PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et sera disponible au bureau de la distribution.
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Récidive criminelle
Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale (n° 308).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale s’est réunie à l’Assemblée nationale le lundi 22 février 2010.
Il s’agit, je vous le rappelle, de compléter la loi du 25 février 2008, qui a créé la rétention et la surveillance de sûreté, afin de prendre acte de la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 et d’intégrer un certain nombre de propositions à caractère législatif formulées, à la demande du Président de la République, par M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation.
Adopté en première lecture le 24 novembre 2009 par l’Assemblée nationale, ce projet de loi a été assez largement remanié par le Sénat le 18 février dernier afin, à la fois, d’accompagner le Gouvernement dans sa détermination à protéger nos concitoyens contre les éventuelles récidives de détenus condamnés pour des faits gravissimes et de respecter nos principes constitutionnels ainsi que l’équilibre de nos règles pénales.
Le principal désaccord entre nos deux assemblées portait sur le quantum de peine prononcée pour la mise en œuvre d’un placement sous surveillance de sûreté à l’issue de la surveillance judiciaire ou du suivi socio-judiciaire. Fixé à quinze ans de réclusion criminelle, comme pour la rétention de sûreté, ce seuil avait été abaissé à dix ans par les députés.
Cette initiative soulevait, tout d’abord, de très sérieux problèmes constitutionnels, la méconnaissance d’une obligation de la surveillance de sûreté pouvant entraîner un placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté et le Conseil constitutionnel n’ayant admis la constitutionnalité de la rétention de sûreté que dans la mesure où, « eu égard à l’extrême gravité des crimes visés et à l’importance de la peine prononcée par la cour d’assises, le champ d’application de la rétention de sûreté apparaît en adéquation avec sa finalité ».
En outre, avec le suivi socio-judiciaire et la surveillance judiciaire, dont l’application est étendue, dans ce projet de loi, aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à sept ans, le dispositif français comporte déjà des mécanismes efficaces pour assurer un suivi après la peine des personnes considérées comme dangereuses.
Sur ce point fondamental, la commission mixte paritaire a adopté le texte du Sénat.
De même, alors que l’Assemblée nationale avait prévu l’obligation pour le médecin traitant d’informer le juge de l’application des peines ou l’agent de probation du refus ou de l’interruption d’un traitement inhibiteur de libido, le Sénat, sous l’impulsion tant de la commission des lois que de la commission des affaires sociales et de son rapporteur pour avis, Nicolas About, avait utilement précisé que ce n’était que lorsque le refus ou l’interruption du traitement - traitement dans sa généralité, et non le seul traitement anti-libido – intervenait contre l’avis du médecin traitant que celui-ci le signalait sans délai au médecin coordonnateur qui en informait, dans le respect des dispositions relatives au secret médical, le juge de l’application des peines.
C’est cette version qui a été retenue par la commission mixte paritaire, en y intégrant, sur l’initiative de Jean-Paul Garraud, rapporteur pour l’Assemblée nationale, une précision utile selon laquelle le médecin traitant peut informer directement le juge de l’application des peines en cas d’indisponibilité du médecin coordonnateur.
M. Nicolas About. Très bien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. S’agissant du répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires, les députés ont souhaité rétablir l’enregistrement des examens, que le Sénat avait supprimé sur l’initiative de la commission des affaires sociales.
Notre collègue Nicolas About rappelant que la présence d’examens médicaux dans le répertoire ne présentait pas d’intérêt, la commission mixte paritaire a procédé à une simple interversion des mots « expertises » et « examens » pour dissiper toute ambiguïté et ne viser que les examens psychiatriques, médico-psychologiques et pluridisciplinaires.
Dans le souci de faciliter le développement du placement sous surveillance électronique mobile, la commission mixte paritaire a rétabli le texte de l’Assemblée nationale, supprimant l’avis obligatoire de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté avant un tel placement dans le cadre d’une surveillance judiciaire.
Enfin, pour ce qui concerne la date d’entrée en vigueur des dispositions de la loi, le Sénat avait prévu le report au 1er janvier 2012 de l’examen systématique par le juge de l’application des peines ou le procureur de la situation des personnes susceptibles de faire l’objet d’une surveillance judiciaire, avec la possibilité de placer le condamné, pour une durée comprise entre deux et six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité et de saisir la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
Je m’étais en effet inquiété de la possibilité pour le Centre national d’observation de Fresnes de faire face à ces nouvelles responsabilités avant sa relocalisation, prévue en janvier 2012 dans le nouvel établissement pénitentiaire de Réau, en Seine-et-Marne. À cet effet, j’avais défendu un amendement, qui se voulait largement un amendement d’appel, précisant que je le retirerais immédiatement si Mme le garde des sceaux rassurait notre assemblée sur le renforcement des effectifs du Centre national d’observation. Mais elle avait, au contraire, donné un avis favorable sur cet amendement.
La commission mixte paritaire a rétabli l’entrée en vigueur immédiate de ces dispositions, ce qui ne retire rien, vous vous en doutez bien, mes chers collègues, à la nécessité absolue de renforcer les moyens du CNO ; tous les parlementaires devront donc y être particulièrement vigilants.
Voilà, mes chers collègues, le résumé de l’essentiel des travaux de la commission mixte paritaire, laquelle a œuvré dans un état d’esprit très partenarial, auquel a largement contribué notre collègue député rapporteur de l'Assemblée nationale, Jean-Paul Garraud ; j’ai été personnellement très heureux de travailler avec lui.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite bien évidemment à adopter le texte tel qu’il résulte des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est soumis a pour objectif d’amoindrir le risque de récidive criminelle.
Ce projet de loi, qui a été l’objet de débats denses, est l’aboutissement d’un travail parlementaire très constructif. À cet égard, je salue la qualité du travail réalisé par le Sénat, qui a permis d’aboutir à un texte équilibré, notamment pour ce qui concerne les seuils de peine pour un placement sous surveillance judiciaire et sous surveillance de sûreté. Je tiens tout particulièrement à remercier le président de la commission des lois et le rapporteur de leur contribution appliquée à l’élaboration d’un texte commun à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Le projet de loi répond à une double finalité.
Premièrement, il s’agit de compléter, après la décision du Conseil constitutionnel, la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Le rapport du Premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, a permis d’identifier des pistes d’amélioration du dispositif, qui ont été intégrées.
Deuxièmement, il s’agit de renforcer la protection de nos concitoyens contre les criminels dangereux.
Face aux risques que font peser certains criminels, nos compatriotes attendent de l’État qu’il sache aussi les protéger. C’est ainsi que le texte prévoit des réponses ciblées pour certains criminels qui présentent un risque grave de récidive. Il faut réduire leur dangerosité, non seulement pour autrui, bien sûr, mais aussi pour eux-mêmes.
Le Gouvernement estime que ce projet de loi répond pleinement à ces objectifs.
Ce texte, outre le fait qu’il consolide les mesures de sûreté prévues dans la loi du 25 février 2008 et garantit un meilleur suivi des criminels dangereux en dehors de la prison, a été enrichi par le travail parlementaire, qui nous a permis d’aboutir à un dispositif équilibré.
Le projet de loi garantit l’effectivité des mesures de sûreté et assure un meilleur suivi des criminels dangereux.
Il transpose dans la loi les préconisations du rapport du Premier président de la Cour de cassation pour satisfaire deux objectifs : clarifier les conditions de placement en rétention de sûreté et renforcer l’efficacité des mesures de surveillance de sûreté.
Le placement en rétention de sûreté supposera que l’intéressé ait été en mesure de bénéficier, pendant sa détention, d’une prise en charge médicale, sociale ou psychologique adaptée. La mesure de rétention de sûreté n’interviendra que dans le cas où un renforcement des mesures de surveillance apparaîtra insuffisant pour prévenir la récidive.
L’aide juridique sera garantie aux personnes placées en rétention de sûreté ; ces dernières pourront ainsi bénéficier de l’assistance d’un avocat.
Au demeurant, les possibilités de placement sous surveillance de sûreté seront étendues. Ainsi, la surveillance de sûreté pourra intervenir à l’issue d’une surveillance judiciaire ayant accompagné une libération anticipée ou directement à la sortie de prison.
Si une personne est condamnée à une peine de prison pendant l’exécution des mesures de surveillance ou de rétention, celles-ci ne seront que suspendues, et pourront reprendre leur cours à l’issue de l’exécution de la peine.
Des personnes remises en liberté dans l’attente d’une procédure de révision pourront également être placées sous surveillance de sûreté.
De nouvelles mesures nous permettront d’aller plus loin dans le suivi des criminels dangereux. Plusieurs dispositions du texte vont dans ce sens.
Ainsi, le projet de loi renforce le suivi médico-judiciaire des délinquants et criminels sexuels.
Si, dans le cadre du suivi socio-judiciaire, le condamné est soumis à une injonction de soins, tout refus du traitement anti-libido pourra conduire à une réponse immédiate.
Le non-respect de l’injonction de soins pourra être sanctionné soit par l’incarcération, si la personne exécute sa peine en milieu ouvert ou si elle est sous surveillance judiciaire, soit par le placement en rétention de sûreté, si elle est sous surveillance de sûreté.
Le projet de loi garantit également une meilleure protection des victimes.
Aujourd’hui, quand les services de police ou de gendarmerie constatent la violation d’une interdiction de s’approcher de la victime, ils n’ont aucun moyen légal pour intervenir. Avec cette nouvelle loi, il leur sera permis d’interpeller l’intéressé et, si le juge de l’application des peines l’estime nécessaire, de le déférer devant celui-ci éventuellement aux fins d’incarcération.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les débats parlementaires et l’examen du texte en commission mixte paritaire ont permis d’aboutir à un texte tout à fait équilibré ; c’est en tout cas l’opinion du Gouvernement : l’Assemblée nationale et le Sénat ont amélioré le projet de loi en y ajoutant des dispositions novatrices ; des solutions équilibrées ont été confirmées par la commission mixte paritaire.
L’Assemblée nationale a d’abord enrichi le texte de nouvelles dispositions.
Pour renforcer l’efficacité du travail des policiers et des gendarmes, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles a été modernisé par une interconnexion avec le fichier des personnes recherchées.
Renforcer l’information des magistrats améliorera ainsi le traitement judiciaire des criminels dangereux.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a également adopté un amendement créant un dossier unique de personnalité comprenant l’ensemble des expertises psychiatriques, psychologiques et autres enquêtes sociales réalisées dans le cadre d’une procédure pénale ou lors de l’exécution d’une mesure de sûreté.
De même, les mesures de sûreté et les décisions de surveillance judiciaire seront inscrites au casier judiciaire. L’autorité judiciaire doit avoir connaissance de ces éléments lorsqu’elle poursuit ou juge une personne qui a fait l’objet d’une telle mesure.
L’examen du texte au Sénat et en commission mixte paritaire a, en outre, permis d’aboutir à l’élaboration de ce bon texte.
L’information des services enquêteurs a tout d’abord été renforcée.
En effet, la première des mesures de prévention contre la récidive, c’est de savoir où se trouvent les sortants de prison. Les assemblées ont prévu la communication aux services de police et de gendarmerie de l’identité et de l’adresse des criminels dangereux sortant de prison. Après débats, c’est le seuil de trois ans d’emprisonnement prononcé qui a été choisi pour permettre cette communication, ce qui, à nos yeux, constitue un point d’équilibre satisfaisant.
Par ailleurs, l’information du juge de l’application des peines sera assurée par une meilleure circulation de l’information : le médecin traitant informera de l’arrêt d’un traitement le médecin coordonnateur, qui lui-même avertira la juge, lequel en tirera toutes les conséquences. En cas d’indisponibilité du médecin coordonnateur, le médecin traitant pourra informer directement le juge de l’application des peines du refus ou de l’interruption du traitement intervenu contre son avis.
C’est une avancée importante dans le sens de la circulation de l’information. En tout cas, cela permet de réunir un large consensus ici, au Sénat, et entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Enfin, le Sénat a encadré de garanties le nouveau dossier unique de personnalité avec, notamment, la création d’un délai de conservation maximal des données.
Le Gouvernement veut saluer les nouveaux équilibres qui ont pu être atteints par le travail très précis, très minutieux et très responsable des deux assemblées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en renforçant la circulation de l’information, le projet de loi va dans le sens d’une véritable chaîne de l’application des peines, dans laquelle médecins et magistrats ne sont pas en opposition, mais, au contraire, se complètent.
Il n’appartient pas au juge de soigner, ni au médecin de juger, mais l’échange entre tous les acteurs ne peut qu’améliorer le fonctionnement du suivi des condamnés, et donc assurer une meilleure lutte contre la récidive.
C’est le sens du projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui et de la politique pénale que le Gouvernement entend conduire. Je vous remercie d’y participer si activement et si efficacement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel plaisir de vous avoir encore parmi nous, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement… (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À l’issue de la commission mixte paritaire, le contenu final de la loi sur la récidive criminelle sera, à peu de chose près, celui qui a été voté dans cet hémicycle il n’y a pas si longtemps. Il faut noter néanmoins que, si l’Assemblée nationale l’avait modifié mardi, en tout état de cause, notre séance d’aujourd’hui n’aurait aucun effet !
Malgré une nouvelle tentative des députés de l’UMP pour revenir au seuil de dix ans pour l’application de la surveillance de sûreté, le résultat est, comme j’ai eu l’occasion de le dire précédemment, celui du travail de notre rapporteur et de la majorité de la commission des lois qui l’a suivi. Il a permis de modérer un tant soit peu les surenchères qu’avait provoquées l’examen du projet de loi en première lecture.
Cela étant, je ne peux que confirmer notre opposition à ce texte, pour deux raisons principales.
Première raison, cette loi participe d’une frénésie sécuritaire qui, si nous n’y mettons pas fin, n’aura aucune limite. Ce texte est le quatrième en cinq ans sur la récidive, sans compter, bien évidemment, les autres lois pénales. Alors, quand on entend le Gouvernement s’inquiéter, à propos de propositions de loi, de la nécessaire stabilité de la norme en matière pénale, on est confondu !
M. Philippe Marini. On s’inquiète pour les victimes surtout !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais nous aussi !
M. Nicolas About. C’est important de l’affirmer !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce projet de loi est dans la logique de la loi du 25 février 2008. D’ailleurs, il est fait pour cela. Il vous fallait bien contourner la censure du Conseil constitutionnel, lequel conseil ne pouvait quand même pas accepter qu’une loi pénale aggravante soit directement rétroactive ! Aujourd’hui, ce texte permet donc de la rendre indirectement rétroactive.
Qui plus est, il étend le champ de la loi de 2008, puisque la rétention de sûreté devient un aboutissement banalisé de la sanction de la récidive.
Je le rappelle, le placement en rétention de sûreté devait être exceptionnel et ne s’appliquer qu’aux crimes les plus odieux : assassinat, meurtre, tortures, actes de barbarie, viol commis sur un mineur de quinze ans. Or, de l’âge de quinze ans, on est passé à dix-huit ans, puis aux victimes majeures en cas de circonstance aggravante. Ont été aussi ajoutés l’enlèvement et la séquestration.
Et, compte tenu de la durée de peine requise, quinze ans – heureusement que nous avons échappé aux dix ans ! –, nous voyons bien que vous avez en tête non pas simplement l’exception, mais un très grand nombre de crimes pour lesquels les personnes ont purgé une peine de quinze ans, il ne faut jamais l’oublier !
Avec la loi du 25 février 2008, vous avez inscrit dans le droit une notion que les scientifiques contestent, celle de « dangerosité criminelle ».
M. Philippe Marini. Certains scientifiques !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. De surcroît, quoi qu’on en dise, vous faites un amalgame avec la maladie mentale, ce que les psychiatres réfutent. Ils refusent en effet de se voir assigner un rôle de contrôle social, une mission à mille lieues de leurs obligations thérapeutiques !
Vous procédez au même amalgame, qu’on le veuille ou non, entre soins et sanctions pénales. Ce texte fait du soin obligatoire une sanction pouvant, in fine, être punie d’enfermement. Fort heureusement, notre rapporteur, suivi par la majorité, n’a pas accepté que ce soit le juge qui prescrive le traitement inhibiteur de libido en lieu et place du médecin, lui-même contenu dans un rôle d’informateur.
Encore une fois, ce projet de loi débattu sous l’effet d’événements dramatiques sera une loi d’affichage, mais, comme je l’ai dit la semaine dernière, non moins dangereuse pour autant, car elle crée une illusion – c’est la raison pour laquelle je m’inquiète pour les victimes –, celle que le risque zéro existe, ce qui, concrètement, conduit à reléguer définitivement un certain nombre de populations en fonction d’un risque supposé.
Cela m’amène à la seconde raison pour laquelle nous nous opposons à ce texte.
Cette loi n’était absolument pas assortie d’études d’impact, notamment d’évaluations non seulement des véritables mesures de prévention mais aussi des dysfonctionnements et problèmes d’application des lois qui ont été votées précédemment.
Le long temps de la peine, puisqu’il est ici question de quinze ans de réclusion criminelle minimum, n’est pas utilisé pour la prévention de la récidive. Les détenus qui ont été condamnés pour des crimes sexuels, pour des violences graves, ont souvent un parcours complexe, des problèmes psychologiques sérieux. Ils ont besoin d’être encadrés, autrement dit non pas seulement contrôlés, mais pris en charge dès leur entrée en détention par des personnels compétents et en nombre suffisant. Or, je le redis, la médecine pénitentiaire, notamment en psychiatrie, est dans un état désastreux.
De même, tous les dispositifs susceptibles de favoriser la réinsertion demeurent dramatiquement insuffisants. Hélas, nous ne pouvons attendre de la loi pénitentiaire, ni du budget de l’administration pénitentiaire, tourné vers l’enfermement, pas plus que de celui de la santé publique, encadrés les uns et les autres par la révision générale des politiques publiques, qu’ils contribuent à une quelconque amélioration de la situation.
Cette situation est la même, et pour cause, à la sortie de prison. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le rapport que le Président de la République a commandé à M. Vincent Lamanda. On y voit que nous ne manquons pas, loin s’en faut, de dispositifs suffisamment coercitifs pour prévenir les risques de récidive, mais que les moyens pour les mettre en œuvre font cruellement défaut ; on pense notamment au suivi socio-judiciaire.
Pour nous, ces recommandations ou ces constats du Premier président de la Cour de cassation sont vraiment à prendre en compte avec sérieux.
Il faut des moyens pour la justice, notamment pour les secrétariats des services de l’application des peines, afin d’éviter les retards dans le traitement des dossiers. Aujourd’hui, de nombreuses juridictions manquent de personnels et sont même en état de cessation de paiement plusieurs mois avant la fin de l’année.
Il faut augmenter le nombre des conseillers d’insertion et de probation pour permettre des suivis renforcés et un accompagnement adapté à chaque condamné.
Il faut plus de médecins coordonnateurs et un renforcement des moyens dont sont dotés les services médico-psychologiques. À l’heure actuelle, les injonctions de soins ne peuvent être mises en place de façon satisfaisante dans plus de la moitié des juridictions !
On nous demande de voter des lois comportant toujours plus d’injonctions de surveiller, de soigner et de suivre les personnes coupables de crimes, alors que, nous le savons pertinemment, les moyens dédiés à leur mise en œuvre ne seront pas au rendez-vous. Et cette future loi n’échappera pas à la règle. Une telle fuite en avant pénale n’est plus possible !
Quant à l’application des lois, permettez-moi d’évoquer deux événements dramatiques qui se sont produits alors même que nous examinions ce projet de loi en première lecture.
La semaine dernière, une jeune femme a été poignardée par son ex-compagnon. Celui-ci avait été condamné à quatre mois de prison avec sursis, peine assortie d’une interdiction d’entrer en contact avec la jeune femme et d’un contrôle judiciaire. Qu’allons-nous devoir encore voter pour qu’une telle situation ne se reproduise pas ? Le fait de durcir la peine encourue aurait-il empêché ce meurtrier de tuer sa victime, laquelle, je le rappelle, avait déposé plainte à plusieurs reprises au commissariat, en vain ?
Il a fallu un véritable harcèlement – j’emploie ce mot à dessein – des associations de femmes, soutenues par quelques parlementaires de gauche, pour que soient enfin prises en compte les violences faites aux femmes.
Toujours la semaine dernière, trois détenus se sont suicidés. L’un d’entre eux se trouvait en quartier de haute sécurité, tandis qu’un autre n’avait que seize ans ! Là aussi, quelles sont donc les causes de ces drames ? Au regard de la loi pénitentiaire que nous avons adoptée récemment, quelle réponse entendez-vous apporter au triste record que nous détenons en matière de suicides en prison ?
Monsieur le ministre, nous attendons une mobilisation du Gouvernement, que vous représentez ici aujourd’hui, et de l’ensemble des parlementaires, ainsi que des administrations concernées et des moyens dont elles disposent. Je le répète, cela suffit ! Je serais d’ailleurs tentée d’appeler les parlementaires à faire la grève de l’examen des lois pénales tant que nous légiférerons pour les médias. Nous voterons donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le ministre, ce projet de loi a pour premier objet, aux termes de son intitulé, d’« amoindrir le risque de récidive criminelle ». Si nous partageons cet objectif, nous ne saurions faire nôtre votre appréciation sur le contenu et l’efficacité attendue de ce texte.
Je n’approuve pas non plus que l’on ait transformé ce projet de loi, dont la portée devrait être fondamentale, en une sorte de fourre-tout, en y incluant « diverses dispositions de procédure pénale ». Ce mélange des genres me choque profondément et crée une grande confusion dans nombre d’esprits.
Évidemment, notre objectif à tous est de prévenir la récidive criminelle. Étant scientifique de formation, mon approche diffère sans doute de celle des juristes. Quand un problème se pose de façon récurrente, en dépit de plusieurs tentatives de ma part pour le résoudre, je cherche à comprendre pourquoi les solutions que j’ai mises en œuvre n’ont pas fonctionné et je modifie en conséquence ma méthode. En tout cas, je ne m’obstine pas dans la même voie jusqu’à me cogner la tête contre les murs.
En l’occurrence, les victimes ne demandent qu’une seule chose : que les faits ne se reproduisent pas ! J’ai pris le temps de les écouter : elles n’exigent pas que les coupables restent en prison toute leur vie. Dans cette perspective, elles attendent de nous que nous élaborions des mesures efficaces contre la récidive.
M. Philippe Marini. Alors donnez vos solutions !
Mme Virginie Klès. Les solutions sont nombreuses et nous en avons déjà proposé plusieurs. En tout cas, elles ne figurent certainement pas dans le texte qui nous est aujourd’hui soumis !
Certes, le texte élaboré par la commission mixte paritaire prend en compte les profondes modifications suggérées par M. Lecerf, dont je salue le travail remarquable. Néanmoins, il demeure uniquement répressif,…