’économies : nous l’attendons ! Il devra être aussi drastique que ceux qui ont été décidés dans un certain nombre d’autres pays de l’OCDE. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’évoquerai successivement trois sujets : le grand emprunt, les déficits publics et la dette, la taxation des banques.

Lorsque, le 22 juin 2009, le Président de la République annonça devant le Congrès réuni à Versailles le lancement d’un grand emprunt contracté auprès du public, pour un montant de l’ordre de 100 milliards d’euros, je n’avais pas caché mon scepticisme, sinon ma consternation. Je ne peux donc aujourd’hui qu’être soulagé de constater que cet emprunt sera d’un montant beaucoup plus raisonnable et qu’il sera contracté auprès des marchés, à un coût moindre.

Plutôt que d’un grand emprunt, il s’agit bien, comme vous le dites, monsieur le ministre, d’un « grand investissement financé par l’emprunt », visant à répondre à la question que nous nous posons tous depuis plusieurs années : comment créer les richesses dont notre pays a besoin ? À cet égard, la réalisation des investissements nécessaires pour renforcer durablement la compétitivité de notre économie nous semble la voie la plus pertinente.

Les causes de notre trop faible croissance sont connues depuis de nombreuses années : elles tiennent à la faiblesse de l’investissement dans les secteurs d’avenir et à l’insuffisance des crédits affectés à la recherche, à l’innovation et à l’enseignement supérieur, bref à un sous-investissement chronique dans le capital humain.

Pour ma part, il y a bien longtemps que je regrette l’insuffisance des investissements de notre pays dans les secteurs stratégiques, innovants et créateurs de valeur ajoutée. Le drame, c’est que notre endettement a servi à financer non pas les investissements les plus utiles à la croissance et à la préparation de l’avenir, mais les dépenses courantes de l’État. C’est cette tendance qu’il faut inverser, car le déficit n’est acceptable et utile que s’il est consacré à l’investissement, et non à des dépenses de fonctionnement.

Depuis plus de trente ans, les investissements ne représentent plus, en effet, que 5 % ou 6 % du budget de l’État, contre 20 % dans les années soixante et soixante-dix. C’est pourquoi personne ne peut contester le choix d’investir massivement pour l’avenir, dans des secteurs stratégiques ciblés, tels que l’enseignement, la recherche, l’innovation, les biotechnologies, les énergies nouvelles, le développement industriel et durable, tous secteurs susceptibles de stimuler la croissance, de créer de la valeur ajoutée et de favoriser la mutation vers une économie de la connaissance.

Le Gouvernement doit cependant s’assurer qu’en finançant des investissements structurels, ciblés sur des projets rentables et dans des secteurs stratégiques, cet emprunt contribuera à une reprise durable de la croissance, en améliorant le potentiel productif de notre économie et en rendant à celle-ci ses capacités d’innovation et de développement. Il faudra bien sûr veiller très attentivement à la qualité des projets retenus et au retour sur investissement.

S’agissant des modalités pratiques retenues – création de programmes budgétaires spécifiques, conventionnement des opérateurs pour la gestion des fonds, dotations non consomptibles –, il faut espérer qu’elles seront de nature à garantir la « sanctuarisation » des 35 milliards d’euros, l’impossibilité de les utiliser pour financer les dépenses courantes et l’engagement sur le long terme nécessaire à la réussite de ces investissements. À ce titre, il est indispensable que le Parlement assure un suivi vigilant de l’emploi de ces fonds.

Cela dit, on ne peut contester que le grand emprunt, même si son montant est plus raisonnable que prévu initialement, aura une incidence immédiate et massive sur notre déficit budgétaire, puisque ce dernier s’établira à environ 149 milliards d’euros en 2010, au lieu des 117 milliards d’euros votés en loi de finances initiale.

Il n’y a pas de secret : même si 22 milliards d’euros seulement seront levés sur les marchés financiers, un emprunt supplémentaire de 35 milliards d’euros équivaut bien à 35 milliards d’euros de dette supplémentaires. Emprunter davantage, c’est s’endetter davantage et voir la charge de la dette s’alourdir !

Cela signifie, comme l’indique le récent rapport annuel de la Cour des comptes, que le recours supplémentaire à l’emprunt pour financer les investissements d’avenir ne peut que renforcer la perspective d’un endettement approchant les 100 % du produit intérieur brut dès 2013. Or les marges de manœuvre de la France ne sont pas extensibles à l’infini, puisqu’elles dépendent des capacités d’absorption par les marchés d’émissions massives de titres. À terme, le risque que fait courir à notre pays l’ampleur des déficits et de l’endettement publics est bien une dégradation de la qualité de la signature de notre pays, qui aurait des conséquences particulièrement négatives sur le service de la dette. De la capacité de la France à assainir ses finances publiques dépend sa crédibilité aux yeux de ses créanciers. Il y a donc urgence !

Je citerai à ce propos la commission Juppé-Rocard, que j’approuve totalement sur ce point : « La situation et les perspectives préoccupantes de nos finances publiques plaident […] pour que, dans la durée, ce soit par le redressement de la situation budgétaire et par la réallocation des dépenses que l’État trouve d’abord les moyens de financer ses investissements. » Les conclusions de la deuxième conférence sur le déficit nous permettront de mesurer sa détermination à réduire le déficit structurel, non lié à la crise, qui représente la moitié des 8 % de déficit de 2009, comme l’a clairement établi la Cour des comptes. Je ne peux que faire miens les propos de Thierry Breton, lorsqu’il écrit que « le véritable investissement d’avenir, c’est le désendettement » !

Je conclurai mon intervention en évoquant la taxation exceptionnelle des bonus. Beaucoup de nos collègues, suivant en cela l’opinion publique et se laissant aller à un certain populisme, souhaitent durcir le dispositif prévu à l’article 1er, avec l’intention de punir les banques. Certes, ces rémunérations ont constitué un des éléments de dysfonctionnement des marchés financiers. Les comportements dits à risques favorisés par l’octroi de bonus ont contribué à déstabiliser notre système économique. Il ne s’agit pas de contester l’objectif de cette taxe, qui est, dans la lignée des conclusions du G20 de Pittsburgh, de modifier les pratiques des banques en matière de rémunérations, pour éviter d’inciter à des prises de risques excessives.

Néanmoins, monsieur le ministre, il faut rappeler plusieurs vérités.

Tout d’abord, c’est bien le système bancaire anglo-saxon qui est à l’origine de la faillite du système financier mondial, et non les banques françaises. Il ne faudrait pas que celles-ci soient pénalisées parce que le système de contrôle et de régulation international a été défaillant. Ce serait totalement contre-productif, dans la mesure où les établissements bancaires de nos partenaires économiques ne seront pas taxés ou le seront beaucoup moins. Ce serait affaiblir un secteur économique performant et important par les emplois qu’il représente, par l’activité qu’il génère en France et par la contribution qu’il apporte aux entreprises.

Le secteur bancaire représente en effet 400 000 emplois directs et 300 000 emplois indirects. Il est un des rares secteurs à recruter encore massivement, avec de 30 000 à 40 000 embauches chaque année. Ses investissements sont considérables et sa création de valeur ajoutée est très forte dans un contexte hyperconcurrentiel. Le risque est de fragiliser ce secteur par des mesures répressives au moment même où nous avons besoin de refinancer notre économie.

En outre, on ne peut pas comparer la situation française avec la situation britannique ou américaine. Dois-je rappeler que les banques françaises, qui vont déjà financer le coût du dispositif de supervision bancaire que nous avons voté en décembre dernier, ont versé au budget de l’État 2,3 milliards d’euros ? Le contribuable n’a pas eu à payer pour que la France sorte d’une situation difficile.

Enfin, il faut rappeler que notre pays est le premier et le seul à avoir adopté une réglementation très restrictive en matière d’attribution des bonus, conformément aux décisions prises lors du G20 de Pittsburgh. En effet, l’arrêté du 3 novembre 2009 interdit déjà les bonus garantis, diffère le versement des bonus de plusieurs années et encadre leurs modalités d’attribution, en prévoyant notamment un versement sous forme d’actions.

Nous ne pouvons pas alourdir excessivement et seuls la fiscalité des banques. En conséquence, mes chers collègues, je vous demande, dans l’intérêt de notre économie, de ne pas aggraver la taxation des bonus, qui doit rester exceptionnelle, en tant que contrepartie du soutien de l’État aux banques. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on compenser huit années d’insuffisance budgétaire pour l’enseignement supérieur, la recherche, l’innovation, la société numérique, par un projet de loi de finances rectificative portant seulement sur l’investissement et gageant ces investissements par des annulations de crédits de fonctionnement votés en loi de finances initiale ?

La réponse à cette question est évidemment négative, et le retard pris par la France dans la réalisation des objectifs définis dans le cadre de l’agenda de Lisbonne ne sera pas comblé de cette façon ! Je m’étonne d’ailleurs que l’on ne mentionne l’Europe que pour se réjouir que l’emprunt ne soit pas pris en compte au titre des critères de Maastricht : bel oubli de la politique européenne de recherche !

Monsieur le ministre, vous nous présentez un projet qui organise des « investissements d’avenir ». En fait, il s’agit d’un effet d’optique : vous annoncez mettre sur la table 35 milliards d’euros, mais les financements seront engagés de façon hétérogène – les crédits seront parfois consomptibles, parfois non –, selon des rythmes et des échéanciers divers. Quelle sera la solidité des placements en période de crise financière, en particulier dans un contexte risqué de spéculation en Europe ?

Vous nous annoncez une gouvernance moderne et exemplaire. En réalité, il ne s’agit de rien de plus que d’un nouvel exercice médiatique, une commission sortie de nulle part s’appropriant le travail du Parlement ! Quant au commissariat général à l’investissement, vous lui confiez à la fois le choix et l’évaluation : ce faisant, vous n’hésitez pas à dessaisir le Parlement de son rôle de suivi et de contrôle de l’exécution budgétaire. La batterie d’amendements de M. le rapporteur général visant à encadrer les modalités de conventionnement, de gestion et de suivi des fonds en est une preuve éloquente…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Les soutiendrez-vous ?

M. Serge Lagauche. Oui.

De plus, les modalités d’attribution et de gestion des fonds sont particulièrement complexes.

L’option retenue consiste donc à confier la gestion des fonds à des agences plutôt qu’aux services de l’État. Ce dispositif ouvre largement la porte à la participation du secteur privé à la définition de la politique de recherche de l’État et à une « privatisation » des fonds publics de l’emprunt national. Il permet de contourner les conseils d’administration des universités, les représentants des élus, les collectivités territoriales. Il privilégie la gouvernance par projet de court terme, soumis au pilotage ministériel, à une logique de rentabilité immédiate, à une vision centralisée de notre pays qui semble de plus en plus vivace ces derniers temps…

Vous voulez accroître le potentiel de la recherche en regroupant les grands centres universitaires et améliorer ainsi leur classement international. Certes, il est urgent que la France se dote d’un modèle de recherche s’appuyant sur de vastes campus qui accueilleraient à la fois des laboratoires de recherche, des structures d’enseignement et des organismes dédiés à la valorisation des résultats, travaillant en lien étroit avec les chercheurs.

À ce propos, s’agissant de l’opération campus, destinée à moderniser le patrimoine immobilier des universités, vous vous trouvez contraint de recourir à l’emprunt pour compléter la dotation initiale. En effet, malgré la promesse du chef de l’État, vous n’avez pu tirer tout le bénéfice escompté de la vente, en 2007, d’une partie de la participation de l’État au capital d’EDF, dont le produit n’aura été que de 3,7 milliards d’euros. Grâce à l’emprunt, le montant global annoncé pour l’opération, soit 5 milliards d’euros, sera atteint, mais la dotation est non consomptible. Par conséquent, seuls les intérêts produits par la rémunération de ces fonds seront utilisables et, au final, chacun des sites universitaires retenus ne recevra qu’une petite fraction de la somme globale. Surtout, cette attribution sera conditionnée à la mise en place de partenariats public-privé, et c’est là aussi que le bât blesse ! Étant donné la complexité de ces montages associant secteur public et secteur privé et l’ampleur du retard pris en matière immobilière par nos universités, l’opération campus, formellement lancée depuis 2007, n’a toujours pas connu le moindre début d’exécution financière. Nous aimerions donc au moins connaître les modalités précises de gestion de cette opération, et en particulier son calendrier.

Par ailleurs, monsieur le ministre, en faisant le choix de tout miser sur quelques établissements phares, vous creusez encore les écarts entre ceux-ci le reste du tissu universitaire, qui se trouve de plus en plus marginalisé. Je pense, par exemple, au campus du plateau de Saclay, seul assuré de se voir affecter, en plus des 850 millions d’euros reçus au titre de l’opération campus, une dotation consommable de 1 milliard d’euros sans condition.

Ce seront toujours les mêmes grandes universités ou les regroupements les plus importants qui verront leurs projets financés, puisqu’ils seront les seuls établissements à même de postuler ! Mes craintes concernent tout particulièrement les « petites universités » ne dispensant que peu de formations au-delà de la licence, voire aucune. En réalité, vous confortez un système d’enseignement et de recherche à plusieurs vitesses, et vous prenez le risque de couper certains établissements d’enseignement supérieur de la recherche.

Bien entendu, on ne peut qu’être favorable à la mise en œuvre d’une politique ambitieuse au service de la recherche, de l’enseignement, de l’innovation. Encore faut-il que cette démarche soit intégrée dans une logique budgétaire globale et articulée avec les politiques gouvernementale et locale.

La recherche a besoin d’un effort régulier, continu et programmé, portant d’abord sur son potentiel humain. Nous ne formons que 10 000 docteurs par an ! Comme le montrent les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, la France compte peu de chercheurs, notamment dans le secteur privé : six pour 1 000 habitants, dont trois dans le privé, contre dix pour 1 000 habitants aux États-Unis, dont huit dans le secteur privé.

Quelle est, aujourd’hui, la cause majeure de cette désaffection ? La politique des contrats à durée déterminée et des bourses, qui organise la précarité ! Le présent projet de loi de finances rectificative ne fait que confirmer cette orientation : on peut craindre que les financements ne soient accordés par priorité aux projets des chercheurs les plus renommés. La seule politique de l’emploi scientifique que vous nous présentiez consiste à supprimer des postes : les organismes de recherche et les universités en auront perdu 900 en 2009. Il est d’ailleurs fort dommageable que l’enseignement supérieur et la recherche, qui constituent le premier secteur stratégique au titre de l’emprunt national, ne soient pas épargnés par les annulations de crédits. La mission « Recherche et enseignement supérieur » est même celle qui paie le plus lourd tribut à cet égard, à hauteur de 125,3 millions d’euros ! Seuls deux programmes sont épargnés : « Vie étudiante » et « Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources ». Tous les autres domaines de la recherche sont affectés : espace, énergie, sciences de la vie, biotechnologies, culture scientifique…

Pourtant, selon l’OCDE, le premier critère de détermination du lieu d’implantation d’un centre de recherche dans l’un de ses pays membres est la présence de personnel qualifié en recherche et développement. Dans ces conditions, monsieur le ministre, l’une des priorités au titre du grand emprunt n’aurait-elle pas dû être la mise en œuvre d’un plan pluriannuel de l’emploi scientifique ?

Ce projet de loi de finances rectificative n’apporte pas non plus de réponse satisfaisante à la faiblesse structurelle de l’investissement en recherche et développement du secteur privé. Pour un gouvernement féru d’évaluation, de rentabilité, c’eût été l’occasion d’agir en matière de structuration des aides publiques et, peut-être, de lancer des opérations plus pertinentes et moins coûteuses !

Pour ne prendre que l’exemple du crédit d’impôt-recherche, le groupe socialiste avait demandé, lors de l’élaboration de la loi de finances initiale, la remise au Parlement d’un rapport d’évaluation sur ce sujet. Nous espérons le recevoir dans les meilleurs délais. Dans tous les cas, il semblerait que le crédit d’impôt-recherche soit actuellement attribué de manière indifférenciée à tous les secteurs, en particulier aux plus grandes entreprises. Pourtant, ce sont les entreprises de taille intermédiaire, dont la France manque, qui en ont le plus besoin et qui pourraient embaucher le plus de chercheurs. Il aurait donc fallu limiter les effets d’aubaine dans ce domaine.

S’agissant de la numérisation et de l’exploitation des contenus patrimoniaux culturels, éducatifs et scientifiques, les investissements du Fonds national pour la société numérique, géré par la Caisse des dépôts et consignations, s’élèveront à 750 millions d’euros. Nous serons particulièrement vigilants sur ce point. Cette enveloppe dédiée à la numérisation des œuvres culturelles ne devra pas être cannibalisée par les projets relevant de la mission « Économie ». Le développement des réseaux à très haut débit, des technologies et des usages numériques ne doit pas se faire au détriment de la numérisation des œuvres culturelles.

C’est pourquoi nous serons attentifs à l’amendement de M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication tendant à « sanctuariser » les 750 millions d’euros consacrés à la numérisation des contenus patrimoniaux culturels en créant un programme dédié spécifiquement à ces actions. Aux termes des conclusions de la commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques, présidée par M. Tessier, il appartient désormais au Gouvernement d’organiser la maîtrise par la France de son exceptionnel patrimoine écrit, qui ne saurait tomber entre les mains du géant Google. La mise en place d’une plateforme unique destinée à alimenter Gallica et Europeana n’exclut d’ailleurs pas, bien au contraire, des partenariats avec la firme californienne. Pour que la France rattrape son retard en la matière, dû en partie à une prise de conscience tardive des pouvoirs publics, éditeurs français, bibliothèques et partenaires privés doivent tous être associés à la création de cette plateforme commune. Mais son pilotage, sa mise en œuvre ne devront jamais échapper au contrôle de l’État. Comment la France pourrait-elle se targuer de défendre l’exception culturelle si elle ne faisait rien pour éviter que des multinationales étrangères ne mettent la main sur nos œuvres patrimoniales ?

De même, à défaut d’une intervention publique forte et rapide, la numérisation du cinéma, qu’il s’agisse des salles ou des œuvres, risque de nous échapper et de tomber entre les mains d’opérateurs privés, bien plus soucieux de rendement à court terme que de la conservation et de la diffusion de notre patrimoine culturel. Le maintien de la diversité des productions cinématographiques françaises dépend de la capacité des pouvoirs publics à accompagner et à contrôler les opérateurs publics et privés.

En conclusion, monsieur le ministre, nous ignorons à quelle échéance seront mises en œuvre les actions correspondant aux engagements pris au travers du présent texte. De ce fait, nous doutons fortement que les promesses faites par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et par le ministre de la culture et de la communication seront tenues, tant leur financement apparaît incertain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative représente une étape importante dans l’engagement du chef de l’État face à la crise qui aura marqué l’année écoulée.

On connaît la conviction du Président de la République quant à l’importance de l’investissement et de l’industrie pour l’avenir de l’économie française. Ce n’est donc pas par hasard qu’ont été mises en place une commission sur le grand emprunt et les assises de l’industrie, dont les conclusions et orientations se trouvent au centre des dispositions de ce projet de loi de finances rectificative.

Mes observations porteront essentiellement sur l’article 4.

Il est bien que 35 milliards d’euros soient mobilisés, mais l’importance de ce montant doit être relativisée, car ce dernier ne représente que le triple des investissements annuels de quelques grands groupes nationaux, réalisés majoritairement, il est vrai, hors de France.

Les conditions de mobilisation du grand emprunt devront faire l’objet d’une attention toute particulière. Pour l’heure, il faut bien reconnaître que le Parlement ne dispose que d’un droit de regard limité, et je ne peux donc que souscrire aux amendements de la commission des finances et de la commission de l’économie visant à le renforcer. Cela étant, j’admets volontiers que les procédures mises en place ne doivent pas être causes de retard dans la mobilisation des financements.

Je ne vous cacherai pas que les dotations non consomptibles peuvent susciter des inquiétudes légitimes, au regard de l’expérience récente des dotations pour les universités. Or la rapidité de la mobilisation des fonds sera l’un des facteurs décisifs de la réussite du plan.

Cela étant, mes interrogations, sinon mes inquiétudes, portent surtout sur les dotations consomptibles.

Je ne reviendrai pas sur le flou des tableaux qui ont été présentés, que ce soit par la commission Juppé-Rocard, l’Assemblée nationale ou le Sénat. La commission des finances a évoqué une présentation « assez vague », et M. Étienne a pour sa part indiqué qu’il avait fallu « déchiffrer le chiffrage »… En disant cela, il ne s’agit cependant pas pour moi de formuler une critique, car j’admets volontiers qu’il faut ménager une certaine souplesse.

Cela dit, il importe néanmoins que les règles de fonctionnement de la commission chargée de l’évaluation des projets soient clairement définies. Il ne faudrait pas que certains services, dont on connaît l’habileté, s’en servent pour mieux contraindre les choix.

La question importante, et même capitale, concerne l’affectation des dotations consomptibles, tout particulièrement dans les domaines relevant de l’innovation technologique : sont annoncés 7,9 milliards d’euros pour la recherche ou 5,1 milliards d’euros pour le développement durable.

Nous savons que, dans ces secteurs, la France a un retard important à combler et que l’innovation est très rapide. Rattraper ce retard est possible, mais cela nécessite de mobiliser des moyens importants sur des délais très courts. Or prévoir à ce titre de 10 % à 25 % de dotations consomptibles est très insuffisant ; retenir un taux de 50 % à 75 % serait justifié, au moins dans certains domaines. Mieux vaut mener à bien un nombre plus restreint de programmes qu’en engager davantage sans se donner les moyens d’aboutir.

J’aimerais, monsieur le ministre, avoir une réponse sur ce point important, l’innovation technologique étant un enjeu crucial de ce projet. Le rapport Juppé-Rocard cite des exemples précis à cet égard. Là encore, si les taux sont donnés à titre indicatif mais laissés à l’appréciation de la commission chargée de l’évaluation des projets, je serai rassuré, mais il convient de bien préciser les choses.

Je n’évoquerai pas, pour l’heure, d’autres mesures d’accompagnement importantes, tels les fonds communs de placement dans l’innovation et les fonds d’investissement de proximité. Nous aurons l’occasion d’y revenir à l’occasion de l’examen des amendements.

Permettez-moi, en revanche, de souligner certains aspects de la politique industrielle qui, au-delà des moyens financiers, relèvent d’une volonté politique.

Voilà deux ans, à l’occasion d’une question orale, j’avais interrogé Mme la ministre de l’économie sur le devenir du site de Saint-Jean-de-Maurienne, et plus généralement de la filière industrielle de l’aluminium en France, au regard des inquiétudes que faisait naître la volonté délibérée du groupe Rio Tinto de transférer la technologie et le savoir-faire français à l’étranger – il s’agissait notamment de la technologie AP-50 –après avoir abandonné un projet de modernisation.

Le groupe Rio Tinto avait à l’époque pris l’engagement de faire connaître son plan de modernisation en 2008, en affichant sa volonté de faire de Saint-Jean-de-Maurienne un site de référence mondiale. J’avais indiqué à Mme la ministre de l’économie que Rio Tinto ne disait pas la vérité. Le jugement rendu, voilà quelques semaines, dans le contentieux entre EDF et Rio Tinto, ainsi que la baisse d’activité sur le site et la mise en place d’un plan social, ne font que confirmer la duplicité et le double langage de ce groupe industriel. La réalité a dépassé les craintes…

Pechiney, fleuron français de l’aluminium, c’était 20 000 emplois dans notre pays au moment de son rachat par Alcan, accompagné de promesses formelles d’investissement et de développement. Il y a deux ans, il ne comptait plus que 15 000 salariés, et l’effectif sera ramené à 3 000 en 2010, après la cession des dernières activités. Avec le secteur aval, ce sont encore 16 000 emplois directs et indirects qui sont concernés.

Pourtant, une politique industrielle peut encore, monsieur le ministre, sauver la production d’aluminium en France ! Le comité de soutien de l’aluminium dans la vallée de Maurienne vient de lancer un appel au Gouvernement pour que soit menée une étude stratégique sur la reconversion industrielle de cette activité, qui permettrait effectivement de sauver l’aluminium. J’ai adressé la même demande voilà quelques semaines à M. le préfet de la Savoie, à l’occasion des états généraux de l’industrie.

Il ne s’agit pas d’une question de circonstance. Le grand industriel Jean Gandois avait, en son temps, regretté de n’avoir pu mettre en place en France, pour l’industrie électro-intensive, la stratégie qui a été mise en œuvre avec succès dans nombre de pays.

Alors que les états généraux de l’industrie viennent de se terminer et que le Parlement doit se prononcer sur le lancement du grand emprunt, je demande avec insistance au Gouvernement la réalisation d’une étude technico-économique sur les perspectives de la filière de l’aluminium en France. L’avenir de cette filière ne passe certainement pas par une aide financière de l’État. L’existence des sites de Dunkerque et de Saint-Jean-de-Maurienne, qui représentent plus de 6 000 emplois directs ou indirects, est en jeu à court terme !

La discussion de ce projet de loi de finances rectificative intervient bien à un moment charnière. Le 9 juin dernier, en Savoie, lors de sa visite à l’Institut national de l’énergie solaire, le Président de la République a proposé que le CEA s’ouvre aux énergies nouvelles et devienne le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables. Au-delà de la terminologie, il s’agit d’une question fondamentale. En créant, par l’ordonnance de 1945, le Commissariat à l’énergie atomique, le général de Gaulle a doté notre pays d’un outil qui nous est envié par beaucoup et qui lui a donné son indépendance nucléaire, sur les plans tant militaire que civil.

Je n’évoquerai pas les décisions prises il y a une vingtaine d’années, que nous payons chèrement aujourd’hui. L’enjeu est de tirer parti du formidable outil qu’est le CEA en mobilisant ses capacités de recherche au profit du développement des nouvelles énergies, pour rattraper notre retard. Beaucoup de sites, tels que Saclay et Minatec, ont été évoqués, et je pourrais en citer bien d’autres. Ajouter les énergies alternatives dans la dénomination du CEA, c’est en quelque sorte réaffirmer l’ambition de l’ordonnance d’octobre 1945, pour reconquérir la place que la France n’aurait jamais dû perdre.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de souhaiter que ce soit l’occasion pour le Gouvernement de mobiliser tous nos grands établissements de recherche et toutes nos grandes entreprises dans une compétition qui unisse nos compétences, car notre pays a l’intelligence nécessaire pour relever ce défi ; encore doit-il s’en donner les moyens, grâce à ce grand emprunt. C’est donc avec enthousiasme que je voterai ce projet de loi de finances rectificative pour 2010. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques semaines seulement après l’adoption du projet de loi de finances initiale, nous examinons un premier collectif budgétaire, d’autres étant probablement appelés à suivre !

À l’instar de ma collègue Nicole Bricq, je soulignerai d’emblée que l’existence même de ce collectif est la preuve que, comme l’avait alors affirmé notre groupe, le projet de budget qui nous a été soumis en décembre dernier n’était pas sincère.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel !

M. Michel Teston. Le dernier rapport de la Cour des comptes rappelle fermement au Gouvernement sa responsabilité dans la dégradation de la situation financière de notre pays. En effet, il souligne que le déficit public a atteint environ 8 % du PIB en 2009 et que ce niveau n’est pas dû qu’à la crise qui frappe le monde depuis quelques mois.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La Cour des comptes, ce n’est pas le Conseil constitutionnel !

M. Michel Teston. Dans ce contexte, pourquoi nous présente-t-on ce nouveau texte budgétaire ?

Il a notamment pour objet de mettre en œuvre le grand emprunt qui doit financer les investissements d’avenir. Soit, mais ce grand emprunt alourdit la dette de la France, et il y aurait bien d’autres moyens d’assurer le financement de ces investissements si le chef de l’État n’avait pas mené une politique visant à faire des cadeaux fiscaux à certaines parties de la population : je pense, en particulier, au bouclier fiscal.

Ces remarques préliminaires étant formulées, j’en viens aux différentes observations que m’inspire ce projet de loi, caractérisé par des insuffisances et des oublis.

Tout d’abord, les infrastructures et services de transport font une nouvelle fois les frais des adaptations budgétaires prévues par le Gouvernement. Plus de 81 millions d’euros sont ainsi annulés en autorisations d’engagement et en crédits de paiement au titre de cette action de la mission « Écologie, développement et aménagement durables ».

En outre, en ce qui concerne les investissements d’avenir, il est seulement prévu de soutenir les programmes intégrés urbains. Or il aurait été utile de mettre en œuvre des projets de ligne à grande vitesse dont la réalisation a été décidée. Quid des promesses du Grenelle de l’environnement ? Comment réaliser tous les projets retenus et régénérer dans un délai raisonnable les lignes existantes si chaque collectif budgétaire prévoit des annulations de crédits affectés aux transports et si un grand emprunt ignore la question essentielle du développement du réseau ferroviaire à grande vitesse ?

Doit-on en conclure que les préconisations du Grenelle ont vocation à rester lettre morte ou, plus probablement, que, l’État ne prenant pas ses responsabilités, ce seront les collectivités territoriales qui prendront le relais ? Il n’est pas acceptable que le Gouvernement supprime régulièrement des crédits en rognant sur certains éléments essentiels de la politique d’aménagement du territoire.

J’en viens à la place réservée, au titre du grand emprunt, à l’aménagement numérique du territoire.

En octobre 2008, lors de la présentation du plan « France numérique 2012 », le Gouvernement avait annoncé deux grands objectifs : assurer l’accès de tous au haut débit et réduire la fracture numérique. L’annonce de ce plan n’avait pas été suivie de l’inscription de crédits par l’État…

Pour tenter d’atteindre ces objectifs, il est prévu, dans ce projet de loi de finances rectificative, d’attribuer 4,5 milliards d’euros de crédits au Fonds national pour la société numérique, dont la gestion sera confiée à la Caisse des dépôts et consignations.

La répartition par action de ces crédits est la suivante : 2,5 milliards d’euros pour le développement des usages, services et contenus numériques innovants, 2 milliards d'euros pour le développement des réseaux à très haut débit. Si l’État se décide enfin à affecter des crédits importants au développement du numérique, il n’en reste pas moins que le grand emprunt oublie complètement le numérique à l’école. Grâce au grand emprunt, il aurait pourtant été possible d’ouvrir un vaste chantier de développement des « écoles numériques », aujourd’hui encore uniquement au stade de l’expérimentation.

Comme le souligne Françoise Benhamou, professeur à l’université Paris-XIII, dans Le Monde du 27 janvier dernier, l’équipement massif en tableaux interactifs numériques constitue un projet à la fois pédagogique et industriel. Le développement de tels outils permettrait d’initier tous les élèves à un usage responsable et raisonné des ressources d’internet et constituerait un puissant levier économique.

Un certain nombre des conclusions du rapport qui doit être remis aujourd'hui même au ministre de l’éducation nationale vont également dans le sens de la mise en œuvre d’un plan massif d’équipement numérique des établissements scolaires.

Afin de susciter un effet de levier sur l’investissement privé, le Fonds mobilisera 2 milliards d’euros pour le développement des réseaux à très haut débit, selon des règles d’intervention publique censées être adaptées aux caractéristiques des territoires. Aucune intervention publique n’est prévue dans les zones denses. Pour les zones moyennement denses, le Fonds n’attribuera pas de subventions, mais distribuera des prêts à hauteur de 1 milliard d’euros pour accélérer et optimiser l’investissement des opérateurs privés : 250 millions d’euros sont prévus pour des subventions et des prises de participation en vue du déploiement, d’ici à cinq ans, d’une solution technique apportant le très haut débit à 750 000 foyers en zones rurales.

À court et à moyen termes, il ne reste donc plus que 750 millions d’euros pour attribuer des subventions, notamment aux projets d’initiative publique dans les zones peu denses. Compte tenu de l’immensité des besoins, il est à craindre que ces sommes soient bien loin de suffire à assurer la couverture totale du territoire.

Le grand emprunt fait aussi l’impasse sur un secteur qui crée des emplois durables et répond aux besoins de la population : le logement social.

Comme l’a très bien souligné Thierry Repentin dans une tribune publiée par La Gazette des communes, « les organismes HLM sont les seuls, dans le secteur immobilier, à pouvoir obtenir des résultats substantiels en matière d’économie d’énergie et de soutien aux filières innovantes ». Dans cet article, notre collègue rappelle aussi que « Michel Rocard et Alain Juppé, co-présidents de la commission chargée d’étudier les modalités de mise en œuvre du grand emprunt, l’avaient bien compris mi-novembre lorsqu’ils ont proposé la création d’un fonds de deux milliards d’euros pour le financement de prêts à taux zéro sur quinze ans destinés à la réhabilitation thermique de 700 000 logements sociaux des catégories E, F et G ». Mais le chef de l’État n’a pas jugé bon de reprendre cette idée, et M. Repentin poursuit en ces termes : « Tout juste [ce texte] prévoit-il une enveloppe de 500 millions d’euros exclusivement dédiée aux travaux d’amélioration thermique des propriétaires occupants. Une telle mesure n’aura pas l’effet levier qu’aurait permis l’intervention massive sur le parc social. »

En conclusion, ce projet de loi souffre de lacunes et d’oublis majeurs dans des domaines essentiels en matière d’investissements pour l’avenir. L’appréciation portée sur ce collectif budgétaire par les membres socialistes de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire rejoint donc celle, totalement défavorable, de Mme Bricq et de M. Lagauche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Le contexte dans lequel s’inscrit la discussion de ce projet de loi de finances rectificative a été excellemment retracé par MM. Arthuis et Marini. En particulier, elle intervient très rapidement après le vote de la loi de finances initiale, et certains orateurs de l’opposition y voient la preuve que le projet de budget présenté pour 2010 était insincère. Il n’en est rien, et le Conseil constitutionnel a d’ailleurs été d’avis contraire. Du reste, lors du débat budgétaire, j’avais bien spécifié devant la représentation nationale que le projet de budget ne prenait pas en compte le grand emprunt et que nous discuterions de ce dernier ultérieurement.

L’examen du présent texte se place à un moment charnière, entre la fin de la crise et le début de la reprise. La situation doit encore être consolidée, en France comme dans le monde entier, notre pays s’en sortant toutefois plutôt mieux qu’un certain nombre de ses partenaires européens.

Ce projet de loi de finances rectificative n’est pas un texte financier, il est surtout, M. Marini a eu raison de le souligner, un texte de réforme de l’État, qui nous engage pour l’avenir et par lequel nous essayons d’amorcer des évolutions. Il nous permet notamment d’aborder des questions qui n’avaient pas suffisamment été posées depuis bien longtemps, celles qui concernent l’investissement.

C’est aussi un texte « Janus », répondant à une double logique : d’un côté, il prévoit des investissements, donc des dépenses, se traduisant d’ailleurs par une augmentation du déficit budgétaire ; de l’autre, il nous projette vers l’avenir.

Ce projet de loi de finances rectificative n’a rien d’ « illusoire », monsieur le président de la commission des finances, ni de « magique », comme l’a affirmé votre homologue de l'Assemblée nationale. Nous avons construit ce texte pour que les 35 milliards d’euros d’investissements prévus produisent un effet important en termes de développement économique, sans avoir une incidence trop négative sur les déficits publics.

Peut-on parler de débudgétisation ?

Mme Nicole Bricq. Bien évidemment !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Éric Woerth, ministre. Je vous en prie, monsieur le président de la commission des finances.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l’autorisation de M. le ministre.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je souhaiterais dissiper un malentendu.

En parlant tout à l’heure d’illusion budgétaire, je visais le fait que le budget pour 2010 fait apparaître une dépense supplémentaire de 35 milliards d’euros, alors que la dépense effective sera au maximum de 4 milliards d’euros. En revanche, le budget pour 2011 ne comportera aucune dépense supplémentaire, alors que nous écluserons, à partir de cet exercice et au moins jusqu’en 2015, des dépenses qui auront été passées, en apparence, dans le budget pour 2010.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est un texte habile !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Monsieur le président de la commission des finances, la construction financière du texte a été conçue ainsi : ce n’est pas une illusion, en tout cas pas une illusion perdue… (Sourires.)

Notre stratégie en matière de finances publiques est claire. Un programme de stabilité a été transmis à Bruxelles : il s’agit de dégager 50 milliards d’euros de recettes fiscales nouvelles, tout en réduisant pour un même montant les dépenses liées au plan de relance dans les trois années à venir. Notre ambition est donc extrêmement élevée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la conférence sur le déficit public, à laquelle vous participez, et ses groupes de travail sur les dépenses sociales, sur les dépenses de l’assurance maladie ou sur la maîtrise des dépenses locales n’édulcorent pas la réalité : nous l’affrontons pleinement, au contraire, afin de mettre en place un meilleur pilotage de la dépense publique. Des décisions devront encore être prises pour tenir compte de l’incidence de la crise, qui a bouleversé nos finances publiques.

M. le rapporteur général et M. de Montesquiou ont appelé l’attention sur le fait que si la France est aujourd'hui bien notée, il faut veiller à respecter le programme de stabilité afin de préserver l’image de sérieux et de solidité dont bénéficie notre pays : cette dimension psychologique ne doit pas être ignorée. Pour autant, ce programme prévoit que son application ne vaut qu’en période de croissance, et non en temps de crise. Il convient de tenir compte de cet élément, mais je réaffirme que le rééquilibrage des finances publiques est au cœur de notre politique. Cet effort d’assainissement est mené sur tous les fronts. Ainsi, ce matin même, au cours d’une réunion avec les partenaires sociaux organisée par le Président de la République, il a notamment été question du calendrier et de la méthode de la réforme, structurelle s’il en est, des retraites.

Pour sa part, Mme Bricq a évoqué un différend entre le Gouvernement et la Cour des comptes. Cela étant, il ne s’agit pas d’une polémique. Le Gouvernement a le droit de s’exprimer pour répondre aux observations de la Cour des comptes. Sur le fond, nous sommes d’ailleurs d’accord : l’accélération du creusement du déficit est liée à la crise. Simplement, la Cour juge que celle-ci est à hauteur de 90 % la cause de cette évolution négative, alors que nous estimons quant à nous qu’elle l’explique entièrement.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas ce que la Cour a dit !

M. Éric Woerth, ministre. Cet écart de 10 % traduit notre divergence de vues sur la chute des recettes de l’État, qui selon la Cour est en partie due à des raisons étrangères à la crise. Tel n’est pas notre avis, que nous étayons par des arguments : la Cour des comptes n’a pas forcément raison, et le Gouvernement n’a pas nécessairement tort ! Il est tout à fait normal qu’un tel débat, qui n’est pas méthodologique mais qui repose sur des approches différentes, s’instaure en démocratie.

En ce qui concerne les réformes fiscales, M. Dominati nous encourage à poursuivre les baisses d’impôts, comme les Allemands. La coalition au pouvoir en Allemagne envisage certes cette possibilité, mais je sais, pour en avoir discuté récemment avec M. Schäuble, que les choses ne sont pas si simples. En tout état de cause, le moins que l’on puisse dire est que nous avons déjà consenti quelques efforts en ce sens ! Sur certaines travées, on nous le reproche, sur d’autres, on déplore que nous n’allions pas plus loin ! Le crédit d’impôt-recherche, n’est-ce pas une baisse d’impôt ?

Mme Nicole Bricq. On ne sait pas vraiment ce que c’est…

M. Éric Woerth, ministre. C’est une niche fiscale très importante, destinée à favoriser l’innovation.

N’oublions pas non plus la suppression de l’imposition forfaitaire annuelle, que les entreprises demandaient depuis fort longtemps et qui représente tout de même 1,4 milliard d’euros. Quant à la suppression de la taxe professionnelle, qu’est-ce sinon une baisse d’impôt ? Je pourrais citer d’autres exemples encore, mais notre politique économique, budgétaire et fiscale est claire : les impôts sont aujourd’hui trop élevés en France. Nous devons certes sécuriser les recettes, mais aussi accroître notre compétitivité en vue de la reprise.

De nombreux intervenants, dont MM. Marini et Dallier, ont évoqué le programme d’investissement d’avenir, doté de 35 milliards d’euros. Jamais un tel effort n’avait été accompli depuis les grands plans d’investissement des années soixante. Nous avons en effet des retards stratégiques à combler, et la commission Juppé-Rocard avait pour tâche de réfléchir aux moyens d’y parvenir.

Nous avons décidé d’intervenir massivement, selon un horizon pas trop éloigné, avec des priorités bien définies.

S’agissant du numérique, M. Retailleau a été très précis. J’indique que le milliard d’euros annoncé s’ajoute aux 750 millions d’euros apportés par la Caisse des dépôts et consignations pour les zones moyennement denses. Par ailleurs, je confirme que 750 millions d’euros de subventions destinées à la couverture des zones peu denses seront versés au Fonds national pour la société numérique, ce qui permettra d’abonder le Fonds d’aménagement numérique des territoires. J’ignore quelle est exactement la structure juridique de ce dernier fonds, mais il faudrait éviter, autant que possible, de passer par une intermédiation. En tout cas, il s’agit bien de crédits supplémentaires.

Je remercie le groupe de l’Union centriste de son soutien, manifesté par les voix de Jean-Léonce Dupont et de Jean-Jacques Jégou. Les priorités sont en effet clairement délimitées. Le recours à l’emprunt ne portera que sur 22 milliards d’euros, les 13 milliards d’euros restants provenant du remboursement par les banques des fonds publics prêtés.

Nous avons décidé de faire appel aux marchés financiers plutôt qu’aux particuliers, monsieur Chevènement, parce que c’était la solution la moins coûteuse, et donc la plus raisonnable. Notre objectif n’était pas, en levant cet emprunt, de réaliser une opération politique au mauvais sens du terme. Je regrette que vous soyez moins d’accord avec notre démarche a posteriori que vous ne l’étiez a priori. Certes, dans notre pays, tout dispositif peut être qualifié d’usine à gaz, d’autant que nous vivons dans un monde de plus en plus complexe, notamment sur le plan juridique.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous sommes un vieux pays !

M. Éric Woerth, ministre. Cependant, il ne s’agit pas en l’occurrence d’une usine à gaz : la mesure est limitée dans le temps et le mode de gouvernance associe la nécessaire expertise à l’intervention du Parlement et de l’exécutif. Des projets pourront assez vite être sélectionnés parmi les milliers qui existent, le seul objectif étant d’obtenir un surcroît de croissance pour notre pays. Là est bien l’important !

Les propos de M. Foucaud ont largement dépassé le cadre de ce collectif, mais il était sans doute dans son rôle en s’exprimant comme il l’a fait.

Cela étant, je lui rappellerai que l’INSEE a établi que le pouvoir d’achat a augmenté de 2,2 % en 2009. Certes, tout le monde pense qu’il a au contraire baissé, mais telle est pourtant la réalité, que deux facteurs expliquent : l’inflation a été très faible et de nombreuses prestations sociales ont augmenté. Le pouvoir d’achat des fonctionnaires a quant à lui progressé de plus de 3 %. Là encore, même si beaucoup le contestent, telle est la réalité, incontournable.

Le pouvoir d’achat a donc résisté de façon assez exceptionnelle en ces temps de crise. Les catégories les plus modestes de la population ont été mieux protégées dans notre pays que dans bien d’autres. Le défi qui s’offre à nous pour les prochains mois sera de faire en sorte que nos concitoyens puissent profiter également au maximum de la sortie de crise, sans que cela obère les chances de notre pays. Seule la croissance pourra permettre que le niveau de vie continue à augmenter en France et que nos déficits commencent à se réduire de façon significative.

Concernant les priorités pour l’avenir, je salue la remarquable intervention de M. Étienne sur l’enseignement supérieur et sur la recherche.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout à fait !

M. Éric Woerth, ministre. Ces secteurs sont au cœur du grand programme d’investissement : 19 milliards d’euros leur seront consacrés, ces fonds n’étant d’ailleurs pour l’essentiel pas directement consommables. Cela signifie que l’on ne touchera pas au capital, seuls les intérêts produits par celui-ci devant servir à financer les dépenses d’investissement au profit des campus d’excellence et des universités présentant des points forts. C’est là une option « durable » et « soutenable » compte tenu de l’état de nos finances publiques.

En tout état de cause, le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche continuera de progresser chaque année, ce qui marque très clairement la volonté du Gouvernement dans ce domaine, monsieur Lagauche, même si l’on peut toujours estimer que l’effort devrait être encore plus important. Cela étant, la démarche suivie est empreinte de rigueur, qu’il s’agisse de la gouvernance des universités, de la définition des priorités ou de l’affectation des moyens. Dans ce domaine, l’Agence nationale de la recherche est un partenaire incontournable.

S’agissant des infrastructures de transport, je voudrais dire à M. Teston que nous ne sommes pas en retard par rapport à nos voisins, la France ayant beaucoup investi dans ce domaine ces dernières années. Nous avons choisi de ne pas financer de telles infrastructures par le biais du grand emprunt, pour éviter que le président de la commission des finances ou le rapporteur général puissent nous reprocher de pratiquer la débudgétisation. (Sourires.) En effet, dans la plupart des cas, les infrastructures de transport bénéficient déjà de financements spécifiques inscrits dans divers plans, associant souvent les collectivités territoriales, au travers par exemple des contrats de plan État-région. Le lancement d’un grand programme d’investissement ne signifie d’ailleurs pas que le budget de l’État ne comportera plus de crédits destinés à l’investissement, ce qui constituerait, pour le coup, de la débudgétisation : l’effort d’investissement classique doit au contraire être poursuivi et renforcé.

Concernant la filière industrielle de l’aluminium en France, à titre personnel, je suis tout à fait favorable à la réalisation de l’étude demandée par M. Vial. J’en parlerai à Mme Lagarde et à M. Borloo, qui sont plus compétents que moi sur ce sujet.

Il est vrai que notre pays s’est désengagé des industries électro-intensives au fil du temps. Cela me semble d’autant plus regrettable que, pour avoir travaillé chez Pechiney pendant quelques années, j’ai pu mesurer quelle a été l’extraordinaire puissance de cette entreprise dans son secteur, avant d’assister avec beaucoup de tristesse à son effondrement. Je suis sûr que la France a encore un rôle à jouer dans le domaine de la production d’aluminium.

Pour en revenir à la débudgétisation évoquée par MM. Marini, Retailleau et Étienne, je voudrais souligner que cette critique n’est pas fondée.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas une critique, c’est un constat !

M. Éric Woerth, ministre. Eh bien je ne partage pas ce constat !

Tout d’abord, on procède bien à une ouverture de crédits sur le budget de l’État. C’est un fait incontestable !

Mme Nicole Bricq. Vous faites de la trésorerie !

M. Éric Woerth, ministre. Par ailleurs, que faut-il exactement entendre par « débudgétisation » ? La débudgétisation aurait consisté par exemple à autoriser les opérateurs à emprunter directement, en mettant en place leur propre système de financement.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est bien vu !

M. Éric Woerth, ministre. Or ce n’est pas le cas ! L’État va leur donner de l’argent, dont l’utilisation sera ensuite contrôlée, notamment par les commissions des finances et le commissariat général à l’investissement.

Cependant, le mécanisme de contrôle ne devra pas étouffer les projets : l’objectif est de favoriser la création. Sur le plan budgétaire, je le répète, les opérateurs disposeront de crédits ouverts dans le cadre de programmes. Ce schéma est sans doute assez original, mais cela permet de préserver la spécificité du dispositif et de le rendre « soutenable », pour reprendre une expression de M. le rapporteur général.

Il était logique de s’appuyer sur les opérateurs existants, car ce sont eux qui disposent de la compétence nécessaire. Imaginez notre débat si nous avions décidé de créer spécialement deux, trois ou quatre opérateurs pour recevoir les fonds, au lieu de passer par Oséo et l’ANR ! Pour le coup, on aurait pu parler à juste titre d’usine à gaz. Nous avons voulu éviter ce travers.

J’ajoute que les opérateurs ne sont pas déconnectés de la politique mise en œuvre par l’État : ils en font partie. Ils ne sont pas indépendants, et il appartiendra donc aux ministres de tutelle d’exercer leur autorité sur eux. Il s’agit ici non pas d’un budget bis, mais d’une autre manière de consommer des crédits budgétaires et de contrôler les choses. Ce contrôle sera étroit : les conventions seront transmises au préalable aux commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat, comme l’ont demandé les présidents des deux chambres, un comité de surveillance où siègeront deux sénateurs et deux députés sera instauré, enfin des documents d’information budgétaire, et pas seulement des « jaunes » budgétaires, monsieur Chevènement, seront publiés.

Une procédure complète de contrôle associant étroitement le Parlement sera donc mise en place, qui ne devra toutefois pas empêcher la consommation des fonds. Vous aurez toute latitude pour auditionner qui vous souhaiterez ; aussi vous reviendra-t-il de contribuer à la création de ce contrôle. Le Gouvernement émettra d’ailleurs un avis favorable sur des amendements qui seront présentés sur ce sujet.

Le financement de l’emprunt sera compensé par une diminution des frais de fonctionnement de l’État.

Mme Nicole Bricq. Tu parles !

M. Éric Woerth, ministre. Au titre de 2010, nous annulons 500 millions d’euros de crédits pour compenser 500 millions d’euros d’intérêts d’emprunt. La charge des intérêts sera plus élevée en 2011, premier exercice complet. Notre démarche consiste, même si cela est difficile, à substituer de la dépense d’investissement à de la dépense de fonctionnement.

Enfin, M. Arthuis s’est interrogé sur la nature du véhicule législatif qui portera la taxe carbone. Je ne sais pas s’il s’agira d’un collectif ou d’un texte spécifique, mais la solution pourrait être de choisir un véhicule hybride ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? …

La discussion générale est close.

Question préalable

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Question préalable (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 116, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010 (n° 276, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Bernard Vera, auteur de la motion.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce collectif ne peut être examiné en faisant abstraction de la situation économique internationale.

Depuis quelques mois, on perçoit dans certains pays, y compris le nôtre, des signes de reprise économique, même s’il convient de relativiser ces indices à la lecture des données fournies par l’INSEE sur la récession en 2009, dont le taux est évalué à 2,2 %.

L’économie nord-américaine semble avoir repris de la vigueur, et tout laisse à penser que le gouvernement des États-Unis souhaite en tirer parti pour son propre compte, au détriment des autres puissances économiques.

Aussi observons-nous depuis quelque temps déjà une spéculation renforcée sur les matières premières, ainsi qu’une offensive particulièrement vigoureuse sur les marchés obligataires. Cette offensive, pilotée par les fonds de pension américains, porte notamment sur la dette obligataire des pays de la zone euro les plus fragilisés par la crise.

Les hedge funds s’attaquent aux pays de la zone euro dont la situation précaire laisse augurer de notables plus-values pour tous ceux qui joueront à la fois sur la progression des taux d’intérêt consentis par ces pays et sur la remontée prévisible de l’euro face au dollar, après quelques semaines de chute.

En clair, les fonds de pension américains, dont certains sont encore empêtrés dans les créances douteuses du marché immobilier américain, s’apprêtent à se refaire une santé aux dépens des pays européens les plus fragiles.

Ainsi, à l’issue de la crise financière internationale provoquée par les crédits immobiliers américains, nous nous engageons, après un bref intermède de vertueuse indignation lors des sommets du G20, dans une nouvelle aventure, celle de la crise obligataire.

La plupart des États de la zone euro se sont endettés pour soutenir les activités bancaires et éviter l’explosion du système. Ils font face aujourd'hui à des acteurs des marchés financiers qui ont repris leurs mauvaises habitudes spéculatives. La moralisation et la régulation du capitalisme, ce ne sera pas encore pour cette fois !

On s’apprête aujourd'hui à administrer à la Grèce une potion d’austérité qui consistera en un ensemble de mesures très dures : réduction du nombre de fonctionnaires, baisse de leur rémunération, allongement de la durée de cotisation pour la retraite, hausse de certains impôts, touchant d’abord et avant tout la consommation, et autres dispositifs frappant lourdement les plus nombreux, c’est-à-dire les moins riches.

Si l’Europe avait eu un sens, elle aurait aidé ce pays à se reconstruire après le désastre qu’ont représenté deux étés d’incendies. Elle aurait mis au service de la Grèce un dispositif de conseil en recouvrement fiscal pour l’aider à lutter contre les maux endémiques dont elle souffre, à savoir la fraude fiscale et l’économie informelle.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La Grèce n’est pas une colonie européenne, c’est un pays indépendant !

M. Bernard Vera. D’autres pays de la zone euro sont sur la liste des cibles des spéculateurs : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande, qui ont en commun un déficit public élevé, une activité économique fortement ralentie, une progression sensible du chômage et une hausse spectaculaire de la dette publique au regard de la production intérieure. Bref, ils sont totalement éloignés des critères de convergence européens.

La convergence des politiques économiques des États membres de la zone euro s’opère, dans le cadre actuel de la construction européenne, sur le fondement d’objectifs erronés, notamment la stabilité de la monnaie. Elle s’accompagne d’une course exténuante au moins-disant social et fiscal, alimentée par une concurrence exacerbée entre les territoires, alors qu’il devrait y avoir coopération.

C’est selon cette logique que l’on précarise le marché du travail et que l’on privatise les services publics, avec les résultats que l’on connaît. Ratifier le traité de Lisbonne, c’est ratifier également les politiques de liquidation du service public, c’est ratifier les politiques budgétaires fondées sur le couple infernal de la baisse des impôts et de la réduction des dépenses publiques, politiques qui conduisent à l’expansion constante des marchés obligataires, aujourd'hui en crise.

La France court-elle le risque d’être victime de la même attaque que la Grèce ? Nous pensons que non, notamment parce que la dette publique française est un bon produit, qui trouve facilement preneur sur les marchés financiers. Par conséquent, finissons-en avec l’idée que le poids de la dette deviendrait insupportable pour les finances publiques. À moins bien entendu que le discours catastrophiste sur la dette publique ne serve à justifier par avance les coupes claires à effectuer dans les dépenses publiques pour revenir aux sacro-saints 3 %, bref la cure d’austérité que l’on s’apprête à administrer au peuple de notre pays…

Venons-en maintenant au grand emprunt, l’un des éléments clés du présent projet de loi de finances rectificative. Certains le critiquent parce qu’il alourdirait la dette. Or cette dette, chers collègues de la majorité, vous en êtes comptables devant les Français, vous qui, depuis 2002, avez voté sans trop sourciller tous les projets de loi de finances qui vous ont été soumis !

À la fin de l’année 2002, l’encours de la dette publique était de 717 milliards d’euros, soit 40 % du PIB ; à la fin de l’année 2009, il s’élevait à 1 148 milliards d’euros, soit 431 milliards d’euros de plus. Ce surcroît de dette, nous le devons à vos choix budgétaires, à vos mesures fiscales, à vos politiques industrielles et économiques. La dette a augmenté malgré des coupes régulières dans les dépenses publiques, malgré la suppression de dizaines de milliers d’emplois publics, malgré les transferts de charges non compensés aux collectivités territoriales. Pour ne rien arranger, la durée de vie moyenne de la dette s’est réduite de cinq mois depuis 2007 : il nous faut aujourd'hui rembourser plus vite encore qu’hier ce qui a été emprunté.

Le collectif budgétaire qui nous est soumis s’inscrit dans la même veine. Le handicap constitué par les mesures fiscales antérieures, au mieux inefficaces, au pire contre-productives, y est délibérément ignoré. De plus, la politique de suppression de dépenses publiques mise en œuvre depuis tant d’années est poursuivie.

Le grand emprunt, c’est autre chose. Pour certains, la France sortirait des « clous » européens en lançant cette opération, ce qui la condamnerait par avance. Tel n’est pas notre sentiment.

Pour notre part, nous nous interrogeons non pas sur le montant du grand emprunt, mais plutôt sur l’utilisation des fonds obtenus. Outre qu’il va servir à financer des projets déjà lancés pour une bonne part, il fera supporter par le budget général de l’État des dépenses de recherche et de développement que les entreprises refusent d’assumer. En clair, cet emprunt n’est qu’une énième déclinaison du principe « privatisation des profits, socialisation des pertes » qui sous-tend les politiques libérales autoritaires de par le monde.

Avec le grand emprunt, nombre de politiques publiques essentielles – dans les domaines de l’énergie, des transports et des nouvelles technologies – dépendront dangereusement du seul bon vouloir des entreprises leaders du secteur. De plus, il risque fort d’orienter les travaux des établissements de recherche vers les projets susceptibles de bénéficier d’un financement, au détriment des autres.

Par ailleurs, il y a fort à parier que les engagements pris en matière de recherche dans le cadre du grand emprunt serviront à justifier, dans les années à venir, une réduction des dépenses publiques d’équipement et l’extinction programmée du budget civil de recherche et développement. Le Gouvernement ne lance aujourd'hui ce grand emprunt que pour mieux réduire demain ses dépenses, l’objectif étant de venir au secours de la rentabilité d’opérateurs choisis… Il serait tout de même dommage que les 500 millions d’euros prévus pour la numérisation documentaire ne servent qu’à assurer les bénéfices de Google ! Voilà pourtant bien ce que l’on nous propose aujourd'hui.

Cette situation est d’autant plus regrettable que l’on aurait pu se passer de cet emprunt en entrant au capital des banques en difficulté, par exemple, ce qui aurait permis d’orienter plus précisément leurs choix en matière d’investissements. Au lieu de cela, on réduit l’impôt sur les sociétés, on fiscalise le financement de la sécurité sociale en exonérant les entreprises de cotisations sur les bas salaires, on supprime la taxe professionnelle et on choisit de créer un déficit de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, sans que de telles mesures règlent en rien les problèmes en termes de localisation des activités, de maintien de l’emploi et d’investissement des entreprises.

Ainsi, l’État a versé l’an dernier plus de 30 milliards d’euros de remboursements divers au titre de l’impôt sur les sociétés, alors que l’investissement productif s’est réduit de 7,6 % en un an !

Entre croissance de la dette, reprise molle et grand emprunt à visée utilitariste, ce projet de loi de finances rectificative ne répond en aucune manière aux exigences du temps. Aucune des difficultés que connaît aujourd'hui notre pays ne sera véritablement résolue, bien au contraire. Demain, pour cause de dette, de grand emprunt, de réduction des déficits, on s’attaquera au droit à la retraite à 60 ans, au statut de la fonction publique et, plus généralement, aux garanties dont bénéficient encore les salariés. La cure d’austérité que l’on nous promet afin d’être en mesure de respecter les normes européennes en 2013 ou en 2014 s’annonce aussi amère que celle que les Grecs ne vont pas tarder à subir…

Les privilèges accordés aux grands groupes et aux ménages les plus fortunés ne sont aucunement remis en question, malgré leur incidence désastreuse sur les comptes publics et sur la situation sociale et économique de notre pays. C’est pourtant par là qu’il faudrait commencer !

Tel n’étant nullement l’objet de ce collectif budgétaire, nous ne pouvons qu’inviter le Sénat à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission n’est évidemment pas très enthousiaste, d’autant qu’elle pense avoir analysé de manière aussi pertinente que possible le texte qui nous est soumis. Elle trouverait vraiment trop frustrant de devoir classer son rapport, ainsi d’ailleurs que ceux des commissions saisies pour avis, sans les avoir utilisés comme supports de nos débats !

C’est donc avant tout pour respecter le travail effectué au sein des commissions qu’il convient de ne pas adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. Je m’abstiendrai de donner toute autre motivation. Il me semble urgent d’entamer la discussion des articles !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Il est urgent pour la France que nous entamions la discussion de ce projet de loi de finances rectificative, afin de pouvoir mettre en place le programme d’investissement qu’il porte. Par conséquent, il n’est pas opportun d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.

En ce qui concerne la situation de la Grèce, elle n’est évidemment pas comparable à celle de la France, pour de multiples raisons. L’Eurogroupe, qui se réunit aujourd’hui, donnera sans doute suite aux récentes recommandations du Conseil européen.

Par ailleurs, vous avez évoqué, monsieur Vera, un plan d’austérité. Certes, la France souhaite assainir ses finances publiques, et s’est engagée à cette fin dans un programme de stabilité. Confrontés, comme le reste du monde, à une crise sans précédent, nous essayons de réduire le rythme de progression de la dépense. Cette préoccupation, loin d’être spécifiquement française, est internationale.

Pour autant, aucun plan d’austérité n’est en préparation ou dans les esprits. L’idée est simplement de maîtriser la dépense publique. Celle-ci augmentant depuis des dizaines d’années, il est nécessaire de réduire son rythme d’accroissement : la réponse ne peut pas toujours être de dépenser plus d’argent, car à un moment donné il faut bien que quelqu’un paie, et l’on ne saurait trouver sans fin des prétextes pour reporter cette charge sur les autres – qui seront, selon les cas, les ménages, les entreprises, les riches, les fonctionnaires, les voisins…

Le fil conducteur de notre travail sur la dépense et des réformes que nous mettons en place doit être l’équité. La réduction de la dépense et la répartition des efforts doivent être guidées par un souci de justice. L’équité devra d’ailleurs également être au cœur de l’importante réforme des retraites à venir.

Enfin, monsieur le sénateur, le grand emprunt ne servira pas à recycler des projets déjà lancés, comme il apparaîtra à l’expérience, ni à procéder à une forme de privatisation. Au contraire, l’État intervient massivement dans de nombreux domaines souffrant d’un manque de compétitivité. Nous espérons bien que l’amorçage public sera suivi d’investissements privés : l’effet de levier pourrait être très important.

Pour toutes ces raisons, et pour d’autres encore que je n’ai pas eu le temps d’évoquer, j’invite le Sénat à repousser la motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Je comprends les raisons qui ont poussé nos collègues du groupe CRC-SPG à présenter cette motion tendant à opposer la question préalable, mais, pour sa part, le groupe socialiste estime qu’il y a lieu de délibérer sur ce texte.

Cela étant, puisque vous avez parlé d’équité, monsieur le ministre, je vous ferai observer une nouvelle fois que vous pouviez tout à fait vous dispenser d’emprunter 22 milliards d’euros sur les marchés financiers, dans la mesure où les niches fiscales représentent plus du double de cette somme !

Vous constituez en réalité un fonds de trésorerie ; vous débudgétisez, tout en gageant les intérêts de l’emprunt sur des réductions de dépenses budgétaires. J’ai pris tout à l’heure l’exemple de l’éducation nationale, mais je pourrais également évoquer celui des plans-crèches, dont les collectivités locales devront assumer les charges de fonctionnement.

Vous créez donc un fonds de trésorerie pour l’investissement, qui pourra d’ailleurs être virtuel, quand seuls les intérêts des dotations en capital pourront être consommés par les opérateurs. Cela vous permet en outre de sabrer dans les dépenses. Or réaliser des investissements sans prévoir les dépenses de fonctionnement correspondantes, c’est vraiment insensé !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Le groupe UMP votera contre cette motion, pour trois raisons.

Premièrement, les premiers indices positifs de sortie de crise que nous percevons sont le fruit d’un certain nombre de réformes conduites ces dernières années. Il serait absurde de ne pas mettre en œuvre cette loi de finances rectificative et le grand emprunt.

Deuxièmement, le montage de l’opération, entre dépenses budgétaires, charges du trésor, crédits consomptibles et crédits non consomptibles, s’avère extrêmement astucieux. Cela nous permettra d’engager sérieusement le processus de réduction du déficit budgétaire. Il apparaît clairement que les agences de notation et les marchés financiers examineront avec beaucoup d’attention notre effort dans ce domaine.

Troisièmement, ce grand emprunt a essuyé un certain nombre de critiques, au motif qu’il aurait pour conséquence d'accroître la dette. À cet égard, il me paraît sage de précompter les intérêts de cette dette, et ceux qui seront servis aux opérateurs, sur les dépenses ordinaires de fonctionnement, et non sur les dépenses d’investissement.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est une condition sine qua non.

M. Jean-Pierre Fourcade. Cela va dans le sens de la réduction de la dépense publique.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Cette motion se fonde sur l’idée que d’autres choix budgétaires sont indispensables pour remettre en ordre les comptes publics.

Le déficit public, ainsi que la dette qui en découle – elle n’est jamais que le cumul des déficits reportés et de la charge d’intérêts qui en résulte –, trouve son origine davantage dans le choix d’alléger la fiscalité opéré depuis une vingtaine d’années que dans la progression de la dépense publique.

Depuis de nombreuses années, les prélèvements obligatoires dévolus à l’État ne progressent plus guère et la part des dépenses budgétaires dans le PIB stagne, voire régresse. Dans le même temps, le déficit budgétaire ne cesse de progresser, et avec lui la dette publique.

Avant de mettre en cause, encore et toujours, la dépense publique – 50 milliards d’euros sur un budget de 330 milliards d’euros en 2009 –, il faudrait commencer par s’interroger sur le premier poste de dépenses, à savoir la dépense fiscale. En l’état actuel de la législation, les mesures relatives à l’impôt sur le revenu coûtent plus de 40 milliards d’euros. Cette dépense est d’une autre ampleur que le crédit d’impôt en faveur de la création de jeux vidéo ou la fiscalisation des indemnités versées aux victimes d’accidents du travail ! Toutes ces niches sont-elles économiquement et socialement efficaces ? C’est aussi la question que nous souhaitions poser à travers cette motion.

L’impôt sur les sociétés est tout autant miné par les dérogations, crédits d’impôt et autres exemptions. Je ne rappellerai pas les abus auxquels donne lieu le dispositif du crédit d’impôt-recherche. De même, une entreprise qui connaît une hausse du nombre d’accidents du travail, et donc une augmentation de ses cotisations au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, bénéficie mécaniquement d’une baisse du montant de son impôt sur les sociétés. On lui octroie, en quelque sorte, une prime de risque… Nous pourrions tout aussi bien parler de la fiscalité du patrimoine, de l’imposition des plus-values, de l’impôt de solidarité sur la fortune.

C’est donc d’abord par une remise en question de la dépense fiscale que nous trouverons les voies et moyens de la réduction des déficits. La question de la dépense publique ne devrait être posée que dans un second temps. On oublie d’ailleurs un peu vite que la dépense publique permet la réalisation de logements sociaux et d’infrastructures collectives. Elle permet également à des fonctionnaires d’assurer leurs missions de service public, à des retraités de disposer d’un juste revenu de remplacement, à des associations de répondre aux besoins sociaux collectifs, à de nombreuses activités économiques de se développer… Réduire la dépense publique de manière dogmatique a donc souvent pour effet d’étouffer la croissance en germe.

Pour ces motifs, nous ne pouvons que vous inviter, mes chers collègues, à voter cette motion.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 116, tendant à opposer la question préalable et dont l’adoption entraînerait le rejet du projet de loi de finances rectificative.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, ainsi que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 152 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 211
Majorité absolue des suffrages exprimés 106
Pour l’adoption 24
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Discussion générale

3

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les orientations de la politique de l’immigration en 2009, en application de l’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale et sera disponible au bureau de la distribution.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Question préalable (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Articles additionnels avant l'article 1er A

Loi de finances rectificative pour 2010

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010.

Nous passons à la discussion des articles.

PREMIÈRE PARTIE

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L'ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE IER

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

RESSOURCES AFFECTÉES

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Article 1er A (Nouveau)

Articles additionnels avant l'article 1er A

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 102, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les articles 1 et 1649-0 A du code général des impôts sont abrogés.

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Cet amendement, relatif à la suppression du bouclier fiscal, reprend une demande récurrente de notre groupe.

Comme la discussion générale l’a montré, la situation des comptes publics s’est profondément détériorée. L’endettement de la France s’est accru, et la question des voies et moyens d’améliorer les comptes de l’État se pose donc avec une acuité renouvelée.

À ce stade, l’alternative est la suivante : soit les contribuables modestes continuent de payer les taxes diverses pesant sur leur consommation personnelle et familiale –la TVA, les taxes sur les produits pétroliers et peut-être, demain, la taxe carbone –, pour financer des services publics toujours plus réduits, amputés des moyens matériels et humains leur permettant d’accomplir leurs missions dans de bonnes conditions, soit on fait contribuer équitablement au financement de la charge publique les ménages aisés et les entreprises, dont la situation financière n’en serait pas pour autant affectée. Je rappelle que l’efficacité sociale du bouclier fiscal est quasiment nulle.

M. le président. L'amendement n° 76 rectifié, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article premier du code général des impôts est abrogé.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Comme nous l’avons indiqué lors de la discussion générale, la suppression en temps voulu d’un certain nombre d’exonérations et de niches fiscales aurait permis d’éviter d’emprunter sur les marchés financiers plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Dans cet ordre d’idées, la mesure la plus symbolique consisterait à supprimer le bouclier fiscal. En effet, ce dispositif, destiné à une certaine catégorie de contribuables, constitue une dérivation de l’impôt de solidarité sur la fortune. Il va à l’encontre de toute logique d’égalité, d’équité et de justice, pour reprendre des mots employés tout à l’heure par M. le ministre. De plus, sa suppression nous rendrait une certaine marge de manœuvre budgétaire.

M. le président. L'amendement n° 78 rectifié, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'ensemble des impositions au titre de l'impôt sur le revenu dues par un contribuable au titre de la levée d'une option attribuée conformément à l'article L. 225-177 du code de commerce, de la revente des titres acquis dans ce cadre, au titre des rémunérations différées visées aux articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du code du commerce, ne sont pas prises en compte pour l'application du plafonnement prévu à l'article 1649-0-A du code général des impôts.

II. - Le I est applicable à partir du 1er mars 2010.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. L’amendement n° 78 rectifié vise à exclure du calcul du droit à restitution au titre du bouclier fiscal les impositions portant sur les revenus issus des stock-options, des parachutes dorés et des retraites dites « chapeau ».

Cet amendement devrait faire plaisir à M. le rapporteur général, qui s’étonnait tout à l’heure que l’on ne parlât point de ce sujet : il suffisait d’attendre la reprise de la séance…

Si cet amendement était adopté, nous introduirions dans le système fiscal français une mesure de justice essentielle, eu égard à la nature et au montant de ce type de rémunérations, et nous limiterions le coût d’un dispositif qui a été élargi en 2008. Nous retrouverions ainsi des marges de manœuvre budgétaires, qui nous permettraient d’éviter d’emprunter plusieurs dizaines de milliards d’euros pour financer ce qu’il est convenu d’appeler les « investissements d’avenir ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Encore un petit effort pour arriver au triptyque : nous sommes d’accord pour supprimer le bouclier fiscal, mais il convient également de supprimer l’ISF et de créer une nouvelle tranche marginale de l’impôt sur le revenu pour compenser les ressources ainsi perdues.

Mes chers collègues, si vous êtes prêts à rectifier vos amendements en ce sens, la commission émettra un avis favorable. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Si vous estimez ne pas pouvoir le faire, ce que je regretterais vivement, je ne pourrai que préconiser leur rejet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Sans aller jusqu’à évoquer une fois encore le fameux triptyque,…

Mme Nicole Bricq. Nous n’y sommes pas encore !

M. Éric Woerth, ministre. … je rappellerai que le Gouvernement s’est déjà exprimé à de multiples reprises sur le bouclier fiscal : il est défavorable à ces trois amendements.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote sur l’amendement n° 102.

M. François Marc. Les commentaires ironiques sur le triptyque que l’on nous oppose depuis déjà de nombreux mois commencent à nous fatiguer quelque peu…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Vos amendements aussi sont fatigants !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !

M. François Marc. Le Gouvernement souhaite trouver de l’argent pour financer des investissements. Or, ces dernières années, comme Mme Bricq l’a démontré tout à l’heure, il a réduit progressivement, mais fortement, la part des dépenses budgétaires consacrées à l’investissement. Pour compenser ce désengagement, les collectivités sont intervenues. Elles assurent aujourd’hui 73 % de l’investissement public en France, et on leur reproche maintenant de trop dépenser !

Monsieur le ministre, lors d’une conférence de presse, le 25 janvier dernier, vous avez dit : « On a 50 milliards à trouver. » Ces 50 milliards, je les ai trouvés.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bravo, monsieur Marc !

M. François Marc. En effet, cette somme correspond au coût des cadeaux, niches fiscales et autres avantages divers accordés depuis 2002. L’an passé, la Cour des comptes avait estimé la dépense correspondante à 39 milliards d’euros. Depuis, avec la réduction de la TVA pour le secteur de la restauration et un certain nombre d’autres avantages, nous en sommes arrivés à 50 milliards d’euros, monsieur le ministre, soit précisément le montant que vous cherchez…

Dans ces conditions, cessez de discourir à perte de vue sur les vertus qu’il faudrait développer à l’avenir, sur la nécessité de réduire les dépenses, de faire preuve de rigueur : les 50 milliards d’euros que vous cherchez étaient disponibles, monsieur le ministre, mais vous avez fait un mauvais usage de l’argent public en distribuant des cadeaux à certaines catégories de contribuables, et aujourd’hui vous êtes effectivement placé face à une situation catastrophique.

Vous avez tellement déshabillé le budget de l’État que vous devez trouver un habillage savant pour masquer la réalité et respecter les critères de Maastricht. Vous recourez ainsi à une « agencisation », mais, contrairement à ce qui se pratique dans d’autres pays libéraux, vous allez jusqu’à utiliser cette méthode pour la sélection des projets d’investissement, qui relève normalement de la décision politique.

C’est là où les choses deviennent graves, monsieur le ministre. En effet, si l’on peut à la limite envisager de déléguer à des agences la mise en œuvre d’un certain nombre de décisions d’investissement, comme cela se fait au Canada ou dans les pays nordiques, il est inacceptable de leur confier le soin de procéder à la sélection des projets, qui représentent des sommes considérables ! Où va-t-on, avec cette privatisation de la décision ?

Cet après-midi, nous avons entendu louer la créativité et l’imagination du Gouvernement, mais ces vertus ne suffisent pas à cacher la réalité aujourd’hui obsédante des finances publiques de notre pays. Demain, il nous faudra trouver les moyens de rembourser, et ce sera bien difficile.

Monsieur le ministre, l’échec de la politique menée depuis 2002 est patent, et cela nous conduit aujourd’hui, une nouvelle fois, à exiger la remise en question des avantages indus qui ont été accordés. (Mme Nicole Bricq applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Trop, c’est trop ! Mon cher collègue, venant d’un ancien enseignant d’économie, de tels propos sont confondants !

Premièrement, le coût du bouclier fiscal est de l’ordre de 500 millions d’euros.

Mme Nicole Bricq. C’est le début !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Par conséquent, ne faites pas croire que c’est dix ou vingt fois plus !

Deuxièmement, la majorité qui a été élue en 2002 a augmenté les investissements.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Les chiffres figurent dans les rapports des années passées, mais peut-être n’avez-vous pas eu le temps de les relire avant d’improviser cette intervention : après le gouvernement Jospin, il y a eu un redressement de la courbe des investissements de l’État.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas vrai, monsieur le rapporteur général !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est la vérité : reportez-vous aux rapports successifs de la commission, qui établissent ce fait à compter de l’année 2002.

Ensuite, vous êtes tout d’un coup très rigoureux ! Peut-être faudrait-il rappeler toutes les dépenses que vous avez plaidées dans bien des domaines ? Si j’en avais fait la liste au fil de toutes les propositions que vous avez formulées au Sénat depuis 2002, je suis prêt à parier – je vais faire la recherche – que j’arriverais à une bonne cinquantaine de milliards d’euros…

Alors, de grâce, à quoi servent ces postures ? Les positions excessives que vous prenez n’ont aucune espèce d’effet, et reprendre toute cette série d’arguments éculés, pardonnez-moi de le dire – et je ne renouvellerai pas ce type d’intervention au cours de la discussion des articles, je m’y engage –, n’honore pas notre assemblée. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. François Marc. Il n’y a que la vérité qui blesse !

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Je partage les propos de mon collègue du groupe socialiste. J’irai jusqu’à dire qu’il serait possible de récupérer un peu plus de 50 milliards d’euros, mais que 50 milliards « seulement » nous permettraient déjà de bien relancer l’emploi en France !

M. le rapporteur général soulignait que le bouclier fiscal ne représentait que 500 millions d’euros. Certes, mais ce sont 500 millions d’euros donnés à un millier de personnes, tandis que la taxation des indemnités perçues au titre des accidents du travail rapporte 135 millions d’euros, mais concerne environ 900 000 salariés. Je voulais apporter cette précision pour compléter la démonstration.

Qui plus est, le bouclier fiscal, on le sait, visait à faciliter le retour des exilés fiscaux. Or, monsieur le ministre, vous avez vous-même prouvé, notamment à travers le cas du fichier des exilés fiscaux en Suisse dont nous avons discuté ici au moment de l’examen du projet de loi de finances, que le bouclier fiscal ne servait à rien. De votre propre aveu, 3 000 personnes figurent dans ce seul fichier, c’est-à-dire trois fois plus que ceux qui trouvent quelque intérêt au dispositif dont nous demandons la suppression. Soit dit en passant, monsieur le ministre, nous aimerions obtenir des précisions quant aux procédures de transaction qui semblent avoir été mises en œuvre dans quelques dossiers.

Ce bouclier fiscal est honteux, et il faut supprimer cette niche.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 102.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 76 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 78 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 47 est présenté par M. Alduy.

L'amendement n° 48 est présenté par M. Jégou.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le l) du 1° du I de l'article 31 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° À la deuxième phrase du deuxième alinéa, les mots : « que le locataire est une personne autre qu'un ascendant ou descendant du contribuable et » sont supprimés ;

2° Les trois dernières phrases du deuxième alinéa sont supprimées ;

3° Au troisième alinéa, les mots : «, un ascendant ou un descendant » sont supprimés.

II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

L’amendement n° 47 n'est pas soutenu.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou, pour présenter l'amendement n° 48.

M. Jean-Jacques Jégou. La réduction d'impôt liée à l'investissement locatif, dite « dispositif Scellier », est subordonnée au fait que le locataire ne soit pas membre du foyer fiscal du propriétaire. En revanche, sous cette réserve, la location à un ascendant ou à un descendant est permise.

Or, dans le cadre de l'investissement locatif intermédiaire, la location à un ascendant ou à un descendant n'est pas autorisée. Cette restriction paraît peu cohérente. Il devrait en effet être possible de louer à un ascendant ou descendant, pour peu, bien sûr, qu'il remplisse les conditions de ressources prévues pour le logement social intermédiaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il existe deux types de système de défiscalisation de l’investissement locatif dans le neuf ou assimilé.

Il y a d’une part ce que j’appellerai les régimes « classiques », où les plafonds de loyer correspondent à peu de chose près aux prix du marché et où les contraintes sont relativement faibles. Il en va ainsi du régime Robien de base et du régime Scellier classique. Dans ce cadre, il est interdit de louer aux membres du foyer fiscal, mais il est possible de louer aux ascendants et aux descendants, s’ils ne sont pas membres du foyer fiscal.

Il y a d’autre part les régimes dits « intermédiaires », où les plafonds de loyer sont plus bas et où existent des plafonds de ressources des locataires, en contrepartie d’un avantage fiscal supplémentaire prenant la forme d’une déduction fixée à 30 % des revenus bruts. Dans ce cadre, il est interdit de louer aux ascendants et aux descendants même s’ils ne sont pas membres du foyer fiscal.

Il semble donc que cette différenciation obéisse à une logique. Aussi, sous réserve que le Gouvernement partage mon argumentation, je souhaiterais que notre collègue, après avoir reçu ces éléments d’information, puisse retirer l’amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement. En effet, s’il est permis de bénéficier du dispositif Scellier dans des conditions normales même lorsqu’il y a des liens familiaux entre bailleur et locataire, il n’en va pas de même lorsqu’un avantage supplémentaire conduit à des loyers d’ordre social, car se pose alors la question du lien familial, de la solidarité familiale. La défiscalisation dont profite le bailleur ne doit pas servir uniquement à permettre à un membre de sa famille proche de bénéficier d’un loyer moins cher ! Il serait tout de même assez curieux que la solidarité familiale s’exprime au travers d’une optimisation fiscale !

C’est pour cette raison que cela n’a pas été rendu possible, et je pense qu’il est juste qu’on ne puisse pas recourir au régime Scellier dans de telles conditions.

M. le président. Monsieur Jégou, l'amendement n° 48 est-il maintenu ?

M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le ministre, votre réponse ne m’a pas franchement convaincu, et je me demande si vous l’êtes vous-même. Je retire néanmoins mon amendement, puisque vous y êtes défavorable. (M. François Marc rit.)

M. le président. L'amendement n° 48 est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 83 rectifié, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° À l'article 80 quinquies, les mots : « de la fraction des indemnités allouées aux victimes d'accident du travail exonérée en application du 8° de l'article 81 et des indemnités », sont remplacés par les mots : « des indemnités qui, mentionnées au 8° de l'article 81, sont allouées aux victimes d'accidents du travail et de celles » ;

2° Au 8° de l'article 81, les mots : « à hauteur de 50 % de leur montant, ainsi que les  » sont supprimés ;

3° L'article 85 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 est abrogé.

II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Il s’agit de revenir sur une disposition, elle aussi symbolique, que la majorité a prise à la suite de la proposition du Gouvernement de fiscaliser les indemnités journalières perçues au titre des accidents du travail.

On pourrait abroger cette disposition au nom de l’équité, car en 2010, monsieur le rapporteur général, que cela vous plaise ou non, l’ensemble des niches fiscales représenteront tout de même 75 milliards d’euros. Je vous l’accorde, on peut regarder de près de quoi est composée cette somme, et certaines niches sont assurément justifiées à la fois socialement et économiquement.

Pour en revenir à la mesure visée, on en attend 130 millions d’euros de recettes supplémentaires, censés contribuer à colmater la brèche béante de nos finances publiques ! Il faut donc raison garder.

Sans répéter la démonstration de fond que nous avions faite lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, je soulignerai non seulement que cette mesure est injuste, mais qu’elle porte sur un revenu de substitution qui est de l’ordre de 60 % du salaire : il ne s’agit pas à proprement parler d’une dépense somptuaire !

Qui plus est, le déficit de nos comptes sociaux s’élève à près de 30 milliards d’euros, et celui des comptes de l’État, pour 2010, à 149 milliards d’euros. En outre, la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, ou loi TEPA, est à l’origine de pertes de recettes fiscales d’une dizaine de milliards d’euros auxquelles vous ne voulez absolument pas toucher alors qu’elles concernent généralement des personnes qui ont profité de la politique rentière menée depuis 2002 par les gouvernements successifs.

Compte tenu des ordres de grandeur, l’abrogation de cette disposition n’aggravera pas sensiblement les comptes publics, et un tel argument serait d’autant moins recevable, monsieur le rapporteur général, que, y compris dans ce projet de loi de finances rectificative, vous vous apprêtez à accepter des amendements qui, eux aussi, pèseront sur les comptes publics.

Comme le bouclier fiscal, la disposition sur laquelle nous souhaitons revenir fait partie des mesures symboliques qui, par ces temps de crise et de disette budgétaire, sont de la provocation.

M. le président. L'amendement n° 104, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'article 85 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 est abrogé.

II. - Au premier alinéa du 1° du 1. de l'article 39 du code général des impôts, après les mots : « dépenses de personnel et de main-d'œuvre », sont insérés les mots : « à l'exception des sommes représentant le montant des cotisations versées par l'entreprise au titre de sa participation au financement de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale pour les risques professionnels. »

III. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Que puis-je ajouter après ce qui vient d’être dit ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Rien !

M. Thierry Foucaud. Nous pouvions espérer que l’on réduirait l’une des niches fiscales qui allègent la fiscalité à la fois du patrimoine et du capital ; mais, encore une fois, c’est du côté des salariés que l’on trouve une solution pour augmenter le rendement de l’impôt sur le revenu.

Vous le savez, nous avons déposé une proposition de loi visant à revenir sur cette mesure, qui est économiquement inefficace, puisque son rendement est évalué à 135 millions d’euros, et socialement injuste. Discuté ici même la semaine dernière, notre texte n’a bien sûr pas été adopté, pour des motifs fondamentalement idéologiques.

Je répète la comparaison que j’ai déjà faite tout à l’heure pour montrer la dissymétrie entre ces 135 millions d’euros concernant 900 000 salariés, selon les estimations les plus fiables en la matière, et les 500 millions d’euros que coûte le bouclier fiscal, dont on sait qu’ils sont pour l’essentiel consacrés à un petit millier de contribuables.

Pourtant, là n’est pas la question. En effet, notre amendement vise à gager la suppression de cette mesure de fiscalisation des indemnités journalières des accidentés du travail, votée en loi de finances, sur la suppression du statut fiscal des cotisations que les entreprises acquittent au titre de la branche accidents du travail. Il se trouve que ces cotisations, à l’instar de celles qui sont liées au financement de la branche maladie, sont imputables sur le montant de l’impôt sur les sociétés. En clair, plus la cotisation qu’une entreprise doit acquitter est élevée – n’oublions pas que, dans le cas de la branche AT-MP, elle est évolutive et augmente à raison du nombre d’accidents du travail enregistrés –, plus le résultat imposable de l’entreprise est réduit.

En fin de compte, et ce n’est pas très juste, quand une entreprise fait des efforts en matière de prévention des accidents du travail ou des maladies professionnelles, la diminution de sa cotisation est en partie annulée par l’augmentation du montant de son impôt sur les sociétés. La mesure que nous proposons s’impose donc d’elle-même.

Fiscaliser les indemnités allouées aux accidentés du travail, c’est appliquer une forme de double peine à l’encontre des salariés puisqu’ils sont déjà les victimes de ces accidents ; fiscaliser les cotisations, c’est pénaliser à juste titre les entreprises qui ne réalisent pas assez d’efforts pour réduire les risques en matière de santé et de sécurité de leur activité, c’est faciliter leur responsabilisation, c’est conforter celles qui consentent les efforts nécessaires à l’amélioration des conditions de travail et à la préservation de l’intégrité des salariés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La question ayant déjà fait l’objet d’un long débat lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, la commission ne peut que réitérer son avis défavorable sans argumenter sur le fond.

J’ajoute que la proposition de loi sur le même thème soumise voilà quelques jours au Sénat a été rejetée : la messe est dite !

Mme Nicole Bricq. Mais ceux qui n’y vont pas ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote sur l’amendement n° 83 rectifié.

M. François Marc. Ces explications de forme nous tiennent à distance du débat fondamental. Nous avons un grave problème de finances publiques et la question est de savoir qui va porter le fardeau.

Comme je l’ai dit précédemment, des catégories sociales se sont vu octroyer un certain nombre d’avantages très dispendieux pour l’État. Contrairement au rapporteur général, je pense qu’il y a lieu d’en débattre à nouveau tant la situation est grave. La Cour des comptes, dont M. le rapporteur général n’a pas remis en cause la légitimité, a présenté la semaine dernière son rapport annuel ; elle a évalué à 50 milliards d’euros les pertes liées à des décisions malencontreuses prises depuis 2002, et à 70 milliards d’euros les pertes de recettes provenant des niches fiscales ! La gestion calamiteuse du Gouvernement a fait l’objet de nombreux commentaires.

Nous souhaiterions savoir, monsieur le rapporteur général, au-delà des arguties sur les triptyques que nous avons déjà entendues des dizaines de fois, si vous continuez à défendre le principe des avantages fiscaux votés depuis 2002 au vu de la situation budgétaire catastrophique dans laquelle se trouve la France aujourd'hui. C’est sur cette question de fond que nous vous demandons de vous prononcer afin d’éclairer l’ensemble de nos collègues.

Il y a lieu de reconsidérer les vraies niches fiscales, celles qui profitent aux plus favorisés. Dans ce contexte, l’amendement n° 83 rectifié visant à abroger la fiscalisation des indemnités allouées aux victimes d’accidents du travail me semble tout à fait légitime.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 83 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 104.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 41 rectifié, présenté par MM. Thiollière, Gaillard, Alduy, P. Dominati et B. Fournier, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le III de l'article 150-0 A du code général des impôts est complété par un 8. ainsi rédigé :

« 8. Aux valeurs mobilières ou droits sociaux de sociétés non cotées dont l'actif est constitué d'immeubles ou de droits portants sur ces biens, cédés avant le 31 décembre 2011 à une collectivité territoriale, à un établissement public de coopération intercommunale compétent ou à un établissement public foncier mentionné aux articles L. 321-1 et L. 324-1 du code de l'urbanisme en vue de leur cession à l'un des organismes mentionnés au 7. ; en cas de non-respect de cette condition dans un délai d'un an à compter de l'acquisition des biens, la collectivité territoriale ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent reverse à l'État le montant dû au titre du I ; ce délai est porté à trois ans pour les cessions réalisées par un établissement public au profit de l'un des organismes mentionnés au 7.

II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Notre collègue Michel Thiollière propose, par cet amendement, de modifier l’article 34 de la loi du 26 juillet 2005.

Le développement des logements sociaux est l’une des priorités du Gouvernement. C’est à juste titre que celui-ci a prévu une exonération totale des plus-values immobilières des particuliers au profit des organismes en charge de la gestion des logements sociaux pour les collectivités territoriales en vue de favoriser leur cession à l’un de ces organismes. Cette mesure fiscale a eu pour but d’inciter des particuliers à céder leurs biens immobiliers à ces organismes plutôt qu’à des intervenants privés, et cela afin de limiter la spéculation immobilière.

Cependant, ce dispositif comporte une lacune. C’est la raison pour laquelle, par le présent amendement, nous proposons que les actionnaires particuliers d’une société cédant leurs droits sociaux dans le cadre de l’article 34 bénéficient eux-aussi, comme les particuliers, de l’exonération totale des plus-values immobilières.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je voudrais rappeler tout d’abord qu’un amendement identique avait été déposé, mais non soutenu, par notre collègue Bernard Fournier lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2009.

Sur le fond, je m’interroge sur la nécessité d’élargir la niche fiscale existante. Le droit en vigueur, prorogé jusqu’au 31 décembre 2011 par la loi de finances rectificative pour 2009, prévoit une exonération totale d’impôt sur les plus-values au profit des particuliers qui procèdent à la cession d’immeubles à des bailleurs sociaux, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une vente à une collectivité territoriale qui rétrocède l’immeuble. Nous avions d’ailleurs largement débattu de ce point que nous avions finalement amendé.

L'amendement n° 41 rectifié vise à ajouter les cessions de valeurs mobilières ou de droits sociaux de sociétés non cotées dont l’actif est constitué d’immeubles ou de droits portant sur ces biens. Si cet amendement était adopté, il y aurait lieu de le rectifier pour faire référence aux organismes de logements sociaux visés spécifiquement au 7° « de l’article 150 U du code général des impôts ».

Cela étant dit, s'agissant d’une légère extension d’une petite niche fiscale, qui suscite donc de ma part un avis réservé, je m’en remets à l’avis du Gouvernement. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Il s’agit en effet de l’extension d’une niche fiscale.

Céder des parts d’une société n’est pas la même chose que céder un immeuble. L’exonération de la cession au profit d’un organisme de logement n’est pas justifiable dès lors que cet organisme ne peut pas disposer librement des immeubles pour remplir ses missions de service public, étant lui-même propriétaire des parts mais pas de l’immeuble. Il existe une personne morale intermédiaire, si je puis dire.

D’autres mesures visent à inciter les sociétés à céder leur patrimoine immobilier à des organismes de logement social. Je ne suis donc pas favorable à cet amendement, qui a par ailleurs été déjà examiné dans le cadre d’un précédent texte.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote sur l'amendement n° 41 rectifié.

M. Philippe Dominati. Je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 41 rectifié est retiré.

Articles additionnels avant l'article 1er A
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Articles additionnels après l'article 1er A

Article 1er A (nouveau)

Au 1° du 1 du III de l’article 220 terdecies du code général des impôts, le montant : « 150 000 € » est remplacé par le montant : « 100 000 € ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements.

L'amendement n° 1, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

L'amendement n° 54 rectifié, présenté par MM. Adnot et Thiollière, est ainsi libellé :

Compléter cet article par quatre alinéas ainsi rédigés :

I. - Le II de l'article 220 terdecies du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les jeux vidéo mis à la disposition du public en ligne, la période prise en compte pour l'éligibilité des dépenses de création s'étend jusqu'à 24 mois après la mise en ligne effective du produit. »

II. - Les dispositions du I du présent article ne sont applicables qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû.

III. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, pour présenter l'amendement n° 1.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit d’un amendement de suppression qui réaffirme la position déjà prise par le Sénat sur le même sujet dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2009, intervenu à la fin de l’année 2009, position elle-même confirmée par la commission mixte paritaire.

Je voudrais répondre aux motivations supplémentaires qui ont été avancées à l’Assemblée nationale en faveur de cette extension de niche fiscale, par les initiateurs de cette proposition. Selon eux, il s’agit de rétablir l’égalité de traitement entre les jeux vidéo sur support physique et les jeux vidéo sur support dématérialisé. Ces derniers, moins coûteux à développer, seraient injustement pénalisés par rapport aux premiers, car privés de l’avantage fiscal. L’enjeu d’une telle mesure serait également de renforcer la compétitivité des producteurs français, pénalisés par un euro fort – c’est un peu moins vrai depuis quelques mois – et par l’existence de certaines incitations fiscales chez nos concurrents, en particulier, paraît-il, au Canada.

Ces éléments, mes chers collègues, pas plus que les précédents, ne paraissent de nature à emporter la conviction.

Il est tout de même paradoxal de considérer que le moindre coût de production des jeux vidéo dématérialisés, qui constitue un avantage comparatif évident, serait un handicap parce qu’il priverait les sociétés les produisant d’un avantage fiscal. On marche un peu sur la tête ! Le raisonnement économique se trouve obscurci par cette mise au premier plan de l’avantage fiscal.

Ainsi, le rétablissement d’une égalité de traitement entre production dématérialisée et production physique de jeux vidéo pourrait passer tout aussi bien par la suppression pure et simple du crédit d’impôt que par son extension.

Mes chers collègues, si vous proposez la suppression du crédit d’impôt pour égaliser les conditions de concurrence, vous bénéficierez du soutien convaincu de la commission des finances.

Au surplus, dans un contexte de convocation d’une conférence des déficits publics, d’audit généralisé des dépenses fiscales, comment pourrions-nous accepter que le calibrage d’un avantage fiscal suive systématiquement la baisse des coûts de production constatée au sein d’une filière, alors même que cet avantage avait été conçu pour remédier partiellement au caractère élevé des coûts ?

On constate que l’avantage fiscal perturbe la formation des prix en créant une sorte d’économie artificielle. Il s’avère profondément contre-productif, en raison de l’état d’esprit qu’il crée chez certaines entreprises françaises vivant à l’abri de niches fiscales. Il vaudrait mieux, me semble-t-il, monsieur le ministre, les inciter à aller vers le grand large, sans les béquilles que constituent ces avantages fiscaux.

La commission réitère donc sa position et propose la suppression de l’article 1er A.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Je remercie M. le rapporteur général de cette explication très détaillée. À l’Assemblée nationale, je me suis opposé à l’adoption de l’article que vous souhaitez supprimer. J’émets donc évidemment un avis favorable sur votre amendement de suppression.

Il n’est pas prouvé que l’élargissement de cet avantage fiscal, par l’abaissement du seuil, soit plus adapté au marché du jeu vidéo. En l’absence d’évaluation préalable, il nous semble opportun d’en rester au seuil de 150 000 euros.

La niche fiscale doit être défendue exceptionnellement et dans un cadre particulier. Ce n’est pas le cas en l’espèce, même si l’on peut toujours trouver quelques avantages à l’extension d’une niche fiscale. Il me paraît donc préférable d’en rester au seuil de 150 000 euros.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote sur l'amendement n° 1.

M. Bruno Retailleau. La commission des finances est parfaitement dans son rôle lorsqu’elle tente de brider un certain nombre de dispositifs fiscaux.

À titre personnel – mais je crois pouvoir dire que la commission des affaires culturelles partage ma position –, je voudrais développer devant vous deux arguments.

D’abord, il convient de souligner que les jeux vidéo constituent la première des industries culturelles en France et que plusieurs des grands acteurs mondiaux sur ce marché, dont le premier, sont français.

Pourtant, depuis trois ou quatre ans, d’importantes pertes d’emplois frappent ce secteur : 1 000 l’an dernier et 5 000 depuis sept ou huit ans, ce qui est énorme dans une industrie culturelle à très haute valeur ajoutée. Dans le même temps, deux pays notamment, à savoir le Canada et la Corée du Sud, ont adopté des dispositifs fiscaux très avantageux les rendant extrêmement compétitifs. Des milliers de jeunes concepteurs ou infographistes sont partis dans ces deux pays.

La France, pays de l’exception culturelle, doit prendre garde à cette situation, car il s’agit du premier secteur économique de la culture, dont dépendent à bien des égards le cinéma et d’autres secteurs. Il ne s’agit pas là de créer une nouvelle niche fiscale ni d’adapter un dispositif fiscal ! Il s’agit tout simplement de prendre en compte la révolution numérique.

Voilà quelques années, on ne pouvait acquérir les jeux vidéo que sur support physique ; aujourd'hui, vous le savez sûrement si vous avez des enfants ou des adolescents, il n’est plus question de CD-Rom ou de DVD, les jeux vidéo sont dématérialisés et sont désormais disponibles en ligne, répondant en cela à un process de production très différent du process traditionnel ex ante la révolution numérique.

L’amendement adopté par l'Assemblée nationale visait simplement à tenir compte de cette évolution technologique radicale, qui diminue les seuils de coût de production. En effet, avec la dématérialisation, certaines opérations industrielles, tel le pressage, n’ont plus cours.

C'est la raison pour laquelle il avait été décidé d’abaisser de 150 000 euros à 100 000 euros le seuil des dépenses éligibles à ce crédit d’impôt.

J’estime que nous aurions pu maintenir le dispositif voté par l'Assemblée nationale pour ces deux raisons, l’une très culturelle et l’autre tenant à la rupture radicale du processus de production.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 1er A est supprimé, et l’amendement n° 54 rectifié n’a plus d’objet.

Article 1er A (Nouveau)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Article additionnel avant l'article 1er B

Articles additionnels après l'article 1er A

M. le président. L'amendement n° 103, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 81 quater du code général des impôts est abrogé.

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Entre autres mesures coûteuses pour les finances publiques et dont l’efficacité est douteuse, la défiscalisation des heures supplémentaires se situe en bonne position.

Présentée comme l’illustration concrète du fameux slogan « Travailler plus pour gagner plus » – mais les salariés qui pensaient gagner plus ont vu le résultat, en se retrouvant au chômage ! –, cette mesure est très coûteuse pour les finances publiques, puisqu’elle a des conséquences à la fois sur le rendement de l’impôt sur le revenu et sur le financement de la sécurité sociale, et ce sans que celle-ci perçoive la moindre compensation.

Surtout, cette mesure est parfaitement débordée par la réalité économique !

Conçue en 2007 comme moteur de la croissance dans la perspective d’une relance de l’activité économique, elle a été totalement balayée par les effets de la crise financière de 2008, dont l’illustration concrète a été la vague massive de suppressions d’emplois que notre pays a connue en 2009 notamment.

Je ne développerai pas plus longuement mon argumentation, car vous l’avez déjà entendue, mais cet amendement s’attaque à l’un des piliers de la logique politique de l’actuel Président de la République et de ses soutiens.

Toutefois, la lecture des éléments fournis par le ministère du travail lui-même nous donne quelques bonnes raisons de ne pas persévérer dans cette voie coûteuse pour les finances publiques.

En effet, les plus récentes statistiques fournies par la DARES, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, ce service dont les informations font toujours un peu figure de « poil à gratter », montrent que le niveau des heures supplémentaires déclarées a profondément diminué dans le courant de l’année 2009.

Songez que, au troisième trimestre de l’année 2009, dernière période évaluée et connue, le niveau des heures supplémentaires déclarées s’avère inférieur à celui qui existait avant même le vote, en 2007, de la loi TEPA, et plus bas même que le niveau observé durant les années 2002 à 2007 ! La défiscalisation a pourtant incité les entreprises à déclarer les heures supplémentaires qu’elles avaient, auparavant, quelque peine à reconnaître et, surtout, à payer à leurs salariés !

Les seuls secteurs où se maintient la pratique de ces heures supplémentaires demeurent ceux qui y recourent de manière littéralement endémique, comme l’hôtellerie, la restauration et le bâtiment. Et ce sont évidemment les plus petites entreprises qui en sont les plus grandes consommatrices ! En fait, la suppression de ce dispositif leur permettrait peut-être de jouer réellement leur rôle de foyer en matière de création d’emplois.

Face aux réalités qui condamnent ce dispositif et en démontrent la nocivité, nous ne pouvons que vous appeler, mes chers collègues, à voter la suppression de celui-ci. Tel est l’objet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission n’a pas été convaincue par votre argumentation, mon cher collègue.

Dans la conjoncture actuelle, avec un début de reprise économique timide et fragile, faut-il vraiment prendre une mesure qui aura pour conséquence d’amputer le pouvoir d’achat de salariés modestes ?

M. Thierry Foucaud. On peut avoir un débat sur le pouvoir d’achat, monsieur le rapporteur général !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je crains que tel ne soit l’effet de votre raisonnement, mon cher collègue !

Que l’on doive, demain ou après-demain, remettre à plat tous ces dispositifs, pourquoi pas ? Sans doute même ! Mais avec de telles incertitudes macroéconomiques et un taux de croissance aléatoire, ce serait sans doute prendre, cette année, une initiative risquée. C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. S’il manque des mesures dans ce collectif budgétaire, ce sont bel et bien des mesures visant à pallier l’augmentation du chômage et à soutenir l’emploi, fût-il à temps partiel.

On a beau batailler sur les chiffres, il est indéniable que 400 000 emplois ont été supprimés en 2009. Certes, on peut toujours discuter des 600 000 suppressions d’emplois à venir ou des 1 000 000 chômeurs qui arrivent en fin de droits, mais la réalité est là !

Or, pour l’instant, l’État s’en lave les mains – cela se vérifie encore dans ce projet de loi de finances rectificative ! –, reportant la charge de la discussion sur les partenaires sociaux, qui n’arriveront pas, on le sait très bien, à se mettre d’accord ! On ne fait donc que retarder le moment où il faudra tout de même prendre en compte cette donnée !

Or la défiscalisation – et la « désocialisation », il convient de le rappeler – des heures supplémentaires participe à la hausse du chômage dans la mesure où elle a pour effet immédiat de supprimer des CDD et de limiter le recours à l’intérim.

Dans une telle période, il est donc incompréhensible de maintenir ce dispositif. Eu égard aux promesses que vous avez faites durant la campagne électorale de 2007, on peut, à la limite, comprendre que vous ayez pensé que celui-ci était susceptible d’aider certains salariés ! Mais, comme je l’ai souligné au cours de la discussion générale, il est aujourd'hui inacceptable, pour ne pas dire criminel, de maintenir une telle mesure, qui coûte par ailleurs, je le répète, extrêmement cher.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 103.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 105, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le deuxième alinéa de l'article 193 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, la fraction des revenus correspondant aux éléments de rémunération, indemnités et avantages visés aux articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du code du commerce, dont le montant annuel excède le montant annuel du salaire minimal interprofessionnel de croissance, est taxée au taux de 95 % ».

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Tout à l'heure, je n’ai pas rebondi sur ce qu’a dit M. le rapporteur général à propos du pouvoir d’achat, mais cet amendement ayant trait aux parachutes dorés me donne l’occasion de revenir sur cette question.

Alors que le SMIC a augmenté de 0,5 % le 1er janvier dernier, ce qui correspond à 5 euros nets par mois pour un emploi à temps complet – nous parlons là du pouvoir d’achat, monsieur le rapporteur général ! –, les Françaises et les Français ont découvert qu’une seule et même personne pouvait diriger en même temps deux entreprises, l’une publique et l’autre privée, et cumuler à ce titre une rémunération annuelle de 2 millions d’euros.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la question salariale est revenue sur le tapis avec l’affaire Proglio et la révélation de la double rémunération assurée, d’une part, par EDF et, d’autre part, par Veolia Environnement, ex-Vivendi Environnement.

Henri Proglio était jusqu’à présent surtout connu pour avoir « grimpé » les échelons dans le groupe historiquement dirigé par Guy Dejouany et pour avoir remis un rapport sur l’insertion des jeunes sortis de l’enseignement supérieur, où était notamment pointée la discrimination dont souffrent ceux qui sont issus des populations modestes ou marginalisées.

Cette affaire est une preuve supplémentaire que quelque chose ne tourne pas rond dans notre pays ! En effet, à supposer qu’il convienne de rémunérer justement les dirigeants des plus grandes entreprises, devons-nous considérer que leur attachement au développement de ces dernières se mesure au niveau des conditions salariales exorbitantes du droit commun qui leur sont faites ?

Pour que des « dirigeants de qualité » soient installés aux commandes des entreprises, faut-il multiplier et cumuler avantages en nature, retraites chapeaux, golden hello et golden parachutes, mise à disposition d’actions gratuites, plans d’achat d’options hautement rémunérateurs ? Et j’en oublie certainement !

L’émotion a été telle qu’Henri Proglio a dû renoncer à percevoir une rémunération de la part de Veolia, une rémunération dont il s’est d’autant plus aisément passé qu’il a atteint l’âge lui permettant de jouir du versement de la retraite chapeau que ce même groupe lui avait préparé !

Et c’est bien là que se situe le problème. Voilà en effet quelques années que nous retrouvons systématiquement, au sein des conseils d’administration de nos plus grandes entreprises, les mêmes « salariés », les mêmes personnes qui se rapprochent plus, de notre point de vue, des « chasseurs de primes » de l’Ouest américain, sans cesse à la recherche de la rémunération et des conditions salariales les plus extraordinaires !

Nous serions curieux de savoir si, dans le passé, dans les années cinquante ou soixante-dix, les hauts fonctionnaires qui dirigeaient les grandes entreprises publiques demandaient, en échange du développement de notre réseau électrique, de la couverture de notre pays par le réseau téléphonique ou de la réalisation de notre réseau ferroviaire à grande vitesse, à être aussi grassement rémunérés que les dirigeants d’aujourd’hui ! Nous n’en avons pas l’impression !

Aujourd’hui, il est donc logique que nous demandions une taxation plus importante des éléments de rémunération les plus exorbitants du droit commun. Tel est le sens de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. J’ai entendu avec intérêt les éléments de réflexion de notre collègue Thierry Foucaud sur M. Proglio, mais tel n’est pas le sujet de l’amendement ici proposé.

Cet amendement, qui a déjà été défendu dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, a recueilli un avis défavorable de la commission et a été rejeté par le Sénat. Restons-en donc là !

On écrira le roman de la vie de M. Proglio un peu plus tard ! D’ailleurs, l’histoire n’est pas encore terminée… Faites confiance aux auteurs du futur pour dégager les beaux et les moins beaux aspects de cette attachante personnalité ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 105.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 77 rectifié, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Après le mot : « supérieure », la fin du 1 de l'article 200-0 A du code général des impôts est ainsi rédigée : « à un montant de 15 000 euros ».

II. - Le I.  s'applique à partir du 1er mars 2010.

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Cet amendement a déjà été présenté par notre groupe lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010.

M. le rapporteur général, compte tenu de ce qu’il vient de dire à mon collègue Thierry Foucaud, nous objectera peut-être qu’il ne convient pas non plus de revenir sur cette question ; mais il y a eu depuis un élément nouveau : la conférence de presse du ministre du budget, Éric Woerth, au cours de laquelle ce dernier a annoncé qu’il fallait trouver 50 milliards d’euros !

Face à cette situation financière calamiteuse, nous venons au secours du Gouvernement en lui proposant, avec cet amendement, un complément financier non négligeable.

Une disposition visant à abaisser le plafond des niches fiscales à 20 000 euros et à 8 % du revenu imposable a effectivement été adoptée dans le projet de loi de finances. Mais nous estimons – et ce n’est pas nouveau – que ce plafonnement n’est pas satisfaisant et ne répond pas à l’objectif de justice fiscale qui devrait lui être assigné. En effet, le niveau retenu est bien trop élevé pour avoir un véritable effet correctif en la matière.

Monsieur le ministre, lorsque vous avez mis en place ce dispositif, vous avez alors parlé, je vous le rappelle, d’un gain budgétaire de 200 millions d’euros ! Or les derniers chiffres qui nous ont été communiqués font état d’un gain de 22 millions d’euros, soit 10 % seulement de ce qui avait été annoncé au départ.

C’était l’un des éléments explicatifs de la disposition proposée par la commission des finances du Sénat et adoptée ici même. Mais tout cela n’allant pas bien loin, nous souhaitons aller au-delà.

Ainsi tenons-nous à souligner que l’intérêt d’une telle mesure réside dans sa capacité à limiter fortement et plus justement les effets d’aubaine liés à la multiplicité des niches fiscales existantes. Chaque contribuable pourrait arbitrer entre différents dispositifs dans une fourchette plus restreinte.

Cette solution permettrait de parvenir rapidement à une réduction sensible du coût des dispositifs fiscaux dérogatoires qui, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, est passé de 50 milliards d’euros en 2002 à 75 milliards d’euros en 2010 ; la Cour des comptes l’a clairement indiqué. Sur ces 75 milliards, monsieur le rapporteur général, 50 milliards proviennent des décisions politiques qui ont été prises par vous-même et par votre majorité depuis quelques années !

L’objet de cet amendement est d’abaisser le plafond à 15 000 euros et de contribuer ainsi à abonder le budget de l’État et à permettre à M. le ministre d’accomplir une partie du chemin qui lui reste à parcourir pour atteindre les 50 milliards d’euros qu’il reste à trouver !

M. le président. L'amendement n° 106, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le montant : « 20 000 € », la fin du 1. de l'article 200-0 A du code général des impôts est supprimée.

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Je ne vais pas présenter longuement cet amendement ; nous nous sommes déjà exprimés sur le sujet à maintes reprises. Je rejoins les propos de mon collègue François Marc, même si notre amendement va un peu plus loin : nous voulons en effet réduire le plafond de l’avantage procuré par les niches fiscales dont vous savez ce que nous pensons !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ces deux amendements sont intéressants. Au demeurant, vous vous souviendrez sans doute que, lors de la discussion de la dernière loi de finances, c’est sur l’initiative de la commission qu’est intervenu l’abaissement du même plafond de 25 000 euros à 20 000 euros et de 10 % à 8 % des revenus.

Cette mesure très récente va s’appliquer à l’année en cours, et nous ne pouvons pas, sous prétexte qu’il faut approuver un grand emprunt au mois de janvier, modifier ce qui a été décidé au cours des débats sur la loi de finances pour 2010.

Cela dit, nous y penserons dans la boîte à outils pour l’année prochaine. Mais, dans l’immédiat, il serait préférable que ces deux amendements soient retirés.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. L’encre du projet de loi de finances n’est pas encore tout à fait sèche que nous avons déjà fait beaucoup dans ce domaine-là. Mais peut-être faudra-t-il agir différemment ? S’agissant des niches fiscales et sociales, je ne ferme aucune porte.

Cela dit, quand nous agirons, cela va tanguer quelque peu, et vous serez même probablement les premiers à pousser des hauts cris,…

Mme Nicole Bricq. Ben voyons !

M. Éric Woerth, ministre. ... car la niche fiscale à laquelle on touche n’est jamais la bonne. C’est toujours comme ça ! Lorsque nous aborderons ce débat, nous testerons votre détermination…

En attendant, monsieur Marc, je réfute au moins deux éléments de votre propos.

S’agissant du plafonnement, le gain budgétaire est bien de 200 millions d’euros. Par conséquent, comme je l’avais dit, nous avons bien atteint notre objectif. Mais vous confondez plafonnement global et plafonnement niche par niche. Or seul ce dernier conduit à récupérer beaucoup d’argent, le plafonnement global n’étant qu’une sorte de voiture-balai qui recueille relativement peu de chose à partir du moment où chaque niche a été plafonnée de façon efficace !

C’est vrai pour l’outre-mer ; c’est vrai aussi pour le dispositif Malraux. D’ailleurs, si l’on ajoute à cela les 22 millions d’euros dus au plafonnement global, le gain du plafonnement des niches réalisé par l’État est bien de 200 millions d’euros.

Il vous suffit, avez-vous ajouté ensuite, puisque vous cherchez 50 milliards d’euros, de prendre votre lanterne et de regarder dans ce qui a déjà été fait. Mais je n’ai pas très bien compris votre raisonnement.

M. François Marc. Ce sont les hauts fonctionnaires de l’État qui le disent ; ce n’est pas moi !

M. Éric Woerth, ministre. En vérité, votre calcul et votre présentation des choses sont totalement erronés. Alors commencez par augmenter vous-même la capacité lumineuse de votre lanterne, et on verra ensuite !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur l'amendement n° 77 rectifié.

Mme Nicole Bricq. Si nous déposons à nouveau cet amendement relatif au plafond global des niches fiscales, c’est parce qu’à la fin du mois de janvier le Gouvernement a présenté à la Commission européenne un programme de stabilité fondé sur une hypothèse de croissance de 2,5 % à partir de 2011. Ce n’est pas gagné, car la croissance potentielle est estimée à 1,7 % ! Alors vous pouvez toujours définir toutes les trajectoires que vous voulez…

C’est un exercice auquel vous vous étiez déjà livrés voilà deux ans, mais la loi de programmation des finances publiques qui devait nous conduire jusqu’en 2012 est devenue caduque aussitôt votée !

Dans ce programme de stabilité, vous avez également annoncé que vous vous attaquerez aux niches fiscales et, avant de préciser vos intentions, vous avez commandé une étude à l’Inspection générale des finances, qui doit établir le rapport coût-efficacité des principales niches.

Mais la méthode que vous avez choisie consiste à procéder niche par niche, ce qui vous amène sur trois ans – c’est ce que vous avez annoncé – à réduire le coût de ces niches de 6 milliards d’euros. Même si l’on déduit des 75 milliards d’euros évoqués par mon collègue François Marc ce qui est afférent au plan de relance, on arrive tout de même à 72,2 milliards d’euros, et les chiffres ne sont pas contestables.

Si vous procédez de cette manière et au rythme annoncé, dix ans au moins seront nécessaires pour raboter les niches une par une ! Voilà pourquoi nous avions attiré l’attention du Gouvernement dès l’année dernière et nous maintenons aujourd’hui cette orientation d’un plafonnement global.

Mais il est sûr que nous n’avons pas la même appréciation de ce que l’on appelle une niche fiscale proprement dite. Cette explication de vote sur notre amendement me donne l’occasion de le répéter : ce que nous jugeons, nous, c’est l’efficacité à la fois économique et sociale de la dépense fiscale.

Je ne pense donc pas que nous parvenions à un accord sur cette définition compte tenu du rythme que vous nous proposez et des critères que vous retenez. Nous le constaterons encore tout à l’heure lorsque nous défendrons notre amendement relatif à la demi-part des parents ayant élevé des enfants, part que vous avez « sucrée » voilà deux ans, si vous me permettez cette expression !

En conséquence, nous maintenons aujourd’hui cet amendement et, même si l’encre de la loi de finances est à peine sèche, il a d’autant plus de légitimité que vous avez présenté un programme de stabilité à Bruxelles !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 77 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 106.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels après l'article 1er A
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Article 1er B (Nouveau)

Article additionnel avant l'article 1er B

M. le président. L'amendement n° 107, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er B, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les deuxième et avant-dernier alinéas du a du I de l'article 219 du code général des impôts sont supprimés.

La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Cet amendement vise à fixer à 19 %, au lieu de 15 % actuellement, le taux d’imposition du montant net des plus-values à long terme.

Cela fait un peu plus de vingt ans que la fiscalité des entreprises est l’objet de toutes les attentions et que, sous les prétextes les plus divers, leur contribution aux charges publiques est allégée. On a ainsi procédé à la mise en place de multiples dispositifs dérogatoires qui n’ont aucunement permis l’investissement, le maintien des activités sur le territoire national ou encore le développement de l’emploi qualifié, objectifs pourtant affichés pour cette politique d’allégement fiscal.

On peut d’ailleurs se demander dès maintenant si la suppression de la taxe professionnelle aura la moindre efficacité sur la situation tant des entreprises que de l’emploi ! Dans les documents préparatoires de ce collectif, j’ai même cru voir estimée la disparition de plusieurs dizaines de milliers d’emplois cette année, cela malgré la mesure que je viens de rappeler !

Comme chacun sait, la situation des comptes publics est pour le moins préoccupante et les déficits cumulés commencent à peser très lourd. Il est donc temps de réduire ces déficits en demandant quelques efforts à ceux qui, soulignons-le, risquent fort d’être au premier rang des bénéficiaires réels du grand emprunt...

Il a été procédé, sur les plus-values perçues par les particuliers, à une révision à la hausse des taux d’imposition séparée, et le niveau global des prélèvements affectant ces revenus a connu un relèvement d’autant.

Mais il n’en est pas de même pour les plus-values des entreprises qui continuent de bénéficier d’un régime nettement plus favorable. Il est donc temps d’aligner les taux d’imposition sur les plus-values, qu’elles soient réalisées par des entreprises ou par des particuliers.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Là encore, ce débat a eu lieu très largement à l’occasion de l’examen de la loi de finances. Il ne serait pas raisonnable de revenir sur les dispositions qui ont été prises voilà quelques années et qui ne représentaient que l’alignement du régime fiscal français sur les dispositions existant dans la plupart des pays voisins.

Si nous n’avions pas procédé ainsi, des effets de délocalisation se seraient manifestés ; j’en profite d’ailleurs pour dire que les estimations souvent fantasmagoriques du régime des plus-values à long terme ne tiennent absolument pas compte du fait qu’en l’absence d’un tel régime une grande partie des transactions n’aurait tout simplement pas été réalisée.

Par conséquent, mes chers collègues, il convient de rejeter l’amendement du groupe CRC-SPG, et il est inutile de développer plus avant ce sujet que nous avons traité en exposant tous les arguments nécessaires lors des débats sur la loi de finances.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 107.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 1er B
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Article additionnel après l'article 1er B

Article 1er B (nouveau)

I. – Après le 8° du I de l’article 885-0 V bis A du code général des impôts, il est inséré un 9° ainsi rédigé :

« 9° Des associations reconnues d’utilité publique de financement et d’accompagnement de la création et de la reprise d’entreprises dont la liste est fixée par décret. »

II. – Le I s’applique aux dons réalisés à compter du 20 juin 2009.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 2 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances.

L'amendement n° 94 rectifié est présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, pour présenter l’amendement n° 2.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement de suppression a pour objet de maintenir constante notre position, celle de la commission des finances, celle du Sénat et celle de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2010.

En effet, si l’on élargit la niche fiscale au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune à une catégorie d’associations reconnues d’utilité publique, les autres vont se manifester dès le lendemain. C’est logique, et cela n’aura pas de fin ! Par conséquent, il est préférable d’en rester à l’état du droit existant et de rejeter l’article 1er B.

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour présenter l’amendement n° 94 rectifié.

M. Bernard Vera. Pour une fois, nous serons d’accord avec le rapporteur général et avec la commission des finances quant au résultat ! Mais là s’arrête évidemment ce qui fait accord entre nous.

Nous sommes en effet partisans d’une remise en question de l’ensemble de la dépense fiscale, et cela concerne autant l’impôt sur le revenu que l’impôt de solidarité sur la fortune.

Dans le cas précis, nous sommes d’ailleurs confrontés à l’une des mesures emblématiques de la loi TEPA : celle qui consistait à alléger l’ISF du montant des versements en numéraire effectués au profit de PME ou de fondations, notamment celles qui sont reconnues d’utilité publique.

Le dispositif ISF-PME, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, est coûteux – plus de 600 millions d’euros – et pose de surcroît, depuis le début, des difficultés d’application.

Il a ainsi fait l’objet d’une proposition de loi déposée par le président de la commission des finances, M. Arthuis, relative au décalage observé entre le moment où les contribuables effectuent leurs versements et le moment où les entreprises en bénéficient effectivement. Dans un article récemment publié dans un grand quotidien d’information du soir, on a pu apprendre que la situation ne s’améliorait guère, puisqu’une bonne partie des versements effectués était, en fait, conservée par les intermédiaires, c’est-à-dire notamment par les fonds d’investissement qui organisent le rapprochement entre les contribuables de l’ISF intéressés et les PME « cibles ».

Malgré son coût de plus de 600 millions d’euros, le dispositif n’a permis qu’une mobilisation particulièrement faible, autour du milliard d’euros. Cet article tendant à élargir encore le champ des investissements retenus pour la déduction, nous proposons sa suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 2 présenté par M. le rapporteur général. Le dispositif est déjà trop étendu.

M. Bernard Vera. Absolument !

M. Éric Woerth, ministre. Il faut cesser d’étendre ce dispositif, qui bénéficie déjà à certaines structures de l’enseignement supérieur et de la recherche.

J’ajoute que tous les véhicules imaginables de financement des entreprises sont en général éligibles aux mécanismes d’exonération de l’ISF.

J’ai d’ailleurs clairement exprimé ma position à l’Assemblée nationale, mais les députés ont choisi d’insérer cet article.

Le rapporteur général de la commission des finances, par cet amendement, revient à une interprétation exacte de la situation.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour vous interroger sur l’encadrement des rémunérations des gérants de sociétés holding qui collectent des fonds dans le cadre des exonérations d’ISF pour assurer le financement des PME.

Mme Nicole Bricq. Leurs rémunérations sont scandaleuses !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. L’Inspection générale des finances vient de présenter au Gouvernement un rapport sur cette question, et je souhaiterais que vous indiquiez au Sénat le calendrier prévu pour la parution du décret.

Le rapport de l’Inspection générale des finances préconise d’abord et avant tout la transparence. C’est une orientation que nous ne pouvons qu’appuyer avec détermination. Je me permets donc d’exprimer le souhait que la publication de ce décret ne tarde pas.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. L’Inspection générale des finances a précisé que les fonds et, surtout, les réseaux de commercialisation ne sont pas complètement liés à l’existence d’une incitation fiscale. Monsieur le président de la commission, je n’ai pas encore pris connaissance de ce rapport, qui est très récent.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Nous attendons le décret !

M. Éric Woerth, ministre. Nous examinerons d’abord le rapport avant de prendre le décret. Au demeurant, ces questions relèvent davantage des compétences de Mme Lagarde.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 94 rectifié.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, l'article 1er B est supprimé.

Article 1er B (Nouveau)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Articles additionnels avant l'article 1er (début)

Article additionnel après l'article 1er B

M. le président. L'amendement n° 60 rectifié, présenté par MM. Collin et Charasse, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Après l'article 1er B, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le III de l'article 235 ter ZD du code général des impôts est ainsi rédigé :

« III. - Le taux de la taxe est fixé à 0,05 % à compter du 1er janvier 2011.

« Ce taux est majoré à 0,1 % lorsque les transactions visées au I ont lieu avec des États classés par l'organisation de coopération et de développement économiques dans la liste des pays s'étant engagés à mettre en place les normes fiscales de transparence et d'échange sans les avoir mises en place, liste annexée au rapport de l'organisation de coopération et de développement économiques sur la progression de l'instauration des standards fiscaux internationaux.

« Ce taux est majoré à 0,5 % lorsque les transactions visées au I ont lieu avec des États classés par l'organisation de coopération et de développement économiques dans la liste des pays ne s'étant pas engagés à mettre en place les normes fiscales de transparence et d'échange, liste annexée au rapport de l'organisation de coopération et de développement économiques sur la progression de l'instauration des standards fiscaux internationaux.

« Le taux applicable est modifié en loi de finances à chaque publication des listes par l'organisation de coopération et de développement économiques. »

II. - Le IV du même article est supprimé.

III. - Selon des modalités définies par la loi de finances, le produit de la taxe visée au I est affecté au Fonds de réserve des retraites.

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Cet amendement vise à introduire une nouvelle taxation des transactions sur devises et à en affecter le produit au Fonds de réserve pour les retraites.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit d’une idée intéressante, évoquée depuis un certain nombre d’années. Il serait sans doute utile que M. le ministre puisse, à l’occasion de l’examen de cet amendement, nous dire comment ce sujet évolue sur le plan européen, car la taxation des seuls sujets fiscaux français aurait pour effet de créer, au regard de la compétition internationale, un véritable handicap, dont nos entreprises seraient les victimes.

Si cet amendement dessine une orientation intéressante, il pose problème en termes de faisabilité. Qu’en est-il de la position des autres États membres de l’Union européenne ? Des avancées ont-elles été enregistrées ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. D’après mes informations, la situation n’a pas beaucoup évolué, bien que les transactions financières fassent l’objet de nombreuses réflexions. Je pense notamment à la taxe Tobin. Mme Lagarde vous apportera, mesdames, messieurs les sénateurs, de plus amples précisions sur ce sujet d’ordre international.

Le problème, c’est de faire appliquer une telle taxe par tous les États.

Mme Nicole Bricq. C’est toujours pareil ! Voyez les paradis fiscaux !

M. Éric Woerth, ministre. Vous ne pouvez pas dire cela ! Dans plusieurs domaines, la France a montré le chemin, sans attendre la décision des autres États. Je pense notamment aux bonus des traders, dont vous débattrez demain après-midi, et à la taxe carbone, même si celle-ci a été annulée par le Conseil constitutionnel. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) On ne peut pas nous reprocher à la fois de prendre seuls des mesures et d’attendre que nos partenaires nous accompagnent !

Le Gouvernement vous demande donc, monsieur Charasse, de bien vouloir retirer cet amendement.

M. le président. Monsieur Charasse, l’amendement n° 60 rectifié est-il maintenu ?

M. Michel Charasse. M. Collin, président de mon groupe, avait souhaité entendre l’avis de la commission et du Gouvernement sur cette disposition.

M. le ministre vient de nous faire le point de façon honnête et objective. Il paraît effectivement difficile pour la France de s’engager seule dans cette voie, comme l’a souligné M. le rapporteur général. Dès lors que les choses n’avancent pas beaucoup au niveau européen, pourtant très tenté par cette disposition, dès lors que nous ne pouvons agir seuls compte tenu de l’ouverture générale des frontières et des marchés, je pense que M. Collin ne pourra que prendre acte de la réponse du Gouvernement.

Dans ces conditions, j’aurais mauvaise grâce à insister, et je retire cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 60 rectifié est retiré.

Article additionnel après l'article 1er B
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Articles additionnels avant l'article 1er (interruption de la discussion)

Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 82, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - À compter du 1er février 2010, le 1. de l'article 195 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Après le mot : « distincte », la fin du a est supprimée ;

2° Après le mot : « guerre », la fin du b est supprimée ;

3° Après les mots : « seize ans », la fin de la seconde phrase du e est supprimée.

II. - Les II, III et V de l'article 92 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 sont abrogés.

III. - La perte de recettes résultant pour l'État des I et II ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Cet amendement, auquel nous sommes attachés, tend à revenir sur une disposition adoptée dans la loi de finances pour 2009, dont la rédaction, modifiée en commission mixte paritaire, avait été introduite à l’origine par le Sénat. Celle-ci vise à supprimer progressivement la demi-part fiscale attribuée aux personnes vivant seules ou ayant élevé seules leur ou leurs enfants.

Au moins trois raisons nous ont incités à déposer un tel amendement dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative.

Premièrement, monsieur le ministre, vous allez demander aux Français des efforts assez redoutables pour ajuster nos finances publiques. Nous en discuterons après les élections régionales, puisque la Conférence sur les déficits publics est convoquée, si je me souviens bien, pour le mois d’avril. Si nous ne sommes pas contre les efforts, nous entendons qu’ils soient très justement répartis.

Vous refusez de revenir, même légèrement, sur les mesures fiscales injustes que vous avez prises, en particulier depuis 2007, en vous attaquant notamment à l’attribution de cette demi-part fiscale. Nous considérons qu’un effort est demandé à tous ceux, ou plutôt à toutes celles, qui en étaient bénéficiaires, même si la mise en œuvre de cette disposition, laquelle prend d’ores et déjà effet, est lissée sur plusieurs années.

Deuxièmement, sans attendre le rapport de l’Inspection générale des finances, vous considérez à tort l’attribution de cette demi-part comme une niche fiscale. C’est en tout cas l’explication que vous aviez donnée pour approuver la proposition faite par la majorité sénatoriale. À nos yeux, cette mesure possède une efficacité sociale et ne relève donc pas des 468 niches fiscales recensées à ce jour, qui représentent, je l’ai dit, plus de 70 milliards d’euros.

Troisièmement, vous vous étiez engagé dans la loi de programmation des finances publiques à ce que toute dépense fiscale soit compensée par une recette. Or vous avez procédé à une diminution de la TVA dans la restauration qui aboutit à priver nos finances de 2,5 milliards d’euros. Parallèlement, vous avez estimé le coût de la demi-part fiscale des personnes ayant élevé seules un enfant à un milliard d’euros, sans qu’il soit possible de vérifier un tel chiffre.

M. Éric Woerth, ministre. Il y a toujours une demi-part supplémentaire pour les personnes ayant élevé seules un enfant !

Mme Nicole Bricq. Si vous considérez que l’économie réalisée grâce à la suppression de cette demi-part constitue un gage au regard de la baisse de la TVA dans la restauration, baisse qui n’a prouvé ni son efficacité économique ni sa justification fiscale, nous ne sommes pas d’accord !

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons souhaité reposer le problème dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous avons déjà traité ce sujet dans deux lois de finances successives, celles de 2009 et de 2010. Nous sommes arrivés, en commission mixte paritaire, à une solution de compromis conforme à l’équité.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Madame Bricq, vous le savez fort bien, les personnes ayant élevé seules pendant cinq années un ou plusieurs enfants continuent à bénéficier d’une demi-part supplémentaire. La disposition en question vise non pas à la supprimer, mais à la maintenir dans certaines conditions.

Je ne développerai pas davantage ce sujet, ce dernier remplissant déjà de nombreuses colonnes du Journal officiel. Mes chers collègues, restons sur les positions que nous avons précédemment adoptées en rejetant cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Ce sujet a été évoqué de très nombreuses fois. Aujourd’hui, madame Bricq, vous recourez complaisamment aux arguments les plus démagogiques.

M. Éric Woerth, ministre. Tout ce qui relève de la compétitivité des entreprises constitue à vos yeux l’horreur absolue. Mais vous oubliez une chose, probablement accessoire dans votre esprit : les salariés français travaillent dans des entreprises !

En revanche, vous ne reculez devant aucun propos démagogique !

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas de la démagogie !

M. Éric Woerth, ministre. M. le rapporteur général a eu tout à fait raison de le rappeler, les personnes ayant élevé seules un enfant bénéficient toujours d’une demi-part fiscale supplémentaire. Simplement, il faut avoir effectivement élevé seul un enfant pendant cinq ans – une condition de durée a été introduite –, pour se voir attribuer cette demi-part. Il s’agit d’une niche qui avait évolué et dont la rectification s’avérait nécessaire pour répondre à un problème d’équité.

On peut choisir d’affronter les difficultés, comme on peut choisir d’abonder dans le sens de ceux qui vous envoient des courriers en s’indignant des décisions prises par un « affreux » gouvernement. On peut caricaturer absolument tout ! Les niches fiscales ont été créées pour répondre à des situations effectives : les personnes ayant élevé seules un enfant pendant cinq ans continuent à bénéficier d’une demi-part fiscale supplémentaire. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle André, pour explication de vote.

Mme Michèle André. Je suis un peu étonnée du ton que vous employez. Vous avez parlé de démagogie : nous savons tous que, dans la plupart des cas, l’attribution de cette demi-part fiscale a bénéficié à des femmes seules ayant des moyens limités pour faire face à l’éducation de leurs enfants. Elle représentait une sorte de compensation.

Je ne dispose pas de chiffres précis, mais les emportements ne me semblent pas de mise sur de tels sujets. Les courriers et les informations que nous recevons à ce sujet sont sérieux et témoignent des problèmes rencontrés par certaines familles. Je vous saurais donc gré de faire preuve de retenue sur ce sujet.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 82.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 80, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 200 quaterdecies du code général des impôts est abrogé.

La parole est à M. Claude Haut.

M. Claude Haut. Cet amendement a le mérite de ne pas être démagogique. (Sourires.) En effet, ici encore, notre but est de faire faire des économies au budget de l’État. On ne saurait donc nous accuser de démagogie !

Cet amendement vise à supprimer le dispositif de crédit d’impôt sur le revenu au titre des intérêts d’emprunt d’acquisition de l’habitation principale contenu dans la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite « loi TEPA ». Nous savons que ce dispositif est inefficace, onéreux puisqu’il coûte 1,5 milliard d’euros, et injuste, car il profite davantage aux plus aisés de nos concitoyens.

En outre, il favorise la hausse des prix de l’immobilier dans une période où les prix dans ce secteur atteignent des sommets. Or, tout le monde en convient, il faut réduire les niches fiscales pour faire progresser à nouveau la justice sociale.

Par conséquent, le présent amendement a pour objectif de supprimer l’article du code général des impôts qui détaille ce dispositif fiscal. Il permettrait de dégager des ressources et des marges de manœuvre budgétaires, évitant à l’État de s’endetter à hauteur de plusieurs milliards d’euros supplémentaires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. On peut naturellement discuter, et il le faudra sans doute un jour ou l’autre, des régimes qui facilitent l’acquisition d’une résidence principale. Notre législation est complexe, plusieurs générations de mesures successives coexistent encore.

Cela étant dit, vous connaissez la situation dans nos villes, notamment en province : pour maintenir les opérations immobilières et faire en sorte que les permis de construire soient exécutés, dans une conjoncture encore incertaine, il est sans doute préférable de ne pas perturber les acquéreurs, qui ne disposent pas toujours d’une grande visibilité, en changeant les règles du jeu, notamment en revenant sur la déductibilité des intérêts d’emprunt instituée par la loi TEPA de 2007.

Je ne suis pas persuadé, pour ma part, que cette disposition doive durer éternellement. Cependant, je connais le cas concret d’opérations immobilières portant sur des maisons individuelles destinées aux classes moyennes, c'est-à-dire à des personnes de revenus assez modestes, à des couples dont les deux membres travaillent. Si l’on veut que ces lotissements soient construits et que le travail soit réalisé, dans l’intérêt des entreprises et de leurs salariés, je peux vous assurer qu’il vaut mieux ne pas perturber, cette année, le paysage fiscal des emprunteurs.

C’est la raison pour laquelle je demande le rejet de cet amendement, tout en souhaitant que le Gouvernement, dans le cadre de la nécessaire recherche d’économies, réexamine l’ensemble de ces dispositifs lorsque nous pourrons compter sur une croissance plus dynamique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Sur ce sujet, je partage l’avis de M. le rapporteur. Nous réfléchissons, en ce moment, à une évolution de la législation en vigueur. Nous travaillons en particulier à déterminer si, oui ou non, le crédit d’impôt est la meilleure des solutions pour permettre notamment d’intégrer l’avantage au moment où le bénéficiaire vient négocier son prêt auprès des banques.

Il s’agit d’être actif et efficace.

Mme Nicole Bricq. Cela coûte cher !

M. Éric Woerth, ministre. En tout état de cause, ce crédit d’impôt est une mesure importante, puisqu’il est plus que jamais nécessaire de faciliter l’accès au logement. Nous pourrons cependant débattre de ses modalités.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. J’ai le souvenir que, lors de la discussion de la fameuse loi TEPA, ce dispositif de crédit d’impôt au titre des intérêts d’emprunts avait été difficilement accepté par la majorité sénatoriale. M. le rapporteur général nous dit que sa suppression est prématurée et invoque la fragilité de la reprise.

Néanmoins, il existe de nombreux dispositifs en matière immobilière qui ne résolvent pas la question du logement. On sait en effet que le logement social est celui qui fait le plus cruellement défaut dans notre société et que les efforts pour remédier à cette pénurie ne sont pas à la hauteur, compte tenu notamment de la cherté du foncier dans les zones les plus tendues. C’est particulièrement le cas en Île-de-France.

Quoi qu’il en soit, le crédit d’impôt dont nous débattons est extrêmement onéreux et s’inscrit dans une accumulation de dispositifs fiscaux concernant l’immobilier. Nous sommes notamment très hostiles, vous le savez, au dispositif Scellier.

La commission des finances s’est engagée à faire le point sur l’ensemble de la fiscalité immobilière au cours de l’année 2010. Elle doit inclure dans ses réflexions ce crédit d’impôt, dont il avait été dit, lors de la discussion de la loi TEPA, qu’il pèserait de plus en plus lourdement sur les finances publiques.

Nous cherchons à faire le point sur un certain nombre de crédits d’impôt et de niches fiscales qui, additionnés les uns aux autres, s’élèvent à plusieurs milliards d’euros. Leur suppression aurait un effet bénéfique sur nos finances publiques et permettrait d’éviter le recours onéreux à l’emprunt.

Cet amendement s’inscrit dans cette logique.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission des finances a en effet inscrit dans son programme de travail pour l’année 2010 la fiscalité immobilière, et notamment ses niches fiscales. Mme Nicole Bricq sera naturellement associée à cette réflexion et aux propositions que nous formulerons.

Par souci de cohérence, je pense que vous pourriez retirer votre amendement. Il importe en effet que nous puissions apporter un éclairage global sur ce sujet et que cette mesure, parmi d’autres, puisse faire l’objet de nos analyses, de nos critiques et de nos recommandations.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, je suis très tenté de voter cet amendement, mais il me pose un problème de rédaction. Lorsque nos amis du groupe socialiste proposent sans autre précision l’abrogation de l’article 200 quaterdecies du code général des impôts, cela veut dire que cette mesure prend effet dès la promulgation du collectif. Cela complique les choses, car les déclarations de revenus sont annuelles et couvrent la période qui va du 1er janvier au 31 décembre.

J’aurais donc préféré que nos collègues du groupe socialiste prévoient que l’article est abrogé « à compter du 1er janvier 2011 », faute de quoi leur amendement conduirait à des calculs et à des situations très compliqués en matière de déclaration de revenus.

Si nous nous mettions d’accord pour ajouter cette précision, rien ne serait changé pour l’année fiscale 2010. Je rejoins sur ce point les observations de M. le rapporteur général concernant les opérations en cours : si nous prévoyons que cette « niche fiscale » est supprimée à compter du 1er janvier 2011, il sera toujours possible de revenir sur cette disposition dans la loi de finances pour 2011 si elle pose des problèmes particuliers ou si la conjoncture l’exige.

J’ajoute que cela constituerait cette année un élément de relance important, puisque tous ceux qui souhaiteraient bénéficier de la déduction fiscale accéléreraient la mise en œuvre de leurs projets de travaux ou de construction dans le courant de l’année 2010. Par conséquent, si nos collègues acceptaient de rectifier leur amendement afin de préciser que l’article 200 quaterdecies du code général des impôts est abrogé « à compter du 1er janvier 2011 », cela m’aiderait à le voter.

Je pense en outre que cette précision ferait tomber une partie des objections – sans doute pas totalement injustifiées – du rapporteur général. Cela permettrait à la commission des finances de poursuivre en 2010 les réflexions de son groupe de travail, et de décider de la marche à suivre au moment de la loi de finances pour 2011.

M. le président. Monsieur Claude Haut, que pensez-vous de la suggestion de M. Charasse ?

M. Claude Haut. Monsieur le président, je souscris aux propos de M. Charasse et je rectifie l’amendement afin de préciser que l’article est abrogé à compter du 1er janvier 2011. Nous aurons ainsi réalisé une avancée sans attendre les travaux que doit mener la commission tout au long de l’année 2010.

Mme Nicole Bricq. Absolument !

M. Michel Charasse. Très bien !

M. le président. Je suis donc saisi de l'amendement n° 80 rectifié, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 200 quaterdecies du code général des impôts est abrogé à compter du 1er janvier 2011.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Malgré mon désir d’être agréable à Michel Charasse et aux auteurs de l’amendement, je crains que cette rectification ne modifie pas l’avis de la commission.

Nous allons en effet mettre en perspective tout ce domaine, et il ne me semble pas opportun de préjuger la réflexion que nous allons mener ensemble, chère Nicole Bricq, de manière pluraliste, pour examiner les différents dispositifs et aboutir, le cas échéant, à des préconisations. Il me paraît donc préférable, ce soir, d’en rester là.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement est du même avis.

Le crédit d’impôt au titre des intérêts d’emprunt immobilier est un dispositif extrêmement important. Nous en reparlerons au moment du projet de loi de finances pour 2011. S’il s’avère utile de faire évoluer les modalités de ce dispositif pour le rendre plus efficace, nous le ferons. Une étude est en cours sur ce sujet : il serait évidemment très dommageable de voter quoi que ce soit avant de disposer des résultats de cette étude.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 80 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 72, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 206 du code général des impôts, il est inséré un article 206 bis ainsi rédigé :

« Art. 206 bis. - Il est établi une taxe additionnelle à l'impôt sur les sociétés pour l'année 2010. Son taux est fixé à 10 %. Sont redevables de cette taxe les établissements de crédit agréés par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement. »

La parole est à M. Michel Sergent.

M. Michel Sergent. Le présent amendement vise à instaurer, pour la seule année 2010, une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés, qui pèserait sur les établissements de crédit. L’État ayant joué le rôle d’assureur de dernier ressort au cours de la crise bancaire de 2009, il est normal qu’il reçoive la contrepartie de cette couverture exceptionnelle en faveur de l’intérêt général.

Les banques qui enregistrent aujourd’hui des profits ne le font que parce qu’elles bénéficient d’une assurance sans limite de la part de l’État. Elles ont bénéficié des garanties et des subventions les plus importantes qui aient jamais été accordées dans l’histoire à des entreprises privées.

Reconnaissez que les profits enregistrés aujourd’hui sont en grande partie le fruit de la liquidité fournie gratuitement par les banques centrales, qui sont des organismes publics. Tout se passe donc comme si les États avaient offert aux banques le droit d’imprimer gratuitement de la monnaie.

Certes, la justification des aides fournies aux banques était de sauvegarder le système financier et, à travers lui, l’économie. C’était opportun. Pour autant, il ne s’agissait pas de provoquer un effet d’aubaine pour les banques, notamment pour celles dont les pratiques ont directement conduit à mettre en danger le système financier.

L’idée que la « récompense » puisse être accordée à ceux qui portent une lourde responsabilité dans la crise, qu’il a malgré tout fallu secourir, est intolérable.

De même, s’il est normal de plaider pour des soutiens exceptionnels en cas de crise, il est tout aussi normal de demander des moyens exceptionnels pour financer le rééquilibrage après la crise.

En conséquence, il convient que les contribuables français puissent bénéficier d’un juste retour, dans la mesure où cela ne concernerait que les établissements ayant réalisé des bénéfices et pour la seule année 2010. J’irai presque jusqu’à dire que c’est une question de moralité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Le Sénat avait déjà rejeté un amendement identique lors de l’examen d’une loi de finances rectificative à la fin de l’année 2009. Vraiment, je ne crois pas que ce collectif budgétaire centré sur le grand emprunt soit le lieu pour recycler tous les débats que nous avons eus à la fin de l’année dernière. C’est la raison pour laquelle la commission réitère son avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 72.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 75, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Avant le a du I de l'article 219 du code général des impôts, il est inséré un 0-a ainsi rédigé :

« 0-a. - Les taux fixés au présent article sont diminués d'un dixième lorsqu'une fraction du bénéfice imposable au moins égale à 60 % est mise en réserve ou incorporée au capital au sens de l'article 109, à l'exclusion des sommes visées au 6° de l'article 112. Ils sont majorés d'un dixième lorsqu'une fraction du bénéfice imposable inférieure à 40 % est ainsi affectée. ».

II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du même code.

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. M. le ministre nous reprochait tout à l’heure d’être quelque peu éloignés des préoccupations économiques, de la compétitivité et de l’investissement de nos entreprises.

Cet amendement comblera votre attente, monsieur le ministre, puisque qu’il vise précisément à moduler les taux de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’affectation du bénéfice réalisé.

Dans le contexte dépressionnaire que nous connaissons aujourd’hui sur les plans boursier et économique, la tentation est grande pour les entreprises, dans le cadre de l’affectation des résultats, de mener une politique distributive relativement avantageuse à l’égard des actionnaires. En effet, en période de crise, à mesure que les inquiétudes grandissent dans la sphère financière, les entreprises sont tentées de distribuer de manière croissante les bénéfices qu’elles réalisent.

Afin de contraindre ce mouvement et de faire en sorte que l’argent reste dans la trésorerie des entreprises, nous proposons d’aménager légèrement la fiscalité en minorant l’imposition d’un dixième en cas de réinvestissement des bénéfices à hauteur de 60 % au moins, dans le but d’encourager la production plutôt que la distribution de dividendes aux actionnaires ou le rachat d’actions à visée spéculative.

Parallèlement, nous proposons une majoration de l’imposition d’un dixième lorsque moins de 40 % du bénéfice imposable est réinvesti.

Enfin, entre ces deux situations, le barème serait inchangé par rapport à l’existant.

La référence à des concepts bien ancrés dans le code général des impôts depuis 1979 rend ces dispositions aisément applicables. Une telle distinction entre bénéfices réinvestis et bénéfices distribués est, au demeurant, pratiquée par plusieurs de nos voisins européens ; il s’agit d’un outil pertinent de politique fiscale pour orienter les choix des entreprises dans un sens plus favorable à l’économie productive. Aussi, l’on ne pourra pas nous reprocher de ne pas penser à la compétitivité de l’économie française !

Mes chers collègues, vous avez donc toutes les raisons de voter cet amendement, qui favorisera, certes de façon modeste mais néanmoins perceptible, le financement des entreprises, la production et l’investissement. Il nous faut soutenir l’effort d’investissement des entreprises.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement est le type même de la fausse bonne idée !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La France a appliqué très brièvement cette modulation, en 2000, avant de l’abandonner, tout comme l’Allemagne. De fait, actuellement, aucun pays ne recourt à ce mécanisme, dont nous avons très régulièrement débattu, en particulier lors de l’examen d’amendements que vous avez présentés dans le cadre des débats budgétaires de 2008 et de 2009.

C’est donc à un nouveau recyclage que nous assistons, et il est préférable de s’en tenir aux positions que le Sénat a déjà arrêtées. Il n’y a pas lieu d’interférer dans les choix des actionnaires. Dans les faits, c’est le cycle de croissance qui provoque la régulation, et tout interventionnisme pourrait handicaper la compétitivité des entreprises.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission renouvelle l’avis très défavorable qu’elle a déjà émis.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote sur l'amendement n° 75.

M. François Marc. Je ne peux souscrire à l’argument de M. le rapporteur général selon lequel l’adoption de cet amendement handicaperait la compétitivité des entreprises. Notre objectif est tout le contraire !

Monsieur le rapporteur général, vous nous dites que nous avons déjà débattu de ce mécanisme de modulation dans le passé. Certes, mais la situation actuelle de notre économie, de nos entreprises, de nos finances est gravissime. C’est pourquoi nous devons créer des incitations supplémentaires pour dynamiser l’investissement des entreprises en y orientant une part plus importante des profits qu’elles réalisent, pour favoriser leur productivité et leur compétitivité.

Surtout, cet amendement s’appuie sur l’analyse des réalités d’aujourd’hui, et non sur des considérations d’hier ou d’avant-hier que vous vous plaisez à nous rappeler. Compte tenu des difficultés que traverse notre économie, nous devons prendre des mesures profitables à la production et à l’emploi. C’est l’objet de cet amendement qui mérite pleinement d’être maintenu.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 75.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 81, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le a sexies de l'article 219 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le 1. est ainsi modifié :

a) À la première phrase du premier alinéa, le mot : « deux » est remplacé deux fois par le mot : « cinq » ;

b) Après le mot : « ouverts », la fin de la seconde phrase du premier alinéa est ainsi rédigée : « du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2010. » ;

c) Au dernier alinéa, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « cinq » ;

2° Après le mot : « ouverts » la fin de la seconde phrase du premier alinéa du 2 est ainsi rédigée : « du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2010, et à 8 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2010. »

3° Il est complété par un 3 ainsi rédigé :

« 3. Les produits mentionnés au 1. et au 2. sont soumis aux dispositions du deuxième alinéa du I lorsqu'ils concernent des actions ou des parts de sociétés établies ou constituées hors de France et que ces sociétés sont soumises à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A. »

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Cet amendement, identique à celui que nous avions déjà défendu lors de l’examen de la loi de finances pour 2010, vise également à revenir sur le dispositif d’exonération des plus-values sur titres de participation, étendu par la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie.

Si nous avons décidé de déposer une nouvelle fois cet amendement, c’est parce qu’il sera à notre avis aisément possible, et ce uniquement en revenant sur des dépenses fiscales injustes et inefficaces pour l’économie, de trouver les 22 milliards d’euros que vous nous proposez d’emprunter.

Monsieur le ministre, vous êtes engagé dans une controverse avec la commission des finances de l’Assemblée nationale, et particulièrement avec son président, Didier Migaud, avec qui vous avez échangé plusieurs courriers. Vous contestez le coût qui a été avancé pour les finances publiques de ce dispositif d’exonération, à savoir 12 milliards d’euros en 2008 et 8 milliards d’euros en 2009, soit plus de 20 milliards d’euros, chiffres que nous avions repris ici même lors de l’examen de la loi de finances pour 2010. En outre, l’impact de ce dispositif sur la localisation des grands groupes et de leurs holdings n’a pas été clairement évalué.

Une dépense fiscale d’une telle ampleur mérite tout de même d’être étudiée d’un peu plus près !

Aussi, monsieur le ministre, nous souhaiterions vivement que vous nous précisiez les raisons pour lesquelles vous contestez l’évaluation fournie par notre collègue Didier Migaud.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je laisserai à M. le ministre, qui n’y manquera pas, le soin de répondre à Mme Bricq.

Néanmoins, j’indiquerai brièvement à notre collègue que nous avons déjà traité ce sujet, de façon connexe, lors de l’examen d’un précédent amendement, lequel avait été rejeté par le Sénat. Cet amendement-ci n’apportant aucune innovation particulière, la commission n’innovera pas elle non plus et se prononcera de nouveau en sa défaveur.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement n’est pas favorable, lui non plus, à cet amendement.

Il est vrai que le montant des cessions de participations à long terme dans les entreprises peut sembler très élevé si l’on s’en tient aux évaluations. Mais ces dernières, il faut le savoir, sont toujours réalisées selon une même méthode, qui consiste à considérer le montant des transactions en leur appliquant le taux maximal applicable de l’impôt sur les sociétés, à savoir 33 %. Cette façon de procéder est très théorique, ainsi que l’a fort justement souligné M. le rapporteur général, ne serait-ce que parce qu’elle ne prend pas en considération l’assiette. J’aime autant vous dire que ce n’est pas avec l’adoption d’amendements de ce type que nous parviendrons à trouver 50 milliards d’euros ! La réalité est bien plus complexe.

Il conviendrait au préalable, d’une part, de revoir les modalités techniques des méthodes d’évaluation, qui font débat et, d’autre part, de mesurer les effets du rétablissement d’un taux d’imposition de 8 % sur les plus-values. Je rappelle que, hormis la Grèce, tous les autres pays pratiquent un taux proche de 0 %, à l’instar de la France.

En effet, il est à craindre que l’adoption de cet amendement n’encourage la délocalisation des activités concernées, très aisée, dont nous avons pourtant estimé qu’il était important de les conserver sur le territoire français. Ou alors, si l’intention est de provoquer le départ des holdings, dans ce cas il faut le dire explicitement. Ce n’est pas de l’idéologie, c’est du pragmatisme !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, si vous contestez les chiffres que nous avançons, indiquez-nous ceux dont vous disposez ou demandez à vos services de procéder à une évaluation ! En l’absence de la moindre réponse de votre part, nous maintenons notre amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 81.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 84, présenté par M. Lagauche, Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé:

I. - Le I de l'article 244 quater B du code général des impôts est ainsi modifié :

1° La seconde phrase du premier alinéa est ainsi rédigée :

« Pour les entreprises qui emploient moins de 250 salariés et, soit ont réalisé un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros au cours de l'exercice, soit ont un total de bilan inférieur à 43 millions d'euros, et dont le capital ou les droits de vote ne sont pas détenus à hauteur de 25 % ou plus par une entreprise ou par plusieurs entreprises ne répondant pas à ces conditions, de manière continue au cours de l'exercice, le taux du crédit d'impôt est de 40 %. » ;

2° Après le premier alinéa sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :

« Pour les autres entreprises, le crédit d'impôt est égal à la somme :

« a. d'une part égale à 5 % des dépenses de recherche exposées au cours de l'année, dite part en volume ;

« b. et d'une part égale à 40 % de la différence entre les dépenses de recherche exposées au cours de l'année et la moyenne des dépenses de même nature, revalorisées de la hausse des prix à la consommation hors tabac, exposées au cours des deux années précédentes, dite part en accroissement.

« Lorsque cette dernière est négative, elle est imputée sur les parts en accroissement calculées au titre des dépenses engagées au cours des cinq années suivantes. Le montant imputé est plafonné à la somme des parts positives de même nature antérieurement calculées. » ;

3° Au deuxième alinéa, les taux : « 30 % », « 50 % » et « 40 % » sont respectivement remplacés par les taux : « 40 % », « 55 % » et « 45 % ».

II. - Le I n'est applicable qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû.

III. - Les pertes de recettes résultant pour l'État des I et II ci-dessus sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. M. Serge Lagauche, qui est intervenu dans la discussion générale, et l’ensemble des membres du groupe socialiste souhaitent revenir sur le crédit d’impôt recherche, dont le coût, en année pleine, a été estimé par M. le rapporteur général à plus de 4 milliards d’euros.

Dernièrement, le crédit d’impôt recherche a fait l’objet de plusieurs aménagements. Évoquant le dernier en date, notre collègue Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, explique dans son rapport que le crédit d’impôt recherche bénéficie désormais bien plus aux grandes entreprises qu’aux petites entreprises. Ainsi, les PME ne bénéficieraient que de 20 % des gains de la réforme, alors même que ce sont précisément ces entreprises de taille intermédiaire qui accroissent le plus leurs dépenses de recherche et développement et embauchent le plus de chercheurs.

Si nous avons déposé cet amendement, qui vise à mieux cibler le crédit d’impôt recherche sur les PME, c’est aussi parce que, lors de la discussion du projet de loi de finances, nous avons tous voté un amendement demandant au Gouvernement d’éclaircir, en 2010, le dispositif du crédit d’impôt recherche qui, dans la balance financière de notre économie, doit être apprécié à l’aune de l’emprunt.

De nombreux rapports ont déjà été déposés. M. Christian Gaudin, qui conduit une étude sur ce sujet, nous a promis un rapport d’étape dès cette année. Selon les informations dont nous disposons, il semble qu’il existe d’importants déséquilibres au profit des grandes entreprises et des entreprises financières.

Si le crédit d’impôt recherche devient un guichet ouvert à tous vents, impossible à évaluer, cela pèsera sur nos finances publiques. En outre, il n’atteindra pas la finalité qui lui a été assignée, notamment lors des réformes de 2007 et de 2008.

Telles sont les raisons pour lesquelles M. Lagauche et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés ont souhaité redéposer le présent amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mme Bricq a dit que cet amendement était redéposé. C’est la soirée des « redépôts » !

Mme Nicole Bricq. Pas celui-là !

M. François Marc. Vous êtes antiredéposition !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !

Sur le fond, dans la conjoncture actuelle, perturber les anticipations des entreprises reviendrait à créer un handicap pour la reprise. Par ailleurs, il serait très risqué de remettre en cause les conditions de calcul du crédit d’impôt recherche.

En outre, l’axiome que vous posez quant au caractère idyllique de l’entreprise moyenne ou intermédiaire par rapport à la grande entreprise, en termes de recherche, d’enjeux de recherche et de développements internationaux dans l’innovation, n’est en rien démontré.

Le régime actuel du crédit d’impôt recherche est très récent. Simple – il a même été qualifié de fruste –, il est de fait aisément compréhensible par les entreprises et a sans doute exercé un effet de levier important.

Nous pourrons certes envisager, au sortir de la crise, de remettre les choses à plat en matière d’impôt recherche mais aussi, par exemple, en ce qui concerne les régimes de financement de l’immobilier, mais pas en ce début d’année 2010.

La commission ne peut donc qu’être défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement : pourquoi vouloir supprimer ce qui marche bien ?

Que le dispositif doive être évalué, mesuré, qu’il faille traquer les abus avec une grande vigilance, que l’on ne l’élargisse pas outre mesure : certes ! Il est en effet très important de se concentrer sur ce qui fonctionne, sur le rapatriement des centres de recherche et leur développement sur notre sol. Mais le fait de vouloir handicaper ce qui marche bien dépasse mes capacités de compréhension !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 84.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Articles additionnels avant l'article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Discussion générale

5

Mise au point au sujet d'un vote

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Je souhaite effectuer une mise au point en ce qui concerne le scrutin public n° 148, relatif au vote sur l’ensemble du projet de loi de réforme des collectivités territoriales : je précise que notre collègue Sylvie Goy-Chavent a été déclarée votant pour le projet de loi alors qu’elle avait souhaité s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel.

6

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 16 février 2010 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales.

(Le texte des questions figure en annexe).

À quatorze heures trente, le soir et, éventuellement, la nuit :

2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010 (n° 276, 2009-2010).

Rapport de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances (n° 278, 2009-2010).

Avis de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 283, 2009-2010).

Avis de M. Jean-Claude Etienne, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 284, 2009-2010).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART