M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est une proposition de loi à lui tout seul !
M. Hervé Maurey. … puisqu’il vise à nous permettre de mesurer enfin l’ampleur du phénomène des contrats d’assurance sur la vie non réclamés.
À cet égard, il existe ce que notre rapporteur appelle une zone grise : le montant des contrats d’assurance sur la vie non réclamés s’élèverait à 700 millions d’euros selon certains, à 5 milliards d’euros pour d’autres.
J’ai quelques doutes sur le premier chiffre qui correspond à l’estimation fournie par les assureurs voilà plus dix ans pour les contrats dont les assurés avaient plus de 103 ans, ce qui ne correspond pas vraiment à l’espérance de vie actuelle ! De surcroît, le nombre des encours a presque triplé pendant cette période.
La réalité se situe sans doute quelque part entre les deux chiffres, comme pour l’évaluation du nombre de participants à une manifestation, qui s’établit entre l’estimation des organisateurs et celle de la préfecture.
Le Médiateur de la République, pour sa part, a évoqué plusieurs milliards d’euros, considérant que cette situation était inacceptable.
Quel que soit le montant réel, il reste trop élevé. Il n’est pas tolérable, en effet, que nous soyons dans l’ignorance de l’ampleur de ce phénomène.
C’est pourquoi nous souhaitons sortir enfin de l’opacité qui règne sur cette question. Tel est l’objet de l’amendement présenté par le groupe de l’Union centriste : il prévoit que, chaque année, l’AGIRA communique le nombre et les encours des contrats non réclamés. Ainsi, nous devrions enfin être réellement informés et, puisque les assureurs ont déclaré dans la presse ne rien avoir à cacher, je ne vois pas ce qui pourrait les gêner !
Voilà, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous indiquer en ce début de discussion.
J’espère, comme ce fut le cas en 2007, que la Haute Assemblée sera unanime à voter ce texte, ce qui permettrait de manifester avec force notre volonté et notre exigence en termes de protection des épargnants et de leurs héritiers, de transparence et de moralisation de notre système financier. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique de Legge, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi d’Hervé Maurey, que nous examinons aujourd’hui, a pour objet de réduire le nombre des contrats d’assurance sur la vie « en déshérence », c’est-à-dire non réclamés par leurs bénéficiaires après le décès de l’assuré. Il s’agit incontestablement d’un problème dont la solution est délicate à établir de manière satisfaisante.
Pour mieux situer l’enjeu, rappelons que les contrats d’assurance sur la vie, au nombre de 30 millions, atteignent un encours de 1 265 milliards d’euros en 2010, que leur progression est de l’ordre de 10 % par an et qu’ils représentent 80 % du PIB.
Il est, par définition, difficile de connaître le nombre exact des contrats d’assurance sur la vie non réclamés, hors contrats souscrits dans le cadre d’emprunts. Selon les estimations, et les personnes interrogées, le montant des encours concernés se situerait entre 700 millions d’euros et 5 milliards d’euros. C’est une somme importante, mais qu’il faut rapprocher de l’encours total que j’évoquais à l’instant de 1 265 milliards d’euros.
Les raisons pour lesquelles un contrat n’est pas réclamé sont liées à des problèmes d’information : il se peut que l’assureur ne soit pas informé du décès de l’assuré, que le bénéficiaire ignore qu’un contrat a été souscrit à son profit, ou encore que l’assureur peine à trouver le bénéficiaire.
La loi du 15 décembre 2005 a permis aux assureurs de se regrouper, au travers d’un organisme dédié, l’AGIRA, afin de créer un guichet unique permettant à toute personne de s’informer de l’existence d’une stipulation en sa faveur.
L’AGIRA I a reçu 20 000 courriers en 2007, 26 000 en 2009. Depuis sa création, 7 499 contrats ont été détectés, pour un encours total de 205 millions d’euros.
La loi du 17 décembre 2007 est allée plus loin, en imposant aux assureurs l’obligation de s’informer sur le décès éventuel de l’assuré et en leur donnant la capacité juridique et technique de procéder à cette vérification par l’accès au répertoire national d’identification des personnes physiques. C’est le dispositif intitulé AGIRA II.
Dans le cadre d’accords nationaux, les assureurs sont convenus de faire porter prioritairement leur recherche sur les assurés de plus de quatre-vingt-dix ans et sur les contrats supérieurs à 2 000 euros Cette somme, définie par arrêté ministériel, s’applique à l’article L. 132-22 du code des assurances, qui prévoit une obligation d’information annuelle du souscripteur.
La mise en place du dispositif AGIRA II nécessitait une autorisation préalable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui a été accordée en décembre 2008.
Les premiers résultats témoignent d’une forte utilisation. Depuis septembre 2009, on recense en moyenne 1 million de consultations mensuelles. Elles atteignent le nombre de 1,662 million pour le seul mois d’octobre 2009.
Déposée moins de deux ans après l’adoption définitive de la loi du 17 décembre 2007, et moins d’un an après la mise en place d’AGIRA II, la présente proposition de loi constitue une nouvelle étape législative. Son auteur, notre collègue Hervé Maurey, a souhaité ainsi, fort justement, renforcer le dispositif en place.
Si la commission des lois et moi-même adhérons pleinement à l’objectif visé par le texte, nous considérons toutefois qu’il intervient un peu tôt après la mise en application effective de la loi de 2007. Nous avons donc souhaité appuyer l’économie générale des mesures figurant dans la proposition de loi, en prenant soin de ne pas remettre en cause l’équilibre atteint par la réforme de 2007.
La commission des lois a ainsi souhaité, par le biais de ses amendements, d’une part, renforcer les obligations d’information des assureurs et, d’autre part, ne pas revenir sur la réforme de l’acceptation de la clause bénéficiaire.
Permettez-moi d’examiner plus en détail les quatre articles que contenait initialement la proposition de loi.
L’article 1er tendait, en premier lieu, à rendre annuelle l’obligation de s’informer de l’éventuel décès de l’assuré lorsque celui-ci n’a pas accusé réception de la communication annuelle à trois reprises consécutives, pour des contrats supérieurs à 2 000 euros.
Cette obligation a semblé trop restrictive à la commission, car elle aurait permis à l’assureur d’attendre un délai de trois ans sans accusé de réception avant de devoir procéder à la vérification du décès éventuel de l’assuré, et ce quel que soit l’âge de ce dernier. Depuis l’entrée en vigueur d’AGIRA II, les assureurs ont déjà procédé au contrôle des contrats pour lesquels la provision mathématique était supérieure à 2 000 euros et l’assuré âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, s’ils n’avaient pas de contact avec lui depuis au moins deux ans.
La commission a jugé souhaitable d’aller plus loin, de façon plus simple et plus systématique, en prévoyant une obligation annuelle de consultation du répertoire national d’identification des personnes physiques pour tous les contrats dont la provision est supérieure à 2 000 euros et sans condition d’âge du souscripteur.
L’article 1er visait, en deuxième lieu, à imposer une obligation de recherche du bénéficiaire du contrat lorsqu’il apparaît, à l’issue de la recherche, que l’assuré n’est pas décédé, mais qu’il n’a pas accusé réception à trois reprises consécutives. Pour la même objection de lourdeur matérielle, la commission n’a pas retenu cette mesure.
En troisième lieu, l’article 1er du texte initial prévoyait d’imputer au bénéficiaire les frais de vérification de l’éventuel décès de l’assuré, ainsi que les frais de recherche de ce bénéficiaire.
La commission a considéré qu’il était injustifié de faire peser sur ce dernier des coûts dont il n’est nullement responsable. Une telle disposition aurait ouvert la porte à des dérives très pénalisantes pour les bénéficiaires. Il appartient en outre à l’assureur de vérifier que la clause bénéficiaire du contrat a été rédigée de manière suffisamment claire pour que le bénéficiaire puisse être aisément retrouvé. La commission a donc écarté cette disposition.
En quatrième lieu, l’article 1er de la proposition de loi initiale prévoyait la publication annuelle, par les assureurs, d’un état indiquant le nombre et l’encours des contrats non réclamés répondant aux critères de montant, soit 2 000 euros, et d’âge, soit plus de quatre-vingt-dix ans, précédemment évoqués.
Une telle obligation de transparence n’a pas semblé, aux yeux de la commission, véritablement opérationnelle. Cette dernière a préféré créer, en insérant un article 1er bis dans le texte, une obligation d’annexer aux comptes annuels un état des démarches effectuées au titre des dispositifs AGIRA I et II, et ce quel que soit l’âge du souscripteur. Cela rejoint le souci de transparence exprimé par notre collègue Hervé Maurey.
L’article 2 du texte initial envisageait des formalités lourdes et coûteuses d’accusés de réception de la communication annuelle de l’assureur par le souscripteur et de notification d’un éventuel changement d’adresse de ce dernier.
La commission a préféré supprimer ces dispositions, là encore dans un souci de simplification. De surcroît, le texte proposé par la commission tend à imposer aux assureurs une obligation de vérification plus systématique.
Le même raisonnement a prévalu pour l’article 3 du texte initial, qui prévoyait l’intervention de tiers agréés pour la recherche des bénéficiaires.
Enfin, en ce qui concerne l’article 4 de la proposition de loi initiale, la commission a estimé que le caractère révocable de la stipulation par le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie en faveur du bénéficiaire du contrat remettait significativement en cause l’équilibre de la loi de 2007, ce que nous ne souhaitions pas. En conséquence, la commission a supprimé l’article.
Telles sont, mes chers collègues, les grandes lignes des propositions de la commission des lois. À l’évidence, nous avons travaillé en étroite concertation et dans la plus grande transparence avec notre collègue Hervé Maurey, dont je salue le travail, l’écoute et la compétence. Notre souci principal, avant d’envisager toute nouvelle disposition, était de ne pas compliquer ni alourdir les dispositifs AGIRA I et II, déjà opérationnels, et dont les effets semblent positifs.
Le sujet des assurances sur la vie non réclamées est sensible, particulièrement en un temps où l’espérance de vie ne cesse de s’allonger. Il méritait notre examen le plus attentif.
En conclusion, je ne sous-estime pas le débat sur ce qu’il est convenu d’appeler les contrats non réclamés ou en déshérence. Force est de reconnaître que des suspicions pèsent sur leur nombre, leurs montants et leurs origines. L’initiative de notre collègue Hervé Maurey, replacée dans l’esprit de la loi de 2007, a le grand mérite de dépasser ce débat, en s’attachant à l’aspect pragmatique du sujet. Il s’agit, en effet, de réduire le phénomène, en perfectionnant les dispositifs existants.
Plutôt que de chercher à définir ce qu’est un contrat tombé en déshérence, nous nous sommes attachés à faire en sorte que chaque contrat finisse par trouver son bénéficiaire. Tel est l’objet que s’est fixé la commission des lois, et qui a inspiré la réflexion de votre rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – MM. Jacques Mézard et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi de M. Hervé Maurey me semble bienvenue en raison des supputations, voire des fantasmes qui entourent les contrats non réclamés, compte tenu de la difficulté à évaluer le montant de ce prétendu trésor de Monte-Cristo, que d’aucuns chiffrent à 700 millions d’euros, d’autres à 5 milliards d’euros.
La transparence voulue tant par l’auteur de la proposition de loi que par la commission des lois me semble indispensable, car c’est l’un des piliers de la confiance.
En juin 2008, la profession de l’assurance publiait un baromètre de l’image de l’assurance en France, qui montrait que, pour un Français sur deux, le secteur de l’assurance était synonyme de « confiance ». Celle-ci m’apparaît essentielle pour deux raisons.
La première, comme l’a fort justement souligné Hervé Maurey, est que l’assurance sur la vie représente aujourd’hui le produit d’épargne préféré des Français. La « confiance » est impérative pour un produit qui concerne 22 millions de contrats et près de 41 % du patrimoine financier des ménages. Il s’agit donc là d’un enjeu important de consommation, auquel je suis naturellement particulièrement sensible compte tenu de mes responsabilités ministérielles.
La seconde raison est que l’assurance sur la vie ne peut tout simplement pas exister sans confiance, car, au moment du décès de l’assuré, c’est l’assureur qui a la responsabilité de verser les sommes aux bénéficiaires.
L’existence d’un stock, au demeurant difficile à évaluer, de contrats non réclamés constitue donc un échec à cet égard. La profession de l’assurance a, je crois, pleinement pris conscience de cet enjeu, qui est devenu une priorité de ses engagements déontologiques.
Pour autant, la confiance n’exclut pas de réguler, ce qui semble même indispensable pour la renforcer. Là encore, c’est le rôle du secrétaire d’État chargé de la consommation que d’y veiller, de concert avec d’autres acteurs.
Depuis trois ans, le Gouvernement a travaillé à renforcer les conditions de la confiance entre assureurs et assurés au bénéfice des consommateurs.
La loi du 17 décembre 2007 constitue de ce point de vue une avancée décisive, qui s’articule autour de trois actions clés.
Tout d’abord, cette loi oblige les assureurs à s’informer du décès de leurs assurés avant de pouvoir verser des sommes aux bénéficiaires.
Ensuite, elle donne aux assureurs les moyens de s’informer ; depuis mars 2009, les assureurs ont accès au fichier national qui recense les décès, le répertoire national d’identification des personnes physiques.
Enfin, la loi oblige les assureurs à rechercher les bénéficiaires une fois qu’ils ont connaissance du décès de l’assuré.
Toujours dans la loi de 2007, nous avons voulu réformer la clause bénéficiaire pour la rendre plus juste. Cette clause pouvait se retourner contre l’assuré. En effet, lorsque le bénéficiaire était informé de l’existence du contrat, il pouvait alors accepter la clause, la rendant ainsi irrévocable et privant l’assuré de toute possibilité de jouir de ses fonds, le cas échéant à son insu ou contre son gré. La loi a modifié le fonctionnement de la clause bénéficiaire. L’assuré peut désormais informer sans crainte son bénéficiaire. La sécurité des consommateurs est renforcée. Informer le bénéficiaire est encore la meilleure façon de garantir la réclamation du contrat au décès de l’assuré. Ces nouvelles mesures ont complété la loi de 2005, qui permet à tout particulier pensant avoir été désigné comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance de se le faire confirmer en formulant une demande unique à l’AGIRA, qui saisit à son tour l’ensemble des assureurs.
L’efficacité de ces dispositifs est aujourd'hui démontrée. Au mois de juin 2009, le Gouvernement a publié un rapport relatif aux contrats d’assurance sur la vie non réclamés.
En trois ans et demi, le dispositif AGIRA I de la loi de 2005 a permis, grâce aux demandes de particuliers qui pensaient être bénéficiaires de contrats d’assurance sur la vie, d’ouvrir 7 500 dossiers correspondant à 205 millions d’euros de capitaux à verser.
En 2009, le dispositif AGIRA II de la loi de 2007 qui permet aux assureurs de consulter le fichier national des décès a été fortement utilisé par les assureurs, comme Hervé Maurey l’a indiqué : plus de six millions d’interrogations ont été recensées, chiffre considérable. Elles ont permis d’identifier 14 000 décès, ce qui a entraîné le versement de 121 millions d’euros supplémentaires.
Au final, grâce à ces deux dispositifs, AGIRA I et AGIRA II, près de 330 millions d’euros ont, en quelque sorte, retrouvé leur chemin en direction des consommateurs.
Aujourd’hui, la proposition de loi présentée par Hervé Maurey nous donne l’occasion à la fois de faire le point sur le dispositif AGIRA, mais aussi de parfaire les dispositifs existants.
La commission des lois du Sénat, eu égard au remarquable travail accompli par son rapporteur, Dominique de Legge, et sous la présidence de Jean-Jacques Hyest, a réalisé un travail d’orfèvre pour identifier les insuffisances du dispositif de 2007, tout en s’inscrivant résolument dans la continuité des dispositifs AGIRA, qui sont en train de faire leurs preuves. Comme vous l’avez relevé, monsieur le rapporteur, l’intérêt de la présente proposition de loi est de se fondre dans les dispositifs existants, qui démontrent leur efficacité grandissante. Je tenais à vous en remercier.
Tout d’abord, le texte de la commission va jusqu’au bout de la logique de la loi de 2007, en tendant à imposer aux assureurs une obligation annuelle de croiser leur fichier d’assurés avec le fichier national des personnes privées.
Ensuite, il instaure formellement un principe de responsabilité des assureurs, qui n’est pas démenti par la pratique observée depuis la loi de 2007, en exigeant des assureurs qu’ils publient chaque année les démarches qu’ils ont entreprises pour rechercher les bénéficiaires de contrats non réclamés, ainsi que les résultats obtenus.
Ces avancées, de bon sens, prolongent la loi de 2007. Elles sont efficaces et proportionnées, à l’image de l’action de la commission des lois du Sénat. C’est pourquoi le Gouvernement sera favorable au texte issu des travaux de cette dernière. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte sur une question que nous avons déjà eu l’occasion de traiter assez récemment.
Il n’en demeure pas moins que, de temps à autre, une discussion sur l’état d’avancement et de mise en œuvre de telle ou telle disposition législative n’est pas forcément malvenue.
L’assurance vie constitue l’un des placements préférés des Français. Au-delà du flux annuel des versements réalisés par les ménages épargnants, le montant des sommes actuellement capitalisées se révèle particulièrement significatif. Il dépasse en effet 1 200 milliards d’euros et, de par les choix prioritaires d’investissement réalisés par les compagnies d’assurance gestionnaires de ces contrats, cette situation amène nos compatriotes à être détenteurs d’une part importante de la dette de l’État, puisque le marché obligataire est largement sollicité par les opérateurs du secteur.
Il conviendra d’ailleurs, le moment venu, de s’interroger sur « l’entourage fiscal » de ce placement vedette qu’est l’assurance vie, puisqu’il a été profondément modifié. De surcroît, les mesures tendant à restreindre les avantages fiscaux associés à la souscription n’ont pas réellement ralenti le mouvement de souscription.
Toujours est-il que le succès de ce placement qu’est l’assurance vie comporte quelques contreparties qui sont moins connues, notamment le fait que les souscripteurs ne sont pas toujours très jeunes ni très fortunés et qu’une partie des contrats capitalisés se retrouve finalement en déshérence.
Tranchons d’entrée la question des montants en jeu, sur laquelle tout le monde peut avoir raison ou tort. Autrement dit, l’on pourrait retenir autant l’estimation basse de 800 millions d’euros selon les professionnels de l’assurance, que l’estimation haute, soit 5 milliards d’euros, selon certains cabinets ou associations, spécialisés dans l’appui aux bénéficiaires de contrats à la recherche de leur capital.
À vrai dire, il est sans doute difficile d’avoir une estimation précise à l’euro près ; effectivement, le suivi des contrats par les compagnies d’assurance elles-mêmes ne semble pas permettre de retracer l’ensemble du capital des contrats en déshérence à un moment donné.
Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi, s’est d’emblée orienté vers un renforcement des voies et moyens autorisant la récupération des contrats non réclamés, mais il l’a fait de manière généralement peu appropriée, puisqu’il a envisagé de donner aux compagnies d’assurance la possibilité d’imputer sur le capital finalement restitué les coûts exposés pour retrouver les bénéficiaires de la liquidation du contrat.
Je constate, à la lecture du rapport comme du texte de la commission des lois, que ces dispositions ont été heureusement retirées de la proposition de loi soumise à notre examen.
En ces matières, il convient de garder raison. Attendu que les sommes récupérées par les bénéficiaires sont en moyenne d’un montant réduit, s’élevant à un peu plus de 8 600 euros, et pour peu que les « détectives » de l’assurance aient forfaitisé leur intervention, une telle démarche aurait privé les bénéficiaires les plus modestement dotés d’une part importante du maigre capital à récupérer.
Le passage en commission de la proposition de loi aura au moins permis de pointer les limites fixées aux intentions de l’auteur de cette dernière.
En fait, ces limites tiennent à l’équilibre même du texte qui, selon nous, tendait à alléger les règles imposées aux assureurs relatives au suivi et à la recherche des bénéficiaires de contrats d’assurance vie et, accessoirement, à leur permettre d’externaliser une partie de leurs coûts normaux de fonctionnement au détriment des assurés.
Il s’agit bien de cela : sous des apparences sympathiques – j’en veux pour preuve la lecture de l’exposé des motifs –, la proposition de loi originale visait non pas à s’alarmer de la situation des contrats non réclamés, mais bien à donner aux assurances une plus grande latitude dans la gestion courante de ces contrats.
Quand on prévoit de mettre en œuvre la démarche figurant dans l’actuel cadre législatif trois ans après l’émission d’un accusé de réception infructueux, on laisse bien à la discrétion des compagnies l’utilisation de ce laps de temps pour user et abuser des montants « en sommeil ».
Le texte adopté par la commission des lois a fixé un cadre plus pertinent. Il crée notamment une obligation de résultat pour chaque compagnie d’assurance ou chaque mutuelle gestionnaire de produits de prévoyance pour ce qui concerne la recherche et la détection des contrats non réclamés.
Une telle orientation ne peut que recevoir un avis favorable de la plus grande partie des membres de notre assemblée, me semble-t-il.
Il va sans dire que les membres du groupe CRC-SPG ne s’opposeront pas à l’adoption du texte issu des travaux de la commission des lois.
Il nous importe, en dernière instance, que les assurés et les bénéficiaires qu’ils ont désignés puissent retrouver la pleine jouissance des sommes, d’un montant le plus souvent réduit, épargnées tout au long d’une vie de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui devrait permettre, je l’espère, de boucler le dispositif progressivement mis en place depuis 2005 pour régler le fameux problème des contrats d’assurance vie non réclamés.
Comme l’ont rappelé certains orateurs, aujourd’hui, on estime qu’il existe 22 millions de contrats d’assurance vie, correspondant à environ 12 millions de souscripteurs et représentant un encours total de plus de 1 200 milliards d’euros, soit deux fois la capitalisation boursière du CAC 40, si mes informations sont exactes. Les enjeux sont donc importants.
Mais comme on le sait également, pour un certain nombre de ces contrats, le versement des sommes qui sont dues à leur bénéficiaire en vertu de la volonté du souscripteur et à la suite du décès de ce dernier n’est pas effectif, tout simplement parce que nombre de bénéficiaires ignorant qu’un contrat a été souscrit à leur profit ne font aucune réclamation.
Il en résulte un problème à la fois juridique et moral. D’un point de vue juridique, l’une des stipulations du contrat, essentielle dans l’esprit du souscripteur, n’est pas respectée. Sur le plan moral, les sommes placées sur ces produits par les souscripteurs l’avaient été non pas pour rester dans les réserves de la compagnie d’assurance au-delà de leur décès, mais bien pour bénéficier à une personne qu’ils avaient eux-mêmes choisie.
Cette problématique a été soulevée une première fois en 2005 devant la Haute Assemblée, au travers d’un amendement que j’avais déposé au moment de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance. Cet amendement, complété par une précision souhaitée par le Gouvernement et adopté par le Sénat, a instauré l’obligation pour l’assureur, lorsqu’il a connaissance du décès de l’assuré, d’informer le bénéficiaire d’une assurance vie de la stipulation effectuée à son profit, si ses coordonnées sont portées au contrat. Certes, comme l’a fait remarquer Hervé Maurey, c’est peu de chose, mais encore fallait-il que la loi le prévoie.
Le mécanisme introduit en 2005 a ensuite été complété en 2007, notamment par une disposition qui a donné aux sociétés et aux mutuelles d’assurance les moyens d’identifier les contrats pour lesquels elles sont tenues de verser un capital et a renforcé les obligations de moyens qui pesaient sur elles visant, d’une part, à identifier les bénéficiaires et, d’autre part, à verser les sommes dues dans un délai maximal d’un mois.
À la suite de ces diverses dispositions, les assureurs ont mis en place l’Association pour la gestion des informations relatives aux risques en assurance, l’AGIRA, qui joue en quelque sorte un rôle de guichet unique pour répondre aux obligations de gestion et de recherche mises à leur charge. Par ailleurs, ils se sont engagés à procéder à des recherches sur des contrats dont l’assuré était âgé de plus de quatre-vingt-dix ans et avec lequel ils n’avaient eu aucun contact depuis deux ans. C’est un début.
Ce dispositif, qui va incontestablement dans le bon sens, n’est certes réellement opérationnel que depuis l’an dernier, mais on constate aujourd’hui que le fichier des personnes décédées qui en a résulté donne lieu à près d’un million d’interrogations chaque mois.
On constate donc une montée en puissance du dispositif instauré à partir de 2005 et amélioré en 2007 ; il n’y a probablement pas lieu de modifier en profondeur ce qui se met en place.
Il n’en reste pas moins vrai que le système peut être amélioré : fin 2009, on estime l’encours de contrats non réclamés entre 700 000 millions d’euros et près de 5 milliards d’euros. Avec un tel écart, on peut progresser !
Le travail accompli par la commission des lois, à partir de la proposition de notre collègue Hervé Maurey, va dans le bon sens. La commission n’a pas souhaité modifier sensiblement le dispositif mis en place en 2005 et en 2007. En effet, comme je le soulignais déjà voilà deux jours à cette tribune, lors de l’examen de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, il faut prendre le temps de l’évaluation avant de modifier une disposition législative.
Par ailleurs, l’assurance vie étant un produit d’épargne attractif, si l’on veut qu’il le reste, il convient de lui garantir une certaine stabilité.
Si elle n’a pas retenu l’ensemble des dispositions initiales de la proposition de loi, la commission, sous la houlette de son rapporteur Dominique de Legge, a néanmoins suivi l’auteur du texte sur plusieurs des mesures qu’il proposait.
Je pense à l’obligation annuelle de contrôle de l’éventuel décès de l’assuré, d’autant que les chiffres de consultation du dispositif évoqué à l’instant montrent que les assureurs sont en mesure de procéder à des recherches massives sur le portefeuille de leurs clients.
Je pense également à l’obligation faite aux assureurs de publier annuellement un état sur les démarches effectuées pour la recherche des assurés décédés et des bénéficiaires des contrats.
Ces dispositions vont dans le sens d’une plus grande transparence sur la situation de l’assurance vie qui – on le voit au travers de l’approximation des chiffres évoqués – n’est pas, aujourd’hui, des plus claires ! Par ailleurs, on évitera ainsi de voir se développer un certain nombre de rumeurs, voire de fantasmes, comme le disait M. le secrétaire d’État.
C’est dans le même esprit que j’ai cosigné les amendements proposés par Hervé Maurey, qui vont dans le même sens et tendent à compléter l’information annuelle prévue à l’article 1er bis de la proposition de loi.
Les échanges qui ont eu lieu en commission des lois, notamment entre l’auteur de la proposition et le rapporteur, sont de nature à parvenir à un texte conciliant au mieux transparence et efficacité, deux termes qui devraient nous servir de ligne de conduite pour la plupart des textes que nous examinons.
Je souhaite donc que nos débats de ce jour permettent d’adopter un texte garantissant cette transparence sur les actions menées pour régler au mieux le problème des contrats d’assurance vie non réclamés, aussi bien du côté des assureurs que de celui des bénéficiaires. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Jacques Mézard applaudit également.)