M. Alain Gournac. Ceux-là sont parfois gênés par la diminution du temps de travail des autres. Ainsi en est-il, par exemple, de l’architecte qui, bien souvent, n’a plus de secrétaire après dix-sept heures, alors qu’il continue à travailler ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Raymonde Le Texier. On aura tout entendu !
M. Alain Gournac. Les 35 heures ont désorganisé les entreprises. Permettez-moi de revenir sur la situation du secteur hospitalier.
Mme Christiane Demontès. Vous avez épuisé votre temps de parole !
M. Alain Gournac. Le bilan y est, sans conteste, négatif : infirmières trop peu nombreuses, insuffisance des recrutements, sous-effectifs chroniques, plannings acrobatiques.
M. Martial Bourquin. Il faut embaucher ! Nous avons trois millions de chômeurs !
Mme Christiane Demontès. Supprimez le bouclier fiscal pour financer l’hôpital !
M. Alain Gournac. Le rapport Acker – et je ne doute pas que vous l’ayez lu – relève l’absence de réflexion préalable à la mise en œuvre de la réduction du temps de travail dans ce secteur : 56 % des salariés des établissements de santé disent disposer de moins de temps pour effectuer les mêmes tâches, 46 % estiment avoir connu une dégradation de leurs conditions de travail.
Mme Annie David. Évidemment !
M. Alain Gournac. Je tiens les références à votre disposition.
Concrètement, les relèves laissent peu de place aux contacts personnels, des tensions peuvent apparaître et engendrer un stress plus important. Il devient difficile de réunir les équipes.
Mme Christiane Demontès. Vous dépassez votre temps de parole !
M. Alain Gournac. Dans cette réforme technocratique, où est le souci du malade, où est le souci de ceux qui le soignent, et auxquels je veux ici rendre hommage ?
Mme Annie David. Et que faites-vous du souci de l’intérêt général ?
Mme Christiane Demontès. Il se soucie des riches !
M. Alain Gournac. J’évoquerai d’un mot les heures supplémentaires non payées, qui se sont accumulées, et dont un certain nombre a été stocké sur des comptes épargne-temps.
Les comptes épargne-temps constituent une véritable bombe à retardement. Lorsqu’un praticien avancera son départ à la retraite, de deux années par exemple, l’hôpital devra continuer de lui verser son salaire et recruter de nouveaux médecins pour le remplacer.
Mme Annie David. Vous avez dépassé votre temps de parole !
M. Alain Gournac. Je tiens enfin à évoquer les conséquences de la réduction du temps de travail sur le stress au travail.
Je participe, avec certains d’entre vous, mes chers collègues, aux travaux de la mission d’information sur le mal-être au travail, créée à la demande de la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Alain Gournac. Les témoignages que nous avons recueillis montrent que la charge croissante de travail et la pression des contraintes temporelles concourent à rendre le travail plus pesant.
Mme Annie David. Vous exagérez !
Mme Christiane Demontès. Mensonges !
M. Alain Gournac. Toutes deux engendrent un sentiment d’impuissance et aggravent la souffrance des personnels.
M. Jean-Luc Fichet. Stop !
M. Alain Gournac. Les salariés éprouvent aussi plus de difficultés pour « respirer » pendant leur temps de travail.
Un représentant de la CFDT auditionné par la mission d’information sur le mal-être au travail considère que le passage aux 35 heures visait avant tout à créer des emplois en négligeant la prise en compte des conditions de travail.
La réduction du temps de travail a induit une diminution de la durée des pauses. Or, la « chasse aux temps morts » affecte le lien social au sein de l’entreprise et porte atteinte à l’esprit de groupe tel qu’on le connaissait avant la mise en place autoritaire des 35 heures.
M. le président. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. Alain Gournac. Je conclus, monsieur le président.
M. Martial Bourquin. Arrêtez, on a compris !
M. Alain Gournac. Les 35 heures ont un coût financier considérable. Elles ont également, on ne l’a pas assez souligné, un coût humain important. Retard économique, retard social : avec les 35 heures, notre pays ne s’est vraiment pas inscrit dans la modernité ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, en montant à la tribune, M. Gournac m’a indiqué que la répartition des temps de parole au sein de l’UMP avait été modifiée.
Le groupe UMP disposait de dix-neuf minutes. Il vient d’en consommer dix, il en reste donc neuf pour les derniers intervenants.
J’ajouterai, sans vouloir m’immiscer dans le débat, que la souplesse du temps de travail est au cœur de notre discussion ! (Sourires.)
M. Jacky Le Menn. Tout à fait, et nous veillerons à ce que les sénateurs du groupe UMP ne fassent pas plus de 35 heures ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC-SPG.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la demande du groupe UMP, nous débattons aujourd’hui du coût des 35 heures, sous-entendu du coût de la durée légale du travail de 35 heures hebdomadaires – il vous semble insupportable – pour l’État et pour la société !
Se focaliser ainsi sur les effets pervers d’une mesure progressiste relève d’une rhétorique réactionnaire qui n’est pas nouvelle ! Nous savons bien que ce débat vise, pour la majorité parlementaire, à démontrer que les 35 heures sont une erreur et à prouver combien il est nécessaire de poursuivre leur mise à mort, engagée en 2002 avec le relèvement, par décret, du contingent d’heures supplémentaires de 130 heures à 180 heures par an, lequel passera ensuite à 200 heures en 2004. La liberté de négocier le temps de travail existe donc depuis 2002, monsieur Fourcade !
Depuis son entrée en vigueur, en 2000, la loi dite « Aubry II » est accusée de tous les maux : coup de frein sur la croissance en raison de son coût excessif, contraintes pour les entreprises, verrou pour travailler davantage. On se souvient du slogan « travailler plus pour gagner plus », jeté aux oubliettes depuis l’augmentation du chômage. Le comble aurait été de le maintenir.
Bref, les 35 heures seraient le symbole d’une France paresseuse, d’une France adepte du farniente, pour reprendre le terme utilisé par un député lors de la discussion du texte.
Or, selon l’INSEE, les 35 heures ont créé 350 000 emplois supplémentaires entre 1998 et 2002, et elles ont permis aux salariés d’augmenter le nombre de leurs jours de congé !
Pourtant, dès l’arrivée de votre majorité au Gouvernement, les textes se sont succédé afin de remettre en cause ce meilleur partage du temps entre vie privée et vie professionnelle, auquel les femmes sont particulièrement attachées.
En outre, depuis 2002, les mesures visant à « détricoter » les 35 heures se sont multipliées, et cela coûte cher. Ainsi en est-il des subventions qui sont accordées depuis 2007 pour défiscaliser les heures supplémentaires, qui absorbent 4 milliards d’euros par an sur le budget de l’État. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Le Conseil économique, social et environnemental vient de conclure à la nécessité d’abroger les dispositions relatives aux heures supplémentaires défiscalisées, tant leurs conséquences sont néfastes pour le chômage et pour les finances publiques. Il aurait, me semble-t-il, été plus opportun d’organiser un débat sur ce sujet plutôt que sur les 35 heures ! Néanmoins, à la demande du groupe UMP, nous débattons aujourd'hui du coût des 35 heures pour l’État et la société.
En ce qui concerne le coût pour la société, je tiens à souligner que les 35 heures, contrairement à beaucoup d’autres lois sociales, ont eu un effet immédiat et concret pour la société et pour l’ensemble des salariés : la réduction du temps de travail !
J’ajoute que 82 % des salariés sont favorables aux 35 heures et que 79 % d’entre eux ne sont pas intéressés par le rachat de leurs jours de RTT.
Les 35 heures ont permis des gains importants en termes de qualité de vie, en réduisant le poids du travail au bénéfice du temps libre. Ces gains compensent les effets négatifs dus à la mise en œuvre de la mesure, mise en œuvre qui dépendait des conditions de la négociation et, par conséquent, du rapport de force syndical !
Ainsi, dans de nombreuses entreprises, la mise en place des 35 heures s’est conclue par une intensification du travail avec le passage au temps de travail effectif, c'est-à-dire à la suppression du temps d’habillage et de pause. Elle s’est traduite également par un gel des salaires, par une modulation horaire hebdomadaire pouvant aller jusqu’à 42 heures, donc par une plus grande flexibilité pour les salariés et par la perte de la rémunération des heures supplémentaires.
En qualité de vice-présidente de la mission d’information sur le mal-être au travail, aux côtés de M. Gournac, je puis affirmer que de nombreuses personnalités auditionnées ont dénoncé les nouvelles organisations du travail, et non les 35 heures, comme la cause du mal-être de nombreux salariés.
Mme Raymonde Le Texier. Bien sûr !
Mme Annie David. Ainsi, plusieurs entreprises ont profité de la réduction du temps de travail pour appliquer le lean management, ou la chasse au temps non travaillé, temps qui correspondait à des périodes de récupération primordiales pour la santé des salariés.
Au même moment, les entreprises ont enregistré une hausse de 8 % de leur production de richesses, sans consentir aucun investissement supplémentaire en machines ou en bâtiments.
M. Jean-Luc Fichet. Exactement !
Mme Annie David. Par ailleurs, des exonérations de cotisations patronales et des subventions ont été accordées pour le passage des 39 heures aux 35 heures ! Autant dire que la mesure n’a rien coûté aux entreprises, et c’est bien là le plus gros défaut de cette réforme !
Contrairement à une idée reçue et largement relayée par le patronat et par le Gouvernement, le coût du travail en France se situe dans la moyenne des pays qui ont un niveau de développement économique et social comparable.
En revanche, la France se situe dans le peloton de tête pour la productivité du travail.
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
Mme Annie David. Le coût du travail en France est en dessous de la moyenne européenne, inférieur à celui de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou du Danemark ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
D’une manière générale, les 35 heures n’ont pas été néfastes pour les entreprises. Elles ont au contraire eu un effet bénéfique sur l’emploi. Il est donc juste que la société dans son ensemble et les salariés en particulier bénéficient de gains sociaux grâce à une réduction importante de leur temps de travail.
En ce qui concerne le coût des 35 heures pour l’État, ne tronquons pas le débat. Il ne faut pas oublier de rapprocher le coût des 35 heures pour l’État des gains qu’il en retire.
En effet, les 350 000 emplois créés ont entraîné une augmentation des recettes perçues au titre des cotisations de sécurité sociale, qu’il s’agisse des cotisations salariales – CSG et CRDS – ou des cotisations patronales, puisque les allégements se réduisent au fur et à mesure que le salaire brut horaire s’éloigne du SMIC. Avec un salaire brut moyen de 1,3 fois le SMIC, ces 350 000 nouveaux emplois ont rapporté près de 1,8 milliard d’euros à la sécurité sociale en 2006.
En revanche, l’État rembourse à la sécurité sociale les allégements consentis aux entreprises. Ces remboursements ayant été étendus à l’ensemble des entreprises, alors qu’ils auraient dû être réservés à celles qui avaient signé un accord de RTT, leur masse a bondi à 16 milliards d’euros en 2003 et atteignait 19,5 milliards d’euros en 2006.
Cependant, ce chiffre ne représente pas le coût réel de la réduction du temps de travail. Il faut en effet déduire les allégements qui existent par ailleurs, au titre du temps partiel ou des bas salaires, et qui s’élèvent à près de 10 milliards d’euros en 2006.
On peut donc considérer que le coût des 35 heures pour 2006 s’établit à 8 milliards d’euros, et peut-être moins grâce aux économies d’indemnités de chômage réalisées du fait des créations nettes d’emplois.
Il aurait fallu prévoir un coût identique pour les allégements au titre des bas salaires, s’ils avaient été maintenus en l’état. La dernière évaluation fait apparaître un apport net d’environ 250 000 emplois seulement !
Les 35 heures n’ont donc été ni une panacée ni une catastrophe. Elles auraient dû être une belle avancée sociale, à laquelle nous étions favorables. Dans les faits, elles ont modifié en profondeur l’organisation du travail. C’est pourquoi il nous paraît nécessaire de donner aux salariés et à leurs représentants les moyens de peser véritablement sur l’organisation du travail. C’est d’autant plus nécessaire que la loi de 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social a entériné une inversion de la hiérarchie des normes du droit du travail, ce qui permet l’adoption d’accords d’entreprise moins favorables aux salariés que les dispositions figurant dans le code du travail !
En conclusion, non seulement les 35 heures doivent être maintenues, mais leur portée doit également être amplifiée ! Elles ont apporté une meilleure qualité de vie à de nombreux salariés. Elles ont permis un partage du travail tout en préservant la compétitivité de nos entreprises. Le secteur économique du tourisme et du loisir en a également bénéficié ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe de l’Union centriste.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, rien de tel qu’une défaite électorale – pour certains, mais une victoire pour d’autres – pour raviver les crispations politiques identitaires !
Nous sommes donc réunis aujourd’hui pour débattre des 35 heures, qui sont un marqueur politique, un identifiant du clivage entre la gauche et la droite. Pour les uns, elles représentent un immense progrès, parfois comparé aux « conquêtes du Front populaire » ; …
Mme Gisèle Printz. Eh oui !
M. François Zocchetto. … pour les autres, elles sont la cause de tous les maux économiques dont souffre notre pays.
Gardons-nous d’une approche caricaturale ! Dix ans après les lois Aubry, quel regard porter sur la réduction du temps de travail ? Pour répondre à cette question, je partirai de plusieurs constats de bon sens.
Premier constat, les 35 heures sont toujours là !
Mme Gisèle Printz. Et c’est très bien !
M. François Zocchetto. Elles semblent inscrites dans le paysage sociologique français. Elles furent certes abondamment décriées, mais force est de constater qu’elles ont survécu à l’alternance. Survécu ? Peut-être pas tout à fait !
Mme Raymonde Le Texier. Non !
M. François Zocchetto. En effet, et c’est mon deuxième constat, les 35 heures dont nous débattons aujourd'hui n’ont plus grand-chose à voir avec les 35 heures instituées par les lois Aubry. Elles ont fait l’objet d’aménagements substantiels, d’abord en 2003, puis en 2007, avec la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, et en 2008, avec la loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. Dès lors, il devient particulièrement difficile d’évaluer le coût du dispositif originel des 35 heures !
Troisième constat, les termes du débat qui nous est proposé ne sont pas neutres.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. François Zocchetto. Il s’agit de s’interroger sur le coût des 35 heures pour l’État et la société. Le sous-entendu est que la réduction du temps de travail n’a fait que coûter !
Mme Annie David. Eh oui !
M. François Zocchetto. Il serait plus objectif d’envisager les 35 heures en termes de bilan. Et c’est là que le bât blesse, car, pour ne pas trahir l’esprit du débat, il faudrait établir un bilan économique de la mesure, et non un bilan sociétal !
Quatrième et dernier constat, en voulant procéder à une évaluation économique des 35 heures, nous pénétrons dans le royaume de l’opacité et de la confusion. En effet, dix ans après les lois Aubry, nous ne disposons d’aucun résultat univoque quant aux conséquences économiques de la réduction du temps de travail. Il faut donc bien reconnaître que nous abordons ce débat avec plus de questions que de certitudes.
Combien la réduction du temps de travail a-t-elle créé d’emplois ? Lorsque l’on cherche à connaître le nombre de participants à une manifestation, on constate que les chiffres varient du tout au tout selon qu’ils émanent de la police ou des organisateurs. Il en est de même pour l’évaluation des créations d’emplois dues à l’instauration des 35 heures. Selon les sources, le nombre de ces créations d’emplois s’échelonne de 200 000 à 400 000. L’INSEE, en 2004, avançait la création de 350 000 emplois. En tout état de cause, ces chiffres, pour être appréciés correctement, doivent être rapportés à l’effort public qui a parallèlement été consenti.
Toutes les études démontrent que, par elle-même, la réduction du temps de travail n’est pas créatrice d’emploi. C’était déjà ce que soulignait Jean Arthuis dans son rapport en date du 11 décembre 1997, au nom de la commission d’enquête qui avait été diligentée à l’époque par le Sénat.
Cette analyse a depuis été confirmée à de nombreuses reprises. Le rapport Artus, Cahuc, Zylberberg de l’automne 2007 pour le Conseil d’analyse économique établit ainsi clairement que, à l’heure actuelle, « aucune étude sérieuse n’a pu montrer qu’une réduction de la durée du travail se traduisait par des créations d’emplois ».
Cela se comprend facilement, car la réduction du temps de travail, telle qu’elle a été conçue voilà dix ans, procède d’une conception statique de l’économie : le travail serait un stock et non un flux. Selon cette conception, il suffirait de faire des parts plus petites pour que chacun soit servi.
En réalité, vous le savez bien, ce n’est pas ainsi que cela fonctionne, car nous sommes dans une économie dynamique qui évolue, le plus souvent à la hausse, mais parfois aussi – malheureusement ! –, à la baisse. En fait, tout dépend des gains de productivité.
La réforme aurait pu être neutre pour les finances publiques si les 35 heures avaient engendré des gains de productivité suffisamment importants pour compenser la diminution du temps de travail.
Mme Christiane Demontès. C'est le cas !
M. François Zocchetto. Or, cela n’a pas été le cas, tant s’en faut, et je vous renvoie sur ce point au rapport Novelli de 2004. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Raymonde Le Texier. Rapport très objectif !
M. François Zocchetto. Il faut aussi se demander quel type d’emploi l’on a créé : de l’emploi public ou de l’emploi subventionné ? L’un et l’autre, me répondrez-vous sans doute, car, en l’occurrence, il s’agit d’un « ou » à valeur inclusive !
On a créé de l’emploi public – cela a été souligné précédemment –, par exemple dans la fonction publique hospitalière. En fait, on n’a pas eu le choix. Il fallait continuer à assurer le même service, ce qui était impossible avec moins de personnels. Il a donc fallu créer des emplois, mais – et chacun doit avoir l’objectivité de le reconnaître – cela s’est fait au prix de nombreux problèmes d’organisation au quotidien, de stress supplémentaire, de difficultés pour ceux qui travaillent à l’hôpital ou pour ceux qui sont hospitalisés ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
On a également créé de l’emploi subventionné. Si les lois Aubry ont pu être mises en œuvre sans trop de difficultés dans le secteur privé, notamment dans les grandes entreprises, c’est parce qu’elles se sont accompagnées d’importants allégements de charges sociales et d’une flexibilisation des modes de production.
Mme Christiane Demontès. Et les heures supplémentaires défiscalisées !
M. Martial Bourquin. Et la loi Robien !
M. François Zocchetto. C’est là qu’apparaît la confusion la plus totale. Je pose la question clairement : n’est-on pas en train d’avoir un débat sur les allégements généraux de charges sociales sous couvert de s’intéresser au coût des 35 heures ? On pourrait le croire, dans la mesure où les allégements de charges sociales constituent le coût principal de la réduction du temps de travail pour l’État. Il y a là une réflexion dont nous ne pourrons pas faire l’économie. D’ailleurs, ce sujet a retenu l’attention de nombre d’entre nous lors de la discussion du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme l’ont souligné les orateurs qui se sont exprimés au nom du groupe UMP, auteur de la demande d’inscription du présent débat à l’ordre du jour du Sénat.
Dans son rapport sur les crédits la mission « Travail et emploi », notre collègue Serge Dassault soulignait que, en quinze années d’application, les exonérations générales de charges avaient représenté 200 milliards d’euros.
L’effet sur l’emploi de la politique d’exonération de charges sur les bas salaires relève d’un débat qui n’est pas tranché. Quelle est la part de l’effet d’aubaine et celle de la trappe à bas salaires ? Peut-on encore parler d’aide aux bas salaires lorsque les allégements vont jusqu’à 1,6 SMIC ? Ne serait-on pas mieux inspiré, d’une part, de recentrer les allégements et, d’autre part, d’aider les emplois qualifiés à forte valeur ajoutée, c’est-à-dire les seuls qui peuvent améliorer la compétitivité et la croissance potentielle de notre pays ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. François Zocchetto. Telles sont les vraies questions qui se posent aujourd’hui.
Mes chers collègues, soyons réalistes ! À la lumière de ce qui s’est passé depuis maintenant presque trois ans, je doute que l’on revienne sur les 35 heures en tant que telles. En revanche, il nous faut engager une vraie réflexion sur les allégements de charges sociales, qu’ils soient généraux ou ciblés.
Mme Christiane Demontès. Oui, parlons-en !
M. François Zocchetto. En effet, ces allégements sont à l’origine du coût des 35 heures pour l’État et ils posent le problème de la nature des politiques de l’emploi en France. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, au nom du groupe socialiste.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'état, mes chers collègues, le présent débat sur la politique de réduction du temps de travail mise en place voilà maintenant dix ans par la gauche semble relever davantage de la thérapie de groupe que d’un réel travail d’évaluation d’une politique publique. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Les 35 heures sont devenues la martingale de la droite. Le pays va mal : c’est la faute aux 35 heures !
Mme Raymonde Le Texier. Le chômage explose, c’est la faute aux 35 heures !
Mme Raymonde Le Texier. Les inégalités se creusent : c’est la faute aux 35 heures, bien sûr ! Les salaires stagnent et le pouvoir d’achat est en berne : ne cherchez plus, les 35 heures, on vous dit !
M. Gérard Longuet. Eh oui !
Mme Raymonde Le Texier. On peut se demander pourquoi, face à une telle catastrophe, la majorité actuelle n’a pas voté le retour aux 39 heures.
M. Gérard Longuet. On peut commencer !
Mme Christiane Demontès. Et pourquoi pas le retour aux 40 heures ?
Mme Raymonde Le Texier. Sans doute, entre autres, parce que, au-delà de son discours clientéliste, le Gouvernement sait très bien que les 35 heures n’ont pas été un fiasco économique. (Mme Gisèle Printz applaudit.)
M. Didier Guillaume. Au contraire !
Mme Raymonde Le Texier. Outre le nombre d’emplois créés et la baisse du taux de chômage enregistrée entre 1997 et 2002, si la France a mieux supporté la crise que d’autres pays, c’est notamment en raison des 35 heures et de la souplesse de la réduction du temps de travail (Exclamations sur les travées de l’UMP.) qui a permis à nombre d’entreprises de faire le dos rond durant la récession.
M. Martial Bourquin. Très bien !
Mme Raymonde Le Texier. De 1996 à 2005, la croissance, que Nicolas Sarkozy et ses affidés estiment sacrifiée sur l’autel des 35 heures, a été supérieure en France à celle des autres pays de l’Union européenne : …
M. Didier Guillaume. Eh oui !
Mme Raymonde Le Texier. … 2,19 % en moyenne annuelle durant ces dix années dans l’Hexagone, contre 2,12 % en Europe ou 1,3 % en Allemagne.
Quant au lieu commun imputant à la réduction du temps de travail la responsabilité de la baisse des revenus des Français, les études de l’INSEE montrent au contraire que le pouvoir d’achat par unité de consommation n’a jamais été aussi dynamique que pendant la période allant de 1998 à 2002, pendant laquelle il a connu une progression comprise entre 2,5 % et 2,8 %.
En matière de compétitivité, la réduction du temps de travail semble s’être accompagnée de contreparties suffisantes en faveur des employeurs pour ne pas affecter les entreprises.
Mme Annie David. Évidemment !
Mme Raymonde Le Texier. Les premières à avoir réduit leur temps de travail ont même vu leur valeur ajoutée croître de 5 % de plus que les entreprises restées à 39 heures.
En matière de productivité, contrairement à ce que claironne la droite, les 35 heures ont contribué à accroître la productivité des travailleurs français, et leur mise en œuvre a correspondu à une période d’enrichissement de la France.
M. Didier Guillaume. Tous les chiffres le prouvent !
M. Martial Bourquin. Absolument !