Sommaire
Présidence de M. Roland du Luart
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, Jean-Noël Guérini.
2. Modification de l'ordre du jour
état de la prison du camp est en nouvelle-calédonie
Question de M. Simon Loueckhote. – M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.
galileo et politique spatiale du gouvernement
Question de M. Bertrand Auban. – MM. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice ; Bertrand Auban.
traitement d'eau de baignade par filtration biologique
Question de M. Claude Haut. – Mmes Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports ; M. Claude Haut.
Question de M. Bernard Cazeau. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Bernard Cazeau.
transparence des pratiques tarifaires des syndics professionnels
Question de Mme Patricia Schillinger. – Mmes Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; Patricia Schillinger.
reconduction du dispositif allocation équivalent retraite
Question de M. Martial Bourquin. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Martial Bourquin.
marchés de définition et arrêt de la cour de justice de l'union européenne du 10 décembre 2009
Question de M. Daniel Raoul. – M. Claude Bérit-Débat, en remplacement de M. Daniel Raoul ; Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Daniel Raoul.
Suspension et reprise de la séance
promotion des langues régionales et notamment de l'occitan
Question de M. Claude Bérit-Débat. – MM. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication ; Claude Bérit-Débat.
révision de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public
Question de M. Hervé Maurey. – MM. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication ; Hervé Maurey.
Suspension et reprise de la séance
Question de M. Thierry Foucaud. – Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique ; M. Thierry Foucaud.
prix du lait pour la campagne 2010
Question de M. Claude Biwer. – MM. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche ; Claude Biwer.
Question de M. Alain Fouché. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés ; M. Alain Fouché.
Question de Mme Anne-Marie Escoffier. – Mmes Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés ; Anne-Marie Escoffier.
application de la loi sur le handicap du 11 février 2005
Question de Mme Michelle Demessine. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés.
financement de l'aide à domicile
Question de M. René-Pierre Signé. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés ; M. René-Pierre Signé.
Question de M. Yves Détraigne. – Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; M. Yves Détraigne.
interdiction de la pêche professionnelle sur le lac de vouglans dans le jura
Question de M. Gérard Bailly. – Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; M. Gérard Bailly.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
6. Remplacement de deux sénateurs nommés au Conseil constitutionnel
7. Remplacement d'une sénatrice décédée
8. Désignation d'un sénateur en mission
9. Audition au titre de l'article 13 de la Constitution
10. Dépôt du rapport annuel du Médiateur de la République
11. Dépôt de rapports en application de lois
12. Organismes extraparlementaires
13. Dépôt d'une question orale avec débat
14. Démission de membres de commissions et candidatures
15. Débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France
MM. Jean-Pierre Chevènement, au nom de la commission des affaires étrangères ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.
Mme Michelle Demessine, MM. Didier Boulaud, Jean-Michel Baylet.
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
MM. Xavier Pintat, Jean-Louis Carrère, Jacques Gautier, Mme Dominique Voynet.
M. Jean-Pierre Chevènement, au nom de la commission des affaires étrangères
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
16. Nomination de membres de commissions
17. Droit à la vie privée à l’heure du numérique. – Discussion d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : M. Yves Détraigne, coauteur de la proposition de loi ; Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur de la proposition de loi ; M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois ; Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la commission de la culture ; M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.
MM. Charles Gautier, Jacques Mézard, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Catherine Troendle, Alima Boumediene-Thiery, MM. Michel Thiollière, Antoine Lefèvre.
Clôture de la discussion générale.
M. le secrétaire d'État.
Mme Nicole Bonnefoy.
Adoption de l'article.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
18. Audition au titre de l’article 13 de la Constitution
19. Droit à la vie privée à l’heure du numérique. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi (Texte de la commission)
Amendement n° 29 du Gouvernement. – MM. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice ; Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois ; Mme Anne-Marie Escoffier. – Rejet.
Adoption de l'article.
Articles 2 bis et 2 ter. – Adoption
Amendement n° 30 du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur, Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, M. Charles Gautier. – Rejet.
Amendement n° 8 de Mme Catherine Troendle. – Mme Catherine Troendle, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption.
Amendement n° 17 de M. Claude Domeizel. – M. Charles Gautier. – Retrait.
Amendement n° 10 rectifié bis de M. Jean-Paul Amoudry. – MM. Jean-Paul Amoudry, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 15 de M. Charles Gautier. – MM. Charles Gautier, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 39 de la commission. – MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption.
Amendement n° 11 rectifié de M. Jean-Paul Amoudry. – Retrait.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 18 de M. Claude Domeizel. – M. Charles Gautier. – Retrait.
Amendement n° 1 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery.
Amendement n° 14 de M. Charles Gautier. – M. Charles Gautier.
Amendement n° 31 du Gouvernement et sous-amendements nos 44 et 45 de M. Alex Türk ; amendements nos 20 rectifié, 25 et 19 de M. Alex Türk. – MM. le secrétaire d'État, Alex Türk. – Retrait de l’amendement no 25.
MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. – Rejet des amendements nos 1 et 14 ; rectification du sous-amendement no 45 ; adoption des sous-amendements nos 44, 45 rectifié et de l'amendement no 31 modifié, les amendements nos 20 rectifié et 19 devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l’article 4
Amendement n° 2 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 3 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 41 rectifié du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 42 du Gouvernement. – M. le secrétaire d'État.
Amendement n° 4 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery.
MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption de l’amendement no 42, l’amendement no 4 devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 5 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 43 du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 13 de M. Charles Gautier. – MM. Charles Gautier, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 32 du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur, Alex Türk. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 33 du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 34 du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur, Alex Türk. – Rejet.
Amendement n° 9 de M. Alex Türk. – MM. Alex Türk, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 35 rectifié du Gouvernement. – M. le secrétaire d'État.
Amendement n° 26 de M. Alex Türk. – M. Alex Türk.
MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet des amendements nos 35 rectifié et 26.
Amendements nos 28, 27 et 24 de M. Alex Türk. – MM. Alex Türk, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Retrait des amendements nos 28 et 27 ; adoption de l’amendement no 24.
Amendement n° 7 de M. Pierre Hérisson. – MM. Pierre Hérisson, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 36 du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur, Alex Türk. – Rejet.
Amendement n° 22 rectifié de M. Alex Türk. – MM. Alex Türk, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption.
Amendement n° 40 de la commission. – MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 7
Amendement n° 23 de M. Alex Türk. – MM. Alex Türk, le rapporteur. – Retrait.
Amendement n° 37 du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur. – Rejet.
Amendements nos 21 de M. Alex Türk et 46 de la commission. – MM. Alex Türk, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Retrait de l’amendement no 21 ; adoption de l’amendement no 46.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 12 rectifié de M. Yves Détraigne. – M. Yves Détraigne.
Amendement n° 16 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery.
MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption de l’amendement no 12 rectifié, l’amendement no 16 devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 38 du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur, le président de la commission. – Rejet.
Adoption de l'article.
Articles 13 bis et 14. – Adoption
MM. Yves Détraigne, Antoine Lefèvre, Charles Gautier, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Adoption de la proposition de loi.
MM. Pierre Fauchon, Michel Billout, Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
21. Débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 mars 2010
MM. Richard Yung, Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
MM. Aymeri de Montesquiou, le secrétaire d'État.
MM. Jean Bizet, le secrétaire d'État.
Mme Annie David, M. le secrétaire d'État.
MM. Pierre Fauchon, le secrétaire d'État.
MM. Roland Ries, le secrétaire d'État.
MM. Jacques Blanc, le secrétaire d'État.
MM. François Marc, le secrétaire d'État.
Mme Marie-Thérèse Bruguière, M. le secrétaire d'État.
M. le secrétaire d'État.
22. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Jean-Noël Guérini.
1
Procès-verbal
M. le président. Le procès-verbal de la séance du 25 février 2010 a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Modification de l'ordre du jour
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 775 de Mme Michelle Demessine est retirée de l’ordre du jour de la présente séance et remplacée par la question orale n° 863 du même auteur.
3
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
état de la prison du camp est en nouvelle-calédonie
M. le président. La parole est à M. Simon Loueckhote, auteur de la question n° 789, adressée à Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
M. Simon Loueckhote. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ma question concerne la prison de Nouvelle-Calédonie.
Depuis les événements relatifs aux évasions à répétition de notre établissement pénitentiaire, qui ont défrayé la chronique et ont valu le rappel en France du directeur et de son adjoint, le Camp Est semble désormais faire l’objet de toutes les attentions.
J’en veux pour preuve les engagements de janvier dernier de Mme le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, en matière d’investissement pour réaliser d’urgence des travaux de rénovation et de sécurisation, pour construire un centre pour peines aménagées et ouvrir 23 postes supplémentaires de surveillant.
J’ai pris acte de ces mesures et l’en remercie au nom de la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, deux mois après cette annonce, je souhaiterais connaître l’état d’avancement de ces dernières.
Par ailleurs, il est un aspect qui, nous semble-t-il, n’a pas été encore suffisamment pris en considération : je veux parler de l’aspect social, de la formation des hommes à l’évolution de la société carcérale et de l’accompagnement des détenus dans la prison comme dans leur future réinsertion.
Enfin, l’article L. 381-30-2 du code de la sécurité sociale, créé par la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, prévoit l’affiliation obligatoire des détenus aux assurances maladie et maternité du régime général à compter de leur incarcération, donnant droit, à ce titre, aux prestations en nature pour les membres de leur famille, ainsi qu’une redevance par l’État d’une cotisation pour chaque détenu affilié. Or ce texte ne s’applique pas en Nouvelle-Calédonie.
Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous faire connaître votre position sur ces différents points ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le sénateur, je ne puis pour l’instant apporter une réponse précise à votre question relative à l’application du régime général de l’assurance maladie et maternité en Nouvelle-Calédonie, mais je ne manquerai pas de vous la faire parvenir par écrit, au nom de Mme le garde des sceaux.
Je ne reprendrai pas tous les points que vous avez évoqués, car nous avons déjà apporté dans un courrier adressé à Mme Penchard, ministre chargée de l’outre-mer, le 10 décembre dernier, quelques éléments de réponse, auxquels vous avez d’ailleurs fait allusion.
Concernant l’amélioration des conditions de détention, nous avons effectivement décidé de construire un centre pour peines aménagées d’une capacité de 80 places, qui sera livré au cours de l’année 2012.
Avec la réalisation d’un quartier pour mineurs de 18 places qui devraient être disponibles avant la fin du premier trimestre 2010, soit très prochainement, la capacité de l’établissement passera de 192 places à 290 places.
Par ailleurs, des efforts sont déployés pour achever, à la fin du premier semestre, l’accès à la téléphonie pour les personnes détenues.
Concernant la politique de réinsertion, sur laquelle vous avez insisté, monsieur le sénateur, 124 aménagements de peine ont été accordés en 2009 : 51 semi-libertés, 42 placements à l’extérieur et 31 libérations conditionnelles.
Le développement des aménagements de peines alternatives à la détention est également en cours, répondant en cela à la volonté politique affichée dans le cadre de la loi pénitentiaire. Il concerne notamment le placement extérieur et la semi-liberté ; ce volet sera complété, au cours de ce trimestre, par la mise en œuvre du placement sous surveillance électronique, par le biais des fameux bracelets électroniques. Ces mesures permettront donc d’améliorer la situation d’un certain nombre de personnes.
En outre, s’agissant de l’établissement actuel, nous avons également décidé d’entreprendre des travaux importants pour un coût de près de 1,5 million d’euros afin de procéder à la rénovation des sanitaires et du réseau électrique, à la réfection des toitures du greffe et de la salle de classe, ainsi qu’à la mise aux normes du mobilier. Bref, nous améliorons les conditions de vie des détenus et les conditions de travail des personnels.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué des évasions à répétition. Sachez que la sécurisation du site représente également un objectif prioritaire. Une nouvelle enceinte est en cours de réalisation, et les travaux d’éclairage de la périmétrie, d’installation de la vidéo-surveillance, de détection périmétrique et de sécurisation électrique seront achevés dans les prochaines semaines. De nouveaux postes protégés seront réalisés pour renforcer le contrôle des flux et la sûreté de l’établissement, et ce dans les délais prévus.
Au demeurant, nous avons demandé à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, l’APIJ, d’étudier la faisabilité d’une opération de restructuration lourde prévoyant notamment le doublement des places disponibles. L’Agence devrait rapidement se rendre sur place, si ce n’est déjà fait, pour étudier ce projet au regard du foncier disponible. En tout état de cause, les résultats de son expertise seront connus avant la fin du présent semestre.
Je ne reviendrai pas sur les moyens humains, car vous les avez vous-même rappelés. Nous avons effectivement renforcé de manière importante l’effectif des surveillants, gradés et officiers. De plus, pour pallier les vacances fonctionnelles, des agents originaires de Nouvelle-Calédonie ont obtenu leur mutation.
Enfin, je vous informe que la Chancellerie a demandé qu’une mission soit diligentée sur le site. Celle-ci a été réalisée les 15 et 16 janvier dernier par l’état-major de sécurité, qui a rejoint le chef de la mission outre-mer alors déjà sur place, et a donné lieu à l’établissement d’un rapport portant diagnostic sur la situation de l’établissement, rapport dont les préconisations sont actuellement en cours de finalisation.
Pour répondre clairement à votre question, il existe bel et bien un réel suivi sur le terrain.
Tels sont les éléments de réponse que je puis vous apporter, monsieur le sénateur.
galileo et politique spatiale du gouvernement
M. le président. La parole est à M. Bertrand Auban, auteur de la question n° 782, transmise à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Bertrand Auban. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur le programme européen de localisation par satellite Galileo.
Il avait été promis que Toulouse serait le centre de ce programme, toutes les décisions politiques devant être prises au siège de la concession Galileo à Toulouse. Or, trois ans plus tard, la Commission européenne a décidé de reprendre le dossier Galileo en lieu et place des grands industriels du secteur spatial.
Ainsi, Astrium, filiale spatiale d’EADS, et Thales Alenia Space, deux entreprises très implantées à Toulouse, risquent de ne pas obtenir autant que prévu sur ce programme de plus de 3,4 milliards d’euros.
Déjà, au début du mois de janvier dernier, la Commission européenne a attribué une première tranche de quatorze satellites à une PME allemande au détriment d’Astrium.
Dans une conjoncture très inquiétante du marché de l’emploi et dans une situation d’affaiblissement du tissu industriel français, je demande au Gouvernement d’agir vigoureusement pour que nos entreprises puissent prétendre assurer une part importante du programme Galileo. Quelles mesures de politique industrielle le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre à cette fin ?
Plus généralement, monsieur le secrétaire d'État, j’aimerais connaître la stratégie industrielle du Gouvernement dans le domaine spatial.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Connaissant bien ce dossier, monsieur Auban, vous savez bien que, en 2008, après l’échec des laborieuses négociations avec le secteur privé en vue d’une exploitation fondée sur une concession dont le siège était effectivement prévu à Toulouse, la France a vigoureusement soutenu la Commission européenne dans ses négociations avec le Parlement européen afin d’aboutir à un nouveau règlement plaçant le programme sous le contrôle de la Communauté européenne et prévoyant le financement, en totalité, de sa phase de déploiement par les fonds communautaires.
Même si des difficultés subsistent, cette modification en profondeur de la gouvernance du programme a été essentielle au redémarrage de ce dernier sur des bases beaucoup plus saines.
Depuis, le programme Galileo est entré dans sa phase de déploiement ; il devrait être en mesure d’offrir des services opérationnels dès 2013. Trois des six lots du programme ont déjà fait l’objet d’un contrat entre la Commission et des industriels ; les trois autres devraient être conclus rapidement cette année.
L’implantation des deux centres de sécurité a été décidée au début de 2010 ; l’un d’entre eux sera installé à Saint-Germain-en-Laye. L’année 2010 devrait également voir aboutir le choix de la localisation du siège de l’Autorité européenne de supervision du programme Galileo, la GSA.
L’industrie française a largement contribué à ce programme, puisque, au cours de sa première phase, elle a obtenu 16,6 % des financements réservés aux contrats industriels, soit un taux conforme à celui de la participation de la France à l’enveloppe Galileo de l’European Space Agency, l’ESA, et à son poids dans le produit national brut européen.
Ce taux a même progressé dans la phase de déploiement actuellement en cours, l’industrie française ayant remporté, en valeur, 22 % des contrats. Ce niveau important de participation de l’industrie française devrait pouvoir se maintenir dans le cadre de l’attribution des contrats à venir pour les trois autres lots de cette phase.
Ce programme n’est toutefois qu’un des aspects de la stratégie spatiale de la France, stratégie dynamique et volontariste, comme le démontrent trois événements récents.
Le premier est la contribution déterminante de la France lors du conseil ministériel de l’ESA qui s’est tenu à la Haye fin novembre 2008 pour poursuivre plusieurs programmes et en démarrer de nouveaux en dépit de la crise économique.
Le deuxième événement est l’inscription de 500 millions d’euros consacrés à des projets spatiaux, dont la maîtrise d’ouvrage sera confiée au Centre national d’études spatiales, le CNES, dans le cadre du grand emprunt, afin de préserver le leadership européen de la France dans le secteur spatial. Ces crédits serviront en particulier à la mise au point de la nouvelle fusée Ariane 6 et à l’amélioration technologique de nos satellites.
Enfin, le troisième événement est l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui dote l’Union européenne d’une compétence partagée dans le domaine spatial. Cela témoigne de la montée en puissance de l’Union européenne dans ce secteur et met le spatial en bonne position dans la perspective de la prochaine période financière de l’Union européenne, à savoir 2014-2020.
La France a constamment promu et soutenu la volonté de l’Union européenne de s’impliquer dans ce domaine stratégique. Les industries implantées à Toulouse ne manqueront pas de bénéficier de retombées positives, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Bertrand Auban.
M. Bertrand Auban. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai écouté votre réponse avec beaucoup d’attention.
Quoi qu’il en soit, les autorités gouvernementales, par la voix de M. Douste-Blazy, alors ministre des affaires étrangères et maire de Toulouse, avaient à l’époque promis que le siège de la concession Galileo serait à Toulouse.
Galileo est un formidable projet porté par la communauté scientifique locale, avec un savoir-faire éprouvé de ses équipes de recherche et de techniciens, et soutenu par toutes les collectivités territoriales et locales.
Je ne peux que mettre en doute le choix de Saint-Germain-en-Laye, ville peu réputée dans le domaine aéronautique et spatial, m’interroger sur les vraies raisons de cette décision et m’inquiéter de ses répercussions sur la crédibilité de notre pays dans la gestion de ce dossier majeur de la politique spatiale européenne et française.
traitement d'eau de baignade par filtration biologique
M. le président. La parole est à M. Claude Haut, auteur de la question n° 787, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.
M. Claude Haut. Madame la ministre de la santé et des sports, je voudrais attirer votre attention sur les nombreuses collectivités qui veulent développer le traitement d’eau de baignade par filtration biologique. Ce traitement d’épuration de l’eau biologique et bactériologique offre une alternative intéressante au traitement chimique traditionnel.
L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, l’AFSSET, a été saisie le 22 décembre 2006 par votre ministère et par le ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer afin d’évaluer les risques sanitaires liés notamment aux baignades à traitement par filtration biologique.
L’AFSSET a rendu son expertise en juillet 2009 ; les porteurs de projet de ce type de baignade sont dans l’attente de la décision concernant ce procédé de traitement et des normes et préconisations auxquelles ils vont se soumettre.
La communauté de communes du Pays d’Apt, la CCPA, dans le Vaucluse, souhaite développer ce type d’épuration des eaux de baignade et attendent votre décision.
En conséquence, madame la ministre, quelles dispositions allez-vous arrêter concernant ce dossier et dans quels délais ? Cette communauté de communes ne pourrait-elle pas obtenir une dérogation dans les limites d’une étude expérimentale ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu appeler mon attention sur les baignades artificielles, en particulier celles qui disposent d’un traitement par filtration biologique.
Comme vous l’avez signalé, ce nouveau procédé a fait l’objet d’expérimentations en France, mais celles-ci ne sont aujourd’hui régies par aucune règle sanitaire.
Ces baignades sont néanmoins soumises à déclaration auprès de la mairie du lieu d’implantation. La personne responsable d’une baignade artificielle est également tenue de surveiller la qualité de l’eau et d’informer le public des résultats de cette surveillance.
Mes services ont étudié avec attention le dossier déposé par la communauté de communes du Pays d’Apt, qui, en effet, sollicite une autorisation d’ouverture à titre expérimental.
Il est important de préciser qu’il n’est pas prévu d’intégrer à la réglementation française une procédure d’autorisation à titre expérimental. En revanche, de nouvelles mesures réglementaires sont en cours d’élaboration pour encadrer ces nouveaux dispositifs.
J’ai saisi l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail afin que les risques sanitaires associés à ce nouveau type de baignades soient évalués et que des prescriptions techniques adaptées soient intégrées dans la réglementation.
En juillet 2009, l’AFSSET a publié ses conclusions, dans lesquelles elle souligne les lacunes actuelles des procédés de traitement par filtration biologique. Elle recommande en conséquence aux concepteurs de tout mettre en œuvre pour mieux comprendre le fonctionnement du système de traitement, notamment la prolifération des bactéries, afin de mieux maîtriser les risques sanitaires.
Sur la base des éléments de ce rapport et après concertation avec les professionnels concernés, les futures dispositions réglementaires devraient paraître en 2010 ; à ce jour, vous comprendrez donc qu’il m’est difficile de vous donner une date plus précise.
Je ne peux pas souscrire à une démarche expérimentale, étant donné les conclusions aussi réservées, sur le plan sanitaire, du rapport de l’AFSSET. Mais en attendant, les collectivités peuvent, pour élaborer leur projet, se référer aux recommandations techniques qui figurent dans ce rapport.
Monsieur le sénateur, soyez assuré que je suis ce dossier avec une particulière attention. Vous aurez des réponses définitives dans quelques semaines, au plus tard dans quelques mois.
M. le président. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
Je souhaitais, par le biais de cette question, connaître le délai dans lequel des réponses techniques très précises pouvaient être obtenues. Aujourd’hui, vous me rassurez en me répondant que ce sera dans le courant de l’année 2010.
Je ferai bien entendu part de votre réponse à cette communauté de communes ; plus tôt les normes seront fixées, mieux ce sera pour elle !
situation de l'imprimerie des timbres-poste et des valeurs fiduciaires située à boulazac, en dordogne
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, auteur de la question n° 748, adressée à M. le ministre chargé de l’industrie.
M. Bernard Cazeau. Madame la secrétaire d’État, je veux attirer votre attention sur les craintes des salariés de l’imprimerie des timbres-poste et des valeurs fiduciaires, ou ITVF, de Boulazac, en Dordogne.
Sur ce site, l’ITVF contrôle, ce qui est unique en Europe, une grande diversité de technologies d’impression, des plus rares, comme la taille-douce, aux plus modernes, telles que l’offset, l’héliogravure et le numérique. L’ITVF a une tradition de qualité qui lui vaut d’être certifiée selon la norme ISO depuis 1995. Enfin, l’usine de Boulazac est dotée d’un système de protection anti-intrusion et d’une organisation interne de surveillance tout à fait pointue. En cela, La Poste dispose d’une unité moderne pour assurer sa mission de production de timbres.
L’ITVF est toujours parvenue à adapter ses effectifs et son organisation pour contrer la baisse sensible et régulière de la consommation de timbres-poste. Elle s’est modernisée, diversifiée, restructurée. Cette entreprise publique a ainsi versé un tribut particulièrement lourd en matière d’emplois, puisque ses effectifs ont été divisés par deux depuis les années quatre-vingt-dix. Elle est aujourd’hui rentable, de même que la filiale de La Poste à laquelle elle est rattachée, Phil@poste.
À l’occasion d’un projet de réorganisation interne, les salariés ont été informés d’une réduction programmée de 20 % des effectifs dans un proche avenir – l’équivalent de cent suppressions d’emplois –, et cela alors que l’activité est soutenue et que le recours à la sous-traitance s’accroît.
Pourquoi des perspectives aussi brutales ? Le changement de statut de La Poste a-t-il à voir avec cette volonté de diminution des effectifs ? Espère-t-on « vendre par appartements » les activités les plus pointues de la société en y réalisant au préalable des gains drastiques de productivité ?
L’inquiétude est là, et les salariés ont besoin d’y voir clair. Je souhaite par conséquent connaître les intentions du Gouvernement en matière de gestion de l’emploi sur le site de Boulazac.
J’aimerais aussi que vous puissiez nous préciser le projet industriel de la direction de La Poste pour ce site, car les réponses que nous obtenons par ailleurs sont particulièrement laconiques.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le sénateur, au nom du Gouvernement, je vous confirme que l’imprimerie des timbres-poste et des valeurs fiduciaires, devenue Phil@poste Boulazac en 2006, est un pôle d’excellence reconnu au-delà de nos frontières, et je suis personnellement bien placée pour le savoir !
Phil@poste est une direction à compétence nationale rattachée à la direction du courrier et chargée de l’ensemble de l’activité philatélique. Elle fabrique deux milliards et demi de timbres Marianne, six cents millions de timbres de collection et trois millions de timbres « collector » ou personnalisés pour un chiffre d’affaires global de 450 millions d’euros en 2009.
L’inquiétude qui est exprimée par les postiers au sujet de leur devenir au sein de l’imprimerie et que vous relayez dans votre question résulte de l’allégement des coûts de structure de 20 % auquel doit procéder l’ensemble des services de la direction du courrier de La Poste, pour faire face à des baisses de volume du courrier très importantes, structurelles et sans précédent.
Je précise que ce plan d’économies ne concerne en aucune façon les services de Phil@poste implantés à Boulazac. Au contraire, cette direction prévoit un plan de modernisation de l’imprimerie en vue d’une plus grande diversification de son activité et d’une intégration du numérique, afin de préparer une nouvelle étape de développement de la philatélie.
Ce plan permettra notamment d’augmenter la part des timbres personnalisés pour répondre à la demande croissante des clients. De nouveaux investissements permettront également de conforter l’imprimerie, en respectant les meilleurs standards de qualité et de performance.
La stratégie de Phil@poste, présentée aux équipes de l’imprimerie le 12 novembre 2009 par sa directrice, comporte un volet industriel ayant notamment pour objectif de permettre à l’établissement de Boulazac de se hisser aux niveaux de sécurité les plus performants sur le marché mondial.
Le nouveau directeur de l’imprimerie, nommé en janvier 2010 sur ce projet industriel, poursuit l’objectif de consolider cet outil industriel en associant à la réflexion l’ensemble des cadres et des personnels de Phil@poste et en intégrant les meilleures pratiques dans ce domaine.
Confiante dans l’avenir de ce projet qui contribuera à l’évolution du développement industriel de la Dordogne, sa directrice a plusieurs fois rencontré les organisations professionnelles et reste particulièrement attentive au climat social au sein de l’établissement. Avec le management local, elle s’est rapprochée du délégué régional, qui est l’interlocuteur privilégié des élus concernés et qui suit ces évolutions avec attention. L’ensemble de ces personnels de La Poste est bien entendu à votre disposition, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, même si cette dernière me semble très optimiste par rapport à ce que nous savons du dossier.
Espérons que les mesures prévues n’affecteront pas les industries extrêmement compétentes du timbre et de La Poste. Il serait en effet dommage que les timbres et les différentes techniques employées dans cet établissement, qui contribuent au rayonnement de la France à l’étranger, pâtissent de cette évolution. Nous resterons donc vigilants en la matière, afin que les mesures de restructuration que vous venez d’évoquer n’affectent pas notre production de timbres.
transparence des pratiques tarifaires des syndics professionnels
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteur de la question n° 753, adressée à M. le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, ma question, qui s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, porte sur les problèmes de copropriété, et plus particulièrement sur les pratiques tarifaires des syndics professionnels.
La copropriété concerne aujourd’hui 8 millions de logements, regroupant 21 millions de personnes, dont 40 % de ménages modestes. Les charges, en constante hausse, constituent l’une des principales problématiques pour les copropriétaires, en raison, notamment, des pratiques tarifaires des syndics professionnels. Force est de constater la généralisation de pratiques opaques et abusives de la part de nombreux syndics, qui décrédibilisent un mode de propriété pourtant censé être plus accessible.
Ces dérives ont d’ailleurs été constatées et fustigées dans un avis du Conseil national de la consommation, le CNC, rendu le 27 septembre 2007, relatif à l’amélioration de la transparence tarifaire des prestations des syndics de copropriété. Celui-ci prévoyait l’encadrement de la profession de syndic par un arrêté ministériel, après évaluation de l’application de cet avis par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, avant le 31 décembre 2008. Selon l’administration, 92 % des syndics respectaient intégralement, au début de l’année 2009, l’avis du CNC. Cependant, quatre enquêtes menées parallèlement démontraient que le respect de cet avis ne concernait que 60 % des syndics.
Voilà quelques mois, l’association des responsables de copropriété a lancé une nouvelle étude, dont le résultat est très éloigné de celui de la DGCCRF : le taux de non-conformité atteindrait de 50 % à 67 %, alors que la DGCCRF avançait le chiffre de 8 %. Ainsi, les différents résultats contredisent tous l’étude menée par la DGCCRF.
Madame la secrétaire d’État, à ce jour, l’arrêté n’a toujours pas été pris. Dernièrement, j’ai appris qu’une réunion avait eu lieu en février pour convenir d’un projet d’arrêté. Il m’a été rapporté que celui-ci ne refléterait pas l’avis majoritaire des « consommateurs » et usagers. Il ne reprendrait aucune des principales demandes formulées par la majorité des organisations de consommateurs et de copropriétaires et ne réglerait pas les problèmes de surfacturation.
En effet, selon ce projet, les syndics continueraient à facturer, outre les honoraires de base, la tenue des assemblées générales, des frais de tirage trop souvent abusifs, des forfaits supplémentaires injustifiés et excessifs, ainsi que des frais « privatifs » obligatoires et arbitraires.
Madame la secrétaire d’État, depuis plusieurs années, les mauvaises pratiques tarifaires des syndics professionnels sont dénoncées non seulement par de nombreuses associations et organisations de consommateurs et de copropriétaires, mais aussi par les médias. Malheureusement, le problème n’est toujours pas résolu ! Pouvez-vous m’informer de l’évolution du projet d’arrêté relatif aux contrats de syndic ? Celui-ci reprend-il les principales demandes formulées par les organisations de consommateurs et de copropriétaires ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Madame le sénateur, Hervé Novelli a signé vendredi dernier – c’est donc tout à fait récent – l’arrêté qui fait l’objet de votre question. Je souhaite cependant rappeler le contexte dans lequel il s’inscrit.
Vous l’avez souligné, le Conseil national de la consommation a émis, le 27 septembre 2007, un avis proposant une liste de quarante-quatre prestations relevant de la gestion courante confiée aux syndics de copropriété. Ces recommandations devaient rendre plus lisibles les contrats de syndic et faciliter la comparaison entre les différentes prestations proposées.
Par ailleurs, ainsi que vous l’avez indiqué, Hervé Novelli a demandé à la DGCCRF de réaliser une enquête durant l’année 2008, afin de vérifier l’application de l’avis du CNC pour les contrats renouvelés au cours de l’année. Celle-ci a mis en évidence une application satisfaisante des recommandations du CNC, mais également des marges d’interprétation de certaines rubriques de la recommandation.
Lors des Assises de la consommation qui se sont tenues le 26 octobre 2009, Hervé Novelli a annoncé sa décision de fixer par arrêté la liste des prestations de syndic devant être au minimum couvertes par le forfait annuel payé par les copropriétaires.
Comme je l’ai annoncé, Hervé Novelli a signé l’arrêté « syndics de copropriété » vendredi dernier. Ce dernier reprend la liste des prestations de gestion courante recommandée par le CNC, assortie de précisions sur certains postes de dépenses, afin d’exclure tout risque d’interprétations divergentes.
Les aménagements du projet de texte sont issus d’une consultation approfondie des deux rapporteurs du groupe de travail du CNC et d’une consultation écrite des associations de consommateurs et des organisations professionnelles représentées au CNC.
Cet arrêté permettra de rétablir la confiance des consommateurs envers leur syndic. Pour autant, il ne s’agit pas de pénaliser les nombreux syndics qui ont fait des efforts et respectent déjà l’avis du CNC. Tous les nouveaux contrats signés après le 1er juillet 2010 devront être conformes à cet arrêté.
Par ailleurs, Hervé Novelli a saisi la Commission des clauses abusives, afin de faire la lumière sur le caractère abusif ou non de l’ensemble des clauses figurant dans les contrats de syndic, et notamment l’articulation entre prestations de gestion courante et prestations particulières.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la secrétaire d’État, je tiens à remercier M. Novelli d’avoir signé cet arrêté. J’espère donc que les consommateurs bénéficieront désormais de toute la transparence souhaitable en ce domaine.
reconduction du dispositif allocation équivalent retraite
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, auteur de la question n° 773, adressée à M. le secrétaire d'État chargé de l'emploi.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà maintenant plus d’un an et demi, j’ai alerté le Gouvernement sur la situation dramatique des bénéficiaires de l’allocation équivalent retraite, l’AER, supprimée par le Gouvernement en 2008 et rétablie sous la pression en 2009, dans des conditions d’incertitude très difficiles pour les allocataires, lesquels ont pu perdre jusqu’à 600 euros par mois.
Le 15 février dernier, Laurent Wauquiez a annoncé, sans autre précision, la reconduction exceptionnelle de l’allocation équivalent retraite. On compte aujourd’hui 45 000 bénéficiaires de l’AER, dont les familles sont aujourd’hui dépendantes des conditions de mise en œuvre de cette allocation. Les agents de Pôle emploi, dont la charge de travail est déjà très lourde, devront aider dans l’urgence ces personnes à monter leur dossier, sans savoir si la mesure sera rétroactive et sans connaître véritablement les conditions d’obtention de l’AER. Vous en conviendrez avec moi, madame la secrétaire d’État, rien n’est clair !
Depuis plus d’un an et demi, de très nombreuses familles vivent avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête. C’est bien le Gouvernement qui tient le glaive dans cette affaire. Je vous demande donc instamment, madame la secrétaire d’État, de tranquilliser ces familles et d’apporter un peu de sérénité aux agents de Pôle emploi.
Mes questions seront extrêmement précises. Quand comptez-vous publier le décret de prolongation de l’AER ? Pouvez-vous me confirmer que cette prolongation se fera dans les mêmes conditions qu’en 2009 et que le nombre de trimestres concernés sera identique ? Avez-vous l’intention de prolonger ce dispositif jusqu’à la fin de l’année 2011 ? Avez-vous diligenté une enquête pour comprendre les raisons pour lesquelles autant de personnes, croyant de toute bonne foi pouvoir bénéficier de l’AER, ont adhéré, en 2008, à des plans de départ volontaire ?
Vous le savez, la manifestation qui se déroulera cet après-midi réunira la plupart des 45 000 personnes que je viens d’évoquer, lesquelles ne savent pas si elles pourront, demain, recevoir une retraite décente des services sociaux.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le sénateur, au nom de mon collègue Laurent Wauquiez, je vous rappelle que, conformément à votre souhait, le Président de la République a annoncé, dans le cadre de la conférence de l’agenda social, la prorogation en 2010 de l’allocation équivalent retraite, qui garantit aux demandeurs d’emploi un niveau de ressources minimum, revalorisé chaque année, jusqu’au moment de la liquidation de leur retraite.
Cette allocation, versée sous conditions de ressources, se substitue à un revenu de remplacement – allocation de solidarité spécifique ou RSA – ou peut être versée après expiration d’une allocation de chômage. Elle peut également compléter une allocation de chômage d’un faible montant, et est alors dénommée « AER de complément ».
Au cours de l’année dernière, marquée par une période exceptionnelle de crise, le Gouvernement avait décidé, en accord avec les partenaires sociaux, de prolonger cette allocation pour 2009. L’incidence de la crise mondiale continuant malheureusement à peser sur le marché de l’emploi, le Gouvernement a souhaité reconduire cette allocation pour l’année 2010. Cette mesure de justice sociale permet également d’apporter une réponse aux demandeurs d’emploi en fin de droits à l’assurance chômage.
Un décret est actuellement en cours de signature pour prolonger de manière exceptionnelle jusqu’au 31 décembre 2010 la possibilité accordée aux demandeurs d’emploi de bénéficier de cette allocation.
Ainsi, de nouvelles ouvertures de droits pourront être attribuées dès lors que la demande sera déposée avant le 31 décembre 2010 et que le demandeur d’emploi remplira les critères d’attributions suivants : être demandeur d’emploi, être âgé de moins de soixante ans, disposer de ressources inférieures à un plafond déterminé, justifier d’une durée d’assurance vieillesse au moins égale à 161 trimestres.
M. Laurent Wauquiez a demandé au directeur général de Pôle emploi de prendre les mesures nécessaires pour que les personnes concernées puissent bénéficier très rapidement de cette allocation.
Dans le même temps, le Gouvernement est toujours très déterminé quant à l’emploi des seniors, qui ne doivent plus être considérés comme la variable d’ajustement de nos politiques de l’emploi. Vous le savez, des mesures ont été prises pour favoriser leur maintien dans l’emploi, avec notamment l’obligation pour toutes les branches et les entreprises de plus de 300 salariés de négocier des accords sur l’emploi des seniors.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Selon moi, celles et ceux qui ont travaillé toute une vie ne doivent pas perdre leur allocation sous prétexte que les seniors font désormais l’objet d’une politique d’emploi ! Ces personnes sont souvent victimes de plans sociaux qui ne disent pas leur nom, et sont parfois contraintes de quitter leur entreprise.
La suppression de l’AER ne pouvait être envisagée que dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique en faveur des seniors. Mais on a mis la charrue devant les bœufs : en supprimant l’AER, on fait porter le fardeau à celles et ceux qui subissent une politique visant à les exclure de l’entreprise.
Je le rappelle, ces personnes se sont vu préciser, parfois de façon écrite, qu’elles toucheraient l’allocation équivalent retraite.
Votre intervention, madame la secrétaire d’État, ne répond qu’en partie à mes préoccupations, puisque vous n’avez pas abordé la question de la rétroactivité. Celles et ceux qui n’ont pas reçu cette allocation au cours des derniers mois doivent pouvoir bénéficier d’une mesure rétroactive. Il est également essentiel que le décret soit publié le plus rapidement possible afin que les agents de Pôle emploi puissent travailler en toute sérénité. En effet, les 45 000 personnes concernées, compte tenu de la grande précarité dans laquelle elles se trouvent, se tournent fort justement vers cet organisme. La publication de ce décret est donc urgente.
marchés de définition et arrêt de la cour de justice de l'union européenne du 10 décembre 2009
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, en remplacement de M. Daniel Raoul, auteur de la question n° 780, adressée à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
M. Claude Bérit-Débat. Madame la secrétaire d'État, je me fais l’interprète de mon collègue Daniel Raoul, qui souhaite attirer l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur l’avenir des marchés de définition à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 décembre 2009.
Le code des marchés publics, notamment son article 73 et le IV de son article 74, traite de la procédure dite des « marchés de définition ». Cette procédure permet, dans les cas où un projet ne peut faire l’objet d’un programme précis déterminé à l’avance, d’explorer les possibilités et les conditions d’établissement d’un marché ultérieur. Pour ce faire, l’article 73 dispose ceci : « dans le cadre d’une procédure unique, les prestations d’exécution faisant suite à plusieurs marchés de définition ayant un même objet et exécutés simultanément, sont attribuées après remise en concurrence des seuls titulaires des marchés de définition […] ».
Le travail simultané sur le programme et sa formalisation urbaine ou architecturale, un dialogue soutenu entre maître d’ouvrage et maîtres d’œuvre, très en amont, et une appropriation collective du projet sont les atouts essentiels de cette procédure. Celle-ci est particulièrement utile en matière d’urbanisme, car elle permet d’aborder le fait urbain dans sa complexité et de définir la programmation urbaine dans un processus itératif mieux adapté qu’aucune autre procédure.
Or cette procédure vient d’être condamnée par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 décembre 2009. Les motifs de cette condamnation sont exposés dans l’arrêt : « […] Dans la mesure où ces dispositions prévoient une procédure de marché de définition qui permet à un pouvoir adjudicateur d’attribuer un marché d’exécution à l’un des titulaires des marchés de définition initiaux avec mise en concurrence limitée à ces titulaires, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 28 de la directive 2004/18/CE. »
Observons que c’est le fait de limiter le marché d’exécution ultérieur aux seuls titulaires du marché d’études antérieur qui est condamné ; le principe consistant à faire conduire plusieurs études simultanées sur le même objet en vue d’approfondir le programme urbain en concertation étroite avec le maître d’ouvrage n’est en aucun cas dénoncé.
De nombreuses études sont aujourd’hui lancées, mobilisant des moyens importants. Or nous sommes aujourd’hui dans l’ignorance de l’effet de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur les procédures en cours qui ont été engagées sur la base du droit existant.
Aussi, mon collègue Daniel Raoul demande tout d’abord comment les dispositifs engagés et ceux d’exécution ultérieurs pourront être conduits à leur terme. En ce qui concerne les marchés d’exécution ultérieurs, les procédures engagées l’ont été sur la base de la perspective de la réalisation de cette deuxième phase ; ne pas les autoriser troublerait significativement l’équilibre économique de la démarche entreprise par les candidats.
Ensuite, mon collègue demande, au cas où des adaptations de règles seraient nécessaires, dans quelle mesure des « passerelles » légales pourraient être introduites rapidement afin de ne pas interrompre les procédures en cours et de permettre de transférer les procédures engagées.
Enfin, il souhaite savoir quelle procédure permettra de remplacer le dispositif des « marchés de définition », et à partir de quand. (M. Daniel Raoul entre dans l’hémicycle.)
Daniel Raoul venant à l’instant de nous rejoindre dans cet hémicycle, il aura tout loisir de prendre la parole dès après que Mme la secrétaire d'État lui aura répondu. (M. Daniel Raoul acquiesce.)
M. le président. Monsieur Raoul, compte tenu de la concision de certaines interventions, nous avions un peu d’avance sur notre horaire, et c’est pourquoi M. Claude Bérit-Débat s’est fait votre interprète. Mais vous pourrez bien sûr intervenir en réponse à Mme la ministre.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. M. Bérit-Débat s’est fait l’interprète de M. Raoul. Pour ma part, monsieur le sénateur, j’agirai de même pour ma collègue Christine Lagarde. (Sourires.)
Comme vous l’avez rappelé, par un arrêt du 10 décembre 2009, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné la procédure des marchés de définition prévue à l’article 73 et au IV de l’article 74 du code des marchés publics. Vous avez souligné tout l’intérêt de cette procédure organisée en deux temps : à des marchés de définition succédait un marché d’exécution, qui pouvait être, par exemple, un marché de maîtrise d’œuvre.
Afin de mettre le code des marchés publics en conformité avec la décision de la Cour et de se conformer aux obligations communautaires, cette procédure particulière sera abrogée dans un décret à paraître prochainement.
Quelles sont les conséquences de cette décision sur les contrats passés actuellement sur le fondement de ce dispositif ?
Les marchés de définition et d’exécution attribués avant l’arrêt de la Cour ne sont évidemment pas remis en cause si leur exécution est achevée. Si le marché de définition est achevé, tandis que le marché d’exécution n’a pas encore commencé, une mise en concurrence élargie à d’autres soumissionnaires que les titulaires des marchés de définition initiaux doit être organisée. L’équilibre économique de la procédure ne sera pas bouleversé si les clauses du marché de définition ont prévu le transfert de la propriété intellectuelle de la « définition » du projet à l’acheteur public.
Si le marché de définition ou le marché d’exécution est en cours, la nécessaire stabilité des relations contractuelles et le principe de loyauté que se doivent les parties à un contrat administratif leur interdit de se prévaloir de la décision de la Cour de justice pour tenter d’obtenir la nullité du contrat. En revanche, les personnes publiques sont tenues, pour se conformer à la décision de la Cour de justice, de procéder à la résiliation des marchés d’exécution en cours. À défaut, la France serait exposée à une nouvelle condamnation par la Cour, comme ont été condamnés d’autres pays avant elle.
Le Gouvernement est toutefois très conscient des difficultés pratiques que peut soulever une telle solution, notamment si le marché est en voie d’achèvement. Afin d’y remédier au cas par cas, Christine Lagarde invite les acheteurs publics à saisir la direction des affaires juridiques de Bercy de toute difficulté rencontrée.
Si, depuis l’arrêt de la Cour, les acheteurs publics ne peuvent plus avoir recours à l’article 73 du code des marchés publics, d’autres procédures sont utilisables. Il leur est ainsi possible de conclure plusieurs marchés d’étude, puis de lancer une seconde procédure permettant l’attribution d’un marché ultérieur, conformément aux règles de droit commun prévues par le code des marchés publics.
Le Gouvernement réfléchit actuellement à l’opportunité d’adapter les instruments juridiques existants, afin de répondre aux besoins spécifiques auxquels permettait de répondre la procédure des marchés de définition, désormais interdite, et dont vous avez fort justement souligné tout l’intérêt, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Madame la secrétaire d’État, l’arrêt rendu en décembre 2009 par la CJUE fait suite à un rappel à l’ordre qu’avait reçu la France au sujet de l’article 73 du code des marchés publics, relatif aux marchés de définition. Aussi, ce problème aurait dû être réglé voilà pratiquement deux ans.
Les collectivités territoriales qui ont engagé des concours de marché de définition se retrouvent confrontées à une grande insécurité juridique. Madame la secrétaire d'État, vous dites que la solution consistera à élargir l’appel d’offres. Certes, mais cela n’est pas entièrement satisfaisant dans la mesure où l’adjudicataire du marché de définition pourrait se trouver exclu, alors même qu’il aurait défini le cahier des charges.
Je ne suis pas certain que la direction des affaires juridiques de Bercy soit à même de trouver une solution simple.
Madame la secrétaire d'État, vous affirmez que les acheteurs publics peuvent d’ores et déjà recourir à d’autres procédures en lieu et place des marchés de définition. Certes, mais à une époque où il est beaucoup question de simplification, je ne suis pas certain que ce soit la bonne voie pour simplifier ce concept en matière urbanistique.
Je pense en particulier à l’appropriation des berges de la Maine, à Angers, vaste chantier pour lequel les collectivités territoriales sont pour l’heure dans l’incapacité totale de définir un programme sur le modèle de ce qui est requis dans le cadre d’un appel d’offres classique.
Seul un marché de définition, parce qu’il fait concourir plusieurs cabinets d’architectes – et je prends au hasard l’exemple du Grand Paris (Sourires.) –, peut éclairer le maître d’ouvrage sur son projet.
L’incertitude qui pèse sur les marchés d’exécution en cours place les collectivités territoriales dans une grande insécurité juridique. Vous avez beau affirmer, madame la secrétaire d'État, que l’équilibre économique de la procédure ne sera pas bouleversé si les clauses du marché de définition ont prévu le transfert de la propriété intellectuelle de la « définition » du projet à l’acheteur public, je crains que la situation des collectivités territoriales ne demeure très inconfortable sur le plan juridique.
M. le président. Mes chers collègues, dans l’attente de l’arrivée de M. le ministre de la culture et de la communication, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures vingt-cinq, est reprise à dix heures trente.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, auteur de la question n° 762, adressée à M. le ministre de la culture et de la communication.
M. Claude Bérit-Débat. Moussu lou ministré, que poudeyri m’adressa à bous en biarnes ou en occitan, ûe lénga que aymi parla e douc soy amourous més que boy lo hà en francés per respect pour lou gouvernament e pour lou parlamén.
Monsieur le ministre, depuis 2008, la Constitution reconnaît les langues régionales comme faisant partie intégrante du patrimoine de la France. Malgré cela, nous attendons toujours le projet de loi pérennisant leur pratique, promis par le Président de la République. En vain semble t-il, si l’on se réfère aux réponses qui nous ont été fournies jusqu’ici.
Pourtant, la vitalité des langues régionales en France ne se dément pas. Une enquête sociolinguistique réalisée en Aquitaine à la fin de l’année 2008 démontre que 250 000 Aquitains – soit un Périgourdin sur six – parlent occitan. Et surtout, 80 % d’entre eux souhaitent le renforcement de son enseignement à l’école.
Malgré cela, l’État rechigne à mettre en place les solutions adaptées pour pérenniser cet engouement incontestable. Aujourd’hui, 500 élèves occitanistes sont répartis dans trois collèges et lycées périgourdins. Leurs effectifs croissants nécessiteraient une augmentation du nombre de postes d’occitan ouvert au CAPES. Hélas ! les heures de cours, et donc les postes d’enseignant, manquent pour répondre convenablement à cette demande.
Plus largement, les cahiers des charges des radios et des chaînes audiovisuelles publiques devraient comprendre la diffusion, mais aussi la production d’émissions en langue régionale. Les médias devraient en effet être un support davantage utilisé pour promouvoir la diversité culturelle. Or le magazine occitan Punt de Vista, certes diffusé sur France 3 Aquitaine, n’a pu voir le jour que parce qu’il est financé par le conseil régional d’Aquitaine.
Loin d’être anachroniques, les langues régionales sont un facteur d’insertion professionnelle et de cohésion sociale. Ainsi, en Dordogne, une formation assure l’apprentissage de l’occitan aux professionnels en charge de l’accompagnement à domicile ou en établissement pour personnes âgées.
Il est reconnu que, pour les aînés, communiquer dans leur langue maternelle est un moyen efficace de maintenir leur capacité cognitive et retarde le développement de maladies de type Alzheimer. On le voit, la culture vient ici au service de la santé.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous tenir les promesses présidentielles en faveur de langues régionales dont je n’ai pu évoquer les apports qu’à grands traits ? Pouvez-vous me dire comment vous entendez pérenniser l’occitan, le provençal, le basque, le breton, bref, l’ensemble des langues régionales, c’est-à-dire en fait la culture française qui, comme la nation, si elle est unique, n’est pas pour autant uniforme ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, le projet de loi relatif aux langues régionales que le Gouvernement avait envisagé de déposer en mai 2008 était conçu comme un élément au sein d’un dispositif global de développement des langues régionales en France. Il visait en premier lieu à donner une forme institutionnelle au patrimoine linguistique de la nation et, en second lieu, à rassembler dans un même texte des dispositions existantes, mais que leur dispersion rend parfois difficilement accessibles à nos concitoyens.
Or, notre loi fondamentale ayant été modifiée en juillet 2008, le premier objectif a été pleinement atteint puisque le titre XII de la Constitution, consacré aux collectivités territoriales, comporte désormais un article stipulant que « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Comme vous le savez, monsieur le sénateur, la Constitution a une portée supérieure à tout autre texte législatif national.
Par ailleurs, on peut envisager le développement des langues régionales sans avoir nécessairement à légiférer. En effet, l’appareil législatif et réglementaire actuel offre des possibilités qui ne sont pas toujours exploitées. De la signalisation routière à la publication des actes officiels des collectivités territoriales, il y a maintes occasions de manifester un bilinguisme français-langue régionale.
De nombreuses marges de manœuvre existent, qui pourront être utilisées si les collectivités locales, aux côtés de l’État, font valoir pleinement leurs compétences en la matière, comme les y invite le titre XII de la Constitution.
L’État, de son côté, consent d’ores et déjà un effort important en faveur du développement des langues régionales. Je pense au ministère de l’éducation nationale et à son action en matière d’enseignement, mais aussi au ministère de la culture et de la communication, qui soutient les initiatives contribuant à renforcer la création en langues régionales.
Pour ce qui concerne la langue et la culture occitanes en particulier, sur lesquelles vous m’interrogez également, je tiens à vous dire que mon ministère apporte notamment son soutien financier aux productions cinématographiques et audiovisuelles occitanes, à la création théâtrale – Théâtre La Rampe de Montpellier et Centre dramatique occitan de Toulon – ainsi qu’à la publication et à la traduction d’œuvres littéraires représentatives. Il encourage les actions de valorisation menées dans un cadre interrégional, particulièrement adapté à une langue parlée sur une vaste zone, qu’il s’agisse de l’Estivade de Rodez ou du travail de l’Institut d’études occitanes pour la promotion et la socialisation de la langue. Plusieurs programmes font l’objet d’une coopération avec les conseils régionaux et autres collectivités publiques, dont bénéficie par exemple le Centre inter-régional de développement de l’occitan, à Béziers.
D’une manière générale, sont privilégiées les initiatives qui favorisent et diffusent la création occitane dans sa modernité et qui contribuent à conforter sa place dans le paysage culturel de notre pays.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le ministre, les efforts de l’État dans ce domaine me semblent nettement insuffisants.
Vous soutenez qu’il est inutile de légiférer puisque la Constitution mentionne les langues régionales. Ensuite, comme le fait le Gouvernement chaque fois qu’il est interpelé par mes amis occitanistes ou défenseurs des langues régionales, vous dressez un état des lieux de la situation actuelle, affirmant qu’il existe déjà des moyens de promouvoir et de défendre une langue régionale, notamment par le biais de la signalétique. Le maire que j’ai été peut vous dire que ces moyens sont utilisés depuis longtemps. Sans les collectivités locales, rien ne pourrait être fait.
Je souhaite que le Gouvernement dégage des moyens, notamment pour l’apprentissage de la langue régionale. Comme je l’ai indiqué voilà un instant, mon département – pour ne parler que de l’occitan – compte trois lycées et collèges qui accueillent 500 élèves. La demande des jeunes est très forte. Nombre d’entre eux considèrent que l’apprentissage de leur langue maternelle ou paternelle est un moyen de se réapproprier une part de l’histoire de leur région et, au-delà, de la nation tout entière. Parallèlement, 80 % des parents souhaitent qu’un effort soit réalisé dans ce domaine.
Or, le ministère de l’éducation nationale ne fait rien : ni nomination d’enseignants, ni création de postes au CAPES ou d’heures supplémentaires.
Pour vous donner une idée de la disproportion de l’effort consenti par l’État et par les collectivités locales, permettez-moi de rappeler que, au cours de son dernier mandat, le président du conseil régional d’Aquitaine, M. Alain Rousset, a consacré un million d’euros à la promotion de l’occitan, alors que, dans le même temps, l’État ne dépensait que 10 000 ou 20 000 euros.
Il me semble que le ministère de la culture et de la communication devrait accroître la mobilisation des médias, de la télévision. L’émission en occitan Punt de Vista que j’ai mentionnée est entièrement financée par le conseil régional. Sans cet effort, elle n’existerait pas.
Je lance un appel pour que se crée une véritable prise de conscience. Il est bien que les langues régionales soient reconnues dans la Constitution. Encore faut-il leur donner les moyens de vivre, qu’il s’agisse de l’occitan, du basque, du breton, du provençal. Ces langues font la richesse de notre pays et ne portent en rien atteinte à l’unité de la nation.
révision de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 759, adressée à M. le ministre de la culture et de la communication.
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, voilà un peu plus d’un an, le 5 mars 2009, était promulguée la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
Cette loi a profondément modifié le financement de l’audiovisuel public puisqu’elle prévoyait la suppression de la publicité à la télévision après vingt heures, la création d’une taxe de 0,9 % sur les opérateurs de télécommunications électroniques, taxe qui est aujourd’hui contestée devant les instances européennes.
Cette loi a également créé une taxe sur les recettes publicitaires des chaînes de télévision et institué un relèvement de la redevance audiovisuelle, rebaptisée « contribution à l’audiovisuel public ». Cette augmentation, de deux euros, a été votée à la quasi-unanimité de notre assemblée.
Lors des débats au Parlement, nous avions déposé plusieurs amendements qui visaient à accroître le produit de la redevance sans en augmenter davantage le montant. Nous avions ainsi suggéré que, dès lors qu’un contribuable possède plusieurs résidences secondaires équipées d’un téléviseur, il acquitte une deuxième redevance, dans la limite d’une redevance et demie par foyer fiscal. Ce n’est en effet que depuis 2005 qu’une seule redevance par foyer est due. Selon la commission Copé, cette mesure aurait rapporté 116 millions d’euros.
Nous avions également suggéré que la redevance puisse s’appliquer à tous les terminaux pouvant recevoir la télévision, y compris les ordinateurs, sous réserve que leurs détenteurs ne soient pas déjà assujettis à la redevance au titre de la possession d’un téléviseur.
À la demande du Gouvernement, nous avions retiré ces amendements, car on nous avait indiqué – par la voix, me semble-t-il, de M. le Premier ministre – qu’un groupe de travail allait être créé dans les meilleurs délais pour réfléchir à la modernisation de la redevance.
Aujourd’hui, c’est-à-dire un an plus tard, force est de constater que ce groupe de travail n’a pas été créé. Monsieur le ministre, pourriez-vous m’indiquer les raisons pour lesquelles cet engagement n’a pas été tenu ? Le Gouvernement envisage-t-il de créer enfin ce groupe de travail et, dans l’affirmative, dans quels délais ? D’une manière plus générale, où en est le Gouvernement dans sa réflexion sur le financement de l’audiovisuel public ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur Maurey, la volonté du Sénat de garantir un financement pérenne de l’audiovisuel public est évidemment tout à fait légitime. Vous savez certainement que je m’y associe pleinement. Comme vous, je prête la plus grande attention aux déterminants des recettes de l’audiovisuel public : assiette de la contribution à l’audiovisuel public, montant, champ des bénéficiaires notamment.
Le débat sur la contribution à l’audiovisuel public, qui s’appelait alors redevance audiovisuelle, ouvert en 2008, ne se pose plus aujourd’hui dans les mêmes termes puisque d’importants changements ont eu lieu, notamment sur l’initiative du Parlement.
Le montant de la contribution à l’audiovisuel public a donc été rehaussé, tout d’abord par la loi de finances rectificative pour 2008 du 30 décembre 2008, qui a prévu son indexation sur l’inflation à compter de 2009, ensuite – vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur – par la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, qui a porté ce montant à 120 euros en 2010, soit une augmentation de deux euros supplémentaire.
Rappelons également que, aux termes de cette dernière loi, le programme qui finance le passage à la télévision numérique ne fait plus partie des bénéficiaires de la contribution à l’audiovisuel public.
Le projet de loi de finances pour 2010 a été élaboré en cohérence avec l’ensemble de ces dispositions. Il a été adopté par le Parlement, les rapporteurs saluant d’ailleurs son niveau élevé d’ambition pour le financement des médias.
En ce qui concerne l’assiette de cette contribution et son éventuel élargissement aux nouveaux modes de réception de la télévision, le Gouvernement s’est donné le temps de la réflexion. Il a étudié la question, pour conclure, dans un rapport en cours de transmission au Parlement, qu’il n’y avait pas lieu de modifier les dispositions actuelles. Bien entendu, la vocation de ce document est de nourrir la réflexion, en lien avec les parlementaires.
Soucieux, comme le Parlement, d’une bonne application de la loi et de l’adaptation du système de financement de l’audiovisuel public, le Gouvernement a souhaité mettre en place un comité de suivi, dont les modalités de fonctionnement doivent être établies par décret. Actuellement en cours d’élaboration, ce texte sera publié à l’issue des échanges qui se déroulent actuellement, sur son initiative, avec la Commission européenne à propos du financement de France Télévisions.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir rappelé l’attachement de notre assemblée au financement pérenne de l’audiovisuel public. La réévaluation de la redevance, que nous avons votée en dépit de l’opposition d’un certain nombre de responsables politiques de premier plan, représente le fruit d’un combat mené depuis de nombreuses années au Sénat, notamment par notre collègue Catherine Morin-Desailly.
Je suis un peu surpris d’apprendre ce matin que le groupe de travail qui devait être créé ne le sera pas, qu’un rapport, dont on ne sait pas très bien par qui il a été rédigé ni quand il l’a été, va nous être adressé, et qu’un décret est en préparation. Je suis quelque peu étonné de constater que l’engagement de créer une commission pour réfléchir aux évolutions nécessaires de la contribution à l’audiovisuel public ne sera finalement pas tenu.
De même, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, de nombreux problèmes subsistent à propos du financement de l’audiovisuel. Vous avez évoqué la redevance de 0,9 % sur les opérateurs de télécommunications : on ne sait pas très bien le sort qui sera réservé à cette taxation, contestée devant les instances européennes, et à laquelle j’étais personnellement défavorable.
La question de la suppression de la publicité à la télévision avant vingt heures se pose également, certains responsables remettant aujourd’hui en question l’opportunité de cette décision.
Mais, comme vous le savez certainement, monsieur le ministre, nous aurons l’occasion d’aborder de nouveau ces sujets lors du débat sur le financement de l’audiovisuel public qui sera organisé dans cette assemblée au mois de mai, sur l’initiative de notre groupe.
M. le président. Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de Mme Kosciusko-Morizet et de M. Le Maire, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
Je vous rappelle que ce décalage entre l’avancée de nos travaux et l’arrivée des ministres n’est nullement imputable à ces derniers, mais s’explique par le retrait, ce matin, d’une question figurant à l’ordre du jour.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à dix heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
conséquences pour certaines communes de l'application de la loi sur la modernisation de la diffusion audiovisuelle
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la question n° 763, adressée à Mme la secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique.
M. Thierry Foucaud. Je souhaiterais ce matin attirer votre attention, madame la secrétaire d’État, sur les difficultés et les nuisances subies par certaines communes de Haute-Normandie et leurs populations du fait du passage en mode numérique pour la réception des programmes de télévision.
Cette mesure relève de l’application de la loi dite de modernisation de la diffusion audiovisuelle. Or, dans ma région, pour certaines villes et leurs habitants, ce texte constitue en réalité une régression. En effet, celui-ci, lors de son adoption, garantissait une couverture de 95 % de la population métropolitaine. Or, sur les 3 500 émetteurs que compte notre pays, 1 874, soit plus de 50 %, ne sont pas numérisés. Il en résulte pour ma région et ses deux départements, la Seine-Maritime et l’Eure, une desserte inférieure aux 95 % exigés. Ainsi, ce ne sont pas moins de trente-neuf communes qui, en tout ou partie, ne peuvent pas recevoir la TNT et rentrent dorénavant dans la catégorie des zones d’ombre.
L’État, pour pallier cette absence de couverture, recommande aux municipalités concernées d’investir à hauteur de 100 000 euros dans des émetteurs complémentaires, dont les frais de fonctionnement s’élèveront annuellement à 50 000 euros. Lorsque l’on connaît les difficultés financières des collectivités territoriales, une telle dépense est inenvisageable.
On propose également aux personnes qui se trouvent dans une zone d’ombre d’avoir recours aux paraboles, au câble et à l’ADSL. Un fonds d’aide a été créé à cet effet pour les téléspectateurs exonérés de la redevance audiovisuelle. Mais quid de celles et de ceux qui, tout en étant imposables, ne sont pas pour autant des nantis, lorsque l’on sait que ces modes de réception supposent la souscription d’un abonnement à Internet ou la location d’un décodeur ?
Enfin, pour ce qui est de l’environnement, peut-on raisonnablement envisager qu’une ville comme Étretat, dont les falaises ou les maisons à colombages ont inspiré tant d’artistes, soit en zone d’ombre et que ses toits soient soudainement hérissés de paraboles à l’esthétique pour le moins discutable ?
Pouvez-vous donc, madame la secrétaire d’État, faire procéder à une révision de la loi d’ici au 1er janvier 2011, en faisant notamment supporter la charge du remplacement de tous les émetteurs existants par les opérateurs de télévision, ce qui permettrait aussi de maintenir l’égalité entre les citoyens par une couverture à 100 % des territoires ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique. Monsieur Foucaud, certaines des données que vous avez retenues dans votre intervention sont erronées.
En effet, le passage au tout numérique se fera avant le mois de novembre 2011, région par région. Le basculement a déjà eu lieu en Alsace et en Basse-Normandie, et il interviendra dans les mois qui viennent dans les Pays de la Loire, en Bretagne et en Lorraine.
Le Gouvernement s’est engagé à ce que tous les Français aient accès au numérique, dans des conditions d’équité, y compris territoriale.
Initialement, la loi prévoyait un critère national de 95 % de couverture de la population. Un critère départemental a ensuite été défini par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, afin que ces 95 % intègrent au moins 91 % de la population de chacun des départements.
Mais, comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, au-delà de la couverture, se pose également la question de l’accompagnement de ceux qui doivent s’équiper pour le numérique, tout comme de ceux qui ne recevraient pas le numérique par voie hertzienne et qui voudraient par exemple s’équiper de paraboles.
Afin de mener à bien ce projet, l’État investit 333 millions d’euros sur différents programmes.
L’information de nos concitoyens, particulièrement des publics sensibles, est évidemment très importante. Elle se fera notamment à travers un partenariat avec La Poste dans certains départements. Une assistance technique et humaine sera apportée aux personnes âgées et aux personnes handicapées, les plus éloignées du numérique.
Cette information reste toutefois insuffisante, ainsi que l’ont souligné les débats parlementaires. Ainsi, sur ma proposition, le Premier ministre a décidé de compléter le fonds d’aide mis en place pour toutes les personnes exonérées de redevance par un fonds d’aide « parabole », accessible à tous les foyers sans condition de ressources.
Pour répondre concrètement à votre intervention, non, nous ne recommandons pas aux communes d’investir dans des émetteurs numérisés, car ce n’est pas rentable. En revanche, oui, le fonds « parabole » s’adresse à tous les Français sans condition de ressources. Par conséquent, si un Français qui recevait la télévision par son antenne râteau ne reçoit pas le numérique parce que l’émetteur n’est pas numérisé, sa parabole sera financée par le fonds d’aide, quelle que soit sa situation financière.
Non, les paraboles ne sont pas obligatoirement une catastrophe pour l’environnement. En fait, on utilise toujours le terme « parabole », mais la plupart des équipements contemporains n’ont pas cette forme. Il existe des cônes verts que l’on peut placer au fond du jardin et qui ne se remarquent pas, des plaques de format A4 ou A5 qui ont quasiment la couleur des tuiles ou des ardoises. Ces dispositifs peuvent être extrêmement discrets.
Enfin, si une collectivité souhaite néanmoins numériser son émetteur en dépit du fait que nous ne le recommandons pas parce que ce n’est pas rentable, elle peut demander à l’État un accompagnement financier. Ce dernier sera calculé en fonction du nombre de foyers qui auraient bénéficié d’une aide à l’équipement en parabole et qui n’en auront plus besoin puisque la commune choisit de numériser son émetteur. Mais, j’y insiste, ce n’est pas une solution que nous recommandons.
Nous veillons bien sûr à ce que ces cas soient les moins nombreux possible. C’est la raison pour laquelle nous avons notamment demandé au CSA, modifiant la loi pour ce faire, de pousser au maximum la puissance des émetteurs afin qu’une couverture de 91 % et plus soit réalisée dans tous les départements.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Je serais tenté de dire qu’il n’y a rien de nouveau. Mme la secrétaire d’État persiste sur la question du dédommagement et elle ne veut pas reconnaître le problème environnemental posé par les paraboles. Certes, d’autres process existent, mais ils sont très onéreux.
S’agissant du dédommagement, madame la secrétaire d’État, je prendrai l’exemple de la ville de Grand-Couronne, située dans la banlieue de Rouen : 800 des 3 000 foyers que compte la commune ne seront pas couverts par la TNT. Ainsi, 200 000 euros seront dépensés sous forme d’aides alors que la numérisation du relais concerné ne coûterait que 100 000 euros. C’est du gaspillage et c’est un défi au bon sens, car la somme allouée aux foyers concernés ne suffira pas à couvrir la totalité des frais engendrés par le raccordement individuel à la diffusion numérique.
Madame la secrétaire d’État, je vous demande de réexaminer la question. Il n’est pas nécessaire, me semble-t-il, de recourir à ces fonds d’aide qui engagent des sommes considérables : si le remplacement de chaque émetteur était prévu, l’ensemble du réseau pourrait être couvert. Par ailleurs, j’ai noté dans votre réponse le passage du taux de couverture de 95 % à 91 %, et cela m’inquiète un peu plus.
prix du lait pour la campagne 2010
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, auteur de la question n° 784, adressée à M. le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur un mécontentement sourd, latent, mais persistant, qui atteint une très grande partie des producteurs de lait de notre pays, mais aussi l’ensemble des producteurs agricoles, qui connaissent de nombreuses difficultés.
Pour le lait, un accord pour le premier trimestre 2010, signé entre une organisation de producteurs et des transformateurs, a fixé en moyenne à 285 euros la tonne le prix du lait pour la présente année.
Cela correspond à peu de chose près au prix pratiqué au cours du second semestre 2009 mais ne règle absolument pas les difficultés rencontrées par les 90 000 producteurs de lait : il s’agit, en effet, d’un prix moyen et il n’est pas rare que le véritable prix payé à certains producteurs soit plus proche de 245 euros la tonne.
Cet accord sur le prix du lait ne satisfait donc que fort peu de monde.
Il ne satisfait pas les producteurs de lait, et ces derniers l’ont encore fait savoir récemment, monsieur le ministre, lors de l’inauguration du Salon de l’agriculture et peut-être aussi le week-end dernier. En effet, un prix du lait compris entre 24 et 28 centimes le litre ne permet nullement de compenser les coûts d’exploitation : rappelons que les producteurs ont subi une baisse de 54 % de leurs revenus en 2009.
Cet accord ne satisfait pas davantage les transformateurs, les industriels et les coopératives, car ces derniers prétendent qu’ils ne peuvent pas payer plus cher le litre de lait sans compromettre la compétitivité de leurs entreprises.
Quant aux consommateurs, ils constatent tous les jours qu’ils doivent payer le litre de lait en moyenne de 0,90 à 1,15 euro, soit quatre fois le prix versé au producteur. Ils constatent également que le prix des produits transformés – le beurre, les yaourts, les fromages – n’a pas baissé malgré la chute spectaculaire des prix à la production.
Ils mettent en cause, sans doute à juste titre, la grande distribution, qui ne répercute pas la baisse des prix ou le fait très insuffisamment, ce que confirme un rapport publié par M. Éric Besson.
Et les grandes surfaces accusent les transformateurs d’avoir profité de la baisse du prix du lait à la production pour reconstituer leurs marges !
On ne sait pas qui dit vrai, mais ce qui me paraît certain, c’est que les producteurs et les consommateurs, aux deux bouts de la chaîne laitière, sont tous les deux perdants.
Monsieur le ministre, ma question est très simple : quelles mesures comptez-vous prendre prochainement à l’échelon national et à l’échelon communautaire, notamment en direction des industriels et de la grande distribution, afin que le lait soit payé aux producteurs à son juste prix, un prix compensant effectivement les coûts de revient de ces derniers et leur permettant de vivre décemment, ce qui ne saurait être le cas avec le prix payé actuellement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le prix du lait a connu une baisse très importante en 2009, comparativement à 2008, de l’ordre de 20 %. Le prix de base du lait en 2009 a été de 262 euros à 280 euros la tonne.
Face à cet effondrement des cours du lait, je me suis efforcé d’intervenir le plus rapidement possible pour faire remonter les prix et permettre aux producteurs de couvrir les coûts de revient, et cela demeure ma préoccupation à long terme.
À la suite d’une bataille diplomatique intense et sur l’insistance de la France, la Commission européenne a débloqué en octobre 300 millions d’euros pour faire remonter le cours du lait.
Je précise que s’il est remonté au premier trimestre 2010, c’est uniquement parce que la France a exigé le déblocage des instruments d’intervention européens. Le prix du lait s’est situé au premier trimestre 2010 entre 285 euros et 290 euros les mille litres et il devrait au deuxième trimestre connaître une hausse de 5 % à 11 % par rapport au deuxième trimestre 2009.
Nous ne sommes donc pas restés les bras croisés, nous sommes intervenus avec force pour faire remonter les prix du lait.
Mon principal objectif est très simple : garantir aux producteurs un revenu stable et décent à long terme et ne pas les laisser seuls face à la volatilité des cours des marchés agricoles, qui est une réalité aujourd’hui.
Nous devons pour ce faire continuer à avancer dans deux directions. La première, c’est le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, que le Sénat examinera à partir du 17 mai prochain. Nous proposons de mettre en place des contrats entre les producteurs et les industriels, déterminant un volume et un prix sur une durée de quatre à cinq ans, permettant à chaque producteur de lait de calculer le montant de ses revenus sur plusieurs années, alors qu’il réalise aujourd’hui des investissements de l’ordre de 300 000 à 400 000 euros sans connaître le montant de ses revenus dans les prochains mois.
La seconde direction dans laquelle nous voulons avancer et qui répond à votre préoccupation, c’est plus de transparence sur les prix et sur les marges. Nous souhaitons donner plus de pouvoirs à l’Observatoire des prix et des marges pour tirer les conclusions des observations qu’il formulera. En effet, il n’est pas question que les deux perdants de la chaîne alimentaire soient systématiquement le producteur au début et le consommateur à la fin.
Enfin, l’autre volet tout à fait essentiel, c’est la régulation européenne car, à l’évidence, si nous devons de nouveau faire face à un effondrement des cours du lait, même s’il y a des contrats, même s’il y a l’observatoire, il faut que l’Union européenne puisse de nouveau intervenir massivement et plus rapidement sur les marchés pour donner un filet de sécurité à tous les producteurs de lait en France comme dans les autres pays européens.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je sais les efforts que vous consentez de longue date pour faire avancer ce dossier important. Néanmoins, il n’avance peut-être pas aussi vite que le souhaiteraient les agriculteurs et cela a des répercussions sur l’ensemble du monde rural, car lorsque les agriculteurs n’investissent plus, d’autres difficultés apparaissent et c’est toute la chaîne rurale qui est touchée.
Nous serons évidemment à vos côtés lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture pour faire en sorte que les contrats entre les producteurs et les industriels ouvrent des perspectives nouvelles.
Quoi qu’il en soit, je souhaite vivement que vous puissiez appuyer cette démarche de manière que nous puissions revoir un peu de ciel bleu.
travail dominical, contrepartie du paiement des heures supplémentaires et estimation du nombre d'emplois créés
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, auteur de la question n° 786, adressée à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, ma question porte sur l’application de la loi du 10 août 2009 concernant le travail dominical et plus précisément les compensations pour les salariés.
En effet, selon cette loi, les règles du travail dominical diffèrent en fonction du type de commerce et du lieu d’implantation.
Elle permet la création de périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE, pour les commerces de détail, pour lesquels l’ouverture du dimanche rend obligatoires les compensations financières envers les salariés.
En revanche, dans les communes dites « d’intérêt touristique […] d’affluence exceptionnelle », la loi permet l’ouverture dominicale aux établissements de vente au détail. Toutefois, les employeurs ne sont pas obligés d’accorder des compensations à leur personnel.
De plus, les commerces alimentaires de grande et moyenne surface peuvent ouvrir jusqu’à treize heures sans aucune compensation horaire ou financière, et ce sur l’ensemble du territoire.
J’ajoute que concernant les commerces de détail non alimentaires ouverts cinq dimanches par an et situés dans des zones non prévues par la loi, les salariés bénéficient d’une majoration de salaire égale à un trentième de la rémunération habituelle.
En conséquence, bien sûr, de nombreuses disparités surviennent, pour lesquelles les personnels ne bénéficient pas toujours de contreparties.
La grande distribution a pris des engagements, qu’en est-il ?
Il me semble nécessaire de préciser que l’application de la loi s’est peu répandue depuis son vote. C’est donc une loi très discutée, très médiatisée, qui montre ses limites puisqu’elle n’a pas eu la portée escomptée par le Gouvernement.
Sur tous ces points, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous m’apporter des garanties sur la tenue des engagements des grandes et moyennes surfaces en matière d’heures supplémentaires, de repos compensatoires et de compensations financières envers leurs salariés ? Pouvez-vous me donner également – c’est très important – une estimation du nombre d’emplois créés depuis l’entrée en vigueur de cette loi ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Monsieur le sénateur, les commerces de détail alimentaire, au nombre desquels peuvent figurer certaines grandes surfaces à dominante alimentaire, n’ont pas vu leur régime dérogatoire modifié par la loi, hormis la possibilité de prolonger l’ouverture dominicale jusqu’à treize heures au lieu de midi.
Ces établissements, qui bénéficient d’une dérogation de plein droit le dimanche jusqu’à treize heures, appliquent les dispositions de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001. Cette convention prévoit, aux articles 5.14 et suivants, des compensations pour les salariés travaillant occasionnellement ou régulièrement le dimanche.
Pour le travail occasionnel du dimanche, chaque heure de travail effectuée donne lieu à une majoration égale à 100 % du salaire horaire venant s’ajouter à la rémunération mensuelle. Pour le travail habituel du dimanche, la majoration est de 20 % de l’horaire de base pour chaque heure de travail effectuée.
Dans les cas où ces établissements peuvent ouvrir toute la journée du dimanche sur la base d’un arrêté municipal, dans le cadre des cinq dimanches du maire, les compensations légales obligatoires – majoration de salaire et repos compensateur – se cumulent avec les dispositions conventionnelles.
S’agissant des effets sur l’emploi, la loi est une loi d’équilibre, ne visant en rien à revenir sur le principe fondamental du repos dominical, mais tendant simplement à trouver un cadre juridique sécurisé pour les entreprises comme pour les salariés.
Six mois après son adoption, la loi a permis de lever l’insécurité juridique là où elle existait et, par la suite, de préserver et de développer des emplois tant dans ce qui constitue désormais les PUCE, les périmètres d'usage de consommation exceptionnelle, que dans les communes et zones touristiques qui concourent à l’attractivité de la France.
Je vous rappelle qu’un comité, constitué de trois parlementaires appartenant à la majorité et de trois parlementaires appartenant à l’opposition, présentera un rapport sur l’application de la loi un an après sa publication. Une évaluation globale des effets économiques de la loi pourra être présentée dans ce cadre.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de ces précisions. Je souhaite, naturellement, que le Gouvernement soit attentif au versement des compensations de quelque ordre qu’elles soient, et je trouve un peu dommage, même si l’on doit attendre quelques mois encore, de ne pas avoir une idée du nombre d’emplois qui ont pu être créés – si vraiment il en a été créé.
J’attendrai donc le rapport qui doit être présenté !
protection de l'enfance
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, auteur de la question n° 769, adressée à Mme la secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur la protection de l’enfance.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance prévoyait l’adoption de décrets pour son application, notamment au regard des divisions I et III de l’article 27. En effet, devaient être fixées les modalités de compensation des charges résultant pour les départements de la mise en œuvre de la loi par le Fonds national de financement de la protection de l’enfance, ainsi que les modalités d’administration de ce fonds par un comité de gestion.
Or, plus de trois ans après la promulgation de cette loi, les décrets ne sont toujours pas publiés, mettant par là même en difficulté majeure les départements compétents en matière d’aide sociale à l’enfance.
Comment expliquer pareil retard, alors que le Premier ministre lui-même, dans une circulaire du 29 février 2008, relevait que « faire en sorte que la loi s’applique rapidement, efficacement et de façon conforme à son esprit est un impératif démocratique » ?
Quelles sont dès lors les intentions du Gouvernement pour réparer dans les meilleurs délais cette carence qui fragilise les budgets des départements chargés d’assumer, de garantir et de pérenniser leurs missions en matière de protection de l’enfance dans le respect de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ratifiée en 1990 par la France ?
Il va de soi que ces mêmes départements ne peuvent se satisfaire d’une réponse comme celle qui fut faite à une collègue sénatrice, le 23 juin 2009, où il lui fut expliqué que ce fonds, expressément prévu par la loi, viendrait complexifier et brouiller les financements existants.
Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, des informations que vous voudrez bien m’apporter sur l’état d’avancement de ces décrets et de l’engagement que vous prendrez d’apporter une solution dans les meilleurs délais possibles.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Madame la sénatrice, je voudrais vous rappeler l’état d’esprit qui a caractérisé le vote de la loi du 5 mars 2007. En effet, elle avait fait l’objet d’un consensus sur tous les bancs de votre Haute Assemblée.
Le Gouvernement a bien compris que vous faisiez preuve, sur toutes les travées de cet hémicycle, d’une très grande vigilance sur l’application de ce texte. Je voudrais vous rassurer sur ce point, car nous sommes animés des mêmes intentions quand il s’agit de l’enfance en danger.
Quel est l’état d’application de la loi ?
Sur la formation des cadres territoriaux chargés de la protection de l’enfance, j’indiquerai qu’un décret d’application a été pris le 30 juillet 2008. Nadine Morano a ensuite signé le décret du 19 décembre 2008, qui définit la nature et les modalités de transmission des informations préoccupantes recueillies par les cellules départementales aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance et à l’Observatoire national de l’enfance en danger.
Où en est-on aujourd’hui ? Concrètement, 91 cellules de recueil de l’information préoccupante ont été installées à l’échelon départemental ; 74 protocoles départementaux sont finalisés – 58 ont été signés, 33 observatoires départementaux de protection de l’enfance ont été mis en place et 58 sont en cours d’élaboration.
Nous avons donc aujourd’hui une meilleure appréhension de l’enfance maltraitée et de meilleurs circuits de décision. Il nous faut rester vigilants et améliorer encore ce dispositif, mais nous pouvons aujourd’hui mieux cibler nos actions en faveur de la protection de l’enfance.
Le décret qui organise la nouvelle procédure de « mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial » est paru le 30 décembre 2008. Ce texte était très attendu par les juges des enfants et les services sociaux.
Le 23 juin 2009, c’est le décret relatif à la formation des professionnels qui travaillent dans le domaine de la protection de l’enfance qui a été publié.
Il reste aujourd’hui deux décrets à signer.
Mme Michelle Demessine. Elle ne répond pas à la question !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Il s’agit du décret relatif à la médecine scolaire, qui prévoit les modalités d’organisation des quatre visites médicales gratuites prévues par la loi pour les enfants au cours de leurs sixième, neuvième, douzième et quinzième années. Les modalités de ces visites médicales font l’objet d’une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, actuellement en cours.
Il s’agit aussi, et c’est l’objet de votre question, du Fonds national de financement de la protection de l’enfance. Le décret instituant ce fonds s’est heurté à des difficultés juridiques qui expliquent le retard pris dans sa rédaction.
Le projet de décret est en cours de finalisation technique. Il va très prochainement entrer dans une phase de consultation, notamment auprès du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales, du Comité des finances locales, de la Commission consultative d’évaluation des normes, avant d’être signé par les ministres intéressés.
En tout état de cause, le décret sera publié dans un délai de quatre mois, conformément à la décision du Conseil d’État du 30 décembre 2009, notifiée le 18 janvier 2010.
Ce fonds national apportera aux départements un financement complémentaire dans le domaine de la protection de l’enfance, compétence des conseils généraux depuis les lois de décentralisation. Il sera abondé par l’État et la Caisse nationale des allocations familiales dans les conditions prévues par les lois de finances et de financement de la sécurité sociale de l’année.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie d’avoir fait un point global sur l’ensemble des décrets qui ont été pris en matière de formation, de transmission aux observatoires départementaux, de cellules de recueillement des observations, de mesures de gestion familiale, de médecine scolaire, qui va se mettre en place.
Ma question portait véritablement sur le fonds national. J’ai bien entendu votre réponse : des arguties juridiques l’ont retardé. Je retiens néanmoins que, après avis du Conseil d’État du 30 décembre 2009, le Gouvernement a quatre mois pour présenter son décret. Nous y sommes presque. Je crois que, dans les départements, nous serons tous vigilants et attendrons la sortie de ce décret, qui met véritablement en cause, je tiens à le souligner, le budget de nos collectivités.
application de la loi sur le handicap du 11 février 2005
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la question n° 863, adressée à Mme la secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées devait poser les bases d’une société moins discriminante. Elle fut au moment de son vote porteuse d’espérances pour des millions de personnes handicapées.
Mais depuis lors, son application lente et souvent a minima, les nombreuses modifications apportées au texte initial, la volonté, au fil du temps, de la vider de sa substance, sont si manifestes que tout porte à croire qu’elle ne fut qu’une loi d’affichage.
Il en est ainsi de l’accès au logement et aux bâtiments publics : le Gouvernement est revenu sur les dispositions initiales, et les dérogations ont aujourd’hui tendance à devenir la règle et non des exceptions, comme avec l’extension des quatre dérogations prévues pour l’ancien aux constructions neuves qu’heureusement le Conseil constitutionnel a déclarée contraire à la Constitution.
Il en est ainsi s’agissant de l’emploi des personnes handicapées : leur taux de chômage, on le sait, est deux fois supérieur au reste de la population. Dans les PME, on ne dénombre que 3 % de personnes handicapées. La loi de 2005 a prévu que les entreprises n’employant pas de personnes handicapées s’acquittent auprès de l’AGEFIPH, l’Association pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des handicapés, de 1 500 fois le SMIC horaire. Pourtant, fin décembre, vous avez reporté de six mois cette sanction financière à l’égard des PME de moins de 50 salariés en arguant du « contexte économique exceptionnel ». Pensez-vous juste que ce soit toujours aux personnes handicapées de faire les sacrifices ?
Et puis, vous le savez bien, pour relever le défi de rendre effectif le droit au travail pour les personnes handicapées, il n’y aura jamais de moment propice si l’État n’affirme pas haut et fort sa volonté. Une fois encore, avec ce report, celle-ci fait défaut.
L’une des grandes avancées de la loi a été de consacrer le droit de chaque enfant à être scolarisé dans l’école de son secteur et d’affirmer le devoir de l’État de mettre en place les moyens financiers nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire.
À l’heure du bilan, force est de constater que l’obligation de scolarisation est loin de concerner l’ensemble des enfants en situation de handicap. Certes, ils sont de plus en plus nombreux à bénéficier de la scolarisation, mais il reste à déplorer que l’éducation nationale, en se désengageant comme elle l’a fait sur le dossier des auxiliaires de vie scolaire, n’a pas mis en place les moyens propres à développer l’accès de tous à l’école.
À l’heure actuelle, ces moyens sont défaillants et entraînent au quotidien des difficultés pour les enfants et adolescents qui se retrouvent victimes de discriminations : discriminations dans l’accès à l’école et également discriminations dans la réalisation, voire la poursuite de leur parcours scolaire. Sans l’égalité des chances ouverte à tous au niveau de l’école et des parcours scolaires, les personnes en situation de handicap se retrouvent dans une spirale de discriminations organisées tout au long de leur vie.
S’agissant de l’innovation principale de la loi, le droit à compensation, la loi a prévu, pour assurer le respect du projet de vie de la personne handicapée, l’élaboration obligatoire d’un plan personnalisé de compensation. Or, une proposition de loi vient de rendre ce droit optionnel et non obligatoire, ce qui reviendra, on le sait, à limiter son champ d’application.
Enfin, malgré la promesse présidentielle d’augmenter de 25 % l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, force aussi est de constater que celle-ci reste inférieure au niveau du seuil de pauvreté. On reste encore très loin de la création d’un revenu d’existence au moins égal au SMIC que revendiquaient avec force, à l’occasion de la loi en 2005, toutes les organisations représentatives du monde des personnes handicapées.
D’autant qu’aujourd’hui, il faut le dire, un certain nombre de mesures de restriction d’accès à la santé décidées par le Gouvernement, avec notamment les franchises médicales, la participation forfaitaire, l’augmentation du forfait hospitalier, la fiscalisation des indemnités journalières des accidents du travail et le déremboursement de médicaments, sont venues encore amputer les maigres ressources des bénéficiaires de l’AAH. Il suffirait pourtant simplement d’augmenter le seuil d’accès à la couverture médicale universelle complémentaire pour que ceux-ci recouvrent un peu plus de dignité devant le droit à la santé, dont ils ont besoin plus que nul autre.
Madame la secrétaire d’État, vous le savez, la colère gronde au sein des personnes handicapées, qui, pour un très grand nombre, se sentent trahies par la non-application d’une loi pourtant prometteuse pour leur droit à la citoyenneté et à une vie digne.
Elle s’exprimera fortement le samedi 27 mars prochain par des manifestations dans toute la France. Qu’allez-vous leur répondre ? Quelles sont les dispositions qu’entend prendre le Gouvernement pour tenir ses engagements, cinq ans après la loi ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Madame la sénatrice, la loi du 11 février 2005 a affiché de grandes ambitions pour l’égalité des droits et des chances en faveur des personnes handicapées. Le Gouvernement et le Parlement ont, depuis cinq ans, contribué au processus d’amélioration continu de ce texte porteur de tant d’espoir pour les personnes handicapées et leurs familles.
La loi de 2005 concerne les aspects de la vie quotidienne. Au lendemain du cinquième anniversaire de la loi, 150 textes d’application ont été publiés.
Permettez-moi de répondre point par point à vos interrogations.
S’agissant de l’accessibilité des lieux publics et des transports, nous devons redoubler nos efforts pour être au rendez-vous de 2015. Pour cela, trois principes d’action ont été privilégiés : donner un nouvel élan à la politique d’accessibilité, accompagner les entreprises dans la mise en accessibilité et améliorer l’accès aux nouvelles technologies. Grâce à ces actions, le droit opposable à l’accessibilité sera garanti pour 2015.
En ce qui concerne l’emploi, le renforcement des contributions financières en cas de non-respect de l’obligation d’emploi par les entreprises de plus de vingt salariés ou par la fonction publique commence à porter ses fruits.
Actuellement, 750 000 personnes sont dans l’emploi, dont 80 % en milieu ordinaire, ce qui représente une augmentation de 4 % dans le secteur privé depuis 2005. Ainsi, 40 % des entreprises atteignent ou dépassent le taux de 6 %. Dans le secteur public, le taux d’emploi est passé de 3,7 % en 2005 à 4,4 % en 2009. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes !
La mesure de souplesse accordée aux PME que vous mentionnez est favorable à l’emploi des personnes handicapées, et non l’inverse. La période de six mois est un délai de trésorerie rendu obligatoire par la crise économique sans précédent que traverse notre pays. Je vous rappelle que, pour l’année 2009, les procédures de redressement et de liquidation ont augmenté de 11,4 % par rapport à 2008. Ce taux a augmenté de 61,4 % pour les PME. Dans ce contexte, nous devons éviter de fragiliser notre tissu économique.
Passé ce délai de six mois, soit les entreprises auront conduit des actions prévues par la loi du 11 février 2005 et elles s’acquitteront de leur contribution sur la base de 400 fois le SMIC par unité manquante, soit elles n’auront rien accompli et, dans ce cas, elles paieront leur contribution sur la base de 1500 fois le SMIC.
Un autre sujet de préoccupation dont vous faites état est la scolarisation des enfants, des adolescents et des adultes handicapés. Notre mobilisation dans ce domaine permet aujourd’hui à 180 000 élèves d’être accueillis dans les établissements scolaires ordinaires du premier et du second degré, soit 10 000 de plus à chaque rentrée scolaire.
Ce chiffre traduit un accroissement constant et significatif – de 20 % par rapport à 2005 – du nombre d’enfants et de jeunes handicapés accueillis dans les établissements scolaires ordinaires. Le taux global de scolarisation dans le milieu ordinaire est ainsi passé de 66,5 % en 2005-2006 à 71,9 % en 2008-2009.
Ces progrès n’auraient pas été possibles sans un effort massif de l’État. À chaque rentrée scolaire depuis 2007, ce sont près de 250 classes nouvelles de CLIS, classes d’intégration scolaire, ou d’UPI, unités pédagogiques d’intégration, qui sont créées.
Près de 20 000 auxiliaires de vie scolaire en équivalent temps plein, ou ETP, soit 5 000 nouveaux auxiliaires de vie scolaire, ou AVS, à chaque rentrée scolaire depuis 2007, plus de 12 700 postes d’enseignants spécialisés et plus de 1 300 enseignants référents assurent les fonctions spécifiques d’encadrement et d’accompagnement de ces élèves.
Enfin, l’État accompagne les personnes handicapées dans leur vie de tous les jours en contribuant à leur maintenir un revenu décent.
L’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, sera revalorisée de 25 % entre 2008 et 2012. Cela représentera, au total, un effort de 1,4 milliard d’euros : l’AAH atteindra ainsi en 2012 un montant mensuel de 776 euros. Cette allocation permet aujourd’hui à 850 000 personnes de vivre dignement, ce qui représente une dépense totale de 5,8 milliards d’euros par an.
Beaucoup de choses ont été faites mais il y a encore beaucoup à faire.
Le Comité interministériel du handicap, ou CIH, que le Premier ministre a installé le 9 février dernier, ainsi que l’Observatoire de l’accessibilité et de la conception universelle que Nadine Morano a installé le 11 février vont nous y aider. Nous parviendrons à tenir nos engagements et à être prêts pour 2015 si nous mettons en place un pilotage rigoureux, fondé sur des indicateurs précis.
Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement est au rendez-vous des engagements pris en 2005, et il le restera pour atteindre les objectifs en 2015.
financement de l'aide à domicile
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, auteur de la question n° 793, adressée à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
M. René-Pierre Signé. Ma question rejoint celle de Mme Demessine, en élargissant le champ d’intervention. Il s’agit de la remise en cause du financement par l’État de l’aide à domicile pour les personnes âgées, dépendantes et handicapées.
Les associations qui gèrent les soins et services à domicile et les syndicats tirent la sonnette d’alarme face aux difficultés financières qui menacent tant les salariés que les personnes aidées.
Je rappelle que le Président de la République a fait de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées l’un des grands thèmes sociaux de 2010. Dans le même temps, le désengagement de l’État se traduit par la baisse du financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, ou APA, qui de 50 % à sa création en 2001 a été ramenée à 30 % en 2009, mais aussi par une restriction de 10 % à 15 % des prestations de compensation du handicap, ou PCH, d’aide à domicile ou d’aide ménagère.
Prises en étau entre les exigences de formation des personnels et ces réductions de trésorerie, les structures d’aide sont mises en péril et se voient dans l’obligation de licencier et par conséquent de restreindre les temps d’intervention. Des milliers d’emplois se trouvent ainsi menacés et des problèmes de dégradation de la qualité du service en découlent, entraînant des risques de maltraitance.
Madame la secrétaire d’État, quelles dispositions le Gouvernement compte-t-il prendre pour traiter ce sujet capital qui condamne la professionnalisation d’un secteur et porte atteinte à un public déjà fragilisé ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Monsieur le sénateur, vous avez appelé mon attention sur les services d’aide à domicile qui constituent un dispositif essentiel des politiques de prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées, de maintien et d’accompagnement à domicile de ces mêmes personnes âgées devenues dépendantes et des personnes handicapées.
Comme vous l’indiquez, le secteur de l’aide à domicile se caractérise par la diversité et la pluralité : diversité des publics aidés, diversité des modes d’intervention, complexité des cadres juridiques résultant du droit d’option entre l’agrément par le préfet et l’autorisation par le président du conseil général, pluralité des financeurs publics – conseils généraux, caisses de retraite, caisses des allocations familiales – et des modalités de financement, le plus souvent indirectes, sous la forme d’une aide à la personne, et insuffisamment articulées entre elles.
Je n’insisterai pas sur l’hétérogénéité des pratiques des départements ni sur le niveau très variable des tarifs qu’ils arrêtent pour les services qu’ils ont autorisés.
Cette situation complexe nous oblige collectivement à rechercher les meilleures solutions pour faire évoluer les règles de tarification des services d’aide à domicile. C’est pourquoi, à l’occasion de l’installation du nouveau conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, ou CNSA, interrogée sur ces questions, j’ai demandé à la direction générale de la cohésion sociale, la DGCS, de réunir l’ensemble des acteurs concernés par ce dossier, les financeurs comme les gestionnaires, les représentants des usagers comme ceux des salariés. C’est chose faite : la DGCS a organisé cette table ronde le 22 décembre dernier et trois axes de travail ont été retenus.
D’abord, une mission portant sur les questions de tarification et de financement des services d’aide à domicile sera confiée aux inspections générales des affaires sociales, des finances et de l’administration pour analyser les déterminants du coût des prestations, pour examiner les évolutions du dispositif actuel de tarification et son articulation cohérente et efficiente avec les dispositifs de solvabilisation des caisses de sécurité sociale ou relevant des départements – les APA et les PCH – et pour étudier le renforcement des modalités du contrôle d’effectivité de la dépense publique d’aide à domicile.
Ensuite, un groupe de travail piloté par la DGCS devra établir un état des lieux de l’offre de services et de ses différentes composantes, du profil et des besoins des personnes aidées, des pratiques des départements en termes d’autorisation et de tarification. L’objectif est de constituer un observatoire du secteur de l’aide à domicile, qui souffre d’un manque de données objectives, exhaustives, partagées et disponibles pour tous. Ce groupe travaillera également sur l’efficience des structures et les objectifs à retenir en termes de modernisation, d’adaptation et de mutualisation des services.
Enfin, j’ai demandé à la CNSA de conduire et d’animer un travail avec l’ensemble des acteurs pour définir des références partagées, faisant consensus, sur l’évaluation des besoins, l’élaboration des plans d’aide et les modalités de leur mise en œuvre.
Monsieur le sénateur, les conclusions opérationnelles de ces travaux de remise à plat du système sont attendues à l’automne, pour en tirer des solutions durables en termes de qualité, d’accessibilité et de soutenabilité financière des services d’aide à domicile.
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Je remercie Mme la secrétaire d’État de sa réponse, encore que cette dernière ne me satisfasse pas tout à fait dans la mesure où, si j’ai bien compris, les décisions sont remises à l’automne.
Les effets des amputations dont j’ai fait état sont connus : la limitation des plans d’aide, la diminution des motifs et des durées d’intervention et, en conséquence, la remise en cause de l’accessibilité pour tous aux prestations, de la qualité des services et un risque de maltraitance.
Pour les structures et les salariés, ces amputations se traduisent par une remise en cause des efforts de qualification, une détérioration des conditions de travail, et j’en passe…
La DGCS va étudier et modifier la situation, dites-vous, mais l’on ne va pas pour autant revenir à un financement plus équilibré et plus proportionné à ce service rendu indispensable. Vous l’avez d’ailleurs souligné, il s’agit de l’un des services rendus les plus indispensables, compte tenu du vieillissement de la population et des besoins en aide à domicile qui en résultent. Négliger ce secteur serait donc critiquable.
Madame la secrétaire d’État, vous semblez avoir pris en compte la question. Je souhaite que vous y répondiez de façon positive. Des délais trop longs nous obligeraient à licencier, à réduire les soins, ainsi que la qualité de l’intervention et de la formation de nos prestataires de services.
Je me permets d’insister sur l’extrême importance de cette question. En France, 60 000 personnes sont aidées et 10 000 salariés travaillent dans ce secteur : ce n’est pas rien, cela mérite que l’on s’y attarde !
utilisation d'emballages réutilisables pour les eaux, boissons sans alcool et bières dans les cafés, hôtels restaurants
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 778, adressée à Mme la secrétaire d'État chargée de l'écologie.
M. Yves Détraigne. Madame la secrétaire d’État, je souhaite aujourd’hui revenir vers vous pour évoquer la question des emballages réutilisables pour les eaux, les boissons rafraîchissantes sans alcool et les bières dans le circuit des cafés, hôtels et restaurants, et la nécessité de les promouvoir.
Lors de la discussion au Parlement du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dit « Grenelle I », un amendement visant à imposer aux cafés, hôtels et restaurants de recourir à des emballages réutilisables pour les bières, les boissons rafraîchissantes sans alcool et les eaux avait été adopté ; toutefois, malheureusement, cette disposition a été supprimée dans le cadre de la commission mixte paritaire, au motif, je le rappelle, qu’un groupe de travail se constituait sur cette question.
De même, lors de l’examen au Sénat, en octobre dernier, du projet de loi Grenelle II, j’ai déposé et défendu un amendement similaire, auquel vous vous êtes opposée, madame la secrétaire d'État, en arguant que, aux termes des conclusions du groupe de travail précité, le bilan d’un tel système n’était positif que pour les circuits courts, c’est-à-dire lorsque, par exemple, le consommateur rapporte une bouteille vide au producteur directement sur le marché.
Outre qu’il est quelque peu étonnant que le Gouvernement ait paru détenir les conclusions d’une étude toujours en cours à ma connaissance, puisqu’elle doit s’achever prochainement, cette réponse me fait craindre une possible confusion, selon que la consignation des emballages réutilisables se trouve réalisée dans la grande distribution ou dans le cadre de la distribution dans les cafés, les hôtels et les restaurants, où elle est déjà largement pratiquée.
En effet, si le bilan écologique de la consignation des emballages réutilisables dans la grande distribution peut évidemment être négatif, il est nécessairement positif, me semble-t-il, dans le cadre de la distribution dans les cafés, hôtels et restaurants, puisque le « circuit retour » existe déjà et que le gisement de bouteilles vides est concentré, homogène et intégré dans des systèmes logistiques de livraison, comme l’a d’ailleurs souligné la Commission européenne dans une communication du 9 mai 2009.
Ce système de consignation n’étant pas nouveau en matière d’emballages en brasserie et en eaux gazeuses – il était même obligatoire entre 1938 et 1989 –, je vous demande, madame la secrétaire d'État, de bien vouloir, d’une part, me faire connaître les véritables raisons de votre opposition à la remise en vigueur de ce mécanisme, et, d’autre part, m’expliquer pourquoi les emballages réutilisables semblent condamnés à disparaître alors même que la directive européenne du 20 décembre 1994 encourage leur réutilisation.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur le sénateur, je me souviens de ce débat sur les consignations. Nous nous opposons à ce mécanisme parce que les conclusions définitives de l’étude portant sur le système de consignation pour les bouteilles réutilisables du secteur des cafés, hôtels et restaurants sont attendues pour la fin du premier semestre de l’année 2010.
Il ressort des conclusions provisoires de cette étude que la généralisation du dispositif de consignation à toutes les boissons du secteur des cafés, hôtels et restaurants ne semble pas pertinente.
En effet, les caractéristiques des marchés sont très différentes selon le type de boissons considéré. Pour nombre d’entre eux, l’intérêt d’une consigne pour réutilisation ou recyclage, par rapport à des dispositions classiques de collecte sélective, n’est pas démontré.
En revanche, pour certaines boissons, notamment dans le cas d’emballages en verre et de fûts métalliques, une consigne pour réutilisation serait de nature à apporter un réel bénéfice environnemental.
À ce titre, comme l’a montré l’état des lieux de la consignation des bouteilles dans le secteur des cafés, hôtels et restaurants en France, la réutilisation est nulle pour le lait, les alcools autres que la bière et le vin, dont les emballages sont extrêmement diversifiés à des fins de commercialisation ; elle est peu développée pour les jus de fruits, qui sont de plus en plus souvent conditionnés dans des briques alimentaires non réutilisables ; elle est minoritaire pour les vins de table et les boissons rafraîchissantes sans alcool ; en revanche, elle est assez développée pour les eaux embouteillées et majoritaire pour les bières.
Les comparaisons internationales confortent ce constat. S’il est envisageable de consolider l’existant, il ne semble pas opportun de chercher à étendre le champ des emballages consignés à des champs qui ne seraient pas pertinents.
Par ailleurs, je note que, selon les études environnementales menées dans d’autres pays européens, la mise en place d’un système obligatoire de consignation des bouteilles réutilisables en verre a entraîné un effet pervers, puisqu’elle a généré un transfert de la consommation vers des emballages à usage unique fabriqués à partir d’autres matériaux. Tout dispositif de consignation devrait donc porter sur l’ensemble des matériaux, et pas uniquement sur le verre.
En conséquence, le Gouvernement proposera une extension du dispositif selon les termes suivants : une consignation pour réutilisation des eaux embouteillées, des boissons rafraîchissantes sans alcool et des bières ayant un volume supérieur à 0,5 litre ; une consignation pour réutilisation ou recyclage pour les mêmes boissons de volume inférieur à 0,5 litre.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse, qui est bien plus précise et compréhensible que celle qui m’avait été apportée naguère.
En effet, les mesures adoptées à la suite du Grenelle de l’environnement ne pourront être mises en œuvre que si nous faisons preuve de pédagogie. Elles ne constitueront un succès que si les populations y adhèrent. Les décisions qui seront annoncées et adoptées devront être comprises des Français, et donc bien expliquées à ces derniers.
Madame la secrétaire d'État, je vous remercie des explications tout à fait convaincantes que vous m’avez apportées.
interdiction de la pêche professionnelle sur le lac de vouglans dans le jura
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, auteur de la question n° 839, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.
M. Gérard Bailly. Madame la secrétaire d'État, je veux vous faire part d’un problème très particulier, mais important, qui se pose dans le département du Jura dont je suis le représentant.
Les élus, les associations de pêche et les pêcheurs expriment leur inquiétude face à une rumeur qui est toujours d’actualité, qu’elle soit fondée ou non d'ailleurs – c’est le point sur lequel je souhaite vous interroger –, et qui fait état de l’arrivée de pêcheurs professionnels sur le lac de Vouglans.
En effet, cette éventualité suscite une forte opposition étant donné le contexte local. D’une part, ce lac est hydroélectrique, grâce au grand barrage de Vouglans, qui peut être très rapidement sollicité par EDF en cas de besoin urgent, comme nous l’avons vu encore cette année. D’autre part, la pêche professionnelle, en réduisant fortement la quantité de poissons, aurait un effet négatif sur la pratique des pêcheurs amateurs, très nombreux sur ce lac qu’ils considèrent comme un espace de détente et de repos.
La pêche professionnelle serait aussi un frein au développement touristique du secteur, alors que le département a réalisé des investissements importants en la matière, en aménageant les ports du lac et la base nautique de Bellecin, où viennent s’entraîner les équipes nationales des sports nautiques, notamment l’équipe nationale d’aviron, mais aussi des formations internationales qui pratiquent ce sport.
Le conseil général, la totalité des parlementaires et des élus ainsi que les pêcheurs amateurs sont bien entendu tout à fait défavorables à cette éventualité. Des assemblées générales extraordinaires sont organisées contre la venue des pêcheurs professionnels et des pétitions circulent.
Afin d’apaiser les inquiétudes de tous, je souhaiterais donc, madame la secrétaire d'État, que vous me donniez dans votre réponse, au nom du Gouvernement, l’assurance ferme que le droit de pêche ne sera pas accordé aux pêcheurs professionnels sur le lac de Vouglans.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur le sénateur, en août 2007, du fait de la découverte de PCB, c'est-à-dire de polychlorobiphényles, que l’on appelle aussi, plus communément, pyralènes, certains préfets ont dû prendre des arrêtés interdisant la pêche de poissons destinés à la consommation et à la commercialisation dans le Rhône, depuis le barrage de Sault-Brenaz, au nord-est de Lyon, jusqu’à la mer.
Ce sont quatorze pêcheurs professionnels, dont dix qui opéraient dans l’estuaire du Rhône, qui ont ainsi été privés totalement de leur outil de travail, et donc de leurs revenus. Nous avons demandé au préfet coordonnateur du bassin Rhône-Méditerranée et aux préfets de département de trouver de nouveaux sites pour ces pêcheurs professionnels.
L’opportunité de réinstaller certains d’entre eux sur le lac de Vouglans avait alors été discutée. Toutefois, l’analyse technique menée à l’époque avait conduit à écarter cette solution. C’est ce que le ministre d’État avait indiqué dans une lettre du 11 août 2008, monsieur le sénateur, en réponse à un courrier que vous lui aviez adressé, conjointement avec Mme Dalloz et MM. Sermier et Pelissard.
Depuis lors, le cas du Rhône n’est malheureusement pas resté isolé. Des arrêtés similaires d’interdiction ont été adoptés en février 2009 sur la Saône. Cette fois, ce sont une bonne vingtaine de pêcheurs qui ont été touchés par ces interdictions. Nous avons donc demandé aux préfets d’intensifier la recherche de nouveaux sites de pêche ; dans ce contexte, il n’était pas envisageable d’exclure a priori le lac de Vouglans, dont la ressource piscicole est réputée abondante.
Cette recherche a permis de réinstaller deux pêcheurs sur le lac Léman. Cependant, il faut rappeler, une fois encore, que la relocalisation d’un pêcheur professionnel n’est pas envisageable si elle remet substantiellement en cause les usages préexistants.
Dans un rapport qu’il a adressé à la fin du mois de janvier dernier, le préfet coordonnateur de bassin m’a précisé que l’ouverture de nouveaux secteurs de pêche sur le domaine public fluvial ne pourra, selon lui, être envisagée qu’au moment du renouvellement des baux de pêche de l’État, c’est-à-dire à la fin de l’année 2011. D’ici là, nous étudierons au cas par cas la situation de chacun des pêcheurs professionnels affectés par ces difficultés. Or il se trouve qu’aucun d’entre eux n’est disposé aujourd’hui à implanter son activité sur le lac de Vouglans…
En tout état de cause, monsieur le sénateur, je vous assure qu’aucune décision ne sera prise sur un tel sujet sans une consultation locale. J’espère que ces éléments de réponse permettront d’apaiser les tensions entre pêcheurs.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Madame la secrétaire d'État, je suis presque rassuré ! Je vous remercie de votre réponse, qui est précise et qui a rappelé le contexte de ce problème et l’éventualité envisagée.
Je prends acte de ce qu’aucun pêcheur professionnel n’est candidat pour l’instant à une installation sur le lac de Vouglans, ce qui est très positif et qui rassurera en partie les pêcheurs amateurs locaux, me semble-t-il.
De même, j’ai bien noté que rien ne serait fait sans une concertation étendue, l’avis des élus locaux, des parlementaires, des associations de pêche et des pêcheurs amateurs devant être pris en considération. Je crois d'ailleurs que vous trouverez ceux-ci unanimement opposés à l’implantation de pêcheurs professionnels sur le lac de Vouglans, pour les raisons que j’ai développées à l’instant.
En attendant la fin de l’année 2011 – j’ose espérer que nous recevrons alors une réponse définitive ! –, nous resterons vigilants.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
4
Décès d'anciens sénateurs
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous rappeler le décès de nos anciens collègues Jean Pourchet, qui fut sénateur du Doubs de 1988 à 1998, et Henri Tournan, qui fut sénateur du Gers de 1962 à 1980.
5
Décès d'une sénatrice
M. le président. J’ai le très profond regret de vous rappeler le décès de notre collègue Jacqueline Chevé, survenu le 15 mars 2010.
Elle avait été élue sénatrice des Côtes-d’Armor le 21 septembre 2008.
Vendredi dernier, j’ai tenu à représenter le Sénat à ses obsèques à Loudéac, accompagné, notamment, de M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, de M. Jean-Marc Pastor, questeur, de Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, ainsi que d’un certain nombre de collègues de toutes sensibilités politiques.
Je prononcerai son éloge funèbre ultérieurement, mais je tiens d’ores et déjà à saluer sa mémoire, comme l’ont fait les nombreuses personnes rassemblées dans sa ville.
Au nom du Sénat, j’exprime notre sympathie et notre compassion à sa famille, à son époux, à ses deux enfants, à ses proches, aux élus et aux citoyens des Côtes-d’Armor, ainsi qu’au groupe socialiste.
Je vous propose d’observer un instant de recueillement en la mémoire de Jacqueline Chevé, dont la personnalité rayonnait au-delà du Sénat, forte des valeurs qu’elle portait à titre collectif et personnel, héritage d’une famille particulièrement engagée au service des valeurs de la République. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence.)
6
Remplacement de deux sénateurs nommés au Conseil constitutionnel
M. le président. J’informe le Sénat qu’en application de l’article 57 de la Constitution et de l’article 4 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il a été pris acte de la cessation, à compter du samedi 6 mars 2010 à minuit, des mandats de sénateurs de MM. Michel Charasse et Hubert Haenel, nommés membre du Conseil constitutionnel.
En application des articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a fait connaître qu’en application de l’article L.O. 320 du code électoral, M. Serge Godard est appelé à remplacer M. Michel Charasse, en qualité de sénateur du Puy-de-Dôme, et M. Jean-Louis Lorrain, M. Hubert Haenel, en qualité de sénateur du Haut-Rhin.
Leurs mandats ont débuté le dimanche 7 mars 2010 à zéro heure.
Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite un bon retour parmi nous, tous deux ayant déjà siégé dans notre assemblée, dont ils connaissent bien le fonctionnement.
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Remplacement d'une sénatrice décédée
M. le président. M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a fait connaître au Sénat que, en application de l’article L.O. 319 du code électoral, M. Ronan Kerdraon est appelé à remplacer, en qualité de sénateur des Côtes-d’Armor, Jacqueline Chevé.
Son mandat a débuté le 16 mars 2010 à zéro heure.
Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue et un excellent mandat au service de son département.
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Désignation d'un sénateur en mission
M. le président. Par courrier en date du 25 février 2010, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Hervé Maurey, sénateur de l’Eure, en mission temporaire auprès de M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, et de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique.
Cette mission portera sur le financement du très haut débit.
Acte est donné de cette communication.
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Audition au titre de l'article 13 de la Constitution
M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 17 mars 2010, a estimé souhaitable, sans attendre l’adoption des règles organiques qui permettront la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution, de mettre la commission intéressée en mesure d’auditionner, si elle le souhaite, M. Jean-Paul Bailly, qui pourrait être prochainement nommé aux fonctions de président du conseil d’administration de La Poste.
M. Daniel Raoul. C’est un scoop !
M. le président. Acte est donné de cette communication. Ce courrier a été transmis à la commission de l’économie.
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Dépôt du rapport annuel du Médiateur de la République
M. le président. J’informe le Sénat que j’ai reçu de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, le rapport annuel établi pour l’année 2009.
Ce rapport, qui a été présenté aux membres de la commission des lois lors d’une audition tenue le 23 février 2010, est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
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Dépôt de rapports en application de lois
M. le président. J’informe le Sénat que j’ai reçu :
- le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour 2009 établi en application de l’article 11 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté – j’ai d’ailleurs reçu personnellement le Contrôleur général ;
- le rapport annuel pour 2009 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, commission dont j’ai également reçu le président, établi en application de l’article 26 bis de la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques ;
- le rapport annuel de la Haute autorité de lutte contre les discriminations – j’ai reçu son président avant la fin de son mandat – établi en application de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations.
Ces documents ont été transmis à la commission des lois et sont disponibles au bureau de la distribution.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
J’ai reçu de M. le Premier ministre, en application de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs 2010-2012.
Ce document a été transmis pour évaluation, conformément à l’article L. 542-1-2 du code de l’environnement, à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
J’ai également reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article L. 4111-1 du code de la défense, le quatrième rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire.
Il a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et sera disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
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Organismes extraparlementaires
M. le président. J’informe le Sénat que, à la suite de la nomination de M. Michel Charasse en tant que membre du Conseil constitutionnel, M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’établissement public de réalisation de défaisance, d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d’orientation stratégique du Fonds de solidarité prioritaire et d’un sénateur appelé à siéger, en qualité de membre suppléant, au sein du conseil d’administration de l’Agence française de développement.
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des finances à présenter des candidatures.
Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
J’informe par ailleurs le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de l’aviation civile, créé en application de l’article D. 370-4 du code de l’aviation civile.
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
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Dépôt d'une question orale avec débat
M. le président. J’informe le Sénat que j’ai été saisi de la question orale avec débat suivante :
N° 57 - Le 18 mars 2010 - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat attire l’attention de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur l’utilisation des Taser et des flashballs.
Elle rappelle que le Conseil d’État a en septembre dernier annulé le décret autorisant les agents municipaux à utiliser le Taser. Cette annulation était officiellement motivée par les « dangers spécifiques » de cette arme de catégorie IV. Le groupe Taser, dans un guide d’utilisation publié le 12 octobre dernier, reconnaît que son usage fait courir un risque cardiaque à la personne visée. À l’occasion de son rapport concernant les évènements des 11 et 12 février 2008 au centre de rétention de Vincennes, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, écrit notamment que : « Il est permis de s’interroger très sérieusement sur l’utilité du dispositif d’enregistrement vidéo qui ne permettrait en aucun cas de vérifier a posteriori les circonstances dans lesquelles le pistolet à impulsion électrique a été utilisé. »
Quant au flashball, la CNDS préconise dans un rapport concernant des heurts entre policiers et manifestants à Montreuil le 8 juillet dernier de ne plus utiliser cette arme lors de manifestations sur la voie publique. La CNDS rappelle que cette arme, dont les policiers municipaux peuvent être équipés, peut causer des blessures graves et irréversibles d’autant que ses trajectoires de tirs sont imprécises. Par ailleurs, des négligences et des manquements professionnels graves ont été constatés à maintes reprises quant à l’utilisation de ces armes dites « sublétales ».
Elle lui demande s’il compte proclamer un moratoire sur l’utilisation de ces armes par l’ensemble des forces de l’ordre.
(Déposée et communiquée au Gouvernement le 11 mars 2010 – annoncée en séance publique le 23 mars 2010)
Conformément aux articles 79 et 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.
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Démission de membres de commissions et candidatures
M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Philippe Paul, comme membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, et de M. Jean-François Mayet, comme membre de la commission des affaires sociales.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et leur nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
J’informe le Sénat que le groupe de l’Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Hubert Haenel, dont le mandat de sénateur a cessé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
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Débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France, inscrit à l’ordre du jour à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, un an avant la Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, qui se tiendra du 3 au 28 mai prochain à New York, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat m’a demandé, sur proposition de son président, de dresser un état des lieux et de faire des propositions pouvant inspirer l’action de la France à l’occasion de cette conférence.
Tel est l’objet du rapport que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui et dont les conclusions ont été approuvées par la commission.
Je le rappelle, la Conférence d’examen du TNP se tient tous les cinq ans. Elle réunit l’ensemble des États signataires, c’est-à-dire la totalité des États, sauf les trois qui n’ont pas signé le traité, c'est-à-dire l’Inde, le Pakistan et Israël, ainsi que la Corée du Nord, qui s’en est retirée en 2003. La Conférence se prononce par consensus. La dernière réunion, en 2005, a été un échec, à la différence des précédentes, notamment de la Conférence de 1995. En effet, celle-ci s’était prononcée en faveur d’une prorogation pour une durée indéfinie du TNP, qui avait initialement été conclu pour vingt-cinq ans.
Un bref état des lieux fait apparaître une décrue des deux tiers environ du montant global des arsenaux nucléaires depuis le pic qu’ils avaient atteint pendant la guerre froide, soit plus de 60 000 têtes nucléaires. Néanmoins, la Russie et les États-Unis détiennent encore 96 % du nombre total des têtes, avec 13 000 engins pour la première et 9 400 pour les seconds. Ensemble, les autres puissances nucléaires ne disposent que d’environ 1 100 têtes nucléaires. Parmi les autres États dotés, aux termes du TNP, on dénombre 400 têtes pour la Chine, moins de 300 pour la France et moins de 200 pour le Royaume-Uni. Il y a également entre 100 et 200 têtes pour Israël et une petite centaine pour l’Inde et le Pakistan, les trois autres États non-signataires aujourd’hui nucléarisés, et moins d’une dizaine d’engins pour la Corée du Nord.
En dynamique, parmi les États dotés, le « P5 », qui sont également les membres permanents du Conseil de sécurité, seule la Chine développe encore son arsenal, il est vrai beaucoup plus réduit que celui des États-Unis et de la Russie. Idem pour l’Inde et le Pakistan. L’Asie est clairement la « zone des tempêtes » si on ajoute les deux crises de prolifération en cours qui concernent la Corée du Nord et l’Iran. Les quatre autres membres du « P5 », c'est-à-dire les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et la France, ont décrété un moratoire sur leurs essais et sur la production de matières fissile à usage militaire.
En général, on insiste beaucoup sur les facteurs de fragilisation du TNP, qui sont nombreux.
Il y a ainsi la nucléarisation des trois pays non-signataires, le régime spécial consenti à l’Inde par la communauté internationale en matière de coopération nucléaire civile sans que les contreparties soient toujours jugées suffisantes, la politique du fait accompli pratiquée par la Corée du Nord ou encore les obstacles auxquels se heurtent les contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA.
On peut également mentionner la non-ratification soit du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE – sur les quarante-quatre États requis, neuf ne l’ont pas encore ratifié – soit du protocole additionnel de l’AIEA dit protocole « 93+2 ». Quatre-vingt-quatorze États possédant des installations nucléaires ont ratifié ce protocole additionnel destiné à renforcer les moyens de contrôle de l’Agence, mais il manque encore la signature d’une quinzaine d’États.
Toujours parmi les facteurs de fragilisation, notons également le retard pris depuis une quinzaine d’années concernant l’ouverture d’une négociation sur l’interdiction de la production de matières fissiles à usage militaire, le développement de réseaux de prolifération internationaux, l’essor de l’énergie nucléaire à l’échelle mondiale combiné au caractère dual des technologies intéressant le cycle du combustible et, enfin, le peu d’efficacité des sanctions décrétées par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Pour réelles qu’elles soient, de telles difficultés d’application ne devraient pas dissimuler le succès global du TNP, que ses initiateurs étaient loin d’espérer. Au début des années soixante, le président Kennedy évaluait à vingt-cinq ou trente le nombre des États qui posséderaient l’arme nucléaire en l’an 2000. Aujourd'hui, il y en a seulement huit, dont les cinq qui étaient déjà dotés à l’époque et les trois pays non-signataires, auxquels nous pourrions ajouter la Corée du Nord, bien que les engins dont celle-ci dispose n’aient pas, semble-t-il, un caractère opérationnel.
Au demeurant, le TNP est devenu un traité quasi universel. Ainsi, la Chine et la France, qui avaient au départ adopté une attitude de réserve, l’ont rejoint en 1992. Le traité a été prorogé en 1995 pour une durée indéfinie, puis complété en 1996 par la signature du TICE, traité d’interdiction des essais, qui est, dans les faits, appliqué sous forme de moratoire, sauf par la Corée du Nord.
Comme je l’indiquais tout à l’heure, l’application du TNP a été grandement améliorée par l’adoption du protocole additionnel dit « 93+2 », avec un système de vérification renforcée sous faible préavis.
Enfin, si le TNP n’a pas empêché la prolifération nucléaire, il l’a incontestablement ralentie. L’Afrique du Sud a abandonné ses armes nucléaires. Le Brésil et l’Argentine ont renoncé à en acquérir. Des programmes clandestins, notamment en Irak ou en Libye, ont dû être interrompus. Enfin, quatorze ex-républiques soviétiques ont accepté de se dessaisir, au profit de la Russie, des armes nucléaires stationnées sur leur territoire. Cinq zones exemptes d’armes nucléaires ont été créées.
Un tel bilan global est incontestablement positif. Le TNP n’a pas fait preuve de son inefficacité, bien au contraire. C’est pourquoi il faut renforcer le TNP, instrument irremplaçable de la sécurité internationale, et remédier aux facteurs de fragilité que j’évoquais tout à l’heure.
En tant que rapporteur de votre commission, je suggère que la France, dont le bilan au regard du désarmement est exemplaire, adopte une approche résolument offensive à l’occasion de la Conférence d’examen, en cherchant à faire avancer l’application du TNP sur ses trois piliers indissociables, c'est-à-dire le désarmement, la promotion des usages pacifiques de l’énergie nucléaire et la lutte contre la prolifération.
Les circonstances se prêtent à l’établissement d’une zone de basse pression nucléaire à l’échelle mondiale. Au-delà du discours de Prague du président Obama, qui a marqué les esprits par l’évocation d’un monde sans armes nucléaires, mais qu’il faut lire entièrement pour bien mesurer la présence à chaque stade du souci de la sécurité des États-Unis et de leur leadership, on relève une grande convergence entre les propositions du président des États-Unis et celles que le président Nicolas Sarkozy a formulées en tant que président de l’Union européenne, dans la lettre qu’il a adressée au secrétaire général de l’ONU, le 5 décembre 2008.
Ces propositions sont la priorité à la réduction des arsenaux américain et russe, la ratification du TICE par les pays qui ne l’ont pas encore fait, l’établissement d’un nouveau traité interdisant la production de matières fissiles à usage militaire, la consolidation du TNP par un renforcement des contrôles et des sanctions pour les intervenants, le développement de la coopération nucléaire civile, notamment par la création d’une banque de combustible et le souci de la sécurité nucléaire face au terrorisme.
Certes, il y a bien quelques nuances. Alors que le président Obama met l’accent sur le bouclier antimissile balistique, les Européens insistent sur la nécessité de prendre en compte des armes nucléaires tactiques et de lutter contre la prolifération balistique.
Cependant, et il est frappant de le constater, même la commission Evans-Kawaguchi, du nom de deux anciens ministres des affaires étrangères, un Australien et un Japonais, qui a présenté les thèses abolitionnistes de la manière la plus argumentée, formule des propositions allant dans le même sens, mais sans doute plus loin, pour fixer un objectif de minimisation des arsenaux nucléaires à l’horizon 2025, à hauteur de 1 000 têtes pour la Russie et les États-Unis, soit 500 pour chacun, et environ un millier pour les autres, qui sont invités à ne pas augmenter leurs arsenaux actuels.
La faisabilité politique et technique d’un tel objectif peut évidemment se discuter, compte tenu notamment des insuffisantes capacités industrielles de démantèlement des États-Unis. Ainsi, il faudrait une deuxième, voire une troisième usine sur le modèle de l’usine Pantex au Texas. D’ailleurs, c’est prévu, même si le site n’a pas encore été choisi. Actuellement, l’usine semble en capacité de démanteler, au mieux, 4 200 armes sur les 9 400 qui doivent l’être à l’horizon d’une quinzaine d’années au mieux. Mes chers collègues, je tenais à vous sensibiliser à ces difficultés techniques, indépendamment des difficultés politiques prévisibles.
Reste que les voies pratiques de l’établissement d’« une basse pression nucléaire » à l’échelle mondiale sont aujourd’hui clairement tracées.
Premièrement, la priorité est donnée aux accords américano-russes, avec, d’abord, l’accord post-START, en cours de négociation, suivi de nouvelles réductions portant sur les armes en réserve et sur les armes nucléaires tactiques. Le traité post-START, en cours de finalisation, bute sur la question de la défense antimissile. M. Medvedev nous l’a confirmé lors de sa dernière venue à Paris.
Relevons par ailleurs la relative modestie des réductions annoncées. Par rapport aux dispositions du traité SORT, on note une diminution de l’ordre de 25 % du nombre de têtes nucléaires déployées, et ce sur une durée de sept ans, à compter de l’entrée en vigueur du traité post-START : 1 675 têtes au lieu de 2 200.
J’y insiste, les arsenaux des deux superpuissances nucléaires et ceux, beaucoup plus modestes, des autres puissances, notamment la France, sont sans commune mesure. Notre pays n’a pas de raison d’entrer dans une discussion multilatérale avant que les deux principales puissances n’aient ramené le nombre de leurs armes à quelques centaines. À ce stade, ce que nous pouvons demander, c’est la transparence sur le volume, la nature et la destination des armes détenues.
Je vous fais observer que la commission Evans-Kawaguchi ne propose pas une perspective différente.
Deuxièmement, il est nécessaire, par une sorte de « prise en tenailles », de plafonner en quantité et en qualité les arsenaux qui existent dans le monde. Pour cela, deux traités suffisent.
Premier volet de la tenaille, le TICE, conclu en 1996, mais qui n’est pas encore entré en vigueur, en raison notamment de sa non-ratification par le Sénat américain. Il faut les deux tiers du Sénat, soit soixante-sept sénateurs. Une telle ratification ne pourra pas intervenir avant 2011, après les élections de mi-mandat. Le président Obama s’y est engagé. On peut espérer que cette ratification entraîne celle de la Chine, puis celle de l’Inde et du Pakistan. L’interdiction des essais mettrait par là même un coup d’arrêt à la modernisation des armes. Voilà pour l’aspect qualitatif.
Second volet de la tenaille, un deuxième traité prohibant la production de matières fissiles à usage militaire mettrait un terme à l’accroissement quantitatif des arsenaux. Au mois de mai 2009, la Conférence du désarmement avait décidé l’ouverture de la négociation à l’unanimité. Malheureusement, le Pakistan a depuis formulé des objections que la communauté internationale doit trouver les moyens de lever.
Tels sont, mes chers collègues, les trois axes complémentaires d’un effort fécond pour aller vers un monde plus sûr.
En revanche, je le dis à mes amis communistes, l’idée d’une convention d’élimination des armes nucléaires comportant des échéanciers et des dates butoir ne me paraît pas réaliste. Elle méconnaît l’asymétrie des arsenaux existants et elle ne règle pas le problème de la prolifération.
Mieux vaut une approche équilibrée, graduelle, méthodique telle que celle sur laquelle les États-Unis, l’Europe et la Russie convergent déjà. Cette méthode est également la seule qui permettrait de canaliser la nucléarisation des grands pays de l’Asie et d’établir une certaine stabilité sur ce continent. Enfin, et surtout, elle permettrait de créer progressivement les conditions d’un monde sans armes nucléaires, inséparable d’un « désarmement général et complet », aux termes même de l’article VI du TNP, et ce d’une manière qui « promeuve la stabilité internationale, et sur la base d’une sécurité non diminuée pour tous », selon les termes de la résolution 1887 du Conseil de sécurité des Nations unies, votée le 24 septembre 2009.
Le souci du désarmement implique l’universalisation et la vérifiabilité des conventions d’interdiction des armes biologiques et chimiques auxquelles, vous le savez, trois pays du Proche-Orient n’ont pas souscrit, en l’occurrence l’Égypte, la Syrie et Israël.
De même convient-il de prévenir l’apparition de nouveaux déséquilibres conventionnels. À l’arrière-plan des thèses abolitionnistes, il y a tout de même une nouvelle stratégie américaine de renouvellement doctrinal visant à mettre en avant une nouvelle « triade » des forces conventionnelles modernes.
Cela consiste, d’une part, en une capacité de frappe conventionnelle précise à longue distance, avec des missiles intercontinentaux dotés de tête conventionnelle – c’est ce qu’on appelle le « Prompt global strike » – et, d’autre part, en une défense antimissile, avec une remise à niveau de l’infrastructure nucléaire en vue de remédier au vieillissement des têtes nucléaires actuelles. Joe Biden, le vice-président des États-Unis, a annoncé que 5 milliards de dollars de crédits supplémentaires seraient mobilisés à cet effet.
La réduction, voire l’élimination, de la place des armes nucléaires ne doit pas ouvrir la voie à la possibilité de nouvelles grandes guerres conventionnelles. Tel est incontestablement l’esprit de l’article VI du TNP.
À présent, je veux en venir à la promotion des usages pacifiques de l’énergie nucléaire. L’opposition entre les pays développés qui maîtrisent de telles technologies et ceux qui ne peuvent pas y avoir accès, d’autant que les contrôles se resserrent, est beaucoup plus forte que l’opposition entre États dotés et États non dotés.
La lecture faite de l’article IV du traité de non-prolifération fait prévaloir le souci de la non-prolifération, inscrit dans les articles Ier et II, sur « le droit inaliénable » des parties à développer les utilisations pacifiques de l’atome.
La réussite de la conférence d’examen implique que certaines propositions soient concrétisées.
Je pense à la mise en place d’assurances d’approvisionnement en combustible, à la constitution de réserves d’uranium enrichi, comme celles constituées sur l’initiative de la Russie, et à la création d’installations internationales d’enrichissement sur une base régionale, sous le contrôle de l’AIEA.
Je pense, enfin, en matière d’exportation des technologies sensibles, à la levée du moratoire institué par le G8 depuis 2004 pour lui substituer un système d’autorisation sur critères : existence d’un programme électronucléaire crédible ; garanties, en matière de sûreté, de sécurité et de non-prolifération, notamment, par l’adhésion du pays concerné au protocole additionnel de l’AIEA, dit « 93+2 ».
Un lien serait ainsi établi entre l’autorisation des transferts de technologie et l’adhésion au régime international de non-prolifération. Ce serait là une avancée majeure de la conférence d’examen.
La non-prolifération est le troisième pilier du TNP. Sa préservation suppose la consolidation d’instruments juridiques.
Je n’évoquerai pas le protocole additionnel de l’AIEA dont j’ai déjà parlé.
Le renforcement des moyens de cette agence est également nécessaire.
L’encadrement du droit de retrait doit s’effectuer par l’adoption de résolutions génériques destinées à éviter le détournement de technologies acquises sous couvert du traité.
Le rapprochement des trois États non signataires du régime international de non-prolifération est souhaitable. Ce qui est une critique peut être transformé en avancée si, dans le prolongement des engagements pris par l’Inde, qui s’est beaucoup rapprochée du régime international de non-prolifération, d’autres pays se dirigent vers la ratification du protocole additionnel, l’adhésion au TICE et le contrôle des exportations de technologies nucléaires dans l’attente d’un engagement de souscrire à un traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires ainsi qu’à un moratoire de production.
Il est enfin nécessaire de mettre pleinement en œuvre la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies en vue de lutter contre les trafics illicites et les réseaux non étatiques.
Au-delà des mesures préventives ou coercitives, il est essentiel – j’insiste sur ce point car c’est la principale originalité du rapport – d’agir sur les déterminants régionaux de la prolifération nucléaire. Celle-ci s’enracine beaucoup moins dans la contestation du P5 que dans des considérations immédiates, régionales de sécurité. C’est la raison pour laquelle la normalisation des relations indo-pakistanaises est un objectif majeur pour la stabilité de cette région du monde, qu’il s’agisse du Cachemire, de l’Afghanistan ou des relations entre l’Inde et la Chine. Elle conditionne le plafonnement puis la décrue des arsenaux nucléaires de ces pays.
L’instauration d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient n’est pas envisageable sans la création d’un État palestinien viable et sans la reconnaissance d’Israël par les pays arabes et par l’Iran. Le degré d’engagement des États-Unis pour atteindre cet objectif sera déterminant. On ne peut pas prôner un monde sans armes nucléaires et accepter la poursuite de la colonisation en Cisjordanie, telle qu’elle se fait actuellement, car elle occulte la voie de la paix.
M. Yvon Collin. Bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, au nom de la commission des affaires étrangères. Le désarmement nucléaire n’est pas un devoir abstrait. Il implique des engagements politiques concrets.
De même, la normalisation des relations avec l’Iran et la levée des sanctions impliquent que ce pays donne des gages réels quant à sa volonté de ne pas se doter d’armes nucléaires, afin d’éviter une prolifération en cascade dans la région.
L’Iran doit ratifier le protocole additionnel de l’AIEA et le TICE, et il doit entrer dans la négociation d’un TIPMF.
À défaut de la suspension des activités d’enrichissement de l’usine de Natanz, conformément aux vœux de la communauté internationale, je vous propose de placer cette usine sous le contrôle effectif de l’AIEA, le stock d’uranium faiblement enrichi étant écoulé sur le marché international, en attendant que l’Iran se dote d’un programme électronucléaire crédible, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui. Cela laisserait largement le temps de résoudre, sur une base régionale, le problème de l’accès au combustible.
Enfin, la question nord-coréenne, potentiellement très déstabilisatrice pour toute la région, et d’abord pour le Japon, par ailleurs « pays du seuil » susceptible de se doter, s’il le souhaite, de l’arme nucléaire, ne peut être traitée qu’à travers l’engagement de la Chine, qui dispose de tous les moyens de pression capables d’infléchir les positions de Pyong-Yang. Cette question s’inscrit au premier plan des relations sino-américaines, principal enjeu géostratégique des décennies à venir.
La lutte contre la prolifération nucléaire implique donc une volonté politique qui dépasse les a priori idéologiques ou les aspects techniques pour s’attacher à la résolution de crises depuis trop longtemps pendantes. Le désarmement est un sujet qui doit être traité sans angélisme. « L’homme n’est ni ange ni bête, a dit Pascal, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ». Pour progresser dans la voie du désarmement, il faut d’abord faire preuve de réalisme, mais surtout de courage.
Ces graves questions ont une incidence directe sur la sécurité de la France et sur le maintien d’un équilibre pacifique en Europe.
La France n’a aucune raison d’aborder de manière frileuse l’échéance de la conférence d’examen. En matière de désarmement, son bilan, parmi tous les États dotés, est sans équivalent : abandon de la composante terrestre et démantèlement de ses sites d’expérimentation et de production de matières fissiles, notamment.
La France doit privilégier une approche pragmatique et constructive en mettant l’accent sur les conditions qui permettront de progresser vers le désarmement nucléaire, dans la perspective d’un monde plus sûr, sans sécurité diminuée pour quiconque et d’abord pour elle-même.
La sécurité de la France est un souci légitime, mes chers collègues. Dimensionnées selon un principe de stricte suffisance, nos forces réduites unilatéralement de moitié depuis une vingtaine d’années n’ont pas à être prises en compte, au stade actuel, dans une négociation multilatérale.
Pour cette raison, la France doit maintenir une posture de dissuasion indépendante et se tenir en dehors du comité des plans nucléaires de l’OTAN. Comme l’a énoncé en son temps le général de Gaulle, « si l’on admettait pour longtemps que la défense de la France cessât d’être dans le cadre national […], il ne serait pas possible de maintenir chez nous un État ».
La dissuasion française est un élément de stabilité en Europe, même si sa vocation est d’abord nationale. Elle garantit notre autonomie de décision et nous permet de ne pas nous laisser entraîner, selon l’expression du général de Gaulle, « dans une guerre qui ne serait pas la nôtre ».
L’incertitude étant au fondement de la dissuasion, je suggère que la France assortisse « toute garantie négative de sécurité » à l’égard des États non dotés de fermes restrictions à l’emploi d’armes de destruction massive ou au-non-respect du TNP constaté par le CSNU.
Notre stratégie est défensive. Je suggère que, à l’occasion du prochain débat sur le nouveau concept stratégique de l’OTAN, la France s’efforce de convaincre ses voisins européens de la nécessité de maintenir un principe de dissuasion nucléaire en Europe tant que la Russie conserve, tout comme les États-Unis, un important arsenal nucléaire et que le Moyen-Orient n’est pas une zone dénucléarisée.
J’ajoute qu’il ne serait pas prudent de « lâcher la proie pour l’ombre », au profit d’un système de défense antimissile balistique aléatoire, qui nous priverait de surcroît de toute autonomie stratégique.
La France pourrait demander, lors de la conférence d’examen, que soient liées les questions relatives à la prolifération balistique et au désarmement nucléaire et la mise en place d’une défense antimissile balistique. C’est une idée que j’avance.
De nombreuses décisions ne dépendent pas de nous, comme les négociations entre les États-Unis et la Russie. Mais il est des domaines dans lesquels notre détermination peut jouer un rôle important : l’aboutissement pacifique de la crise iranienne ; le maintien d’un principe de dissuasion en Europe ; la promotion des usages pacifiques de l’énergie nucléaire dans le monde ; enfin, le maintien d’une posture de défense sur laquelle une majorité de Français se retrouvent, car ils sentent que le monde change. La montée de l’Asie va bouleverser les équilibres mondiaux et par conséquent les équilibres de sécurité.
Dans leur majorité, les Français savent que le fait nucléaire implique, comme l’avait bien vu le général Poirier, la stratégie indirecte. Ils savent que le maintien de notre posture, et donc de notre effort de défense, dont la dissuasion représente le dixième seulement, constitue la meilleure garantie de la paix. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)
M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue, de cet excellent rapport, qui mérite d’être largement diffusé.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité de non-prolifération nucléaire est une pièce essentielle de la sécurité collective.
En dépit d’interrogations périodiques sur les fragilités qui peuvent l’affecter, il recueille l’adhésion de la quasi-totalité des États et doit être préservé.
Chaque conférence d’examen, qui a lieu tous les cinq ans, représente donc une échéance importante pour cet instrument. La précédente conférence, qui s’est tenue en 2005, n’avait pas permis de progresser dans la consolidation du traité. Depuis lors, les facteurs d’inquiétude se sont multipliés.
La Corée du Nord, qui avait annoncé son retrait du TNP en 2003, a procédé à deux essais nucléaires. L’Iran, en contravention avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, poursuit des activités dont la finalité est pour le moins ambiguë, accentuant la crainte d’une prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Dans les enceintes internationales, comme la conférence du désarmement, aucune avancée tangible n’a été enregistrée.
Les attentes à l’égard de la conférence d’examen qui se tiendra en mai prochain n’en sont que plus fortes.
L’arrivée d’une nouvelle administration américaine, qui a annoncé des objectifs ambitieux, à la fois dans le domaine du désarmement nucléaire et dans celui de la lutte contre la prolifération, a créé un nouveau climat.
Cependant, nous constatons bien que l’optimisme consécutif au discours de Prague du président Obama mérite d’être sérieusement tempéré à la lumière des réalités politiques : l’âpreté des négociations américano-russes, qui ne permettront en tout état de cause qu’une réduction modeste des arsenaux ; les réticences du Sénat américain sur la ratification du traité d’interdiction des essais nucléaires ; celles de la Chine à l’égard de toute mesure susceptible de plafonner ses capacités nucléaires ; l’attitude de blocage du Pakistan à la conférence du désarmement ; les divisions de la communauté internationale sur le contrôle et les sanctions en matière de prolifération.
Pour la France, les enjeux de la conférence d’examen sont indéniables. La maîtrise des armements et la non-prolifération sont un déterminant essentiel de notre sécurité. Mais, par son statut et ses responsabilités internationales, la France est également appelée à jouer un rôle de premier plan dans ce débat.
C’est pourquoi il a paru indispensable à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de mener un travail de fond sur l’ensemble de ces questions et d’éclairer la vision du Sénat sur les positions que notre pays sera amené à défendre.
Je tiens à remercier Jean-Pierre Chevènement d’avoir mené à bien cette mission au cours des derniers mois. Le rapport d’information qu’il a élaboré livre une analyse extrêmement approfondie, objective et réaliste de l’ensemble des paramètres influant sur le cours du désarmement et de la non-prolifération nucléaires.
Je dois souligner que les conclusions et recommandations de ce rapport ont été adoptées à la quasi-unanimité par la commission, majorité et opposition confondues.
Je me réjouis que le Gouvernement ait accepté d’en débattre aujourd’hui devant le Sénat, en prélude aux positions qui seront arrêtées en vue de la conférence d’examen du TNP.
Je souhaiterais à mon tour appuyer les conclusions de notre rapporteur en insistant sur trois points principaux.
Premièrement, il faut à mon sens éviter d’entrer dans un débat théorique ou idéologique sur la légitimité ou non des armes nucléaires et sur l’objectif de leur élimination. Un tel débat conduirait à une impasse, car nous savons bien qu’avant longtemps les conditions d’une telle élimination ne pourront être réunies.
Le rapport de Jean-Pierre Chevènement montre, en effet, que l’on ne peut isoler l’arme nucléaire des autres éléments qui concourent aux équilibres stratégiques. Que serait un désarmement nucléaire qui s’accompagnerait d’une accentuation des risques de conflits conventionnels, d’une exposition accrue aux armes chimiques ou biologiques ou d’une course à la supériorité militaire par d’autres moyens plus sophistiqués, tels que les armes spatiales, la défense antimissile ou l’arme cybernétique ? De même, comment envisager des progrès décisifs en matière de désarmement nucléaire sans résoudre un certain nombre de problèmes politiques ? Je pense aux relations entre l’Inde et le Pakistan ou au conflit du Proche-Orient.
Le désarmement nucléaire ne peut constituer un objectif en soi. Il doit s’intégrer dans une vision plus globale, celle du maintien de la paix et de la sécurité, et aller de pair avec un ensemble de mesures garantissant une stabilité internationale et régionale renforcée. C’est cette approche progressive et équilibrée que préconise, à juste titre, M. le rapporteur et à laquelle la France doit apporter son appui.
Ma deuxième observation porte sur les profondes évolutions du paysage stratégique au cours des vingt dernières années.
Pour les anciens acteurs de la guerre froide – États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni – l’arme nucléaire ne joue plus un rôle aussi central que par le passé. Les arsenaux ont suivi une courbe descendante. La production de matières fissiles pour les armes nucléaires a cessé.
Tout autre est la situation en Asie et, dans une certaine mesure, au Moyen-Orient. Les arsenaux y suivent une courbe ascendante. L’adhésion aux instruments internationaux y est très incomplète et les risques de prolifération sont beaucoup plus élevés. Les facteurs de tensions politiques demeurent nombreux et aucune forme d’organisation de la sécurité régionale ne permet de les traiter.
Cette situation montre qu’il n’est pas pertinent d’établir une relation mécanique entre le désarmement des uns, en l’occurrence les puissances occidentales, et la renonciation des autres à développer ou à acquérir des capacités nucléaires.
La prolifération nucléaire obéit à des motivations de natures très diverses, essentiellement liées aux situations régionales, et non au rythme supposé insuffisant du désarmement des puissances nucléaires « historiques ».
Par ailleurs, tant que les tendances à l’œuvre en Asie et au Moyen-Orient ne seront pas contenues et inversées, le fait nucléaire militaire demeurera une réalité incontournable pour nos États et la dissuasion restera un élément essentiel de notre sécurité.
C’est pourquoi on ne peut qu’être perplexe devant le développement, chez certains de nos voisins européens, d’une thématique favorable à des mesures de désarmement unilatéral, telles que le retrait des armes nucléaires américaines, ou à un effacement du rôle de la dissuasion nucléaire dans le concept stratégique de l’OTAN. Une fois encore, les pacifistes sont à l’Ouest et les proliférateurs partout ailleurs ! Pour sa sécurité, l’Europe ne peut ignorer que des armes nucléaires subsistent, voire menacent d’apparaître, dans son environnement proche. Comme le souligne Jean-Pierre Chevènement dans ses conclusions, le maintien d’un principe de dissuasion nucléaire en Europe paraît aujourd’hui une condition essentielle de sa sécurité et mérite d’être mieux compris de nos partenaires.
Ma troisième et dernière observation porte plus spécifiquement sur la position de la France.
Notre rapporteur démontre la validité de la posture nucléaire de la France. Il rappelle que les forces nucléaires françaises sont dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, qui a conduit à des réductions unilatérales successives, et il estime qu’elles ne peuvent être prises en compte, à ce stade, dans aucun processus multilatéral de désarmement nucléaire : ce point recueille un large assentiment au sein de notre commission. Le rôle de la dissuasion nucléaire dans notre stratégie de défense a du reste été réaffirmé dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et la loi de programmation militaire.
Contrairement à ce qui a parfois été affirmé après le discours du président Obama à Prague, évoquant un « monde sans armes nucléaires », notre position n’est guère différente de celle des États-Unis sur ce plan. Ceux-ci entendent conserver « un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire » tant que les armes nucléaires existeront, selon les termes mêmes employés par le Président américain. Mieux, le Président a considérablement augmenté les budgets des laboratoires susceptibles de développer de nouvelles technologies nucléaires.
Pour autant, la préservation de notre capacité de dissuasion ne nous dispense en rien d’œuvrer en faveur du désarmement nucléaire : nous l’avons fait en accomplissant un certain nombre de gestes concrets. Je pense, bien entendu, à la diminution de moitié en vingt ans du volume de notre arsenal, mais plus significatives encore sont, à mon sens, nos décisions relatives aux essais nucléaires et à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. En effet, dans un cas comme dans l’autre, elles présentent un caractère irréversible, puisque nous avons totalement démantelé nos installations : il s’agit d’une contribution majeure et sans équivalent parmi les autres puissances nucléaires.
Il ne suffit pas de le souligner, il faut surtout inciter les autres États nucléaires à faire de même, et on peut s’étonner que, dans les enceintes internationales, l’exemplarité des mesures prises par la France dans ces deux domaines ne soit pas plus souvent invoquée à l’appui des efforts que les autres États demandent aux puissances nucléaires. Rappelons que, sur les treize mesures de désarmement prônées par la conférence d’examen du TNP en 2000, la France en a mis en œuvre dix. C’est pourquoi j’approuve totalement notre rapporteur lorsqu’il indique que notre pays n’a aucune raison d’aborder la prochaine conférence d’examen en position défensive.
Oui, des progrès tangibles sont possibles en matière de désarmement !
Nous attendons des États-Unis et de huit autres pays qu’ils ratifient le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, comme nous l’avons fait avec les Britanniques, il y a douze ans déjà.
Nous attendons de la Russie qu’elle fasse preuve de transparence sur son arsenal d’armes tactiques et qu’elle l’englobe dans un processus de réduction ambitieux avec les États-Unis, portant sur toutes les catégories d’armes nucléaires.
Nous attendons de la Chine, de l’Inde et du Pakistan des engagements clairs sur la cessation de la production de matières fissiles et la négociation d’un traité d’interdiction.
Nous attendons de tous les pays l’adhésion sans réserve aux contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, sur leurs activités nucléaires et un soutien ferme face à ceux qui ne respectent pas leurs obligations, afin de garantir un désarmement nucléaire fondé sur les actes et non sur les paroles.
Monsieur le ministre, depuis plusieurs mois, la France s’emploie très activement, en liaison avec ses partenaires, à élaborer des propositions réalistes et précises, afin de faire de la conférence d’examen du TNP, en mai prochain, une étape utile sur la voie du désarmement et de la non-prolifération nucléaire. Le rapport d’information de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’inscrit dans cette démarche.
Je suis convaincu que le bilan de la France en la matière et son engagement au service de la paix et de la sécurité internationale la placent en position particulièrement favorable pour jouer un rôle actif dans ce débat. Seul un désarmement global, contrôlé et progressif peut assurer la paix. Tenir compte des réalités ne revient pas à tourner le dos à une grande cause, mais permet au contraire de la rendre réalisable, c’est tout le sens de notre rapport. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite tout d’abord que ce débat consacré au désarmement, à la non-prolifération nucléaire et à la sécurité de la France se tienne cet après-midi dans notre assemblée.
Il me semble en effet que c’est la première fois, depuis la création de notre force de frappe nucléaire, que se déroule, en séance publique, un débat parlementaire portant sur des questions aussi fondamentales que la doctrine de dissuasion nucléaire et la politique de désarmement de la France. Le contexte international et l’actualité s’y prêtent tout particulièrement, j’y reviendrai dans quelques instants.
Auparavant, il est à mon sens nécessaire, bien que notre débat de cet après-midi concerne le nucléaire et la sécurité de la France, d’élargir quelque peu notre vision des choses. En effet, l’arme nucléaire dans le monde d’aujourd’hui ne joue plus le même rôle « structurant » des relations internationales qu’avant la chute du mur de Berlin. À l’heure actuelle, on ne peut plus parler de désarmement, à la fois nucléaire et conventionnel – sans passer outre la spécificité de l’arme nucléaire, arme « absolue » de destruction massive, n’oublions pas la nécessité d’un désarmement conventionnel, parce que la paix et la sécurité ont besoin d’un véritable effort de démilitarisation –sans évoquer également les logiques de guerre, sans prendre en compte la persistance des conflits dans le monde, en Afghanistan notamment, où la France est directement impliquée, car on ne peut pas fragmenter la paix. Je n’ai pas le temps d’approfondir mon intervention en ce sens, mais je tiens à ce que nous ayons à l’esprit, dans nos réflexions et nos discussions, ce lien fondamental entre désarmement et conflits.
Pour revenir précisément à l’actualité nucléaire, je rappellerai que le projet de désarmement nucléaire relancé par le président des États-Unis dans son discours de Prague en avril 2009, la résolution 1887 (2009) votée à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité des Nations unies et la reprise des négociations « post-START » entre les Américains et les Russes ont incontestablement créé un climat plus favorable pour aborder ces questions.
Enfin, avec la récente conférence ministérielle tenue à Paris sur la sécurisation des exportations de technologie nucléaire civile, la prochaine conférence de Washington, en avril, sur la sécurité nucléaire, et surtout, en mai, à New York, la huitième conférence d’examen du traité de non-prolifération nucléaire, l’actualité ne peut qu’inciter les parlementaires que nous sommes à exprimer publiquement leurs réflexions et leurs propositions sur ce grand sujet de société.
Je regrette toutefois que la conférence des présidents n’ait pas saisi cette occasion pour inscrire à l’ordre du jour la proposition de résolution sénatoriale présentée par mon groupe politique et précisément consacrée aux initiatives que pourrait proposer notre pays lors du réexamen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ou TNP.
Néanmoins, le rapport excellent et très approfondi déposé au nom de la commission des affaires étrangères par notre collègue Jean-Pierre Chevènement fournit une base d’informations et de propositions qui, bien que nous soyons fortement en désaccord avec certaines d’entre elles, nourrit très utilement le débat de cet après-midi.
Cela étant, bien que le climat soit plus propice à des discussions internationales sur le désarmement nucléaire, les obstacles pour atteindre cet objectif restent nombreux.
En 2005, la précédente conférence d’examen du TNP avait échoué, faute de consensus avec les pays non dotés de l’arme nucléaire sur la façon d’empêcher la prolifération de ce type d’armes. Prenant pour exemple la situation au Moyen-Orient, ils avaient estimé que les exigences en matière de transparence, de contrôle et d’engagement à réduire les arsenaux étaient inégales entre les pays signataires et les non-signataires.
Il faut se rappeler que le TNP, à l’origine, consistait essentiellement en un marché passé entre les pays n’ayant pas encore testé d’engin nucléaire, qui s’engageaient à ne pas en mettre au point, et les pays détenteurs – les États-Unis, l’URSS d’alors, la Chine, la France et le Royaume-Uni – qui, eux, s’engageaient au désarmement nucléaire.
Or, le principal obstacle à la non-prolifération provient du sentiment légitime de frustration éprouvé par les pays « émergents » et des pays du Sud « non dotés », qui estiment que les grandes puissances ne tiennent pas leurs engagements en matière de désarmement. Ils s’opposent même au renforcement des instruments de vérification du nucléaire civil par l’extension du protocole additionnel de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, l’AIEA, qui prévoit des inspections inopinées et larges dans les pays menant des activités nucléaires.
Cette attitude peut se comprendre : comment demander de nouveaux efforts à des pays qui, comme le Brésil ou l’Afrique du Sud, ont abandonné l’option nucléaire militaire, si les autres États ne font pas également leur partie du chemin ?
La lutte contre la non-prolifération, sur laquelle insistent beaucoup les grandes puissances nucléaires, et la France tout particulièrement, ne peut être crédible et légitime que si elle s’accompagne d’un réel effort de ces puissances pour mettre en œuvre l’article VI du TNP, qui stipule qu’elles s’engagent à « poursuivre de bonne foi des négociations » relatives au désarmement nucléaire.
Le TNP et la résolution 1887 (2009) du Conseil de sécurité de l’ONU affirment le lien indissociable entre le régime de non-prolifération et le mouvement vers le désarmement nucléaire. Malgré les apparences, cette logique n’est pas respectée par les grandes puissances, qui opposent souvent désarmement et lutte contre la prolifération, créant ainsi le principal obstacle au désarmement.
Nous devons par ailleurs être lucides quant à la réalité des propositions américaines de désarmement nucléaire. Pour annoncer la nouvelle politique nucléaire des États-Unis, qui procède de la volonté du président Obama d’œuvrer à la dénucléarisation de la planète, la Maison Blanche a parlé d’une réduction spectaculaire de ses stocks, la chiffrant à plusieurs milliers d’ogives.
Dans le même temps, le Président des États-Unis propose aussi de conserver une force de dissuasion « solide et fiable », ce qui exclut très clairement la possibilité d’une élimination à court et moyen terme. Notons, en outre, que les États-Unis n’ont toujours pas ratifié le traité d’interdiction complète des essais nucléaires.
Il faut surtout relever que, tout en parlant de désarmement, l’administration américaine accroît considérablement le budget consacré à la modernisation de l’arme nucléaire et veut compenser ce recul de l’atome par le développement d’une défense antimissile « nouvelle manière », et de nouvelles armes conventionnelles. Ces armes de forte puissance, non nucléaires, constituées de missiles intercontinentaux dotés de charges explosives conventionnelles, seraient tirées à partir des États-Unis et pourraient frapper n’importe où dans le monde dans un délai d’une heure.
Fondamentalement, la doctrine américaine consiste, certes, à détenir moins d’armes nucléaires – sans d’ailleurs se fixer d’objectif concret d’élimination – mais plus d’armes conventionnelles.
Face aux apparences de la nouvelle doctrine américaine, la France semble très réticente à poursuivre son engagement dans la voie du désarmement. À regarder de près l’attitude des autres membres du « club nucléaire », on s’aperçoit que la posture du Royaume-Uni, qui débat de la modernisation de sa force de frappe, est ambiguë, que la Chine accroît son arsenal, et que la Russie peine à envisager un désarmement nucléaire total qui la désavantagerait lourdement sur le plan conventionnel.
Ainsi, l’argumentation de la France consiste à dire que la réduction des arsenaux français, américains, russes et britanniques n’a jamais entraîné un ralentissement des programmes nucléaires des autres pays, et qu’elle ne reconnaît, en conséquence, aucune vertu pédagogique à ce processus.
Nous considérons également que nous avons déjà donné l’exemple en renonçant à la composante terrestre des missiles du plateau d’ Albion, en diminuant d’un tiers notre composante aéroportée, en réduisant à trois cents le nombre de nos têtes nucléaires, en démantelant le centre d’essais atomiques du Pacifique ainsi que nos usines de production de matière fissile.
Tout cela est vrai et témoigne d’un réel effort de notre part.
Mais les déclarations du Président de la République donnent l’impression qu’à ses yeux la lutte contre la prolifération est la seule priorité et qu’elle n’est pas compatible avec le désarmement nucléaire.
Précisément, il ne faudrait pas que l’image positive que nous avons acquise auprès de nombreux pays émergents, grâce à notre attitude exemplaire tant dans la ratification des traités que dans des mesures unilatérales de désarmement, soit ternie à l’approche de la conférence d’examen du TNP. En effet, de nombreux pays nous soupçonnent de vouloir préserver à tout prix le siège de membre permanent du Conseil de sécurité que nous devons en grande partie à notre force de dissuasion.
Aujourd’hui, à la veille de la huitième conférence d’examen du TNP, nous sommes à la croisée des chemins. Il est impératif d’éviter un nouvel échec comme il y a cinq ans. Celui-ci enterrerait définitivement le régime de non-prolifération défini par le TNP. Il faut le soutenir sans ambiguïté et le renforcer, car il est le seul à pouvoir garantir en toute sécurité l’accès au nucléaire civil aux États qui renoncent à l’acquisition de l’arme nucléaire. Sinon, ce serait à coup sûr une prolifération débridée, la disparition de ce cadre juridique international sans qu’il soit remplacé, le risque accru de la probabilité d’emploi de l’arme nucléaire et, au total, le retour d’un rapport de force nucléaire dans les relations internationales.
Notre pays peut de nouveau jouer un grand rôle et être un acteur dynamique du désarmement nucléaire multilatéral lors de la conférence de New-York. Pour cela, il doit être porteur de propositions ambitieuses et constructives, car ce sont d’abord les pays « dotés » qui doivent donner l’exemple et montrer concrètement que régime de non-prolifération et mouvement vers le désarmement nucléaire vont de pair.
Il sera crucial de convaincre les pays émergents et « non-dotés » que le TNP, qui promettait le désarmement des uns en échange du renoncement des autres à la bombe, n’est pas un marché de dupes.
Il faudra aussi parvenir à un accord d’ensemble sur le désarmement nucléaire tout en empêchant, comme le visent les États-Unis et la Russie, une compensation en armements conventionnels, chimiques et biologiques.
Il sera pourtant bien difficile de progresser dans cette voie si les cinq puissances nucléaires – mais aussi Israël, l’Inde et le Pakistan – ne sont pas unanimes. Si l’on veut persuader ces trois pays d’adhérer au TNP, il faut concrètement réduire les arsenaux au plus bas niveau.
Or, si l’on doit reconnaître un certain effort américain, même s’il est ambigu, il faut aussi avoir présent à l’esprit que les États-Unis restent, avec la Russie, la principale puissance nucléaire en stocks, très loin devant la France, la Chine ou le Royaume-Uni.
Il est donc déterminant que, comme le propose Jean-Pierre Chevènement dans son rapport, les Américains et les Russes amplifient leur effort de désarmement de manière significative. Il faudrait également, comme le demande notre collègue dans son rapport, obtenir de tous les États qui ne l’ont pas encore fait la ratification du traité d’interdiction des essais nucléaires et entamer des négociations sur la production de matières fissiles à usage militaire.
Quant aux autres propositions que Jean-Pierre Chevènement suggère de présenter lors de la conférence, nous estimons qu’elles accompagnent la position officielle du Gouvernement. En souscrivant à l’idée que la France a eu une position « exemplaire » en matière de réduction de notre arsenal et en invitant le Gouvernement à être très ferme pour préserver l’indépendance que garantit notre force de dissuasion, il exclut toute nouvelle proposition de réduction de notre arsenal nucléaire.
Pour aller au-delà des préconisations minimales positives que contient ce rapport, le groupe CRC-SPG propose que notre pays prenne des initiatives fortes afin que les États s’engagent à mettre fin à la modernisation de leurs armes et de leurs vecteurs.
La France pourrait de nouveau montrer l’exemple en interrompant le programme de missile stratégique M 51, qui est davantage un héritage de la guerre froide qu’un instrument de défense adapté aux menaces d’aujourd’hui.
Elle pourrait également proposer que, pour tous les pays, les doctrines de la dissuasion soient strictement limitées au « non-emploi » des armes nucléaires, comme l’était celle de la France avant les inflexions de doctrine décidées par les présidents Chirac et Sarkozy dans leurs discours respectifs de l’Île Longue et de Cherbourg. Cela supposerait ainsi que soit bannie toute forme de frappe préventive.
Au total, nous souhaitons donc que, lors de la prochaine conférence d’examen du TNP, notre pays participe plus activement aux efforts de désarmement en proposant d’entrer dans un processus de négociation sur notre armement nucléaire, avec un calendrier contraignant. Ce serait un nouveau signe de bonne volonté qui montrerait aux pays sceptiques que nous n’en restons pas aux annonces de réduction de notre potentiel militaire faites par le Président de la République à Cherbourg en mars 2008.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques réflexions que notre groupe voulait apporter à ce débat sur le désarmement, la non- prolifération nucléaire et la sécurité de notre pays.
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me réjouir que les vaguelettes du récent remaniement ministériel – qualifié de lilliputien par Alain Duhamel dans les colonnes du journal Libération, aujourd'hui – n’aient pas encore atteint la rive gauche de la Seine (Sourires.), ce qui aurait à coup sûr compromis ce débat que nous attendons depuis si longtemps. Je remercie le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d’avoir permis qu’il puisse aujourd'hui se tenir, car notre commission est pleinement dans son rôle en abordant en séance publique le thème, important et complexe, du désarmement.
Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement constitue un excellent socle sur lequel nous pouvons travailler et qui nous permettra d’apporter publiquement et utilement nos réflexions et nos propositions.
J’espère aussi que le Gouvernement aura la sagesse d’écouter et surtout d’entendre la voix du Sénat.
Il serait sage en effet que, dans la perspective de la prochaine conférence quinquennale d’examen du traité de non-prolifération nucléaire, le TNP, le Gouvernement puisse expliquer devant la représentation nationale sa position et les propositions que ses délégués défendront.
Je considère que le désarmement sous toutes ses formes, en particulier le désarmement nucléaire, constitue un axe important, essentiel même, de la diplomatie française et de son rayonnement international.
Le très complet rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement a aussi la vertu de m’épargner d’avoir à faire de longs développements sur l’état des lieux de la question qui nous occupe aujourd’hui, ainsi que des analyses nécessaires mais chronophages sur le contexte international.
En conséquence, je peux, ici et maintenant, aller à l’essentiel et, dans le peu de temps imparti, me consacrer à évoquer quelques-uns des nombreux points primordiaux de ce dossier.
Mes collègues du groupe socialiste auront à cœur d’aborder d’autres points et de compléter ainsi notre analyse.
D’abord, une évidence : la perspective d’un monde sans armes nucléaires semble être intéressante, souhaitable, au point que, au siècle dernier, en 1968, les pays signataires du TNP s’étaient déjà engagés « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ».
De l’eau a coulé sous les ponts, des murs sont tombés, nous avons changé de siècle et nous restons toujours sur le même objectif : un désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ; cela peut être rassurant pour certains et très décourageant pour d’autres.
Or cette perspective d’un monde sans armes nucléaires semble toujours remise à plus tard.
II nous faut donc sortir des déclarations qui font plaisir pour s’atteler à une action concrète capable de faire bouger les lignes.
Il faut chercher à faire avancer le dossier du désarmement nucléaire sur trois plans imbriqués mais différents : d’abord, le TNP, dont les orateurs qui m’ont précédé ont abondamment parlé, ensuite, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE, et, finalement, le traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour des armes nucléaires, le TIPMF. Nous écouterons avec attention les explications du ministre sur l’action de la France dans ces domaines.
Mais, sans tarder, je veux insister sur la proposition d’aller dans un premier temps vers « une zone de basse pression nucléaire », exposée dans le rapport Chevènement, qui me semble une bonne orientation.
Les arsenaux nucléaires des États-Unis et de la Russie sont concernés au premier chef. Leur importance quantitative et qualitative fait qu’ils doivent, eux, bouger les premiers. Mais nous ne devons pas avoir une attitude attentiste. II faut que le Gouvernement se saisisse de cette proposition et qu’il lui donne vie diplomatique.
La France doit chercher des alliés pour faire prospérer cette initiative, et ces alliés, il faut les trouver d’abord en Europe. La France ne doit pas se trouver isolée dans une telle négociation.
Cette négociation, déjà en cours, doit aussi être placée dans le contexte de la nouvelle architecture globale de sécurité en Europe.
Certes, sans le faux pas de notre réintégration pleine et entière dans les comités militaires de l’OTAN, notre pays aurait plus de marges pour convaincre Européens et Russes de la nécessité de créer un vaste espace de sécurité commune.
Ainsi, des thèmes tels que la dissuasion nucléaire et l’éventuelle défense anti-missiles devraient pouvoir être abordés au sein de l’Union européenne d’abord, avec nos voisins ensuite, dont la Russie, afin d’être en mesure de permettre aux Européens de s’approprier leur propre géopolitique et de gérer eux-mêmes les relations avec les voisins.
Or je crains que dorénavant nous ne devions attendre que l’Alliance redessine ses priorités, que l’OTAN définisse ses concepts, avant que nous puissions exprimer, d’une manière autonome, et faire partager, notre conception d’un nouvel équilibre de sécurité sur le continent européen.
Le désarmement nucléaire et conventionnel en fait partie. Nous serons, hélas ! je le crains, à la traîne.
Par ailleurs, il faut expliquer encore et encore que la ratification par les États-Unis du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, signé en 1996, est une priorité qui peut aussi avoir valeur d’exemple pour le monde entier, et en tout premier lieu, pour les pays qui, aujourd’hui, résistent encore à cette ratification : la Chine, le Pakistan, l’Inde.
Voilà un bon sujet de discussion pour les prochaines rencontres entre Nicolas Sarkozy et Barack Obama.
La lutte contre la prolifération, contre la dissémination de l’arme nucléaire est un impératif, certes, mais cette lutte s’inscrit dans des contextes de crises régionales qu’il ne faut pas négliger. La prolifération nucléaire épouse étroitement la carte des conflits et des problématiques régionales non résolus. II est impossible de s’attaquer à ce fléau sans chercher la solution aux causes profondes des crises régionales graves. Dois-je les citer ?
Vous savez tous que, pour la sécurité de l’Europe, le Proche-Orient et le Moyen-Orient sont essentiels. Israël, Palestine, Iran : ce sont les acteurs d’une tragédie où se jouent non seulement l’avenir de leurs peuples respectifs mais aussi celui de notre sécurité en Europe et de la paix dans le monde.
Lors d’un récent débat qui s’est tenu ici même le 12 janvier, a déjà été abordé le problème général de la nucléarisation du Moyen-Orient. II y a urgence à trouver une solution politique.
L’affrontement direct ou par pays interposé – l’Afghanistan – entre l’Inde et le Pakistan fait trembler l’Asie et entraîne des courses à l’armement dans toute la région.
Ce n’est pas un hasard si trois États qui n’ont jamais adhéré au TNP – l’Inde, Israël et le Pakistan – se sont dotés de l’arme nucléaire, ce qui fragilise le régime international de non-prolifération et constitue un formidable exemple négatif susceptible de faire ici ou là des émules.
Sans solution politique crédible aux crises régionales, il n’y aura pas d’avancée en matière de désarmement. Nous devons continuer à proposer à nos concitoyens une information sincère sur toutes les questions nucléaires, civiles et militaires ; en effet, le système français de dissuasion militaire et les programmes nucléaires civils ne sont pas une donnée immarcescible.
Sans le soutien conscient de la population et sans une bonne connaissance de nos concitoyens sur ces sujets, le système actuel peut être fragilisé, voire mis en échec par des campagnes pleines de bonnes intentions mais qui ne seront pas exemptes d’arrière-pensées.
En effet, monsieur le ministre, force est de reconnaître que de graves menaces, qui doivent être mises en lumière, pèsent sur notre propre force de dissuasion. Il en est ainsi depuis bien longtemps dans notre pays, depuis l’origine, allais-je dire. Ne nous bouchons pas trop les yeux !
Le danger le plus immédiat pour la force de frappe nucléaire française, à ce jour, c’est d’abord votre politique budgétaire et l’état calamiteux des finances publiques du pays, notamment depuis l’arrivée de la droite au pouvoir, en 2002.
Les réductions budgétaires que votre propre politique vous conduit inéluctablement à imposer auront de graves conséquences sur notre défense. Les adversaires de toujours ou les plus réticents sont aux aguets.
Prenez garde, car je crains que ce ne soient pas les considérations d’ordre stratégique qui priment mais la simple urgence budgétaire dans laquelle vous vous précipitez, et la France du même coup !
Quant au Président Obama, s’il a affirmé fortement son ambition d’un monde sans armes nucléaires, on ne peut que constater qu’il rencontre, dans son propre pays, de fortes résistances à la ratification du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE.
En matière de désarmement, le pragmatisme doit aussi primer sur la rhétorique !
La France se devrait d’être une force de proposition au cours de la prochaine conférence d’examen du TNP. Elle devrait œuvrer à l’adoption d’une position européenne commune, ambitieuse et équilibrée. Où en sont, à cet égard, les États membres de l’Union européenne ?
Pour terminer mon propos, monsieur le ministre, je voudrais vous poser trois questions précises.
Le nouveau concept stratégique de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord est actuellement en préparation. La position de la France au sein de l’Alliance a changé par la seule volonté du Président Sarkozy et il est fort probable que notre dissuasion nucléaire soit dorénavant mise dans le panier de la discussion de ce concept stratégique.
À ce sujet, quelle est la position défendue par la France au sein de l’OTAN ? Le Gouvernement soutiendra-t-il les initiatives qui germent déjà, ici ou là, sur une Europe sans armes nucléaires ? Peut-on envisager d’alléger, puis de faire disparaître la dissuasion nucléaire au profit d’une promesse de protection du territoire européen par un système de défense antimissile balistique ?
Monsieur le ministre, je ne peux évidemment pas vous obliger à suivre la feuille de route tracée par notre collègue Jean-Pierre Chevènement dans son rapport, qui, je le confirme, est fermement soutenu par la commission des affaires étrangères. Toutefois, je vous incite à lui offrir une attention soutenue... Elle pourrait s’avérer très utile face aux échéances à venir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mon cher ami Jean-Pierre Chevènement, mes chers collègues, dans son célèbre discours de Prague, le président Barack Obama avait affirmé engager sa politique étrangère sur le chemin de « la paix et la sécurité dans un monde sans armes nucléaires ».
À l’approche de l’ouverture de la prochaine conférence d’examen du TNP, on peut se demander si toutes les conditions seront réunies pour exaucer un vœu que l’humanité entière doit souhaiter.
Au regard des crises récentes de prolifération nucléaire, en Corée du Nord et en Iran, il est clair que la diplomatie internationale devra encore beaucoup manœuvrer avant d’atteindre cet idéal.
Toutefois, depuis sa conception en juin 1968, le TNP a incontestablement permis de nombreux progrès dans la voie du désarmement. Malgré la persistance de points de blocage, que nous connaissons, les avancées positives observées au cours de ces dernières décennies invitent à poursuivre l’approfondissement de ce traité.
Tout d’abord, reconnaissons que les États-Unis et la Russie ont accompli de notables efforts pour diminuer leur arsenal nucléaire. Le traité START I de réduction des armes stratégiques, qui me rappelle, monsieur le ministre, mon passage au Quai d’Orsay – nous sommes bien dans la continuité ! –, suivi du traité de réduction des arsenaux nucléaires stratégiques, le SORT, tous deux signés entre les États-Unis et l’Union Soviétique, ont mis un coup d’arrêt à la course effrénée aux armements à laquelle les deux pays s’étaient livrés durant la guerre froide.
L’escalade avait généré jusqu’à 60 000 têtes nucléaires au total, au moment des tensions les plus fortes. Aujourd’hui, on comptabiliserait 22 400 têtes pour les deux pays. C’est bien mieux, mais cette décrue ne doit pas faire oublier que Russes et Américains concentrent, à eux seuls, 96 % du stock mondial d’armes nucléaires.
Parmi les pays dotés qui se sont également engagés en faveur du désarmement, je crois qu’on peut, sans chauvinisme aucun, citer la France, dont l’attitude a été particulièrement exemplaire en ce domaine. Nous pouvons nous en réjouir sur toutes les travées de cette assemblée.
En procédant, dans la plus grande transparence, à une réduction de 50 % de ses armes nucléaires depuis la fin de la guerre froide et en renonçant aux essais nucléaires dès 1996, notre pays a su réviser sa doctrine stratégique en faveur du principe de stricte suffisance. Cette position permet à la France d’être perçue comme disposant d’une force « respectable », tout en étant relativement protégée dans les débats relatifs au désarmement.
Tous ces engagements concrets ont permis de légitimer le TNP, qui, à ce jour, est tout de même signé par 189 États sur 192.
J’ajouterai que le traité a aussi acquis une certaine solidité juridique en s’enrichissant à trois reprises. Sa prorogation en 1995 pour une durée infinie, la signature du traité d’interdiction complète des essais nucléaires en 1996 et l’adoption, en 1997, d’un protocole additionnel de garanties dit « 93+2 » ont renforcé l’édifice international de lutte contre la prolifération nucléaire.
Dans son excellent rapport d’information, fait au nom de notre commission des affaires étrangères, dont je salue le président, notre collègue Jean-Pierre Chevènement a bien démontré les vertus que pouvait avoir le TNP en le qualifiant « d’instrument irremplaçable pour la sécurité internationale ». Avec justesse et pertinence, il en a aussi pointé toutes les limites.
D’une part, les deux grandes puissances doivent franchir un nouveau palier. Aux États-Unis, la ratification du TICE peine à se réaliser : cela risque évidemment de peser lors des discussions qui s’ouvriront en mai prochain à New York.
D’autre part, l’objectif de réduction du nombre de têtes nucléaires affiché par la Russie et les États-Unis, visant à inscrire ce nombre dans une fourchette comprise entre 1 500 et 1 675 têtes, n’est toujours pas atteint, comme en témoignent les chiffres que je citais à l’instant.
On en connaît les raisons : le projet américain de défense antimissile en Europe engendre de fortes crispations à Moscou et dans la zone qu’on appelait autrefois les pays de l’Est. Il est certain que la volonté affichée par le président américain de réduire les armes nucléaires s’accorde mal avec le projet de développement d’une défense antimissile.
Ce point d’achoppement soulève d’ailleurs la question centrale de l’article VI du TNP, qui pose le principe d’un désarmement général et complet. Il ne faudrait pas aboutir à une nouvelle situation déséquilibrée avec, d’un côté, ceux qui jouent le jeu du désarmement général et, de l’autre, ceux qui donnent des gages dans le domaine du nucléaire, tout en renforçant fortement leur arsenal conventionnel et balistique.
Par un effet pervers, s’il s’agit de substituer à la dissuasion nucléaire une défense conventionnelle sophistiquée basée dans l’espace, le monopole de la sécurité tombera très vite entre les mains des États qui maîtrisent la technologie et, surtout, peuvent la supporter financièrement. Compte tenu de ces contraintes, beaucoup de pays souhaiteront se réfugier sous un parapluie, ce qui engendrera une perte d’autonomie de leur défense.
Au regard du caractère aléatoire et aliénant de cette protection, je ne crois pas que notre pays aurait intérêt à délaisser sa politique de dissuasion. C’est pourquoi, comme le souligne Jean-Pierre Chevènement dans son rapport, la conférence d’examen du TNP ne devra pas ignorer les questions relatives à la prolifération balistique.
En attendant, le traité START I est expiré depuis le 5 décembre 2009. Si l’on peut vivre sans, il est toutefois certain qu’en ne donnant pas l’exemple, les deux grandes puissances affaiblissent le TNP et privent le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies d’arguments lors de la gestion de crises difficiles, comme celles de la Corée du Nord et, surtout, de l’Iran.
Le représentant égyptien à l’ONU s’est récemment engouffré dans cette brèche en dénonçant les puissances nucléaires qui ne tiennent pas leurs engagements.
Certains pays estiment effectivement qu’il y a deux poids et deux mesures dans la gestion des crises de prolifération et il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas tout à fait tort ! Même si l’arme nucléaire n’est pas faite pour être employée – souhaitons-le en tout cas –, la nature de certains régimes pousse la communauté internationale à réagir à certaines situations plus qu’à d’autres. Celle-ci laisse ainsi de côté la prolifération chinoise, mais ne laisse pas passer, d’ailleurs à juste titre, le risque iranien.
Dans ce contexte, quelle posture la France doit-elle adopter ?
Compte tenu de l’exemplarité dont notre pays a fait preuve au cours de ces dernières décennies, il ne semble pas opportun qu’il s’engage au-delà de l’état actuel de son désarmement, au risque de ne plus pouvoir garantir sa sécurité avec une certaine indépendance.
Dotée de 300 têtes nucléaires, y compris les stocks de maintenance, la France ne doit souffrir d’aucune gêne en comparaison de l’arsenal détenu par les Russes et les Américains.
Forte de son attitude, elle a un rôle politique à jouer. Elle doit encourager en priorité la réduction des arsenaux russes et américains, la normalisation des relations avec l’Iran, la reprise des pourparlers avec la Corée du Nord.
Mes chers collègues, un monde sans armes suppose un monde en paix.
Le TNP est un bel outil qui a fait progresser le désarmement, mais la non-prolifération passe aussi par la résolution des grands conflits régionaux. Ce sont eux qui déclenchent la prolifération !
Comme le disait Raymond Aron, « l’univers diplomatique est comme une caisse de résonance : les bruits des hommes et des choses sont amplifiés et répercutés à l’infini. L’ébranlement subi en un point de la planète se communique, de proche en proche, jusqu’à l’autre bout ». Garantir un monde sans guerre implique une approche globale, qui ne néglige pas pour autant une écoute particulière de chacun des conflits de la planète. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
(Mme Catherine Tasca remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord me réjouir de l’occasion qui nous est donnée, aujourd’hui, de débattre d’enjeux stratégiques fondamentaux pour notre pays. Cette occasion, nous la devons à l’initiative prise par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la base du travail très approfondi et des conclusions, très largement approuvées par notre commission, de l’excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement.
Pour ma part, mes chers collègues, je me limiterai à quelques observations.
Tout d’abord, je crois que les analyses de M. Jean-Pierre Chevènement démontrent la cohérence de la démarche française.
En effet, la France soutient les efforts en matière de désarmement au travers d’une approche réaliste, tout en veillant à préserver ses intérêts de sécurité et le rôle fondamental que doit continuer à jouer, dans sa stratégie de défense, la dissuasion nucléaire.
Depuis une quinzaine d’années, cela a été souligné, elle a contribué de manière très concrète et significative au désarmement. Elle ne relâche pas son appui à cet objectif, comme en témoignent les propositions qu’elle a formulées, notamment avec ses partenaires européens, en vue de la conférence d’examen du TNP.
Pour autant, nous devons garder à l’esprit qu’il y a très loin de la vision d’un monde sans armes nucléaires, à laquelle le Président Obama a donné un large écho, à la réalisation des conditions qui rendraient cette perspective accessible, possible à moyen terme.
Nous vivrons encore, durant plusieurs décennies, avec des arsenaux américains et russes considérables. Jusqu’à présent, les puissances nucléaires asiatiques, à commencer par la Chine, ne se situent pas dans une logique de réduction, ni même de plafonnement de leurs capacités nucléaires militaires. L’apparition de nouveaux états nucléaires est un risque réel, tant que ne sera pas garanti le plein respect du régime de non-prolifération. Enfin, l’entrée en vigueur de traités de désarmement majeurs est encore hypothétique.
Je pense bien sûr au traité d’interdiction complète des essais nucléaires, que neuf États, dont les États-Unis, doivent encore ratifier, mais également à un futur traité d’interdiction de la production de matières fissiles militaires, dont la négociation n’est toujours pas ouverte du fait des préalables posés par le Pakistan et promet d’être longue et difficile.
Dès lors, la posture nucléaire française conserve sa pertinence, dans le cadre du principe de stricte suffisance.
Ce principe a de nouveau été illustré, il y a quelques mois, avec la réduction d’un tiers de la composante aéroportée. Il me paraît essentiel que, dans le respect de ce format, beaucoup plus réduit qu’il y a une vingtaine d’années, la crédibilité de notre dissuasion soit maintenue et que les orientations fixées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et par la loi de programmation militaire soient strictement respectées.
M. Jean-Pierre Chevènement, à juste titre, a insisté sur les conditions à réunir pour aller vers ce qu’il a qualifié de « zone de basse pression nucléaire ». La première d’entre elles réside dans la poursuite du désarmement américano-russe. Celui-ci devra aller très au-delà du traité, en cours de conclusion, qui doit succéder au traité START et porter sur le volume global des deux arsenaux, en incluant les armes en réserve et les armes tactiques.
Nous le voyons bien, la question de la défense antimissile est d’ores et déjà au cœur des discussions entre les États-Unis et la Russie. Nous avons eu à plusieurs reprises des débats en commission sur ce sujet.
Dès lors qu’ils visent uniquement à se protéger des puissances régionales développant leurs propres moyens balistiques, les projets américains de défense antimissile auraient tout intérêt, me semble-t-il, à faire l’objet d’une véritable concertation avec la Russie, voire avec la Chine, afin que ces pays n’y voient pas une source d’affaiblissement pour leur dissuasion.
Je reconnais que la question de la mise en place d’un système de défense antimissile à l’échelle de l’Europe mérite une approche extrêmement prudente, notamment en termes d’appréciation des coûts et de fiabilité au regard de la réalité des menaces. Pour autant, il ne faut pas opposer d’objections de principe à des technologies qui sont appelées à se développer et qui peuvent finalement jouer un rôle complémentaire par rapport à la dissuasion, mais en aucun cas s’y substituer. La France, en raison de son expérience en matière balistique, ne peut ignorer ce domaine, sur lequel la réflexion doit être poursuivie.
Je partage les conclusions du rapporteur sur la nécessité de renforcer le régime international de non-prolifération nucléaire. À ce sujet, je souhaiterais insister sur le caractère essentiel du dossier iranien.
Bien évidemment, personne ne conteste à l’Iran le droit de développer des activités nucléaires civiles et de mettre en œuvre des technologies associées. Mais cela suppose une adhésion pleine et entière à la règle du jeu posée par le TNP, dont le contrôle revient à l’AIEA. L’Iran a mené de manière clandestine trop d’activités dont la finalité civile est loin d’être démontrée pour que ne pèse pas un doute majeur sur ses intentions.
La confiance, qui est à la base du TNP, fait gravement défaut. Tant qu’elle ne sera pas rétablie, nous ne pouvons pas laisser se poursuivre sans réagir des programmes pouvant potentiellement déboucher sur des applications militaires.
L’unité de la communauté internationale est indispensable pour éviter une situation qui ne manquerait pas d’alimenter le risque de prolifération en chaîne, particulièrement dans la région si sensible du Moyen-Orient.
Au-delà du cas iranien, il paraît urgent de mettre en place des mécanismes permettant de prévenir de manière plus précoce et plus efficace ce type de situations. Je soutiens, bien entendu, les recommandations contenues à ce sujet dans le rapport de M. Chevènement.
Le protocole additionnel qui donne à l’AIEA des pouvoirs de contrôle renforcés apparaît aujourd'hui comme un instrument de vérification indissociable du TNP. Son universalisation, ainsi que le renforcement des moyens humains et techniques de l’Agence, doivent constituer un objectif prioritaire. Il est également nécessaire d’encadrer le droit de retrait du TNP qui constitue l’une des faiblesses du traité, comme l’a montré l’exemple nord-coréen.
Je souscris également aux propositions du rapporteur visant à rapprocher les trois États non signataires du TNP du régime international de non-prolifération, au travers d’un ensemble d’engagements comparables à ceux que l’Inde a pris devant l’AIEA et le Groupe des fournisseurs nucléaires. Le rôle des réseaux pakistanais dans le programme nucléaire de l’Iran souligne a contrario l’intérêt d’amener ces États à exercer des contrôles stricts sur leurs exportations de biens ou de technologies nucléaires ou à double usage.
Enfin, nous devrions apporter des réponses fermes lors de la conférence d’examen à certains pays émergents qui s’opposent au renforcement des règles de contrôle, dans lesquelles ils voient un obstacle à un plus large accès aux technologies nucléaires civiles.
C’est au contraire le plein respect des règles de transparence et la mise en œuvre des mécanismes internationaux de vérification qui permettront un développement des coopérations et la diffusion de technologies dans le domaine nucléaire civil, pour le bénéfice de tous.
Je me félicite qu’en organisant il y a quelques jours à Paris une Conférence internationale sur l’accès au nucléaire civil, qui a d’ailleurs reçu un soutien appuyé du nouveau directeur général de l’AIEA, la France ait de nouveau montré très clairement sa disponibilité vis-à-vis des pays souhaitant recourir à ce type d’énergie.
Avec la non-prolifération et le désarmement, il s’agit du troisième pilier du TNP, qui n’a peut-être pas recueilli au cours des dernières années toute l’attention qu’il aurait méritée.
Le développement du nucléaire civil et la lutte contre la prolifération ne sont pas des objectifs antagonistes. Bien au contraire ! L’expérience a d’ailleurs montré que les pays tentés par le développement de capacités nucléaires militaires ont le plus souvent suivi d’autres voies que le passage par un programme civil. Il faut par ailleurs encourager les technologies, déjà très largement présentes sur le marché, qui répondent à des standards très élevés en termes de sureté, de sécurité et de non-prolifération.
Comme l’a souligné à plusieurs reprises le Président de la République, il n’y a aucune raison de limiter notre assistance et la mise en place de coopérations technologiques dès lors que les pays demandeurs souhaitent développer un programme électro-nucléaire crédible, répondant à leurs besoins énergétiques, et qu’ils se soumettent à une gamme complète des contrôles prévus par les instruments internationaux.
Un engagement plus résolu en ce sens serait de nature à renforcer le consensus de la communauté internationale autour du TNP.
Pour conclure, je note que des avancées sont possibles sur chacun des trois volets du TNP. Le rapport de M. Chevènement les a bien identifiées. Je souhaite que la France s’attache à les promouvoir lors de la prochaine conférence d’examen au cours de laquelle elle jouera – nous en sommes certains ! – un rôle actif et constructif. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE.)
M. Jacques Blanc. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le désarmement est un sujet d’une grande importance qui, malheureusement – nous en sommes tous conscients – est peu présent dans le débat public.
J’ai soutenu l’initiative prise par le président de la commission des affaires étrangères et de la défense qui a abouti à l’excellent rapport de Jean-Pierre Chevènement – que je remercie très sincèrement de la pertinence de ses constats et de l’excellence de ses recommandations –, puis au débat de ce jour.
Dans mon esprit, il ne s’agit que d’une étape, non de la fin du processus : je propose que notre commission demeure saisie du dossier du désarmement sous tous ses aspects, mais également que le Gouvernement, avant les prochaines échéances diplomatiques, informe le Sénat des propositions françaises et de l’état des négociations.
Pourquoi faut-il faire avancer coûte que coûte le désarmement ? Quelles sont les tendances lourdes qui structurent d’ores et déjà l’évolution du système international ? Rassurez-vous, mes chers collègues, je ne tenterai pas d’être exhaustif : pour cela, je vous renvoie au rapport de M. Chevènement.
Je tenais à le faire remarquer, nous nous trouvons immergés dans une mondialisation qui, dans un même mouvement, structure et ébranle le système international. L’instabilité semble être le maître mot pour décrire l’état de la planète.
Nous assistons à des événements de natures fort diverses et même disparates, qui produisent des ruptures multiples et parfois violentes : les catastrophes naturelles, la faillite du système bancaire et financier international, la prolifération nucléaire, les risques de pandémie mondiale, les conflits militaires dits régionaux, les crises sociales et ses victimes innombrables que sont les chômeurs et les migrants. Et je pourrais poursuivre l’énumération !
Ces événements font planer une forte incertitude sur l’ensemble du système, alors que les institutions de régulation et de gouvernance mondiale semblent pour le moins inadaptées et que nous assistons à une montée en puissance des conflits d’intérêts entre les États.
Incertitude, instabilité, affrontements étatiques : nous savons hélas ! comment cela peut finir. Voilà pourquoi la question du désarmement conventionnel et nucléaire se trouve au cœur des problématiques relatives à la sécurité collective, pourquoi il est nécessaire d’informer nos concitoyens de l’urgence et pourquoi nous devons inciter le Gouvernement à œuvrer très rapidement pour relancer ce dossier.
Il faut, d’abord, énoncer clairement les principes.
Oui, nous devons soutenir fermement les fondements mêmes du traité de non-prolifération, le désarmement nucléaire général étant inscrit à l’article VI de ce traité.
Oui, le désarmement général a toujours été un objectif majeur des socialistes, comme les gouvernements de gauche sous la présidence de François Mitterrand et celui de Lionel Jospin l’ont prouvé par des actes concrets. Il faut que ce désarmement soit maîtrisé et contrôlé et qu’il apporte plus de sécurité.
Oui, il faudra veiller en permanence à associer le désarmement et la sécurité collective, pour éviter que l’un ne prospère au détriment de l’autre.
Non, le processus de désarmement ne doit pas se traduire par un accroissement des déséquilibres dans d’autres domaines stratégiques. C’est la raison pour laquelle la démarche du désarmement doit être élargie progressivement à l’ensemble des armements conventionnels et à la limitation de la militarisation de l’espace.
Oui, il convient de lier les questions relatives à la prolifération balistique et au désarmement nucléaire à la mise en place des défenses antimissiles balistiques.
Oui, le concept de « stricte suffisance » appliqué à notre dissuasion nucléaire reste en vigueur. Il faut cependant veiller à ne pas isoler notre pays au sein de l’Union européenne en matière de nucléaire et envisager d’aborder l’ensemble de la problématique de sécurité continentale avec nos voisins.
Oui, la France doit faire entendre sa voix conformément aux objectifs énoncés dans le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, afin d’encourager la stabilité internationale, sur la base du principe d’une sécurité non diminuée pour tous. Notre pays ne doit pas, de grâce, rester spectateur.
Washington et Moscou sont actuellement en train de négocier l’adoption d’un nouveau traité de désarmement nucléaire destiné à succéder à START, qui a expiré en décembre. Cependant, les discussions ont été compliquées par des désaccords sur un certain nombre de sujets, dont, notamment, le projet américain de défense antimissile en Europe de l’Est.
Récemment, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que le nouveau traité russo-américain fixera un lien « juridiquement contraignant » avec le projet américain de bouclier antimissile en Europe.
Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur un accord qui réglerait, par-dessus la tête des Européens, et donc des Français, le sort de la sécurité de notre continent !
Le secrétaire général de l’OTAN, M. Rasmussen, a confirmé que l’Alliance occidentale discutera du dispositif nucléaire les 22 et 23 avril prochain à Tallinn. Le débat portera sur la manière dont l’OTAN peut contribuer au contrôle des armes et au désarmement nucléaire dans le cadre du concept stratégique, en cours d’actualisation, de l’Alliance.
Certains alliés, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la Norvège et les Pays-Bas, ne font pas mystère : ils souhaitent, à moyen terme, le retrait des dernières armes atomiques américaines d’Europe.
Leur intention est d’éliminer les armes nucléaires que, d’après des experts, les États-Unis stockent encore dans cinq pays de l’OTAN : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie. Mais la question a aussi une dimension politique, et c’est sans doute pourquoi deux des pays où ces bombes sont stockées, l’Italie et la Turquie, n’ont pas cosigné la lettre.
Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement consacre un long développement fouillé à cette question ; pour l’OTAN, la question se posera dans les prochaines années, à partir de 2012, de la modernisation ou du retrait de ses armes nucléaires tactiques stationnées en Europe.
Des voix se font entendre pour dénucléariser les pays de l’OTAN où sont stationnées les armes nucléaires « tactiques » américaines. Certaines vont même jusqu’à demander une Europe exempte d’armes nucléaires.
Monsieur le ministre, le prochain sommet de l’OTAN, qui se tiendra à Lisbonne à la fin de 2010, aura à approuver le nouveau concept stratégique de l’Alliance atlantique, et, vous le savez bien, il devra aborder aussi la question du nucléaire militaire en Europe. Quelle est la position de la France en la matière ? Quelles sont les propositions du Gouvernement ?
Je n’oublie pas ces propos du Président de la République : « Plus de France dans l’OTAN, c’est, en effet, plus d’Europe dans l’Alliance ». Mais il est vrai qu’il dit tant de choses !
M. Didier Boulaud. Il parle beaucoup trop !
M. Jean-Louis Carrère. Il ne faudrait pas que les négociations en cours aboutissent à « moins de France partout et notamment en Europe » !
De plus, j’ai le sentiment que, si l’on donne l’impression que certaines puissances cherchent simplement à conforter leur supériorité nucléaire, il est évident que l’on ne pourra pas aboutir.
Alors, comment faire entrer dans le TNP les trois pays non-signataires que sont l’Inde, le Pakistan et Israël ? Ce sera le grand défi des mois à venir …
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le moment est venu pour la France de présenter un acte fort et utile, symboliquement important, capable de s’adresser au monde entier, comme le fut le Plan global de maîtrise des armements et de désarmement présenté devant les Nations unies, le 3 juin 1991, par François Mitterrand. Il annonça à cette occasion l’adhésion de la France au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. La France signa d’ailleurs ce traité le 3 août 1992. Entre-temps, le 6 avril 1992, il avait décidé proprio motu de suspendre pour un an les essais nucléaires français, avant de les arrêter définitivement en mai 1994.
Oui, le moment est venu pour notre pays de prendre à nouveau des initiatives dans le sens de l’intérêt général et de la sécurité collective dans le domaine du désarmement nucléaire. N’attendons pas que d’autres nous imposent leur vision et leurs propositions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Didier Boulaud. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un premier temps, je n’avais pas prévu d’intervenir. En effet, le président de Rohan connaît parfaitement ce dossier et son intervention forte tout à l’heure a montré son engagement et celui de notre commission dans ce domaine.
Par ailleurs, pour l’UMP, Xavier Pintat, notre spécialiste du secteur spatial et du nucléaire, a réalisé un état des lieux complet et ouvert des perspectives réalistes.
Enfin, le rapport précis et les préconisations de Jean-Pierre Chevènement, qui a tenu à lier « désarmement, non-prolifération et sécurité de la France », font autorité. À cet égard, je salue l’immense travail de notre collègue et ses convictions.
Intervenant parmi les derniers, je serai parfois redondant. Toutefois, si je me suis résolu à prendre la parole quelques instants devant vous, c’est parce que je n’accepte plus que, depuis la déclaration d’intention du Président Obama évoquant « un monde sans armes nucléaires », un certain nombre d’idéologues, de journalistes mal informés ou de politiciens orientés donnent maintenant des leçons à la France dans ce domaine.
Tout d’abord, je rappelle que l’intervention du Président Obama se situait dans une perspective lointaine : « Je ne le verrai pas de mon vivant », disait-il.
Ensuite, deux éléments qui ont échappé à beaucoup doivent être pris en compte : la préparation du nouvel accord bilatéral de désarmement entre les États-Unis et la Russie, portant sur une réduction des armes stratégiques – et non pas tactiques, je le signale au passage – et surtout la prochaine conférence d’examen du TNP en mai 2010.
Or, vous le savez, les États-Unis ne seront pas au rendez-vous. S’ils ont bien signé le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE, ils ne l’ont toujours pas ratifié, et le Sénat américain est pour le moins réservé sur cette ratification. Certains parlent d’une ratification en 2011. Soyons optimistes … Toujours est-il que celle-ci pourrait conduire certains pays comme le Pakistan, la Chine ou l’Inde à ratifier à leur tour.
Je veux d’ailleurs souligner que, dans le monde, une douzaine d’États qui mènent des activités nucléaires significatives n’ont toujours pas signé le protocole additionnel du TNP.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Les États-Unis et la Russie, au travers des accords successifs SALT, FNI, START, puis SORT ont progressivement réduit de deux tiers le volume de leur arsenal nucléaire, et il faut s’en féliciter. Mais ils représentent toujours à eux deux 96 % du stock mondial des armes nucléaires.
Le Royaume-Uni et la France ont également entrepris un effort de diminution de leur arsenal nucléaire. Notre pays est d’ailleurs allé beaucoup plus loin, et j’y reviendrai.
Ces réductions, pourtant fortes, de ces quatre pays majeurs dans le domaine nucléaire ont-elles limité sur cette période la prolifération des armes nucléaires ? Malheureusement, non !
L’Inde, le Pakistan et Israël se sont dotés de l’arme nucléaire et n’ont pas signé d’accord dans le sens d’une limitation, même s’il faut souligner que l’Inde a accepté de négocier avec l’AIEA un protocole additionnel et consenti au contrôle des exportations des techniques nucléaires. Je vous rappelle que, il y a quelques mois, le Sénat s’est prononcé sur ce point particulier.
Dans le club des possesseurs de l’arme nucléaire, il faut ajouter la Corée du Nord, qui posséderait a priori une dizaine de têtes et qui se dote de missiles balistiques et dont les deux derniers essais ont défrayé la chronique.
Nous savons tous que l’Iran, malgré la pression internationale, continue sa progression dans le domaine nucléaire et balistique et surtout que la possession de ces armes par l’Iran conduirait certainement la Turquie et l’Arabie saoudite à s’engager dans une démarche identique.
Le monde de 2010 n’est donc pas plus sûr, bien au contraire, que celui de 2005, qui avait vu l’échec de la précédente conférence quinquennale d’examen du TNP.
Les diverses estimations qui se recoupent semblent indiquer que ces pays restent très largement surarmés dans ce domaine.
Il est bon de rappeler que la Russie posséderait près de 13 000 armes nucléaires, dont un tiers opérationnel et deux tiers en réserve ou en attente de démantèlement ; les États-Unis disposeraient de près de 9 400 armes, dont 5 200 déployées ou en réserve et 4 200 en attente de démantèlement ; la Chine cumulerait 400 armes nucléaires, dont 145 actives.
La France, quant à elle, a 348 têtes nucléaires actives au travers des missiles embarqués dans les quatre SNLE et des armes tactiques de la composante aérienne. Le Président de la République envisage d’ailleurs de réduire notre arsenal à moins de 300 têtes. Le Royaume-Uni, pour sa part, détient un peu plus de 200 armes, dont une grande partie active. Reste qu’Israël posséderait entre 100 et 200 têtes, l’Inde ainsi que le Pakistan, qui se surveillent, aux alentours de 60 chacun et la Corée du Nord entre 5 et 10.
Comme je le disais, le monde n’est pas plus sûr !
Dans cet environnement difficile, la France n’a de leçon à recevoir de quiconque. Elle milite activement pour des progrès effectifs en matière de désarmement et de non-prolifération. M. Chevènement rappelait tout à l’heure notre action dans la démarche conjointe des vingt-sept pays européens auprès du secrétaire général des Nations unies avec une série de propositions concrètes dans ce domaine.
La France a accompli des pas très importants, souvent de manière unilatérale, en matière de désarmement. Il faut insister sur ce point : nous avons abandonné nos ICBM du plateau d’Albion, contraint le nombre de nos SNLE et, l’an dernier, le Président de la République a diminué d’un tiers le volume des forces nucléaires tactiques aériennes, passant de trois à deux escadrons. De plus, en quinze ans, nous avons réduit de moitié le nombre de nos armes nucléaires.
Mais nous sommes allés plus loin : nous avons définitivement arrêté les essais nucléaires et totalement démantelé nos sites d’essais, nous avons définitivement arrêté la production d’uranium et de plutonium pour les armes nucléaires et nous avons réalisé le démantèlement de nos usines de Marcoule et de Pierrelatte. C’est une première pour une puissance nucléaire, que les experts et les journalistes internationaux invités sur place ont pu constater.
Nous travaillons sur un programme de simulation avec le laser mégajoule, que la commission a pu voir, et un supercalculateur. En outre, nous sommes les seuls à avoir rempli les obligations prévues à l’article VI du TNP.
Vous le savez, nous conduisons une approche pragmatique et constructive dans ce domaine avec trois axes forts : non-prolifération, accès aux usages pacifiques de l’atome, désarmement et lutte contre la prolifération balistique. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que nous ferons des propositions concrètes et offensives dans ce sens en mai prochain.
La France est donc très favorable à l’engagement du Président Obama en faveur du désarmement, mais nous sommes aussi en totale concordance avec lui lorsqu’il ajoute : « Tant que les armes nucléaires existeront, les États-Unis conserveront un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire et garantir la défense de leurs alliés. »
La France s’en tient à une posture de « stricte suffisance nationale ». Elle s’est positionnée en dehors de l’OTAN, même avec sa réintégration dans le commandement intégré et elle a déjà fait des efforts de son côté. Il n’est donc pas question que nos forces nucléaires soient prises en compte dans je ne sais quel processus multilatéral de désarmement nucléaire.
Il appartient aux deux grandes puissances surarmées de réduire très significativement leur arsenal jusqu’à quelques centaines d’armes avant de demander à des pays comme la France d’accompagner ce mouvement. Notre pays doit être jugé sur ses actes, sur ses efforts incontestables et ses initiatives et non sur des a priori, des préjugés ou des idéologies. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, foin des préjugés, des a priori et des idéologies dans cet important débat !
Nous sommes invités à débattre du désarmement nucléaire et de la sécurité de la France sur le fondement d’un rapport d’information, dont il faut noter qu’il n’a été distribué que mercredi dernier, le 17 mars, soit cinq jours avant le débat, et non le 24 février comme l’indique le site internet du Sénat. « Nucléaire et transparence », le débat ne date pas d’hier. Qu’importe ...
Ce débat tombe à point nommé, puisqu’il a lieu entre le vote, il y a quelques mois seulement, de la loi relative à la programmation militaire, qui se voulait l’expression du Livre blanc définissant la stratégie de défense et de sécurité de la France, et la conférence quinquennale d’examen du traité de non-prolifération, qui se déroulera au mois de mai à New York, alors que les traités START sont arrivés à échéance en décembre dernier.
J’ai lu votre rapport avec un réel intérêt, monsieur Chevènement. Décidément, ai-je pensé, il a coulé beaucoup d’eau dans le lit de la Savoureuse à Belfort depuis que nous manifestions ensemble contre l’implantation de missiles Pluton à Bourogne… J’ai été convaincue de la chausse-trape dans laquelle nous conduisent vos recommandations et d’où il sera ensuite difficile de s’échapper.
Ce rapport est suffisamment honnête pour admettre que, si le TNP constitue effectivement la clé de voûte de l’ordre nucléaire mondial, il n’a finalement pas permis d’empêcher la prolifération nucléaire, ce qui constituait pourtant son principal objectif.
Le principal effort de désarmement nucléaire accompli dans le monde ne peut d’ailleurs être porté de façon directe au crédit du TNP. Il découle plutôt des accords bilatéraux entre les États-Unis et la Russie, qui ont pu, après la fin de la guerre froide, réduire ainsi considérablement leurs stocks de têtes nucléaires. Parmi les trois autres pays qui détenaient déjà l’arme nucléaire avant la signature du TNP en 1968, le Royaume-Uni et la France ont certes diminué aussi leurs arsenaux, mais la Chine est au contraire dans une phase de développement en la matière.
Le rapport rappelle aussi que d’autres États ont finalement eu accès à l’arme nucléaire. Israël, l’Inde et le Pakistan, non signataires du traité, ont bénéficié de l’appui politique et technologique plus ou moins discret des cinq premiers détenteurs de l’arme nucléaire. Par le TNP, ces cinq pays s’engageaient pourtant à ne pas contribuer à la prolifération.
De ce fait, alors que les fondements mêmes du TNP sont ainsi reniés, par opportunité politique, d’autres pays ont revendiqué, eux aussi, un droit à l’arme nucléaire. La Corée du Nord a mené à bien son programme nucléaire militaire, au nez et à la barbe de l’AIEA. En Iran, il a fallu que l’opposition politique, au sein même du pays, alerte l’AIEA, jusque-là aveugle et sourde, sur l’existence d’installations d’enrichissement d’uranium à Ispahan et à Natanz.
Ce rapport admet d’ailleurs volontiers que la finalité exclusivement civile des activités d’enrichissement d’uranium, en Iran, n’a pu être attestée.
Il reconnaît aussi que, devant un pays comme l’Iran, qui revendique, conformément au TNP, le droit de développer sa technologie nucléaire civile, il n’est pas clair de déterminer à partir de quel moment une situation de non-respect du traité peut être établie, si ce n’est devant le fait accompli, lorsque l’État en question finit par annoncer qu’il détient l’arme nucléaire.
Et pour cause, car on sait que l’usage civil et l’usage militaire de l’énergie nucléaire requièrent tous deux des combustibles similaires, obtenus par des filières identiques. Ce qui distingue sa fonction militaire de son seul volet civil, c’est l’ampleur de l’enrichissement de la matière.
Une fois ce constat établi, et sauf à renoncer à l’espoir d’un monde sans armes nucléaires de notre vivant, il convient de se pencher, au-delà des discours convenus sur la nécessité d’un désarmement nucléaire total, sur les solutions concrètes à mettre en œuvre.
Or, vous recommandez, monsieur Chevènement, de poursuivre et d’amplifier la logique qui a mené à la montée des tensions que nous connaissons aujourd’hui. Vous êtes certes favorable à la diminution des stocks d’armes nucléaires, mais vous ajoutez que, compte tenu de la disproportion qui existe et que personne ne nie, entre les arsenaux des États-Unis et de la Russie et ceux des autres pays dotés de l’arme nucléaire, ces deux pays doivent montrer le chemin en suivant l’exemplarité française. Mais, permettez-moi de vous le demander, de quelle exemplarité parlons-nous ? De celle qui a fait de la France un des principaux vecteurs de la prolifération dans le monde ? De celle qui lui a fait attendre un demi-siècle avant de reconnaître que ses essais nucléaires avaient fait des victimes ?
Vous appelez aussi au renforcement des mesures préventives et coercitives pour lutter contre la prolifération, mais vous souhaitez dans le même temps promouvoir l’accès au nucléaire civil, en écho aux propos récents du Président de la République se déclarant prêt à « aider tout pays qui veut se doter de l’énergie nucléaire civile », et ce alors que le nucléaire civil – c’est un fait, pas une opinion – constitue dans la plupart des cas l’antichambre du nucléaire militaire.
Certes, le traité le permet. Mais convenez qu’il y a un fossé profond entre le fait de répondre aux demandes d’États qui manifesteraient un intérêt pour ces technologies et le fait de « relancer la promotion de l’énergie nucléaire », dites-vous, « des activités nucléaires pacifiques », dit le traité.
Est-ce bien raisonnable ? La liste des États avec lesquels coopère la France apporte un début de réponse : après le Japon, la Russie, la Chine ou le Brésil, les nouveaux venus sont la Libye, l’Inde, l’Algérie, la Tunisie, la Jordanie, les Émirats Arabes Unis ou la Syrie. La plupart d’entre eux sont déjà ou seront bientôt des états du seuil, capables de se doter d’armes nucléaires au cours des années à venir. Comment, dès lors, nier le caractère potentiellement proliférant de toute industrie nucléaire civile ?
Votre posture vous conduit à affirmer qu’il ne saurait être question de demander à notre pays de poursuivre la réduction de ses capacités aussi longtemps que les forces nucléaires américaines et russes, tous types d’armes confondus, ne seront pas ramenées à des niveaux de l’ordre de quelques centaines d’armes nucléaires, elle vous conduit à douter à voix haute de l’engagement de Barack Obama, pris à Prague, un engagement dont vous analysez de façon fine les ambiguïtés bien réelles et les arrière-pensées. Cette posture est largement contestée, d’un point de vue politique comme d’un point de vue militaire, par des hommes comme Alain Juppé et Michel Rocard en passant par Alain Richard. Tous pointent l’intérêt de signaux clairs destinés à consolider la foi et la détermination en matière de désarmement de Barack Obama et de Dmitri Medvedev. Il n’est pas exclu d’ailleurs que, dans ce domaine comme dans d’autres, la question se pose bientôt de façon assez différente, au regard du coût de ces armes et du souci d’utilisation optimale des ressources dans un contexte de crise économique et financière sévère. Il n’est pas étonnant, à cet égard, que des initiatives, qui permettront de réduire le recours aux armes nucléaires, soient prises de façon pragmatique. Je pense aux discussions en cours entre Britanniques et Français pour organiser de façon coordonnée la « permanence à la mer ».
Vous appelez enfin à l’entrée en vigueur de nouveaux traités interdisant à l’avenir les essais nucléaires et la production de matières fissiles. Il semble effectivement positif d’encourager ces démarches mais, tant que des pays pourront dissimuler le volet militaire de leur exploitation de l’énergie nucléaire, on peut craindre que ces vœux ne restent pieux.
En réalité, ce rapport pose ouvertement, en introduction de son titre II, la question de l’intérêt même du désarmement nucléaire, qui pourrait causer la perte de la capacité de dissuasion. Or, si la stratégie de dissuasion nucléaire de la France pouvait stratégiquement, sinon déontologiquement ou éthiquement, se justifier dans le contexte de la guerre froide, les réalités géopolitiques ont changé. La dissuasion nucléaire n’est plus adaptée aux nouvelles menaces qui pèsent à présent sur les États. Pire, elle favorise la prolifération ; son coût est exorbitant et nuit du même coup au développement des forces d’interposition et de maintien de la paix, ainsi qu’à la contribution française à l’Europe de la défense.
Votre rapport insiste sur le lien entre le désarmement et la résolution des conflits, mais convenez avec moi que reporter la dénucléarisation de la région à l’établissement d’une paix juste au Proche-Orient, au moment ou Benjamin Netanyahu, à Washington, confirme son intention de poursuivre des constructions destinées aux colons à Jérusalem-Est, a quelque chose de désespéré.
Pour conclure, je ne vais pas vous surprendre en déplorant à nouveau que la position française soit largement liée à la volonté de promouvoir le nucléaire civil, sans précautions suffisantes. Il est temps pour la France de se montrer responsable, comme le prétend ce rapport, et d’en finir avec cette habitude si peu démocratique, mise en évidence par Jean-Louis Carrère, de régler les questions nucléaires en cénacle restreint, sans que l’opinion semble décidée à s’en emparer, ce que, pour ma part, je souhaiterais.
L’idéologie abolitionniste est dans l’air du temps, dites-vous avec ce mélange de mépris et cette distance ironique dont vous gratifiez toute opinion différente de la vôtre. Il se trouve pourtant que c’est celle de nombreux pays européens, notamment notre allié le plus proche et le plus ancien, l’Allemagne. Sont-ils tous irresponsables ou inconscients ? Je ne le crois pas.
Soyons pragmatiques ! Prenons des initiatives, que ce soient celles qu’ont suggérées nos collègues communistes ou bien d’autres qui s’inscrivent dans un cadre multilatéral, au niveau européen ou international : je les appelle de mes vœux. (Mme Michelle Demessine applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement, au nom de la commission des affaires étrangères. Je remercie l’ensemble des intervenants que j’ai écoutés très attentivement.
Je souhaite cependant répondre à Mme Voynet qui a exprimé une crainte qui peut paraître justifiée, à savoir que le développement de programmes nucléaires civils n’entraîne le développement de programmes nucléaires à caractère militaire. Pour autant que je sache, il n’y a pas d’exemple de ce type, à l’exception peut-être de l’Inde, à laquelle le Canada avait fourni un réacteur de recherche, et les États-Unis différents éléments qui lui ont permis de développer un programme soi-disant civil et qui s’est avéré, en 1998, être militaire.
Vous avez évoqué, ma chère collègue, les positions de deux anciens Premiers ministres, Michel Rocard et Alain Juppé. J’ai, pour ma part, tenté d’apporter un éclairage géopolitique, absent de leur tribune libre qui, naturellement, ne se prêtait pas à des considérations de cet ordre. Je ne crois pas à l’existence d’un lien univoque entre le désarmement et la prolifération. Autrement dit, la prolifération a des causes spécifiques, et ce n’est pas parce que certains pays suivent le chemin du désarmement, à l’image de la Russie et des États-Unis, qui ont accompli des gestes importants puisque leurs arsenaux nucléaires ont diminué des deux tiers, que l’Inde, le Pakistan ou Israël n’en ont pas moins développé leur propre arsenal. À mon avis, la prolifération est plus directement liée aux questions de sécurité régionales.
J’ai fixé, dans mon rapport, le moment auquel la France pourrait entrer dans une discussion multilatérale à celui où les arsenaux russes et américains seraient réduits à quelques centaines. Est-ce si éloigné de ce que propose le rapport Evans-Kawaguchi, bréviaire de l’école abolitionniste dans laquelle, me semble-t-il, vous vous reconnaissez ? Je vous renvoie donc à cet excellent rapport, intitulé « Eliminating Nuclear Threats ». Je pense que vous comprendrez très bien le sens de la démarche que je propose. Il s’agit de dire : « Messieurs les Américains, messieurs les Russes, désarmez les premiers ! » Cela me paraît logique.
Je crois que les deux anciens Premiers ministres dévaluent excessivement le TNP. Ce dernier a incontestablement ralenti la prolifération nucléaire, vous ne pouvez pas le nier. S’il comporte des facteurs de fragilité, il a tout de même permis beaucoup d’avancées et il est possible de le conforter en allant dans la direction que j’ai indiquée.
Je ne souhaite pas développer une polémique inutile car l’étude raisonnée des faits conduit à des propositions pragmatiques, graduelles et dont l’échéance ne peut pas être à court terme pour des raisons politiques et techniques. Les raisons techniques sont simples : l’usine américaine de démantèlement, située à Pantex au Texas, ne permettrait de démanteler les armes qui y sont actuellement vouées, à savoir 4 200 sur un arsenal de 9 400, qu’à l’horizon 2025. Les Etats-Unis planifient la construction d’une autre usine, à Savannah River, et même d’une troisième dont la localisation n’est pas encore déterminée. Cependant, l’usine de Savannah River ne commencera à fonctionner que sept ans après le début des travaux, qui n’a pas encore eu lieu. Vous mesurez donc le temps nécessaire à ces opérations de démantèlement.
McGeorge Bundy déclarait à la fin des années 1980 que depuis le début de l’ère nucléaire, il y a 65 ans, il ne s’était pas écoulé une décennie qui ne soit moins dangereuse que la précédente. Il faut avoir le courage de reconnaître, dans cette perspective, qu’une sortie de l’ère nucléaire n’est pas possible avant plusieurs décennies. On peut toutefois poursuivre un objectif de minimisation et viser une zone de basse pression nucléaire. Je pense qu’une telle démarche est en mesure de garantir la sécurité de la France, à laquelle je suis fondamentalement attaché – je n’oublie pas les responsabilités que j’ai exercées. Le souci de la sécurité de la France est légitime et je pense que chacun sur ces travées partage ce point de vue. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur de nombreuses travées socialistes.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, le débat était à ce point passionnant qu’il ne me reste pratiquement rien à préciser. Je vais toutefois répondre brièvement aux questions qui ont été posées au Gouvernement.
L’excellent rapport de Jean-Pierre Chevènement a permis d’éclairer remarquablement les termes du débat. Je l’en remercie. Je tiens à remercier également M. Josselin de Rohan d’avoir permis l’organisation de la réunion inédite de cet après-midi. Il est utile et même indispensable que la représentation nationale puisse débattre de ce sujet essentiel pour la sécurité des Français.
La conférence de mai qui aura lieu à New York intervient à un moment crucial pour l’avenir du nucléaire et pour la sécurité du monde. Regardons un instant tout ce qui s’est passé depuis la dernière conférence d’examen, il y a cinq ans : le contexte a considérablement changé.
Bien sûr, chacun aura noté le regain d’intérêt en faveur du désarmement nucléaire, notamment depuis le discours du président Obama à Prague l’an passé. Mais, dans le même temps, nous devons faire face à des crises de prolifération particulièrement graves, qui menacent non seulement les régions dans lesquelles elles se déroulent, mais aussi la sécurité internationale. Je pense bien entendu à l’Iran et à la Corée du Nord.
Enfin, le nucléaire civil est en pleine renaissance. Pour combattre le changement climatique, pour contribuer au développement économique et à la sécurité énergétique, de plus en plus de pays relancent leur programme d’électricité nucléaire ; d’autres, qui n’ont pas encore la capacité de le faire, veulent s’y engager.
Nous ne pouvons négliger aucune de ces évolutions. La France a fait le choix déterminé du nucléaire civil. Ainsi qu’elle l’a récemment souligné lors d’une conférence internationale qui s’est tenue à Paris, elle est disposée à aider tous les pays qui veulent s’engager sur cette voie. La France est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et a une responsabilité pour garantir la paix et la sécurité. La France est signataire du traité de non-prolifération nucléaire ; elle est donc engagée sur la voie d’un monde plus sûr.
Nous irons à New York pour promouvoir une vision, des objectifs et des moyens au service d’une seule cause : faire de la sécurité pour tous une réalité crédible.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez apporté votre éclairage, formulé des remarques et, parfois, des interrogations, auxquelles je tenterai de répondre de manière plus détaillée, en reprenant les trois grandes questions que vous avez mises en avant et autour desquelles s’organise ce débat : la non-prolifération nucléaire, le désarmement et le nucléaire civil.
En matière de non-prolifération nucléaire, soyons clairs ! Il n’y aura pas de désarmement si nous ne mettons pas un coup d’arrêt à la prolifération nucléaire. II n’y aura pas de développement du nucléaire civil, si nous ne mettons pas un coup d’arrêt à la prolifération. Notre première priorité est donc de mettre un coup d’arrêt ferme et définitif à la prolifération.
Comme le Président de la République l’a dit le 24 septembre dernier devant le Conseil de sécurité des Nations unies, « nous avons raison de parler de l’avenir, mais avant l’avenir, il y a le présent, et le présent, c’est deux crises nucléaires majeures ».
La France, avec ses autres partenaires membres du groupe des Six, est à la pointe des efforts de la communauté internationale pour tenter d’apporter un règlement négocié au problème du nucléaire iranien. Ce pays développe des capacités nucléaires sensibles sans finalité civile crédible et accroît la portée de ses missiles. L’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, déplore, à longueur de rapports, que l’Iran ne coopère pas suffisamment avec elle. Téhéran a rejeté toutes nos offres de dialogue et de coopération.
Nous continuerons à chercher et rechercher le dialogue, et nous efforcerons d’y parvenir. Mais quelles réponses toutes nos offres de dialogue ont-elles suscité jusqu’à présent ? Aucune réponse tangible.
L’attitude de défi choisie par le gouvernement iranien ne nous laisse pas aujourd’hui d’autre choix que de rechercher de nouvelles sanctions – le Conseil de sécurité des Nations unies a déjà pris trois résolutions de sanctions à l’encontre de ce pays ! – pour convaincre ou contraindre le gouvernement iranien à négocier.
Quant aux programmes nord-coréens, ils ne mettent pas seulement en cause la paix et la stabilité de la région. Au travers des coopérations que Pyongyang poursuit inlassablement avec d’autres pays, en particulier au Proche-Orient et au Moyen-Orient, ils exportent au loin leurs ferments d’insécurité ; il faut y faire barrage.
Je reviens du Japon et de la Corée du Sud, où j’ai largement évoqué le dossier nucléaire et balistique nord-coréen. J’ai pu mesurer l’inquiétude que ce programme suscite et les attentes que ces pays nourrissent dans la France, membre permanent du Conseil de sécurité. Certes, je n’ai pas le temps de développer ce point maintenant, mais j’y reviendrai volontiers, M. Carrère ayant émis le souhait de poursuivre ce débat ultérieurement.
Dans le domaine du désarmement, il ne suffit pas d’applaudir aux slogans. Nous refusons aussi bien le cynisme que la démagogie. Ce que nous voulons, c’est un désarmement réel, qui se traduise par des actes.
La France a fait son choix : celui de convaincre par l’exemple. Qu’avons-nous fait ? Nous avons ratifié, il y a maintenant douze ans, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Nous avons démantelé notre site d’essais nucléaires. Nous avons cessé la production de plutonium et d’uranium pour les armes nucléaires et avons détruit de façon irréversible les installations qui les produisaient– cela nous a couté 2 milliards d’euros et nous coûtera encore 4 milliards d’euros. Nous avons éliminé une composante entière, la composante terrestre, en ayant réduit fortement les deux autres composantes – aéroportée et océanique –, conformément au principe de stricte suffisance qui a toujours guidé notre posture nucléaire et que certains d’entre vous ont salué.
M. Didier Boulaud. C’est grâce à Mitterrand ! Il faut rendre à César ce qui lui appartient !
M. Bernard Kouchner, ministre. Que demandons-nous ? Nous demandons que tous les États consentent des efforts semblables ! Or tel n’est pas le cas ! Nous demandons non pas des discours, mais des faits !
En 2008, à Cherbourg, le Président de la République a fait des propositions ambitieuses et a appelé toutes les puissances nucléaires à y souscrire. Le désarmement ne pourra progresser que si cette volonté est partagée par tous, et non par quelques-uns, comme c’est le cas aujourd’hui.
Ces propositions ont constitué le fondement du plan d’action que l’Union européenne a adopté lors de la présidence française et que le Président de la République a présenté au secrétaire général des Nations unies. Ce plan d’action s’articule autour de quatre priorités.
D’abord, il est nécessaire que la Russie et les États-Unis opèrent de nouvelles réductions dans leurs stocks d’armes nucléaires. Vous l’avez rappelé dans votre rapport, monsieur Chevènement, mais on ne le répétera jamais assez, ces deux États détiennent à eux seuls 95 % des armes nucléaires dans le monde, ce qui est considérable. Cette proportion devrait rester sensiblement identique, même après le nouveau traité de désarmement qui pourrait être signé prochainement, ce que nous souhaitons.
La deuxième priorité concerne l’entrée en vigueur du traité d’interdiction complète des essais nucléaires.
Pour progresser vers le désarmement, il faut aussi, tout simplement, cesser de nous armer, ce qui suppose de mettre fin à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires à travers un moratoire immédiat et la négociation d’un traité d’arrêt de la production de matières fissiles ; c’est là notre troisième priorité.
Enfin, le désarmement nucléaire doit aller de pair avec un désarmement crédible dans tous les autres domaines, …
M. Jean-Louis Carrère. On est d’accord !
M. Bernard Kouchner, ministre. … qu’il s’agisse des armes biologiques, chimiques ou conventionnelles, de la défense anti-missile ou de l’espace.
Si nous n’avançons pas du même pas et avec une égale vigilance dans tous les domaines, alors nous prenons le risque d’engager, comme vous l’avez souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, une nouvelle course aux armements, dont le résultat serait catastrophique.
Quant au nucléaire civil, c’était jusqu’à présent, il faut bien le dire, le parent pauvre des conférences d’examen du traité de non-prolifération, mais il constitue une priorité pour la France.
Nous avons organisé une conférence internationale sur ce sujet à Paris les 8 et 9 mars dernier. Le Président de la République l’a rappelé une fois encore à cette occasion : la France a fait résolument le choix du nucléaire civil pour elle-même. Elle est prête à coopérer avec tous les pays qui voudront s’engager sur cette voie et respectent leurs engagements internationaux.
Lors de la conférence d’examen du traité de non-prolifération, tous ceux qui veulent accéder à cette énergie du futur pourront faire valoir leurs intérêts, leurs attentes et leurs préoccupations.
Pour notre part, nous insisterons sur l’exigence qui accompagne indissolublement notre proposition : que le développement du nucléaire se fasse avec les meilleures garanties de sécurité, de sûreté et de non-prolifération, ce qui passe par le renforcement de l’Agence internationale de l’énergie atomique, la promotion des normes et des pratiques les plus élevées de sûreté et de sécurité nucléaires, la prévention d’une dissémination incontrôlée des technologies les plus sensibles du cycle du combustible, l’enrichissement et le retraitement, notamment en garantissant la fourniture du combustible nucléaire.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous l’avons tous entendu, le président Obama a dit : « Je rêve d’un monde où il n’y aurait plus d’armes nucléaires. » La France répond par les faits et l’exemple : nous voulons un nouvel ordre nucléaire mondial, qui soit un gage de prospérité pour tous et qui fasse de la sécurité collective une réalité.
Nous voulons un monde où la prolifération sera fermement combattue et contenue, un monde où les matières nucléaires et radioactives seront encore mieux protégées contre les acteurs non étatiques.
M. René-Pierre Signé. Il ne faudra pas être pressé !
M. Bernard Kouchner, ministre. Le rythme s’accélère ! Reconnaissez-le, monsieur le sénateur !
Nous voulons un monde où le nucléaire civil se développera dans les meilleures conditions de sécurité, de sûreté et de non-prolifération, grâce notamment à un renforcement des pouvoirs et des moyens de l’Agence internationale de l’énergie atomique, et nous avons d’ailleurs récemment reçu son nouveau directeur général, M. Amano.
Nous voulons un monde où les États prendront toutes leurs responsabilités et auront l’audace de regarder les faits en face sans se résigner devant le fait accompli.
Tel est le monde que nous voulons, et telle est la position que la France ira défendre dans quelques semaines à New York.
Enfin, ce n’est pas parce que nous avons repris notre place au sein de l’OTAN – mais pas, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, au sein du comité des plans nucléaires – que nous avons perdu toute autonomie…
M. Didier Boulaud. Si !
M. Didier Boulaud. Si !
M. Bernard Kouchner, ministre. Mais non, bien au contraire ! Je peux prendre l’exemple de l’Afghanistan.
M. Didier Boulaud. Parlez-en justement aux militaires !
M. Bernard Kouchner, ministre. Ici, je ne m’adresse pas aux militaires, mais aux parlementaires que sont les sénateurs !
Vous le savez très bien, nous n’avons pas obtempéré à ce qui semblait pourtant être une injonction très ferme !
M. Didier Boulaud. Demandez donc aux militaires ce qu’ils en pensent !
M. Didier Boulaud. Ce n’est pas ce qu’ils disent !
M. Bernard Kouchner, ministre. Je le répète, ce n’est pas parce que nous avons repris toute notre place au sein de l’OTAN que nous n’avons pas toute notre autonomie et notre capacité d’initiative.
M. Didier Boulaud. Les militaires sont associés une fois que tout est terminé !
M. Bernard Kouchner, ministre. C’est nous, les premiers, qui avons réagi positivement aux propositions du président Medvedev sur la sécurité en Europe. C’est encore nous qui avons conduit l’Europe à réagir lors de la plus grande crise militaire que nous ayons connue ces dernières années, en Géorgie.
M. Didier Boulaud. On en voit le résultat !
M. Bernard Kouchner, ministre. En tout cas, c’est mieux que de n’avoir rien fait ! Ceux qui devaient nous servir d’exemple n’ont rien fait !
M. Didier Boulaud. Où sont les Russes ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Nous avons réussi à arrêter leur armée sur la route de Tbilissi, ce dont tout le monde s’est félicité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.) C’est facile de critiquer, surtout quand on n’était pas là en ce mois d’août…
M. Didier Boulaud. Où sont les Russes aujourd'hui ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Bernard Kouchner, ministre. Au sein de l’OTAN, nous pouvons peser, peut-être même plus encore qu’auparavant, sur les débats stratégiques qui s’y déroulent à propos de la défense anti-missile ou encore du rôle du nucléaire. Nous nous préparons à la future échéance qui nous attend. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
16
Nomination de membres de commissions
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté trois candidatures pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et la commission des affaires sociales.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- M. Philippe Paul membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Hubert Haenel, dont le mandat de sénateur a cessé ;
- M. Jean-François Mayet membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, en remplacement de M. Philippe Paul, démissionnaire ;
- et M. Jean-Louis Lorrain membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-François Mayet, démissionnaire.
Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Jean-François Humbert membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Hubert Haenel, dont le mandat de sénateur a cessé.
17
Droit à la vie privée à l'heure du numérique
Discussion d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des lois, de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, présentée par M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier (proposition n° 93, texte de la commission n° 331, rapports nos 330 et 317).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yves Détraigne, coauteur de la proposition de loi.
M. Yves Détraigne, coauteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’objet de la proposition de loi dont nous allons débattre peut paraître ésotérique ; il n’en est pas moins d’une réelle actualité.
Nous sommes tous concernés, souvent même à notre insu, par le développement exponentiel des nouvelles technologies numériques, au travers non seulement d’Internet et des réseaux sociaux tels que Facebook ou MySpace, mais aussi des puces Radio Frequency Identification, RFID, qui permettent le développement d’applications telles que le télépéage, le passe Navigo et bien d’autres encore.
Même si vous n’utilisez pas personnellement Internet, mes chers collègues, demandez à votre collaboratrice ou à votre collaborateur de taper votre nom et votre prénom sur un moteur de recherche, et vous verrez que vous êtes présents sur la Toile... Peut-être même redécouvrirez-vous certaines de vos actions passées que vous aviez oubliées ou que vous croyiez oubliées !
Certes, le développement du numérique constitue d’abord pour nos concitoyens une commodité et un progrès. Ainsi, l’apparition du Global Positioning System ou GPS facilite nos déplacements et évite peut-être quelques scènes de ménage à l’intérieur des voitures ! (Sourires.) Le télépéage nous permet de gagner du temps sur l’autoroute. Le passe Navigo assure une meilleure fluidité pour l’accès au métro.
Internet nous permet de tout connaître sur tout et nous rend service dans notre travail de parlementaires. Voilà quelques mois, nous avons, avec Twitter, suivi en direct les manifestations qui se déroulaient en Iran, alors que la censure battait son plein. Et combien d’entre nous ont délaissé leur téléphone portable traditionnel au profit du Blackberry ou de l’iPhone ?
Bref, même sans le savoir, nul ne résiste à l’attrait des nouvelles technologies... Mais leur développement va de pair avec celui des mémoires numériques et avec la possibilité de suivre, voire de révéler les moindres faits et gestes de tout un chacun, et pas seulement au travers d’internet.
Si un GPS vous indique votre position et le chemin que vous devez prendre pour vous rendre là où vous voulez, il pourrait aussi permettre de savoir où vous êtes et dans quelle direction vous allez...
Il s’agit, bien évidemment, non de dramatiser ou de passer pour des « ringards » en voulant limiter, encadrer le développement de ces technologies, mais simplement, pour mettre nos concitoyens en mesure de protéger leur vie privée et leurs données personnelles face aux aspects intrusifs des nouvelles technologies numériques, de compléter le cadre juridique existant, dans la continuité de ce qu’ont fait nos prédécesseurs voilà une trentaine d’années quand, pressentant les développements futurs de l’informatique, ils ont voté la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, laquelle a inspiré ensuite la réglementation européenne.
Force est de constater en effet que, si les nouvelles technologies facilitent la vie quotidienne, elles peuvent aussi être utilisées au détriment de personnes qui n’ont rien à se reprocher et leur nuire durablement.
Je ne prendrai qu’un exemple : l’enquête qui a été menée l’an dernier auprès de recruteurs américains et qui a confirmé que 45 % d’entre eux cherchaient sur internet les informations relatives aux candidats qu’ils allaient recevoir et, surtout, que 35 % d’entre eux avaient rejeté des candidatures au vu de photos ou d’informations privées trouvées sur internet concernant ces candidats, mais sans rapport direct avec le profil et les qualités exigés pour le poste à pourvoir !
Lorsque l’on sait qu’en France 75 % des collégiens utilisent aujourd’hui les messageries instantanées, les chats et les mails, que 40 % d’entre eux possèdent un blog et que 30 % y diffusent des photos d’ « amis », comme l’on dit, on comprend vite la nécessité d’être vigilant et de se donner les moyens de faire en sorte que ce développement exponentiel des nouvelles technologies et des mémoires numériques ne nuise pas à un nombre croissant de personnes qui n’ont rien à se reprocher.
L’objet de cette proposition de loi est donc de mettre en place des mesures permettant aux internautes et autres utilisateurs de technologies numériques de garder la maîtrise de leurs données personnelles. Je serais tenté de dire qu’il y va de l’équilibre de la démocratie !
Je ne vais pas entrer dans le détail de la proposition de loi. Mes collègues y reviendront, tant Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur, que M Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois, qui, je dois le dire, est parfaitement entré dans le sujet et a mené ses investigations dans le même esprit que celui avec lequel Anne-Marie Escoffier et moi-même avions travaillé. Les administrateurs de la commission des lois, peut-être plus au fait des nouvelles technologies que nous-mêmes, nous ont très utilement accompagnés dans les travaux qui ont conduit à la publication de notre rapport d’information, intitulé : La vie privée à l’heure des mémoires numériques, puis au dépôt de cette proposition de loi. Permettez-moi aussi de souligner le travail et les apports du rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Mme Catherine Morin-Desailly.
Je relèverai seulement trois points qui me paraissent essentiels.
Le premier concerne la nécessaire sensibilisation des jeunes, notamment en milieu scolaire, aux questions liées à la protection des données personnelles et, plus généralement, à la vie privée.
Nous sommes, en effet, face au développement de nouvelles technologies pour lesquelles, contrairement à ce qui se passe en règle générale, les parents ne disposent pas forcément des connaissances nécessaires pour transmettre à leurs enfants les informations et les mises en gardes utiles.
Le deuxième point concerne les dispositions qui permettent aux utilisateurs des technologies numériques d’exercer plus facilement les droits que leur reconnaît la loi dite « Informatique et libertés », notamment le droit d’être informés de la durée de conservation des données les concernant et le droit de suppression ou de rectification de celles-ci.
Enfin, le troisième point que je voudrais souligner concerne la nécessité de diffuser une véritable culture « Informatique et libertés » au sein des entreprises et des administrations qui gèrent des traitements de données à caractère personnel lorsque plus de cinquante personnes y ont accès, notamment en y généralisant la fonction de « correspondant informatique et libertés ».
Cette mesure contestée vise non pas à interdire le développement de l’informatique, mais, au contraire, à protéger les entreprises et les administrations contre des utilisations non contrôlées de certaines données au sein de ces structures, donc à l’insu des responsables.
Il faut être conscient que l’irruption du numérique dans notre vie de tous les jours change notre société. Voilà encore quelques années, une information publiée à un moment donné n’était accessible qu’aux individus destinataires du support sur lequel elle se trouvait et était oubliée au bout de quelques jours. Aujourd’hui, une information publiée sur internet devient presque instantanément universelle dans le temps et l’espace. Tout le monde peut y avoir accès sans limite.
Ce texte vise donc non pas à limiter le développement des nouvelles technologies – nous ne sommes ni ringards, ni obscurantistes ! –, mais bien plutôt à le permettre sans qu’il nuise aux individus qui n’ont rien à se reprocher. Il est de notre responsabilité de législateur de nous pencher sur cette problématique émergente et c’est ce à quoi nous vous invitons au travers de cette proposition. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, de l’UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur de la proposition de loi.
Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi qui vient aujourd’hui à l’examen de notre Haute Assemblée est, pour moi, source à la fois de satisfaction, d’étonnement et d’admiration.
C’est une satisfaction d’avoir travaillé avec mon collègue et ami Yves Détraigne, avec le concours précieux des administrateurs de la commission des lois, sur un sujet qu’il nous a fallu pleinement défricher à un moment où il n’était pas encore en pleine lumière.
Les mois consacrés à l’élaboration du rapport d’information La vie privée à l’heure des mémoires numériques ont été, pour moi, le formidable apprentissage d’un monde technologique dont je ne mesurais pas tous les effets dans notre quotidien sociétal, économique et réglementaire.
Cette proposition est aussi source d’étonnement face aux réactions nombreuses, passionnées, parfois contradictoires, qu’elle a suscitées.
Il nous est paru d’évidence que l’intérêt accordé au rapport d’information par les experts des technologies de l’information – les opérateurs en informatique, les praticiens internautes eux-mêmes – justifiait que fût élaborée une proposition de loi pour responsabiliser les utilisateurs des systèmes d’informations numériques et encadrer une réglementation offerte à de nouveaux enjeux, notamment commerciaux.
Les premières réactions au dépôt de cette proposition de loi n’ont pas démenti cet intérêt et nous avons été interrogés à de multiples reprises par les publics les plus divers pour débattre de ce droit à l’oubli dont nous avions fait le cœur de notre démarche.
Considérés tantôt comme des « sages » par ceux qui s’inquiètent de l’invasion d’internet dans notre quotidien, tantôt comme des « ringards » inadaptés à l’inévitable évolution de notre société ou comme des freins à la dynamique commerciale sous-jacente, nous avons le sentiment non pas d’avoir soulevé une tourmente, mais d’être dans une tourmente qui emporte un nouveau modèle de société.
Enfin, cette proposition de loi est source d’admiration pour notre collègue Christian Cointat, rapporteur d’un texte dont je perçois humblement les imperfections et les insuffisances premières et qu’il a su enrichir, ordonner et fortifier.
Le texte de la commission des lois qu’il va présenter dans quelques minutes respecte parfaitement les intentions premières : responsabiliser les internautes en favorisant une information élargie du grand public, leur assurer des garanties renforcées pour protéger leur vie privée et conforter le rôle et les missions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, formidable instrument d’expertise et de régulation du monde numérique.
Cette proposition de loi est un texte d’équilibre entre les différents enjeux, s’attachant aux principes pour que l’évolution inéluctable des technologies ne la rende pas obsolète à peine élaboré. Elle est également respectueuse du nouvel Homo Numericus que nous devenons tous avec l’inclusion de l’informatique dans nos vies. Loin de diaboliser ce nouvel outil, elle le magnifie en le mettant au service de l’homme, sans jamais l’assujettir.
À ce point de mon intervention, je voudrais remercier tous ceux, initiateurs, constructeurs de cette réflexion conduite au sein de la commission des lois, qui m’ont apporté satisfaction et étonnement, et qui ont suscité ma pleine adhésion à ce texte dont je ne commenterai que quelques aspects.
L’article 1er consacre l’engagement de l’État à accompagner et à responsabiliser les jeunes utilisateurs d’internet. Comme l’a dit mon ami Yves Détraigne, il confie à l’éducation nationale cette compétence qu’elle exerçait déjà avec l’instauration d’un brevet Informatique et Internet ouvert aux élèves des collèges, mais il la conforte en sanctuarisant le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles dans l’apprentissage d’internet.
Cette disposition est particulièrement nécessaire si l’on en juge par le comportement des plus jeunes générations, qui distinguent mal la différence entre le jeu, sans incidence sur leur propre personne, et les informations personnelles partagées sur les réseaux sociaux avec des amis, vrais et/ou virtuels, dont ils ne peuvent maîtriser ni le nombre, ni la discrétion.
Des associations se sont d’ailleurs créées qui vont d’écoles en collèges porter l’information sur l’utilisation d’internet en soulignant les avantages et en même temps les risques attachés à un outil qui gomme les notions d’espace et de temps. Elles sont de plus en plus sollicitées par les établissements scolaires, qui ouvrent bien souvent le débat aux parents d’élèves eux-mêmes.
La modification proposée du code de l’éducation sera l’occasion d’améliorer les synergies entre le monde de l’éducation et le monde des internautes. Elle sera aussi, indirectement, le moyen d’améliorer l’information du grand public, à l’image de ce qui a été fait dans certains pays européens, en particulier l’Espagne, qui multiplient les campagnes informatives pour le plus grand nombre des citoyens.
Après ce « préambule », sur lequel chacun s’accorde, le texte précise les conditions dans lesquelles peuvent être renforcées les garanties des internautes aussi bien que des opérateurs. Est ainsi clarifié le statut de l’adresse IP, ce numéro unique attribué par le fournisseur d’accès à Internet à ses clients.
M. le rapporteur, modifiant sensiblement le texte initial, propose une rédaction qui concilie les observations du Gouvernement et les remarques techniques des fournisseurs d’accès à Internet. L’adresse IP n’est pas, en tant que telle, une donnée personnelle, mais elle est l’un des éléments d’un faisceau d’indices permettant d’identifier l’internaute.
De la même façon, sont clarifiées les conditions dans lesquelles un internaute peut bénéficier, pour des raisons légitimes, d’un droit au remords ou « droit à l’oubli ». La nouvelle rédaction concilie, là encore, le respect du droit à la vie privée et le principe de non-atteinte à la liberté publique garantie par la loi.
La première version du texte avait fait l’objet de remarques tout à fait opportunes de la part de la presse, qui s’inquiétait d’éventuelles demandes abusives de suppression d’informations, lesquelles auraient été susceptibles de mettre en cause son indépendance et sa neutralité. La recherche d’une rédaction équilibrée a permis de mieux identifier l’exercice du droit de suppression, tant pour l’utilisateur que pour le responsable du traitement.
La protection des données personnelles s’accompagne du renforcement du rôle de la CNIL, organe de contrôle, d’expertise et de conseil. À ce titre, la désignation obligatoire de correspondants « informatique et libertés », dans le secteur public comme dans le privé, est une condition impérieuse du traitement de données à caractère personnel.
On le constate aujourd’hui, la fonction de correspondant « informatique et libertés » est insuffisamment développée, en particulier dans les administrations, qu’elles soient d’État ou territoriales, et l’on ne peut que le regretter, car elle protège pleinement les responsables du traitement des données personnelles.
Si le texte fait le choix de rendre obligatoires ces correspondants dans les structures où cinquante personnes ont accès directement au traitement – et non pas dans les structures de plus de cinquante salariés –, rien ne s’oppose à ce que ce seuil soit révisé pour donner plus de souplesse aux services concernés.
Rien n’interdit non plus, au demeurant, que la fonction de correspondant soit mutualisée entre différents responsables de traitement. L’Association des professionnels Internet des collectivités publiques locales marque un véritable intérêt pour une telle possibilité, qui viendrait conforter la fonction de direction des ressources humaines.
Outre la généralisation des correspondants « informatique et libertés », dont le statut et les missions seront clairement fixés, la CNIL se verra dotée de nouveaux moyens d’agir, plus légitimes et plus efficaces : information sur les failles de sécurité, publicité des avis rendus, sanctions pécuniaires aggravées à l’encontre des responsables de traitement irrespectueux de la loi.
Enfin, initialement, l’article 4 de la proposition de loi prévoyait d’introduire l’obligation de passer par la loi pour créer des fichiers nationaux de police. Ces derniers sont actuellement créés par des textes divers, qui vont de la loi aux simples arrêtés, le plus souvent pour entériner un dispositif devenu opérationnel. Il s’agissait donc d’encadrer la création de ces fichiers, afin d’éviter certaines difficultés que nous gardons en mémoire, et je pense là notamment au fichier EDVIGE.
Notre rapporteur, avec sagesse, a choisi une voie médiane en retenant l’autorisation législative non pas pour chaque fichier de police intéressant la sécurité publique ou la lutte contre la délinquance et la criminalité, mais pour chaque catégorie de fichiers de police. Cette autorisation sera assortie d’une instruction spécifique menée par la CNIL, une formation spécialisée au sein de celle-ci étant chargée des fichiers de police.
Au total, cette proposition de loi n’a pas l’ambition d’embrasser un champ immense et en pleine mutation. Nous avons bien conscience de n’apporter que des adaptations rendues nécessaires par les évolutions technologiques et culturelles aujourd’hui perceptibles ou envisageables. Ce texte s’inscrit délibérément dans la volonté de concilier de manière équilibrée les différents intérêts en présence, qu’il s’agisse des internautes, des responsables de traitement des données et des opérateurs, en veillant à l’harmonie entre protection de la vie privée et liberté des systèmes d’information.
Il ne néglige en aucun cas l’obligation qui sera faite à notre pays de se conformer aux dispositions de la directive européenne du 24 octobre 1995, dont la révision est engagée, pour adapter notre législation aux effets de la mondialisation. Les auteurs de cette proposition de loi se sont même attachés à anticiper cette évolution.
C’est donc avec conviction que je défends, aux côtés d’Yves Détraigne et de notre excellent rapporteur, ce texte qui, je l’espère, fondera demain le socle d’une réglementation adaptée à notre nouvel environnement numérique. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Charles Gautier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en général, nous ne le savons pas et, quand nous le savons, nous en sommes rarement conscients, mais nous vivons dans une atmosphère de plus en plus envahie par des « vapeurs électroniques », vapeurs parfois inquiétantes. Naturellement, la pollution de l’air nous alarme, mais les risques liés à la prolifération de réseaux palpitants et chatoyants, qui s’immiscent de plus en plus dans notre intimité, nous laissent de marbre : comme si nous étions hypnotisés par leur lumière et le sentiment de puissance qu’ils dégagent !
Prendre la planète tout entière dans ses bras sans sortir de chez soi est effectivement grisant. Accéder d’un simple clic à la connaissance ou au jeu fait véritablement tomber les pratiques du passé en poussière. S’évader vers un monde virtuel, modelé selon ses rêves, ouvre le chemin de l’infini... On se trouve ainsi face à un univers merveilleux, sans autre limite que son appétit de découverte.
Cependant, toute médaille, aussi belle soit-elle, a son revers. Les toiles d’araignées sont de magnifiques œuvres d’art, même si elles relèvent de la nature, mais elles sont aussi un piège mortel.
Oui, le Web; la Toile, autrement dit Internet, est une fantastique invention, un extraordinaire outil de connaissance, de communication et de partage, dont les mérites sont immenses. Les sénateurs des Français établis hors de France, dont je suis, en savent quelque chose ! Internet nous a changé la vie en mettant le monde à notre portée : c’est un peu comme s’il était devenu un département français, nous rapprochant ainsi de nos collègues « territoriaux ». Ce territoire est certes virtuel, mais la collectivité française qui l’incarne est bien réelle !
Il reste qu’Internet comporte aussi, surtout pour les jeunes, des dangers non négligeables, contre lesquels il faut se prémunir. La loi informatique et libertés de 1978 fut adoptée, puis modifiée, dans cet esprit. Aujourd’hui, il convient de ne pas se laisser dépasser ni, surtout, distancer par l’évolution des technologies. Aussi, qu’on le veuille ou non, un aménagement des textes normatifs est de nouveau nécessaire, ne serait-ce, monsieur le secrétaire d’État, que pour suivre – et pourquoi pas, dans certains domaines, précéder ? – la marche en avant de l’Europe au sein de la mondialisation.
Tel est l’esprit de la proposition de loi présentée par nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier. Elle constitue la suite logique d’une mission d’information que nos deux collègues ont effectuée sur ce sujet au nom de la commission des lois.
En préambule de leur rapport d’information, ils posent la question essentielle à laquelle il nous importe de répondre : « La société reconnaît à l’individu le droit de disposer d’un espace privé, distinct de la vie collective de la communauté. Comment, dès lors, concilier les nouveaux pouvoirs que font peser sur chaque individu les nouvelles technologies avec ce droit à la vie privée ? » Comment éviter « d’être pris au piège des mémoires numériques qui jouent le même rôle que notre propre mémoire » ?
Si le sujet est complexe, la réponse est simple : « Il nous revient donc d’être ces veilleurs vigilants face aux grands enjeux “informatique et libertés” pour que le respect de la personne humaine, de sa vie privée et de sa dignité reste toujours un principe absolu. »
Comme tout « veilleur vigilant » se transforme tôt ou tard en acteur, les auteurs de ce rapport d’information prennent les devants et présentent en conclusion quinze propositions. La plupart d’entre elles se retrouvent dans leur proposition de loi et constituent, pour l’essentiel, l’ossature du rapport que j’ai l’honneur de vous présenter au nom de la commission des lois.
Les deux auteurs de la proposition de loi et du rapport d’information que je viens d’évoquer – ils ont fait un travail remarquable d’analyse et de propositions – étant mieux à même de vous faire partager leur cheminement intellectuel, je me limiterai aux seuls points saillants afin de vous expliquer, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles la commission des lois a délibérément adopté leur approche, tout en apportant quelques correctifs, en vue de trouver un équilibre aussi optimal que possible entre des éléments parfois opposés.
Tout d’abord, un constat s’impose inéluctablement : le monde bouge, et il bouge vite. La globalisation est en marche ; la technologie connaît une évolution galopante ; Internet est de plus en plus présent ; sa « toile » ne cesse de s’étendre et sa maîtrise devient extrêmement difficile. Sa complexité est telle que de nombreux éléments échappent à la plupart des utilisateurs. De nouveaux comportements s’imposent donc pour éviter que le progrès ne se transforme en menace pour les libertés.
Chacun le sait, « la liberté s’arrête là où commence celle des autres » et les intérêts sont parfois divergents. Par exemple, les professionnels du e-commerce, c'est-à-dire du commerce électronique, souhaitent plus de liberté pour entreprendre, alors que les consommateurs demandent une meilleure garantie de leurs droits. On observe une situation inverse dans d’autres domaines : les consommateurs réclament une plus grande liberté d’accès au réseau, alors que les professionnels, qui redoutent les téléchargements illégaux, souhaitent garantir les droits de la propriété intellectuelle. C’est toute la problématique des cookies – pardonnez-moi d’utiliser ce terme anglais, mais il n’a pas véritablement d’équivalent français – et des verrouillages.
La proposition de loi touche ainsi à de nombreux sujets sensibles, qui, de surcroît, sont des problèmes de société méritant, dans un environnement aussi évolutif, des réponses rapides. Certes, la France n’est pas seule dans un monde de plus en plus global et sa législation ne peut donc pas tout régler. Mais sa voix pèse lourd en Europe, une Europe dont l’influence est forte sur la scène internationale. Aussi le fait de marcher dans la bonne direction aura-t-il un effet d’entraînement salutaire.
Pour ces raisons, la commission des lois, tout en faisant sienne l’approche et les objectifs de ce texte, en a toutefois modifié quelques aspects afin d’obtenir une meilleure concordance entre liberté et protection, convivialité et garantie, information et simplicité.
Les principaux aménagements apportés sont les suivants.
L’article 1er concerne la sensibilisation des jeunes, dans les établissements d’enseignement, aux risques que peut faire courir Internet. Notre commission reconnaît l’importance de cette information, mais elle a estimé qu’il fallait également l’étendre aux côtés positifs du Web. Elle a ainsi retenu une formulation suggérée par le rapporteur de la commission de la culture, Mme Catherine Morin-Desailly, laquelle prévoit d’intégrer cette information aux cours d’éducation civique et non d’informatique. Il faut en effet être ouvert au monde et ne pas se limiter à la technologie.
L’article 2 soulève une question en apparence anodine mais dont l’intérêt est certain. Il s’agit de l’adresse IP, ou Internet Protocol, véritable plaque d’immatriculation de l’ordinateur et de la connexion à Internet. Chacun peut le comprendre, la plaque d’immatriculation d’un véhicule automobile devient une donnée personnelle dès lors qu’elle permet l’identification du propriétaire. Il doit en être de même pour le véhicule qui permet de se déplacer sur le réseau électronique.
Notre commission a cependant modifié la rédaction de cet article, afin d’éviter toute confusion avec d’autres numéros attachés au matériel. Il s’agit du seul numéro identifiant le titulaire d’un accès en ligne. Ainsi, le Parlement mettra un terme à des conflits de jurisprudence qui constituent autant de risques d’insécurité juridique pour l’ensemble des acteurs d’Internet.
L’article 3 doit être lu en liaison avec l’article 7. Il concerne le correspondant « informatique et libertés ». Notre commission, mes chers collègues, a quelque peu adapté la rédaction de ces deux articles pour tenir compte des observations présentées par les professionnels lors des auditions auxquelles elle a procédé. Il convenait en effet d’établir clairement que ce correspondant « informatique et libertés », ou CIL, pour céder à la mode des acronymes, n’était ni un espion ni un inquisiteur, mais un conseiller et un protecteur.
Pour les entreprises et les administrations qui gèrent des fichiers importants, le correspondant « informatique et libertés » doit être considéré comme une forme d’assurance. Il lui appartient, en quelque sorte, d’être un « facilitateur » veillant à ce que tout se passe bien.
La question du seuil à partir duquel la présence d’un tel correspondant doit être rendue obligatoire a fait débat. Les auteurs de la proposition de loi ont envisagé de le fixer à cinquante personnes amenées à traiter des fichiers. La commission s’est rangée à cette position, tout en restant ouverte à une éventuelle adaptation.
Deux éléments doivent être pris en compte : le nombre de personnes traitant un fichier et la quantité d’informations traitées. S’agissant de ce dernier aspect, la commission est très vigilante puisqu’elle a prévu un dispositif clair et précis. En revanche, le débat reste ouvert sur le nombre des personnes traitant les fichiers.
Il nous paraît indispensable de rendre obligatoire la présence de ce correspondant afin, d’une part, de donner tout son sens à cette nouvelle culture de protection des données qu’il importe de développer et, d’autre part, de créer un véritable réseau interactif entre la CNIL et les opérateurs, non pour renforcer les contrôles, mais pour améliorer la connaissance et la compréhension.. La protection des données personnelles n’a rien de dérisoire ! Car il s’agit bien de nos données, intimes la plupart du temps, et elles méritent à ce titre un minimum de considération !
Ainsi, d’un côté, les entreprises et les administrations seront plus au fait des intentions de la CNIL, tandis que, de l’autre côté, cette dernière sera plus consciente des difficultés pratiques rencontrées sur le terrain. Chacun sait que, entre la théorie et la pratique, il y a un gouffre. Le texte qui vous est proposé tend à le combler, et chacun y trouvera son intérêt.
Quant au seuil à retenir, je le répète, c’est celui des personnes traitant des fichiers. J’y insiste, le nombre de cinquante ne fait pas référence à l’effectif des entreprises. Si des PME, par exemple, trouvent ce seuil trop bas, rien ne les empêche de rationaliser leur organisation et de limiter les autorisations de gestion des fichiers. Beaucoup trop de personnes, dans les entreprises, sont amenées à traiter des fichiers et c’est pourquoi il faut inciter celles-ci à exploiter les informations en leur possession avec toutes les garanties requises. Tout le monde y gagnera.
Par ailleurs, il est bien clair que cette réforme doit pouvoir se faire, dans un grand nombre de cas, à coût constant. Il s’agit non pas d’imposer le recrutement de personnels supplémentaires, mais de charger une personne qualifiée de remplir cette fonction de correspondant avec la CNIL. Dans beaucoup d’entreprises, cette tâche ne nécessitera qu’un temps limité, tandis que, dans d’autres, en effet, elle requerra un poste à temps plein. Du reste, bien souvent, c’est déjà ainsi que les choses se passent.
Enfin, la possibilité de mutualisation de ce correspondant devrait également faciliter sa mise en place.
L’article 4 porte un sujet par nature sensible puisqu’il traite des fichiers de police. Comme les auteurs de la proposition de loi, la commission estime que, en vertu de l’article 34 de la Constitution, tout ce qui touche de près ou de loin aux libertés publiques relève du domaine de la loi. Toutefois, elle considère aussi qu’il appartient à la loi non pas de rappeler cette norme, mais de l’appliquer. Aussi s’est-t-elle attachée à fixer dans ce texte les règles très strictes qu’il convient de suivre pour la création et le traitement des fichiers de police ou intéressant la sécurité de l’État et la défense nationale.
Pour ce faire, elle a repris une série d’articles votés par l’Assemblée nationale, avec l’accord du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, lors de l’examen de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, car ils trouvent mieux leur place dans cette proposition de loi puisqu’ils modifient la loi informatique et libertés.
Les articles 5 et 6 concernent essentiellement la bonne information des internautes. Ces derniers ont le droit de savoir ce qu’il advient de leurs données personnelles. Les responsables des sites ont le devoir de donner suite à leurs demandes à cet égard. La commission a réécrit en partie la proposition de loi pour trouver un point d’équilibre entre les arguments des représentants des professionnels et ceux des usagers. En d’autres termes, partant du principe que le mieux est l’ennemi du bien, elle a jugé préférable de se focaliser sur le bien plutôt que de risquer de tout perdre en recherchant le mieux.
Il est évident qu’il ne faut pas pénaliser le commerce en ligne dans notre pays et favoriser ainsi sa délocalisation, mais il convient néanmoins d’assurer une protection et une information suffisantes aux consommateurs. Il vous est donc proposé, mes chers collègues, de trouver une juste mesure entre des approches contradictoires.
En effet, d’une part, la formule retenue permet à l’utilisateur d’un service en ligne d’être parfaitement informé et de faire clairement connaître ses choix, notamment en matière de cookies, ces fichiers déposés par un site dans l’ordinateur qui le visite, en particulier par le biais du paramétrage du navigateur. D’autre part, cette formule permet de ne pas alourdir la tâche des gestionnaires de site tout en maintenant la fluidité de la navigation sur Internet, fluidité sans laquelle toute convivialité deviendrait impossible et toute navigation sur la Toile, vaine.
L’article 8 est au cœur de la proposition de loi puisqu’il traite du « droit à l’oubli ». Il a pour objet de faciliter le droit d’opposition à l’utilisation de données personnelles, déjà prévu par la loi informatique et libertés, mais en levant quelques ambiguïtés rédactionnelles. Par exemple, la notion de « motifs légitimes » sur laquelle se fonde ce droit étant peu précise, la commission a jugé utile, plutôt que de la modifier, de l’encadrer davantage en indiquant les cas où, en tout état de cause, elle ne pourrait pas s’appliquer, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse.
Les autres articles sont évidemment importants, mais il serait trop long de tous les évoquer. Je me contenterai de me féliciter que les deux auteurs de ce texte proposent d’aligner le droit relatif aux litiges civils sur celui du code de la consommation, et ce afin que les plaignants ne puissent plus se voir opposer, à terme, une compétence territoriale dissuasive. Ces dispositions faciliteront incontestablement la tâche de nos concitoyens qui s’estiment lésés par un manquement à la loi informatique et libertés.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’avez compris, cette proposition de loi amendée par la commission des lois a deux objectifs essentiels : sensibiliser les jeunes aux avantages et aux inconvénients d’Internet et moderniser la loi informatique et libertés, tout en tirant les conséquences de cette modernisation.
Elle relève d’une approche résolue mais prudente. La volonté de souplesse, d’équilibre et d’équité y est manifeste. En d’autres termes, on peut dire qu’elle se fonde sur la recherche du bon sens.
Erik Orsenna a écrit cette phrase que je trouve très belle : « Le droit est à une société ce que la grammaire est à une langue. » Tout le monde le sait, notre grammaire est en perdition ; faisons au moins en sorte que le droit nous sauve ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la conjonction de l’ordinateur et d’Internet, en favorisant la circulation des informations au niveau planétaire, est véritablement une révolution d’ordre anthropologique qui n’a rien à voir, en raison des bouleversements qu’elle entraîne, avec les révolutions industrielles précédentes. En effet, elle affecte directement et profondément nos manières de travailler, d’apprendre, de nous cultiver, de communiquer et de vivre ensemble.
Au fur et à mesure du développement extrêmement rapide de l’« infosphère », on en mesure les potentialités, qui donnent souvent le vertige, mais on en expérimente dans le même temps les désagréments et les risques.
Internet offre de nouveaux espaces de libertés, ce dont il faut se féliciter : espaces de liberté d’expression, de communication et d’information, qui contribuent au progrès culturel, économique et social, permettent d’approfondir l’exercice de la citoyenneté et peuvent même resserrer les fils du lien social.
Cependant, malgré les opportunités sans précédent qu’il offre, Internet constitue parfois une menace pour les droits fondamentaux et les libertés publiques, comme l’a rappelé M. le rapporteur de la commission des lois : le respect de la vie privée et la protection des données personnelles sont menacés au premier chef.
La tendance prégnante, notamment chez les jeunes, à l’exposition de soi et d’autrui sur Internet contribue à l’apparition de mémoires numériques – on pourrait même parler de « casiers numériques » –, disséminées sur la Toile, facilement consultables et qui peuvent se retourner contre les internautes à un moment ou à un autre. La presse a rapporté quelques exemples récents de candidats ayant échoué à une embauche en raison des éléments négatifs qui étaient disponibles à leur sujet sur Internet.
La proposition de loi déposée par nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier à la suite de la publication de leur rapport d’information vise précisément à renforcer la protection des libertés fondamentales et à créer les conditions d’un droit à l’oubli, afin qu’Internet ne se transforme pas en espace de surveillance.
Cette initiative est un important premier pas qu’il faut saluer, même si le sujet reste complexe. De fait, demeure le problème épineux de la territorialité des dispositifs de régulation. Ainsi que me l’ont rappelé les représentants de Facebook lors de leur audition par notre commission, cette société est installée aux États-Unis et les données personnelles dont elle dispose sont rapatriées et traitées dans ce pays. Le droit international privé donne donc compétence à la loi, au juge et au régulateur américains pour connaître de toute mesure et de tout litige. À l’évidence, des négociations internationales seront nécessaires pour lever cette difficulté.
La commission de la culture s’est saisie pour avis de l’article 1er de la proposition de loi, qui modifie le code de l’éducation pour prévoir une formation des élèves aux risques et aux dangers que peut présenter Internet au regard de la protection de la vie privée.
Au titre de sa compétence en matière de communications électroniques, et en préparation de la transposition prochaine de directives communautaires dans le domaine des télécommunications, elle a également examiné les dispositions relatives au statut de l’adresse IP, au droit de refus des témoins de connexion appelés cookies et à la conciliation entre le respect de la vie privée et la liberté d’information.
Sur ces trois derniers points, nos échanges avec le rapporteur de la commission des lois ont permis de constater la convergence de nos analyses. C’est pourquoi je m’attarderai plutôt sur l’article 1er de la proposition de loi.
La commission des lois a approuvé et intégré dans le texte issu de ses travaux un amendement de réécriture globale de cet article que nous lui avions soumis.
L’éducation nationale a un rôle crucial à jouer dans la formation des jeunes à la maîtrise de leur image publique et au respect de la vie privée. Ce point avait déjà été souligné par le rapport que notre collègue David Assouline, au nom de la commission de la culture, avait consacré à l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse.
L’article 1er de la proposition de loi prenait initialement appui sur un dispositif introduit par la loi Hadopi 1, qui prévoit que l’enseignement de technologie et d’informatique comporte un volet consacré au droit de la propriété intellectuelle et aux dangers du téléchargement illégal d’œuvres protégées. Sur le même modèle et dans le même cadre, il était prévu que les élèves seraient informés des dangers de l’exposition de soi et d’autrui sur Internet ainsi que des droits d’accès, d’opposition, de rectification et de suppression des données personnelles.
Partageant le souci des auteurs de la proposition de loi, la commission de la culture a cependant souhaité que ce volet soit abordé dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique plutôt que dans celui de l’enseignement de technologie et d’informatique. De plus, elle a tenu à élargir la finalité de ce nouveau module de formation pour viser l’acquisition d’une attitude critique et réfléchie par rapport à l’information et d’une attitude de responsabilité dans l’utilisation des outils interactifs.
L’enseignement d’éducation civique nous paraît le cadre le plus approprié pour sensibiliser les élèves au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Ces questions participent éminemment de l’apprentissage de la citoyenneté et de l’enracinement des valeurs de la République au sein de la jeunesse. Plutôt que de leur inculquer des compétences techniques, que les élèves possèdent d’ailleurs souvent beaucoup mieux que leurs maîtres, il s’agit de développer l’esprit critique des jeunes et de les responsabiliser dans leur utilisation d’Internet, que ce soit pour la recherche d’informations ou pour dialoguer avec leur cercle d’amis. Cet objectif fait d’ailleurs, je le rappelle, partie intégrante du socle commun de connaissances et de compétences exigées de chaque élève à l’issue de sa scolarité obligatoire.
La commission de la culture s’est enfin interrogée sur la formation des enseignants eux-mêmes. Ceux-ci sont bien souvent moins familiers des réseaux sociaux sur Internet que leurs élèves. En outre, ils ne disposent pas toujours de connaissances suffisantes et de matériels pédagogiques adéquats sur la protection des données personnelles. Le ministère de l’éducation nationale nous a donné l’assurance que l’ensemble des nouveaux enseignants, dans le cadre de la mastérisation du recrutement, devraient valider un certificat informatique et Internet. Ce C2I comprendra un volet sur les problématiques du droit à la vie privée et la protection des données personnelles. La CNIL devrait également être sollicitée pour fournir son expertise.
Par ailleurs, dans le cadre de la réforme du lycée, un référent culturel doit être mis en place dans chaque établissement. Il pourrait être également judicieux de désigner des « référents Internet », qui joueraient le rôle de pôle d’information et de sensibilisation, aussi bien pour les jeunes que pour les enseignants. Les acquis de formation initiale et continue des professeurs seraient ainsi consolidés et renforcés grâce à l’action de groupes informels d’enseignants autour des référents Internet visant au partage d’expériences et à l’échange de bonnes pratiques. J’estime que ce serait là un moyen utile et souple de diffusion des NTIC – nouvelles technologies de l’information et de la communication – comme outils pédagogiques dans toutes les disciplines. Tous les cours pourraient, en retour, devenir l’occasion d’initier à l’analyse critique des médias et des sources d’information.
Mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable quant à l’adoption de la présente proposition de loi, dans la rédaction retenue par la commission des lois, et elle salue les travaux de son rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, du RDSE et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les deux auteurs de la proposition de loi et les rapporteurs ont rappelé la place prise par Internet dans notre vie quotidienne et, d’une manière plus générale, dans notre société.
Le développement d’Internet s’est accompagné d’une considérable montée en puissance de ces outils que sont les moteurs de recherche.
La diffusion de quasiment tous les médias sur Internet et la publication par chaque agent social – individu, collectivité, État – d’informations relatives à ses activités en ont fait le réceptacle d’informations sur la vie quotidienne et l’activité de millions de personnes.
Le développement des blogs et des réseaux sociaux à caractère professionnel ou privé contribue à enrichir le Web d’informations personnelles supplémentaires. On constate d’ailleurs que le caractère non désiré ou non contrôlé des informations publiées progresse. Les incidents se multiplient et plusieurs pays commencent à réagir. Ainsi, le Canada vient de demander à un réseau social de limiter les intrusions dans la vie personnelle.
Aujourd’hui, des sociétés proposent au public une reconstitution, à partir de tout ce qui est disponible sur Internet, de la vie privée et professionnelle d’un individu. Les résultats, vous le savez, sont stupéfiants. On est ainsi en mesure de présenter un portrait global d’une personne, agrégeant adresse professionnelle, adresse privée, photographies diverses, à caractère professionnel ou privé – parfois publiées sur Internet, voire réalisées à l’insu de la personne concernée –, responsabilités, titres, délégations de signature dans des organismes publics, privés, associatifs, caritatifs, jugements divers – relevant parfois de la sphère personnelle – et ce sur une longue durée et sans hiérarchie aucune.
Les travaux des auteurs de la proposition de loi, M. Détraigne et Mme Escoffier, ont mis en évidence les risques qui pèsent ainsi sur le respect de la vie privée des individus.
Le Gouvernement, conscient de ces risques, salue la vigilance des auteurs de la présente proposition de loi. Grâce à leur initiative, la commission des lois du Sénat s’est emparée d’un des défis majeurs de notre époque : comment s’assurer que les progrès technologiques en matière numérique ne se traduisent pas par une régression des libertés de nos concitoyens ?
La démarche du Sénat s’inscrit dans un contexte plus large, dont il n’est pas possible de faire abstraction. Comme vous le savez, la directive européenne 2009/136, adoptée en novembre dernier, modifie la directive 2002/58 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. La bonne qualité de la transposition de cette directive suppose un important travail interministériel, qui est actuellement en cours et qu’il convient de ne pas précipiter ; il faut au contraire le mener avec le plus grand sérieux.
Par ailleurs, une réflexion s’est engagée, à l’échelon européen, pour apprécier dans quelle mesure la directive relative à la protection des données doit évoluer.
Dans ce contexte, le texte adopté par la commission des lois propose des améliorations au droit existant que je tiens à saluer. Toutefois, sur des points importants, il s’écarte des équilibres satisfaisants trouvés par la loi de 1978 et que le droit communautaire invite à préserver. Je vous donnerai, le moment venu, le sentiment du Gouvernement sur ces questions.
Un certain nombre de réponses apportées par le texte adopté par la commission des lois de votre assemblée sont particulièrement intéressantes.
L’article 1er vise au développement de l’initiation des élèves à l’usage d’Internet. Je ne reviendrai pas sur ce sujet qui a été largement traité par les auteurs de la proposition de loi et par les rapporteurs. Il est en effet essentiel d’éduquer nos plus jeunes concitoyens afin qu’ils utilisent Internet d’une manière responsable. Force est d’ailleurs de constater qu’ils maîtrisent cet outil beaucoup mieux que nous : il fait vraiment partie de leur vie, et nous pouvons nous en rendre compte dans nos propres familles. Si les jeunes sont ainsi souvent en mesure de nous éduquer sur le maniement d’Internet et de ses outils, nous devons, nous, faire en sorte qu’ils soient éduqués sur les dangers que recèle l’exposition de soi et d’autrui sur la Toile – les observations de la commission de la culture sur ce sujet sont très pertinentes –, car ils sont concernés au premier chef.
L’article 2 ter, introduit par la commission, vise à supprimer l’obligation de délivrance par la CNIL d’un récépissé de déclaration préalable. Cette mesure de bon sens permettra à tous de gagner du temps.
L’article 5 tend à compléter le contenu de la liste prévue à l’article 31 de la loi informatique et libertés en insérant une disposition relative à la durée de conservation des données à caractère personnel. Cet ajout s’inscrit dans la continuité de la proposition de loi de M. Warsmann, député, que nous avons tous soutenue, et rien ne s’oppose à une telle modification.
Par ailleurs, le renforcement de certains des pouvoirs de la CNIL permettra d’augmenter l’efficacité de son action en matière de protection des données personnelles. Ainsi, l’article 12 de la proposition de loi prévoit le doublement du montant des sanctions pécuniaires que la Commission peut infliger aux personnes ne respectant pas leurs obligations dans le domaine de la protection des données personnelles. En outre, l’article 11 permettra la publication plus systématique des sanctions prononcées.
De même, il est important de garantir à la CNIL un droit de visite inopinée dans les locaux des responsables de traitement, sous réserve qu’elle en ait obtenu l’autorisation préalable par le juge.
Enfin, le Gouvernement se félicite que la commission des lois souhaite inscrire dans la loi le principe d’une représentation pluraliste des différents partis parmi les membres de la CNIL désignés au sein du Parlement.
En revanche, sur plusieurs aspects, le texte qui vous est soumis remet en cause les équilibres de la loi de 1978, équilibres qui ont pourtant fait leur preuve. Je n’en prendrai que quelques exemples.
Comme l’a souligné M. Cointat dans son excellent rapport, la loi informatique et libertés a constitué un outil juridique précurseur : la France a en effet été l’un des premiers pays au monde à se doter d’une loi de protection des données personnelles. Cette loi reste, en 2010, un instrument adapté et pérenne, dont il convient de préserver les grands équilibres. Son champ d’application est large et les opérateurs étrangers s’y trouvent soumis dès lors qu’ils recourent à des moyens de traitement situés en France.
Parce qu’elle définit des principes, elle s’applique aujourd’hui aussi bien qu’hier. Elle a peu vieilli, en dépit des évolutions technologiques considérables que nous avons connues depuis 1978. Plutôt que d’encadrer, par des dispositions spécifiques, chacune des nouvelles technologies mettant en cause l’utilisation de données personnelles, au risque de voir ces dispositions très vite dépassées, le législateur a préféré poser des principes intemporels, valables quel que soit le procédé technique utilisé pour traiter des données personnelles.
Or l’article 2 de la proposition de loi vise à apporter aux données de connexion des internautes, notamment à l’adresse IP, la protection de la loi relative informatique et libertés.
Le Gouvernement souhaite la suppression de cet article pour plusieurs raisons.
D’abord, l’adresse IP peut fluctuer et ne constitue une donnée à caractère personnel que dans certains cas.
En effet, elle n’indique pas la personne utilisatrice de l’ordinateur. Il est vrai que c’est également le cas du numéro de téléphone, mais l’adresse IP présente une spécificité puisque seules les autorités judiciaires ont le pouvoir de vérifier l’identité de la personne à laquelle elle correspond.
De plus, lorsqu’une personne se connecte sur un moteur de recherche, l’adresse IP ne sert alors qu’à établir un profilage dans une finalité relevant du marketing, sans lien avec l’identité de la personne.
J’ajoute qu’il existe des adresses IP aléatoires.
Ensuite, si une liste des données personnelles devait être constituée, il serait difficile pour le législateur d’être exhaustif eu égard au rythme croissant de l’apparition de nouvelles technologies. La définition des données à caractère personnel telle qu’elle figure dans la loi de 1978 est suffisamment souple et large pour englober les situations nouvelles.
Par ailleurs, la proposition de loi attribue à la CNIL des prérogatives qui ne semblent pas nécessaires à l’exercice efficace de sa mission et qui apparaissent même contre-productives.
Il faut souligner que la CNIL joue un rôle décisif de gardien de la protection des données personnelles, mais elle n’a pas vocation à être un gendarme intrusif, qui limiterait l’autonomie de gestion et d’organisation des entreprises ou des administrations, aussi longtemps que celles-ci respectent leurs obligations.
À cet égard, monsieur le rapporteur, il paraît inapproprié de rendre obligatoire, au sein de certains organismes, la présence de correspondants « informatique et libertés » dont les liens avec la CNIL seraient étroits. Le succès des correspondants à la protection des données, institués par la loi de 2004, repose précisément sur le caractère facultatif de la désignation de tels correspondants, seul à même de favoriser la diffusion de la culture de la protection des données dans un esprit de confiance. Rendre leur présence obligatoire dans les administrations et les entreprises pourrait emporter des conséquences néfastes.
En tout état de cause, le Gouvernement a clairement fait le choix de ne pas déployer de correspondants à la protection des données dans les services déconcentrés de l’État.
Par ailleurs, l’article 13 confère à la CNIL un pouvoir d’intervention devant les juridictions qui, aux yeux du Gouvernement, n’a pas de raison d’être. La CNIL peut d’ores et déjà être appelée à intervenir sur l’initiative du juge ou à la demande des parties. Il n’est aucunement justifié de lui accorder une prérogative générale d’intervention, qui doit rester tout à fait exceptionnelle et n’est en rien nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Le Gouvernement est donc opposé à cette disposition.
La proposition de loi entend également soumettre la création de fichiers de souveraineté, relevant de l’article 26 de la loi informatique et libertés, à un certain nombre de finalités prédéterminées.
Le Gouvernement a montré qu’il était favorable à une telle démarche pour les fichiers de sécurité publique et de police judiciaire en soutenant une disposition en ce sens de la proposition de loi de simplification du droit examinée par l’Assemblée nationale et qui a été transmise à la Haute Assemblée. En revanche, il considère qu’il n’est pas opportun de soumettre à un même régime, comme le prévoit l’article 4 de la proposition de loi, les fichiers de sûreté nationale et ceux de défense, sauf à fragiliser l’efficacité de l’action de l’État dans des domaines où sont en cause ses intérêts supérieurs. Il y a là équilibre qu’il convient de maintenir en s’en tenant à cette position.
L’article 29 bis de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, présentée par M. Warsmann, adoptée par l’Assemblée nationale et dont le Sénat aura prochainement l’occasion d’en débattre, modifie l’article 26 de la loi du 6 janvier 1978 dans un sens qui préserve un équilibre entre la garantie des droits et libertés et la souplesse nécessaire pour permettre au Gouvernement de mettre en œuvre des fichiers opérationnels dans des délais raisonnables.
C’est pourquoi le Gouvernement vous invite à rétablir le régime actuel de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés pour les fichiers de sûreté nationale et de défense.
La proposition de loi prévoit en outre d’imposer à l’autorité judiciaire de nouvelles obligations en matière de mise à jour des fichiers de police judiciaire. Le Gouvernement est convaincu que cette mise à jour doit faire l’objet de la plus grande vigilance. Dans les juridictions, les procureurs de la République se mobilisent très fortement pour exercer pleinement leur mission de contrôle. De nouvelles perspectives d’amélioration des conditions de mise à jour sont envisageables à très brève échéance. Faute d’anticipation des moyens nécessaires à leur mise en œuvre – cela pose la question de l’impact de certaines de ces dispositions –, imposer sans aucune étude préalable de nouvelles contraintes aux parquets fragiliserait les progrès déjà accomplis et ceux à venir. Ce ne serait ni compatible avec l’efficacité opérationnelle des fichiers de police judiciaire ni favorable à la protection des libertés individuelles.
Le Gouvernement est également défavorable à l’article 7. Il juge la discussion de ces éléments prématurée et souhaite qu’ils soient pris en compte de façon globale, dans le cadre de la transposition des directives du « paquet télécom », afin d’éviter des modifications répétées des mêmes dispositions à quelques mois d’intervalle.
Enfin, d’autres dispositions de la proposition de loi, inspirées par un souci de clarification, viennent contredire certains principes édictés par la loi informatique et libertés.
Ainsi, l’article 8 tend à préciser la notion de droit d’opposition. Or, dans la rédaction actuelle de la loi, ce droit se manifeste par la possibilité pour toute personne de s’opposer, pour des motifs légitimes, au recueil de données la concernant. Il résulterait donc de l’adoption de cet article un recul des libertés. Cette réduction des garanties apportées aux citoyens apparaît même contradictoire avec les objectifs poursuivis par les auteurs de la proposition de loi.
La loi informatique et libertés a toujours été le fruit d’un équilibre. C’est encore, avec sa souplesse, sa capacité de s’adapter à un monde qui change à toute vitesse, ce qui fait sa force aujourd’hui. C’est en respectant cet équilibre que nous ferons face aux défis que représente le développement de l’outil numérique pour la protection des données personnelles. J’aurai donc l’occasion, durant l’examen des articles, d’en appeler à votre sagesse pour que soit préservé l’esprit de cette loi, qui a prouvé son efficacité.
Ainsi, il y a entre nous des points d’accord importants, et le Gouvernement considère en effet que, par bien des aspects, cette proposition apporte des améliorations bienvenues, mais il est clair que d’autres points, sur lesquels je tenais dès à présent à esquisser la position du Gouvernement, donneront lieu à débat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où les technologies préservent de moins en moins l’anonymat et permettent de garder en mémoire les données de leurs utilisateurs, le droit à la vie privée est confronté à un nouveau péril.
La commission des lois ayant fait ce constat, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner ses conclusions sur la proposition de nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne, dont je tiens à saluer le travail.
Notre vie quotidienne est aujourd’hui grandement simplifiée par toute une série de puces, de cartes et de technologies sans cesse en progrès. Les paiements sont sécurisés, les abonnements, rationalisés, les transports, fluidifiés, etc. Pourtant, il est de notre devoir de parlementaire d’encadrer ces instruments afin qu’ils ne se retournent pas contre leurs utilisateurs. Notre collègue Alex Türk, par ailleurs président de la CNIL, a pris l’habitude de parler de « droit à l’oubli ». Peut-être faudrait-il d’ailleurs songer à en faire un droit à valeur constitutionnelle… En tout cas, la question mérite qu’on s’y attarde.
J’apporterai ici un premier bémol. Si l’initiative de la commission des lois est louable et s’il est urgent de légiférer sur le sujet, je crains toutefois que la multiplication des textes et des initiatives ne vienne brouiller le message final, au lieu de le clarifier.
En effet, nos collègues de l’Assemblée nationale se sont également saisis de ce sujet, parfois à travers des problématiques particulières. C’est la preuve qu’il est urgent de clarifier la législation en vigueur. Je citerai par exemple le rapport Mme Batho et de M. Bénisti sur les fichiers de police, ainsi que le travail de M. Warsmann dans le cadre de sa proposition de loi sur la simplification du droit. Nous constatons d’ailleurs que, sur ce sujet, les groupes de travail associent des parlementaires d’horizons politiques différents sans que cela empêche le consensus, bien au contraire. Encore une preuve de l’importance qu’il y a à légiférer !
J’espère que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne se perdra pas dans les méandres de la navette parlementaire, pour ne jamais réapparaître ! Le débat est important ; il mériterait un véritable engagement du Gouvernement et de nos collègues députés. Je sais que Mme Escoffier et M. Détraigne ont effectué un travail de fond, mais nous devons rester vigilants, afin qu’il ne soit pas dénaturé.
Au départ, cette proposition de loi vise à modifier la loi informatique et libertés de 1978, avec la volonté de mieux protéger les utilisateurs : statut juridique des adresses IP, information du public, notamment des plus jeunes, systématisation des correspondants « informatique et libertés », conservation des données, encadrement des fichiers de police… Le texte d’origine traitait aussi de la CNIL et s’efforçait de lui conférer davantage de pouvoirs et de moyens. Il ne soulevait donc aucune objection majeure de notre part, car le but des auteurs nous apparaît tout à fait louable.
Lors de la réunion de la commission des lois du 24 février dernier, j’avais déposé, avec mes collègues socialistes, plusieurs amendements visant à apporter quelques améliorations. Parmi eux, certains prévoyaient l’exclusivité de la compétence de la CNIL en matière de vidéosurveillance. L’objet de cette proposition de loi est en effet connexe au rapport que Jean-Patrick Courtois et moi-même avons rédigé sur le nécessaire encadrement juridique de la vidéosurveillance. Je rappelle que ce rapport a été voté à l’unanimité de la commission des lois et que notre préconisation a été reprise dans le rapport de Mme Escoffier et de M. Détraigne. Elle devait donc logiquement figurer dans cette proposition de loi.
Or, en commission, l’engagement a été pris de reprendre ces modifications législatives lors du débat sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, ou LOPPSI 2, qui doit bientôt avoir lieu au Sénat. Face à l’unanimité des membres de la commission, j’ai accepté de retirer mes amendements, mais nous veillerons au respect des engagements du 24 février lors de l’examen du futur texte.
Pour en revenir à la présente proposition de loi, j’observe que M. le rapporteur y a apporté plusieurs modifications lors des travaux en commission ; mon groupe en a accepté un certain nombre. Même lorsque la commission a assoupli le texte, par souci de pragmatisme, ainsi que pour prendre en compte les pratiques des utilisateurs ou la future transposition des directives européennes du « paquet télécom », nous comprenons la volonté du rapporteur, qui a réalisé un travail remarquable. Je souhaite toutefois m’arrêter quelques instants sur l’article 4, qui touche sans doute le thème le plus sensible parmi ceux qui sont abordés dans ce texte, à savoir les fichiers.
Aux termes de la loi de janvier 1978, les fichiers intéressant la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, ou qui ont pour objet la répression des infractions pénales, sont créés par arrêté du ministre compétent. En cas de recours à la biométrie, un décret en Conseil d’État est nécessaire. La CNIL rend un avis simple.
Les craintes suscitées par la création du fichier EDVIGE ont montré à quel point le sujet des fichiers de police et de gendarmerie, de leur contrôle et de leur évolution était sensible, notamment au regard des conséquences de l’existence de ces fichiers sur les libertés individuelles et collectives. À cette occasion, les groupes socialistes du Sénat et de l’Assemblée nationale ont réclamé l’organisation d’un débat sur ce sujet, mais le Gouvernement n’a pas souhaité donner suite à cette demande.
L’Assemblée nationale a alors décidé de créer une mission d’information relative aux fichiers de police, qui a débouché sur le dépôt d’une proposition de loi cosignée par les deux co-rapporteurs, Jacques Alain Bénisti et Delphine Batho. L’article 5 de cette proposition de loi donnait au législateur le soin d’autoriser un fichier ou une catégorie de fichiers de police, étant entendu que le pouvoir réglementaire continuerait à s’exercer pleinement pour la création de l’ensemble des traitements respectant les conditions préalablement définies par la loi. Discutée le 24 novembre 2009 sur l’initiative du groupe socialiste, elle n’a pas été adoptée par l’Assemblée nationale.
L’article 4 de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui formalise la recommandation n° 13 contenue dans le rapport d’information d’Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, recommandation qui reprend elle-même l’architecture de l’article 5 de la proposition de loi de M. Bénisti et de Mme Batho.
Toutefois, les auteurs de la présente proposition de loi ayant jugé la proposition des députés très contraignante, ils prévoyaient de restreindre en conséquence, dans l’article 4, les cas d’autorisation législative à des catégories de fichiers de police nationaux et à leurs caractéristiques les plus importantes.
La commission a profondément modifié l’article 4, en proposant une nouvelle rédaction qui, selon le rapporteur, respecte l’esprit de la proposition de loi et des amendements que nous voulions y apporter.
Certes, nous aboutissons à un meilleur encadrement légal de la création des fichiers par rapport à la législation existante. Il subsiste toutefois comme un goût d’inachevé dans le texte qui nous est maintenant soumis.
Le dérapage sur l’utilisation médiatique des données du fichier STIC que nous avons connu pendant la campagne des élections régionales en est une illustration flagrante. En tant que législateur, nous ne pouvons nous résoudre à restreindre nous-mêmes notre rôle à la détermination des finalités des fichiers. Le vrai débat porte aujourd’hui sur le contenu des fichiers, et surtout sur les conditions de traitement des données qu’ils comportent. De ce point de vue, la proposition de loi initiale, complétée par nos amendements, permettait de clore ce débat. Celui-ci, loin d’être anodin, revêt au contraire une importance majeure, car il s’agit des libertés fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.
Nous réservons donc notre vote pour le moment. Initialement, nous étions spontanément favorables à ce texte, qui, surtout dans sa version d’origine, allait dans le bon sens, vers davantage de sécurité juridique pour nos concitoyens. Nous serons très attentifs à ce qui résultera de la discussion des articles et nous ne prendrons notre décision finale qu’au regard de la volonté du Gouvernement et du rapporteur de ne pas trop dénaturer le texte originel. Toutefois, au vu des amendements du Gouvernement et après l’intervention de M. le secrétaire d’État, je ne suis pas pleinement confiant… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le droit à la vie privée à l’heure du numérique est un sujet crucial dont l’importance échappe encore à grand nombre de nos concitoyens, pourtant utilisateurs quotidiens des nouvelles technologies. Il s’agit bien de la révolution numérique, dont les effets seront encore plus considérables que ceux de la révolution industrielle.
Le numérique émerveille ; sa capacité à tout accélérer, à faciliter la connaissance, à multiplier les innovations dans tous les domaines, à susciter de nouvelles activités et de nouveaux marchés a masqué ses aspects négatifs, en particulier les risques encourus au regard du respect de la vie privée, ainsi que les risques découlant de l’accumulation d’informations souvent erronées, voire fallacieuses, à visées de plus en plus strictement affairistes, sans oublier les dérives sectaires…
Nos enfants savent dès leur plus jeune âge qu’une prise électrique peut les blesser, que la flamme de la gazinière peut les brûler ; il est plus qu’urgent que notre société leur apprenne que le numérique peut aussi leur faire du mal et que les jeux d’aujourd’hui, les inconséquences des âges de la découverte peuvent assombrir leur avenir.
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. Jacques Mézard. Il est temps que l’ensemble de notre société ramène le numérique à ce qu’il doit être, un instrument de progrès, de connaissance, de lien social, et l’empêche de devenir un instrument de surveillance, de domination, de pouvoir sans contrôle, sans règles, car nous le savons, mes chers collègues, il n’est point de vie en société sans règles de droit.
Soyons bien conscients qu’Internet est certes un instrument de liberté, mais qu’il peut aussi être un instrument de contrôle du citoyen. N’oublions pas les mises en garde de George Orwell dans son 1984. N’oublions pas Big Brother, les « télécrans », le « Ministère de la Vérité » et ses formules sinistres : « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. »
Merci à Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne de leur initiative, de leur travail empreint des principes qui nous sont chers de respect des libertés, du respect de la liberté.
Internet ne doit pas être l’instrument de tous les désordres, le vecteur de tous les conflits, le véhicule de la délation. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le Sénat a voté récemment, en première lecture, un texte allongeant les délais de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet.
Le respect du droit à la vie privée participe de la liberté et de l’autonomie des individus. Sans qu’il existe de définition légale de ce droit, l’article 9 du code civil le protège et, outre les nombreux instruments internationaux qui y font référence, il a été érigé en principe de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel en 1999.
Le contexte le justifie. Le consumérisme ambiant a fait de l’intimité des individus des objets commerciaux et encourage une course toujours plus cynique à l’exposition du corps, de la vie et des mœurs.
Peu de personnes ont conscience aujourd'hui que le moindre clic sur Internet est tracé, conservé, voire utilisé à des fins de profilage publicitaire. En l’état actuel des choses, le droit à l’oubli demeure une chimère.
La lutte contre l’insécurité sous toutes ses formes sert aussi de prétexte à la banalisation des outils de surveillance de la population, sans d’ailleurs que celle-ci ait toujours conscience de pouvoir être suivie à la trace. La vidéosurveillance a ainsi benoîtement été renommée « vidéoprotection », dans un élan paternaliste qui honore nos pouvoirs publics ! (M. Jean Milhau s’esclaffe.)
La création de fichiers – dont un encore, il y a un mois, dans cet hémicycle – a atteint un rythme quasi industriel, qui donne le tournis à la CNIL !
Nous saluons donc l’initiative de nos collègues. Elle honore le Parlement français, qui a été le premier, dès 1978, à s’emparer des problématiques liées aux nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Monsieur le secrétaire d’État, nous considérons quant à nous que la CNIL constitue le fer de lance de notre législation en la matière. Elle sait s’acquitter de sa mission dans des conditions qui ne sont pas toujours aisées. Le texte initial de nos collègues vise à renforcer ses pouvoirs en clarifiant les obligations d’information qui s’imposent aux responsables de traitement de données personnelles ainsi qu’en relevant les plafonds des sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par elle, aux fins d’une plus grande fermeté. L’élargissement des possibilités d’intervention pour toute instance de la CNIL constitue également un progrès indéniable.
De même, nous approuvons, à l’article 2, la sanctuarisation de l’adresse IP ou, à l’article 5 bis, l’obligation, introduite par la commission des lois, de publication concomitante d’un acte réglementaire créant un fichier et de l’avis correspondant de la CNIL.
Notre commission a également pris l’heureuse initiative de sécuriser, à l’article 9 bis, le droit de contrôle inopiné de la CNIL, dont l’efficacité avait été considérablement amoindrie par le Conseil d’État dans son arrêt Société Inter Confort du 6 novembre dernier.
Le nouveau dispositif concilie l’efficacité du contrôle et les exigences des droits des justiciables.
En revanche, l’interprétation restrictive par la commission des lois de la qualité de juridiction de la CNIL ne nous a pas convaincus.
Nous sommes également réservés sur la nouvelle version de l’article 4. Le texte initial de la proposition de loi prévoyait de réserver au législateur la compétence de créer les fichiers de police intéressant la sécurité publique et l’exécution des condamnations pénales. Aujourd'hui, la frénésie de compilation de données et l’enchevêtrement des fichiers justifient de donner cette compétence au législateur afin d’en accroître la transparence et la sécurité juridique.
Quand je lis encore dans le texte que, lorsque le procureur de la République prescrit le maintien des données à caractère personnel d’une personne ayant bénéficié d’une décision d’acquittement ou de relaxe devenue définitive, il en avise la personne concernée, je m’insurge ! À l’évidence, long est encore le chemin à parcourir pour parvenir au respect du droit à l’oubli !
Nos deux collègues ont poursuivi trois objectifs essentiels : en premier lieu, l’information des jeunes ; en deuxième lieu, un droit à l’oubli avec la facilitation de la suppression des données ; enfin, en troisième lieu, la volonté de conforter la CNIL dans son rôle de contrôle, de conseil et d’expert, mais il me semble, monsieur le secrétaire d’État, que votre volonté est plutôt d’aller en sens inverse. Or nos collègues ont raison : il faut impérativement conforter le rôle de la CNIL, cet organisme indépendant, cet instrument du respect des libertés.
Nous saluons le travail de nos deux collègues et le groupe du RDSE unanime votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Charles Gautier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Internet est-il un outil de liberté ou un instrument de soumission ? La question est fondamentale et une loi nationale, dans un domaine sans frontières et à la mémoire infinie, mérite réflexion.
Néanmoins, l’initiative dont nous avons à débattre aujourd’hui est tout à fait pertinente puisqu’elle entend répondre par un renforcement des droits des internautes aux atteintes à la vie privée auxquelles Internet peut donner lieu.
Le Gouvernement aurait sans doute préféré s’en tenir à une simple autolimitation des acteurs ou à une charte de bonne conduite. Les propos de M. le secrétaire d’État et les amendements que nous soumettra le Gouvernement montrent que celui-ci n’approuve pas, à l’évidence, le contenu de la proposition de loi.
Pourtant, l’autorégulation en matière de traitement et de conservation de données personnelles a des limites, lesquelles sont d’autant plus vite atteintes que la conservation de ces données présente un intérêt marchand et constitue une source de revenus pour un certain nombre d’acteurs.
Dès lors, pouvait-on se satisfaire, pour garantir la protection de la vie privée, d’une fragile autorégulation des responsables des dangereuses dérives ? Certainement pas : telle est la raison pour laquelle une loi sur ce sujet est bienvenue.
Nous devons nous féliciter que cette proposition de loi prévoie une information des jeunes, dans le cadre éducatif, quant aux risques présentés par l’usage des nouvelles technologies au regard de la protection de leur vie privée. Les utilisateurs doivent, en effet, prendre dès leur plus jeune âge conscience du caractère rien moins qu’anodin des révélations et des exhibitions auxquelles ils se livrent sur Internet.
Un renforcement des droits des utilisateurs grâce à la simplification de leur mise en œuvre était ensuite nécessaire et nous en saluons la mise en place. Un droit à l’oubli effectif suppose en effet que les internautes puissent exercer leurs droits de suppression et d’opposition sans que des entraves matérielles les réduisent en pratique à néant. La proposition de loi y pourvoit : les utilisateurs pourront exercer leurs droits d’accès, de rectification et de suppression par voie électronique.
Ils pourront également exercer sans frais leur droit d’opposition et pourront, en cas d’infraction, saisir une juridiction compétente sans se heurter à l’obstacle souvent insurmontable que représentait la détermination de la juridiction compétente dans un litige les opposant à un défendeur virtuel.
Cependant, et c’est bien là le hic, les droits des utilisateurs sont peu de choses s’ils ne s’accompagnent pas d’obligations corrélatives pour les responsables du traitement des données. Or, sur ce point, la commission, soumise au lobbying actif de Google – il a touché tous les parlementaires, donc a fortiori le rapporteur –, a en grande partie annihilé les avancées proposées par les auteurs de la proposition.
Concernant, en premier lieu, la collecte des données personnelles, le texte d’origine prévoyait d’imposer au responsable du traitement de recueillir le consentement préalable de l’utilisateur. On s’en doute, cette disposition a été mal accueillie par les fournisseurs d’accès et les représentants de la publicité en ligne auditionnés par la commission, qui ont immédiatement perçu la menace qu’elle faisait planer sur leurs intérêts mercantiles.
Faisant siens ces intérêts, le rapporteur a proposé un amendement visant à revenir au texte de 1978 et imposant seulement au responsable du traitement une obligation d’informer l’utilisateur des moyens mis à sa disposition pour refuser son consentement.
Nous ne pouvons accepter que les intérêts des fournisseurs d’accès et de publicité priment sur une protection nécessaire aux utilisateurs.
Comme nous l’avons dit en 2004, lors de la précédente modification de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, nous estimons que toute exploitation de données à des fins commerciales doit, conformément à la directive de juillet 2002, modifiée en novembre 2009, recueillir le consentement exprès de la personne concernée.
Concernant, en second lieu, l’origine des données collectées, le texte mettait à la charge du responsable du traitement l’obligation d’indiquer cette origine. Le texte amendé par la commission a fait disparaître cette avancée. Pour éviter d’imposer aux responsables des traitements la mise en place de systèmes de traçage complexes et onéreux, un retour au statu quo a de nouveau prévalu.
Sous l’effet des amendements adoptés en commission, les droits substantiels des utilisateurs garantis par la proposition de loi initiale ont donc rétréci.
S’agissant maintenant des moyens destinés à garantir le respect de ces droits substantiels, on doit se réjouir que les avancées envisagées par la proposition de loi initiale aient été maintenues, même si elles nous paraissent encore insuffisantes.
Ainsi, la proposition de loi qui nous est soumise impose-t-elle toujours la désignation de correspondants « informatique et libertés », dont les missions sont renforcées. Cependant, comme en 2004, nous ne sommes pas sûrs que ce système de désignation, désormais obligatoire, offre toutes les garanties d’indépendance requises pour réellement préserver les droits des utilisateurs.
En effet, contrairement à ce que prévoyait la proposition d’origine, le texte qui nous est soumis dispose que le correspondant pourra être déchargé de ses fonctions par son employeur sans que cette décision soit prise après avis conforme de la CNIL. Là aussi, attention : les patrons veulent garder la main sur tout !
Ce système ne garantit donc en rien l’indépendance du correspondant, qui devra ménager les intérêts de son employeur au détriment de la protection des droits des utilisateurs.
Le premier moyen de protection des droits des utilisateurs envisagé par le texte ne nous satisfait donc pas.
Le second moyen, qui passe par un renforcement des pouvoirs de la CNIL, a en revanche toute notre approbation.
Nous nous félicitons que la proposition, même amendée, renforce le rôle de la CNIL dans la répression des infractions en augmentant notablement le montant des sanctions pécuniaires.
De la même façon, un renforcement du pouvoir d’intervention de la CNIL devant les juridictions judiciaires ou administratives était nécessaire pour garantir la défense des intérêts des utilisateurs face à des questions techniques souvent étrangères aux magistrats.
Enfin, le texte qui nous est soumis entreprend de modifier l’épineux article 26 de la loi de 1978, relatif à la création des fichiers de police.
La proposition de loi, dans sa rédaction initiale, prévoyait de réserver au législateur la création de ces fichiers ou de catégories de fichiers. Au prétexte qu’il n’appartient pas au législateur de fixer le contenu de sa propre compétence, la commission a adopté des amendements modifiant substantiellement cette disposition. Désormais, est arrêtée une liste des finalités auxquelles doivent correspondre les fichiers pouvant être créés par voie réglementaire. Or, comme le signale le rapporteur, cela revient à légaliser les fichiers sauvages créés en dehors de tout cadre, car ils trouveront bien dans la liste des finalités énoncées de quoi se redonner un semblant de légalité !
Nous ne pouvons absolument pas cautionner une telle pratique : les fichiers sauvages existants doivent être sanctionnés par leur disparition. La disposition fourre-tout qui nous est soumise ne peut en aucun cas faire illusion et laisser croire que le législateur a enfin décidé de jouer son rôle de protecteur des libertés publiques.
J’indiquerai en conclusion que la transformation de l’homo sapiens en un homo numericus libre, éclairé et protecteur de ses propres données qu’appelaient de leurs vœux les auteurs de la proposition de loi, si elle était amorcée, ne nous semblait pas suffisamment aboutie pour recueillir notre total assentiment. Nous avions donc décidé de nous abstenir. Mais c’était avant que la commission n’intervienne ! Et je constate que le Gouvernement entend réduire quasiment à néant le texte même de la commission !
Notre décision ultime dépendra donc du déroulement de nos travaux et, si les amendements du Gouvernement sont adoptés, il est fort probable que nous voterons contre la proposition de loi.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi, cela a déjà été rappelé, est le fruit d’une initiative conjointe de nos deux collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, initiative que je tiens à saluer. En effet, la protection de la vie privée est sans cesse remise en question par la perpétuelle évolution des technologies numériques.
Sur la base d’un rapport d’information très approfondi, le texte qui nous est présenté propose un dispositif rassemblant des mesures très variées, les unes visant à mieux protéger l’internaute, le citoyen et, plus globalement, les libertés fondamentales, les autres à renforcer les moyens d’action de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Ce texte résulte d’une collaboration très appréciable entre la commission des lois et la commission de la culture. Je veux à mon tour saluer l’excellent travail de nos collègues Christian Cointat, rapporteur au fond, et Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis. Cette dernière a apporté une contribution pertinente au texte en récrivant l’article 1er afin d’améliorer le dispositif de prévention en faveur des jeunes. Il est en effet indispensable de prévoir une formation des élèves, et de leurs enseignants, aux risques que peut présenter Internet au regard de la protection de la vie privée. Dans ce domaine, l’affirmation d’une volonté et d’une politique de prévention, surtout à l’adresse des plus jeunes, constitue une orientation salutaire.
Dans son article 2, la proposition de loi soulève une question à la fois technique et symbolique, celle de l’adresse IP. Cette adresse, qui est en quelque sorte le numéro identifiant chaque ordinateur connecté à Internet, a été récemment le sujet de jurisprudences fluctuantes quant à sa nature juridique, la question étant de savoir si cette adresse revêt ou non le statut de donnée à caractère personnel. La proposition de loi tranche le débat : l’adresse IP, lorsqu’elle permet d’identifier un internaute, est une donnée à caractère personnel au sens de la loi informatique et libertés. La clarification opérée par ce texte apparaît donc comme très utile.
Concernant les problèmes soulevés par les cookies, il est important de rappeler que la protection des libertés individuelles repose d’abord sur le recueil du consentement a priori, ou opt-in, et non sur la simple faculté de s’opposer a posteriori, ou opt-out.
Une fois ce principe rappelé, il est nécessaire de le confronter aux impératifs techniques et pratiques de la navigation sur Internet.
En premier lieu, la proposition de loi améliore l’information des internautes sur les cookies, notamment ceux que l’on dit « comportementaux ». Saluons cette amélioration, car une information spécifique, claire, accessible et permanente garantira un choix éclairé en matière de cookies.
En second lieu, comme l’a rappelé le rapporteur, le principe de l’opt-in tel qu’il était décrit dans la proposition de loi initiale, c’est-à-dire un opt-in au sens strict, risquerait de contrarier la fluidité et la rapidité de la navigation des internautes. Le texte issu des travaux de la commission des lois permettra à l’utilisateur d’exprimer un choix préalable et éclairé en matière de cookies. Et c’est bien là le plus important : que chaque internaute puisse librement et en connaissance de cause exprimer son choix, tout en conservant une navigation aussi fluide que possible.
La proposition de loi prévoit également des évolutions majeures en matière de fichiers de police. Au vu des réactions suscitées, notamment, lors de la création du fichier EDVIGE, il paraissait souhaitable que le législateur pût se prononcer sur la création de ces fichiers, dans la mesure où cette question relève des « garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques », au sens de l’article 34 de la Constitution.
Les aménagements proposés par le rapporteur ont fait sensiblement évoluer le texte sur ce point. Un amendement a ainsi introduit une liste des finalités auxquelles devront répondre les fichiers pour pouvoir être créés par voie réglementaire. Tout fichier créé par arrêté ou par décret devrait répondre à au moins une des finalités énumérées.
Or cette énumération de treize catégories pourrait avoir pour conséquence paradoxale d’amoindrir le contrôle de la CNIL puisque ces catégories, étant créées par la loi, deviennent ipso facto légitimes.
Si l’objectif de la proposition de loi est légitime, la nouvelle rédaction proposée pour l’article 26 de la loi informatique et libertés ne permet pas de garantir, pour chaque création de traitement, que le contrôle de proportionnalité prévu à l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978, modifié, sera bien exercé. Aux termes de cette rédaction, en effet, les données ne sont collectées que pour des finalités déterminées, légitimes et explicites. Compte tenu de la sensibilité de tels traitements, il importe que nous rappelions qu’ils ne peuvent être autorisés que s’ils respectent le principe de proportionnalité. Un amendement sera présenté à cette fin.
Abordons maintenant l’un des sujets phares de cette proposition de loi : les évolutions du statut et des attributions des correspondants « informatique et libertés », les CIL.
Le texte prévoit l’obligation de notification par les CIL des failles de sécurité. Si nous sommes favorables à cette nouvelle obligation, nous pensons aussi qu’il n’est pas opportun de confier aux CIL le soin de prendre les mesures nécessaires pour permettre le rétablissement de l’intégrité et de la confidentialité des informations. Cette tâche incombe, à notre sens, aux responsables de traitement et non aux CIL.
Le texte prévoit également la création obligatoire des CIL à certaines conditions.
Institués en 2004, ces correspondants ont permis la diffusion très large de la culture « informatique et libertés ». Leur nombre est en augmentation constante depuis leur création : ils sont passés de 1 300 en 2007 à 6 200 en 2010. Néanmoins, ce bilan très satisfaisant concerne principalement le secteur privé. En effet, les CIL sont toujours faiblement implantés dans les collectivités territoriales, dans les ministères et dans la sphère publique en général, ce qui est regrettable.
Si l’on peut s’interroger, comme l’a d’ailleurs fait le rapporteur, sur le seuil qui a été retenu de cinquante personnes ayant accès au traitement, le principe de création obligatoire posé par le texte me semble opportun. En effet, compte tenu du bilan très positif des CIL depuis leur mise en place, il conviendra de passer du volontariat à l’instauration obligatoire de ces correspondants. On peut d’ailleurs noter que différents autres pays européens ont déjà appliqué ce régime.
Mais j’entends aussi les réserves et interrogations qui ont été formulées sur cette mesure. Le caractère obligatoire de la désignation peut effectivement avoir des conséquences importantes, notamment organisationnelles, pour les entreprises et les administrations concernées. C’est pourquoi je proposerai un amendement ayant pour objet de différer l’entrée en vigueur du dispositif et de prévoir la réalisation par le Gouvernement d’une étude d’impact permettant d’appréhender les conséquences de cette mesure.
Je présenterai aussi un amendement visant à modifier le dispositif de l’article 3, qui prévoit que la CNIL peut refuser la désignation d’un CIL s’il ne possède pas les compétences requises.
Cette disposition soulève des difficultés quant au rôle de la CNIL à l’égard des entreprises. Il lui serait en effet très difficile de déterminer les critères objectifs nécessaires à l’évaluation d’un défaut de compétence d’un correspondant « informatique et libertés ». Des critères tels que l’ancienneté de la personne, ses diplômes ou le poste qu’elle occupe doivent être mis en relation avec la taille de l’organisme concerné, le secteur d’activité dans lequel il évolue et la nature des données traitées. Il apparaît ainsi que le responsable de traitement est le mieux placé pour effectuer ce choix.
Enfin, la possibilité donnée à la CNIL de s’opposer au choix initial d’un responsable de traitement pourrait être vécue par celui-ci comme une perte de contrôle quant à l’organisation de ses services, ce qui n’est pas souhaitable.
Je voudrais aussi saluer le renforcement des moyens de la CNIL, garante de la protection des données à caractère personnel, et ce sur trois points.
En ce qui concerne les contrôles, le droit en vigueur permet au responsable des lieux de s’opposer à une visite de la CNIL. Cette visite ne pouvant alors se dérouler qu’avec l’autorisation d’un magistrat, saisi sur requête du président de la CNIL, les contrevenants ont tout le temps de dissimuler ou de détruire des fichiers litigieux.
Aussi, je me félicite de l’adoption par la commission des lois de l’article 9 bis, qui tend à donner à la CNIL la possibilité de demander au juge des libertés et de la détention l’autorisation préalable d’effectuer une visite inopinée « lorsque l’urgence, la gravité des faits justifiant le contrôle ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents l’exigent ». En permettant au juge des libertés et de la détention, gardien des libertés individuelles, d’autoriser la CNIL à effectuer un contrôle inopiné, le texte renforce l’efficacité des missions de cette autorité tout en respectant les droits du responsable des lieux visités.
En ce qui concerne l’expérimentation des fichiers, les services de l’État sont conduits, dans la situation actuelle, à soumettre les traitements informatisés dans leur état final à la CNIL, ce qui présente le double inconvénient de ne pas permettre à celle-ci de suggérer des modifications en cours d’élaboration et d’obliger ceux-là à remettre en cause toute l’architecture de leur projet pour faire droit aux demandes tardives de la CNIL.
La proposition de loi crée heureusement un régime spécifique qui permet à la CNIL d’intervenir en amont de l’élaboration de ces fichiers. Le dispositif proposé par le texte est donc une avancée importante, même si les garanties prévues pourraient être renforcées. En effet, une simple déclaration pour expérimenter un fichier de police, comme le prévoit la proposition de loi, sans aucun avis ni contrôle a priori de la CNIL, ne semble pas suffisante en termes de protection des données et de la vie privée.
En ce qui concerne, enfin, l’intervention de la CNIL devant les juridictions, l’article 13 de la proposition de loi, inspiré des dispositions qui ont été retenues pour la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, permettra de faciliter l’intervention de la Commission nationale devant les juridictions appelées à connaître d’affaires mettant en jeu la protection des données à caractère personnel. Nous nous félicitons de cette évolution particulièrement utile et opportune.
Pour conclure, mes chers collègues, je tiens une fois encore à saluer l’initiative de nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier ainsi que le travail important qu’ils ont réalisé, travail approfondi et enrichi, d’une part, par la commission des lois et son excellent rapporteur, notre collègue Christian Cointat, et, d’autre part, par l’éclairage pertinent de Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la commission de la culture.
En fonction des débats qui vont suivre, et sur la base des travaux de la commission des lois, le groupe de l’Union centriste votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur le fondement du rapport d’information de nos collègues M. Détraigne et Mme Escoffier sur la vie privée à l’heure des mémoires numériques, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un sujet essentiel : le droit à la vie privée des individus dans un monde numérisé.
Valeur essentielle qui doit être absolument défendue dans un État de droit tel que le nôtre, ce droit se confronte à d’autres droits et libertés, parfois contradictoires mais que nous ne saurions pour autant négliger. La liberté d’expression, le droit à l’image ou encore le droit de la communication électronique sont, en effet, autant de valeurs qui peuvent se trouver en concurrence. Il est du devoir du législateur de trouver un juste équilibre entre elles.
De plus, si le développement d’Internet ouvre de nouvelles voies pour la connaissance, l’information, dans une société mondialisée où la communication est fondamentale, il constitue aussi un danger auquel nous devons savoir répondre. C’est là tout l’enjeu : parvenir à un compromis entre la liberté qu’offre Internet et le besoin de protection de ses utilisateurs qu’il rend nécessaire.
Lorsque nous parlons de protection, celle-ci doit se comprendre à un double niveau.
La protection, c’est d’abord la responsabilisation des individus. Comme le soulignent les auteurs du rapport, l’internaute doit être le premier acteur de sa propre protection ; c’est cela, être citoyen !
Cependant, pour que les individus soient à même de se protéger, il faut qu’ils aient été sensibilisés aux risques qu’Internet fait peser sur leur vie privée. En effet, si les enfants apparaissent de plus en plus comme détenant une véritable maîtrise des outils d’Internet, ils n’envisagent pas toujours pour autant les conséquences désastreuses sur leur vie privée que ceux-ci peuvent engendrer.
Certes, il appartient aux parents d’être les premiers garde-fous d’une utilisation parfois abusive d’Internet, parce leur rôle est aussi de transmettre les principes de pudeur et d’intimité. Cependant, nombre de parents semblent impuissants car, contrairement à leurs enfants, ils ne sont pas toujours maîtres des outils offerts par les nouvelles technologies. En conséquence, ils n’ont pas toujours eux-mêmes conscience des menaces qui pèsent sur la vie privée de leurs enfants, comme le montre de façon pertinente l’exemple des « sextos », développé par les auteurs du rapport. Or protéger nos enfants est une obligation à laquelle nous ne saurions nous dérober.
Dès lors, responsabilisation implique sensibilisation. C’est tout l’intérêt de l’article 1er, tel qu’il a été amendé par notre collègue Mme Catherine Morin-Dessailly, au nom de la commission de la culture : il vise à impliquer l’éducation nationale dans l’accompagnement et la responsabilisation des jeunes utilisateurs d’Internet par le biais des cours d’éducation civique.
Par ailleurs, nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier soulignent dans leur rapport l’émergence de ce que l’on appelle les « mémoires numériques », qui nous conduisent à nous interroger sur un nouvel enjeu, à savoir le droit à l’oubli, droit dont doit disposer tout citoyen d’une société démocratique. La reconnaissance du droit à l’oubli à l’heure du numérique est un premier pas vers l’émergence du citoyen éclairé, de l’homo numericus, que les auteurs du présent texte appellent de leurs vœux.
S’inspirant notamment de la réflexion menée dans le cadre des ateliers sur le droit à l’oubli numérique mis en place par Mme Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, la présente proposition de loi tend à clarifier l’exercice de ce droit. Nous nous en réjouissons.
Une meilleure protection implique également de renforcer la loi informatique et libertés afin d’offrir de meilleures garanties. Tel est l’objet des articles 2 à 12 de la présente proposition de loi.
Tout en souscrivant aux objectifs de ces articles, le groupe UMP et moi-même nous réjouissons que, sur l’initiative de M. le rapporteur, la commission des lois soit parvenue à un meilleur équilibre entre la protection des données et la liberté des acteurs d’un secteur économique majeur pour la compétitivité de notre pays.
Ainsi l’assouplissement du principe de consentement préalable en matière de cookies, tel qu’il est prévu à l’article 6, permettra-t-il de répondre au double souci de ne pas entraver la fluidité de la navigation des internautes et de ne pas remettre en cause le modèle économique d’Internet.
Parallèlement, plusieurs dispositions permettent une meilleure protection des données. J’en mentionnerai trois, qui me paraissent majeures.
En premier lieu, l’article 2 permet aux données de connexion des internautes d’être protégées par la loi informatique et libertés. C’est notamment le cas de l’adresse IP, qui sera désormais considérée comme une donnée à caractère personnel.
Cependant, je tiens à souligner que l’adresse IP constitue un moyen d’identification parmi d’autres, son caractère fluctuant la rendant particulièrement difficile à appréhender. Surtout, l’adresse IP ne permet pas toujours d’identifier l’utilisateur de l’ordinateur. Seules les autorités judiciaires disposent des moyens de vérifier l’identité de la personne à laquelle elle correspond, contrairement à une adresse ou à un numéro de téléphone. Nous ne pouvons ignorer les nombreux freins à notre volonté de légiférer : la question de l’adresse IP, entre autres, témoigne de la complexité des sujets extrêmement techniques que nous abordons.
En outre, si nous soutenons la disposition renforçant les possibilités d’action juridictionnelle de la CNIL, nous sommes conscients que l’examen de cette proposition de loi ne saurait dissimuler la nécessité d’une réflexion menée à l’échelon international. La plupart des serveurs se trouvant à l’étranger, comment légiférer à bon escient si les responsables du traitement ne peuvent être mis en cause ? À cet égard, nous nous réjouissons que le Parlement européen, à l’occasion de l’adoption d’une résolution sur le droit à la propriété intellectuelle ait demandé à la Commission européenne de jouer la transparence sur tous ces sujets, notamment dans les négociations sur la protection des données personnelles.
En second lieu, la CNIL, garante essentielle de la protection de la vie privée, voit opportunément sa légitimité et son efficacité renforcées. En effet, les parlementaires membres de la CNIL seront désormais désignés « de manière à assurer une représentation pluraliste ».
En outre, les visites inopinées, instrument majeur de contrôle de l’application réelle de la loi informatique et libertés dans les organismes privés et dans les administrations, seront facilitées. Afin d’éviter que ces visites ne fassent l’objet de contestations, le texte qui est soumis à notre examen prévoit la mise en œuvre d’une procédure permettant l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention. C’est une bonne chose.
Par ailleurs, les avis de la CNIL devront être publiés chaque fois qu’un fichier de police sera créé. Une telle mesure va dans le bon sens. La bonne utilisation des fichiers de sécurité requiert un contrôle. À cet égard, la présente proposition de loi a pour objet de mieux encadrer la création de fichiers de police que ne le fait le droit actuel. Elle prévoit que les fichiers créés par arrêté ou par décret ne peuvent être autorisés qu’à la condition de répondre à une ou plusieurs des finalités limitativement énumérées. À défaut, seul le législateur sera compétent.
En troisième lieu, la proposition de loi tend à conforter le statut et les missions du correspondant « informatique et libertés », le CIL. L’article 3 de la proposition de loi oblige toute autorité publique ou tout organisme privé qui « recourt à un traitement de données à caractère personnel […] pour lequel plus de cinquante personnes y ont directement accès ou sont chargées de sa mise en œuvre » à désigner, « en son sein ou dans un cadre mutualisé, un correspondant "informatique et libertés" ».
Cette disposition s’inscrit de manière logique dans le prolongement de la loi du 6 août 2004. Le renforcement du CIL apparaît en effet comme le corollaire d’un moindre formalisme exigé des organismes. Ainsi les formalités que les responsables de traitements doivent accomplir sont-elles allégées, la délivrance d’un récépissé ayant été supprimée.
Cependant, et malgré les arguments avancés par M. le rapporteur, je continue de penser que le volontariat doit être privilégié. Afin de parvenir à une solution équilibrée, plusieurs de mes collègues de l’UMP et moi-même présenterons un amendement, sur lequel la commission a émis un avis de sagesse, visant à porter de cinquante à cent le nombre de personnes ayant directement accès à un traitement de données à caractère personnel ou chargées de sa mise en œuvre à partir duquel la désignation d’un CIL est obligatoire.
Il apparaît en effet que le seuil prévu par la proposition de loi tend à rendre obligatoire la présence d’un CIL dans un trop grand nombre d’organismes, ce qui risque de compromettre la capacité de la CNIL à gérer un tel dispositif. En dessous du seuil de cent personnes, le volontariat doit être préféré au caractère obligatoire.
Guidés par la volonté d’impliquer l’ensemble des acteurs du numérique pour avancer sur le terrain d’une meilleure protection de la vie privée, nous nous réjouissons que Mme la secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique propose une « charte d’engagement des professionnels d’Internet » en complément de la présente proposition de loi.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera le texte tel qu’il a été modifié par la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Parlement est, avec le pouvoir judiciaire, le garant des libertés individuelles. À ce titre, il dispose d’un pouvoir que je considère comme naturel dans notre démocratie : celui de contrôler la mise en œuvre de mesures attentatoires aux libertés individuelles.
Son rôle est de contrôler les fichiers créés pour le compte de l’État. Leur multiplication ces dernières années a souvent soulevé chez nos concitoyens des doutes légitimes quant à leur utilité ou à leurs modalités de fonctionnement, comme en témoigne le sort réservé au fichier EDVIGE. Cet épisode a démontré à quel point nos concitoyens étaient attachés au principe du respect de leur vie privée et à la protection de leurs données personnelles.
Il faut admettre que nos concitoyens manquent d’informations sur le traitement des données personnelles. Leur méfiance est liée à une certaine opacité, source de rejet. La CNIL, dans ce domaine, accomplit un travail formidable. Avec les moyens réduits dont elle dispose, elle a réussi à mieux informer les citoyens sur l’existence de ces fichiers, sur leur contenu, sur les modalités d’accès aux données enregistrées et sur les modalités de modification de ces mêmes données. Mais cela semble encore insuffisant si l’on souhaite que nos concitoyens acceptent mieux l’existence de ces fichiers, dont certains, je ne le nie pas, sont nécessaires.
Il convenait donc d’aller plus loin et de poser le principe selon lequel les traitements de données doivent être autorisés par la loi, donc par le Parlement. Nous représentons ici nos concitoyens. C’est par notre voix qu’ils doivent s’exprimer sur la création de tels fichiers.
Telles sont d’ailleurs les conclusions auxquelles sont parvenus nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier dans leur excellent rapport intitulé « La vie privée à l’heure des mémoires numériques », qui a été suivi par le dépôt de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Il importe en effet que la création de tout fichier, quelle que soit sa finalité, soit soumise au vote du Parlement eu égard aux risques graves que ces fichiers font peser sur les libertés individuelles.
Non seulement le Parlement doit autoriser ces fichiers, mais il doit aussi être en mesure, chaque fois que cela est nécessaire, de déterminer leur contenu, leurs modalités de fonctionnement, ainsi que les moyens de contrôle de leur contenu et les possibilités d’y accéder et de les modifier. Le Gouvernement ne saurait priver le Parlement de ses compétences, surtout lorsque les libertés individuelles sont en jeu.
La proposition de loi de nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier répondait parfaitement à cette exigence : donner au Parlement le pouvoir de créer des fichiers et de déterminer les modalités de leur fonctionnement. L’un des points fondamentaux de cette proposition de loi était qu’elle enlevait au pouvoir réglementaire le pouvoir exorbitant de créer des fichiers, dont la multiplication et les dysfonctionnements traduisent une confusion et un manque de rigueur en termes de gestion, alors même que leur mise en œuvre conduit souvent à la manipulation de données extrêmement sensibles.
C’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs Verts étaient prêts à soutenir cette proposition de loi dans sa version initiale. Malheureusement, compte tenu des modifications qui y ont été apportées par la commission des lois, elle ne correspond plus à l’esprit qui animait nos collègues lorsqu’ils l’ont élaborée.
En effet, le principe d’une autorisation législative préalable à la création de fichiers a été abandonné au profit d’un élargissement du pouvoir réglementaire. La commission des lois a réussi à purger la proposition de loi de l’une de ses dispositions les plus importantes, ce que nous déplorons.
En conséquence, nous ne pouvons pas soutenir ce texte, qui porte désormais l’empreinte indélébile de la volonté du Gouvernement de conserver un pouvoir exorbitant en matière de création et de gestion de fichiers.
Si la commission des lois a décidé, à notre grand regret, d’abdiquer devant le Gouvernement, nous continuerons d’exiger que les fichiers ne puissent être autorisés que par le Parlement. C’est pour nous un point fondamental, car toute personne a droit à la protection de ses données personnelles comme à l’oubli de celles qui sont enregistrées dans des fichiers, quels qu’ils soient.
Ces exigences doivent être renforcées par la mise en œuvre d’un contrôle régulier par le Parlement, lequel ne saurait se contenter de donner, à travers le texte tel qu’il nous est maintenant soumis, un blanc-seing au Gouvernement.
Pour ces raisons, nous défendrons un certain nombre d’amendements visant à restaurer le pouvoir du Parlement en matière de création de fichiers. Nous espérons être soutenus sur ce point au moins par les auteurs de la proposition de loi initiale, qui souhaitaient promouvoir un tel pouvoir.
À défaut de l’adoption de ces amendements, nous ne voterons pas le texte. Tout dépend désormais de vous, mes chers collègues ! Nous refusons catégoriquement que la création de fichiers se fasse par décret. Nous refusons de renoncer au pouvoir parlementaire, car il y va de la protection de nos libertés. Pour nous, la loi est une garantie démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Thiollière.
M. Michel Thiollière. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors qu’Internet est un monde du présent éternel, permettez-moi de revenir en arrière de quelques siècles.
Je ne résiste pas au plaisir de vous lire une courte phrase d’un auteur grec du iie siècle. Voici ce qu’il écrivait au début de son Histoire véritable : « Je vais dire des choses que je n’ai jamais vues ni ouïes, et qui, plus encore, ne sont point et ne peuvent être. Qu’on se garde donc bien de les croire ! »
M. Michel Thiollière. Je ne dis pas que cet auteur a inventé Internet, mais je lui adresse, à travers les siècles, une sorte de clin d’œil, car il nous a alertés sur le fait que les mondes de la fiction et de la réalité pouvaient être confondus.
Car c’est un peu comme cela qu’Internet se présente aujourd'hui : un univers qui brouille les pistes, un univers dans lequel fiction et réalité se confondent, dans lequel une vérité peut être un mensonge et réciproquement, dans lequel les frontières entre vie publique et vie privée sont parfois très poreuses.
Notre débat d’aujourd'hui est salutaire, car il touche au cœur d’un principe démocratique et républicain : la distinction claire entre ce qui doit relever de la sphère privée et ce qui doit relever de la sphère publique.
En tant qu’homme, en tant que citoyen, j’ai le droit de préserver ma vie privée, mais j’ai également celui de franchir la frontière pour exposer au public un certain nombre considérations. J’ai le droit d’énoncer des jugements, tout comme j’ai celui de le retenir et aussi celui d’effacer ce que j’ai pu dire ou faire auparavant. C’est cela le respect de la vie privée dans le monde public.
Aujourd'hui, Internet est partout dans la sphère publique. C’est un monde, un univers en soi. Mais, nous le voyons bien, deux écueils se présentent à nous. Internet fragilise la frontière entre vie publique et vie privée en la rendant perméable et, par là même, il peut pénétrer peu à peu dans notre sphère privée sans notre assentiment.
Selon les idéologues, voire les libertaires d’Internet, la Toile serait un espace de liberté totale. Il faut tout de même être méfiant : Internet est aussi un outil de surveillance et il peut déployer une emprise sur notre vie privée. Même si c’est un outil fabuleux, nous ne devons pas céder à ses sirènes sans précautions.
Internet instaure un monde flou, dont les frontières ne sont pas toujours bien définies. C’est également un univers plat, sans hiérarchisation des valeurs, parce que tout se ressemble et que tout est placé au même niveau.
D’ailleurs, si vous allez sur Internet, vous voyez que la sphère publique et la sphère privée jouent en permanence l’une avec l’autre. Et quand on joue sur la Toile, on peut aussi se faire prendre par elle !
C'est pourquoi je voudrais saluer le rapport d’information de nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, qui ont raison de s’interroger sur la protection de la vie privée dans l’univers numérique. C’est également une des raisons pour lesquelles la proposition de loi dont notre collègue Christian Cointat est le rapporteur est bienvenue, comme l’est le rapport pour avis déposé par notre collègue Catherine Morin-Desailly au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.
En effet, l’internaute a droit à l’information, à la communication et à l’expression. Mais il est également un citoyen, et il a droit à une vie privée et à la protection de celle-ci.
Qui contrôle ce qui se dit ou s’écrit sur Internet ? Est-ce une autorité morale ? Sait-on qui parle ? Aujourd'hui, c’est l’anonymat le plus total ! Si vous allez sur des sites collaboratifs, vous ne savez pas qui régule et qui modère les propos des uns et des autres. Il n’y a donc ni repères ni sources.
Nous devons être méfiants vis-à-vis de cette culture-là, qui ne permet pas de vérifier les sources et qui livre à la curiosité des références pas toujours vérifiables. D’une certaine manière, Internet utilisé sans précautions, c’est une culture qui est amputée.
Lorsqu’on évoque la liberté de chacun, lorsqu’on évoque la vie privée et la culture, on évoque la mémoire. Nos collègues ont donc raison d’insister sur ce point.
Qui dit « mémoire » dit « droit à l’oubli ». En effet, tout ce qui s’écrit sur Internet, tout ce qui s’affiche en mots, en images ou en sons doit pouvoir être oublié. L’oubli peut être voulu soit par les auteurs eux-mêmes, soit par des personnes ne souhaitant pas voir leur vie exposée, d’autant que certains éléments peuvent avoir été falsifiés. Or Internet n’oublie rien ! Je dirai même qu’Internet fait de sa mémoire, de notre mémoire, son miel quotidien.
De telles traces indélébiles, qui peuvent nous poursuivre à des fins inavouées, mercantiles, sont comme une mémoire manipulée, un « abus de mémoire », pour reprendre la formule du philosophe Paul Ricœur.
Qui manipule la mémoire penche vers l’idéologie totalitaire et s’éloigne des principes démocratiques, lesquels placent le respect de la personne au-dessus de tout.
Si nous voulons construire une République numérique respectueuse de l’homme, les principes républicains qui valent dans le monde réel doivent également s’appliquer dans le monde numérique.
Comme cela a été souligné – Mme Catherine Morin-Desailly le rappelait tout à l’heure –, nous avons à de nombreuses reprises, par exemple lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, c'est-à-dire ce qui est devenu la HADOPI, fait valoir que le droit d’auteur du monde réel devait également s’appliquer dans le monde numérique.
Or, pour trouver un équilibre entre sphère publique et sphère privée dans le monde numérique et pour construire une société numérique du respect, c’est la régulation et seulement elle qui nous permettra de placer le curseur au bon endroit, entre les avantages d’Internet et le respect du droit à la vie privée.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui vise à instituer des mesures très utiles. Comme elles ont déjà été évoquées, je me bornerai à en rappeler quelques-unes.
Je mentionnerai bien sûr la formation des enseignants et des jeunes, tout en sachant que les enseignants les plus jeunes sont également nés avec Internet. La formation de l’esprit critique, essentiellement dispensée dans l’éducation littéraire, et l’apprentissage de l’utilisation des technologies de l’information doivent être au cœur de notre enseignement afin que les jeunes et les enseignants eux-mêmes soient bien au fait des chances qu’offre Internet, mais également des risques qu’il induit.
Comme l’a rappelé notre collègue Catherine Morin-Desailly, la commission de la culture souhaite impliquer l’éducation nationale par le biais de l’éducation civique et du brevet informatique et Internet pour sensibiliser les plus jeunes, comme le prévoit l’article 1er de la proposition de loi.
Dans le même temps, il est indispensable de renforcer la CNIL, en permettant notamment à cette autorité indépendante d’effectuer des visites inopinées, après avis du juge des libertés et de la détention, ainsi que cela figure dans le texte.
Il est également important de renforcer le rôle des correspondants « informatique et libertés », de clarifier le droit à l’oubli et de consolider le droit de retrait.
Bref, vous l’aurez compris, au nom du groupe UMP, je souscris à de telles avancées judicieuses, précieuses et utiles.
Au-delà du débat salutaire que la proposition de loi nous permet d’avoir aujourd'hui, je voudrais conclure sur une ouverture et un appel. D’abord, une ouverture à revisiter la République à l’ère numérique : nous l’avons fait avec le droit d’auteur ; il faut le faire avec le droit à la vie privée. Ensuite, un appel à la vigilance de nos démocraties, qui doivent s’organiser et réguler le monde d’Internet pour préserver nos valeurs les plus fondamentales.
Aujourd'hui, il y a deux attitudes face à Internet. Pour certains, la Toile serait l’alpha et l’oméga de la civilisation de demain. Toutefois, il est clair que la liberté qu’elle offre, et qui paraît au premier abord fantastique, peut être surveillée et pervertie. C’est pourquoi nous devons concentrer notre attention sur un point : Internet est un bel outil, mais il doit être au service des hommes, en leur garantissant des droits et des devoirs et en respectant les règles de la vie en société.
L’auteur grec que j’ai évoqué en introduction a inspiré à Goethe l’Apprenti Sorcier, poème dans lequel le personnage éponyme dit au sorcier : « Oh, maître, quel malheur ! Les esprits que j’ai réveillés ne veulent plus m’écouter. » Cette vieille histoire, qui date de la Grèce antique et qui a été rappelée par Goethe, illustre ce qui est aujourd'hui au cœur de nos responsabilités.
Si nous voulons que l’homme soit respectable dans l’univers numérique, il faudra, pour assurer son destin, qu’il reste également maître d’Internet, et donc qu’il puisse le réguler ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jean Milhau applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise relaie un large débat au sein de notre société. Pour ma part, j’évoquerai essentiellement Internet.
Comme cela a été souligné, la Toile présente de formidables potentialités de développement, de connaissance et d’enrichissement de l’individu et de la collectivité.
Mais Internet est-il par ailleurs une menace pour nos libertés ? Son succès en amplifie effectivement les dangers. D’autoroute de l’information qu’il fut à ses débuts, il est devenu réseau ouvert dans chaque sphère de la société, complexe et difficilement maîtrisable.
En effet, notre droit à la vie privée est fortement mis à mal du fait du développement de nouvelles « mémoires numériques », qui permettent – hélas ! – de suivre un individu aussi bien dans l’espace que dans le temps.
Les personnes se trouvent « tracées » à la fois physiquement, par le biais de la vidéosurveillance, de la biométrie, du GSM des téléphones portables, mais aussi mentalement, par le biais d’Internet, des réseaux dits « sociaux ».
En fait, sur ces réseaux, le pire côtoie le meilleur… Le plus célèbre d’entre eux, qui a été fondé en 2003 par trois copains étudiants de l’université Harvard âgés de dix-neuf ans à peine, a commencé comme par une success story typique de l’American dream. Six ans plus tard, ce site est le quatrième plus visité au monde. À l’heure actuelle, il compte plus de 400 millions d’utilisateurs ! Cela représente 340 millions de visites mensuelles et 45 millions de groupes recensés. Vous connaissez l’adage : « les amis de mes amis sont mes amis ». Avec Internet, cela vaut quasiment à l’infini ! Certains tiennent d’ailleurs ce réseau pour le « bistrot du Web ».
Pour autant, sous couvert du lien social, devons-nous être tous fichés ? En effet, qui lit réellement les conditions d’utilisation d’un programme ou d’un site avant de s’en servir ? Car Internet est sans nul doute un outil très intéressant lorsqu’il est utilisé à bon escient, mais peu de gens en connaissent réellement la nature et, surtout, les dangers.
Il faut le savoir, tout ce qui figure sur un réseau social appartient à ce réseau, même le contenu que vous y mettez personnellement. En y créant votre profil, vous lui permettez de donner le droit à n’importe qui de faire n’importe quoi avec vos photos, vos vidéos, vos textes et tout autre contenu pouvant se trouver sur votre compte.
La licence expire lors de la fermeture définitive de votre compte, mais des fichiers peuvent être conservés dans les copies de sauvegarde.
De plus, puisque la licence est sous-licenciable, des tiers peuvent avoir obtenu le droit de diffuser vos photos avant même la fermeture de votre compte.
Enfin, il est strictement impossible, même lors de la fermeture définitive de votre compte, d’effacer les messages que vous avez envoyés à travers le réseau. Ces derniers resteront dans les bases de données et seront visibles par les autres utilisateurs.
Les ressources humaines se frottent ainsi les mains, surveillant les salariés connectés ou obtenant sans effort un CV d’un nouveau genre pour un candidat à l’embauche : âge, sexe, emploi, religion, occupations. Ces sites sont bien devenus l’eldorado des fichiers clients.
La Toile a ainsi ouvert les portes de nouvelles formes de renommée, positive et parfois négative, des personnes ou des entreprises.
Les opinions exposées sur la Toile sont partagées sans aucune limite, et la multiplication des échanges peut être synonyme d’atteinte à notre image personnelle et professionnelle, qui devient de plus en plus difficile à contrôler.
Fort heureusement, les internautes prennent peu à peu conscience de la nécessité de protéger leurs données personnelles et de surveiller ce qu’on appelle leur « cyber-réputation ».
Or il n’est pas facile de faire valoir son droit à la confidentialité dans un espace virtuel où le mot « frontière » n’a que peu de sens, où la loi se contourne facilement et où les recours juridiques sont limités.
Cela commence par l’éducation de notre jeunesse en la sensibilisant à ces dérives, comme cela est prévu dans l’article 1er de la proposition de loi.
Le plan France numérique 2012 prévoyait plusieurs actions des pouvoirs publics français en faveur de l’élaboration d’instruments juridiques européens et internationaux, promouvant la protection des données personnelles, notamment en définissant une durée de conservation maximale des données personnelles détenues par les moteurs de recherche.
L’Union européenne avait souligné l’urgence des actions à mener sur ces points. Le présent texte en est la première pierre. Face aux différents enjeux que nous avons évoqués les uns et les autres, cette proposition de loi mérite tout notre intérêt et tout notre soutien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jean Milhau applaudissent également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je souhaite apporter quelques éléments de réponse aux observations très intéressantes que j’ai entendues au cours de la discussion générale. Bien entendu, je ne répondrai pas à tout, mais nous pourrons aborder plus spécifiquement certains points précis lors de la discussion des articles.
Monsieur Charles Gautier, vous avez souligné que la multiplication des textes brouillait la lisibilité du droit en la matière. Je vous l’accorde. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement à l’article 4 visant à rétablir la rédaction qui avait été retenue par l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, déposée par M. Jean-Luc Warsmann.
De même, aux articles 6 et 7, le Gouvernement propose de ne pas anticiper sur la transposition du « paquet Télécom », afin de ne pas avoir à modifier plusieurs fois les mêmes textes.
Vous avez raison de noter que le sujet le plus délicat de la proposition de loi figure à l’article 4. La question de l’encadrement législatif de la création des fichiers de police a déjà fait l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi que je viens d’évoquer. Le Gouvernement restera cohérent avec la position qui était alors la sienne.
Vous avez également évoqué la vidéosurveillance. Un débat sur son encadrement juridique aura lieu au Sénat le 30 mars, et le Gouvernement sera alors représenté par M. le ministre de l'intérieur.
Je veux assurer M. Mézard que nous partageons tous le souci de veiller à l’adaptation de la législation garantissant la protection de la vie privée : c’est également l’objectif du Gouvernement. Précisément, nos débats concernent, et concerneront encore, les moyens d’y parvenir. D’ailleurs, nous approuvons les dispositions figurant dans la proposition de loi qui visent à renforcer le pouvoir de sanction de la CNIL.
Le Gouvernement ne cherche nullement à réduire le rôle de la CNIL ; j’en ai, encore récemment, longuement discuté avec son président. J’apprécie beaucoup le travail de la CNIL. J’ai suivi ses travaux dès mon entrée au Parlement – il y a trente ans ! – et j’ai un infini respect pour les députés et les sénateurs qui y siègent.
En vérité, nous souhaitons améliorer le pouvoir de contrôle sur place de la CNIL. Simplement, nous avons un souci d’équilibre ; je reviendrai sur ce point ultérieurement.
Par ailleurs, le droit à l’oubli, autre sujet abordé par M. Mézard, est sans doute une nécessité, mais il n’est pas possible qu’il ne connaisse aucune limite et qu’il impose une gestion automatique ou mécanique des fichiers de police judiciaire, fichiers dont la raison d’être, il faut tout de même le rappeler, est d’assurer la sécurité de nos concitoyens.
Madame Borvo Cohen-Seat, je partage votre opinion au sujet de l’information éducative à délivrer aux élèves sur les risques liés à l’utilisation d’Internet.
En revanche, il est tout à fait inutile de confier à la CNIL un pouvoir d’intervention dans toutes les procédures judiciaires intéressant le droit de l’informatique et des libertés. Cette autorité parvient à accomplir ses missions aujourd'hui avec les moyens et les pouvoirs qui sont les siens. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de mélanger les genres.
Monsieur Amoudry, vous avez exposé les différents enjeux en matière de navigation sur Internet et de cookies. Le Gouvernement partage votre point de vue. Il souhaite simplement qu’une réflexion globale sur la transposition de la directive de novembre 2009 puisse être menée jusqu’à son terme.
En ce qui concerne les fichiers de police, je tiens à vous rassurer : la CNIL continuera, bien sûr, d’opérer son contrôle de proportionnalité en vertu de l’article 6 de la loi de 1978, comme pour tous les fichiers qu’elle contrôle.
Je partage vos préoccupations au sujet du correspondant « informatique et liberté ». Une évaluation préalable de l’impact des mesures envisagées serait particulièrement utile.
Quant à l’expérimentation des fichiers, je tiens à souligner, comme vous, l’intérêt du texte, qui prévoit d’associer la CNIL très en amont, là où son intervention est le plus utile.
Madame Troendle, vous avez à juste titre souligné que le renforcement de la loi de 1978 nous conduisait à aborder des sujets techniques extrêmement difficiles. C'est la raison pour laquelle je regrette, tout en assumant ma responsabilité en tant que membre du Gouvernement, les aléas du calendrier qui n’ont pas permis que soit mené, avant cette discussion, un travail encore plus approfondi entre les commissions du Sénat et le Gouvernement. Les points de divergence qui existent entre nous le prouvent : un dialogue préliminaire plus ample aurait permis de renforcer l’expertise, au demeurant déjà remarquable, des rapporteurs et des auteurs de la proposition de loi. Nous aurions ainsi pu aboutir à des dispositifs plus équilibrés et plus efficaces.
Vous avez également évoqué, madame Troendle, la difficulté d’appliquer la loi française à des opérateurs situés à l’étranger. C’est une préoccupation que partage le Gouvernement et qu’il relaie à Bruxelles dans la perspective de la révision de la directive de 1995.
En effet, les textes prévoient la compétence des juridictions françaises, même à l’égard d’opérateurs étrangers. Cependant, dans l’hypothèse où la loi française est appliquée, se pose le problème de l’exécution des décisions rendues, et donc de leur effectivité. C’est une question que nous devons traiter à l’échelon international ; nous y travaillons.
Madame Boumediene-Thiery, je vous rappelle que la loi ne peut modifier la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire telle qu’elle est fixée aux articles 34 et 37 de la Constitution.
Au-delà de cet argument constitutionnel, j’ajouterai que, en pratique, si l’on vous suivait, le Parlement serait submergé de textes très techniques qui ne nécessitent aucunement l’intervention de la représentation nationale.
Monsieur Thiollière, permettez-moi d’abord de saluer vos références à l’Antiquité et à Goethe, qui nous incitent à une utile réflexion philosophique !
Vous avez souligné à juste titre qu’Internet favorisait l’imbrication entre la sphère publique et la sphère privée, avec des frontières assez floues et mouvantes : nous constatons tous ce phénomène au quotidien, dans notre entourage comme dans notre vie professionnelle.
C'est la raison pour laquelle nous avons besoin – c’est un peu mon leitmotiv, aujourd'hui ! – de solutions souples et adaptables aux évolutions du monde numérique. Les amendements que je présenterai tout à l’heure au nom du Gouvernement viseront à préserver ces équilibres.
Monsieur Lefèvre, vous avez mis l’accent sur de nombreuses formes de risques et de dangers dans l’utilisation d’Internet. Il nous revient, en effet, d’agir pour parer à ces dangers et veiller à l’adaptation de notre législation en matière de protection de la vie privée. C’est un objectif qui nous est commun et que, j’en suis sûr, la discussion des articles va nous permettre d’atteindre.
Mme la présidente. Nous passons à la discussion des articles.
TITRE IER
DISPOSITIONS PORTANT MODIFICATION DU CODE DE L’EDUCATION
Article 1er
L’article L. 312-15 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible et d’acquérir un comportement responsable dans l’utilisation des outils interactifs, lors de leur usage des services de communication au public en ligne. Ils sont informés des moyens de maîtriser leur image publique, des dangers de l’exposition de soi et d’autrui, des droits d’opposition, de suppression, d’accès et de rectification prévus par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, ainsi que des missions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.
Mme Nicole Bonnefoy. L’article 1er de cette proposition de loi vise à confier à l’éducation nationale une mission de prévention et de sensibilisation des jeunes sur l’utilisation des services de communication au public en ligne et sur les conséquences que cela peut avoir sur la vie privée des individus.
Une telle initiative me semble indispensable à l’heure de l’informatisation croissante de notre société et de l’omniprésence des nouvelles technologies dans notre vie, plus précisément dans celle des jeunes.
Il est nécessaire, au vu des nombreuses dérives auxquelles nous assistons depuis plus d’une dizaine d’années, que soit mise en place pour nos enfants une « éducation numérique » plus complète, afin d’éviter les risques que comporte ce nouvel espace public.
Internet est un formidable outil de communication et d’information, qui offre aujourd’hui de très nombreuses opportunités à beaucoup de Français. Il est devenu un instrument indispensable, notamment dans la vie professionnelle, mais aussi, pour certains, dans la vie sociale et culturelle.
Un tel succès suscite, évidemment, beaucoup de convoitises et il est source de nombreux dangers, qu’il faut prévenir.
L’école a, bien entendu, un rôle central à jouer en ce qui concerne l’éducation et l’acquisition des connaissances et des réflexes dans ce domaine.
La loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet a déjà mis en place certaines mesures. Pour autant, il apparaît nécessaire de poursuivre l’effort engagé.
Avec le développement massif d’espaces numériques dits « sociaux », qui consistent à mettre en réseau de nombreux éléments de la vie privée, tels Facebook ou les blogs personnels, il convient de compléter le dispositif actuel en prévoyant la diffusion d’une information sur les risques liés aux usages d’Internet, notamment en ce qui concerne la protection des données personnelles et, plus généralement, le respect de la vie privée.
Les principaux utilisateurs de ces réseaux sont majoritairement les nouvelles générations. Nos enfants développent de plus en plus jeunes une véritable addiction à ces pratiques, sans bien mesurer les conséquences probables d’une utilisation à outrance de leurs données par certains sites.
Ces nouveaux espaces d’échange et de vie peuvent donc être dangereux, notamment pour les plus fragiles de nos concitoyens : les virus, les escroqueries, le téléchargement illégal, le piratage de comptes bancaires ou de boîtes de courrier électronique connaissent un essor redoutable.
Plus inquiétant encore : la pornographie s’installe de façon croissante sur la Toile. Comme l’ont souligné les auteurs de cette proposition de loi, Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne, dont je salue le travail, la pratique des « sextos », c’est-à-dire la transmission de photos entre mineurs dénudés par messagerie instantanée ou téléphone portable, bien souvent sans le consentement des intéressés, est une terrible illustration de certains comportements à risque.
Il faut rappeler qu’aujourd’hui 35 millions de Français ont un abonnement Internet. On dénombrait également en 2009 près de 59 millions d’utilisateurs de téléphones portables en France. C’est un phénomène d’une ampleur considérable et il convient d’apporter un maximum de protection aux utilisateurs.
Il est nécessaire de mettre en place des mesures claires de sensibilisation et de prévention à l’égard des jeunes qui sont, à l’évidence, les populations les plus fragiles.
Je tiens, cependant, à souligner un point qui me tient à cœur. J’ai remarqué, dans les textes récemment examinés au Parlement, que le nombre de missions confiées aux enseignants allait croissant. Or, comme beaucoup d’entre nous, je constate parallèlement que les moyens octroyés à ces mêmes professionnels sont en forte baisse. De plus, le nombre de fonctionnaires de l’éducation nationale, déjà insuffisant, va poursuivre sa chute vertigineuse puisque, selon les documents de Bercy, en 2010, 35 000 postes ne seront pas renouvelés.
Les moyens alloués à l’éducation nationale sont en baisse constante depuis quelques années et ne sont plus du tout en adéquation avec les besoins réels. En conséquence, je m’interroge sur les moyens de mise en œuvre des dispositions figurant dans cet article, sans pour autant en remettre en cause le bien-fondé.
En effet, comment ces campagnes de formation, d’information et de sensibilisation à l’outil Internet auprès des jeunes pourront-elles demain être dispensées? Quels moyens réels seront donnés à ces initiatives ? Combien de temps les enseignants devront-ils ou pourront-ils consacrer à cette tâche et, surtout, comment pourront-ils affronter ces difficultés en plus de celles qu’ils rencontrent déjà au quotidien, dans des classes bien souvent surchargées ?
Je voterai cet article, car il pose la problématique de la nécessité de former les jeunes à la question du numérique et il vise à proposer des avancées en ce domaine, mais je ne peux m’empêcher de me demander comment ces mesures seront appliquées concrètement si le Gouvernement poursuit sa politique restrictive envers l’éducation nationale.
Mme la présidente. J’observe que cet article a été adopté à l'unanimité des présents.
Mes chers collègues, je vais suspendre la séance dans quelques instants, mais je me permets d’ores et déjà de faire appel à votre esprit de concision pour la suite de l’examen de ce texte. Faute que vous en fassiez preuve, nous serions obligés d’engager à une heure extrêmement tardive le débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 mars 2010.
Nous allons donc maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
18
Audition au titre de l’article 13 de la Constitution
M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 23 mars 2010, a estimé souhaitable, sans attendre l’adoption des règles organiques qui permettront la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution, de mettre la commission intéressée en mesure d’auditionner, si elle le souhaite, Mme Jeannette Bougrab, qui pourrait être prochainement nommée aux fonctions de présidente de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.
Acte est donné de cette communication, et ce courrier a été transmis à la commission des lois.
19
Droit à la vie privée à l’heure du numérique
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, présentée par M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 2.
TITRE II
DISPOSITIONS PORTANT MODIFICATION DE LA LOI N° 78-17 DU 6 JANVIER 1978 RELATIVE À L’INFORMATIQUE, AUX FICHIERS ET AUX LIBERTÉS
Article 2
Le deuxième alinéa de l’article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Tout numéro identifiant le titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne est visé par le présent alinéa. »
M. le président. L’amendement n° 29, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Cet amendement tend à la suppression de l’article 2.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, la loi informatique et libertés définit déjà la notion de données à caractère personnel. À dessein, elle ne dresse aucune liste de ces données, la notion ne devant pas être figée, dans une matière où la technologie évolue en permanence. Les principes qu’elle a posés sont de portée suffisamment générale pour s’appliquer aux technologies et aux situations nouvelles.
Or l’article 2 rompt avec cette logique et ouvre la voie à une future énumération des données personnelles. Une telle démarche me paraît illusoire parce que l’on ne pourra jamais envisager tous les cas de figure.
Par ailleurs, j’ai également expliqué que l’adresse IP n’est pas une donnée à caractère personnel parce qu’elle ne comporte aucun contenu informatique ; je ne répéterai donc pas ces arguments pour ne pas allonger exagérément mon propos. Je précise simplement que la nouvelle directive européenne « Vie privée et communications électroniques » n’assimile pas non plus l’adresse IP à une donnée personnelle. Si tel était le cas, les opérateurs de télécommunications se trouveraient indûment assujettis aux obligations résultant de la loi informatique et libertés et seraient alors soumis à des contraintes extrêmement lourdes en termes de coûts, de délais, de gestion ; nous devons conserver ces éléments à l’esprit.
L’article 2 risque de rigidifier la loi et d’être source de confusion. Faudra-t-il à l’avenir qu’une information soit expressément mentionnée par la loi comme donnée personnelle pour qu’elle bénéficie de la protection de la loi informatique et libertés ? Tel pourrait être l’un des effets pervers qui résulteraient de l’adoption de cet article, alors que la loi actuelle permet de s’adapter aux différents cas de figure.
Pour toutes ces raisons, sans aucun esprit de défiance, le Gouvernement souhaite la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. J’ai écouté avec attention vos explications, monsieur le secrétaire d’État, mais j’ai l’impression que vous parliez plutôt du texte initial de la proposition de loi et non du texte adopté par la commission.
Comme vous l’avez vous-même fait observer, nous légiférons dans un domaine où les choses changent et changent vite. Ne pas bouger, c’est s’exposer au risque de voir la loi devenir obsolète ! Nous devons donc en tenir compte. La loi doit évoluer, sinon elle devient périmée.
La rédaction de l’article 2 adoptée par la commission des lois ne fait plus référence à l’adresse IP ou à des numéros, mais vise « tout numéro identifiant le titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne ». Ainsi, un numéro qui n’identifie pas l’internaute n’est pas une donnée à caractère personnel et n’est donc pas concerné. Mais tout numéro identifiant doit être retenu, sinon les usagers ne bénéficieraient plus de la protection qu’ils sont en droit d’attendre.
Par ailleurs, indépendamment de ces considérations d’évolution technique et de protection des droits, un autre élément est déterminant, monsieur le secrétaire d’État : l’incertitude de la jurisprudence. Certains tribunaux considèrent que l’adresse IP n’est pas une donnée à caractère personnel, alors que d’autres estiment le contraire. La jurisprudence n’est donc pas claire, d’autant plus que la Cour de cassation a refusé de se prononcer, créant un vide juridique, que le législateur est tenu de combler.
C’est la raison pour laquelle, à mon grand regret, je suis obligé d’émettre, au nom de la commission des lois, un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour explication de vote.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le secrétaire d’État, je crois effectivement que vos observations portaient sur le texte initial de la présente proposition de loi et non sur le texte tel qu’il a été modifié par la commission des lois. En effet, la rédaction adoptée par cette dernière, à laquelle M. Détraigne et moi-même nous sommes ralliés, retient bien la notion de « numéro identifiant le titulaire », qui ne présente aucune difficulté ou gêne pour ce qui concerne l’observation de la réglementation, comme vous l’avez évoqué. Aux côtés de M. le rapporteur, nous sommes particulièrement attachés à cette disposition protectrice.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis (nouveau)
Au 1° du I de l’article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, après les mots : « par le Sénat » sont insérés les mots : «, de manière à assurer une représentation pluraliste ». – (Adopté.)
Article 2 ter (nouveau)
I. – Le troisième alinéa du I de l’article 23 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Le demandeur peut mettre en œuvre le traitement dès réception de la preuve du dépôt de la déclaration ; il n’est exonéré d’aucune de ses responsabilités. »
II. – L’article 70 de la même loi est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « délivre le récépissé avec mention » sont remplacés par les mots : « informe le demandeur » ;
2° Au second alinéa, les mots : « délivre le récépissé et » sont supprimés. – (Adopté.)
Article 3
I. – Après le chapitre IV de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un chapitre IV bis ainsi rédigé :
« Chapitre IV bis
« Le correspondant « informatique et libertés »
« Art. 31-1. – Lorsqu’une autorité publique ou un organisme privé recourt à un traitement de données à caractère personnel qui relève du régime d’autorisation en application des articles 25, 26 ou 27 ou pour lequel plus de cinquante personnes y ont directement accès ou sont chargées de sa mise en œuvre, ladite autorité ou ledit organisme désigne, en son sein ou dans un cadre mutualisé, un correspondant « informatique et libertés ». Toute autorité publique ou organisme privé qui ne remplit pas les conditions précédentes peut toutefois désigner un tel correspondant, y compris dans un cadre mutualisé.
« Le correspondant est chargé d’assurer, d’une manière indépendante, le respect des obligations prévues dans la présente loi et d’informer et de conseiller l’ensemble des personnes travaillant pour le compte de l’autorité ou de l’organisme sur l’ensemble des questions de protection des données à caractère personnel.
« Le correspondant bénéficie des qualifications requises pour exercer ces missions. Il tient une liste des traitements effectués, régulièrement mise à jour et immédiatement accessible à toute personne en faisant la demande. Il ne peut faire l’objet d’aucune sanction de la part de l’employeur du fait de l’accomplissement de ses missions. Il saisit la Commission nationale de l’informatique et des libertés des difficultés qu’il rencontre dans l’exercice de ses missions. Il établit un rapport annuel d’activité et le transmet à la Commission.
« La désignation du correspondant est notifiée à la Commission qui peut la refuser s’il ne remplit pas les conditions de compétence visées aux deux alinéas précédents. Cette désignation est portée à la connaissance des instances représentatives du personnel.
« En cas de non-respect des dispositions de la loi, le responsable du traitement est enjoint par la Commission nationale de l’informatique et des libertés de procéder aux formalités prévues aux articles 23 et 24. En cas de manquement constaté à ses devoirs, le correspondant est déchargé de ses fonctions sur demande, ou après consultation, de la Commission. »
II. – (Non modifié) Le III de l’article 22 est ainsi rédigé :
« III. – Les traitements pour lesquels le responsable a désigné un correspondant « informatique et libertés », dont le statut et les missions sont définis à l’article 31 bis, sont dispensés des formalités prévues aux articles 23 et 24, sauf lorsqu’un transfert de données à caractère personnel à destination d’un État non membre de l’Union européenne est envisagé. »
M. le président. L’amendement n° 30, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. L’article 3 crée un chapitre consacré au correspondant « informatique et libertés », le CIL, au sein de la loi de 1978.
Actuellement, la désignation d’un correspondant à la protection des données est une faculté ; elle doit le rester. En effet, l’état actuel du droit permet à celui qui fait usage de cette faculté et qui crée un traitement de données soumis à déclaration préalable d’être dispensé d’accomplir cette formalité auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Le dispositif est donc équilibré.
Le texte de la proposition de loi soulève plusieurs difficultés.
Tout d’abord, il serait difficile à mettre en œuvre. Ainsi, le seuil à partir duquel un correspondant devrait obligatoirement être nommé est particulièrement malaisé à identifier. Contrairement à l’identification du nombre d’employés travaillant dans un organisme, le nombre de personnes chargées de la mise en œuvre du traitement n’est pas facile à déterminer.
De surcroît, l’article 3 opère un bouleversement de la nature même de l’institution du correspondant. Actuellement, les correspondants à la protection des données sont un vecteur de diffusion de la culture de la protection des données d’autant plus efficace que leur création repose sur le volontariat, élément indispensable à la création d’un lien de confiance entre l’organisme et le correspondant. C’est d’ailleurs ce qu’indiquait M. Alex Türk, alors rapporteur au Sénat de la loi du 6 août 2004, qui a, vous le savez, transposé la directive de 1995.
À l’inverse, l’article 3 met en œuvre une logique de contrainte. D’une part, la désignation d’un correspondant deviendrait obligatoire, comme si, en son absence, les organismes concernés ne pouvaient satisfaire à leurs obligations en matière de protection des données. D’autre part, le choix de la personne désignée devrait nécessairement recueillir l’aval de la CNIL, exigence qui priverait les organismes susvisés d’une autonomie de gestion pourtant élémentaire.
Enfin, le correspondant serait tenu d’informer la CNIL de toute difficulté rencontrée dans l’exercice de ses missions, et la CNIL serait ipso facto dotée d’un pouvoir général d’intrusion dans les affaires internes de l’organisme concerné. Cette disposition risque de se révéler contre-productive et porterait atteinte à l’image dont jouit aujourd’hui la CNIL auprès tant des entreprises que des administrations : la CNIL sortirait en quelque sorte de son rôle, sauf à vouloir lui conférer une mission extrêmement intrusive, qui confinerait à l’inapplicabilité.
Une telle généralisation du correspondant « informatique et libertés » conduirait également à la désignation de nombreux correspondants dans les services de l’État, des collectivités locales, voire des assemblées délibératives. L’animation de ce réseau alourdirait plus la tâche de la CNIL qu’elle ne la faciliterait : cette commission n’a d’ailleurs pas demandé que l’institution du correspondant « informatique et libertés » devienne obligatoire.
Dans les administrations de l’État, cette obligation créerait la confusion avec les correspondants désignés dans chaque ministère qui assurent la coordination de l’application de la loi de 1978 au sein des administrations et qui sont des interlocuteurs privilégiés du commissaire du Gouvernement auprès de la CNIL. Enfin, le Gouvernement n’entend pas désigner de correspondants dans les services déconcentrés de l’État.
Il paraît donc préférable de ne prévoir l’institution des correspondants à la protection des données que dans des administrations et des entreprises volontaires. Dans les autres cas, conservons une séparation claire entre les obligations du responsable de traitement et le contrôle du respect de ces obligations par un organisme extérieur. Je rappelle que la CNIL dispose de pouvoirs de contrôle a posteriori depuis l’adoption de la loi du 6 août 2004.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a déposé l’amendement n° 30, qui tend à la suppression de l’article 3.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, je suis très embarrassé parce que je suis obligé de défendre des arguments contraires aux vôtres. Je le regrette, mais il faut pourtant que je le fasse. (M. Bernard Frimat ironise.)
L’article 3 est l’un des cœurs du dispositif. Avec l’accord des auteurs de la proposition de loi, la commission des lois l’a remanié pour lui donner une force nouvelle. Le correspondant « informatique et libertés » n’est pas l’observateur, ni l’homme ou la femme de la CNIL. Il représente l’assurance, pour tous ceux qui ont à traiter des fichiers importants, que tout se passera bien.
Si vous me permettez la comparaison, à une époque, l’assurance automobile était facultative : elle a été rendue obligatoire parce que la vie des citoyens et la protection de leurs droits étaient en cause. Des assurances couvrant de tels risques sont justifiées.
Le CIL est donc une assurance : il faut l’envisager selon une approche nouvelle et ne pas le considérer comme étant l’œil de la CNIL, à l’origine de contrôles tatillons, comme une charge nouvelle ou une entrave à la liberté d’entreprendre ! Pour le citoyen, il représente une protection, qui doit être assurée de manière interactive. D’une part, la CNIL doit savoir ce qui se passe sur le terrain, connaître les difficultés rencontrées par les gestionnaires des fichiers pour effectuer leur mission dans les meilleures conditions. Ainsi, elle pourra parfois prendre des décisions plus adaptées au monde dans lequel l’informatique circule et vit. D’autre part, les gestionnaires de fichiers pourront également mieux connaître les exigences de la CNIL. On travaille beaucoup mieux en étant informé. Surtout, si l’on sait que le correspondant « informatique et libertés » est disponible en cas de difficulté et peut prendre les choses en main, on dispose d’une assurance importante et utile.
Avec l’article 3, la commission des lois recherche donc un changement d’état d’esprit et d’approche.
Le CIL doit être non plus le représentant de la CNIL qui supervise les actions, mais un partenaire, celui que j’ai appelé, pour reprendre le néologisme que j’ai utilisé dans mon discours liminaire, le « facilitateur », le conseiller et non le contrôleur, celui qui aide et non celui qui bloque. Tel est l’esprit de l’article 3.
Le correspondant est donc vraiment au cœur du dispositif, et il faut le rendre obligatoire ; si sa désignation est facultative, elle n’interviendra pas et l’état d’esprit ne changera pas. Or il importe de donner un signal fort afin que l’on puisse aller de l’avant.
Certes, le seuil de cinquante personnes est peut-être trop bas. Mais, monsieur le secrétaire d’État, si nous l’avons retenu, c’est parce que votre décret autorise la mutualisation à partir de cinquante personnes. Nous avons pensé en toute honnêteté que si vous aviez fixé ce chiffre, c’était parce que vous saviez ce qu’il représentait. Donc nous avons suivi le Gouvernement.
Cela étant, comme je l’ai également souligné lors de la discussion générale, la commission des lois est ouverte à certaines adaptations, et nous examinerons tout à l'heure un amendement visant à porter de cinquante à cent ce seuil numérique. La commission s’en remettra alors à la sagesse de la Haute Assemblée, ce qui montre bien son ouverture.
Mais il faut changer l’état d’esprit actuel et bien montrer que le CIL n’est pas un contrôleur, mais vient aider les entreprises et protéger ceux dont les données font l’objet d’un traitement informatique.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que la commission des lois émette un avis défavorable sur l'amendement n° 30.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Monsieur le secrétaire d’État, le correspondant « informatique et libertés » dans l’entreprise ne représente ni une contrainte ni une charge. D’abord, il est normalement choisi parmi le personnel déjà présent dans l’entreprise. Ensuite, il n’est pas là pour empêcher l’entreprise de fonctionner ; son rôle est au contraire de diffuser une culture de protection des données et, d’une certaine manière, d’assurer l’entreprise que personne, au sein de ses services, ne « bricole » de données sensibles. C’est une garantie, une assurance pour l’entreprise, pour reprendre l’expression qu’a utilisée M. le rapporteur, et c’est donc, selon moi, un élément tout à fait positif.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour explication de vote.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez utilisé le mot « intrusion », mais je ne vois pas en quoi l’obligation de nommer un CIL lui conférerait un caractère intrusif.
Je souligne qu’il existe actuellement dans les services de différentes administrations – vous l’avez d'ailleurs indiqué – des délégués remplissant exactement la même mission que les CIL. Seule la terminologie diffère. Je ne comprends donc pas pourquoi, aujourd’hui, nous devrions, en vertu de votre remarque, sacrifier la création de ces correspondants « informatique et libertés », que demandent, comme je l’ai souligné dans mon propos liminaire, les collectivités locales. L’association de ces correspondants en a fait la demande expresse en soulignant l’intérêt qu’ils présenteraient pour les collectivités locales comme garants d’un bon fonctionnement de l’informatique.
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. L’histoire de notre économie, de notre industrie, de notre société est constituée de différentes époques. Aujourd’hui, à travers la question dont nous discutons, nous constatons que nous sommes justement à l’orée d’une époque nouvelle, face à un domaine qui reste à défricher. Certes la tâche est difficile mais, par le passé, nous avons eu à connaître de problèmes similaires.
Plusieurs de mes collègues ont pris comme référence l’assurance. Sans rajouter à ce qui vient d’être dit – j’y souscris complètement –, je me permettrai de faire un parallèle avec ce qui, dans le monde du travail, relève de l’hygiène et de la sécurité. Après l’époque de la machine, celle de l’organisation du travail, on a imposé à un certain nombre d’entreprises la désignation, au sein de leur personnel, des personnes garantes de l’hygiène et de la sécurité au travail. Il s’agit non pas de la visite d’un inspecteur de la direction du travail mais bien de délégations à l’intérieur de l’entreprise.
La création des CIL est une initiative de même nature, à l’intérieur d’une entreprise, et non pas d’une petite entreprise qui serait dépassée par les problèmes. On reparlera tout à l’heure des chiffres, mais lorsque cinquante personnes ont à connaître et à gérer des fichiers, il s’agit là d’une entreprise de belle dimension. À l’intérieur de cette entreprise sera désigné le pilote, en quelque sorte, qui aura pour mission de protéger tout le monde. Il s’agit non pas d’être contre-performant mais de mettre l’entreprise ou l’administration à l’abri de difficultés inhérentes à la pratique d’une technologie qui n’est aujourd’hui pas très communément maîtrisée par tous.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mme Troendle et MM. Béteille, Buffet, Lefèvre et Pillet, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Remplacer les mots :
cinquante personnes
par les mots :
cent personnes
La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. M. le rapporteur a déjà largement abordé tout à l’heure l’objet de cet amendement, mais je vais y insister avec le ferme espoir de convaincre une majorité de mes collègues de l’adopter.
L’article 3 de la proposition de loi oblige toute autorité publique ou organisme privé qui recourt à un traitement de données à caractère personnel « pour lequel plus de cinquante personnes y ont directement accès ou sont chargées de sa mise en œuvre » à désigner un correspondant « informatique et libertés ».
Par le présent amendement, nous souhaitons relever le seuil de cinquante personnes ayant les missions précédemment énoncées à cent personnes, et ce pour deux raisons.
D’abord, il n’est pas sûr que la CNIL ait les capacités de gérer un dispositif aussi important puisqu’il s’appliquera immédiatement à un très grand nombre d’organismes si le seuil de cinquante personnes est maintenu.
Ensuite, et plus fondamentalement, il ne faut pas oublier que l’esprit de la directive européenne de 1995 aux termes de laquelle a été conçue l’institution du correspondant était le volontariat. En effet, l’institution d’un correspondant suppose, pour fonctionner efficacement, l’établissement d’un lien de confiance. Ce lien de confiance s’établira plus facilement sur la base d’une démarche volontaire.
Pour autant, tout le monde s’accorde sur la nécessité de la présence d’un correspondant « informatique et libertés » dans tout organisme qui recourt à un traitement de données à caractère personnel. Aussi, il serait également important de promouvoir, par une communication largement diffusée, le recours volontaire à cette institution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Ce qui est important, ce sont les flux, mais il faut bien aussi que soit fixé un nombre de personnes.
La commission des lois a retenu le chiffre de cinquante car, hormis le fait que ce seuil figure dans un décret, il peut inciter aussi des entreprises à rationaliser l’accès aux fichiers. En effet, comme certains me l’ont expliqué, le chiffre de cinquante est très vite atteint. « La secrétaire du patron peut, elle aussi, introduire un certain nombre de modifications au fichier », m’ont-ils dit. Non, elle n’a pas à le faire, c’est le rôle des spécialistes, et c’est une raison supplémentaire de faire appel à eux ! Le seuil de cinquante personnes avait pour finalité de rationaliser les accès aux fichiers ; ceux qui ne voulaient pas avoir de CIL ne souscrivaient pas l’assurance, mais au moins, par une telle rationalisation, ils prenaient moins de risques. Ils y avaient donc avantage.
Je me permets également de souligner que le Sénat a une correspondante « informatique et libertés » et qu’il s’en porte très bien. Je ne sais pas si l’Assemblée nationale est pourvue d’un CIL, mais, si tel n’est pas le cas, elle aurait, ainsi que l’ensemble des administrations, tout intérêt à en désigner un, car c’est une garantie, une assurance.
Cela étant, au-delà du passage de cinquante à cent personnes, l’essentiel est qu’il y ait un geste fort visant à montrer que le caractère obligatoire de cette disposition n’est pas contraignant. Il se veut simplement porteur d’un changement d’esprit ; il s’agit de faire en sorte que cette disposition représente une telle facilité qu’ensuite il ne sera plus nécessaire de la rendre obligatoire parce que tout le monde y trouvera son compte.
La commission des lois s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’amendement n° 8.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. L’excellent plaidoyer de Catherine Troendle montre bien que cette question n’est pas si anodine que cela. Si l’on parle d’un seuil, c’est parce que l’on a bien à l’esprit des lourdeurs possibles. Catherine Troendle a d’ailleurs repris l’argument du volontariat, qui est un élément de motivation, et je l’ai bien entendue.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par MM. Domeizel, C. Gautier et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 4, première phrase
Après le mot :
désigne
insérer les mots :
à partir d'un délai de deux ans après la promulgation de la présente loi
II. - Après l'alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés détermine les conditions d'application du présent article. »
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 17 est retiré.
L'amendement n° 10 rectifié bis, présenté par MM. Amoudry, Badré et J.L. Dupont, Mme Payet et M. Soulage, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Après les mots :
à la Commission
supprimer les mots :
qui peut la refuser s'il ne remplit pas les conditions de compétence visées aux deux alinéas précédents
La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. L’alinéa 7 de l’article 3 prévoit que la CNIL peut refuser la désignation d’un correspondant « informatique et libertés » s’il ne possède pas les compétences requises.
Cette disposition soulève des difficultés quant au rôle de la CNIL à l’égard des organismes concernés, qu’il s’agisse des entreprises ou des administrations. En effet, il serait très difficile à la CNIL de déterminer les critères objectifs nécessaires à l’évaluation d’un défaut de compétence d’un correspondant « informatique et libertés ». Des critères tels que l’ancienneté de la personne, ses diplômes ou le poste qu’elle occupe doivent être mis en relation avec la taille de l’organisme concerné, le secteur d’activité dans lequel il évolue et la nature des données traitées.
Il apparaît ainsi que c’est le responsable de traitement qui est le mieux placé pour effectuer ce choix.
Enfin, le fait que la CNIL puisse s’opposer au choix initial d’un responsable de traitement pourrait être vécu par ce dernier comme une perte de contrôle quant à l’organisation de ses services, ce qui n’est pas souhaitable.
C’est pourquoi le présent amendement a pour objet de supprimer la possibilité pour la CNIL de refuser la nomination d’un CIL.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Comme vous l’avez constaté à la lecture de cet alinéa, il n’est pas écrit que la CNIL doit refuser la désignation du correspondant s’il ne remplit pas les conditions de compétence mais qu’elle « peut la refuser ».
En effet, il n’est pas question que la CNIL devienne la direction des ressources humaines de toutes les entreprises de France et de Navarre ! Mais il faut aussi lancer un signal, compte tenu de ce que j’ai expliqué auparavant à propos du lien qui doit exister entre les gestionnaires de fichiers et la CNIL. Il faut que le CIL serve d’interface et qu’il ait tout de même un minimum de compétences. Cela signifie que la CNIL doit avoir la possibilité, en cas d’abus manifestes, de s’opposer à une nomination.
L’obligation de nommer un CIL peut exposer certains chefs d’entreprise à la tentation de désigner à ce poste une personne qui n’a aucune connaissance, aucune pratique en ce domaine. Il faut tout de même pouvoir s’y opposer ; sinon, tout le raisonnement que je vous ai exposé tout à l’heure sur l’assurance apportée à l’entreprise gestionnaire n’a plus de sens, et c’est cette entreprise qui paiera les pots cassés, car, entre-temps, les données personnelles d’un certain nombre de citoyens risquent de connaître de graves perturbations.
Voilà pourquoi je ne peux pas donner un avis favorable à cet amendement, même si les arguments présentés par M. Amoudry sont tout à fait pertinents. Il n’est pas question – en tout cas du point de vue du législateur – que la CNIL devienne une direction des ressources humaines. Mais elle doit garder la faculté de s’opposer à une nomination manquant de sérieux. De toute façon, ces correspondants « informatique et libertés » doivent être en contact avec la CNIL, et celle-ci se rendra très vite compte, indépendamment de tout dossier, si la personne est compétente ou non.
C’est la raison pour laquelle je souhaite que vous retiriez votre amendement, monsieur Amoudry, tout en reconnaissant qu’il part d’une très bonne analyse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. J’ai écouté avec beaucoup d’attention votre brillante argumentation, monsieur le rapporteur. Néanmoins – j’espère que vous me pardonnerez –, il est un point sur lequel vous ne me convainquez pas entièrement ou, plus exactement, vous confortez mes doutes. Même si, je l’ai bien compris, telle n’est pas votre intention, vos propos me donnent l’impression que, au fond, ce correspondant dépendra réellement de la CNIL.
M. Christian Cointat, rapporteur. Pas du tout ! Il sera l’interface.
M. Bernard Frimat. Vous n’avez rien compris, monsieur le secrétaire d'État !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je pense avoir compris ! Mais on peut comprendre et exprimer un désaccord, sans pour autant devoir être désagréable ! Chaque point de vue se défend.
Donner un droit de veto à la CNIL revient, comme je l’indiquais précédemment, à lui donner un droit d’ingérence dans la gestion courante des entreprises et des administrations, point sur lequel porte notre désaccord.
Le Gouvernement s’en remet à la sagesse positive de la Haute Assemblée.
M. le président. Monsieur Amoudry, l’amendement n° 10 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Paul Amoudry. Je voudrais bien accéder à la demande de retrait de M. le rapporteur, mais l’intervention de M. le secrétaire d’État n’a fait que renforcer mon point de vue.
Si la CNIL dispose de la faculté de refuser une nomination, les entreprises, les services, les administrations sollicitant son avis prendront rapidement l’habitude de considérer une absence de refus comme un accord tacite. Si, par la suite, il s’avère que le correspondant ne remplit pas sa fonction de façon satisfaisante, la responsabilité de la CNIL ne manquera pas d’être engagée. Cette simple faculté engendre un lien hiérarchique de fait. C’est pourquoi je maintiens mon amendement.
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit un verrou de sécurité, si j’ose dire, puisque l’article 3 dispose que, « en cas de manquement constaté à ses devoirs, le correspondant est déchargé de ses fonctions sur demande, ou après consultation, de la Commission ». Mais cette décision est prise en cours d’exercice de la fonction, et non a priori.
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 8, seconde phrase
Remplacer le mot :
consultation
par les mots :
avis conforme
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. En déposant cet amendement, nous avons souhaité revenir aux principes qui ont guidé les auteurs de la proposition de loi.
La protection des données personnelles doit relever plusieurs défis, dont celui de l’accélération des progrès technologiques et de leur diffusion dans toutes les entreprises et sur tout le territoire.
Les chances de relever ces défis dépendent fortement des moyens qui seront dévolus à la CNIL, autorité indépendante. Si nous sommes d’accord sur l’importance grandissante des missions de cette dernière, nous devons être cohérents et lui allouer les moyens d’agir. C’est ainsi que nous renforcerons sa crédibilité et sa légitimité.
Dans le cas d’une démission d’office du correspondant « informatique et libertés », le texte initial de la proposition de loi faisait le choix d’un avis conforme de la CNIL. La commission des lois a souhaité remplacer cet avis conforme par le terme « consultation », c’est-à-dire par un avis simple.
Or l’indépendance du correspondant « informatique et libertés » est une exigence posée par le III de l’article 22 de la loi du 6 janvier 1978, et l’avis conforme de la CNIL est un élément substantiel garantissant cette indépendance.
Enfin, la notion de salarié protégé, que M. le rapporteur a évoquée à l’appui de son argumentation, relève davantage du droit social et n’est pas adaptée en la circonstance.
Nous proposons donc de rétablir l’exigence d’avis conforme inscrite dans la proposition de loi initiale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. L’examen de la présente proposition de loi est extrêmement intéressant, dans la mesure où je suis appelé à défendre une thèse et son contraire !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous devez plutôt répondre à des thèses contraires…
M. Christian Cointat, rapporteur. Tout à fait, c’est la défense d’un texte situé sur une ligne de crête qui m’oblige à répondre à des thèses contraires. Il s’agit d’éviter de tomber à gauche ou à droite, et bien d’aller tout droit.
Je reprendrai donc, ici, l’argument de notre collègue Jean-Paul Amoudry : il n’est pas question que la CNIL devienne la direction des ressources humaines des entreprises pour les correspondants « informatique et libertés ». C’est pourquoi l’exigence d’un avis conforme nous a paru beaucoup trop forte.
Pour aller justement dans le sens de l’équilibre, il faut veiller, tout en permettant la récusation d’un correspondant qui n’aurait pas les compétences nécessaires et aurait été désigné d’une manière un peu hâtive, à ne pas tomber dans l’excès inverse en optant pour un avis conforme. Le chef d’entreprise reste le patron.
C’est pourquoi, monsieur Gautier, je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement n° 15, faute de quoi j’émettrai, au nom de la commission des lois, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Gautier, l'amendement n° 15 est-il maintenu ?
M. Charles Gautier. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 39, présenté par M. Cointat, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer la référence :
31 bis
par la référence :
31-1
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. Il s’agit simplement de corriger une erreur matérielle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié, présenté par MM. Amoudry, Badré et J.L. Dupont, Mme Payet et M. Soulage, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 10
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... - Les dispositions du présent article entreront en vigueur vingt-quatre mois après la date de promulgation au Journal Officiel de la présente loi.
Douze mois après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement déposera devant le Parlement une étude d'impact sur les modalités de mise en œuvre des dispositions du présent article.
La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
L’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 26. – I. – Les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l’État et qui intéressent la sûreté de l’État, la défense, la sécurité publique ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l’exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté, ne peuvent être autorisés qu’à la condition de répondre à une ou plusieurs des finalités suivantes :
« 1° Permettre aux services de renseignement d’exercer leurs missions ;
« 2° Permettre aux services de police judiciaire d’opérer des rapprochements entre des infractions susceptibles d’être liées entre elles, à partir des caractéristiques de ces infractions, afin de faciliter l’identification de leurs auteurs ;
« 3° Faciliter par l’utilisation d’éléments biométriques ou biologiques se rapportant aux personnes, d’une part la recherche et l’identification des auteurs de crimes et de délits, d’autre part la poursuite, l’instruction et le jugement des affaires dont l’autorité judiciaire est saisie ;
« 4° Répertorier les personnes et les objets signalés par les services habilités à alimenter le traitement, dans le cadre de leurs missions de police administrative ou judiciaire, afin de faciliter les recherches des services enquêteurs et de porter à la connaissance des services intéressés la conduite à tenir s’ils se trouvent en présence de la personne ou de l’objet ;
« 5° Faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs ;
« 6° Faciliter la diffusion et le partage des informations détenues par différents services de police judiciaire, sur les enquêtes en cours ou les individus qui en font l’objet, en vue d’une meilleure coordination de leurs investigations ;
« 7° Centraliser les informations destinées à informer le Gouvernement et le représentant de l’État afin de prévenir les atteintes à la sécurité publique ;
« 8° Procéder à des enquêtes administratives liées à la sécurité publique ;
« 9° Faciliter la gestion administrative ou opérationnelle des services de police et de gendarmerie ainsi que des services chargés de l’exécution des décisions des juridictions pénales en leur permettant de consigner les événements intervenus, de suivre l’activité des services et de leurs agents, de suivre les relations avec les usagers du service, d’assurer une meilleure allocation des moyens aux missions et d’évaluer les résultats obtenus ;
« 10° Organiser le contrôle de l’accès à certains lieux nécessitant une surveillance particulière ;
« 11° Recenser et gérer les données relatives aux personnes ou aux biens faisant l’objet d’une même catégorie de décision administrative ou judiciaire ;
« 12° Faciliter l’accomplissement des tâches liées à la rédaction, à la gestion et à la conservation des procédures administratives et judiciaires et assurer l’alimentation automatique de certains fichiers de police ;
« 13° Recevoir, établir, conserver et transmettre les actes, données et informations nécessaires à l’exercice des attributions du ministère public et des juridictions pénales, et à l’exécution de leurs décisions.
« II. – Les traitements mentionnés au I sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
« Ceux des traitements mentionnés au I qui portent sur des données mentionnées au I de l’article 8 sont autorisés par décret en Conseil d’État pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
« L’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés est publié avec l’arrêté ou le décret autorisant le traitement.
« III (nouveau). – Dans les traitements mentionnés au 7° du I du présent article, la durée de conservation des données concernant les mineurs est inférieure à celle applicable aux majeurs, sauf à ce que leur enregistrement ait été exclusivement dicté par l’intérêt du mineur. Cette durée est modulée afin de tenir compte de la situation particulière des mineurs et, le cas échéant, en fonction de la nature et de la gravité des atteintes à la sécurité publique commises par eux.
« IV (nouveau). – Les traitements de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l’État et la défense peuvent être dispensés, par décret en Conseil d’État, de la publication de l’acte réglementaire qui les autorise. Pour ces traitements, est publié, en même temps que le décret autorisant la dispense de publication de l’acte, le sens de l’avis émis par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
« Les actes réglementaires qui autorisent ces traitements sont portés à la connaissance de la délégation parlementaire au renseignement et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
« V (nouveau). – Lorsque la mise au point technique d’un traitement mentionné au I nécessite une exploitation en situation réelle de fonctionnement, un tel traitement peut être mis en œuvre à titre expérimental pour une durée de dix-huit mois, après déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine les modalités selon lesquelles la commission est informée de l’évolution technique d’un tel projet de traitement et fait part de ses recommandations au seul responsable de ce projet.
« VI (nouveau). – Pour l’application du présent article, les traitements qui répondent à une même finalité, portent sur des catégories de données identiques et ont les mêmes destinataires ou catégories de destinataires peuvent être autorisés par un acte réglementaire unique. Dans ce cas, le responsable de chaque traitement adresse à la Commission nationale de l’informatique et des libertés un engagement de conformité de celui-ci à la description figurant dans l’autorisation. »
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par MM. Domeizel, C. Gautier et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 18 est retiré.
Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 26. - I. - Sont autorisés par décret du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sûreté de l'État ou la défense nationale. L'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés est publié en même temps que le décret autorisant le traitement.
« Les actes réglementaires qui autorisent les traitements mentionnés à l'alinéa précédent sont portés à la connaissance de la délégation parlementaire au renseignement.
« II. - Sont autorisés par la loi les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et :
« 1° Qui intéressent la sécurité publique ;
« 2° Qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté ;
« 3° Qui portent sur des données mentionnées au I et II de l'article 8.
« III. Des catégories de traitements de données à caractère personnel peuvent également être autorisées par la loi lorsqu'elles sont constituées par des traitements qui répondent à une même finalité, portent sur les mêmes catégories de données et ont les mêmes catégories de destinataires.
« IV- L'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés mentionné au a du 4° de l'article 11 sur tout projet de loi autorisant la création d'une telle catégorie de traitements de données est transmis au Parlement simultanément au dépôt du projet de loi. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet de réintroduire une exigence fondamentale dans cette proposition de loi : donner au pouvoir législatif la faculté de créer des fichiers. J’ai déjà évoqué cette question lors de la discussion générale.
La proposition de loi, dans sa rédaction initiale, prévoyait la compétence du pouvoir législatif en matière de création de fichiers. Cette exigence a été abandonnée par la commission des lois, au profit d’une extension du pouvoir réglementaire dans ce domaine, moyennant quelques ajustements. Nous avons entrepris de la réintroduire sous une forme consensuelle, qui recueillera, je l’espère, l’assentiment de nombreux collègues, cette position étant équilibrée.
Si le principe de la création des fichiers par la loi est posé, nous souhaitons cependant que la création de fichiers relatifs à la défense nationale et à la sûreté de l’État reste sous la responsabilité du pouvoir réglementaire, donc du Gouvernement. Le décret créant de tels fichiers devra faire l’objet d’un avis de la CNIL et sera transmis à la délégation parlementaire au renseignement. Il sera enfin publié pour assurer à nos concitoyens le droit à l’accessibilité des normes qui s’imposent à eux.
Nous espérons que cet amendement répond au vœu initial des auteurs de la proposition de loi qui entendaient, à l’origine, donner au Parlement le pouvoir de contrôler, de manière précise, la création ainsi que les modalités de mise en œuvre et de fonctionnement des fichiers institués pour le compte de l’État.
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 21
Remplacer ces alinéas par 34 alinéas ainsi rédigés :
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. 26. - I. - Les traitements ou catégories traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sécurité publique ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté, ne peuvent être autorisés par la loi qu'à la condition de répondre à une ou plusieurs des finalités suivantes :
« 1° Permettre aux services de renseignement qui n'interviennent pas en matière de sûreté de l'État et de défense, d'exercer leurs missions ;
« 2° Permettre aux services de police judiciaire d'opérer des rapprochements entre des infractions susceptibles d'être liées entre elles, à partir des caractéristiques de ces infractions, afin de faciliter l'identification de leurs auteurs ;
« 3° Faciliter par l'utilisation d'éléments biométriques ou biologiques se rapportant aux personnes, d'une part la recherche et l'identification des auteurs de crimes et de délits, d'autre part la poursuite, l'instruction et le jugement des affaires dont l'autorité judiciaire est saisie ;
« 4° Répertorier les personnes et les objets signalés par les services habilités à alimenter le traitement, dans le cadre de leurs missions de police administrative ou judiciaire, afin de faciliter les recherches des services enquêteurs et de porter à la connaissance des services intéressés la conduite à tenir s'ils se trouvent en présence de la personne ou de l'objet ;
« 5° Faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs ;
« 6° Faciliter la diffusion et le partage des informations détenues par différents services de police judiciaire, sur les enquêtes en cours ou les individus qui en font l'objet, en vue d'une meilleure coordination de leurs investigations ;
« 7° Centraliser les informations destinées à informer le Gouvernement et le représentant de l'État afin de prévenir les atteintes à la sécurité publique ;
« 8° Procéder à des enquêtes administratives liées à la sécurité publique ;
« 9° Faciliter la gestion administrative ou opérationnelle des services de police et de gendarmerie ainsi que des services chargés de l'exécution des décisions des juridictions pénales en leur permettant de consigner les événements intervenus, de suivre l'activité des services et de leurs agents, de suivre les relations avec les usagers du service, d'assurer une meilleure allocation des moyens aux missions et d'évaluer les résultats obtenus ;
« 10° Organiser le contrôle de l'accès à certains lieux nécessitant une surveillance particulière ;
« 11° Recenser et gérer les données relatives aux personnes ou aux biens faisant l'objet d'une même catégorie de décision administrative ou judiciaire ;
« 12° Faciliter l'accomplissement des tâches liées à la rédaction, à la gestion et à la conservation des procédures administratives et judiciaires et assurer l'alimentation automatique de certains fichiers de police ;
« 13° Recevoir, établir, conserver et transmettre les actes, données et informations nécessaires à l'exercice des attributions du ministère public et des juridictions pénales, et à l'exécution de leurs décisions.
« Les catégories de traitements de données à caractère personnel sont constituées par les traitements qui répondent aux mêmes finalités, peuvent comporter tout ou partie d'un ensemble commun de données, concernent les mêmes catégories de personnes et obéissent aux mêmes règles générales de fonctionnement.
« L'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés mentionnées au a du 4°sur tout projet de loi autorisant la création d'un tel traitement ou d'une telle catégorie de traitements de données est transmis au Parlement simultanément au dépôt du projet de loi.
« II. - La loi autorisant un traitement ou une catégorie de traitements de données mentionnés au I prévoit :
« - les services responsables ;
« - la nature des données à caractère personnel prévues au I de l'article 8 dont la collecte, la conservation et le traitement sont autorisés, dès lors que la finalité du traitement l'exige ;
« - l'origine de ces données et les catégories de personnes concernées ;
« - la durée de conservation des informations traitées ;
« - les destinataires ou catégories de destinataires des informations enregistrées ;
« - la nature du droit d'accès des personnes figurant dans les traitements de données aux informations qui les concernent ;
« - les interconnexions autorisées avec d'autres traitements de données.
« III. - Sont autorisés par décret en Conseil d'État, après avis motivé et publié de la commission, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sûreté de l'État ou la défense.
« Ces traitements peuvent être dispensés, par décret en Conseil d'État, de la publication de l'acte réglementaire qui les autorise.
« Pour ces traitements :
« - est publié en même temps que le décret autorisant la dispense de la publication de l'acte, le sens de l'avis émis par la commission ;
« - l'acte réglementaire est transmis à la délégation parlementaire au renseignement et à la commission.
« IV. - Les modalités d'application du I sont fixées par arrêté. Si les traitements portent sur des données mentionnées au I de l'article 8, ces modalités sont fixées par décret en Conseil d'État.
La commission publie un avis motivé sur tout projet d'acte réglementaire pris en application d'une loi autorisant une catégorie de traitements de données conformément au I du présent article.
« V. - Dans les traitements mentionnés au 1° et 7° du I du présent article, la durée de conservation des données concernant les mineurs est inférieure à celle applicable aux majeurs, sauf à ce que leur enregistrement ait été exclusivement dicté par l'intérêt du mineur. Cette durée est modulée afin de tenir compte de la situation particulière des mineurs et, le cas échéant, en fonction de la nature et de la gravité des atteintes à la sécurité publique commises par eux.
« VI. - Lorsque la mise au point technique d'un traitement mentionné au I nécessite une exploitation en situation réelle de fonctionnement, un tel traitement peut être mis en œuvre à titre expérimental pour une durée de dix-huit mois, après déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
« Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, détermine les modalités selon lesquelles la commission est informée de l'évolution technique d'un tel projet de traitement et fait part de ses recommandations au seul responsable de ce projet.
« VII - Pour l'application du présent article, les traitements qui répondent à une même finalité, portent sur des catégories de données identiques et ont les mêmes destinataires ou catégories de destinataires peuvent être autorisés par un acte réglementaire unique. Dans ce cas, le responsable de chaque traitement adresse à la Commission nationale de l'informatique et des libertés un engagement de conformité de celui-ci à la description figurant dans l'autorisation.
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Nous avons précédemment retiré l’amendement n° 18 tendant à supprimer l’article 4 justement parce que nous proposons de réécrire cet article. Fruit des réflexions successives qui ont été menées à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la question du contrôle des fichiers de police, cette réécriture repose sur une ligne directrice claire, la seule qui permettrait de parvenir enfin à un consensus, sans a priori partisan. Elle satisferait les intérêts des services relevant tant de la sécurité intérieure que de la défense et de la sûreté de la nation.
La rédaction de l’article 4 adoptée par la commission des lois n’est pas complètement satisfaisante, même si elle représente un progrès au regard du texte initial. Mais ce progrès est bien mince, car cette rédaction limite l’intervention du législateur au seul niveau de la désignation des finalités des traitements.
En fait, elle se contente de permettre une mise à jour de la base légale des fichiers existants afin, notamment, d’englober les fichiers créés par des actes réglementaires ou sans fondement juridique spécifique.
À notre avis, le contrôle du législateur ne peut se limiter à la seule détermination des finalités des traitements de données, sujet sur lequel le risque de divergence est limité.
Nous avons d’ailleurs repris à notre compte la liste des finalités, mais elle est insuffisante car le débat porte davantage sur le contenu et les conditions de traitement de ces données.
Nous considérons que le contrôle des fichiers de police passe par la loi, dans la mesure où la question relève bien des garanties fondamentales accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publiques, garanties pour lesquelles le législateur est appelé à fixer des règles, aux termes de l’article 34 de la Constitution.
Mais l’application d’une telle disposition doit être souple et évolutive. Les traitements qui répondent à une même finalité, qui portent sur des catégories de données identiques et ont les mêmes destinataires peuvent être autorisés par un acte réglementaire unique.
Par ailleurs, nous précisons les éléments d’information et d’usage qui doivent accompagner la création de ces fichiers.
Nous préservons la compétence exclusive du pouvoir réglementaire pour les traitements intéressant la sûreté de l’État ou la défense, en reprenant l’idée du contrôle de ces fichiers par la délégation parlementaire au renseignement.
Nous sommes favorables au régime spécifique relatif aux mineurs, visant à réduire la durée de conservation des données personnelles les concernant, afin de renforcer « leur droit à l’oubli ».
Donnons aux forces de l’ordre et à la justice les moyens d’agir, mais faisons-le dans la transparence et dans le respect des libertés publiques, en veillant à maintenir un équilibre délicat, mais indispensable. « Équilibre » est un mot qui, ce soir, revient souvent dans le débat…
M. le président. L'amendement n° 31, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2 et 3
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. 26. - I. - Sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sûreté de l'État ou la défense.
« II. - Les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sécurité publique ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté, ne peuvent être autorisés qu'à la condition de répondre à une ou plusieurs des finalités suivantes : »
II. - En conséquence :
a) Alinéas 4 à 15, références 2° à 13°
Remplacer ces références par les références :
1° à 12°
b) Alinéas 16 à 24, références II à VI
Remplacer ces références par les références :
III à VII.
c) Alinéa 16
Remplacer les mots :
mentionnés au I
par les mots :
mentionnés au II
d) Alinéa 17
Remplacer les mots :
traitements mentionnés au I
par les mots :
traitements mentionnés au I ou au II
e) Alinéa 19
Remplacer les mots :
au 7° du I
par les mots :
au 6° du II
III. – Alinéa 20, première phrase
Remplacer les mots :
Les traitements de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l'État et la défense
par les mots :
Certains traitements mentionnés au I
IV. – Alinéa 22
Remplacer les mots :
Au I
par les mots :
au I ou au II
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater à la lecture de cet amendement, le Gouvernement partage votre préoccupation de voir la création par voie réglementaire des traitements de police limitée aux seuls traitements répondant à une finalité préalablement définie par la loi.
Comme je l’ai également évoqué dans mon propos liminaire, il est effectivement risqué d’étendre la même logique aux fichiers qui intéressent la sûreté de l’État et, plus encore, la défense nationale. Nous devons pouvoir continuer à assumer ces missions de souveraineté avec la discrétion et la rapidité nécessaires. Les modes d’action sont souvent protégés par le secret de la défense nationale, dans l’intérêt de l’indépendance de notre pays, de la protection de notre territoire et de nos forces armées. Jusqu’à présent, cette spécificité n’a aucunement été remise en cause, et il faut s’en tenir à cette position.
Ainsi, les fichiers intéressant la sûreté de l’État et la défense n’étaient visés ni dans la proposition de loi initiale, ni dans le rapport des députés Delphine Batho et Jacques Alain Bénisti sur la proposition de loi relative aux fichiers de police, ni dans la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit présentée par M. Jean-Luc Warsmann à l’Assemblée nationale et dont le Sénat est saisi.
Compte tenu de leur spécificité, le Gouvernement souhaite le maintien du régime actuel pour les traitements relatifs à la sûreté de l’État et à la défense. Il ne s’agit pas pour autant de s’interdire toute vérification en l’espèce. C’est pourquoi il appartiendra à la CNIL de vérifier, au cas par cas, si la finalité est déterminée, légitime, en rendant un avis dont le sens, au moins, sera rendu public.
Le Gouvernement vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter cet amendement, afin de rétablir pour ces fichiers le régime actuel, c’est-à-dire les dispositions de la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978.
M. le président. Le sous-amendement n° 44, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Alinéa 4 de l'amendement n° 31
Avant les mots :
Les traitements de données
insérer les mots :
Sans préjudice des dispositions de l'article 6,
Monsieur Türk, puisque vous avez déposé deux sous-amendements à l’amendement n° 31, suivis de trois amendements, je vous invite à les défendre simultanément.
M. Alex Türk. Bien volontiers, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 45, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le IV de l'amendement n° 31 :
IV. – Alinéa 22
Rédiger ainsi cet alinéa :
« VI - Lorsque la mise au point technique d'un traitement mentionné au I ou au II nécessite une exploitation en situation réelle de fonctionnement, un tel traitement peut être autorisé, à titre expérimental, pour une durée maximale de dix-huit mois, par arrêté pris après avis de la CNIL. Cet arrêté détermine notamment les finalités, la durée et le champ d'application de l'expérimentation.
L’amendement n° 20 rectifié, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Avant les mots :
Les traitements de données à caractère personnel
insérer les mots :
Sans préjudice des dispositions de l'article 6,
L'amendement n° 25, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Alinéas 12 et 13
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 19, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Rédiger ainsi cet alinéa :
«V - Lorsque la mise au point technique d'un traitement mentionné au I nécessite une exploitation en situation réelle de fonctionnement, un tel traitement peut être autorisé, à titre expérimental, pour une durée maximale de dix-huit mois, par arrêté pris après avis de la CNIL. Cet arrêté détermine notamment les finalités, la durée et le champ d'application de l'expérimentation.
Vous avez la parole, mon cher collègue.
M. Alex Türk. Je vous indique d’ores et déjà, monsieur le président, que je retire l’amendement n° 25.
M. Alex Türk. Nous souhaitons verrouiller le dispositif, afin d’éviter toute ambiguïté.
L'article 4, dans sa rédaction actuelle, entend préciser que les traitements de données à caractère personnel relevant de l'article 26, et en particulier les fichiers de police, pourront être autorisés s'ils répondent à une ou plusieurs des treize finalités déterminées aux termes du même article.
Si, de prime abord, l'objectif poursuivi – assurer un meilleur encadrement des fichiers de police – est légitime, cette nouvelle rédaction de l'article 26 ne permet pas de garantir que, pour chaque création de traitement, le contrôle de proportionnalité prévu par l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 – c’est l’un de ses articles fondamentaux – modifiée par la loi du 6 août 2004 sera bien exercé. Cet article dispose, en particulier, que les données ne sont collectées que pour des finalités déterminées, légitimes et explicites.
Compte tenu de la sensibilité particulière de ces traitements, il importe donc de rappeler expressément qu'ils ne peuvent être autorisés que s'ils respectent le principe de proportionnalité prévu par l'article 6. M. le secrétaire d’État vient d’ailleurs de rappeler que la finalité du fichier devra toujours être analysée, ce qui est impossible sans contrôle de proportionnalité.
Tel est l'objet du sous-amendement n° 44 et de l’amendement n° 20 rectifié.
Par ailleurs, l'article 26 introduit un régime particulier pour les expérimentations des fichiers de police qui correspond à une nécessité sur laquelle chacun s'accorde. S'il est opportun d'introduire un régime juridique particulier pour ces expérimentations, il convient cependant que celui-ci soit assorti de certaines garanties dans sa mise en œuvre.
Or, tel que cet alinéa est rédigé, les expérimentations des nouveaux fichiers de police seraient simplement soumis à un régime de déclaration, ce qui ne garantirait pas l'exercice d'un quelconque contrôle par la Commission nationale de l'informatique et des libertés et constituerait un recul inacceptable.
Ces traitements de données à caractère personnel revêtent pourtant une sensibilité particulière, eu égard à leurs finalités et aux données qu'ils peuvent contenir. C'est pourquoi il est proposé que l'expérimentation soit autorisée par un simple arrêté, pris après avis de la Commission. En outre, il importe d'encadrer cette expérimentation en prévoyant que cet arrêté détermine, au minimum, les finalités, la durée et le champ d'application de cette expérimentation.
Il convient enfin de rappeler que l'article 4 quater donne délégation au bureau de la Commission pour prononcer un avis sur ces expérimentations, ce qui garantit qu'elles interviendront dans des délais rapides.
Je rappelle que, en cas de nécessité, le texte prévoit que le bureau de la CNIL puisse réagir en urgence. Bien que cette hypothèse soit surprenante, il arrive que des fichiers de police soient soumis à la CNIL en urgence. J’ai notamment en mémoire un cas intervenu à la veille d’un sommet de l’OTAN, pour lequel la CNIL a dû statuer en vingt-quatre heures !
Tel est l'objet du sous-amendement n° 45 et de l’amendement n° 19.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Au cours des nombreuses auditions relatives à l’article 4 initial auxquelles la commission a procédé, j’ai pris conscience du fait que le sujet était très sensible et complexe, que s’il fallait éviter de mettre en difficulté l’exercice des missions régaliennes de l’État, il fallait également mieux encadrer cet exercice et que le texte d’origine soulevait un problème rédactionnel. En effet, ce texte revenait à s’immiscer dans l’article 34 de la Constitution, qui fixe le domaine de la loi. Soit la loi instaure des dispositions, soit elle se tait, mais elle ne peut en aucun cas déterminer le domaine d’intervention d’une autre loi. La mesure proposée était donc contraire aux règles constitutionnelles et devait être modifiée.
Mes chers collègues, comme vous pouvez le constater, nous avons été confrontés à d’énormes difficultés.
L’Assemblée nationale s’est longuement penchée, et non sans mal, sur cette question dans différents rapports que vous avez d’ailleurs évoqués tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État. Elle a finalement adopté l’article 29 bis de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit. La commission, sur ma proposition, a estimé qu’il était sage de reprendre cette disposition, qui porte directement sur la CNIL, dans la proposition de loi dont nous discutons ce soir.
De la sorte, nous ne risquions pas d’aller à l’encontre du Gouvernement, qui avait approuvé ces mesures, et, dans le même temps, nous nous rangions à la position prise par l’Assemblée nationale après une longue réflexion.
Certes, monsieur le secrétaire d’État, le texte proposé par la commission des lois s’éloigne légèrement de celui de l'Assemblée nationale, que vous proposez de rétablir avec votre amendement. J’ai effectivement été tenté d’apporter quelques petites modifications. L’idée de la commission était cependant de reprendre le « paquet Warsmann » – j’espère que mon collègue de l'Assemblée nationale me pardonnera cette expression ! –, et j’émets donc, comme m’y a invité la commission, un avis favorable sur l’amendement n° 31.
A contrario, la commission est défavorable aux amendements nos 1 et 14. En effet, ils sont rédigés de telle façon qu’ils tendent à déterminer les dispositions que la loi doit fixer et sont, de ce fait, inconstitutionnels, le champ d’intervention de la loi étant fixé à l’article 34 de la Constitution.
En revanche, je suis favorable aux amendements et sous-amendements de M. Türk, lesquels correspondent parfaitement à l’esprit que voulait défendre la commission des lois.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je partage entièrement l’avis de la commission sur les amendements nos 1 et 14, et je la remercie de se rallier à l’amendement n° 31 du Gouvernement.
Pour ce qui concerne l’amendement n° 20 rectifié et le sous-amendement n° 44, je voudrais exprimer simplement un souci de forme. L’article 6 s’applique à l’ensemble des traitements de données à caractère personnel et des fichiers soumis à la loi de 1978, et donc aux traitements relevant de l’article 26. Cette proposition risquerait d’être source de confusion regrettable. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable.
Monsieur Türk, j’ai entendu les réflexions que vous avez émises lors de la défense du sous-amendement n° 45 et de l'amendement n° 19. Pour autant, encadrer la création à titre expérimental de fichiers de police soulève des difficultés. D’abord, cette formalité, qui suppose une instruction préalable par la CNIL, serait contradictoire avec le souci de mettre en œuvre rapidement et facilement les expérimentations. Les précédents rapports ou propositions de loi qui ont traité de cette question, que ce soit la proposition de loi de Mme Batho et de M. Bénisti ou celle de M. Warsmann, n’avaient d’ailleurs pas envisagé une telle procédure. Vous me rétorquerez que cette raison n’est pas suffisante pour rejeter votre proposition… En revanche, il est clair que la CNIL doit être pleinement associée au déroulement des expérimentations, dont la durée ne saurait excéder dix-huit mois. J’ai bien noté que la CNIL avait une capacité de réaction rapide. Le Gouvernement est néanmoins défavorable au sous-amendement n° 45 et à l’amendement n° 19, pour les raisons que je viens d’évoquer, et non par simple esprit de contradiction !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission des lois pourchasse les « notamment » superflus. Or le sous-amendement n° 45 en comporte un. Préciser que l’arrêté détermine « les finalités, la durée et le champ d’application de l’expérimentation » suffit. Que pourrait-il donc fixer de plus ?
M. le président. Monsieur Türk, qu’en pensez-vous ?
M. Alex Türk. Monsieur le président, je rectifie le sous-amendement n° 45 afin de supprimer l’adverbe « notamment » !
M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 45 rectifié, présenté par MM. Türk et Amoudry, et ainsi libellé :
Rédiger ainsi le IV de l'amendement n° 31 :
IV. - Alinéa 22
Rédiger ainsi cet alinéa :
« VI - Lorsque la mise au point technique d'un traitement mentionné au I ou au II nécessite une exploitation en situation réelle de fonctionnement, un tel traitement peut être autorisé, à titre expérimental, pour une durée maximale de dix-huit mois, par arrêté pris après avis de la CNIL. Cet arrêté détermine les finalités, la durée et le champ d'application de l'expérimentation.
Je le mets aux voix.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 20 rectifié et 19 n'ont plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 4
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un article 26-1 ainsi rédigé :
« Art. 26-1.- La loi autorisant un traitement ou une catégorie de traitements de données mentionnés à l'article 26, contient, pour chaque traitement ou catégorie de traitement créé :
« - les services responsables ;
« - leurs finalités ;
« - la durée de conservation des informations traitées ;
« - les modalités de destruction des informations traitées ;
« - les modalités de traçabilité des consultations du traitement ;
« - la procédure offerte aux personnes souhaitant procéder à une vérification de l'exactitude des informations recueillies ou à leur effacement. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement de coordination a pour objet de préciser les mentions que devra comporter toute loi portant création de fichier.
La loi ne doit pas se contenter d’autoriser un fichier : elle doit prévoir un certain nombre d’exigences propres à assurer l’accessibilité et la transparence nécessaire. Il s’agit, en réalité, d’assurer un contrôle du contenu du fichier, ainsi que de permettre l’accessibilité de ce fichier aux citoyens qui sont les premiers concernés. Au-delà des mentions classiques tenant à la finalité et aux autorités responsables, il est nécessaire de s’assurer des modalités de gestion et de traitement des données, ainsi que de leur destruction.
L’autre exigence, fondamentale, est celle de la traçabilité des consultations du fichier : il est absolument nécessaire de s’assurer que seules les personnes compétentes pourront y accéder. La campagne des élections régionales dans le Val-d’Oise a montré les dérives auxquelles peuvent aboutir des consultations erratiques d’un fichier dans lequel sont enregistrées des données sensibles, pourtant anciennes, mais qui n’avaient jamais été corrigées. Voilà bien une preuve de la dangerosité des fichiers.
Enfin, la loi devra prévoir les conditions dans lesquelles les citoyens pourront s’assurer de l’exactitude des informations collectées et, le cas échéant, les modalités pour rectifier ces dernières.
Là encore, en dépit de l’excellent travail de la CNIL, il reste à améliorer l’information relative au droit d’accès et de rectification des données personnelles. La loi devra ainsi rappeler systématiquement le cadre juridique dans lequel ce droit pourra être exercé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Comme sur des amendements précédents, la commission émet un avis défavorable, car la loi ne peut déterminer le domaine d’intervention d’une autre loi. L'amendement n° 2, tout comme l'amendement n° 3 que nous allons examiner dans quelques instants, prévoit une telle disposition : il n’est donc pas recevable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Lorsqu'une loi autorise un traitement de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État conformément au II de l'article 26, son décret d'application est pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. L'avis est publié avec le décret correspondant. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’avis de la CNIL pour tout décret portant création d’un fichier me semble fondamental.
En édictant le principe d’une autorisation législative des fichiers, il convient en tout état de cause de définir dans quelle mesure le fichier créé sera contrôlé par la CNIL.
Pour ce faire, nous avons souhaité poser le principe selon lequel tout décret portant application d’une loi autorisant la création d’un fichier est soumis à l’avis de la CNIL. Cet avis devrait être systématiquement publié avec le décret en question.
Cet amendement est proche de la rédaction de l’article 5 bis, qui sera examiné ultérieurement. Mais nous considérons que, contrairement à ce que prévoit cet article, toute création de fichier a vocation à faire l’objet d’un décret, qui devra donc faire recueillir l’avis obligatoire de la CNIL.
La rédaction de l’article 5 bis est en effet ambiguë : l’avis de la CNIL doit être systématique, et non tributaire du contenu de la loi ou du texte en question.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 4 bis (nouveau)
La loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifiée :
1° Au IV de l’article 8, la référence : « II » est remplacée par les références : « deuxième alinéa du II » ;
2° Au III de l’article 27, la référence : « IV » est remplacée par la référence : « VI » ;
3° Au premier alinéa du I de l’article 31, la référence : « III » est remplacée par la référence : « IV » ;
4° Au IV de l’article 44, la référence : « III » est remplacée par la référence : « IV » ;
5° Au premier alinéa de l’article 49, les références : « au I ou au II » sont remplacées par les références : « aux I, II ou III ».
M. le président. L'amendement n° 41 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
A. - Alinéa 2
Remplacer les mots :
deuxième alinéa du II
par les mots :
deuxième alinéa du III
B. - Alinéa 3
Remplacer la référence :
VI
par la référence :
VII
C. - Alinéa 4
Remplacer la référence :
IV
par la référence :
V
D. - Alinéa 5
Remplacer les mots :
la référence : « IV »
par les mots :
la référence : « V »
E. - Alinéa 6
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
5° Aux 1°, 2° et 3° du II de l'article 45, les références : « au I et au II » sont remplacées par les références : « aux I, II et III » ;
6° Au premier alinéa de l'article 49, les références : « au I ou au II » sont remplacées par les références : « aux I, II ou III » ;
7° Au huitième alinéa de l'article 69, les références : « au I ou au II » sont remplacées par les références : « aux I, II ou III ».
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 bis, modifié.
(L'article 4 bis est adopté.)
Article 4 ter (nouveau)
Le I de l’article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La commission élit en son sein trois de ses membres, dont deux parmi les membres mentionnés au 3°, au 4° ou au 5°. Ils composent une formation spécialisée de la commission chargée d’instruire les demandes d’avis formulées conformément aux I, II et VI de l’article 26. Cette formation est également chargée du suivi de la mise en œuvre expérimentale de traitements de données prévue au V de l’article 26. Elle organise, en accord avec les responsables de traitements, les modalités d’exercice du droit d’accès indirect, défini aux articles 41 et 42. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 42, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2, deuxième phrase
Remplacer les références :
I, II et VI
par les références :
I, II, III et VII
II. - Alinéa 2, troisième phrase
Remplacer la référence :
V
par la référence :
VI
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 2, troisième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit également d’un amendement de coordination.
En effet, à l’article 4, nous avons exprimé notre opposition à la rédaction proposée pour l’article 26 de la loi du 6 janvier 1978. De la même manière, nous nous opposons en cet instant à la mise en œuvre expérimentale de traitements de données sur une durée de dix-huit mois.
Nous savons très bien que ce type d’expérimentation porte souvent en soi les germes d’un abus, même si, en l’occurrence, le contrôle de la CNIL est prévu. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de la troisième phrase du deuxième alinéa de l’article 4 ter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Christian Cointat, rapporteur. L’amendement n° 42 ayant été déposé par coordination avec un texte que le Sénat a adopté, la commission émet un avis favorable.
À l’inverse, l’amendement n° 4 visant à établir une coordination avec un texte que nous avons rejeté, la commission ne peut émettre qu’un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 4 ?
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 4 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 4 ter, modifié.
(L'article 4 ter est adopté.)
Article 4 quater (nouveau)
Après le troisième alinéa de l’article 16 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – au V de l’article 26 ; ».
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je le répète, nous refusons l’expérimentation telle que prévue à l’article 4 de la proposition de loi, et nous souhaitons que celui-ci soit réécrit.
Par conséquent, nous sommes opposés à l’introduction de la référence à cette expérimentation dans le corps de la loi informatique et libertés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Pour les mêmes raisons que précédemment, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 43, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer la référence :
V
par la référence :
VI
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 quater, modifié.
(L'article 4 quater est adopté.)
Article 4 quinquies (nouveau)
L’article 29 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les actes autorisant la création des traitements de l’article 26 comportent en outre la durée de conservation des données enregistrées et les modalités de traçabilité des consultations du traitement. »
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
données enregistrées
insérer les mots :
, les interconnexions autorisées avec d'autres traitements de données
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. L’article 4 quinquies a été adopté par la commission des lois sur proposition de M. le rapporteur. Il vise à rendre obligatoires l’inscription de la durée de conservation des données et les modalités de traçabilité des consultations de traitement dans les actes qui créent les fichiers de police.
Une affaire récente, survenue pendant la campagne des élections régionales, a prouvé la nécessité de bien contrôler la traçabilité de ces consultations. Il serait intéressant que la CNIL, qui exerce une mission de vérification sur ce sujet, fasse des propositions pour améliorer le dispositif.
Au moment où l’on s’oriente vers une centralisation toujours plus forte et plus sensible des fichiers relatifs à des données à caractère personnel, il nous semble important que les actes réglementaires créant cette catégorie de fichiers mentionnent également l’existence des rapprochements possibles de données et signalent les interconnexions qui seront autorisées avec d’autres traitements de données.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Cet amendement, qui tend à assurer une meilleure protection des droits de nos concitoyens, va dans le bon sens. Mais une telle disposition créerait une obligation particulièrement contraignante pour l’État. L’évolution rapide des systèmes d’information risque en effet de conduire à des modifications à répétition des actes réglementaires autorisant la création de ces traitements.
Cela étant, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 quinquies, modifié.
(L'article 4 quinquies est adopté.)
Article 4 sexies (nouveau)
Le deuxième alinéa du III de l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Sont transmis à la délégation les actes réglementaires autorisant des traitements de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l’État et la défense. » – (Adopté.)
Article 4 septies (nouveau)
Le III de l’article 21 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Après la deuxième phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Le procureur de la République se prononce sur les suites qu’il convient de donner aux demandes d’effacement ou de rectification dans un délai d’un mois. » ;
2° Après la troisième phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque le procureur de la République prescrit le maintien des données à caractère personnel d’une personne ayant bénéficié d’une décision d’acquittement ou de relaxe devenue définitive, il en avise la personne concernée. » ;
3° Sont ajoutés une phrase et un alinéa ainsi rédigés :
« Les autres décisions de classement sans suite font l’objet d’une mention.
« Les décisions d’effacement ou de rectification des informations nominatives prises par le procureur de la République sont transmises aux responsables de tous les traitements automatisés pour lesquels ces décisions ont des conséquences sur la durée de conservation des données à caractère personnel. »
M. le président. L'amendement n° 32, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. L'article 4 septies vise à imposer de nouvelles obligations aux procureurs de la République en matière de mise à jour des fichiers d'antécédents judiciaires tels que les fichiers STIC et JUDEX.
Les délais de traitement des requêtes de mise à jour des particuliers sont déjà très encadrés. Je ne rappellerai pas tous les textes en la matière pour éviter d’être trop long. Sachez cependant que les parquets respectent ces prescriptions.
Ces délais de traitement sont justifiés par la mise en œuvre des diligences nécessaires à l’instruction des requêtes. De telles démarches peuvent s’avérer longues et complexes dès lors que la personne a été mise en cause dans de nombreuses procédures, lesquelles peuvent avoir été intentées dix ou vingt années auparavant dans des ressorts de juridictions différents. Il s’agit donc d’un travail important.
Disons-le franchement : fixer un délai, dans certains cas forcément trop court, pourrait se révéler contre-productif dès lors que les parquets le sauraient d’office irréaliste. Une telle mesure pourrait en effet poser des difficultés sur le terrain.
Par ailleurs, les décisions de mise à jour des fichiers d'antécédents judiciaires relèvent de la seule compétence des services gestionnaires des traitements, qui peuvent ne pas suivre les recommandations du parquet. Dès lors, l’information par le parquet pourrait être trompeuse pour le requérant, qui croirait à tort avoir obtenu satisfaction. Il s’agit là aussi d’une difficulté concrète.
Afin d’écarter ce risque, si une information du requérant est envisagée en cas de maintien d'une mention au fichier, elle doit incomber aux services gestionnaires des traitements, seuls décideurs, et non pas au parquet, qui n’est en l’occurrence que prescripteur.
De plus, l'obligation de mettre à jour les fichiers d'antécédents judiciaires, quel que soit le motif de classement sans suite, paraît peu opportune compte tenu de la diversité des motifs sous-tendant les décisions d'orientation des procédures judiciaires. Ainsi, la diversité des paramètres qui les motivent ne permet pas de les ériger en critère légal et équitable de mise à jour des fichiers d’antécédents.
Enfin, les différents fichiers de police judiciaire ne poursuivent pas les mêmes finalités et n'obéissent absolument pas aux mêmes règles de mise à jour. L'effacement de toutes les données dans tous les fichiers ne pourrait être que contradictoire avec la lutte contre l'insécurité et la prévention de la récidive. Ce point est peut-être le plus important.
La mise à jour simultanée des fichiers de police judiciaire paraît donc relever moins du domaine législatif que de celui des bonnes pratiques recommandées aux parquets, dans le respect de leurs prérogatives et des règles et finalités propres à chaque fichier.
Pardonnez-moi d’avoir été un peu long, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je tenais à développer mon argumentation. En effet, l’amendement n° 32 a vraiment un sens et ne vise absolument pas à remettre en cause l’excellent travail réalisé par le Sénat.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. J’ai écouté avec beaucoup d’attention les arguments du Gouvernement, mais je souhaite faire deux remarques.
Tout d’abord, nous vivons dans un monde dans lequel les avancées technologiques sont fulgurantes. Notre droit doit s’y adapter. À cet égard, les outils informatiques – je pense par exemple à l’application CASSIOPÉE – permettront de travailler plus vite et de gagner beaucoup de temps. Voilà pourquoi les délais doivent être raccourcis. Il n’y a donc pas péril en la demeure.
Ensuite, sur ce sujet si sensible, et comme je l’ai dit d’emblée, nous nous sommes alignés sur l’Assemblée nationale. Cet article est donc la copie conforme d’un texte du « paquet Warsmann » qui a été adopté par les députés et sur lequel je n’avais pas noté d’opposition manifeste du Gouvernement.
Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous invite à suivre l’Assemblée nationale et à adopter l’article 4 septies sans modification. Cette position m’oblige malheureusement, monsieur le secrétaire d’État, à émettre un avis défavorable sur l’amendement n° 32.
M. le président. La parole est à M. Alex Türk, pour explication de vote.
M. Alex Türk. Voilà un peu plus d’un an, la CNIL a remis un rapport montrant l’étendue du problème ; mais aujourd'hui, rien n’a changé. Le rapport annuel de la CNIL, qui sera publié dans quelques semaines, mentionnera à nouveau des exemples de salariés dont le contrat n’a pas été renouvelé ou qui n’ont pas été embauchés uniquement parce que leur nom figurait de manière injustifiée dans le STIC. Cette situation concerne des milliers de personnes. Cela n’a d’ailleurs pas été contesté. Il faut dire que notre étude recouvrait la moitié des ressorts ; à une telle échelle, ce n’est plus un sondage…
Je rejoins totalement l’argumentation développée par M. le rapporteur. À l’ère de l’informatique, on ne peut plus dire à nos concitoyens qu’il est normal que leur nom puisse encore figurer dans un fichier à cause d’une erreur, d’un retard ou d’une faute, alors que, si tous les moyens dont nous disposons étaient utilisés, le problème pourrait être résolu.
Cela fait presque dix ans que j’entends parler du système CASSIOPÉE. Il est temps de régler définitivement la question ! On ne peut donc pas s’opposer à la position du rapporteur : prévoyons les moyens pour que cela ne se produise plus, plutôt que d’attendre un peu afin de savoir si les moyens vont arriver. Faisons-le maintenant !
En tant que président de la CNIL, je me sens très mal à l’aise face à un concitoyen ayant perdu son emploi à cause d’une homonymie ou d’un retard dans la mise à jour du fichier. C’est absolument inacceptable d’un point de vue démocratique, surtout dans un pays qui dispose des moyens informatiques pour régler rapidement ces problèmes.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 septies.
(L'article 4 septies est adopté.)
Article 4 octies (nouveau)
Après le second alinéa de l’article 395 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Si le procureur de la République envisage de faire mention d’éléments concernant le prévenu et figurant dans un traitement automatisé d’informations nominatives prévu par l’article 21 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, ces informations doivent figurer dans le dossier mentionné à l’article 393 du présent code. »
M. le président. L'amendement n° 33, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Les décrets n° 2001-583 et n° 2006-1411 autorisant respectivement les fichiers STIC et JUDEX disposent que seules celles des informations enregistrées dans le système de traitement qui sont relatives à la procédure en cours peuvent être jointes au dossier de la procédure. Il en résulte, comme le précise une circulaire du ministère de la justice du mois de décembre 2006, qu'il n'est pas possible d'utiliser ces fichiers pour obtenir des éléments de personnalité, sauf demande expresse des magistrats. Il en ressort également que les éléments exploités en procédure sont joints au dossier.
En tout état de cause, le principe du contradictoire constitue un élément fondamental de la procédure pénale, en vertu duquel les charges retenues par les magistrats du parquet peuvent être contestées par la défense, puis écartées par les magistrats du siège, qui sont libres de les apprécier souverainement.
Dans ces conditions, l'obligation imposée à l'article 4 octies est superfétatoire, en ce qu'elle ne constitue qu'une déclinaison évidente du principe du contradictoire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Je ne peux que reprendre les arguments que j’ai développés à propos de l’amendement précédent : l’article 4 octies fait lui aussi partie du « paquet Warsmann », voté par l’Assemblée nationale. Il est normal que nous l’adoptions sans modification.
La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 33.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 octies.
(L'article 4 octies est adopté.)
Article 5
(Non modifié)
Après le 2° de l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis La durée de conservation des données à caractère personnel ; ». – (Adopté.)
Article 5 bis (nouveau)
Le II de l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée :
« À l’exception des cas prévus aux articles 26 et 27, lorsqu’une loi prévoit qu’un décret, ou un arrêté, est pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, cet avis est publié avec le décret ou l’arrêté correspondant. »
M. le président. L'amendement n° 34, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le texte de la commission des lois généralise la publication de l’avis de la CNIL lorsqu’une loi prévoit qu’un décret ou un arrêté est pris après recueil de cet avis.
Il convient d’en rester au dispositif actuel, qui encadre la publicité des actes réglementaires. L’extension du dispositif à l’ensemble des décrets et arrêtés donnant lieu à consultation de la CNIL, quel que soit leur objet, pourrait porter atteinte au secret des délibérations du Gouvernement. De plus, les avis de la CNIL ne doivent devenir ni le vecteur de la création d’une doctrine ni un instrument de communication externe. Il est préférable que le législateur se pose la question de la publication au cas par cas, lorsqu’il prévoit un avis de la CNIL.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Je comprends très bien la position du Gouvernement, mais la commission des lois est très attachée à la notion d’information.
À partir du moment où la CNIL rend un avis, il est de l’intérêt de toutes les personnes concernées directement que cet avis soit connu. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Alex Türk, pour explication de vote.
M. Alex Türk. Je partage la position de M. le rapporteur. Dans le cas du décret du 11 mai 2009 créant le système CASSIOPÉE – ce système n’est pas anodin – ou encore du fichier national des expertises psychiatriques, l’avis de la CNIL n’avait pas été publié, ce qui est extrêmement regrettable. La CNIL a été mise en porte-à-faux et les supputations relatives à sa position ont couru. Il serait plus simple, dans une démocratie, de connaître son avis et, par conséquent, que ce dernier soit systématiquement publié.
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Türk, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
À l'exception des
par les mots :
Outre les
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. C’est un amendement rédactionnel, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 5 bis, modifié.
(L'article 5 bis est adopté.)
Article 6
I. – Les I et II de l’article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée sont remplacés par quatre paragraphes ainsi rédigés :
« I. – Dès la collecte de données à caractère personnel, le responsable du traitement ou son représentant :
« - Informe, sous une forme spécifique et de manière claire et accessible, la personne concernée, sauf si elle en a déjà été informée au préalable :
« 1° De l'identité et de l'adresse du responsable du traitement et, le cas échéant, de celle de son représentant ;
« 2° De la finalité poursuivie par le traitement auquel les données sont destinées ;
« 3° Des critères déterminant la durée de conservation des données à caractère personnel ;
« 4° Du caractère obligatoire ou facultatif des réponses ;
« 5° Des conséquences éventuelles d'un défaut de réponse ;
« 6° Des destinataires ou catégories de destinataires des données ;
« 7° Des coordonnées du service auprès duquel les droits d’accès, de rectification et de suppression peuvent s’exercer ;
« 8° (nouveau) Le cas échéant, des modalités d’exercice de ces droits par voie électronique après identification ;
« 9° (nouveau) Le cas échéant, des transferts de données à caractère personnel envisagés à destination d'un État non membre de l'Union européenne ;
« - Met en mesure la personne concernée d'exercer son droit d'opposition, tel que visé au premier alinéa de l'article 38 ;
« - S’assure du consentement de la personne concernée, sauf dans les cas visés à l'article 7.
« I bis. – Si le responsable du traitement dispose d'un service de communication au public en ligne, il l'utilise pour porter à la connaissance du public, dans une rubrique spécifique et permanente ainsi que de manière claire et accessible, toutes les informations visées aux 1° à 9° du I.
« II. – Le responsable du traitement ou son représentant informe, dans une rubrique spécifique et permanente ainsi que de manière claire et accessible, tout utilisateur d'un réseau de communication électronique :
« - De la finalité des actions tendant à accéder, par voie de transmission électronique, à des informations stockées dans son équipement terminal de connexion, ou à inscrire, par la même voie, des informations dans son équipement ;
« - De la nature des informations stockées ;
« - Des personnes ou catégories de personnes habilitées à avoir accès à ces informations ;
« - Des moyens dont l’utilisateur dispose pour exprimer ou refuser son consentement.
« Les dispositions du présent II ne sont pas applicables si l’accès aux informations stockées dans l’équipement terminal de l’utilisateur ou l’inscription d’informations dans l’équipement terminal de l’utilisateur :
« - Soit a pour finalité exclusive de permettre la communication par voie électronique ;
« - Soit est strictement nécessaire à la fourniture d’un service de communication au public en ligne à la demande expresse de l’utilisateur. »
II. – (Non modifié) Le premier alinéa du III du même article est ainsi rédigé :
« Lorsque les données à caractère personnel n’ont pas été recueillies auprès de la personne concernée, le responsable du traitement ou son représentant fournit à cette dernière les informations énumérées au I dès l’enregistrement des données ou, si une communication des données à des tiers est envisagée, avant la première communication des données. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 35 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
Les I et I bis de l'article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée sont ainsi rédigés :
II. - Alinéas 16 à 23
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. La portée de la directive 2009/136/CE mérite un travail de réflexion approfondi avec l’ensemble des partenaires, notamment sur l’opportunité de passer du principe de l’opposition, en vertu duquel l’internaute dispose des moyens de refuser les cookies, à une logique de consentement, en vertu de laquelle l’internaute doit avoir expressément accepté la transmission des cookies. Les implications juridiques et économiques de ce débat doivent encore être examinées avec attention.
La transposition de la directive, dont la date limite est fixée au 25 mai 2011, donne lieu à un important travail, actuellement en cours. Comme je le disais dans mon exposé liminaire, une prise en compte globale et cohérente de toutes les problématiques en cause est préférable à une transposition morcelée, qui pourrait aboutir à plusieurs modifications successives des mêmes dispositions.
Sans manifester de désaccord quant au travail de la commission des lois, le Gouvernement tient à prendre en compte l’ensemble du travail actuellement réalisé sur la transposition du « paquet Télécom ».
M. le président. L'amendement n° 26, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Rédiger ainsi cet alinéa :
« - Des moyens mis en œuvre par le responsable du traitement pour recueillir le consentement de l'utilisateur préalablement à l'accès ou à l'inscription de ces informations.
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. Sur ce point, je suis en désaccord, certes très amical, avec M. le rapporteur. Je suis en effet plus préoccupé que lui par la question du consentement.
Comme vous le savez, on distingue aujourd’hui l’opt-in, c'est-à-dire l’expression explicite de son consentement, et l’opt-out, autrement dit le droit d’opposition. On observe de plus en plus un glissement vers ce dernier. Certes, la navigation est ainsi rendue plus fluide, mais il convient d’être extrêmement prudent. On pourrait regretter de prendre une telle initiative. Je pourrais vous citer l’exemple de grands groupes américains – je ne les nommerai pas – développant leurs activités sur le territoire européen, qui sont en train de mettre en place toute une série de services qui vont pister nos concitoyens toute la journée à leur insu, et qui vont profiter d’un système dans lequel le consentement explicite n’a pas la place qu’il mérite. Nous devrions réfléchir davantage à ce sujet qui me préoccupe beaucoup. Cette question n’est pas uniquement technique ; elle dissimule des enjeux considérables de liberté. Selon moi, la réflexion n’est pas mûre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Pour ce qui concerne l’amendement n° 35 rectifié, l’article 6, fondamental pour l’information et la protection des citoyens, est le second cœur de la présente proposition de loi, l’article 3 étant le premier, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, et la proposition de loi a besoin des deux pour vivre. Si vous en éliminez un, monsieur le secrétaire d’État, elle meurt ! Il ne faut donc pas amputer l’article 6.
Au motif qu’il faudrait transposer globalement une directive, le Gouvernement propose de ne rien faire. Mais en agissant ainsi, nous nous priverions de tout ! La France resterait un mauvais élève européen, elle qui est pratiquement toujours en retard en matière de transposition. Sauf erreur de ma part, nous occupons la vingtième position à cet égard, ce qui n’est pas très glorieux !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On a fait des progrès !
M. Christian Cointat, rapporteur. Pour une fois, en l’espèce, nous avons la possibilité d’aller un peu plus vite en ce qui concerne la CNIL ; ce n’est pas morceler, c’est découper, les autres dispositions faisant l’objet de la transposition visant les réseaux, domaine tout à fait différent. C’est faire preuve d’astuce et de cohérence et agir avant les autres pays membres de l’Union européenne. Pour une fois, je serais content que la France reçoive les félicitations et soit le premier de la classe ! L’argument exposé n’est donc pas suffisamment fort pour tuer le second cœur de cette importante proposition de loi.
J’en viens à l’amendement n° 26 et au battement de ce cœur. Je suis évidemment d’accord avec M. Türk d’un point de vue théorique ; mais sur le plan pratique, sa proposition est dangereuse – il le sait très bien puisque je le lui ai indiqué en commission ce matin –, car elle entraverait la fluidité de la navigation. Si les internautes sont constamment gênés par l’apparition de fenêtres sollicitant leur accord ou leur opposition, ils éteindront leur ordinateur !
Il faut garantir une certaine fluidité. Avec la complicité – au sens le plus noble du terme – des auteurs de la proposition de loi, la commission a souhaité garantir à chaque utilisateur l’information suffisante pour qu’il prenne la décision lui-même de recevoir ou non des cookies, ces fichiers qui permettent de savoir ce qu’un utilisateur préfère sur tel ou tel site, mais qui permettent aussi parfois techniquement d’accéder à des sites. À tout moment, l’internaute est en mesure de revenir sur son accord. Que voulez-vous de plus ? Tout le reste ne peut qu’entraver la fluidité de la navigation sur Internet et aller à l’encontre de ce que l’on souhaite.
C’est pourquoi, sur le plan pratique, je préfère le texte adopté par la commission des lois. Il constitue un équilibre entre la garantie des droits, l’information suffisante et la convivialité d’Internet sans laquelle on se priverait d’un outil fabuleux. De surcroît, les utilisateurs risqueraient d’aller se brancher à l’étranger. Restons prudents et agissons avec bon sens. Nous pourrons encore affiner et améliorer ce texte à l’occasion de la navette parlementaire.
Ce sujet, à la fois passionnant et complexe, met en jeu des intérêts divergents, qu’il faut parvenir à faire coïncider pour atteindre l’équilibre dont je parlais. Nous sommes sur une ligne de crête ; essayons de ne pas en tomber !
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 35 rectifié et 26.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 26 ?
M. le président. L'amendement n° 28, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Après les mots :
caractère personnel
insérer les mots :
auprès de la personne concernée
II. - Alinéa 13
Remplacer les mots :
au premier alinéa de l'article 38
par les mots :
à l'article 38
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 28 est retiré.
L'amendement n° 27, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
Des critères déterminant
par le mot :
De
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. Je le retire également, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 27 est retiré.
L'amendement n° 24, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
8° S'il dispose d'un service de communication au public en ligne, des modalités d'exercice de ces droits par voie électronique ;
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. C’est un amendement rédactionnel, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. La commission avait modifié le texte qu’elle avait adopté initialement pour des raisons de qualité rédactionnelle mais, en droit, ce qui compte, c’est non pas la beauté du texte et de la langue, mais la précision des termes. MM. Türk et Amoudry nous ont fait remarquer, avec raison, qu’il valait mieux être plus précis dans ce domaine. La commission des lois émet donc un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Hérisson, est ainsi libellé :
Alinéa 25
Remplacer les mots :
avant la première
par les mots :
au plus tard lors de la première
La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Cet amendement de cohérence vise à mettre l’alinéa 25 en conformité avec l’alinéa 2, déjà modifié par la commission des lois en ce sens. Il s’agit de revenir à la rédaction initiale du III de l’article 32 de la loi du 6 janvier 1978, afin d’être cohérent avec les formulations adoptées par la commission dans les alinéas précédents.
La rédaction actuelle de l’alinéa 25 aurait des conséquences importantes sur l’ensemble du marché du marketing direct, qui atteignait 9,5 milliards d’euros en 2008. C’est le premier média utilisé par les entreprises puisqu’il représente 30 % des investissements publicitaires. Pour La Poste, ce marché s’élevait la même année à près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires et correspondait à près de 18 % de son volume d’activité. Il a baissé de 7% en volume en 2009, à l’image du marché du courrier, fragilisé par la crise.
Par ailleurs, informer le destinataire en amont de toute communication des données est une opération très lourde pour le responsable du traitement, sur le plan technique et économique, au regard du bénéfice retiré par le consommateur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Cet amendement rétablit une cohérence entre les alinéas 2 et 25 de l’article 6. En effet, l’alinéa 2 de cet article précise que, dès la collecte des données, le responsable du traitement informe la personne concernée. Il n’y a pas lieu de prévoir deux vagues successives d’information, qui coûteraient trop cher aux opérateurs. Il s’agit donc d’informer dès la mise en œuvre de l’opération. En cas d’accord de l’utilisateur, l’opération se poursuit, mais elle cesse immédiatement en cas de désaccord.
Une opération unique suffit pour assurer l’information de l’utilisateur, afin de ne pas pénaliser les entreprises de commerce électronique ou tout autre opérateur de notre territoire. La commission émet donc un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le texte de la commission était plus favorable aux libertés individuelles, mais ne soyons pas plus royalistes que le roi ! (Sourires.) Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
L’article 34 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 34. – Le responsable du traitement met en œuvre toutes mesures adéquates, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour assurer la sécurité des données et en particulier protéger les données à caractère personnel traitées contre toute violation entraînant accidentellement ou de manière illicite la destruction, la perte, l’altération, la divulgation, la diffusion, le stockage, le traitement ou l’accès non autorisés ou illicites.
« En cas de violation du traitement de données à caractère personnel, le responsable de traitement avertit sans délai le correspondant « informatique et libertés », ou, en l’absence de celui-ci, la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Le correspondant « informatique et libertés » prend immédiatement les mesures nécessaires pour permettre le rétablissement de la protection de l’intégrité et de la confidentialité des données et informe la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Si la violation a affecté les données à caractère personnel d’une ou de plusieurs personnes physiques, le responsable du traitement en informe également ces personnes. Le contenu, la forme et les modalités de cette information sont déterminés par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Un inventaire des atteintes aux traitements de données à caractère personnel est tenu à jour par le correspondant « informatique et libertés ».
« Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux traitements de données à caractère personnel désignés à l’article 26.
« Des décrets, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, peuvent fixer les prescriptions techniques auxquelles doivent se conformer les traitements mentionnés aux 2° et 6°du II de l’article 8. »
M. le président. L'amendement n° 36, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Il s’agit de nouveau d’anticiper sur la transposition du « paquet Télécom », avec tous les inconvénients que j’ai déjà soulignés, alors qu’il est nécessaire de se donner le temps de le faire dans de bonnes conditions.
Se pose ici la question de l’autorité administrative la plus appropriée pour contrôler les questions touchant aux failles de sécurité des systèmes.
Je le demande à des experts bien meilleurs connaisseurs de ces questions que moi : sans remettre en cause les compétences de la CNIL, est-il certain que celle-ci dispose des moyens techniques et des compétences professionnelles en la matière pour assumer ce rôle ? Cette question mérite réflexion, car d’autres autorités, telles que l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, pourraient également être concernées. En tout état de cause, le Gouvernement est actuellement en train de mener une expertise sur ce point.
C’est la raison pour laquelle nous plaidons pour une transposition globale.
Quoi qu’il en soit, je connais par avance la position de la commission, que je vais écouter avec beaucoup d’attention et de respect.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Au fil du débat, ma tâche devient plus aisée, monsieur le secrétaire d’État… (Sourires.)
Permettez-moi de vous exposer les raisons pour lesquelles l’article 7 de cette proposition de loi est très important.
Certes, l’idéal serait de ne pas avoir à prévoir de telles dispositions, mais il y a un risque de failles de sécurité. Il importe donc de garantir les droits des uns et des autres, au cas où.
En outre, l’article 7 a été modifié, en accord avec les auteurs de la proposition de loi, pour correspondre à ce que j’ai dit tout à l'heure lors de l’examen de l’article 3.
Le correspondant « informatique et libertés », le fameux CIL, est une assurance en cas de problème. Ainsi, il est là pour parer aux difficultés et pour mettre en place immédiatement, avec l’aide de la CNIL ou seul, le cas échéant, s’il est capable de le faire lui-même – il est donc nécessaire d’avoir des correspondants compétents ! –, les mesures nécessaires pour rectifier ou rétablir les données perdues, violées ou altérées. Tel est exactement le rôle de ce correspondant. Il ne faut donc pas lire l’article 7 seul, car ce dernier est intimement lié à l’article 3 et à la protection des citoyens.
Pour toutes ces raisons, la commission est évidemment, comme vous vous en doutiez, monsieur le secrétaire d'État, défavorable à l’amendement n° 36.
M. le président. La parole est à M. Alex Türk, pour explication de vote.
M. Alex Türk. Tout d’abord, je tiens à souligner le fait que la question des failles de sécurité devient lancinante.
Au cours des deux dernières années, ce sont plus de 25 millions de données personnelles qui ont été disséminées, par erreur, dans la nature en Grande-Bretagne et en Allemagne. Imaginez un instant, mes chers collègues, que des milliers et des milliers de données sensibles à caractère personnel relatives, par exemple, à la santé nous échappent. Ce serait extrêmement grave ; nous devons donc pouvoir réagir très rapidement.
Certes, la CNIL n’a peut-être pas toujours été armée pour faire face à une situation aussi lourde, mais, contrairement à ce qu’affirme M. le secrétaire d’État, elle peut désormais le faire, car elle dispose d’un service d’ingénieurs experts, de contrôleurs habilités par le Premier ministre et d’une myriade de correspondants « informatique et libertés ».
Cela étant, je saisis la balle au bond, monsieur le secrétaire d'État. Vous l’avez indiqué dans l’exposé des motifs de votre amendement et vous venez de le dire, l’ARCEP pourrait avoir un rôle à jouer en la matière, tout comme le SGDN, le secrétariat général de la défense nationale. La CNIL est toute disposée à collaborer avec ces organismes ou d’autres encore. Compte tenu de l’immensité du problème, les autorités administratives compétentes ne seront pas trop nombreuses pour faire face à cette difficulté.
M. le président. L'amendement n° 22 rectifié, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Alinéa 3, deuxième phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
« Le responsable du traitement, avec le concours du correspondant « informatique et libertés », prend immédiatement les mesures nécessaires pour permettre le rétablissement de la protection de l'intégrité et de la confidentialité des données. Le correspondant « informatique et libertés » en informe la Commission nationale de l'informatique et des libertés. »
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. Cet amendement vise à clarifier les choses sur le plan juridique.
Le correspondant « informatique et libertés » a certes un rôle essentiel à jouer dans le traitement des failles de sécurité, mais il ne peut l’assurer, par définition, que sous la responsabilité du responsable du traitement, car, dans notre législation, cette tâche lui incombe.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement, qui améliore la rédaction du texte.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 40, présenté par M. Cointat, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3, troisième phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, sauf si ce traitement a été autorisé en application de l'article 26
II. - En conséquence, alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel visant à éviter toute ambiguïté.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Article additionnel après l'article 7
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l'article 226-17 du code pénal, les mots : « à l'article » sont remplacés par les mots : « au premier alinéa de l'article ».
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. Il s’agit d’une question de technique juridique.
D’un point de vue pénal, il nous semble quelque peu dangereux de maintenir la rédaction qui nous est proposée dans la mesure où l’on oblige le responsable du traitement à déclarer une faille de sécurité, qui est, par ailleurs, condamnable pénalement. Il ne saurait être question de contraindre quelqu’un à se retrouver dans une telle situation.
Si M. le rapporteur me rassurait sur ce point, je retirerais volontiers cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Mon argumentation sera un peu longue, car je m’attendais, mon cher collègue, à votre demande.
L’amendement n° 23 tend à exclure des sanctions pénales les alinéas 2 et suivants du texte proposé à l’article 7 de la proposition de loi pour l’article 34 de la loi informatique et libertés.
Ses auteurs font valoir que l’application de sanctions pénales au responsable du traitement, qui est tenu d’avertir le correspondant « informatique et libertés » ou, à défaut, la CNIL, d’une faille de sécurité, reviendrait à obliger ce même responsable à se dénoncer lui-même, ce qui serait contraire à un principe de notre droit pénal. Ces craintes ne me paraissent pas fondées.
Tout d’abord, le premier alinéa de l’article 34 de la loi informatique et libertés qui impose au responsable du traitement l’obligation de mettre en œuvre toutes mesures adéquates pour assurer la sécurité des données définit une obligation de moyens, et non une obligation de résultat. Dès lors, il peut y avoir violation des données sans que la responsabilité du responsable du traitement soit nécessairement engagée. Ce sera également le cas lorsque le responsable du traitement qui a pris les mesures nécessaires à la sécurisation des données n’est pas la même personne que celle qui est tenue de signaler une perte de données, un certain laps de temps pouvant, par exemple, séparer la mise en œuvre du traitement et l’atteinte à la sécurité des données.
En revanche, l’adoption de l’amendement n° 23 aboutirait à exclure du champ du droit pénal l’obligation faite au responsable du traitement d’avertir le correspondant « informatique et libertés » ou la CNIL en cas de violation des données, ainsi que celle qui est faite au correspondant de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires au rétablissement de la protection des données, d’en informer la CNIL et, le cas échéant, les personnes physiques concernées et de tenir un inventaire des atteintes aux traitements de données à caractère personnel.
Il s’agit là d’obligations de résultat, et il ne paraît pas opportun de les exclure du champ du droit pénal.
En outre, il convient de noter que notre droit pénal reconnaît explicitement le principe de l’auto-dénonciation. L’article 132-78 du code pénal dispose ainsi que « dans les cas prévus par la loi, la durée de la peine privative de liberté encourue par une personne ayant commis un crime ou un délit est réduite si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis de faire cesser l’infraction, d’éviter que l’infraction ne produise un dommage ou d’identifier les autres auteurs ou complices ».
Toutes les conditions sont donc réunies, mon cher collègue, pour que vous acceptiez de retirer votre amendement.
M. le président. Monsieur Türk, l'amendement n° 23 est-il maintenu ?
M. Alex Türk. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 23 est retiré.
Article 8
I. – L’article 38 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 38. – Dès la collecte de données à caractère personnel, ou, en cas de collecte indirecte, avant toute communication de données à caractère personnel, toute personne physique est mise en mesure de s'opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection commerciale.
« Lorsque des données à caractère personnel ont été traitées, toute personne physique justifiant de son identité a le droit, pour des motifs légitimes, d’exiger, sans frais, leur suppression auprès du responsable du traitement.
« Ce droit ne peut être exercé lorsque :
« 1° le traitement répond à une obligation légale ;
« 2° le droit de suppression a été écarté par une disposition expresse de l'acte autorisant le traitement ;
« 3° les données sont nécessaires à la finalité du traitement ;
« 4° le traitement est nécessaire pour la sauvegarde, la constatation, l'exercice ou la défense d'un droit ;
« 5° le droit de suppression porte atteinte à une liberté publique garantie par la loi ;
« 6° les données constituent un fait historique. »
II. – Le début du premier alinéa du I de l’article 39 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Toute personne physique justifiant de son identité a le droit d’interroger le responsable du traitement… (le reste sans changement) ».
III. – Le début du premier alinéa de l’article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Toute personne physique justifiant de son identité a le droit de demander au responsable du traitement que soient… (le reste sans changement) ».
M. le président. L'amendement n° 37, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. En vertu de l’actuel article 38 de la loi du 6 janvier 1978, « toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ». Seuls font exception les cas pour lesquels le traitement répond à une disposition légale ou lorsque l’application de ces dispositions a été écartée par une disposition expresse de l’acte autorisant le traitement.
Contrairement aux intentions affichées par la commission des lois, le présent article, tel qu’il est rédigé, réduit substantiellement, selon le Gouvernement, le champ du droit d’opposition préalable à la collecte des données, en le limitant aux seuls cas de prospection commerciale.
Par ailleurs, de nouvelles exceptions sont prévues, qui sont, à mon avis, définies de manière trop large.
Si le critère des données nécessaires à la finalité du traitement était retenu, ne pourraient plus être supprimées les données relatives à des clients potentiels figurant dans des fichiers de prospection commerciale, et ce en dépit du souhait légitime des personnes concernées de ne plus y être mentionnées.
De même, la notion de « données constituant un fait historique » pourrait priver les internautes ayant laissé sur des sites de réseaux sociaux des informations sur leur vie personnelle de leur droit à l’oubli.
Enfin, la référence au traitement « nécessaire pour la sauvegarde, la constatation, l’exercice ou la défense d’un droit » est rédigée de manière tellement large qu’elle risque, à elle seule, de rendre l’exercice du droit de suppression purement résiduel.
Ces nouvelles dispositions sont donc contraires à l’esprit de loi de 1978 et constituent un recul en matière de protection de la vie privée.
Au demeurant, je souligne que cet amendement de suppression procède du même esprit que l’amendement n° 21 de MM. Türk et Amoudry, qui vise à supprimer les alinéas 1 à 10.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. L’article 8 de la présente proposition de loi ne réduit absolument pas les droits des personnes. Il précise, au contraire, des termes qui sont aujourd'hui particulièrement confus et ont précisément suscité l’inquiétude d’un certain nombre d’acteurs du paysage français, tels que les journalistes ou les archivistes.
Concernant les données constituant un fait historique, je prendrai un exemple. Je suis sénateur UMP, issu du RPR. L’UMP comprenant d’autres sensibilités, imaginez que j’aie brusquement envie d’effacer toutes mes données personnelles dans les fichiers du RPR.
M. Charles Gautier. Cela ne va pas tarder ! (Sourires.)
M. Christian Cointat, rapporteur. On ne peut tout de même pas effacer des actes publics, qui sont marquants !
Il en est de même pour la liberté de la presse.
Lorsqu’une personne refuse de payer les produits qu’elle a commandés via le commerce électronique au motif qu’ils ne sont pas conformes, pourra-t-elle demander la suppression de toute trace de cette transaction prétendument terminée ? Pas du tout, car, précisément, le litige ne sera pas encore tranché. Ces exemples ne sont pas si anodins que cela !
Ne pouvant définir clairement la notion de « motifs légitimes », il nous a semblé préférable, au vu des problèmes sérieux qui se posent et pour éviter un trop grand nombre de recours devant les tribunaux, de mieux l’encadrer. Je le précise, ce qui n’est pas mentionné est donc forcément autorisé.
Voilà pourquoi la commission ne peut qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par MM. Türk et Amoudry, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 10
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. Je ne répéterai pas les mêmes arguments.
Sur le fond, l’idée est intéressante puisqu’il s’agit de traiter un problème sémantique, à savoir définir le droit d’opposition. Lorsque cette notion intervient a posteriori, elle est difficilement compréhensible, d’où l’idée de parler de « suppression ».
On voit bien quelle logique est suivie : consentir, en amont, pour pouvoir, en aval, obtenir la suppression, afin de sortir du système. Certes, le mécanisme est assez bien monté. Mais – M. le secrétaire d’État a raison de le souligner – on réduit là incontestablement le champ du droit d’opposition en le limitant à la seule prospection commerciale. La protection est également incontestablement diminuée. En outre, au moment de la collecte, le consentement connaît également des exceptions lourdes et très nombreuses, notamment à cause de la notion d’intérêt légitime qui est assez large.
Par ailleurs, le droit d’opposition, tel qu’il est conçu, prévoit lui-même un certain nombre de dérogations.
Par conséquent, il me paraît nécessaire de revoir la rédaction qui, en l’état, réduit vraiment la protection.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Il n’y a nullement réduction de la protection ! Au contraire, c’est lorsqu’un texte n’est pas précis que la protection est illusoire. Il y aura conflit, et le juge devra trancher.
Un texte précis permet de clarifier ce qu’il est possible ou non de faire et renforce la protection. En l’occurrence, l’alinéa 2 de l’article 8 dispose que « dès la collecte de données à caractère personnel, ou, en cas de collecte indirecte, avant toute communication de données à caractère personnel, toute personne physique est mise en mesure de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection commerciale. » Cette précision était ici nécessaire étant donné le nombre de prospections.
Pardonnez-moi, mais supprimer cet alinéa reviendrait à priver d’un droit considérable les utilisateurs d’Internet qui sont constamment sollicités et qui en ont assez. Autant qu’ils puissent s’y opposer ! Une telle suppression ne serait donc pas judicieuse.
L’alinéa suivant précise : « Lorsque des données à caractère personnel ont été traitées, toute personne physique justifiant de son identité a le droit, pour des motifs légitimes, d’exiger, sans frais, leur suppression auprès du responsable du traitement. »
Il faut bien un motif légitime, et le fait même de présenter une telle demande en est un. La personne qui fait la démarche estime en effet qu’elle a le droit de demander, par exemple, que son nom soit supprimé d’un fichier, alors que le litige qui l’oppose au commerçant n’est pas réglé.
Mais le motif n’est pas légitime pour tout le monde. C’est pourquoi nous précisons davantage cette notion en ajoutant que le droit de suppression ne pourra pas être exercé lorsque l’inscription répondra à une obligation légale. C’est quand même la moindre des choses ! Il ne peut pas non plus être exercé lorsqu’il a été écarté par une disposition expresse de l’acte autorisant le traitement. Par exemple, si vous signez un contrat – cela figurait dans la proposition de loi elle-même –, il faut accepter que les données soient nécessaires à la finalité du traitement !
Je prendrai un exemple simple : lors des élections à l’étranger, quelques femmes sont venues me trouver pour protester véhémentement contre l’inscription de leur date de naissance sur les listes électorales. J’ai refusé de supprimer cette mention, car il est nécessaire que nous sachions qu’elles sont âgées de plus de dix-huit ans. « Cela se voit » m’ont-elles répondu. Peut-être, mais pas par écrit !
Par conséquent, il existe des données qu’il est impossible de supprimer.
Je poursuis la lecture des alinéas de l’article 8. Le droit de suppression ne peut être exercé lorsque « le traitement est nécessaire pour la sauvegarde, la constatation, l’exercice ou la défense d’un droit ». On ne peut pas porter atteinte aux droits des autres. La liberté des uns commence là où se termine celle des autres !
Le droit de suppression ne peut pas non plus être exercé lorsqu’il « porte atteinte à une liberté publique garantie par la loi » ; je pense notamment à la liberté de la presse. Mais qui peut le contester ?
La suppression est également impossible lorsque « les données constituent un fait historique ». Il ne faut pas, en effet, que des gens se permettent de réécrire l’histoire, ce que tout le monde réprouverait !
Voilà la teneur des alinéas que vous voulez supprimer. Je suis désolé, mais ces précisions constituant une garantie considérable, la commission ne peut être que défavorable à l’amendement n° 21.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.
J’en profite pour faire à M. le rapporteur une remarque que j’ai souhaité lui présenter à plusieurs reprises au cours de ce débat.
Dans un texte d’équilibre, il est bon d’apporter des précisions quand elles sont nécessaires. Mais un excès de précisions peut parfois aller à l’encontre de la finalité recherchée. C’est le cas pour ce qui concerne la notion de motifs légitimes. Vous ne les prévoirez jamais tous, surtout dans un domaine comme celui-là ; plus vous créerez des catégories, plus vous exclurez des situations existantes ou à venir pourtant légitimes ! Et ce n’est pas mettre en cause la qualité du travail qui a été accompli ni les objectifs qui sont poursuivis que d’affirmer cela.
M. le président. La parole est à M. Alex Türk, pour explication de vote.
M. Alex Türk. Je ne voudrais pas m’attirer les foudres du président de la commission des lois – je suis membre de cette commission –, mais le texte en vigueur précise bien : « Elle a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur. » Or, il faut bien le reconnaître, l’adverbe « notamment », qui ne figure plus dans le texte de la commission, joue pourtant un rôle déterminant. Son absence limite les cas au domaine uniquement commercial. Voilà pourquoi j’ai parlé de réduction de la protection.
Par conséquent, s’il était possible de rectifier au moins ce point-là, je ne demanderai pas la suppression des autres alinéas.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. Monsieur Türk, la suppression du qualificatif « commerciale » figurant à l’alinéa 2 de l’article 8 vous donnerait-elle satisfaction ?
M. Alex Türk. Tout à fait, monsieur le rapporteur !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Plus besoin de l’adverbe « notamment » !
M. Christian Cointat, rapporteur. Effectivement, l’adverbe devient inutile ; je ne me ferai donc pas « assassiner » par mon président de commission ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. On pouvait le remplacer par « en particulier » ! (Nouveaux sourires.)
M. Christian Cointat, rapporteur. Monsieur le président, je dépose par conséquent, au nom de la commission des lois, un amendement tendant à supprimer, à l’alinéa 2 de l’article 8, le mot « commerciale ».
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 46.
M. Alex Türk. Dans ces conditions, monsieur le président, je retire l’amendement n° 21 !
M. le président. L’amendement n° 21 est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 46 ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article 9
Le I de l’article 39 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :
1° Les 3° et 4° du I sont remplacés par des alinéas 3° à 6° ainsi rédigés :
« 3° La durée de conservation des données à caractère personnel ;
« 4° Le cas échéant, des informations relatives aux transferts de données à caractère personnel envisagés à destination d’un État non membre de l’Union européenne ;
« 5° La communication, sous une forme accessible, des données à caractère personnel qui la concernent ;
« 6° La communication, sous une forme accessible, de toute information disponible quant à l’origine de celles-ci ; » ;
2° En conséquence, la référence : « 5° » est remplacée par la référence : « 7° ». – (Adopté.)
Article 9 bis
Les dispositions des I et II de l’article 44 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée sont remplacées par quatre alinéas ainsi rédigés :
« I. – Les membres de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ainsi que les agents de ses services habilités dans les conditions définies au dernier alinéa de l'article 19 ont accès, de 6 heures à 21 heures, pour l'exercice de leurs missions, aux lieux, locaux, enceintes, installations ou établissements servant à la mise en œuvre d'un traitement de données à caractère personnel et qui sont à usage professionnel, à l’exclusion des parties de ceux-ci affectés au domicile privé.
« II – Lorsque l'urgence, la gravité des faits justifiant le contrôle ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents l'exigent, la visite est préalablement autorisée par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter. Dans les autres cas, le responsable des lieux peut s'opposer à la visite, qui ne peut alors se dérouler qu'avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention. Celui-ci statue dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
« La visite s'effectue sous l'autorité et le contrôle du juge qui l'a autorisée, en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant, qui peut se faire assister d'un conseil de son choix ou, à défaut, en présence de deux témoins qui ne sont pas placés sous l’autorité des personnes chargées de procéder au contrôle. Le juge peut, s'il l'estime utile, se rendre dans les locaux pendant l'intervention. À tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite.
« L'ordonnance ayant autorisé la visite est exécutoire au seul vu de la minute. Elle mentionne que le juge ayant autorisé la visite peut être saisi à tout moment d'une demande de suspension ou d'arrêt de cette visite et précise qu'une telle demande n'est pas suspensive. Elle indique le délai et la voie de recours. Elle peut faire l'objet, suivant les règles prévues par le code de procédure civile, d'un appel devant le premier président de la cour d'appel. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Détraigne et Mme Escoffier, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
II. - Le responsable des lieux est informé de son droit d'opposition à la visite. Lorsqu'il exerce ce droit, la visite ne peut se dérouler qu'après l'autorisation du juge des libertés et de la détention. Celui-ci statue dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Toutefois, par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, lorsque l'urgence, la gravité des faits justifiant le contrôle ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents l'exigent, la visite est préalablement autorisée par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter.
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Le Conseil d’État a récemment considéré, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’inviolabilité du domicile, que les responsables des locaux dans lesquels se déroule un contrôle de la CNIL doivent être « informés de leur droit à s’opposer à ces visites ».
L’article 9 bis introduit par la commission, qui vise à tirer les conséquences de l’arrêt du Conseil d’État, prévoit la possibilité pour la CNIL de demander au juge des libertés et de la détention l’autorisation préalable d’effectuer une visite inopinée « lorsque l’urgence, la gravité des faits justifiant le contrôle ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents l’exigent ».
Cet article, que j’ai cosigné avec Mme Anne-Marie Escoffier, tend donc à préciser la rédaction, afin qu’il ne subsiste aucune ambiguïté.
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par Mme Boumediene-Thiery, M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 3, deuxième phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
Dans les autres cas, le responsable des lieux peut, après avoir été préalablement informé de cette possibilité, s'opposer à la visite. Elle ne peut alors se dérouler qu'avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a également pour objet la notification du droit à opposition à une visite.
La loi informatique et libertés est une belle loi. Toutefois, des ajustements s’imposent, notamment au regard de certaines exigences tenant à l’équité de la procédure suivie en matière de visite domiciliaire.
Une difficulté est née de l’exigence d’une autorisation judiciaire avant toute visite domiciliaire refusée par le responsable des lieux.
Dans une décision du 6 novembre 2009, le Conseil d’État a fixé le droit positif en la matière, en visant notamment les deux cas de figure permettant une visite en l’absence de consentement : soit la visite est autorisée au préalable par le juge et, dans ce cas-là, la CNIL est, en quelque sorte, dispensée du consentement du responsable des lieux ; soit la visite a lieu après un refus de la personne et, dans cette hypothèse, l’autorité judiciaire autorise la visite a posteriori.
La commission des lois a inséré dans la proposition de loi une procédure permettant au juge d’autoriser a priori une visite, sans pour autant supprimer la procédure déjà existante consistant à demander une telle autorisation après un refus du responsable des lieux. Or on constate qu’il n’existe pas d’obligation pour la CNIL d’avertir le responsable des lieux de la possibilité de s’opposer à une visite.
La commission des lois a conservé la procédure d’autorisation du juge a posteriori, sans toutefois prévoir que le responsable des lieux peut s’opposer à la visite. Cela signifie qu’il existe une procédure qui, en pratique, est vidée de son utilité en raison d’une absence d’information sur la nature du droit d’opposition. Or il nous semble que ce droit à l’information doit être nécessairement notifié, sinon la procédure suivie ne serait pas conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Par cet amendement, il est donc proposé de mentionner de manière explicite le droit du responsable des lieux de se voir informer de la possibilité de s’opposer à une visite, exigence actuellement absente de l’article 44 de la loi du 6 janvier 1978, alors que le droit d’opposition est, lui, mentionné à ce même article, et maintenu dans le texte issu des travaux de la commission des lois. Il est en effet incohérent que le droit d’opposition à une visite, inscrit dans la loi, ne soit pas exercé, en pratique, en raison d’une absence de notification de ce droit.
L’amendement n° 16 n’a certes pas été retenu par la commission, mais je me félicite qu’il ait été repris par nos collègues M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier dans l’amendement n° 12 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Les amendements nos 12 rectifié et 16 améliorent la qualité du texte et sont donc tout à fait recevables. Par conséquent, j’y suis favorable.
Cela dit, comme il faut bien en choisir un, après réflexion, j’ai proposé à la commission des lois de retenir l’amendement n° 12 rectifié de M. Détraigne et Mme Escoffier.
La raison de ce choix est simple : cet amendement présente une meilleure architecture des normes en respectant l’ordre d’information et de décision, ce qui n’était pas le cas de l’amendement n° 16 de Mme Alima Boumediene-Thiery, lequel avait quand même le mérite de mieux « coller » au texte de la commission des lois.
Comme vous le constatez, le choix était donc cornélien ! Mais Mme Boumediene-Thiery sera satisfaite de l’avis favorable donné à l’amendement n° 12 rectifié !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. On ne saurait mieux dire, monsieur le président ! Le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 16 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 9 bis, modifié.
(L'article 9 bis est adopté.)
Article 10
(Supprimé)
Article 11
(Non modifié)
À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 46 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, les mots : « en cas de mauvaise foi du responsable de traitement, » sont supprimés. – (Adopté.)
Article 12
(Non modifié)
Au deuxième alinéa de l’article 47 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, le montant : « 150 000 € » est remplacé par le montant : « 300 000 € » et le montant : « 300 000 € » est remplacé (deux fois) par le montant : « 600 000 € ». – (Adopté.)
Article 13
I. – Le chapitre VIII de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Chapitre VIII
« Dispositions relatives aux actions juridictionnelles
« Section 1
« Dispositions pénales
« Art. 50. – Les infractions aux dispositions de la présente loi sont réprimées par les articles 226-16 à 226-24 du code pénal.
« Art. 51. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait d’entraver l’action de la Commission nationale de l’informatique et des libertés :
« 1° Soit en s’opposant à l’exercice des missions confiées à ses membres ou aux agents habilités en application du dernier alinéa de l’article 19 ;
« 2° Soit en refusant de communiquer à ses membres ou aux agents habilités en application du dernier alinéa de l’article 19 les renseignements et documents utiles à leur mission, ou en dissimulant lesdits documents ou renseignements, ou en les faisant disparaître ;
« 3° Soit en communiquant des informations qui ne sont pas conformes au contenu des enregistrements tel qu’il était au moment où la demande a été formulée ou qui ne présentent pas ce contenu sous une forme directement accessible.
« Art. 52. – I. – La Commission nationale de l’informatique et des libertés informe sans délai le procureur de la République, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale, des infractions dont elle a connaissance.
« II. – Le procureur de la République avise le président de la Commission de toutes les poursuites relatives aux infractions visées aux articles 226-16 à 226-24 du code pénal et, le cas échéant, des suites qui leur sont données. Il l’informe de la date et de l’objet de l’audience de jugement par lettre recommandée adressée au moins dix jours avant cette date.
« Section 2
« Dispositions civiles
« Art. 52-1. – Dans les litiges civils nés de l’application de la présente loi, toute personne peut saisir à son choix, outre l’une des juridictions territorialement compétentes en vertu du code de procédure civile, la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable.
« Section 3
« Observations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés devant les juridictions civiles, pénales ou administratives
« Art. 52-2. – Les juridictions civiles, pénales ou administratives peuvent, d’office ou à la demande des parties, inviter la Commission nationale de l’informatique et des libertés à déposer des observations écrites ou à les développer oralement à l’audience.
« La Commission peut elle-même déposer des observations écrites devant ces juridictions ou demander à être entendue par elles ; dans ce cas, cette audition est de droit. »
II. – (Non modifié) Le 2° de l’article 11 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :
1° Au d), les mots : « et, le cas échéant, des juridictions, » sont supprimés ;
2° Le e) est ainsi rédigé :
« e) Elle saisit le procureur de la République et dépose des observations devant les juridictions dans les conditions prévues respectivement aux articles 52 et 52-2. »
M. le président. L'amendement n° 38, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Permettez-moi de développer les raisons qui ont conduit le Gouvernement à déposer cet amendement, quel qu’en soit le sort !
Le Gouvernement partage naturellement le souci exprimé par les auteurs de la proposition de loi que les juges français puissent être saisis et faire application de la loi informatique et libertés lorsqu’un litige oppose une personne résidant en France à un opérateur basé à l’étranger.
Pour autant, la disposition proposée ne paraît pas utile. Elle sera sans incidence sur les litiges internationaux.
Dans le cas où le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre de l'Union européenne, le règlement dit « Bruxelles I » s’applique et permet d’attraire la personne devant le tribunal du lieu où le fait dommageable est survenu, en l’occurrence, en France.
Dans l’hypothèse où le défendeur n’est pas domicilié dans un État membre, le demandeur peut, en vertu des articles 42 et 46 du code de procédure civile, saisir les tribunaux français si le préjudice a été subi en France ou si la prestation de service a été fournie en France.
En outre, l’article 14 du code civil dispose que tout Français peut attraire devant les tribunaux français un défendeur étranger. La proposition de loi n’apporte rien par rapport au droit positif.
De plus, il ne suffit pas que le juge français soit compétent pour connaître le litige. Il faut aussi qu’il puisse appliquer la loi française, ce qui dépend également des règles de conflit de lois applicables en vertu du droit international.
Il faut surtout que la décision rendue par la juridiction française soit effectivement exécutée à l’étranger, dans l’État où réside le défenseur.
Par ailleurs, le texte proposé pour la section 3 du chapitre VIII de la loi de 1978 tend à conférer à la CNIL le pouvoir de présenter des observations devant toutes les juridictions, qu’elles soient administratives, pénales ou civiles, sur le modèle de ce qui est prévu pour la HALDE.
Je le dis devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président de la CNIL, aux yeux du Gouvernement, une telle transposition n’est pas pertinente. Chaque autorité administrative indépendante poursuit une mission spécifique, à laquelle correspond un statut. Dans le cas de la HALDE, dont la mission est de connaître de toutes les formes de discriminations, il s’agit de lui permettre d’apporter des preuves supplémentaires à l’appui de la demande d’une victime d’une discrimination. Telle n’est pas la situation de la CNIL, puisqu’elle intervient en tant qu’expert dans un domaine marqué par une technicité particulière. Surtout, un tel renforcement de ses pouvoirs n’est ni justifié ni nécessaire. Les juridictions peuvent d’ores et déjà, lorsqu’elles ont besoin d’être éclairées par l’expertise de la CNIL, l’inviter à présenter ses observations. Elles doivent le faire, me semble-t-il, lorsqu’elles le jugent nécessaire. Il est important, pour la bonne marche de la justice en général, que les juridictions conservent la maîtrise de l’organisation du débat contradictoire. Ce sont elles qui, connaissant le dossier, savent quand l’avis de la CNIL peut être utile.
La faculté donnée à un tiers d’intervenir au procès en faisant valoir ses observations doit être exceptionnelle. À défaut, le risque d’une instrumentalisation serait préjudiciable à la sérénité des débats.
Le bon accomplissement de sa mission par la CNIL, mission à laquelle nous sommes tous très attachés, ne suppose aucunement que ce nouveau pouvoir lui soit reconnu. Pour toutes ces raisons, que je tenais à rappeler, nous demandons une fois de plus la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, si je reconnais que vos arguments ne sont pas sans pertinence, je regrette la position adoptée par le Gouvernement.
À la suite des nombreuses auditions que nous avons menées, nous avons demandé à la Chancellerie de nous exposer ses souhaits en la matière, sa façon de voir les choses, et de nous présenter ses propositions. Mais, nous l’avons dit, il n’était en aucun cas question pour nous d’accepter une suppression de l’article, qui n’aurait pas été constructive.
Nous attendions du Gouvernement qu’il nous apporte une solution, et j’avais cru comprendre que tel serait le cas. Or, après avoir déposé un premier amendement de suppression en commission, le Gouvernement nous en propose un second en séance publique. C’est regrettable, d’autant que nous étions ouverts à toute adaptation. Notre objectif n’est pas de construire ce qui ne fonctionnera pas ou pourrait ne pas fonctionner ! Nous préférerions trouver, en accord avec le Gouvernement, une solution qui paraisse juste.
En la matière, un nouveau dispositif doit être adopté. La portée de cet article a d’ailleurs été amoindrie par rapport aux dispositions figurant dans la proposition de loi initiale, afin de ne pas laisser croire que la CNIL était une juridiction. Bien entendu, l’essentiel a été conservé ! Vous pouvez donc le constater, monsieur le secrétaire d’État, nous sommes déjà allés dans le sens que vous souhaitez.
Les dispositions relatives à la juridiction compétente en matière de litiges civils figurant à l’article 13 de la proposition de loi ne visent pas le droit international privé, mais tendent à faciliter l’accès au juge civil pour les individus s’estimant lésés par un manquement à la loi informatique et libertés. S’agissant de cette matière spécifique, il est légitime de faire figurer ces dispositions dans la loi elle-même, et non dans un texte réglementaire.
En outre, les dispositions facilitant l’intervention de la CNIL devant les juridictions, en prévoyant notamment que son audition est de droit, ont pour objet de permettre à ces dernières de disposer d’un avis technique dans une matière souvent complexe – nous l’avons vu ce soir – et avec laquelle les magistrats sont peu familiarisés. Il convient de rappeler, certes, que ces dispositions s’inspirent – sans les calquer – de celles qui ont été retenues pour la HALDE et de celles qui figurent dans le projet de loi relatif au Défenseur des droits. S’il nous fallait une base de réflexion, celle-ci peut très bien être aménagée, au cours de la navette.
Par cet amendement de suppression, monsieur le secrétaire d’État, vous nous signifiez que cet article ne présente aucun intérêt. Ce n’est pas recevable ! Je peux vous l’assurer, je suis très déçu de votre position. Je m’attendais tout de même à recevoir un document qui nous aurait permis, en nous arc-boutant, d’imaginer des solutions nouvelles, quitte à le retenir dans son intégralité s’il avait été finalisé.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Force est de constater que, depuis le début du débat, et malgré les efforts de M. le secrétaire d’État pour donner des indications, c’est non, non, non ! Rien ! Tout se passe comme si le Gouvernement considérait que le législateur était un enfant, incapable d’élaborer des règles, et que mieux valait s’en remettre à l’opinion de ceux qui étudient le problème dans des « ateliers » ou autres lieux de Gouvernement.
M. François Marc. À l’Élysée !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
C’est particulièrement vrai pour les transpositions de directives. Les sénateurs et les députés seraient à ce point incapables que le Gouvernement se trouverait contraint, la plupart du temps, de leur demander une habilitation afin de légiférer par ordonnance !
Je pourrais vous donner des exemples qui viennent contredire cette interprétation. Heureusement que, dans certains cas, le Parlement est là ! La France a ainsi évité de nouvelles condamnations au niveau communautaire. Je pense notamment au statut de la société européenne, qui a fait l’objet, certains s’en souviennent, d’un travail commun entre la commission des lois et la Chancellerie.
Si vous aviez proposé certaines modifications de l’article, notamment concernant les peines, nous aurions pu discuter. Mais vous préférez supprimer l’ensemble de l’article.
Il est vrai que l’on peut s’interroger sur l’ambiguïté du texte proposé pour l’article 52-1 du chapitre VIII de la loi de 1978. En effet, le code de la consommation a inclu dans sa partie législative des dispositions de procédure civile, alors que, normalement, le code de procédure civile est intégralement d’ordre réglementaire. Monsieur le secrétaire d’État, si vous aviez proposé la suppression de cet alinéa 15 de l’article 13, nous aurions pu, ensemble, réfléchir à la question.
Personnellement, cher collègue Alex Türk, je ne souhaite pas que l’on continue à aller dans le sens de ce qui a été autorisé pour la HALDE. Ne mélangeons pas les choses ! S’il convient de faire appel, dans le cadre d’un procès, aux autorités administratives indépendantes lorsque les juges le demandent, il ne paraît pas souhaitable de créer une sorte de droit d’ingérence, comme le prévoit l’alinéa 19 de l’article 13 de la proposition de loi.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez préféré rejeter en bloc l’article 13, ce qui a pour conséquence d’interdire toute discussion.
Au sein de cet article, deux points suscitent de ma part certaines interrogations. Je pense cependant qu’il vaut mieux l’adopter, la navette permettant d’en améliorer éventuellement la rédaction.
En fait, pour justifier votre amendement de suppression, vous nous donnez une explication globale. C’est tout de même un peu dommage. Une telle attitude ne favorise pas l’initiative parlementaire, à laquelle certains sont encore assez réticents. Si nous ne sommes pas encore un « hyper Parlement », le Sénat va contribuer ce soir à son avènement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alex Türk, pour explication de vote.
M. Alex Türk. Comme nous l’avions fait observer lors de notre première audition par M. Détraigne et Mme Escoffier, ce sont les juridictions elles-mêmes qui avaient demandé la possibilité d’intervention de la CNIL.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est autre chose ! Le problème, c’est que vous puissiez intervenir sans que les juridictions le demandent !
M. Alex Türk. Les juridictions font donc parfois appel à la CNIL, en recourant au statut de témoin ou à un autre statut.
Par ailleurs, si nous ne réglons pas cette question, l’une des parties pourra s’opposer à la présence de la CNIL alors que celle-ci peut être impliquée.
Cela étant dit, si une autre solution peut permettre de régler ce problème, elle est la bienvenue. En effet, les chefs de juridiction demandent très souvent à la CNIL un avis technique.
Je n’ai pas de tropisme particulier à l’égard de la HALDE. Je peux parfaitement comprendre qu’elle dispose de certaines prérogatives et que celles-ci ne soient pas également conférées à la CNIL.
M. le président. Je mets aux voix l'article 13.
(L'article 13 est adopté.)
Article 13 bis (nouveau)
L’article 72 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République française. » ;
2° Au second alinéa, les mots : « de ces collectivités » sont remplacés par les mots : « des collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74 ou du titre XIII de la Constitution ». – (Adopté.)
TITRE III
ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI
Article 14
(Non modifié)
La présente loi entre en vigueur six mois à compter de sa publication. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, à cette heure tardive, je serai bref.
Je souhaite simplement dire, au nom d’Anne-Marie Escoffier et en mon nom personnel, la satisfaction qui est la nôtre de voir l’équilibre auquel est parvenu ce texte, lequel adapte la législation fondatrice de 1978 aux défis nouveaux auxquels est confrontée notre société, avec la croissance exponentielle des mémoires et des applications numériques.
Nous devons, me semble-t-il, cet équilibre au travail du rapporteur de la commission des lois, notre collègue Christian Cointat, qui s’est parfaitement approprié la problématique du texte que nous avons déposé et a su le faire évoluer de telle sorte qu’il puisse recueillir l’assentiment d’un grand nombre de nos collègues.
Je souhaite que la navette permette encore de bonifier cette proposition de loi et que les dispositions dont nous sommes à l’origine viennent enrichir notre droit positif.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous venons d’examiner relève un défi difficile : il s’agit de répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de protection de leur vie privée, droit fondamental dans notre société de communication, tout en respectant la liberté des acteurs du numérique, secteur essentiel à la vie économique de notre pays.
Guidé par la volonté de parvenir à un équilibre entre ces deux enjeux, notre rapporteur a su faire montre de pragmatisme et de lucidité face à des sujets aussi complexes.
Afin de mieux protéger la vie privée de nos concitoyens, cette proposition de loi est fondée sur deux axes.
Tout d’abord, la protection de la vie privée est du ressort de chacun. Pour que les internautes soient à même de prévenir les dangers que font peser les différents outils numériques sur leur vie privée, il faut d’abord qu’ils en soient conscients. En ce sens, protection signifie responsabilisation et, donc, sensibilisation. C’est l’un des apports de cette proposition de loi, dont les membres du groupe UMP et moi-même nous réjouissons.
Ensuite, la protection des individus passe aussi par la consolidation de la loi informatique et libertés. À ce titre, plusieurs dispositions vont dans le bon sens. Je souligne notamment le renforcement des obligations d’information du responsable du traitement, la mise en place d’un véritable dispositif du droit à l’oubli ou encore la volonté de favoriser le dialogue entre la CNIL et les services expérimentant des traitements.
Cependant, le groupe UMP est conscient des limites que revêt ce texte. En effet, malgré l’excellent travail de nos collègues Mme Escoffier et M. Détraigne, notre volonté de légiférer en la matière se heurte à une double difficulté : en premier lieu, dans ce domaine et tout particulièrement en matière de compétence juridictionnelle, il nous paraît majeur qu’une réflexion soit menée à l’échelle internationale ; en second lieu, nous ne disposons pas encore du recul nécessaire pour appréhender de manière pleine et entière les conséquences de l’utilisation d’internet et notamment le développement des réseaux sociaux sur le long terme.
Malgré ces réserves, cette proposition de loi constitue à nos yeux une première avancée vers le développement d’un citoyen éclairé à l’heure du numérique. Pour ces raisons, le groupe UMP votera cette proposition de loi. (Mme Catherine Troendle applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Monsieur le président, mes chers collègues, lorsque nous avons eu connaissance de cette proposition de loi, c’est très spontanément que nous nous sommes sentis en accord avec le sens général de ce texte. En février dernier, à l’issue des travaux menés par la commission des lois, nous estimions que les choses évoluaient plutôt positivement. Or ce matin, quelle n’a pas été notre surprise de découvrir les propositions d’amendement du Gouvernement et le caractère extrêmement fermé qui les caractérisait !
Comme je l’ai dit au cours de la discussion générale, nous sommes restés vigilants tout au long de l’évolution du texte. Je dois le reconnaître, le rapporteur et les commissaires de la commission des lois n’ont pas modifié, durant la séance publique, les positions qu’ils avaient affichées au cours de la matinée.
Aussi, ces évolutions ont sérieusement fait retomber notre enthousiasme et nous ont conduits à envisager de nous abstenir sur ce texte – une abstention quelque peu négative –, position que nous adopterons finalement, même si toutes nos inquiétudes n’ont pas été entièrement dissipées.
Il a beaucoup été question de la navette. Mais encore faut-il que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ! Toujours est-il que nous serons extrêmement vigilants à ce qu’elle ne s’enlise pas dans les méandres du circuit parlementaire.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous aussi, nous nous en tiendrons à une abstention négative. Les réticences – c’est le moins qu’on puisse dire – dont a fait preuve le Gouvernement tout au long de l’examen de cette proposition de loi nous font craindre que, malheureusement, celle-ci n’aboutisse pas à grand-chose.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
20
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour un rappel au règlement.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, je voudrais exprimer mon très vif regret – et, d’une certaine manière, faire part de ma protestation – que nous abordions le débat préalable au Conseil européen à une heure aussi tardive et dans des conditions telles que seuls ceux qui y sont absolument contraints y prennent part.
Aussi, on ne peut plus véritablement parler d’un débat. Nous pourrions tout aussi bien déposer le texte de nos interventions pour une publication au Journal officiel, ce qui nous permettrait de gagner une heure. Tout cela est assez ridicule. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Un débat, même s’il se prolonge tardivement, intéresse dès lors qu’il est décisionnel. Or le débat qui nous réunit ce soir n’est pas décisionnel ; c’est un échange d’idées, de réflexions et d’informations. Et comme il n’a pas lieu à une heure « chrétienne », il n’intéresse que les spécialistes.
Tout cela est d’autant plus déplorable que les questions européennes ne sont pas des questions secondaires. L’Europe, une fois de plus, vit des heures d’une extrême gravité : nous ne savons pas comment se dénouera la crise grecque ni ce que feront ou ne feront pas les Allemands ou d’autres de nos partenaires. Devant une telle situation, il est déplorable que le Parlement ne puisse s’exprimer qu’à un horaire si tardif qu’il limite considérablement l’intérêt du débat, même si celui-ci conserve tout son attrait pour ceux qui sont présents ce soir.
Néanmoins, je remercie M. le secrétaire d'État de sa présence parmi nous pour partager ces réflexions. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, de l’UMP et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Blanc. Très bien, monsieur Fauchon !
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour un rappel au règlement.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon rappel au règlement a trait également à l’organisation de nos travaux.
Autant on peut dire que le Conseil européen qui se tiendra à la fin de cette semaine est à nouveau d’une grande importance, autant on peut s’interroger sur l’utilité de notre séance, puisque, en effet, comme nous l’avons déjà dénoncé à de multiples reprises pour le regretter vivement, ce débat n’a rien de contraignant pour le Gouvernement.
Pourtant, à la veille de ce Conseil, le Gouvernement avait de sérieuses raisons pour prendre le temps d’écouter, sinon d’entendre, ce que la représentation nationale a à proposer sur les sujets qui seront abordés lors du Conseil.
En effet, après la crise financière mondiale sans précédent que nous venons de connaître, il sera question de la nouvelle stratégie européenne pour la croissance et l’emploi, mais il sera question aussi du suivi de la conférence de Copenhague sur le changement climatique.
Ainsi, ce Conseil se tiendra dans le contexte de l’incapacité des différents pays d’Europe à s’entendre sur l’aide d’urgence à apporter à la Grèce et à proposer des solutions pour répondre aux dramatiques conséquences économiques et sociales engendrées par cette crise.
Non seulement, comme l’a souligné avec raison notre collègue Pierre Fauchon, ce débat se tient à une heure tardive, mais encore, pour la première fois au sein de notre assemblée, ce débat préalable sera l’occasion de réduire considérablement l’expression de certains groupes, à savoir le groupe de l’Union centriste, le RDSE et mon groupe, le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
Auparavant, même si nos discussions se déroulaient parfois en catimini, jusqu’à ne plus avoir lieu dans l’hémicycle, ce que nous avions déjà eu l’occasion de regretter, les groupes politiques disposaient d’un temps raisonnable pour s’exprimer. Aujourd’hui, avec la nouvelle organisation de ces débats, en répartissant des questions à la proportionnelle et en limitant celles-ci à deux minutes et demie, sous prétexte de rendre plus vivante la discussion, il n’est plus question d’échanger des arguments !
Aussi, bien que ce débat ne soit en rien contraignant, ce que nous regrettons vivement, comme je le disais au début de mon propos, je souhaite, par ce rappel au règlement, protester, au nom de mon groupe, contre cette nouvelle organisation de nos débats.
Monsieur le président, notre groupe s’est adressé au président de la commission des affaires européennes pour lui dire combien nous estimions que cette nouvelle organisation n’était pas satisfaisante. Nous avons fait des propositions d’organisation permettant à la fois le débat de fond, l’interactivité des débats et le droit d’expression de tous les groupes.
Je souhaite que la présidence du Sénat tienne compte de nos remarques et revoie cette formule pour le prochain débat préalable au Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – MM. Pierre Fauchon et Aymeri de Montesquiou applaudissent également.)
M. le président. Acte vous est donné de ces rappels au règlement, mes chers collègues.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur Fauchon, monsieur Billout, je ne peux qu’être en total accord avec vous. Je mesure comme vous tous et l’importance de la crise économique qui frappe l’Europe et l’urgence des mesures qui seront discutées cette semaine par les chefs d’État ou de gouvernement.
J’ai passé hier une longue journée à Bruxelles afin de préparer ce Conseil des affaires générales et relations extérieures, et je suis naturellement à la disposition du Sénat et de l’Assemblée nationale pour m’entretenir avec les parlementaires – et moi-même, je l’ai été fort longtemps – de l’ensemble de ces sujets.
Cela étant, monsieur Billout, je puis vous assurer que le Gouvernement n’est aucunement responsable de la façon dont a été organisé ce débat non plus que de son horaire tardif. Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je regrette que celui-ci débute à minuit, car, s’il avait eu lieu à une heure plus raisonnable, il aurait pu intéresser non seulement nombre de vos collègues, mais encore l’ensemble de nos concitoyens. Toujours est-il que le Parlement est souverain et que le Gouvernement est à sa disposition. Pour ma part, je suis là pour répondre à vos questions, et je vous présenterai dans une heure la position du gouvernement français à la veille de ce Conseil européen.
21
Débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 mars 2010
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 mars 2010 (demande de la commission des affaires européennes).
J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat sous la forme d’une série de dix questions-réponses réparties à la proportionnelle des groupes avec la réponse immédiate du Gouvernement. La durée de la discussion de chaque question est limitée à 5 minutes réparties de la manière suivante :
- question : 2 minutes 30
- réponse : 2 minutes 30
Puis le Gouvernement interviendra pendant 15 minutes.
La conférence des présidents a décidé d’attribuer quatre questions au groupe UMP, trois questions au groupe socialiste et une question aux groupes UC, CRC-SPG et RDSE.
Nous allons maintenant procéder à l’échange de questions-réponses.
La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe socialiste.
M. Richard Yung. Je souscris aux propos qu’ont tenus nos deux collègues. La manière dont sont organisés nos débats soulève un problème d’ordre général. Pour une fois, c’est vrai, le Gouvernement n’y est pour rien.
Parmi de nombreux points importants, la stratégie de Lisbonne visait à l’« amélioration quantitative et qualitative de l’emploi ». Aussi, je ne parlerai pas des aspects économiques et financiers ou du débat avec l’Allemagne, mais je centrerai ma question sur le travail et l’emploi.
Les objectifs en taux d’emploi que les États membres s’étaient fixés en 2000 n’ont pas été atteints. Les taux d’emploi ont certes connu une évolution positive, mais ils restent insuffisants et, surtout, très disparates selon les pays et selon les catégories sociales que l’on considère, qu’il s’agisse des classes d’âge – les seniors ou les jeunes – ou des catégories socioprofessionnelles.
L’objectif visant à créer des emplois de meilleure qualité, second objectif de la stratégie de Lisbonne, est également loin d’avoir été atteint. La hausse des taux d’emploi résulte pour l’essentiel de la croissance des contrats précaires – contrats à durée déterminée et intérim – et du temps partiel. Cette tendance touche tout particulièrement les femmes, les jeunes, les travailleurs âgés de 55 à 64 ans et les migrants.
Pourquoi en est-il ainsi ? Ces résultats relativement médiocres – malheureusement, ils ne sont pas isolés – trouvent leur origine dans l’infléchissement excessivement libéral de la politique européenne et de la stratégie de Lisbonne. L’emploi n’est plus une priorité. La Commission européenne et la plupart des gouvernements ont privilégié l’assouplissement du marché du travail et la réduction des coûts salariaux pour favoriser l’emploi. Je vous renvoie à cet égard au débat actuellement en cours avec l’Allemagne. Conséquence : le nombre de travailleurs pauvres est en hausse.
On a beaucoup parlé de « flexisécurité », mais pour n’en retenir que le préfixe, à savoir la flexibilité. Le suffixe, quant à lui – la sécurité – a été oublié.
M. le président. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. Richard Yung. Au vu de ce bilan critiquable, il est difficile de croire à la position officielle française, qui est l’amélioration de la qualité de l’emploi. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, quelles propositions concrètes entendez-vous présenter lors du prochain Conseil européen afin de résoudre le dilemme entre taux et qualité de l’emploi ? Proposerez-vous à nos partenaires de définir des standards européens relatifs à la qualité des emplois, de relancer les négociations sur le temps de travail et de réviser la directive sur le détachement des travailleurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur, au préalable, je vous remercie du travail que vous avez produit sur la réforme du Quai d’Orsay, plus particulièrement sur la protection de nos concitoyens à l’étranger. Votre contribution a été fort utile.
Vous m’interrogez sur l’équilibre à trouver entre l’objectif d’emploi et la qualité des emplois. La stratégie européenne pour la croissance et l’emploi, la stratégie UE 2020, ne fait pas l’économie d’une réflexion sur le dilemme auquel nous sommes confrontés pour atteindre ces deux objectifs. Les peuples européens attendent en effet de leurs gouvernements un leadership politique et que ceux-ci apportent rapidement des solutions et des réponses claires à leurs attentes.
La commission a proposé, dans sa communication en date du 3 mars, de dédier un des cinq grands objectifs de la future stratégie – je reviendrai sur ces objectifs tout à l’heure –, en mentionnant que 75 % de la population âgée de 20 à 64 ans devait avoir un emploi.
Elle est allée plus loin, notamment parce que les États, dont la France, l’ont poussée dans ce sens, en soulignant l’importance d’adapter le cadre législatif à l’évolution des formules de travail – le temps de travail, le détachement des travailleurs –, à la qualité de l’emploi et aux nouveaux risques pour la santé et la sécurité au travail.
Je rappelle à ce sujet que la qualité de l’emploi fait partie intégrante des objectifs de la France et de la stratégie européenne pour l’emploi s’agissant de la formation, des qualifications, des conditions de travail, de l’égalité entre les hommes et les femmes, de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, ainsi que de la non-discrimination.
La contribution française à la définition de la stratégie « Europe 2020 » a mis l’accent sur le caractère indissociable de l’objectif d’augmentation du taux d’emploi et de celui de qualité des emplois créés, afin notamment de lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres, que vous avez dénoncé à raison. Il y va de la cohésion de la société, tous les États s’accordent sur ce point.
La difficulté tient moins, vous le savez, aux objectifs que nous nous sommes fixés qu’à la capacité de l’Europe d’imposer sa compétitivité face aux autres grands pôles économiques. Nous reviendrons sur ce point tout à l’heure.
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour le groupe du RDSE.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lancée en 2000, la stratégie de Lisbonne visait à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ». Cette promesse n’a pas été tenue et elle ne l’aurait pas été sans la crise.
La Commission européenne a dévoilé son nouveau plan pour la décennie à venir. Il sera au centre des débats du Conseil européen des 25 et 26 mars prochains. Sitôt sa présentation par José Manuel Barroso achevée, le manque d’envergure et l’aspect incantatoire de la stratégie « Europe 2020 » furent flagrants.
Une forte impression de « déjà vu » se dégage en effet du texte de la Commission. Voilà dix ans, déjà, l’investissement de 3 % du PIB dans la recherche et développement, la R&D, était un objectif central de la stratégie de Lisbonne ! Aujourd’hui, nous en sommes encore loin !
En effet, les dépenses dans ce domaine n’ont progressé que très légèrement, passant de 1,82 % en 2000 à 1,9 % en 2008. Aujourd’hui, l’Union s’essouffle loin derrière les États-Unis et le Japon, qui consacrent respectivement 2,7 % et 3,4 % de leur PIB à ce secteur. Il y a de quoi être non seulement sceptique, mais aussi très inquiet !
L’Europe possède pourtant de nombreux atouts – une main-d’œuvre qualifiée, une base technologique et industrielle puissante, un marché intérieur et une monnaie unique qui ont permis de résister aux pires effets de la crise, une économie sociale et de marché qui a fait ses preuves –, mais elle ne pourra tirer avantage de ses atouts et rester compétitive face à ses concurrents traditionnels et aux économies dites émergentes sans investir massivement dans la recherche et les technologies.
Il faut cibler la politique de R&D et d’innovation sur des objectifs multiples. Nous devons tous les concrétiser, en prenant en compte la pollution, l’efficacité énergétique, la santé et les mutations démographiques. La pression budgétaire ne doit pas nous faire renoncer ; elle doit au contraire nous inciter à rationaliser notre action.
Certains de nos partenaires européens l’ont bien compris : ainsi, l’Allemagne, dont la dépense de R&D atteint 2,5 %, ou encore la Finlande et la Suède, avec 3,5 %.
Il semble que lors du Conseil des affaires économiques et financières qui s’est tenu le 16 mars, certains ministres des finances se soient montrés réticents à considérer les dépenses comme un critère de mesure de la R&D et de l’innovation. Le Conseil a d’ailleurs appelé à une réflexion urgente sur un indicateur plus large.
Est-ce à dire que l’objectif chiffré de 3% pourrait ne pas être retenu ? Ce serait une régression par rapport à la stratégie de Lisbonne ! Enfermée dans de trop nombreuses contraintes, la stratégie « Europe 2020 » ne sera-t-elle qu’une nouvelle pétition de principe ?
Je serais heureux, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous rassuriez sur ce point.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur de Montesquiou, vous n’avez pas tort de dénoncer le caractère incantatoire des objectifs qui sont affichés et le risque qu’ils ne soient pas observés dans la réalité.
L’objectif de 3 % de la stratégie de Lisbonne n’a pas été respecté. La moyenne actuelle de la dépense de R&D en Europe est en effet de 2 % – c’est insuffisant –, contre 2,6 % aux États-Unis et 3,4 % au Japon. Il est bien évident que si nous perdons le combat sur la R&D et l’innovation, nous ne pourrons qu’être inquiets sur l’avenir des économies européennes.
C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 », au-delà des objectifs quantitatifs, sont mis en place un certain nombre d’instruments sur lesquels nous espérons pouvoir nous appuyer pour conduire des actions concrètes.
D’abord, l’accent est mis sur l’innovation afin de ne pas devoir se limiter à un objectif strictement quantitatif. La nouvelle stratégie doit pouvoir s’appuyer sur des actions concrètes. Je pense, par exemple, à l’adoption d’un agenda de recherche axé sur la sécurité énergétique, les transports, le changement climatique, ou encore sur la santé et le vieillissement.
Je pense également à l’amélioration de la compétitivité des entreprises et, c’est un point très important, à l’harmonisation de la législation en matière de brevet. De ce point de vue, je peux vous assurer que l’élection récente d’un Français, M. Benoît Battistelli, à la présidence de l’Office européen des brevets – nous y avons beaucoup travaillé avec Mme Christine Lagarde – est un véritable succès pour nous tous.
Je pense enfin à la mise en cohérence de tous les instruments financiers de l’Union : les fonds structurels, bien sûr, mais aussi les programmes de la Banque européenne d’investissement, la BEI, qui a joué un rôle majeur pendant la crise financière pour continuer à alimenter en crédits les PME.
J’ajoute que les dépenses européennes de R&D seront, au même titre que la PAC, la politique de cohésion ou les ressources du budget européen, l’un des grands enjeux des prochaines perspectives financières.
Monsieur le sénateur, la France est bien sûr totalement mobilisée sur l’objectif d’innovation. C’est tout le sens de la stratégie du grand emprunt. J’ajoute que le président Van Rompuy a annoncé hier soir son souhait de réunir, au mois d’octobre, un Conseil européen spécialement dédié à l’innovation.
J’espère, comme vous, que ces objectifs quantitatifs seront suivis d’effets.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la nouvelle stratégie européenne pour l’emploi et la croissance, que l’on appelle stratégie « Europe 2020 », sera au centre des discussions du Conseil européen de cette semaine.
Elle se veut une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive. Qui pourrait critiquer un tel programme ?
Toutefois, elle souffre d’un grave handicap : elle succède à la stratégie de Lisbonne. Or, la seule évocation de la stratégie de Lisbonne a aujourd’hui un effet de repoussoir et ne suscite que scepticisme. Faut-il rappeler que cette stratégie visait à faire de l’Union européenne en 2010 la zone la plus dynamique et la plus compétitive du monde ? On ne sait aujourd’hui s’il faut en rire ou en pleurer.
De toute évidence, l’Union européenne ne doit pas et ne peut pas se tromper une deuxième fois sur un sujet d’une telle importance. C’est pourquoi il est indispensable de dégager les raisons de l’échec de la stratégie de Lisbonne et de vérifier qu’on y apporte des réponses satisfaisantes.
Pour ma part, je vois deux raisons majeures à l’échec de la stratégie de Lisbonne : d’une part, l’absence d’une gouvernance suffisante et, d’autre part, le manque d’une réelle appropriation par chacun des États membres.
Pour ce qui concerne la gouvernance, j’ai cru comprendre que le Conseil européen en serait désormais chargé et qu’il aurait des débats réguliers sur ce sujet afin d’assurer un suivi continu. Cela paraît une bonne réponse.
J’en viens à l’appropriation nationale.
La stratégie de Lisbonne définissait des objectifs généraux alors que la nouvelle stratégie repose aussi sur des objectifs nationaux définis par chaque État membre en fonction de sa situation. Cela devrait favoriser l’appropriation nationale.
Mais, dans le même temps, une question se pose : comment le Gouvernement entend-il fixer les objectifs quantitatifs pour la France ? A-t-il prévu d’organiser un débat sur ce sujet devant l’Assemblée nationale et le Sénat ?
On ne saurait en effet, à mon sens, envisager une véritable appropriation nationale si l’exécutif arrêtait seul ces objectifs sans un véritable débat parlementaire.
On peut d’ailleurs poser la même question pour les objectifs européens de la nouvelle stratégie.
Mme Merkel a écrit aux présidents de la Commission, du Conseil européen et du Parlement européen pour les informer qu’elle ne pourrait souscrire aux objectifs européens proposés sans un débat préalable au sein du Parlement allemand. Il semble que, de ce fait, ces objectifs ne seront pas adoptés cette semaine.
La France ne devrait-elle pas agir de même ? J’irai plus loin : n’y aurait-il pas là un sujet idéal pour un travail parlementaire commun aux parlements français et allemand ? Ce serait une bonne application concrète de la coopération plus étroite entre les parlements de nos deux pays que le conseil des ministres franco-allemand appelait de ses vœux voilà quelques semaines.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Bizet, vous avez souligné à juste titre que la stratégie « Europe 2020 » pour la croissance et l’emploi est une chose que nous devons nous approprier collectivement. Nous devons la prendre très au sérieux à l’heure où nous traversons la crise la plus grave depuis 1929. L’Union européenne, je le dis très solennellement, ne peut pas se permettre d’échouer et de reproduire les erreurs, de nature bureaucratique notamment, qui ont émaillé la stratégie de Lisbonne.
Nous avons donc besoin d’une nouvelle gouvernance, d’une appropriation visible, lisible par nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle le président Van Rompuy, en accord bien sûr avec les chefs d’État ou de gouvernement, a adopté une approche qui va du haut vers le bas. Cette démarche privilégie une appropriation politique des objectifs et de la méthode au résultat de compromis bureaucratiques qui remonteraient d’organes plus ou moins légitimes sur le plan démocratique.
Vous soulignez également à raison l’importance de l’appropriation nationale de cette nouvelle stratégie. Pour l’heure, nous n’en sommes, à l’échelon européen, qu’à un stade très préliminaire, s’agissant de l’élaboration des outils, des indicateurs, des modalités de contrôle des objectifs. Le travail ne fait que commencer.
Le Gouvernement considère que la représentation parlementaire doit bien sûr être totalement impliquée dans la définition et le suivi de la nouvelle stratégie. Nous avons besoin, je le dis souvent, de construire une « équipe de France » soudée pour traiter l’ensemble de ces questions.
En qualité de responsable des affaires européennes, j’ai reçu tous les syndicats – c’est assez rare pour être souligné –afin que les formations syndicales soient, si j’ose dire, intégrées dans la boucle et qu’elles contribuent à la préparation de ces objectifs.
L’élaboration d’un rapport parlementaire commun de la France et de l’Allemagne sur la stratégie « Europe 2020 » constitue bien évidemment une excellente idée. Je renvoie la décision à votre assemblée. Mais je rappelle que l’agenda franco-allemand de 2020, adopté par le conseil des ministres franco-allemand, sur lequel mon homologue allemand et moi-même avions beaucoup travaillé, avait « encouragé les parlements [qui sont bien évidemment souverains] à envisager des étapes supplémentaires pour une coopération plus étroite, qui pourraient notamment inclure la rédaction de rapports parlementaires en commun ».
Comme vous l’avez suggéré, la stratégie « Europe 2020 » pour la croissance et l’emploi est le type même de l’exercice en commun qu’il faudra mener. Dans le contexte actuel, ce serait très utile entre la France et l’Allemagne.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC-SPG.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois encore, l’Union européenne fait le grand écart entre les paroles et les actes en matière de régulation financière.
Toutes les surenchères ont été faites pour dénoncer le système fou de la spéculation déconnecté de la réalité. Mais à l’heure des mesures nécessaires, les dirigeants européens reculent de nouveau. Preuve en est le projet de directive visant à réguler les fonds spéculatifs, retiré pour ne pas froisser les marchés britanniques à l’aube d’élections législatives qui s’annoncent difficiles pour Gordon Brown. Une question simple et légitime s’impose donc : les États membres souhaitent-ils vraiment un accord ?
Pendant que les fonds spéculatifs emplissent les poches de quelques boursicoteurs, les peuples européens sont appelés à se serrer la ceinture, au premier rang desquels nos amis grecs, qui doivent subir des réductions de salaires, de pensions, de services publics, lesquelles engendrent d’importantes manifestations.
Le sommet des 25 et 26 mars sera donc crucial pour la Grèce : soit les chefs d’État s’accordent sur une aide financière à des taux d’intérêt non prohibitifs, car les taux d’intérêt que la Grèce doit aujourd’hui payer pour emprunter sur les marchés et financer ses déficits – plus de 6 % – sont intenables et contribuent à l’enfoncer dans la crise ; soit, devant l’égoïsme de ses partenaires, la Grèce n’aura d’autre recours que de s’adresser au FMI, dont les taux d’emprunt sont plus favorables, marquant ainsi l’échec de la politique monétaire européenne ! Le comble est que le président de la Commission européenne serait favorable à une telle solution !
Quant à l’Allemagne, sa position est encore plus inquiétante puisqu’elle évoque la possibilité d’exclure de la zone euro les pays jugés trop permissifs en matière de déficit, visant en premier lieu la Grèce, mais également le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la France…
Les décisions qui seront prises lors de ce sommet seront donc cruciales pour le peuple grec, mais elles détermineront également la conception que nous souhaitons donner à l’Europe.
Pour le groupe CRC-SPG, il faut rompre avec le dogme de l’Europe libérale, rejetée par la majorité des votants lors des référendums en France, aux Pays-Bas et en Irlande. Ni l’Union européenne ni les gouvernements de ces pays n’ont respecté les décisions des citoyens ; ils ont, au contraire, continué de mettre en œuvre les mêmes orientations, dont les conséquences désastreuses sont aujourd’hui payées par les peuples européens !
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, ne devrions-nous pas tirer les leçons de l’échec de l’Europe libérale, pour porter une Europe des peuples, en proposant de remplacer le pacte de stabilité et de croissance, devenu obsolète, par un pacte de solidarité sociale pour l’emploi et la formation, pour la lutte contre la pauvreté – en garantissant un revenu minimal pour tous – et pour l’arrêt de la flexibilisation du marché du travail ?
Ne serait-il pas temps de redéfinir le rôle de la Banque centrale européenne afin qu’elle intègre, grâce à l’impulsion d’un nouveau type de crédit, des objectifs de croissance, d’emploi, et pas seulement de stabilité des prix ?
Quant aux promesses du G20 de refonte des institutions de la zone euro et du système financier international, ont-elles été jetées aux oubliettes ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Si je ne partage pas vos conclusions sur bien des points, madame David, je vous rejoins en revanche sur le constat que le capitalisme et l’économie de marché ne doivent pas se transformer en casino, qu’ils doivent être encadrés par des règles, et que la cécité, la dérégulation et la rapacité, causes de la crise de 1929, sont également à l’origine de celle de 2008.
Cependant, je ne pense pas qu’il faille remplacer le pacte de stabilité par je ne sais quelle économie…
Mme Annie David. Certes !
Mme Annie David. Un pacte social !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Comme l’ont dit la chancelière Merkel et le président de la République française, cette crise de 2008 a fait ressortir le besoin de moraliser le capitalisme, mais surtout d’organiser un système de régulation financière adapté à des transactions mondialisées.
Même s’il reste beaucoup à faire, des progrès non négligeables ont été accomplis depuis 2008, notamment au niveau du G20, réuni pour la première fois sous la présidence française de l’Union, sur l’initiative de Nicolas Sarkozy. Au sein de cette enceinte, que la France présidera en 2011, et dont le premier mérite est de constituer un cadre de discussion, a été décidé l’encadrement des rémunérations, avec en particulier l’interdiction des bonus garantis supérieurs à un an, l’étalement dans le temps des rémunérations variables, l’instauration d’un système de malus, ou encore la limitation des bonus par rapport aux revenus totaux de la banque. Autant de choses qu’il était impensable de réaliser voilà encore deux ans.
Je pense également à la lutte contre les juridictions dites non coopératives. Soulignons l’établissement par l’OCDE d’une « liste noire » et l’adoption de sanctions contre les États qui refuseraient de se soumettre aux standards internationaux, alors que personne ne pensait pouvoir réguler les « paradis fiscaux » il y a deux ans.
Tous les grands centres financiers du G20, y compris les États-Unis, ont également réaffirmé l’engagement pris à Londres de mettre en œuvre, au plus tard le 1er janvier 2011, les accords dits de Bâle 2 en matière de supervision bancaire.
L’Union européenne s’est aussi dotée d’une législation de pointe en la matière, avec l’adoption, sous présidence suédoise, en 2009, d’un nouveau cadre de supervision financière. Le volet macroéconomique de ce cadre a été adopté en octobre, avec la création d’un Comité européen du risque systémique, chargé de dépister les grands risques. Quant au volet microéconomique, il a été adopté en décembre, grâce à la transformation des « comités de superviseurs » en « autorités » dotées de pouvoirs contraignants.
Bien sûr, il reste beaucoup à faire. Je pense à l’adoption de la directive sur l’encadrement des hedge funds, qui a été retardée en raison des difficultés rencontrées à Londres à la veille des élections. Je pense aussi, à la lumière de la crise grecque, à l’adoption rapide d’une législation sur les produits dérivés de crédits, les fameux CDS, comme l’ont demandé la France, le Royaume-Uni, la Grèce et le Luxembourg dans une lettre commune adressée le 11 mars au président de la Commission.
Je suis absolument convaincu que la seule façon de remédier définitivement à ce type d’attaques, qu’elles soient dirigées contre les institutions financières, ce qui était le cas avant 2008, ou contre les États, comme c’est le cas aujourd’hui, est de mettre fin à l’impunité de ce type de spéculateurs. Cela commence par la transparence, et c’est le sens des propositions que la France a présentées hier en vue de la préparation de ce Conseil.
Je vous le redis, madame la sénatrice : sur le constat, sur les formes, nous sommes en phase ; sur les conclusions, nous sommes en droit de diverger.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour le groupe de l’Union centriste.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise grecque est de toute évidence une épreuve sérieuse, qui pourrait même devenir tragique pour la construction européenne.
Comment en sommes-nous arrivés là, alors que les traités étaient censés nous mettre à l’abri de ce type de problèmes ?
Vous comprendrez que je n’évoque pas la crise de 1929 de la même manière que mes prédécesseurs. Bien que je sois peut-être le seul dans cette assemblée à l’avoir vécue, je vous avoue que je n’en conserve qu’un souvenir assez confus… (Sourires.)
Pour la présente crise, nous savons tous que la précision des statistiques a ses limites. Il s’agit en l’occurrence de tout autre chose : le déficit grec était réputé atteindre 6 % du PIB ; il s’est avéré être de 12 % en réalité, soit le double, ce qui est incroyable !
Si un pareil écart a pu apparaître subitement, c’est nécessairement parce que les comptes publics étaient falsifiés depuis longtemps. Autant que je sache, il s’agissait d’un secret de polichinelle, que tous les gens correctement informés connaissaient.
Or il existe tout de même un gardien des traités, une instance exécutive chargée de veiller au respect des obligations des États membres, et ce depuis le début de la construction européenne et le traité de Rome, et donc bien avant le traité de Lisbonne. Je veux parler bien entendu de la Commission européenne.
De même, la Banque centrale est également gardienne de notre monnaie commune.
Je vous le demande, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État : est-il concevable que ces deux institutions n’aient pas soupçonné le manque de sincérité des statistiques grecques durant aussi longtemps ? J’en doute… Et si elles avaient de sérieux doutes, voire des certitudes, pourquoi n’ont-elles rien dit, au risque de laisser s’aggraver le mal ? Et que penser de l’Eurogroupe, censé superviser ces institutions ? À quoi sert-il ? Que faisait-il ? Est-ce qu’il dormait ?
Soyons clairs : si ces institutions savaient, elles sont complices de cette débâcle, je le dis fermement. Si elles ne savaient pas, elles n’ont pas fait leur travail. Dans tous les cas, il faut faire en sorte que de pareils manquements ne puissent plus se reproduire.
D’où ma question, monsieur le secrétaire d’État : qu’envisage-t-on pour garantir désormais la sincérité des comptes dans la zone euro, et pour assurer une information fiable dans ce domaine ?
Faut-il changer le statut d’Eurostat ? Son indépendance et ses capacités d’enquête doivent-elles être renforcées ? Sans doute. Faut-il accorder davantage de capacités d’expertise et de moyens d’action à l’Eurogroupe, que préside M. Juncker ? Sans doute également. Faut-il prendre ici ou là quelques sanctions, ou au moins adresser des blâmes ou exprimer des regrets ? Ce serait le minimum !
Il me semble en tout cas que l’ensemble du dispositif mérite d’être repensé. Il faut passer d’un régime de complaisance à un régime de vigilance. Que compte faire le Gouvernement à cet égard ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Fauchon, je vais répondre à votre colère par des arguments aussi factuels que possible.
L’explosion du déficit et de la dette publique de la Grèce constitue l’une des causes du déclenchement, au début de l’année 2010, des attaques spéculatives sur les cours des obligations souveraines et des primes d’assurance contre le défaut de paiement de ce pays. Ces attaques spéculatives ont certainement été encouragées par les lourdes incertitudes qui pesaient sur la qualité des statistiques publiques grecques, qui avaient d’ailleurs déjà été mises en cause par le passé, en 2004.
Les marchés financiers ont joué dans cette affaire un jeu particulièrement malsain, alimenté par le fonctionnement opaque du marché des produits dérivés, l’absence totale de régulation dans ce domaine et le comportement prédateur de certains opérateurs, notamment les hedge funds.
Confronté à cette situation, le gouvernement grec a pris une série d’obligations fortes devant le reste de l’Union européenne, laquelle, en réponse à ces engagements, a pris immédiatement ses responsabilités politiques – c’était le sens de la précédente réunion du Conseil exceptionnelle du 11 février dernier, sur l’initiative de Herman Van Rompuy. Nous avons adopté une déclaration politique et nous travaillons en ce moment même à la mise en place d’un dispositif.
Comme je l’ai indiqué, les chefs d’État ou de gouvernement de la France, de l’Allemagne, du Luxembourg et de la Grèce ont demandé le 11 mars dernier au président de la Commission de doter rapidement l’Europe d’un système de réglementation efficace des dérivés de crédit, les fameux CDS.
Pour répondre à votre question sur l’Eurogroupe, je tiens à souligner que lorsqu’il se réunit au niveau ministériel, il joue un rôle d’appui technique majeur, en identifiant les instruments permettant une action coordonnée éventuelle des États membres – c’est l’objectif de la réunion qui s’est tenue le 15 mars dernier.
Comme vous le savez, le Président de la République et le chef du gouvernement espagnol ont appelé aujourd’hui même les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro à se réunir juste avant le Conseil européen.
En ce qui concerne, enfin, les statistiques, la question principale posée par la Grèce est celle du renforcement de la qualité et de la fiabilité des statistiques fournies par les offices statistiques des États membres. Ces derniers doivent accepter de coopérer. Le Conseil européen de mars insistera d’ailleurs sur ce point, en appelant notamment à un accord rapide sur l’amélioration du dispositif, à partir des propositions récemment faites par la Commission.
M. Pierre Fauchon. Ce n’est pas vraiment une réponse. Je reste sur ma faim !
M. le président. La parole est à M. Roland Ries, pour le groupe socialiste.
M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 25 et 26 mars prochains abordera tout particulièrement la récente proposition de la Commission sur une stratégie européenne globale à l’horizon 2020.
Dans l’espoir de tirer les leçons de nos expériences passées, je souhaiterais revenir rapidement sur l’échec de la stratégie de Lisbonne. Celle-ci avait pour objectif, d’ici à 2010, de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Les objectifs étaient nobles, mais, force est de le constater, dix ans après son lancement, la stratégie n’a pas atteint ses objectifs.
Selon la Commission européenne et certains gouvernements des États membres, l’échec de cette stratégie s’expliquerait avant tout par la crise économique et financière qui a frappé de plein fouet l’ensemble des pays de l’Union. Je crains, hélas ! que la crise n’excuse pas tout. La stratégie de Lisbonne avait en réalité largement échoué avant l’apparition de la crise, la Commission européenne et le Conseil ayant en effet privilégié depuis 2005 la dérégulation et la libre concurrence au détriment des volets social et environnemental.
Le groupe socialiste du Sénat reste, au contraire, persuadé que l’idée originelle de la stratégie voulue par les sociaux-démocrates européens à l’époque, à savoir l’interdépendance étroite entre les logiques d’efficacité économique, de justice sociale et de développement durable, offrait le meilleur équilibre pour parvenir à l’objectif qui était le sien.
Alors, certes, le nouvel objectif de « croissance intelligente, durable et inclusive » de la stratégie 2020 semble aller dans ce sens. Mais, là encore, je crains qu’il n’y ait loin de la coupe aux lèvres ! Visiblement, la Commission n’a pour l’instant guère d’ambition sur le volet social. Elle fixe par exemple un objectif général de réduction de la pauvreté, mais sans s’en donner véritablement les moyens à travers des propositions concrètes. Elle n’entend toujours pas protéger les services publics, qui sont pourtant des instruments clés en la matière. C’est la raison pour laquelle je souhaiterais connaître, monsieur le secrétaire d’État, la position que vous entendez défendre lors du Conseil, tout particulièrement en ce qui concerne le pilier social, condition inévitable de réussite de cette nouvelle stratégie et, plus généralement, du projet européen. Je vous remercie par avance de votre réponse.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Ries, votre collègue M. Yung m’ayant posé tout à l’heure une question très voisine, je ne réitérerai pas les propos que j’ai alors tenus, afin de ne pas prolonger le débat à cette heure avancée.
En ce qui concerne les objectifs quantitatifs et la qualité des emplois, qui ont fait l’objet de la question précédente, je rappellerai simplement l’objectif quantitatif : 75 % de la population âgée de 20 à 64 ans devrait avoir un emploi. Il faut y arriver, d’où mon souci d’intégrer la contribution des organisations syndicales pour que cela ne reste pas un vœu pieux et que l’ensemble des forces sociales soit associé en permanence à la réalisation de ces objectifs.
S’agissant de l’objectif relatif à la pauvreté, il conviendrait, d’après la Commission, de réduire de 20 millions le nombre de personnes menacées par la pauvreté.
La France soutient ces objectifs et considère qu’il est politiquement très important d’envoyer ce signal, surtout dans une Europe touchée de plein fouet par la crise.
Pour être très franc avec vous, l’ennui c’est qu’il n’existe pas de consensus aujourd’hui au sein du Conseil sur ces objectifs et encore moins sur les critères à mettre en place pour leur mise en œuvre.
En déclinaison de ces objectifs, la Commission a proposé, dans le domaine de l’emploi, d’élaborer une stratégie pour les nouvelles compétences et les nouveaux emplois, de mieux mobiliser les fonds structurels et, en matière de pauvreté, de mettre en place toute une série de dispositifs.
La Commission a notamment proposé de mettre en œuvre une plateforme européenne contre la pauvreté avec des propositions concrètes à la clé : la mobilisation ciblée du fonds social européen, la lutte contre les discriminations, par exemple à l’égard des handicapés, la mise en place d’une nouvelle stratégie pour l’intégration des immigrants, tout en renvoyant les États membres à leurs responsabilités pour la prise de mesures répondant aux particularités des groupes à risques, qu’il s’agisse notamment des familles monoparentales, des minorités et des Roms. La discussion sur ce point ne fait que commencer et je vous mentirais si je vous disais qu’il existe un consensus.
Vous l’avez compris, la France travaille sur ces objectifs, mais la vérité m’oblige à dire que nous ne sommes qu’au début d’un processus.
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, pour le groupe UMP.
M. Jacques Blanc. Monsieur le secrétaire d’État, ma question portera exclusivement sur l’objectif de cohésion territoriale, dont la présence me paraît tout à fait insuffisante dans les grands objectifs de 2020.
On nous parle de « croissance intelligence », d’accord ; de « croissance durable », bien sûr ; de « croissance inclusive », c’est complexe, mais on évoque simplement la « cohésion territoriale ». Or il s’agissait d’une ambition nouvelle du traité de Lisbonne. Je souhaiterais savoir ce que vous allez faire pour que soit introduite dans les grands objectifs et dans le grand débat qui va avoir lieu cette exigence de cohésion territoriale, qui suppose d’ailleurs des propositions budgétaires dans le cadre de la cohésion d’une vraie politique régionale. C’est un enjeu majeur pour notre pays.
Par ailleurs, comme mon collègue Pierre Fauchon, je souhaite soulever le problème de la Grèce.
Monsieur le secrétaire d’État, comment la France va-t-elle pouvoir apporter un concours important pour sauver l’Union pour la Méditerranée et donner à la Grèce les moyens de sortir de l’impasse ? Il s’agit d’un enjeu pour l’Union pour la Méditerranée mais aussi d’un enjeu d’équilibre global de l’Union européenne.
Si on laisse penser que demain un pays peut sortir de l’union monétaire et de l’euro, si on laisse penser que demain, quelles que soient les situations que notre ami Pierre Fauchon dénonçait à juste titre, on peut laisser tomber un pays méditerranéen, on perd une chance et une ambition pour l’Europe.
J’aimerais savoir ce que la France va faire, eu égard en particulier aux déclarations de la chancelière allemande qui nous ont beaucoup inquiétés.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Jacques Blanc, vous avez soulevé beaucoup de questions dans votre intervention. Vous avez parlé d’une question portant « exclusivement » sur les fonds structurels et vous avez évoqué, ensuite, l’Union pour la Méditerranée et, enfin, une affaire assez sensible, la préparation de la décision franco-allemande sur la crise monétaire.
S’agissant de votre première question, à savoir la cohésion territoriale, la Commission, dans sa communication du 3 mars, prévoit explicitement que « la cohésion économique, sociale et territoriale demeurera au cœur de la stratégie Europe 2020. La politique de cohésion et les fonds structurels constitueront des mécanismes primordiaux en vue d’atteindre les objectifs prioritaires d’une croissance intelligente, durable et inclusive au niveau des États membres et des régions. » C’est le sabir de la Commission, je préfère ne pas me prononcer sur la terminologie. (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. Sublime !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Il me paraît nécessaire d’insister sur le fait que les fonds structurels sont très importants, j’en sais quelque chose puisque nous les avons fait jouer très récemment lors de la tempête de Xynthia où la participation de la Commission a été rapide.
La France est très attachée à ce système qu’elle souhaite voir perdurer dans les prochaines perspectives financières sur lesquelles les négociations ont commencé. Pierre Lequiller, à l’Assemblée nationale, vient de formuler des propositions fort intéressantes qui vont alimenter le débat sur ce sujet, mais, là aussi, nous sommes au début de la phase suivante post-2013.
S’agissant de cohésion territoriale, j’ai hier, au nom de la France, insisté pour que la politique agricole commune figure comme l’un des piliers essentiels de cette stratégie de l’emploi et de la croissance pour 2020, parce que c’est une politique structurante au niveau européen et qu’elle est génératrice d’emplois et de richesses pour tous les États membres.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Enfin, concernant l’Union pour la Méditerranée, les choses progressent depuis l’adoption des statuts du secrétariat le 3 mars dernier et l’installation du nouveau secrétaire général.
Nous nous employons actuellement, grâce à une réunion qui aura lieu dans quelques jours, à permettre une montée en puissance progressive des activités de l’Union pour la Méditerranée en matière d’eau, d’environnement, de développement urbain durable. Des réunions sont programmées et des groupes de travail sont mis en place.
Monsieur le sénateur, je ne voudrais pas terminer sans mentionner le rôle de l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne pour la création de laquelle je sais le rôle que vous avez joué.
S’agissant de l’exclusion de la Grèce de la zone euro, je préfère, à ce stade, vous dire que tout cela tient, bien sûr, de la fantaisie.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. N’alimentons pas par nos querelles le jeu des spéculateurs. Je suis convaincu qu’une solution sera trouvée entre la France et l’Allemagne, je sais la sagesse de nos peuples, la convergence de nos économies et je suis confiant.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Pour avoir travaillé à l’amitié franco-allemande tout au long des derniers mois, je n’ai pas de doute sur la solidité de la sortie de cette crise.
M. Jacques Blanc. Vous nous rassurez, monsieur le secrétaire d’État !
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour le groupe socialiste.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour des millions d’Européens confrontés au chômage et à la précarité, l’impact social de la crise financière se révèle source d’angoisse.
Face à ce constat de crise, l’Europe se montre-t-elle à la hauteur ? Nous avons le sentiment que non. Plus les mois passent, plus les dysfonctionnements de gouvernance économique sont patents : défaillance de la surveillance budgétaire – nous avons évoqué ce point tout à l’heure –, insuffisances de la discussion économique, absence de mécanisme de gestion des crises, etc.
Pourtant, eu égard à l’article 122-2 du nouveau traité consolidé issu du traité de Lisbonne, l’Union européenne dispose d’instruments légaux d’intervention, en particulier pour soutenir les pays de la zone euro exposés à des attaques spéculatives.
Une véritable gouvernance économique commune doit pouvoir s’appuyer sur une réelle solidarité politique, économique et financière entre les États membres et, de notre point de vue, trois outils pourraient être activés à cette fin.
Il s’agit, en premier lieu, de la mutualisation de la dette souveraine des pays en difficultés, les pays qui peuvent emprunter à bas coût pouvant acheter les obligations des États en difficultés.
Il s’agit, en deuxième lieu, du recours à un emprunt européen dont les ressources seraient distribuées en fonction des nécessités, avec en appui la Banque européenne d’investissement ou l’utilisation des opportunités des grands pays européens, qui pourraient garantir les émissions obligataires.
Il s’agit, en troisième lieu, de l’élargissement des actifs acceptés comme contreparties de la liquidité par la BCE, pour qu’elle puisse acheter des obligations des pays attaqués. C’est ce qui avait été fait pour les banques privées.
Comme mes collègues, j’observe que, à ce jour, aucun accord n’a été trouvé sur les hedge funds. Il y a, là encore, une occasion manquée en faveur de plus de régulation financière, ce qui nous rappelle le fossé séparant aujourd’hui encore les discours des actes.
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : quel regard portez-vous sur les solutions concrètes que je viens d’évoquer et sur lesquelles nous travaillons avec certains de nos collègues européens ?
Sachant que vous utilisez par ailleurs depuis quelques semaines l’expression « gouvernement économique », j’aimerais savoir ce qu’elle signifie exactement à vos yeux. Quelles propositions vous apprêtez-vous à formuler pour donner un réel contenu à l’ambition affichée par cette expression ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous m’embarrassez doublement, non pas sur le fond, mais en raison de l’actualité qui nous concerne aujourd’hui.
En premier lieu, nous sommes à la veille d’un Conseil européen dont l’objectif n’est pas de traiter de la crise monétaire. Celle-ci relève de la zone euro, donc de l’Eurogroupe, ce n’est pas directement l’affaire du Conseil des Vingt-Sept.
En second lieu, vous n’êtes pas sans savoir que tout ce qui est dit en ce moment par les gouvernements peut être utilisé par les spéculateurs, à l’affût de tout ce qui se dit ici ou là. Tout ce qui donne l’impression d’une confusion ou d’une cacophonie ne sert que la spéculation.
Par conséquent, n’attendez pas de moi que j’entre dans le détail d’une discussion qui a lieu en ce moment même entre les gouvernements en vue de trouver une solution de sortie de crise où les Européens sont ensemble. Dans quelles conditions, avec quels mécanismes ? Les chefs d’État et M. Juncker se sont exprimés, je n’entends pas ce soir en rajouter dans ce domaine.
Ce qui est clair, c’est que le dispositif installé par le traité de Maastricht, la zone euro, la monnaie unique, a toujours été conçu comme un système d’autodiscipline. Il est interdit dans le traité de renflouer l’un des États membres, c’est la fameuse clause du « no bail out ». Chaque État est censé s’autodiscipliner avec deux marqueurs, la fameuse règle de 3 % de déficit public et 60 % d’endettement. Ces marqueurs ont volé en éclat avec la crise et ceux-là mêmes qui ont été renfloués par les États attaquent aujourd’hui la dette souveraine des États et les assurances sur celle-ci. C’est une affaire extrêmement grave.
Un certain nombre de propositions sont formulées pour le court terme et le moyen terme, je pense par exemple à celles de M. Schaüble. Beaucoup de gens se sont exprimés. J’ai entendu vos idées et vos propositions. Je ne peux pas ici, ce soir, à quelques jours du Conseil, et alors même que nous sommes en plein milieu de cette crise, aller plus loin dans mon propos, mais je considère en effet que, face à cette monnaie commune, il faut des règles communes, c’est ce que nous appelons le « gouvernement économique ».
Nos États, progressivement, avec des habitudes, des histoires différentes, sont en train de converger, non sans mal, il est vrai, mais l’ampleur des défis est sans précédent également depuis la création de cette zone monétaire commune.
Vous l’avez compris, je préfère m’arrêter là pour ne pas alimenter davantage tous ceux qui nous observent.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, pour le groupe UMP.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le secrétaire d’État, les difficultés que connaît actuellement la zone euro ne sont peut-être pas un des points inscrits spécifiquement à l’ordre du jour du Conseil européen des 24 et 25 mars, mais il est sûr qu’elles seront présentes dans les débats des chefs d’État ou de gouvernement.
Depuis des semaines, la presse est remplie d’interrogations sur la viabilité de la zone euro, et l’on évoque à loisir l’abandon de la monnaie unique par tel ou tel État. Rien d’étonnant à cela : on sait que les journalistes aiment le sensationnel. Mais il n’est pas mauvais de jeter un regard plus distant sur cette question.
Que constate-t-on ? Que la Grèce est amenée à financer sa dette à un taux d’intérêt de plus en plus élevé. Mais en quoi est-ce anormal ? Si elle n’était pas dans la zone euro, les taux d’intérêt qu’elle devrait payer seraient certainement encore plus élevés. Et la Californie, quand elle est au bord de la faillite, paye, elle aussi, des taux d’intérêt très élevés. Personne ne prétend pour autant que la Californie va abandonner le dollar !
J’ajoute que l’accent qui a été mis sur les malheurs de la Grèce a eu, pour nous, un effet positif : la baisse de l’euro. Car, monsieur le secrétaire d’État, je suppose que vous serez d’accord pour dire que l’euro est aujourd’hui surévalué.
Alors, que penser des débats qui ont eu lieu au sein du Conseil sur l’aide à accorder à la Grèce ?
Pour moi, deux choses seulement importent véritablement. La première, c’est qu’il apparaisse clairement que les partenaires européens de la Grèce seront prêts à lui apporter le soutien nécessaire si une opération spéculative surgit – cette seule assurance devrait d’ailleurs contribuer à décourager les tentatives de spéculation. La seconde, c’est que l’on pèse sur la Grèce pour qu’elle remette en ordre ses finances et pour que son appareil statistique soit totalement crédible.
Au-delà, toutes les controverses sur un fonds monétaire européen ou une aide du Fonds monétaire international paraissent secondaires.
Quant à l’idée d’une modification des traités, qu’il s’agisse de mettre en place un fonds monétaire ou de permettre d’exclure un pays de la zone euro, elle paraît totalement inadaptée. D’une part, nos concitoyens ne comprendraient pas que l’on veuille de nouveau modifier dès aujourd’hui les traités. D’autre part, cela ne réglerait en rien le problème, car il faut des années pour obtenir une ratification par les vingt-sept États membres.
Je serais heureuse de savoir, monsieur le secrétaire d’État, si le Gouvernement partage mon analyse et s’il estime qu’un consensus peut apparaître entre les Vingt-Sept à ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Madame Bruguière, je vous remercie de votre question. Une fois encore, je le dis avec toute la prudence nécessaire, je partage bien des points que vous avez développés. Néanmoins, à ce stade de la discussion entre les États, je me dois de garder une certaine réserve sur les solutions qui, j’espère, vont être très rapidement adoptées.
Bien entendu, ce qui est en cause, c’est la crédibilité des finances publiques, et c’est bien cette crédibilité que nous avons voulu restaurer.
Le gouvernement grec s’est engagé à fortement réduire son déficit public dès cette année. Le Conseil ECOFIN en a pris acte le 16 mars. Depuis, les marchés ont réagi positivement puisque jusqu’ici la Grèce est toujours parvenue à se refinancer, il est vrai à des taux plus élevés que ceux qu’obtiennent les autres pays de la zone euro.
Vous avez insisté, madame, sur la notion de responsabilité, et vous avez raison. Je veux vous rappeler que la très importante déclaration politique des chefs d’État ou de gouvernement du 11 février signale justement la « responsabilité partagée pour la stabilité économique et financière dans la zone » euro de l’ensemble des États.
Quant à la nature du soutien éventuel que pourrait apporter l’Union européenne à la Grèce, vous le savez, elle est en cours de discussion. Nous nous heurtons à la clause de non-renflouement. Je me contenterai donc de citer les propos tenus le 15 mars dernier à l’issue des travaux de l’Eurogroupe par son président Jean-Claude Juncker : « Les options ont été clarifiées. Si cela s’avérait nécessaire, l’accord est prêt dans la zone euro pour que de façon coordonnée et sous la houlette de la Commission une aide bilatérale soit accordée. » M. Juncker a ensuite tenu à préciser que les autorités grecques n’avaient pas demandé d’aide.
Les choses étant en pleine évolution, vous comprendrez que le mieux soit de laisser les chefs d’État ou de gouvernement se mettre d’accord dans les jours qui viennent.
M. le président. Nous en avons terminé avec l’échange de questions-réponses.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue de cet échange de questions-réponses, en vertu du nouveau système que vous avez choisi d’adopter, je voudrais vous fournir quelques éléments sur la préparation du très important Conseil européen qui nous attend.
Lors de ma précédente intervention devant votre assemblée, j’avais souligné que l’Europe entrait aujourd’hui dans une nouvelle phase de son histoire. Et quelle histoire ! Depuis quelques semaines, nous allons de crise en crise, dans une succession ininterrompue d’événements lourds de conséquences : crise financière en Grèce, séisme en Haïti, problèmes d’EADS sur le marché des avions ravitailleurs… Bref, l’Europe est entrée dans le monde réel, et il n’est pas facile.
Les chefs d’État ou de gouvernement se pencheront, au Conseil européen des 25 et 26 mars, sur deux dossiers majeurs : l’économie et l’emploi – avec, évidemment, la définition de cette fameuse stratégie dite « UE 2020 » –, et, après la conférence de Copenhague du mois de décembre dernier, le climat.
Sur la stratégie UE 2020, je soulignerai qu’aujourd’hui une seule question compte aux yeux des chefs d’État ou de gouvernement européens : comment sortir au plus vite de cette crise qui frappe essentiellement les pays occidentaux d’Europe bien plus que toutes les autres régions du monde, où l’on assiste à un redémarrage très fort.
Les statistiques, vous les connaissez, sont certes moins défavorables pour la France : l’économie française a mieux résisté en 2009 que d’autres grandes économies ; elle retrouvera en 2010 un taux de croissance positif qui devrait s’établir autour de 1,4 %. Soit dit en passant, cela n’a pas nécessairement d’effets électoraux immédiats ; telle est néanmoins la situation !
Cela étant, il faut comparer ce chiffre de croissance, qui reste modeste, avec ceux que l’on constate dans le reste du monde : la croissance de la Chine est de 10 %, celle de l’Inde de 7 %, celle du Brésil de 5 %. La réalité de la mondialisation est malheureusement bien présente : les autres pays ne nous attendent pas et nous devons mettre en place les éléments nécessaires pour gagner les points de croissance supplémentaires qui nous permettront de sortir de cette zone de dépression qu’est l’Europe aujourd’hui en matière de création d’emplois.
Cette fois-ci, je le dis solennellement – mais vous le savez tous, et sur toutes les travées : c’est vrai, l’Europe n’a pas droit à l’échec.
Je voudrais donc, de ce point de vue, insister sur la radicale nouveauté de la méthode adoptée par le Conseil européen et en détailler les éléments. Car, ne l’oublions pas, cet organe n’existait pas dans les institutions et traités précédents, et c’est sous l’impulsion de son président, Herman Van Rompuy, qu’il est devenu ce qu’il est aujourd’hui : le véritable gouvernement économique de l’Europe.
Désormais, premier élément, le Conseil européen travaille « du haut vers le bas » : il s’approprie les méthodes politiques visant à fixer les objectifs avant d’irriguer les services chargés de « fabriquer » des politiques communes. C’est là un changement très important par rapport à la période précédente, où des documents bureaucratiques du type « key issues paper », comme on dit, toujours dans le même sabir bruxellois, remontaient du bas vers le haut, si bien que des décideurs soi-disant politiques avaient finalement entre les mains des papiers déjà tout « ficelés ». Maintenant, ce sont les chefs d’État qui s’emparent politiquement du sujet, à charge pour eux de mettre en place des objectifs, mais aussi des méthodes.
Concrètement, le Conseil des affaires générales, au sein duquel je représente la France, joue dans ce processus un rôle très spécifique qui lui est assigné par le traité de Lisbonne : il est l’instance qui « assure la cohérence des travaux des différentes formations du Conseil. Il prépare les réunions du Conseil européen et en assure le suivi en liaison avec le président du Conseil européen et la Commission ». D’ailleurs, la rencontre désormais mensuelle entre le président du Conseil Van Rompuy et le Conseil des affaires générales a eu lieu hier soir.
Deuxième élément de méthode, il ne s’agit pas pour les Conseils européens à venir de faire systématiquement le point complet de tous les thèmes et de répéter chaque année la même chose. Il est au contraire plus efficace d’accepter de consacrer les premières années à faire avancer certains thèmes bien précis de la stratégie globale, en mettant à plat les objectifs de l’Europe et en décrivant son schéma d’action, quitte à passer ensuite à d’autres thèmes. En application de cette méthode, le Conseil européen de cet automne devrait, pour la première fois, être consacré à un thème spécifique, celui de la recherche et de l’innovation.
Le troisième élément porte sur le fond. La Commission, comme je l’ai indiqué au fil des questions, a rendu publique le 3 mars dernier une communication sur la stratégie UE 2020, qui a été examinée hier à Bruxelles. Je retiens de cette communication quatre points importants.
Premier point, il n’y a pas de divergence de fond, en Europe, sur le contenu de la future stratégie. Tout le monde sait, et plus personne ne le conteste, que la stratégie de Lisbonne a été un échec : il s’agit de ne pas recommencer les mêmes erreurs.
Deuxième point, sur la suggestion du président du Conseil européen, la Commission a proposé dans sa communication d’assigner à la stratégie cinq très grands objectifs, que je rappelle. En matière de taux d’emploi, l’objectif serait fixé à 75 % en 2020 pour les 20-64 ans ; en matière d’investissements pour la recherche et développement, à 3 % du PIB européen ; les objectifs climatiques et environnementaux – qui étaient ceux de l’Union européenne à Copenhague, je ne vais pas y revenir ! – consisteraient dans une réduction de 20 % des émissions de C02 par rapport au niveau de 1990 et une diminution de 20 % de la consommation d’énergie ; le taux d’accès à l’enseignement supérieur serait de 40 % en 2020 ; enfin, le nombre d’Européens vivant en dessous des seuils nationaux de pauvreté devrait être réduit de 25 %.
Je l’ai indiqué tout à l’heure, il n’y a pas consensus entre les États sur l’ensemble de ces objectifs, notamment sur le dernier. Ils ont cependant le mérite d’assigner un cadre précis et mesurable à la future stratégie européenne pour la croissance et l’emploi ; j’ajoute également que, sur le fond, ils conviennent à la France. Je ne vous cacherai pas qu’il reste encore beaucoup de travail à accomplir pour parvenir à les rendre pleinement opérationnels, et, je veux être très franc avec vous, ce ne sera pas nécessairement très simple.
Première difficulté, ces objectifs, comme l’a rappelé la Commission, ont vocation à être déclinés pays par pays et adaptés à la réalité économique et sociale de chaque État membre en même temps qu’à sa position de départ. Or, surtout depuis l’élargissement, les situations sont très variées. Devraient donc se tenir dans les mois à venir d’importantes discussions avec la Commission et entre les États pour parvenir à s’accorder sur la méthode de répartition de ces objectifs au niveau national, et pour s’assurer que la somme des vingt-sept objectifs nationaux permet bien d’atteindre la cible européenne.
Deuxième facteur de complexité, plusieurs objectifs sont susceptibles de poser des difficultés à des États fédéraux qui, ne disposant pas de l’ensemble des leviers pour s’assurer de leur suivi et de leur réalisation, devront les décliner au niveau régional, dans le cadre d’un dialogue avec leurs collectivités territoriales.
Troisième difficulté, certains des objectifs proposés par la Commission font référence à des moyens – ainsi, les investissements en recherche et développement mesurent une dépense, qu’elle soit publique ou privée – tandis que d’autres entendent mesurer des impacts. Je ne prendrai pour exemple de cette dernière catégorie que le taux de pauvreté : comment le définit-on ? quelle part de la population pauvre s’agit-il éventuellement de tolérer ou de limiter ? Il sera donc nécessaire, dans les débats à venir, d’homogénéiser à la fois la mesure mais aussi les modalités d’utilisation et d’interprétation de ces objectifs.
La dernière difficulté provient de ce que, à ce stade, la Commission n’a pas proposé d’objectif relatif à la mesure de la compétitivité « externe » de l’Union, c’est-à-dire par rapport à ses principaux concurrents industrialisés ou par rapport aux grands pays émergents, alors que nous Français considérons – et ce, je le crois, sur toutes les travées – que c’est un objectif fondamental, comme je l’indiquais encore hier au Conseil.
Compte tenu du travail qui reste à accomplir, vous aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que les chefs d’État ou de gouvernement devraient n’avoir à la fin de la semaine qu’un premier échange sur ces cinq grands objectifs.
Permettez-moi d’insister, à ce propos, sur le fait qu’il faudra absolument éviter, dans les mois qui viennent, que la stratégie UE 2020 ne s’enlise dans des débats trop technocratiques, au risque de perdre toute lisibilité aux yeux de nos concitoyens. C’est pour moi, je le dis franchement, l’un des risques majeurs qui nous guettent.
Nous devons impérativement adopter une approche simple, pragmatique et lisible, et conserver une ligne claire, avec des mots, des idées et des concepts compréhensibles par tous nos concitoyens, si nous ne voulons pas perdre tout le monde. Je ne suis pas certain, pour ne donner qu’un seul exemple, que les termes de « croissance durable, intelligente et inclusive »…
M. François Marc. Ah !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … mis en avant par la Commission soient de nature à susciter une adhésion enthousiaste aux objectifs en question.
J’en viens au troisième point important que je retiens de la communication de la Commission sur la stratégie UE 2020.
La stratégie de Lisbonne avait en partie échoué, car elle ne reposait que sur la contribution des politiques nationales à la croissance et à l’emploi. Le changement majeur introduit ici, et dont je me félicite, consiste à reconnaître le fait que les institutions européennes, et les politiques européennes qu’elles définissent, peuvent apporter une valeur ajoutée, un plus, pour la réussite de la future stratégie. Encore faut-il que cette stratégie inclue des éléments qui nous paraissent importants. La politique agricole commune, je reviens sur ce point, ne fait pas l’unanimité autour de la table du Conseil. Certains États n’ont en effet pas envie de voir la PAC figurer parmi les objectifs de la stratégie 2020 pour l’emploi et la croissance, ce qui est naturellement très difficile pour nous.
Cette reconnaissance de la contribution des politiques européennes à la croissance doit nous permettre d’examiner certaines questions majeures, comme la mise en place d’une politique industrielle et d’une politique énergétique communes, ainsi que d’une politique de la concurrence à la fois interne et externe.
J’évoquerai d’abord la politique industrielle. Comme l’a rappelé le Président de la République le 4 mars dernier à Marignane lors des premiers États généraux de l’industrie, il ne saurait être question d’une Europe désindustrialisée qui se contente uniquement d’une économie de services. Nicolas Sarkozy a raison de poser la question : « le jour où l’industrie sera partie, pour qui les services travailleront-ils ? ».
Alors qu’il était jusqu’à présent impossible d’évoquer une politique industrielle commune autour de la table du Conseil, le risque de désindustrialisation est aujourd'hui compris par tous. Une véritable politique européenne, tournée résolument vers l’industrie, l’innovation et le développement durable, qui encourage les nouvelles sources de croissance et privilégie les investissements du futur est, je l’espère, sur le point de voir le jour de façon forte. En France, c’est l’objectif du grand emprunt. L’accent est mis sur l’enseignement supérieur et sur la recherche ; 35 milliards d’euros sont mobilisés en faveur de secteurs considérés comme étant stratégiques pour l’économie de demain. Telles sont les raisons pour lesquelles nous insistons beaucoup sur la nécessité d’une politique industrielle commune et sur l’excellence technologique, que nous souhaitons inclure dans la stratégie.
L’Union européenne devrait en outre favoriser l’émergence d’acteurs européens compétitifs à l’échelle mondiale, ce qui impose très certainement de réexaminer la politique de la concurrence telle qu’elle existe actuellement à l’échelon européen.
La politique de la concurrence doit inclure un volet externe. Or celui-ci a été plutôt ignoré jusqu’à présent, et c’est un euphémisme. Le problème en Europe, mesdames, messieurs les sénateurs, est non pas de savoir si la concurrence est libre entre les Français et les Italiens ou entre les Belges et les Allemands – la concurrence entre eux est libre –, mais de savoir si elle est équitable entre l’Europe et les autres grands pôles économiques. Dans ce domaine, nous avons beaucoup de progrès à réaliser.
Le Premier ministre, que j’ai accompagné à Berlin le 10 mars dernier, a notamment soulevé la question de la politique de change afin que la parité de l’euro ne constitue pas un frein à la croissance, comme c’est aujourd’hui le cas, face au dollar, mais aussi face au yuan. La France, qui présidera à compter de la fin 2010 à la fois le G20 et le G8, compte bien, le Président de la République l’a déjà annoncé, prendre à bras-le-corps ce problème et poser la question d’un nouveau système monétaire international.
Il est également indispensable de ne plus faire preuve de naïveté et de faire évoluer la politique européenne en matière commerciale. Un tel discours, mesdames, messieurs les sénateurs, s’il est parfaitement admis en France, n’est pas audible dans nombre de pays du Conseil, même si les idées évoluent peu à peu, au rythme des difficultés rencontrées par l’Union européenne. Les grands pays émergents – la Chine, l’Inde, le Brésil – et même la nation du libéralisme par excellence – les États-Unis –, tous tiennent à défendre leur industrie. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que la compétition n’est pas toujours très égale. Les entreprises chinoises construisent des autoroutes en Pologne, mais il n’est pas certain que la réciproque soit vraie. De la même façon, les Asiatiques remportent des marchés publics en Grande-Bretagne pour la construction de centrales électriques, alors même que les entreprises européennes, qu’il s’agisse de Siemens ou d’Alstom, n’ont pas nécessairement accès à de tels marchés en Asie. Et je n’évoquerai pas l’épisode récent de la scandaleuse annulation du contrat qui liait le Pentagone à EADS et la redéfinition de spécifications destinées à favoriser le concurrent américain.
Nous devons donc accepter d’ouvrir les yeux – c’est le cas en France, c’est moins le cas à l’échelon européen – sur la notion de réciprocité dans les échanges commerciaux, en particulier dans l’accès aux marchés publics. La France se bat dans ce domaine depuis plusieurs mois. Comme l’a souligné le Président de la République, « la pire situation pour l’Europe serait celle où son marché serait ouvert quand les autres lui sont fermés ». (M. François Marc s’exclame.)
Pour conclure sur ce point, j’ajoute qu’il ne faut surtout pas donner l’impression qu’il est nécessaire d’attendre 2020 pour obtenir les premiers résultats concrets de la future stratégie. Les peuples européens ne nous le pardonneraient pas. Il faut obtenir des avancées dès maintenant. Le problème sera de définir des objectifs quantitatifs et de mettre en œuvre des moyens de gestion de cette stratégie qui fonctionnent efficacement et rapidement.
J’en viens maintenant à la question climatique et à la négociation post-Copenhague. Compte tenu de l’heure, je serai bref sur ce sujet.
Comme vous le savez, l’accord de Copenhague enregistre un certain nombre d’avancées, qui ne figuraient auparavant dans aucun document de portée mondiale. Même s’il n’a pas permis la conclusion d’accords, il comporte néanmoins, et je suis le premier à le reconnaître, des points nouveaux. J’en évoquerai brièvement six.
Premièrement, l’objectif du seuil des 2 degrés Celsius à ne pas dépasser et la diminution de 50 % des émissions de CO2 en 2050 sont désormais actés.
Deuxièmement, un cadre spécifique pour l’adaptation aux changements climatiques est créé.
Troisièmement, le principe de l’enregistrement des objectifs et actions de réduction d’émissions des principaux pays émetteurs, qu’il s’agisse des pays développés ou des pays en développement, a été adopté. À l’heure actuelle, 114 pays ont notifié aux Nations unies leur soutien à l’accord de Copenhague, 115 en comptant l’Union européenne en tant que partie, dont 43 au sein de l’annexe I à l’accord – pays développés – et 72 au sein de l’annexe II – pays en développement. L’accord de Copenhague a permis de franchir une étape importante en obtenant le soutien écrit des deux tiers des pays du monde, représentant 80 % des émissions, dont le ralliement de la Chine et de l’Inde au début du mois de mars.
Quatrièmement, des orientations pour le suivi de ces engagements ont été actées.
Cinquièmement, a été fixé l’objectif d’une augmentation significative des ressources financières pour aider les pays en développement à lutter contre le changement climatique, tant à court terme – 30 milliards de dollars pour le « fast start » – qu’à moyen terme – 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 –, avec la mise à l’étude de mécanismes qui vont nous permettre de tenir ces engagements.
Sixièmement enfin, il a été décidé d’instaurer rapidement des mécanismes pour lutter contre la déforestation et favoriser le développement de technologies propres.
Près de trois mois après le sommet de Copenhague, le calendrier des négociations dans les différents processus existants se met en place. La multiplication des réunions politiques témoigne d’une volonté de faire progresser les discussions.
Nous devons désormais préparer les grandes échéances de 2010, le rendez-vous de Bonn au mois de juin et celui de Mexico, du 29 novembre au 10 décembre prochains. Nous devrons veiller à intégrer les résultats de Copenhague dans les différents textes juridiques en négociation.
Nous devrons également maintenir le rôle de leader de l’Union européenne sur la scène internationale pour faire avancer l’ensemble de ce dispositif. Il nous faudra probablement faire évoluer la méthode de négociation, car, comme l’a justement déclaré le Président de la République, des négociations entre 192 pays ne sont pas possibles. Il conviendra de trouver un format plus adapté. Je n’en dirai pas plus ce soir, mais nous travaillons sur cette question.
Nous devons aussi avancer sur le front des financements. Je pense tout d’abord au financement rapide, le « fast start », notamment en faveur des pays les plus vulnérables, pour un montant de 10 milliards de dollars par an sur trois ans. Je rappelle à ce sujet que le Président de la République, lors de la conclusion de la grande conférence internationale sur les grands bassins forestiers qui s’est tenue à Paris le 11 mars a bien précisé que la France avait proposé que 20 % de ces 10 milliards de dollars annuels soient consacrés aux grands bassins forestiers.
Ensuite, le financement à long terme des pays en développement est également sur la table. L’accord de Copenhague prévoit un montant de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020. Il faudra donc impérativement recourir à des financements innovants.
En outre, nous devons tous ensemble maintenir la pression pour que les pays acceptent des engagements qui permettent d’atteindre effectivement l’objectif de 2 degrés Celsius. Comme vous le savez, la France soutient l’idée d’une organisation mondiale de l’environnement.
Enfin, et c’est un point très important, sur lequel j’ai insisté de nouveau hier, le sommet de Copenhague a montré que l’exemplarité, la vertu et le verbe ne suffisent pas. L’Union européenne s’était mise d’accord sur des objectifs, qui étaient les bons, mais en l’absence d’instruments de dissuasion, le risque est élevé que les autres grands blocs ne les acceptent pas. Un instrument permettant de peser sur les choix des autres grands blocs est donc nécessaire : c’est le fameux mécanisme d’inclusion carbone, ce qu’on appelle « la taxe carbone aux frontières ».
À cet égard, nous avons invité la Commission à présenter d’ici au 30 juin 2010 un rapport comportant notamment des « propositions appropriées » sur la question des secteurs vulnérables au risque de fuite, qui inclurait la possibilité d’un mécanisme d’inclusion carbone, autrement dit d’une taxation. C’est la seule façon, pour nous les Européens, de peser sur les autres grands blocs économiques. À défaut, nous serons les seuls à être vertueux et à surtaxer nos entreprises (M. François Marc s’exclame.), sans pour autant faire diminuer les émissions de carbone puisque, en général, l’Europe est plus vertueuse par rapport à d’autres.
Sur tout cela, il y a un consensus entre nous. En revanche, l’Europe n’en est qu’au début des discussions sur le mécanisme d’inclusion carbone. J’espère que nous aboutirons également sur ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il est une heure quinze, notre débat a été assez vif, de nombreuses questions d’actualité ont été posées. Compte tenu de l’heure, il m’a fallu condenser mes propos à la fin mon intervention. Peut-être faudrait-il revoir cette façon de travailler sur les questions européennes, qui sont si importantes pour nos pays et qui méritent mieux, me semble-t-il, qu’un débat à une heure avancée. Mais, encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est bien sûr à la disposition du Parlement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Roland Ries et François Marc applaudissent également.)
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 mars 2010.
22
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 24 mars 2010, à quatorze heures trente :
1. Proposition de loi tendant à assurer l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues du groupe du RDSE (n° 208, 2009-2010).
Rapport de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 327, 2009-2010).
2. Proposition de loi tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires, présentée par M. Yvon Collin et plusieurs de ses collègues du groupe du RDSE (n° 595, 2008-2009).
Rapport de M. Gérard Dériot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 318, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 24 mars 2010, à une heure quinze.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART