M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans l’actuelle phase d’accélération de l’histoire, prendre la parole sur un tel sujet, c’est courir le risque que toute affirmation ou toute infirmation ne soit dépassée ou démentie.
Je commencerai donc mon propos par les données objectives.
Ce projet de loi de finances rectificative est motivé par le prêt que la France consent à la Grèce, à hauteur de 16,8 milliards d’euros sur trois ans, et à l’ouverture de crédits de paiement d’un montant de 3,9 milliards d’euros pour 2010, au titre de sa participation au sein de la zone euro. Logiquement, il adapte la prévision de déficit de la loi de finances initiale en ajoutant 3 milliards d’euros au déficit de 2010, le portant ainsi à 152 milliards d’euros, mais le Gouvernement laisse inchangée son hypothèse de croissance de 1,2 %, alors que récemment l’INSEE a tablé sur 0,9%. Pour 2010, la Commission européenne fournit un chiffre voisin, sa prévision pour 2011 étant très inférieure à celle du Gouvernement. Nous verrons ce qu’il en sera lors de l’examen d’un prochain projet de loi de finances rectificative, alors que le chômage perdure et que la consommation faiblit…
Les membres du groupe socialiste voteront le présent projet de loi de finances rectificative, en responsabilité.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme Nicole Bricq. Soutenir la Grèce, c’est défendre la zone euro, c’est respecter les traités dont la France est signataire, bref, c’est être conséquent avec l’engagement européen qui est le nôtre, même s’il y aurait beaucoup à dire sur les orientations de l’Union européenne tout au long de ces dernières années.
Abordons maintenant la gestion de la crise.
L’objet du présent projet de loi de finances rectificative est d’octroyer un prêt à la Grèce, afin de la délivrer de l’emprise des marchés durant une période critique, estimée à dix-huit mois.
On peut débattre de l’attentisme et du manque de réactivité des États de la zone euro. Ainsi, en Allemagne, il a fallu que le directeur général du FMI convainque la Chancelière de l’urgence et de la hauteur de son intervention. Dans une mesure moindre, en France, l’accent a d’abord été principalement mis sur les contreparties plutôt que sur le soutien à la Grèce lui-même.
Cet attentisme se vérifie dans le calendrier. Dès le 11 février dernier, lors du Conseil européen relatif à la stratégie de croissance « Europe 2020 », les États de l’Union européenne ayant affirmé le principe de la solidarité européenne avec la Grèce, les États membres de la zone euro ont déclaré qu’ils prendraient des mesures déterminées et coordonnées si nécessaire, pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble.
Lors du Conseil européen des 25 et 26 mars, il a été précisé que le soutien financier à la Grèce interviendrait en dernier recours, en particulier si le financement de marché devait se révéler insuffisant, dans le cadre d’un accord comprenant une implication financière du Fonds monétaire international et une majorité de financement européen, par le biais de prêts bilatéraux coordonnés des pays membres de la zone euro.
À partir du début du mois d’avril, les doutes des investisseurs ont resurgi, à la suite de la dégradation de la notation des banques grecques et de la demande, par ces dernières, de l’activation du reliquat du plan de soutien aux banques qui avait été mis en place par le gouvernement grec : le 8 avril, les taux de financement ont atteint 7,36 %, soit un écart de taux par rapport à l’Allemagne de 645 points de base, contre 400 points de base la semaine précédente.
Le doute s’est instauré quant au caractère supportable, à moyen terme, de telles conditions de financement pour les finances publiques grecques, d’autant que les titres à refinancer s’élevaient à 12 milliards d’euros pour le mois d’avril et à 8 milliards d’euros pour le mois de mai.
En conséquence, le 11 avril, les États membres de la zone euro ont confirmé le principe d’un plan de soutien financier à la Grèce, valable pour trois ans, au cas où l’accès au marché lui serait fermé, pour un montant maximal de 30 milliards d’euros dès 2010, à un taux de 5 %.
Le 12 avril, la Commission européenne s’est engagée à élaborer, en lien avec la BCE, le FMI et le gouvernement grec, un programme commun d’assistance à la Grèce. Le 21 avril, le gouvernement français a présenté le projet de loi de finances rectificative en conseil des ministres. Le 23 avril, la Grèce a demandé l’activation du plan européen d’aide financière.
Madame la ministre, il n’est pas niable que la sous-estimation du risque grec – le poids de la Grèce n’est pas énorme dans l’économie de l’Union européenne –, les arrière-pensées liées à la baisse de l’euro, l’attentisme qui s’est ensuivi ont constitué une erreur d’appréciation de la gravité de la situation.
On peut débattre du montant du prêt globalement fixé à 110 milliards d’euros, pour la France à 16,8 milliards d’euros. Suffira-t-il pour atteindre l’objectif ou sera-t-il cautère sur jambe de bois ? La pluriannualité du plan laisse ouverte la possibilité de faire plus, surtout s’il est nécessaire de stopper l’effet de contagion, car les marchés, même apaisés, garderont toujours l’œil ouvert.
On peut donc débattre du taux de ce prêt largement supérieur, au moins pour l’Allemagne et la France, à celui auquel elles se refinancent. Surtout, il faut comparer son montant de 5,2% à l’hypothèse de croissance sur laquelle repose le plan grec : la Commission européenne a du reste hier révisé cette hypothèse à la baisse pour la Grèce en 2010, en raison de son estimation d’une récession aggravée.
Ce taux élevé n’est pas un facteur de crédibilité, car il laisse penser que, en raison du décalage entre ce taux et la croissance de la Grèce, le gouvernement grec aura du mal à honorer ses remboursements. Je ne doute pas qu’il soit le résultat d’une négociation avec nos partenaires européens, mais il est éloigné d’un bon calcul économique simple : on rembourse d’autant mieux que l’on est capable de produire des richesses, par conséquent d’obtenir de bonnes rentrées fiscales.
En attendant, les Grecs sont soumis à un régime sévère. Souhaitons que le remède ne tue pas le malade. La Grèce est un pays démocratique. Laissons au peuple grec sa capacité de réaction et gardons-nous de l’humilier. L’histoire nous a appris que la mémoire des peuples est plus longue que celle des marchés.
On peut également débattre du facteur déclencheur qui a permis d’aboutir, après bien des tergiversations, à l’accord final de la zone euro et à ce prêt. Gageons que l’intervention, la semaine dernière, du directeur général du Fonds monétaire international auprès de la Banque centrale européenne et de la Chancelière allemande n’a pas été étrangère à cette conclusion. J’ai souvenir, madame la ministre, de votre invitation à votre ministère à l’automne 2008 des membres des deux commissions des finances du Parlement à l’occasion du passage à Paris de Dominique Strauss-Kahn.
Il était déjà question, dans les conversations, de l’intervention du FMI en Europe. Mais il s’agissait alors d’un petit État balte, la Lettonie, par ailleurs hors zone euro, a laquelle le FMI devait, dans un premier temps, accorder un prêt à hauteur de 1,7 milliard d’euros, avant de fournir, aux côtés de l’Union européenne, un prêt plus ambitieux.
On ne prêta sans doute pas suffisamment attention au cas letton.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. J’ai fait une communication sur la Lettonie !
Mme Nicole Bricq. Pourtant, ce pays, qui était hors de la zone euro, avait choisi un mode de change fixé à la zone euro, dans le but de gagner en crédibilité et de contenir l’inflation.
La recette fut bonne, dans un premier temps, mais l’explosion de sa bulle immobilière et l’effondrement du commerce international le frappèrent de plein fouet. En récession, ce pays s’était engagé à un plan drastique, qui l’a conduit en 2009 à une contraction de son PIB de 18 %. Les Lettons ont payé cher, très cher, Denis Badré vient de le rappeler.
Leur situation économique a l’air de se stabiliser. Ils le doivent certainement à l’intervention précoce du FMI, qui, depuis lors, a aidé d’autres pays européens – je pense notamment à la Roumanie et à la Bulgarie.
Le côté Tartuffe, qui consistait à dire, il y a encore quelques semaines : « Le FMI, en Europe et a fortiori en zone euro, vous n’y pensez pas ! », a vécu.
On peut aussi débattre des agences de notation, dont la brutalité a suscité de vives réactions. Faut-il rappeler les enseignements que nous avions tirés, dès 2008, lors de nos travaux dans le cadre du G 24, parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis, notamment après la chute de la banque Lehman Brothers ?
Nous avions dénoncé les conflits d’intérêts, l’absence de transparence et la négligence avec laquelle les agences de notation tenaient compte dans leur note de produits financiers de plus en plus complexes.
Notre exigence à leur endroit ne saurait être mieux résumée qu’au travers de ce qu’écrivait Didier Migaud, alors député socialiste et président de la commission des finances, dans un petit opuscule publié par la fondation Jean Jaurès, que j’ai pris l’initiative de relire pour ce débat : « La régulation publique des agences de notation est une nécessité [...]. A minima devrait être envisagée la séparation de leurs activités de conseil et de notation [...]. De telles règles pourraient être imposées à travers une obligation d’enregistrement des agences auprès d’un régulateur européen ». Et pour finir, il y défendait « une solution […] ambitieuse », « la création d’une agence européenne » qui veillerait à leur « indépendance » et à leur « transparence ».
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout cela figure dans mon rapport de 2003 !
Mme Nicole Bricq. Le règlement européen du 12 novembre 2008 est seulement en voie d’acheminement dans les États et devrait entrer en vigueur le 16 juin prochain. Madame la ministre, vous avez déclaré à l’Assemblée nationale l’avoir transmis à l’autorité des marchés financiers.
Mais, faute de régulateur européen, c’est chaque autorité de marché qui prendra le soin d’enregistrer et de contrôler les agences. Ce dispositif lâche ne nous rassure pas. Il fera en effet l’objet de toutes les interprétations possibles, en fonction de chaque régulateur.
Il est facile, au fond, de crier haro sur les agences de notation, qui sont un thermomètre…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Exactement !
Mme Nicole Bricq. …mais qui ne sont pas la maladie !
Il eût mieux valu aller plus vite et plus loin dans l’atteinte des objectifs proclamés voilà deux ans. L’observation du bilan de l’Union européenne quant aux préconisations des G 20, le montre, la machine communautaire a du mal à suivre.
On peut débattre du rôle de la Banque centrale européenne, qui a ouvert les liquidités aux banques européennes. Celles-ci se sont empressées d’acheter des obligations d’État, dont celles de la Grèce et d’autres pays en difficulté. Elles se trouvent aujourd’hui exposées à une hauteur dont on ne connaît pas très bien la jauge.
La Banque centrale européenne, après avoir donc ouvert les vannes des liquidités, a franchi le Rubicon en assouplissant pour la seule Grèce ses conditions d’acceptation des obligations d’État. Pourtant, en janvier encore, son président M. Jean-Claude Trichet affirmait : « Nous ne changerons pas notre système de collatéraux pour le bien d’un pays particulier. Cela est clair comme de l’eau de roche. »
On peut débattre du pacte de stabilité dont tout le monde s’est affranchi. Nous savions bien qu’il y aurait, un jour ou l’autre, un moment où la nouvelle bulle des dettes souveraines nous poserait des problèmes. Nous y sommes.
C’est vrai, les règles de la zone euro étaient faites pour le beau temps, pour une mer tranquille, pour l’harmonie universelle et non pour affronter les tempêtes.
On peut débattre, enfin, des méchants marchés qui ne sont pas reconnaissants aux États de les avoir sauvés. Ce serait considérer les marchés comme des êtres moraux, ce qu’ils ne sont pas ! Cette posture nous confirme dans notre impuissance à agir dans la régulation financière, obnubilés que sont nos dirigeants dans le match Europe–États-Unis, voire, au sein de l’Union, entre les places financières de Paris et de Londres !
Rappelons-nous le match de fond de court – bientôt va s’ouvrir le tournoi de Roland-Garros ! (Sourires.) – pour mettre en œuvre une maigrelette taxation des bonus, comme celui que mène l’Europe au sujet de la prévention du risque systémique, chacun attendant que l’autre monte au filet pour rabattre sa raquette ! (Nouveaux sourires.) Mais je n’ai pas envie de rire, l’heure est grave !
Même si les marchés se calment, gardons-nous de croire qu’une fois l’incendie éteint, la braise ne se rallumera pas. Le drame, aujourd’hui, c’est la crise de confiance générale. Plus grave encore, il n’y a plus de confiance entre les États au sein de la zone euro. Une lettre commune du Président de la République et de la Chancelière au Président de l’Europe ne suffira pas à la retrouver.
Qu’ont fait les dirigeants ces dernières années ? Une course folle : une course à l’avantage compétitif, une course à la baisse de la fiscalité, surtout pour le capital, une course à la compression salariale au sein même de l’Union européenne.
De tels choix sont politiques. Il en faut de nouveaux pour que l’Europe survive et, bien sûr, en son sein, la zone euro.
Pour élaborer de nouvelles règles pour le pacte de stabilité, comme pour définir des normes budgétaires, il y aura du monde, mais pour dégager des solutions politiques, réclamées par la gouvernance économique, l’harmonisation fiscale et, enfin, un budget européen qui donne à l’Europe la capacité propre d’emprunter, il faudra plus que le talent de hauts fonctionnaires : il nous faudra des dirigeants à la hauteur !
Le jugement de la gestion de crise ne peut qu’être sévère. Nous avons vu des gouvernants divisés, hésitants et quelquefois hypocrites. La réalité, nous la connaissons : l’Europe est malade de ses déficits publics, certes, mais aussi de son chômage et de sa très faible croissance. Au moment où se dessine un couple G 2, États-Unis et Chine, il est temps de se ressaisir.
Madame la ministre, en commission vous nous avez rappelé que le traité de Lisbonne institutionnalise l’Eurogroupe. Il nous donnerait donc la liberté d’aller de l’avant. J’ai d’ailleurs déjà entendu cet argument dans mon camp.
Les socialistes réclament depuis des années, sans trouver d’écho, cette gouvernance économique, dont tout le monde se fait aujourd’hui le chantre.
Il est plus nécessaire que jamais de construire cette gouvernance, au lieu de se servir de la crise pour régler à la hussarde tel ou tel problème domestique – je veux parler, bien sûr, des retraites et du gel des dépenses annoncé par le Premier ministre, sans qu’il veuille bien sûr regarder du côté des recettes, mais nous y reviendrons.
Je conclurai sur une note un peu plus positive. En 1974, dans la tourmente monétaire qui suivait la crise ouverte en 1973, le Secrétaire d’État américain Henry Kissinger avait eu cette formule méchante : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? ». Les faits ne lui ont pas donné tout à fait raison. Peut-être n’y avait-il personne au téléphone, mais il y avait quelqu’un dans l’avion : en 1976, les accords de la Jamaïque étaient signés, et, en 1979, le Système monétaire européen était en place.
Aujourd’hui, c’est l’euro, son successeur, qui est dans la tourmente, et c’est l’Europe et les Européens qui souffrent.
Nous, socialistes, souhaitons que l’Europe soit pilotée et remise à l’endroit, sur de bonnes bases, celles de la croissance et de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.
M. Daniel Marsin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2004, la Grèce organisait les jeux Olympiques et offrait au monde l’image d’un pays jeune, dynamique, ambitieux et réconcilié avec son passé. Elle accueillait, dans un décor somptueux et une ambiance festive, les délégations nationales et des spectateurs du monde entier.
Six ans après, la Grèce est de nouveau sous les feux des projecteurs médiatiques : elle est au bord du désastre économique et financier, à la merci d’un destin tragique qu’elle ne maîtrise plus, ou, en tout cas, qu’elle ne maîtrise plus seule.
Deux difficultés majeures sont à l’origine de cette situation : d’une part, la crise financière internationale, qui a notamment fragilisé les économies les plus vulnérables ; d’autre part, la perte de crédibilité des deux derniers gouvernements grecs, véritable poudrière politique qui risque non seulement de déstabiliser la société grecque mais, plus largement, ses partenaires de la zone euro.
En effet, chaque révision de la prévision du déficit grec a aggravé la défiance des marchés à l’égard du pays. Cela s’est traduit par des écarts de taux de financement considérables. Ce n’est pas seulement la situation économique et financière de la Grèce qui est en cause, mais c’est, très clairement aussi, la stabilité de toute la zone euro.
Dans ces conditions, il devient urgent pour l’ensemble des pays de la zone d’intervenir et de faire preuve de solidarité. Tel est donc l’objectif de ce collectif budgétaire, que l’on pourrait qualifier d’inhabituel. Il propose d’octroyer un prêt de la France à la Grèce pour un montant de près de 17 milliards d’euros sur trois ans, le montant des crédits de paiement qui seront versés en 2010 restant fixé à 3,9 milliards d’euros.
Le principe directeur qui doit aujourd’hui prévaloir est celui de la solidarité. C’est, semble-t-il – et cela réjouit les membres du groupe du RDSE –, celui choisi par le Gouvernement, qui aura, nous l’espérons, l’accord et l’approbation du Parlement. Nous affirmerons ainsi avec force notre engagement européen. C’est, pour les membres de mon groupe, une constante et un impératif dans la situation actuelle.
Dans un rapport d’information présenté il y a près de trois ans, notre collègue Yvon Collin, actuel président du groupe du RDSE, avait déjà tiré la sonnette d’alarme en soulignant le manque de coordination des politiques économiques européennes. Cet engagement fondamental dans le processus de construction européenne semblait alors absent.
Aujourd’hui, il faut l’admettre : l’avenir du vivre-ensemble européen passe par davantage de solidarité, d’entraide et de coordination entre les États.
D’ailleurs, jusqu’aux derniers événements grecs, les politiques économiques, dans l’Union européenne, particulièrement dans la zone euro, apparaissaient, au mieux, désordonnées et, au pire, antagonistes.
Aujourd’hui, en dépit des nombreux antagonismes fiscaux qui demeurent, la solidarité financière semble avoir pris le pas sur le repli égoïste. Le groupe du RDSE s’en félicite. Notre soutien à la Grèce est un impératif de solidarité et un impératif économique.
Soutenir la Grèce, bâtir ce mécanisme de rempart que nous avons construit avec le concours du fonds monétaire international, c’est aussi une façon de stabiliser l’euro et de renforcer la zone euro. La stabilité de l’euro est fortement mise en cause par la crise grecque, comme en témoignent la dégringolade de l’euro vis-à-vis du dollar et la chute des bourses européennes, encore accentuées ces derniers jours.
Pourtant, je le répète, l’Union européenne est intervenue trop tardivement. Cette insuffisante réactivité demeure une faiblesse, qu’il faudra corriger à l’avenir.
Dès janvier 2010, la spéculation avait commencé. Or il a fallu attendre le courant du mois d’avril dernier, quand l’État grec devait déjà faire face à des remboursements importants, pour que soit annoncé un engagement européen plus solidaire.
Par ailleurs, nous ne pouvons manquer de nous interroger sur la réaction de la Banque centrale européenne, qui a regretté que le FMI soit sollicité. Comment une banque centrale, qui refinance à 1 % des établissements privés – eux-mêmes prêtant des fonds à des spéculateurs –, ne pourrait-elle appliquer un taux de refinancement aussi avantageux à un État ? Cette question mérite tout de même d’être posée.
L’Europe doit désormais tirer les leçons de la crise financière, dont nous ne sommes malheureusement pas encore sortis.
En découlent deux réflexions.
En premier lieu, dans un récent entretien accordé à un grand quotidien économique, le commissaire européen chargé des marchés financiers, M. Michel Barnier, affirmait : « Puisque la tempête qui s’abat sur l’Europe est la faute des agences de notation américaines, qui ont injustement dégradé la note des cigales européennes, il faut envisager la création d’une agence de notation européenne pour redresser ce tort considérable ».
Le moins que l’on puisse dire de ces agences, c’est que, d'une part, elles échappent au contrôle des régulateurs officiels, ou en tout cas aux gendarmes boursiers, qu’ils soient américains ou européens d'ailleurs, et que, d'autre part, leur bilan est loin d’être probant. Nous le savons, quelques jours à peine avant la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, l’une d’entre elles affirmait maintenir son soutien et sa confiance à la direction financière de l’établissement… Nous pourrions citer d’autres exemples allant dans le même sens.
Toutefois, le plus gros problème est ailleurs. Qui rémunère les agences ? Ne seraient-ce pas les émetteurs de dette eux-mêmes ? Comme certains orateurs l’ont souligné tout à l'heure, il en découle un risque de conflit d’intérêt.
Les agences de notation, qui, ces derniers jours, ont accentué la volatilité des marchés financiers doivent donc être mieux contrôlées. Hier, elles ont déstabilisé la Grèce. Aujourd’hui, c’est au tour de l’Espagne et du Portugal. Demain, qu’adviendra-t-il pour notre pays ?
En second lieu, l’Europe a besoin, à l’évidence, d’un gouvernement économique démocratique, qui s’appuierait sur le principe de solidarité budgétaire. Cette idée a déjà été défendue ; le RDSE y souscrit tout à fait.
Même si elle suppose des efforts et une certaine fermeté, cette solidarité nous semble absolument indispensable. C'est pourquoi, au-delà de la mise en œuvre de ce principe, il faudra veiller à ce que les engagements pris par la Grèce soient correctement respectés.
En tout cas, madame, monsieur le ministre, nous, membres du RDSE, voterons ce texte, parce que nous estimons qu’il répond à un devoir de solidarité, parce que nous sommes profondément européens et parce que nous considérons que c’est dans le besoin que l’on reconnaît ses amis.
Je le répète, avec toutes les réserves et les interrogations que nous avons exprimées, nous voterons ce texte, parce que nous sommes d’ardents défenseurs de l’idée européenne. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il aura donc suffi de vingt milliards d’euros, représentant le défaut de paiement potentiel de l’État grec pour que, en quelques jours, l’édifice de la construction européenne montre des signes évidents d’essoufflement et de fragilité.
Vingt milliards d’euros, alors même que, en 2009, compte tenu de la récession internationale, les seize pays de la zone euro ont produit pour plus de 12 500 milliards de dollars de biens et de services !
Autant dire que l’impasse budgétaire dans laquelle la Grèce s’est retrouvée ne représente en réalité qu’un grain de sable. Pourtant, ce grain de sable a suffi pour que la belle mécanique européenne connaisse une incroyable crise systémique, dont nous n’avons sans doute pas encore vu toutes les implications.
Ainsi, parce que l’État grec risquait de se trouver dans l’incapacité de rembourser quelques banquiers cupides, qui l’ont pourtant rançonné avec des taux d’intérêts exorbitants, nous avons eu droit à deux mois de valse-hésitation des gouvernements européens, à l’affirmation des égoïsmes et de positions conditionnées par des considérations de politique intérieure, enfin à une crise obligataire croissante et chaque jour plus évidente.
En effet, dans cette affaire chacun avait ses propres préoccupations. L’Irlande, l’Italie, le Portugal et l’Espagne, cibles de la spéculation financière internationale, mettent péniblement en œuvre des mesures d’ajustement de leurs comptes publics, parce qu’ils font, à l’instar de treize des seize pays de l’Euroland, l’objet d’une procédure pour déficit public excessif.
Pendant ce temps, la Belgique, qui échappe pour l’heure à la crise obligataire, continue de se déliter au fil de l’aiguisement de ses antagonismes régionaux. Quant à l’Allemagne, qui ne s’est jamais acquittée de la facture des dommages de guerre causés à la Grèce entre 1941 et 1944, elle a sans cesse conditionné son engagement à l’exigence de sacrifices toujours plus nombreux de la part du peuple grec.
Dans ce contexte, la France aurait pu avoir une attitude différente de celle qui a été choisie. En effet, à travers le présent collectif budgétaire, elle se prépare à apporter 3,9 milliards d’euros de droits de tirage immédiats, prêtés à un taux de 5 % à l’État grec. Ainsi celui-ci pourra-t-il permettre à la Société générale de recouvrer les 3 milliards d’euros de créances douteuses qu’elle détient sur la dette publique grecque et éviter au Crédit agricole l’imputation de 800 millions d’euros des mêmes créances.
En résumé, l’État français va s’endetter pour permettre à nos établissements de crédit d’éviter des pertes de créances… Était-il inconcevable que les banques, qui ont souscrit une bonne partie de la dette publique grecque, contribuent à l’effort général, par exemple en rééchelonnant elles-mêmes cette dette, voire en consentant des abandons de créances ?
Ainsi, tout est dit, ou presque, du contenu de ce pseudo-dispositif d’aide à la Grèce, qui constitue au fond une répétition du plan de soutien aux banques, sans l’exigence d’aucune contribution ni contrepartie.
Tous ces dispositifs n’ont rien à voir avec la prétendue « solidarité » que l’Europe affirmerait à travers ce pseudo-« plan d’aide ». En réalité, on nous propose ici de faire porter par les dettes publiques les créances douteuses que les banques et les compagnies d’assurance détiennent sur la dette publique grecque.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. On peut dire cela.
M. Bernard Vera. Pis encore, avec ce plan, le risque de « défaut » grec se trouve transféré vers les États, et ce sont les contribuables français, allemands ou néerlandais qui seront éventuellement sollicités, dans trois ans, si la Grèce ne peut pas payer.
La véritable solidarité avec le peuple grec, c’est celle que nous portons et qui vise à entendre les attentes et les aspirations populaires, notamment quand les plus riches, les profiteurs de la crise, les financiers et les banquiers se trouvent exonérés du moindre effort, en Grèce comme en France.
Mes chers collègues, je voudrais à présent m’arrêter quelques instants sur les raisons qui, à notre sens, ont conduit à cette situation.
Depuis son adhésion aux communautés européennes en 1981, la Grèce a en effet connu plusieurs phases dans sa participation à la construction européenne. Bénéficiaire net des subsides européens – situation que ses retards économiques pouvaient largement justifier –, le pays a profité récemment d’un relatif développement, qui a été gagé sur une plus grande intégration et une plus grande dépendance vis-à-vis de l’étranger de secteurs clefs de son économie.
Si le revenu des habitants de la Grèce s’est accru, tout en restant inférieur à la moyenne des pays de l’Union et, plus encore, de ceux de la zone euro, nombre de secteurs stratégiques ont été progressivement ou totalement privatisés, tandis que les salariés grecs goûtaient aux conséquences amères de la déflation salariale et de la flexibilité.
C’est ainsi que les principales banques grecques sont passées sous le contrôle d’établissements d’autres pays, comme la BNP, la Société générale ou le Crédit agricole, que l’opérateur historique de télécommunications est devenu propriété de Deutsche Telekom pour 30 % de son capital, que l’opérateur national d’électricité se trouve détenu à plus de 45 % par des investisseurs institutionnels et que la compagnie aérienne nationale a été vendue à un consortium privé.
Ajoutons que, sous les gouvernements Karamanlis, qui ont géré les affaires du pays de 2004 à 2009, le système fiscal a connu une série de réformes à sens unique, allégeant l’impôt sur les sociétés et les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu, maintenant l’exonération de la taxation des dividendes et réduisant les droits pesant sur les mutations, donations et successions, toutes mesures s’inscrivant dans la même logique que celles qui ont été prises dans notre pays, notamment depuis 2007 !
De fait, la Grèce, aujourd’hui, condense les effets des choix européens : critères de convergence inatteignables, concurrence entre les territoires et les peuples, soumission à la dictature des marchés financiers, autisme d’une Banque centrale européenne rivée sur son objectif unique de stabilité des prix.
D’autres choix auraient pu être faits, y compris dans notre pays. Il n’est pas normal que l’État s’endette et s’appauvrisse pour venir au secours des banques sans contreparties. Les créanciers de la Grèce doivent mettre la main au porte-monnaie !
Au lieu de solliciter l’endettement des États membres de la zone euro, il aurait peut-être été plus sensé que la Banque centrale européenne mette autour de la table les banques et compagnies d’assurance, largement aidées en 2008 et 2009, pour qu’elles prennent à leur charge une partie du « défaut » grec.
Quand on pense que l’État grec a avancé 30 milliards d’euros pour préserver son secteur financier domestique, on mesure ce que représentent les échéances en souffrance ! Et comme nos comptes publics sont mis à mal, nous devons dégager immédiatement de nouvelles ressources, afin d’éviter que le syndrome grec ne finisse, un jour, par nous atteindre.
Ce n’est pas dans le dumping fiscal et social, ni dans la réduction de la dépense publique, ni dans le financement exclusif des dettes des États par les marchés que nous rendrons à l’Europe corps et sens pour nos compatriotes. Le mythe de la stabilité économique de l’Union vient de partir en fumée. Telle est la grande leçon de cette crise, qui est loin d’être dénouée par ce projet de loi.
Ce texte, replié sur la préservation de la rentabilité des marchés, assorti des mesures d’austérité les plus dures que le peuple grec ait eu à subir depuis la Seconde Guerre mondiale, contribuera à plonger la Grèce dans une récession très grave et dommageable pour toute l’Europe.
C'est pourquoi, mes chers collègues, nous nous y opposerons sans la moindre équivoque. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)