Sommaire
Présidence de Mme Monique Papon
Secrétaires :
Mme Anne-Marie Payet, M. Bernard Saugey.
M. Jean-Pierre Sueur, Mme la présidente.
MM. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale ; Mme Christiane Demontès, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale ; M. Dominique Leclerc, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale.
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.
MM. Yvon Collin, Jean Louis Masson, Guy Fischer, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gérard Longuet, Yves Daudigny, Gérard Dériot, Jean Desessard, Bernard Cazeau.
M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique.
MM. Jean-Jacques Jégou, le secrétaire d'État.
MM. Gérard Dériot, le secrétaire d'État.
MM. Claude Domeizel, le secrétaire d'État.
Mme Marie-Agnès Labarre, M. le secrétaire d'État.
Mme Jacqueline Alquier, M. le secrétaire d'État.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le secrétaire d'État.
Mme Raymonde Le Texier, M. le secrétaire d'État.
MM. René Teulade, le secrétaire d'État.
Mme Gisèle Printz, M. le secrétaire d'État.
M. Claude Domeizel, Mme le président.
Débat interactif et spontané (suite)
MM. Ronan Kerdraon, le secrétaire d'État.
MM. Jacky Le Menn, le secrétaire d'État.
MM. Jean-Jacques Mirassou, le secrétaire d'État.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
4. Débat sur les conséquences de la tempête Xynthia
MM. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia ; Alain Anziani, rapporteur de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.
M. Éric Doligé, Mme Marie-France Beaufils, M. Jean-Claude Merceron, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Ronan Kerdraon, Daniel Laurent, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Michel Doublet, Dominique de Legge.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Anne-Marie Payet,
M. Bernard Saugey.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, mes chers collègues, hier après-midi, à notre grande surprise, alors que nous pensions siéger dans cet hémicycle, nous avons été réunis dans la salle Médicis.
Les gardes républicains n’étaient présents que pour une partie du trajet, interrompu par le déplacement en ascenseur de M. le président du Sénat.
Je le dis tout de suite, je n’ai rien contre la salle Médicis ! Cependant, une fois la séance ouverte, j’ai fait observer à M. le président, après mon collègue Guy Fischer qui s’est exprimé avec une grande éloquence comme à son habitude, qu’il était pour nous surprenant d’être réunis dans cette salle, alors que l’hémicycle était disponible.
Et je me suis permis de demander à M. le président du Sénat le pourquoi de cette étrange situation. Il m’a répondu un peu plus tard, en citant des propos que j’avais tenus – je le confirme – lors d’une réunion d’un groupe de travail. J’avais alors déclaré qu’il serait peut-être bon de pouvoir disposer d’une seconde salle, au cas où la première serait occupée, pour des réunions de commissions, pour recevoir des ministres, pour des auditions, des colloques ou des débats.
Mais hier, chacun était un peu surpris de se retrouver là ; je ne parle pas, bien sûr, des personnels du Sénat, qui sont neutres. Et même pour ceux qui regardaient les images à la télévision, la scène était étrange.
Certes, on me rétorquera que le Sénat peut siéger n’importe où et que, s’il le souhaite, M. le président du Sénat peut nous convoquer salle Médicis.
Mais enfin, pourquoi ?
Je terminerai ma brève intervention – je ne veux en effet pas vous importuner, madame la présidente, vous me connaissez – en m’interrogeant avec Alphonse de Lamartine (Exclamations admiratives) : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme » ?
Madame la présidente, mes chers collègues, dans cet hémicycle, nous accomplissons notre tâche de législateur, contribuant tous les jours non seulement à écrire la loi mais aussi à contrôler le Gouvernement, et nous le faisons en ce lieu chargé d’histoire, sous le regard de Saint-Louis et de Charlemagne. (M. Jean-Pierre Sueur désigne tour à tour les statues qui ornent l’hémicycle.)
Or – et je sais que vous partagez ce point de vue, madame la présidente – remplir notre mission sous le regard de Colbert, de Turgot et de Portalis, le si remarquable auteur du code civil, sans compter d’Aguesseau, L’Hospital, Molé et Malesherbes, confère à nos travaux ce je-ne-sais-quoi qui fait que tout est différent.
Ici siégeait Victor Hugo (M. Jean-Pierre Sueur désigne le fauteuil qu’occupait le sénateur de la Seine), qui fut d’abord pair de France, un peu conservateur, il est vrai, avant de défendre toutes les idées progressistes qui lui étaient chères.
Ici siégeait Victor Schœlcher (M. Jean-Pierre Sueur désigne, cette fois, le fauteuil qu’occupait le sénateur inamovible), qui a tant lutté pour l’abolition de l’esclavage.
Siéger dans cet hémicycle a un sens ; ailleurs, dans une de ces salles neutres, banalisées, qui sont à l’hémicycle ce que, pour l’ébéniste, l’aggloméré est au chêne massif, non, madame la présidente, mes chers collègues, cela ne revient pas au même, car ces salles, parce qu’elles ne sont pas parées de la même histoire, ne sont pas porteuses de cette respiration si forte qui, depuis des siècles, fait que notre pays est la France !
Je vous supplie, madame la présidente, de demander à M. le président du Sénat, nonobstant les propos tenus par les uns et les autres lors de réunions de travail, de bien vouloir considérer la dimension sacrée de cet hémicycle, et j’entends par là la dimension sacrée de l’acte républicain. Il faut absolument que l’acte législatif du Sénat de la République soit accompli en totalité dans cet hémicycle. Nous y sommes fortement attachés.
Je vous remercie, madame la présidente, d’être notre avocate auprès de M. le président du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Monsieur Sueur, je vous donne acte de ce rappel au règlement, que je transmettrai à M. le président du Sénat.
Je suis néanmoins surprise de votre surprise… En effet, la décision de siéger hier dans la salle Médicis avait été prise lors d’une réunion du Bureau et confirmée par la conférence des présidents.
Mais je vous remercie de ce moment d’histoire et de poésie. C’est du moins ainsi que je me souviendrai de votre intervention, mon cher collègue. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur. Merci, madame la présidente.
3
Débat sur les retraites
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les retraites, organisé à la demande de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale.
La parole est à M. le président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale.
M. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, M. Sueur souhaitait que le choix du lieu de nos travaux manifeste la solennité indispensable à notre mission ; il doit être plus que comblé en cet instant où s’ouvre le débat si important que nous allons consacrer aux retraites.
Cela étant, j’estime que, dans nos travaux, le contenu importe plus que le contenant ! Concentrons-nous donc sur les sujets importants et ne perdons pas de temps avec des considérations de cet ordre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Notre débat prend place dans un contexte particulier.
Le Gouvernement vient en effet de présenter les grandes lignes du projet de loi qu’il défendra devant le Parlement au mois de septembre prochain. Nous allons donc avoir un échange approfondi entre nous et avec le Gouvernement, sur les voies et moyens disponibles pour résoudre les difficultés considérables que connaît aujourd’hui notre système de retraite.
Avant de laisser la parole aux deux rapporteurs, qui ont beaucoup travaillé sur ce dossier, M. Dominique Leclerc et Mme Christiane Demontès, tous deux membres de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, que j’ai l’honneur de présider, je souhaite rappeler que la MECSS suit de très près, depuis sa création en 2006, l’évolution de notre système de retraite.
Elle a présenté plusieurs rapports portant sur la compensation entre régimes, sur les règles de la réversion et sur l’assurance vieillesse en Suède. J’ai d’ailleurs la faiblesse de penser que le Conseil d’orientation des retraites, le COR, a commencé à s’intéresser aux comptes notionnels du jour où nous avons produit notre rapport. MM. Dominique Leclerc et René Teulade, l’un et l’autre par ailleurs membres du COR, s’en sont fait l’écho et ont attiré l’attention de leurs collègues sur l’intérêt qu’il y aurait à étudier la réforme des retraites en Suède, susceptible d’inspirer, en France, une réforme future à caractère plus systémique.
L’an dernier, avant même l’annonce du rendez-vous de 2010, la MECSS du Sénat avait décidé de retenir l’avenir du système de retraite comme thème principal de travail pour 2010. Nous avions même décidé de lui donner la priorité sur l’hôpital, thème que nous souhaitions pourtant aborder depuis longtemps, considérant qu’il était urgent de se pencher sur le dossier des retraites.
Nous y avons consacré une réflexion approfondie, engagée dès le mois de janvier dernier, qui a nécessité l’organisation d’une quarantaine d’auditions afin de recueillir les analyses et les propositions des partenaires sociaux, des gestionnaires des principaux régimes et des experts.
Notre débat d’aujourd’hui est donc l’aboutissement de ce travail, qui avait, monsieur le ministre, pour objet non pas d’intervenir dans la concertation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, mais d’aborder l’ensemble des questions que soulève aujourd’hui le modèle français de retraite et de formuler des orientations pour l’avenir afin que le Sénat soit pleinement éclairé.
Le Gouvernement a pu, à loisir, piocher dans ce rapport et faire des propositions. D’ailleurs, il a repris certains des leviers sur lesquels nous suggérons qu’il agisse.
Depuis la publication du rapport, nous avons complété nos investigations en nous rendant en Allemagne. La MECSS présentera d’ici au mois de juillet un rapport complémentaire sur les enseignements que nous pouvons tirer du système de retraite allemand.
Très brièvement, en tant que président de la mission et rapporteur général des lois de financement de la sécurité sociale, je souhaite replacer cette question des retraites dans le contexte plus général de la situation particulièrement dégradée des comptes sociaux et du déséquilibre financier.
La Commission des comptes de la sécurité sociale s’est réunie il y a peu. Elle a fait état d’un déficit prévisionnel du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, de 31,1 milliards d’euros en 2010, succédant à un déséquilibre de 23,5 milliards d’euros en 2009. De tels chiffres, jamais atteints dans l’histoire de la sécurité sociale, font planer une menace grave sur la pérennité de notre système et mettent en grande difficulté la gestion de la trésorerie au niveau de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS.
En effet, ces déficits cumulés se transforment aussitôt en une dette sociale qu’il faudra bien rembourser un jour ou l’autre.
J’avais déposé, au nom de la commission des affaires sociales, un amendement tendant à augmenter la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, pour combler une partie de la dette. C’était un petit effort. Éric Woerth, alors ministre des comptes publics, m’avait demandé de retirer cet amendement, indiquant qu’une commission composée de parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat se pencherait sur la question de la dette.
Une commission a donc été créée ; elle s’est déjà réunie à deux reprises, sous la présidence de M. François Baroin, pour étudier les différentes hypothèses qui permettraient de limiter la dette accumulée en 2009 et 2010, après la dernière reprise par la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, des dettes plus anciennes.
Les solutions ne sont ni nombreuses ni miraculeuses et elles présentent toutes de graves inconvénients, qu’il s’agisse d’augmenter la CRDS ou de repousser la date de disparition de la CADES. C’est pourquoi, notamment, on a refusé d’augmenter la CRDS lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, craignant l’impact sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens et sur la compétitivité des entreprises.
Toutefois, la question qui se pose dès à présent est de savoir comment éviter, ou tout au moins limiter, la reconstitution de nouvelles dettes au cours des années suivantes.
Notre système social est aujourd’hui particulièrement menacé par la dette, qui tend à exploser. Chacun voit bien que les déficits conjoncturels liés à la crise sont devenus structurels et que la reprise de la croissance, malheureusement, ne permettra pas, à elle seule, de les résorber.
Il est donc de notre devoir et de notre responsabilité de conduire une action résolue afin de parvenir à un retour à l’équilibre à moyen terme.
C’est dans ce contexte général que s’inscrit le rendez-vous de 2010 sur les retraites, qui doit constituer un élément essentiel de cette stratégie de retour à l’équilibre des comptes.
Dans cette perspective, il faut que cette réforme soit ambitieuse et agisse sur l’ensemble des paramètres disponibles ; je sais d'ailleurs, monsieur le ministre, que vous en êtes conscient et que vous souhaitez avancer dans ce sens. En effet, nous en sommes certains aujourd'hui – les rapporteurs de la MECSS pourront le confirmer –, aucun levier ne permettra, à lui seul, de régler la situation financière très préoccupante que nous connaissons, les mesures d’âge devant être complétées par de nouvelles recettes, qu’il convient de rechercher.
En effet, le débat s’est cristallisé sur la question de l’âge, mais ce seul paramètre ne nous permettra pas d’agir à la fois sur le flux, en équilibrant les comptes, et sur le stock, en finançant la dette existante.
À cet égard, mes chers collègues, je ne puis que me féliciter que le Gouvernement ait décidé d’annualiser le calcul des exonérations de charges sur les bas salaires, comme nous le lui avions proposé lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, même si je regrette, une fois de plus, qu’il nous donne raison avec toujours au moins une année de retard.
J’en ai fait l’expérience depuis plusieurs années : le Sénat a toujours tort d’avoir raison trop tôt ! (Sourires.) Et l’on attend que l’Assemblée nationale ou le Gouvernement, lors de l’examen du PLFSS suivant, reprenne la main et retienne en définitive des propositions que nous avions formulées l’année précédente.
Est-il bon de toujours reporter au lendemain ce que l’on peut faire le jour même ? Je n’en suis pas persuadé ! Toutefois, l’essentiel, au fond, est ici que nous soyons écoutés et, pour une fois, entendus, avant que l’Assemblée nationale n’endosse nos propositions…
Monsieur le ministre, vous avez présenté ce matin le contenu de cette réforme des retraites et indiqué qu’un retour à l’équilibre était prévu en 2018. Pouvez-vous nous préciser sur quelles grandes hypothèses économiques repose ce schéma et, surtout, quel sera le montant total cumulé des déficits auxquels nous devrons faire face entre 2011 et 2018 ?
En effet, pour ce qui concerne le transfert de la dette à la CADES, il faut prendre en compte le stock qui résultera des déficits constatés en 2009, 2010 et 2011, certes, mais aussi le flux de la dette, qui se reconstituera jusqu’en 2018. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Des solutions ont été trouvées, dont l’une serait, semble-t-il, le transfert à la CADES des ressources du Fonds de réserve pour les retraites.
M. Claude Domeizel. Eh oui !
M. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Cette mesure sera-t-elle suffisante pour éponger l’ensemble de la dette ainsi constituée, sans prolonger la durée de vie de la CADES ?
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la commission des affaires sociales s’est fermement opposée, à plusieurs reprises, à cette prolongation.
Notre collègue président de la commission des lois de l’Assemblée nationale a introduit dans la loi organique un amendement visant à rendre impossible le prolongement de la durée de vie de la CADES et à prévoir que tout transfert de dette à cet organisme serait accompagné de l’affectation d’une nouvelle recette.
Du reste, le Gouvernement s’est plié dans le passé à cette exigence : en 2008, pour financer une partie de la dette transférée à la CADES, il a attribué à cette dernière des recettes de CSG qui alimentaient auparavant le FSV, le Fonds de solidarité vieillesse.
Nous devons respecter ces engagements. Toutefois, dans la conjoncture particulière que nous connaissons, peut-être pourrions-nous trouver des aménagements. C’est ce que nous souhaitons, tout comme le Gouvernement.
Monsieur le ministre, comment se mettra en place le nouveau fonctionnement de la CADES, dont certaines recettes devront servir exclusivement à rembourser la dette émanant de la seule branche vieillesse ?
Je vous remercie de bien vouloir nous apporter toutes les précisions utiles sur ces aspects financiers, qui joueront un rôle essentiel dans le bouclage de la réforme.
Mes chers collègues, je pourrais être bien plus bavard, mais vous souhaitez, me semble-t-il, entendre les rapporteurs, qui évoqueront plus en détail cette réforme. Nous examinerons sans aucun tabou toutes les solutions permettant de rétablir une situation financière devenue insoutenable, car il y va de la pérennité de l’ensemble de notre système de protection sociale. Vous partagez tous cette conviction, je le sais, et il est de même du Gouvernement. C’est pourquoi celui-ci a formulé des propositions qui, je l’espère, retiendront l’attention de tous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Demontès, rapporteur.
Mme Christiane Demontès, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il me revient aujourd’hui de rendre compte, avec mon collègue Dominique Leclerc, des travaux que la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale a décidé de consacrer à l’avenir du système de retraite français.
Avant d’aborder le fond, je souhaite remercier l’ensemble de nos collègues qui ont participé, comme l’a souligné le président de notre mission, aux quelque quarante auditions réalisées avec les partenaires sociaux, les responsables des principaux régimes de retraite et les experts en la matière. Ces rencontres se sont d'ailleurs prolongées par un déplacement à Berlin, qui était destiné à nous faire mieux connaître le système de retraite allemand et qui, comme l’a souligné M. Vasselle, fera sans doute l’objet d’un rapport complémentaire.
Permettez-moi de saluer le président de la MECSS, Alain Vasselle, ainsi que la présidente de la commission des affaires sociales, Muguette Dini, qui a été indéfectiblement présente à nos travaux, alors qu’elle suit de nombreux autres dossiers. Permettez-moi également de remercier tout particulièrement nos administrateurs, notamment ceux qui se sont penchés longuement sur ce dossier, de leur grande disponibilité, de leurs réelles compétences et de la parfaite loyauté avec laquelle ils ont retranscrit les conclusions de nos travaux, sachant que les deux corapporteurs sont de sensibilité politique différente.
À l’issue de ces travaux, la MECSS n’entend pas présenter des propositions de réforme risquant d’interférer avec le projet de loi qui doit être déposé. Le Parlement examinera ce texte à partir du mois de septembre, me semble-t-il, et le Sénat exercera alors son pouvoir législatif.
La mission s’est attachée – le rapport en rend compte – à aborder l’ensemble des questions qui se posent aujourd’hui au modèle français de retraite et à examiner sans tabous, comme l’a souligné M. Vasselle, le plus large spectre d’évolutions envisageables.
Je le répète, ce rapport n’est pas un catalogue de propositions. Il n’est pas non plus une simple analyse comptable et financière. En effet, les ajustements comptables ne peuvent tenir lieu de réforme, et une remise à plat de l’ensemble des régimes doit être engagée.
Monsieur le ministre, permettez-moi tout de même de signaler le caractère surréaliste du débat de cet après-midi, qui s’ouvre quelques heures après la présentation par le Gouvernement, en l’occurrence par vous-même, de la réforme des retraites. (M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, s’exclame.)
M. Gérard Longuet. Cela prouve que ce débat est d’une grande actualité !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. D'ailleurs, certains d’entre vous, mes chers collègues, seront sans doute tentés d’intervenir non pas sur notre rapport, mais sur le projet présenté ce matin par le Gouvernement. C’est la loi du genre !
M. Claude Domeizel. Évidemment !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Dans ce rapport, nous rappelons la construction historique de notre système de retraite : organisé globalement en 1945 par le Conseil national de la Résistance, celui-ci a permis, il faut le rappeler, d’assurer aux retraités un niveau de vie quasi équivalent à celui des actifs : régime par répartition, il est fondé sur un pacte intergénérationnel aux termes duquel les actifs paient pour la génération précédente.
Bien sûr, comme pour les actifs, le montant des revenus est très inégal, au-delà de cette moyenne, avec pour certains des retraites très faibles. Vous me permettrez d’avoir en cet instant une pensée particulière pour les femmes, dont la situation, je le crains, risque de ne pas s’arranger.
Mme Raymonde Le Texier. Gagné !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Toutefois, le taux de pauvreté des plus de 60 ans est aujourd’hui stabilisé à 10 %, soit un niveau inférieur à celui de l’ensemble de la population, qui s’élève à 13 %, et en net recul par rapport au taux de 30 % des années soixante-dix.
Depuis vingt ans, notre système de retraite a fait l’objet de nombreux rapports et de plusieurs réformes : celle qui a été menée par M. Balladur en 1993, celle des régimes complémentaires AGIRC et ARRCO en 1994 et 1996, la création du Fonds de réserve pour les retraites, en 1998, et du Conseil d’orientation des retraites, en 2000, la réforme Fillon, en 2003, enfin la réforme des régimes spéciaux, en 2007 et 2008.
Malgré ces mesures, le déséquilibre financier de notre système s’est accentué. Il est très largement lié à l’évolution démographique : le rapport entre cotisants et retraités est passé de 4 en 1960 à 1,43 aujourd’hui pour le seul régime général, sachant que l’espérance de vie, il faut le reconnaître, a augmenté de six ans depuis les années quatre-vingt, en raison des progrès en matière de santé et de modes de vie.
Il faut cependant garder à l’esprit que, comme le niveau moyen des retraites, l’espérance de vie varie beaucoup dans notre pays en fonction de la situation des uns et des autres, en particulier selon que l’on est cadre ou ouvrier.
La crise financière puis économique de 2008, qui s’est prolongée par une crise sociale et qui se poursuit encore aujourd'hui, a bien entendu eu également des conséquences négatives sur l’équilibre des retraites : la masse salariale a perdu 5,6 points entre 2008 et 2009 et la reprise de la croissance, d’ailleurs incertaine, ne comblera pas cette perte de recettes.
Dans notre rapport, nous analysons également les différents leviers paramétriques pouvant être utilisés afin de revenir à l’équilibre comptable et financier, dont les trois principaux – ceux que l’on évoque le plus souvent – sont l’âge, la durée de cotisation et l’assiette des cotisations.
J’aborderai premièrement l’âge.
Faut-il reculer l’âge légal aujourd'hui fixé à 60 ans ? Ne serait-ce pas pénaliser plus longtemps ceux qui, avant 60 ans, ne sont plus en activité, non pas parce qu’ils ont souhaité cesser le travail mais parce que leurs employeurs n’ont plus voulu d’eux, ce qui est bien souvent le cas ?
L’augmentation du taux d’emploi des plus de 50 ans conditionne la viabilité de toute politique en matière de retraites. A contrario, repousser l’âge légal de départ à la retraite ferait-il reculer mécaniquement l’âge moyen de cessation d’activité des seniors ? Personnellement, j’en doute !
En tout état de cause, quelle que soit la décision prise, le dispositif de cessation anticipée d’activité pour carrière longue doit être maintenu, afin de ne pas pénaliser ceux qui ont commencé à travailler tôt.
J’évoquerai, deuxièmement, la durée de cotisation. Son allongement a été acté par la réforme Fillon de 2003, avec le principe de progressivité et aussi, il faut le reconnaître, une lisibilité plutôt rare dans notre système. Une accélération de cette progressivité rendrait l’avenir de leur retraite illisible et sans doute très anxiogène pour les Français, particulièrement les plus jeunes.
Enfin, troisièmement, je dirai un mot de l’assiette des cotisations.
Les cotisations reposent aujourd’hui essentiellement sur les salaires. Les augmenter serait donc toucher au pouvoir d’achat de nos concitoyens. Une telle évolution ne pourrait être que modérée et étalée dans le temps.
En fait, c’est surtout l’élargissement de l’assiette qu’il convient d’envisager. Dans cette perspective, monsieur le ministre, nous demandons qu’un bilan précis, en termes d’emplois, des exonérations des cotisations sociales nous soit transmis.
Si elles doivent être maintenues, ces exonérations pourraient être annualisées – c’est manifestement le choix retenu dans votre projet de loi –, tandis que les exonérations sur les heures supplémentaires seraient réexaminées au vu tant de leur coût que de leurs conséquences sur l’emploi.
D’autres ressources pourraient être mobilisées : les prélèvements sociaux sur les revenus du capital, une taxation supplémentaire des stock-options, et une contribution additionnelle à l’impôt sur le revenu visant les plus hauts contribuables. En outre, même si cette proposition ne figure pas dans le rapport, le bouclier fiscal pourrait être supprimé, à mon avis.
La MECSS a également étudié les autres leviers financiers du système de retraite. Elle souhaite en particulier, j’y insiste, que le Fonds de réserve pour les retraites soit sanctuarisé, car elle considère que son utilisation prématurée serait le symbole éclatant du report du problème sur les générations futures.
Le FRR dispose aujourd’hui d’environ 33 milliards d’euros, qui ont été placés en tenant compte d’un objectif précis, à savoir entamer les décaissements à partir de 2020. Or cette somme est à peine supérieure au montant du déficit total du régime général et du FSV attendu pour la seule année 2010 ! Le Fonds de réserve pour les retraites ne peut donc en aucun cas être une solution pour résorber les déficits actuels. Le ponctionner aujourd’hui serait, en quelque sorte, prélever de l’argent sur le compte en banque de nos enfants pour renflouer notre propre déficit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
La mission met également en avant la nécessité, dans un souci de clarté, de faire prendre en charge l’ensemble des éléments non contributifs du système de retraite par le Fonds de solidarité vieillesse et d’affecter à celui-ci les ressources correspondantes.
Le rapport insiste enfin sur la nécessité de traiter conjointement la politique de l’emploi et la question des retraites. La pénibilité du travail, notamment ses effets sur l’espérance de vie, relève d’abord de l’organisation du travail et de la responsabilité des entreprises ; elle constitue aussi un paramètre à prendre en compte dans le cadre des retraites, surtout vis-à-vis de personnes qui ont déjà été exposées. À cet égard, la MECSS a été très sensible aux propositions de Serge Volkoff, lequel préconise une approche à la fois individuelle et collective qui permettrait d’identifier les dossiers justifiant des mesures particulières de prise en charge.
Il n’en demeure pas moins que les pouvoirs publics ne pourront éviter une réflexion globale sur le rapport au travail, aujourd’hui dégradé, qui explique l’aspiration d’un grand nombre de salariés à partir plus tôt à la retraite. Le Sénat a d’ailleurs créé une mission d’information sur le mal-être au travail, dont les conclusions seront rendues prochainement.
La politique en faveur de l’emploi des seniors doit être renforcée. À cet égard, il convient de vérifier, et nous l’avons demandé, que la rupture conventionnelle du contrat de travail, qui rencontre un grand succès, ne devienne pas une nouvelle « trappe à seniors », et d’engager une meilleure gestion des ressources humaines pour les salariés en fin de vie active. Cela implique notamment de développer les bilans de compétences au cours de la carrière, de promouvoir la validation des acquis de l’expérience et d’en faciliter l’accès à tous les publics, de favoriser la formation des seniors, d’aménager les tâches, les postes et les horaires en fin de vie active.
En outre, comme nous le rappelons dans le rapport, parce qu’elle a des conséquences sur leur retraite, l’insertion des jeunes sur le marché du travail doit être une priorité. Ainsi, la mobilisation autour des formations professionnelles, que ce soit par la voie scolaire ou par alternance, doit être renforcée et la possibilité de valider des droits au titre de la retraite sur les périodes de stage, examinée.
M. Jean-Pierre Godefroy. Très bien !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Enfin, le rapport met l’accent sur l’urgente nécessité de penser une réforme pour construire un système pérenne, adapté au contexte démographique, économique et financier.
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. C’est ce que nous faisons !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. La crédibilité du système de retraite est aujourd’hui gravement entamée par la méthode de réforme.
Sur le principe, le choix d’un pilotage par rendez-vous, retenu en 2003, relève des bonnes pratiques, s’il laisse le temps de la réflexion et de la concertation.
Cependant, par manque de pédagogie et de transparence sur les objectifs qui leur sont assignés, on constate que ces rendez-vous sont perçus par l’opinion publique comme l’occasion d’une réforme de fond du système. Cela contribue à créer un climat anxiogène, qui encourage, comme nous avons pu le constater, certains assurés à anticiper leur départ à la retraite afin de ne pas être pénalisés par des règles futures plus strictes.
Au lieu de constituer des bilans d’étape constructifs, les rendez-vous deviennent ainsi des moments de crispation et de réactivation des tensions sociales. Nous l’avons encore constaté lorsque le COR a remis ses travaux d’expertise préparatoires.
Dans ces conditions, sans attendre le retour, d’ailleurs incertain, à l’équilibre financier du système actuel, un débat national doit être engagé, posant le principe de la mise à plat complète du dispositif et de l’étude d’un système par points dans les régimes de base qui identifierait mieux les mécanismes de solidarité et serait donc un gage de clarté pour les jeunes générations, ce qui est important.
La refondation du pacte intergénérationnel qui a présidé en 1945 à la création de l’assurance vieillesse doit être engagée dès 2010, sans que nous nous contentions d’un ajustement qui nous contraindrait à recommencer dans quelques années. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Leclerc, rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le rendez-vous de 2010 sur les retraites est maintenant largement engagé et nous connaissons depuis ce matin les grandes orientations du projet de loi que déposera le Gouvernement le mois prochain. Il nous reviendra, à l’automne, de statuer sur cette réforme et de prendre nos responsabilités de parlementaires.
Sous la présidence d’Alain Vasselle, la MECSS a donc décidé de conduire un travail approfondi, dont le débat d’aujourd’hui est l’aboutissement. Christiane Demontès et moi-même avons tenté de balayer tout le champ des possibles et de tracer des perspectives pour l’avenir.
Plutôt que de résumer le rapport que nous avons présenté, et dont vous avez pu prendre connaissance, je concentrerai mon propos sur quelques points qui me paraissent essentiels.
Tout d’abord, nous devons faire face à un problème financier considérable, qui ne doit pas masquer le fait que le régime de retraite exprime d’abord une conception du projet de société. Face à l’accroissement de l’espérance de vie, au vieillissement de la population et à toutes les conséquences que ces phénomènes entraînent, quel modèle de société souhaitons-nous défendre ?
Notre système de protection sociale, notamment le système de retraite, a eu des effets bénéfiques incontestables en permettant l’élévation progressive du niveau de vie des retraités, qui est aujourd’hui proche de celui de la moyenne des actifs.
Ce modèle est aujourd’hui en difficulté : au-delà des déficits, il est également menacé par la grave perte de confiance que l’on observe chez les jeunes générations. Le vieillissement de la population, tel qu’il est actuellement géré, ébranle les fondements du pacte générationnel.
Jusqu’à présent, la norme était celle d’un contrat social passé entre la génération des parents et celle des enfants. Or celui-ci engage aujourd’hui la génération des petits-enfants, car les pensions servies aux retraités actuels sont financées par la dette dont hériteront leurs petits-enfants.
Le risque de voir les jeunes actifs, actuels et à venir, refuser de cotiser plus et de travailler plus longtemps est réel. Il est impératif de leur redonner confiance dans les retraites. C’est donc par la préparation du système de retraite de demain, celui de la France de 2030, que passe la refondation du pacte intergénérationnel.
Pour ce faire, tous les leviers disponibles doivent être actionnés, car aucun ne pourra à lui seul permettre de rétablir les comptes de l’assurance vieillesse. Selon le COR, si nous voulions y parvenir en intervenant sur un seul paramètre, il faudrait d’ici à 2020 soit relever l’âge effectif moyen de départ de près de cinq ans, soit augmenter les cotisations de 5 points, soit diminuer de plus de 20 % le niveau relatif des pensions…
Pis encore, dans le même cas de figure, cette fois à l’horizon de 2050, il faudrait soit relever l’âge effectif moyen de départ de près de dix ans, soit augmenter les cotisations d’environ 10 points, soit diminuer le niveau relatif des pensions de plus de 35 %. Cela n’est pas acceptable.
Il convient donc d’examiner tous les moyens d’action à notre disposition. Ceux-ci sont au nombre de quatre.
Premièrement, il s’agirait de diminuer le taux de remplacement et le montant des pensions. Disons d’emblée qu’il ne nous paraît pas envisageable de procéder à cette baisse, d’autant que leur niveau relatif est déjà en diminution dans le secteur privé. En effet, les pensions et les salaires portés au compte sont indexés sur les prix, qui progressent moins vite que les salaires des actifs. En outre, si elle n’est pas mauvaise, la moyenne du niveau de vie des retraités masque des disparités fortes : un grand nombre de nos concitoyens retraités vivent encore avec des pensions très faibles. C’est le point essentiel que nous avons retenu des auditions que nous avons menées.
Deuxièmement, nous pourrions décider d’agir sur l’âge effectif de départ à la retraite, élément à l’évidence essentiel pour le redressement financier du système de retraite.
Chacun le sait, en France, l’âge de cessation d’activité est particulièrement bas : 58,3 ans pour le régime général. L’âge de liquidation des droits à la retraite s’établit, pour sa part, autour de 61,5 ans, ce qui montre qu’un grand nombre de salariés ne sont plus en activité au moment de la liquidation de leur retraite.
Compte tenu de la progression continue de l’espérance de vie, il est absolument nécessaire de prolonger la durée d’activité. Il existe deux moyens d’y parvenir : augmenter la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein, d’une part ; relever les âges légaux d’ouverture des droits et d’obtention d’une pension à taux plein, d’autre part.
Sur la durée de cotisation, d’abord, la loi de 2003 a posé un principe très fort consistant à faire en sorte de maintenir stable, au fil du temps, le rapport entre la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein et la durée moyenne de retraite, qui correspond à peu près à l’espérance de vie à 60 ans.
En application de ce principe, la durée de cotisation pour une retraite à taux plein serait de 41 ans en 2012, conformément au calendrier de la loi Fillon. Pour la suite, l’application des principes posés par cette même loi pourrait impliquer un passage à 41,5 ans de cotisations en 2020, puis à 42,25 ans en 2030 et à 43,5 ans en 2050.
La MECSS considère que les règles posées par la loi de 2003 méritent d’être conservées et propose de poursuivre l’augmentation de la durée de cotisation en fonction de l’allongement de l’espérance de vie, sans l’accélérer mais sans l’interrompre. Le projet de loi pourrait poser le principe d’un passage de 41 ans à 41,5 ans de cotisation entre 2012 et 2020 et prévoir des évolutions réglementaires ultérieures avec l’intervention de la Commission de garantie des retraites et du COR.
Troisièmement, il serait possible de procéder à un relèvement des âges légaux. La France figure parmi les rares pays à avoir conservé l’âge de la retraite à 60 ans, malgré l’allongement de l’espérance de vie. Il va donc de soi que l’âge minimal de départ à la retraite fait partie des leviers à activer en 2010, à deux conditions toutefois : engager une politique très active en faveur de l’emploi des seniors et des jeunes ; prendre en compte la pénibilité de certains métiers pour ne pas pénaliser les travailleurs dont elle a réduit l’espérance de vie.
J’en viens aux modalités de relèvement de l’âge légal de départ à la retraite. Il nous paraît souhaitable de retenir la même méthode que pour la durée d’assurance, c’est-à-dire un relèvement progressif, assorti de bilans d’étape dans lesquels pourrait intervenir, là encore, la Commission de garantie des retraites, notamment pour suivre l’évolution du taux d’emploi des seniors et vérifier que la réforme n’a pas pour effet d’augmenter le taux de chômage.
Le maintien du dispositif de cessation anticipée d’activité pour carrière longue introduit par la loi de 2003 pourrait permettre d’éviter que le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite ne pénalise trop fortement ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt.
Le relèvement de l’âge légal ne peut être compris que s’il concerne l’ensemble de nos concitoyens, c’est-à-dire également ceux qui partent aujourd’hui avant 60 ans en raison des bonifications dont ils bénéficient.
Quoi qu’il en soit, le relèvement de l’âge effectif de départ à la retraite est un pilier de la réforme, mais ne sera pas suffisant. Les mesures relatives à l’âge et à la durée de cotisation ne permettent de faire face, au mieux, qu’à 50 % des besoins de financement de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, et ce à l’horizon 2030. En outre, ces mesures d’âge ont des effets progressifs et laissent entière la question des déficits actuels.
Il est donc indispensable de rechercher de nouvelles recettes, sauf à accepter l’accumulation des déficits et, ce faisant, la constitution d’une dette sociale considérable dont la charge reposera sur les générations futures.
Sur la question des recettes, la MECSS a envisagé plusieurs hypothèses. Là encore, la mobilisation d’une seule catégorie de revenus ne pourra pas suffire. En effet, ce sont non pas quelques dizaines ou centaines de millions d’euros qu’il faut trouver, mais bien plusieurs milliards d’euros !
S’agissant des cotisations sociales, les marges sont évidemment étroites, puisque leur niveau est déjà élevé. Il conviendra cependant d’opérer le redéploiement de cotisations chômage vers la branche vieillesse prévu en 2003, et ce dès que la croissance et le niveau du chômage le permettront.
L’assiette de ces cotisations pourrait par ailleurs être élargie, notamment en limitant certains mécanismes d’exonération, d’exemption ou de réduction. La commission des affaires sociales a ainsi préconisé, dès l’année 2009, une annualisation du calcul des exonérations de charges, dont on pourrait attendre 2 milliards d’euros d’économies par an.
Naturellement, la recherche de recettes complémentaires exige la poursuite de l’examen de la pertinence de l’ensemble des niches sociales.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a créé le forfait social, mais certains éléments en demeurent exclus. Le taux de ce forfait, fixé initialement à 2 %, a été doublé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Son rendement est estimé à un peu moins de 800 millions d’euros cette année.
Plusieurs pistes sont envisageables pour aller plus loin dans la remise en cause des niches sociales : élargissement de l’assiette du forfait social ; relèvement du taux de ce forfait, dont le montant reste faible même pour un taux fixé à 4 % ; relèvement du taux spécifique applicable aux attributions de stock-options et d’actions gratuites. En outre, l’incohérence entre les différents régimes de rupture permet aujourd’hui des optimisations qui ne sont pas acceptables et nécessiterait que soit remise à plat la taxation des indemnités de rupture. Il conviendrait également que soit instaurée une taxation des retraites chapeaux.
Quatrièmement, enfin, le rééquilibrage du système des retraites doit sans doute passer par la mobilisation de ressources nouvelles.
Une première piste consisterait à examiner les avantages fiscaux spécifiques dont bénéficient les retraités, notamment un taux réduit de contribution sociale généralisée sur les pensions. Il pourrait donc être envisagé d’aligner la CSG des retraités imposables sur celle des actifs, ce qui permettrait d’épargner les petites retraites et rapporterait environ 2 milliards d’euros. Cette uniformisation des taux correspondrait davantage à la nature de la CSG, censée être un prélèvement universel.
Une autre hypothèse consisterait à instaurer un prélèvement spécifique sur les revenus du capital, qui pourrait s’ajouter aux prélèvements existants. Relever d’un point le taux global de ces prélèvements rapporterait un peu plus d’1,1 milliard d’euros. Il serait également possible de mettre à contribution les contribuables ayant un revenu particulièrement élevé, et ce à travers l’impôt sur le revenu.
Je dirai à présent quelques mots sur l’épargne retraite. Celle-ci a vocation à être un complément à la retraite par répartition, mais elle ne doit pas pour autant être négligée.
L’objectif, dans ce domaine, doit être non pas de créer de nouveaux produits, mais d’assouplir le fonctionnement des contrats existants, qu’il s’agisse d’épargne individuelle ou d’épargne collective, pour les rendre plus attractifs, en visant spécifiquement les jeunes, qui doivent être incités à épargner tôt,…
Mme Gisèle Printz. Ils n’ont pas de travail !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. … ainsi que les salariés des petites et très petites entreprises, qui n’ont pas accès à une épargne retraite collective, et les personnes aux revenus très modestes. Puisque cette mesure est appliquée en Allemagne, elle est envisageable dans notre pays. Il devrait en particulier être possible de convertir des contrats d’assurance vie dans leur continuité en contrats d’épargne retraite.
Au-delà des mesures d’urgence nécessaires pour rétablir l’équilibre financier des régimes de retraite, nous considérons, au sein de la MECSS, que des évolutions plus substantielles sont souhaitables, notamment parce que le déficit n’est pas le seul mal dont souffrent nos régimes de retraite, par ailleurs trop complexes, opaques et souvent inéquitables.
Certes, les réformes intervenues depuis 2003 ont organisé une convergence des principaux paramètres de calcul des pensions des régimes de base, mais certaines spécificités perdurent et la multiplicité des régimes de base et des régimes complémentaires demeure une source de complexité, en particulier pour les assurés ayant relevé de plusieurs régimes au cours de leur carrière professionnelle.
Il en résulte aussi l’inconvénient majeur de créer des situations inéquitables entre assurés. Plusieurs points nous semblent particulièrement révélateurs de cet état de fait.
Pour commencer, les bonifications permettant de partir plus tôt en retraite sont maintenues, sans que cet avantage soit nécessairement lié à une pénibilité réelle du travail.
Par ailleurs, les règles de calcul des pensions demeurent différentes suivant les régimes, en ce qui concerne notamment le salaire de référence pris en compte.
En outre, la répartition de l’effort contributif entre les assurés reste inégale et les taux de rendement demeurent différents selon les régimes.
Ensuite, les droits familiaux et conjugaux conservent une très grande hétérogénéité et il existe toujours une différence de traitement entre monopensionnés et polypensionnés.
Enfin, je citerai les inégalités constatées dans les mécanismes de compensation.
Dans ces conditions, nous pensons que des évolutions plus profondes du système doivent désormais être engagées. Face aux iniquités, à l’opacité et à la complexité, la réforme à venir doit, à notre sens, poser des jalons en vue d’un rapprochement des paramètres et des régimes de retraite.
Concernant les règles de calcul, ce rapprochement pourrait porter sur le salaire de référence pris en compte pour le calcul de la pension, les âges d’ouverture des droits ou les taux de cotisation.
Naturellement, on ne peut envisager que des évolutions progressives, puisque les régimes spéciaux ont été réformés voilà seulement deux ans.
Quant aux rapprochements entre les régimes, il s’agit non pas de créer un régime unique, mais bien d’opérer des regroupements qui peuvent avoir un sens.
La création d’une caisse unique pour l’ensemble des fonctionnaires – une mesure demandée depuis longtemps – mériterait par exemple d’être étudiée. Ces rapprochements pourraient être facilités par l’échange d’informations sur les modes de fonctionnement des régimes entre les gestionnaires respectifs de ces derniers. Il serait également important que les architectures des différents régimes soient harmonisées, ce qui permettrait une plus grande cohérence des gouvernances.
Enfin, et c’est important, nous souhaitons que le rendez-vous 2010 sur les retraites permette d’engager une refondation du système et de préparer une réforme structurelle, laquelle ne peut être conduite que sur une longue période, par exemple vingt ans.
La situation actuelle, caractérisée par la montée sourde de tensions intergénérationnelles, ne peut perdurer. C’est pourquoi nous proposons qu’un passage progressif à un système par points dans les régimes de base soit envisagé.
Les avantages attendus d’un régime par points sont en effet nombreux.
D’abord, toutes les cotisations versées au cours d’une carrière donnent des droits à pension et la pension versée est directement dépendante des cotisations cumulées.
Ensuite, les éléments de solidarité du système sont isolés et identifiables.
Enfin, un régime par points permet d’éviter de prendre des engagements qui ne peuvent être tenus : la valeur de service du point, contrôlée par les gestionnaires du régime – souvent les partenaires sociaux en France –, devient l’élément central de régulation tout en permettant un relèvement des cotisations. Celles-ci donnent alors de nouveaux droits à pension.
Un tel système est surtout particulièrement lisible pour les assurés, et donc susceptible de rassurer les jeunes générations, qui ne croient plus actuellement en notre modèle de retraite.
Le passage à un régime par points pourrait être accompagné de l’introduction de la neutralité actuarielle par génération, un élément essentiel du système de retraite suédois qui consiste à faire en sorte que chaque génération reçoive en pensions ce qu’elle a versé en cotisations. Le mécanisme est assorti d’un taux d’actualisation.
Ainsi, progressivement, ces évolutions permettraient d’instaurer une retraite choisie, puisque les salariés pourraient arbitrer de façon éclairée entre une durée d’activité plus longue ouvrant droit à une meilleure pension et une durée d’activité plus courte ouvrant droit à une pension plus faible. Une telle liberté de choix apparaît primordiale à nos yeux.
Nous avons volontairement rédigé cette proposition de manière imprécise, car une telle réforme ne peut qu’être le fruit d’un processus de débat bien plus large que la concertation organisée dans le cadre des rendez-vous périodiques sur les retraites. En Suède, le processus de refondation du système des retraites s’est étalé sur une quinzaine d’années.
Le projet de loi que nous examinerons à l’automne pourrait donc également devenir l’occasion de poser le principe de cette réforme et d’engager un grand débat dans le temps.
Ce débat pourrait permettre d’aborder globalement les conséquences du vieillissement de la population par le biais de sujets tels que les retraites, la maladie, la dépendance et le logement. On le sait, bien que les besoins soient en la matière considérables, les moyens financiers ne sont pas extensibles à l’infini. Il faudra donc faire des choix et fixer des priorités.
Pour conclure, permettez-moi de souhaiter que le rendez-vous de 2010, loin d’être uniquement financier et comptable, soit aussi l’occasion d’engager une véritable refondation du pacte intergénérationnel qui a autrefois présidé à la création de l’assurance vieillesse. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de féliciter la MECSS du Sénat.
Je tiens à saluer cette dernière, bien sûr, pour la très grande qualité de son travail – nous n’en attendions pas moins –, mais surtout pour sa très grande clairvoyance, qui l’a conduite voilà plusieurs semaines à inscrire à l’ordre du jour de la Haute Assemblée un débat sur les retraites précisément le jour où le Gouvernement présente, après deux mois d’intense consultation, la réforme des retraites !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Nous sommes perspicaces !
M. Éric Woerth, ministre. La MECSS a fait preuve d’une clairvoyance particulièrement exceptionnelle !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Avouez-le, monsieur le ministre, vous l’avez fait exprès !
M. Gérard Longuet. C’est bien joué !
M. Éric Woerth, ministre. Je suis donc évidemment incité à porter une attention toute particulière aux propositions de la mission d’évaluation et de contrôle : la clairvoyance dont celle-ci a fait preuve sur le calendrier doit, je n’en doute pas, se retrouver sur le fond. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Vous dressez, madame, monsieur les rapporteurs, un constat que nous partageons tous : en matière de retraite, nous avons devant nous, si nous ne faisons rien, des années de déficit absolument inconcevables, des années de pensions payées à crédit – le COR l’a très bien montré voilà trois semaines –, des années d’affaiblissement d’un système par répartition qui assurait jusqu’à présent la solidarité entre les générations et que nous ne pourrons transmettre à nos enfants si nous n’avons pas su le réformer.
Je l’affirme clairement : nous refusons cette fatalité. Notre système de retraite, nous voulons le sauvegarder. Comment ? Notre méthode est simple : en regardant la réalité en face, sans faux-fuyant ni dogmatisme.
Nous vivons plus longtemps ; nous devons donc l’assumer en travaillant plus longtemps.
M. Guy Fischer. C’est facile !
M. Éric Woerth, ministre. Tous nos partenaires en Europe, les Italiens, les Anglais, les Allemands, les Norvégiens, les Suédois, les Espagnols, tous l’ont fait !
M. Guy Fischer. Ils sont simplement tous plus réactionnaires que nous !
M. Éric Woerth, ministre. Nous sommes certainement beaucoup plus intelligents que les autres (Sourires), mais il faut bien, à un moment, regarder ce qui se passe dans les autres pays, qu’ils soient gouvernés par la droite ou par la gauche.
Mme Annie David. Ce n’est pas un argument !
M. Éric Woerth, ministre. Cette réforme répond à un changement de société auquel il serait illusoire, et même irresponsable, de vouloir s’opposer.
On ne peut pas prétendre que le problème des retraites peut se régler d’abord par des recettes nouvelles, comme si la France était une sorte de gigantesque réservoir d’impôts nouveaux. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
On ne peut pas non plus promettre que l’on peut à la fois travailler moins longtemps, augmenter les pensions et ne plus avoir de déficits.
Il n’y a pas de magie dans la réforme des retraites, pas plus qu’il n’y en a ailleurs, du reste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme que nous présentons aujourd’hui est donc à la fois responsable et juste. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Les salariés paieront !
M. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Pas seulement ! Il y a aussi les hauts revenus et le capital !
M. Guy Fischer. Le capital, vous ne faites que l’égratigner !
M. Éric Woerth, ministre. Être juste, c’est d’abord ne pas baisser les retraites.
Être juste, c’est demander aux Français de faire un effort et de travailler plus longtemps, sans cependant exiger le même effort de tous les Français.
Être juste, c’est aussi considérer que ceux qui ont plus de moyens que les autres doivent contribuer plus que les autres au financement de nos retraites.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre objectif, je l’ai souvent répété ces derniers mois, c’est l’équilibre financier du système de retraite, équilibre sans lequel il ne peut y avoir ni pérennité ni garantie du système.
Ce n’est pas moins de déficit, c’est un déficit zéro dès 2018. Et ce déficit zéro dépend d’un certain nombre d’hypothèses économiques raisonnables. Je le dis notamment à l’intention de M. Vasselle, parmi les scénarios qui ont été imaginés par le Conseil d’orientation des retraites, nous retenons plus particulièrement le scénario intermédiaire selon lequel la croissance de la productivité serait de 1,5 % par an et le retour au plein emploi interviendrait d’ici à 2024. Les taux de chômage que le COR envisage sont de 7,7 % pour 2015 et 5,7 % pour 2020.
Tels sont les principes et hypothèses sur lesquels nous fondons cette garantie d’un déficit zéro dès 2010.
C’est ainsi que nous pourrons préserver le système actuel, le système par répartition auquel, et je ne fais ici aucun procès d’intention à quiconque, nous sommes tous attachés.
M. Claude Domeizel. Certains plus que d’autres !
M. Éric Woerth, ministre. Évidemment ! Ceux qui le réforment y sont plus attachés, par principe !
Notre système, c’est la répartition.
Notre système, c’est la solidarité à l’intérieur de la répartition.
Notre système, c’est la protection contre les aléas de la vie et les aléas de la carrière.
Tel est le véritable « acquis social » que nous devons transmettre aux jeunes générations !
Après vous avoir exposé les principes qui l’inspirent, je vais maintenant vous présenter cette réforme plus en détail.
L’augmentation de la durée d’activité, qui est le cœur de notre réforme, sera progressive et juste : tout le monde ne fera pas le même effort parce que tout le monde ne peut pas faire le même effort.
Comme vous l’avez très bien souligné dans votre rapport, la plupart des pays européens ont augmenté la durée de la vie active par rapport au temps passé à la retraite. Cette évolution, la France l’a engagée avec lucidité en 1993 et poursuivie en 2003, avec la réforme conduite par François Fillon.
La durée de cotisation varie désormais dans notre pays en fonction de l’évolution de l’espérance de vie. Cette règle continuera à s’appliquer. La durée de cotisation sera portée à 41 ans et un trimestre en 2013, et devrait marquer un palier – c’est rarement dit – pour s’établir, selon les prévisions actuelles de l’INSEE, à 41,5 ans en 2020. Pas 43 ans, 44 ans, 45 ans, comme je l’entends ici ou là, non, 41,5 ans, mesdames, messieurs les sénateurs !
Cette augmentation de la durée de cotisation est, bien sûr, absolument indispensable. Cependant, sauf à la porter à des niveaux totalement insupportables, elle est insuffisante pour garantir la pérennité financière de notre système de retraite. La durée de cotisation ne peut donc pas être la solution à nos difficultés dans les dix ans qui viennent.
C’est la raison pour laquelle nous allons relever l’âge légal de départ à la retraite, comme l’ont fait avant nous d’autres pays européens.
L’âge légal de départ à la retraite sera donc repoussé à 62 ans en 2018, contre 60 ans aujourd’hui.
Conformément à votre attente, monsieur le rapporteur, cher Dominique Leclerc, cette augmentation sera, bien entendu, progressive, pour ne pas bouleverser les projets de vie des Français proches de la retraite.
L’âge augmentera de quatre mois par an, à partir du 1er juillet 2011, pour donc atteindre 62 ans en 2018. Cette augmentation se fera par année de naissance : ceux qui sont nés après le 1er juillet 1951, et qui pouvaient partir à la retraite à 60 ans l’année prochaine, devront travailler quatre mois de plus, ceux qui sont nés en 1952, huit mois de plus, et ainsi de suite, jusqu’à atteindre 62 ans en 2018.
Cette augmentation de l’âge légal sera générale. Elle concernera tous les Français. Simplement, pour les régimes spéciaux, nous tiendrons compte du calendrier de montée en charge de la réforme de 2008 : le relèvement de l’âge de la retraite débutera, en conséquence, pour ces régimes, au 1er janvier 2017.
Parallèlement à l’augmentation de l’âge légal, l’âge du « taux plein », c’est-à-dire l’âge à partir duquel la décote s’annule, aujourd’hui fixé à 65 ans, sera progressivement relevé de deux ans.
Relever l’âge légal à 62 ans en 2018, c’est une solution à la fois raisonnable et efficace.
Elle est raisonnable parce que personne ne peut faire croire que c’est un recul social. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Mais si ! À qui voulez-vous faire croire le contraire ?
M. Éric Woerth, ministre. Même avec un âge légal de départ à la retraite porté à 62 ans, compte tenu de l’amélioration de l’espérance de vie, dont nous nous félicitons tous, les Français passeront trois ans de plus à la retraite qu’en 1980, trois ans de plus que du temps de François Mitterrand ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. En se tuant au travail !
M. Guy Fischer. Nos pères sont morts entre 50 ans et 55 ans. Ce n’est possible d’entendre cela !
Mme Annie David. Non, ce n’est pas possible !
M. Éric Woerth, ministre. Enfin, fixer l’âge légal du départ à la retraite à 62 ans en 2018 est un choix efficace parce qu’il nous permettra d’économiser près de 19 milliards d’euros en 2018 et nous donnera donc les moyens de revenir à l’équilibre. La somme est considérable ! Elle permettra de financer 50 % des déficits.
Certains désapprouvent le choix de reporter l’âge légal de départ à la retraite et nous conseillent d’agir uniquement sur les cotisations. Or, pour obtenir le même rendement, car c’est ainsi qu’il faut calculer, la durée de cotisation devrait tout simplement être portée à 47 ans, ce qui serait insupportable !
Ce report de l’âge légal que nous proposons sera juste parce que ceux qui sont usés par leur travail continueront de pouvoir partir à la retraite à l’âge de 60 ans. Je pense notamment au dispositif « carrières longues », destiné aux personnes qui ont commencé à travailler très tôt.
M. Guy Fischer. Elles devraient partir avant 60 ans ! Elles sont usées !
M. Éric Woerth, ministre. Ce dispositif, qui constitue une avancée sociale considérable de la réforme Fillon, que vous n’avez pas votée, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche, sera poursuivi et même élargi aux salariés qui ont commencé leur activité professionnelle à 17 ans. Concrètement, tous les salariés qui ont commencé leur vie professionnelle avant 18 ans continueront donc de partir en retraite à 60 ans, et même dès 58 ans pour ceux qui ont commencé à 14 ans ou à 15 ans.
Le maintien de cette possibilité de départ anticipé représente un effort financier très important, puisque 50 000 personnes seront ainsi exclues du dispositif de départ à la retraite à 62 ans et 90 000 personnes en 2015. Cet effort est sans équivalent en Europe.
M. Roland du Luart. C’est vrai !
M. Éric Woerth, ministre. Conformément à certaines préconisations formulées par votre rapporteur, les assurés dont l’état de santé est dégradé à la suite d’expositions à des facteurs de pénibilité, non seulement garderont la retraite à 60 ans, mais auront, en plus, une retraite à taux plein, quel que soit leur nombre de trimestres.
Mme Annie David. Ils n’arriveront pas à l’âge de 60 ans !
M. Éric Woerth, ministre. Il s’agit d’un droit nouveau dans le système de protection sociale français et d’une avancée sociale majeure.
Ainsi, tous les salariés qui ont une incapacité égale ou supérieure à 20 % ayant donné lieu à l’attribution d’une rente pour maladie professionnelle – ou pour accident du travail provoquant des troubles de même nature – auront deux avantages au titre de la retraite : d’abord, pour ces assurés, l’âge de la retraite restera fixé à 60 ans ; ensuite, ces salariés ne subiront aucune décote et partiront au taux plein même s’ils n’ont pas tous leurs trimestres.
Nous avons construit ce dispositif afin de pouvoir prendre en compte la pénibilité de façon immédiatement opérationnelle, équitable et maîtrisable. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Non !
Mme Annie David. Pas du tout !
M. Éric Woerth, ministre. Pour respecter ces objectifs, nous avons refusé de céder à la démagogie et fait deux choix importants.
Nous avons, d’abord, fait le choix de la justice : les salariés qui bénéficieront du dispositif « retraite pour pénibilité » seront ceux qui souffrent d’un affaiblissement physique avéré au moment du départ à la retraite.
M. Guy Fischer. Voilà ! La chose est dite : il faut être malade !
M. Éric Woerth, ministre. Sinon, comment faire ? Cela signifie concrètement que nous n’avons pas ouvert le dispositif à des salariés dont la santé n’est pas altérée, mais risquerait de l’être plus tard. Pour avoir des dispositifs justes, en effet, il faut des mesures ciblées. Cela suppose, en l’occurrence, que la pénibilité ne soit pas présumée, mais que la preuve puisse en être apportée. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.) Or nous ne disposons aujourd’hui d’aucun moyen pour apprécier de façon rigoureuse à partir de quel seuil d’exposition à un risque la probabilité d’être malade devient une quasi certitude. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mais renseignez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche, cela n’existe dans aucun pays au monde ! Ce que nous mettons en place est tout simplement une avancée sociale majeure ! Et vous devriez applaudir, car vous ne l’avez jamais fait ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Nous avons, ensuite, fait le choix d’accorder ce droit de manière individuelle. Nous refusons l’approche qui consisterait à fixer par avance une liste de métiers réputés pénibles. Cette approche collective aurait été injuste, car elle aurait laissé de côté certains salariés qui n’exercent pas ces métiers, mais qui sont cependant usés par leur travail.
Cette mesure bénéficiera, après montée en charge, à 10 000 personnes par an.
M. Guy Fischer. C’est bien peu !
M. Éric Woerth, ministre. Au total, en ajoutant le dispositif « carrières longues », ce sont 60 000 personnes par an dont la vie professionnelle aura été particulièrement dure qui pourront partir à la retraite avant les autres en 2011, et 100 000 à partir de 2015.
Je pense cependant qu’à l’avenir la meilleure réponse à la pénibilité - j’imagine que nous pourrons nous accorder au moins sur ce point - sera l’amélioration des conditions de travail. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Parlez-en à France Télécom !
M. Éric Woerth, ministre. C’est d’ailleurs un axe majeur de l’action que je mène à la tête de ce ministère, avec les partenaires sociaux. Nous allons donc renforcer la prévention.
M. Guy Fischer. Parlez de la pénibilité avec le MEDEF !
M. Éric Woerth, ministre. Dans ce but, les expositions aux risques professionnels seront désormais obligatoirement enregistrées dans un carnet de santé individuel au travail.
En outre, la médecine du travail sera réformée. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Nous poursuivrons notre mobilisation en faveur de l’emploi des seniors. Là encore, il me semble que nous répondons largement aux préconisations de la MECSS du Sénat.
La France est dans la moyenne européenne pour le taux d’emploi des Français âgés de 50 ans à 59 ans.
C’est à partir de 60 ans que ce taux est plus faible qu’ailleurs en Europe, essentiellement, d’ailleurs, parce que l’âge légal y est l’un des plus bas d’Europe.
M. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. À partir de 60 ans, nous sommes les derniers de la classe !
M. Guy Fischer. Oh là là !
M. Éric Woerth, ministre. L’augmentation de l’âge légal va permettre d’améliorer le taux d’emploi des seniors. (On le conteste sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) À partir du moment où l’horizon de la retraite recule, les entreprises sont incitées à considérer autrement leurs seniors.
Cela fait trente ans que les seniors s’entendent dire qu’ils n’ont plus leur place dans l’entreprise.
M. Guy Fischer. Ce sont les patrons qui les mettent dehors !
M. Éric Woerth, ministre. Il faut, au fond, encourager un changement culturel et inciter les entreprises à considérer les seniors autrement.
En complément des nombreuses mesures prises ces dernières années – surcote, libéralisation du cumul emploi-retraites –, la réforme prévoit donc deux autres mesures pour encourager l’emploi des seniors : une aide à l’embauche pour les chômeurs de plus de 55 ans, à laquelle s’ajoute le développement du tutorat, pour assurer une transmission des savoirs au sein de l’entreprise et favoriser une fin de carrière plus valorisante pour les seniors.
Notre réforme permettra de renforcer l’équité et la solidarité de notre système de retraite.
Mme Annie David. Ben dis donc !
M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement avait clairement écrit, dans son document d’orientation, que la réforme marquerait une nouvelle avancée en matière d’équité et de solidarité. Comme les autres, cet engagement sera respecté.
En complément des mesures d’âge, le Gouvernement a décidé de prélever 3,7 milliards d’euros de recettes nouvelles, soit 4,4 milliards d’euros en 2018, principalement sur les hauts revenus, sur les revenus du capital et sur les entreprises.
M. Guy Fischer. Tu parles !
M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement a résolument écarté le raisonnement erroné selon lequel la meilleure réponse au vieillissement démographique, et la seule, serait l’impôt. Je le dis depuis plusieurs mois, il n’a jamais renoncé, cependant, à l’idée d’injecter des ressources nouvelles dans le système, au nom de l’équité et pour alimenter, notamment, le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV.
Plusieurs mesures de recettes, qui me semblent très proches de vos propositions, concerneront, en conséquence, spécifiquement les hauts revenus.
La tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu sera augmentée de un point et passera donc de 40 % à 41 %. Cette hausse ne sera pas prise en compte dans le bouclier fiscal. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Cela ne va même pas les faire tousser !
M. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Vous devriez être content, monsieur Fischer ! Cela vous donne satisfaction !
M. Éric Woerth, ministre. Le rendement immédiat de cette mesure sera de 230 millions d’euros.
Les stock-options seront davantage taxées. La contribution sociale payée par le bénéficiaire sera triplée et portée à 8 %. En outre, la contribution versée par l’employeur passera de 10 % à 14 %. Ces mesures rapporteront 70 millions d’euros en 2011.
M. Guy Fischer. Oh là là !
M. Éric Woerth, ministre. Les retraites chapeaux seront davantage taxées, ce qui apportera un supplément de recettes de 110 millions d’euros dès 2011. Une contribution salariale au taux de 14 % sera notamment créée.
Les revenus du capital seront également mis à contribution. Les prélèvements forfaitaires sur les revenus du capital et du patrimoine seront augmentés d’un point, pour atteindre un rendement de 265 millions d’euros en 2011.
Les dividendes perçus par les actionnaires seront davantage taxés. Cette mesure devrait rapporter 645 millions euros dès 2011.
Enfin, les plus-values de cession d’actions et d’obligations seront désormais taxées à l’impôt sur le revenu quel que soit le montant des cessions réalisées. Cette mesure rapportera 180 millions d’euros en 2011.
M. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Le CRC-SPG n’aura plus d’amendement à déposer !
M. Éric Woerth, ministre. La dernière catégorie de mesures concerne des niches sociales dont bénéficient les entreprises.
La disposition la plus importante porte sur le calcul annuel des allégements généraux de charges patronales, dont nous avons souvent parlé dans cet hémicycle : cette mesure, qui représente une économie de 2 milliards d’euros et figure également dans le rapport de la MECSS du Sénat, a en effet été demandée à plusieurs reprises par M. Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Roland du Luart. Et c’est une bonne mesure !
M. Éric Woerth, ministre. Pour renforcer l’équité du système des mesures de rapprochement des règles entre public et privé sont également prévues.
M. Guy Fischer. Ils osent parler d’équité…
M. Éric Woerth, ministre. En plus des mesures relatives à l’âge, le Gouvernement s’est engagé à rapprocher les règles en vigueur dans le public et le privé, sans céder à la caricature. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Ces mesures, que Georges Tron et moi-même avons proposées au Président de la République et au Premier ministre, sont simples.
Conformément aux engagements pris, nous proposons de revenir sur trois différences qui ne me semblent pas pouvoir être justifiées par des spécificités de la fonction publique.
M. Roland du Luart. C’est justice !
M. Guy Fischer. Les fonctionnaires vont « trinquer » !
M. Éric Woerth, ministre. Il y va de l’équité entre les salariés du public et du privé, et je mets au défi quiconque de démontrer le contraire !
M. Guy Fischer. On verra !
M. Éric Woerth, ministre. C’est aussi une nécessité au regard de la forte dégradation de la situation du régime de retraite des fonctionnaires, qui, si nous ne faisions rien, passerait de 15 milliards à 22 milliards d’euros d’ici à 2020, soit une augmentation de 45 % !
Le taux de cotisation acquitté par les fonctionnaires sera aligné sur celui du secteur privé. Il passera en dix ans de 7,85 % à 10,55 %. Qui oserait dire que c’est injuste ?
Au terme de ce rattrapage, dont tout le monde comprend qu’il doit être étalé dans le temps – et il le sera –, il aura été mis fin à une différence majeure en matière de retraite entre la fonction publique et le privé.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Éric Woerth, ministre. Les rémunérations moyennes par catégorie dans le public et dans le privé sont à peu près les mêmes, sauf pour les cadres (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG), et les retraites des fonctionnaires sont à peu près les mêmes que celles des salariés du privé.
Mme Annie David. Il y a retraite de base et retraite complémentaire !
M. Éric Woerth, ministre. Au fond, ce qui diffère entre public et privé, c’est le prix de la retraite : pour une retraite équivalente, les fonctionnaires cotisent en réalité beaucoup moins.
Ce n’est pas juste à l’égard des salariés du privé et il est naturel de revenir à un niveau de cotisations unique pour les uns et pour les autres, ce que nous faisons.
M. Guy Fischer. L’État y trouvera son compte…
M. Éric Woerth, ministre. Deuxième mesure de convergence, le dispositif de départ anticipé sans condition d’âge, c'est-à-dire une sorte de préretraite, pour les parents de trois enfants ayant quinze ans de service sera fermé à compter de 2012.
M. Guy Fischer. Et voilà !
M. Éric Woerth, ministre. Ce dispositif, dont le Conseil d’orientation des retraites avait relevé les imperfections et qui est sans équivalent dans le privé, sera supprimé progressivement. Les droits acquis seront cependant respectés : les parents de trois enfants au 1er janvier 2012 pourront continuer de partir, sous réserve d’avoir quinze ans de service à la date de la réforme.
Dernière mesure de convergence, le minimum garanti sera désormais soumis à la même condition d’activité que dans le secteur privé. Les fonctionnaires bénéficient de ce minimum dès qu’ils atteignent l’âge d’ouverture des droits, même s’ils n’ont pas tous leurs trimestres, alors que, dans le secteur privé, un salarié doit attendre l’âge du « taux plein ». Nous proposons l’alignement sur le secteur privé.
Les dispositifs de solidarité, qui font la force du système de retraite français, sont non seulement préservés mais renforcés par la réforme.
Ainsi, nous allons améliorer des dispositifs qui, aujourd’hui, ne nous semblent pas tenir suffisamment compte de certaines situations.
Premièrement, pour les jeunes en situation précaire, le Gouvernement propose de porter le nombre de trimestres validés lorsqu’ils sont au chômage non indemnisé de quatre à six.
Deuxièmement, nous devons encore agir pour améliorer les retraites des femmes. Nous avons fait des progrès majeurs dans ce domaine. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’écart de pensions s’est réduit et, aujourd’hui, les femmes ont au moins autant, sinon plus, de trimestres que les hommes, mais, si la situation s’est améliorée, deux dispositions me semblent absolument indispensables.
D’une part, il faut empêcher que le congé maternité ne fasse chuter la pension de retraite. Ainsi, l’indemnité journalière perçue pendant le congé de maternité entrera désormais dans le salaire de référence sur lequel sera calculée la pension, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
D’autre part, il faut lutter plus activement contre les inégalités salariales au cours de la carrière. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Les entreprises ne s’investissent pas suffisamment dans la réduction des écarts salariaux. Le Gouvernement a donc décidé de prévoir un dispositif de sanction de l’absence de diagnostic de situation comparée des femmes et des hommes dans les entreprises de plus de 300 salariés.
Troisièmement, la retraite des agriculteurs est une autre de nos priorités.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Ah !
M. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. C’est le plus important !
M. Éric Woerth, ministre. Le projet de réforme contient deux dispositions importantes, que nous avons évidemment définies en liaison avec Bruno Le Maire et après nous être entretenus avec les représentants du monde agricole.
La principale mesure vise à faciliter l’octroi du minimum vieillesse aux agriculteurs, soit 709 euros par mois pour un célibataire.
L’octroi de ce minimum était possible, mais il était soumis à récupération sur succession, récupération à laquelle le moins que l’on puisse dire est que les agriculteurs sont réticents lorsqu’elle peut porter sur les terres agricoles elles-mêmes ou sur le corps de ferme. C’est la raison pour laquelle certains d’entre eux ne demandent pas à bénéficier du minimum vieillesse et en restent à des pensions de 300 ou 400 euros par mois.
Nous allons donc supprimer le recours sur succession pour les agriculteurs, ce qui satisfait une demande très ancienne.
M. Gérard César. Très bien !
M. Guy Fischer. Il faut faire pareil pour l’allocation personnalisée d’autonomie !
M. Éric Woerth, ministre. La réforme de 2010 va permettre de restaurer dans la durée la confiance des Français dans le système de retraite.
Or, pour avoir confiance dans notre système, il faut en comprendre les règles, afin de pouvoir faire les bons choix et au bon moment. Ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui.
Des progrès considérables ont été accomplis depuis 2003 pour informer nos concitoyens, mais nous allons encore améliorer leur visibilité en créant notamment un « point d’étape individuel retraites » accessible dès 45 ans.
Cependant, l’élément déterminant du retour à la confiance est bien évidemment le retour à l’équilibre. Cette réforme le permettra dès 2018 et règle également, d’ici à cette date, la question des déficits accumulés, à laquelle la MECSS comme la commission des affaires sociales sont très sensibles.
M. Guy Fischer. On en reparlera !
M. Éric Woerth, ministre. Plus précisément, les mesures d’âge permettront de réduire de près de 50 % le déficit en 2018.
Les économies supplémentaires réalisées, dans la fonction publique, grâce au rapprochement des règles du public et du privé, rapporteront 4 millions d’euros. Elles permettront de stabiliser la contribution de l’État à son niveau de 2010, soit 15,6 milliards d’euros.
M. Guy Fischer. Voilà !
M. Éric Woerth, ministre. Les mesures de recettes s’élèveront à 4,4 milliards d’euros en 2018.
S’y ajoutera, dans le prolongement des hypothèses du COR, le surcroît de cotisations obtenu en basculant des cotisations d’assurance chômage sur des cotisations de retraite à partir de 2015, pour un montant de 1 milliard d’euros en 2018.
M. Guy Fischer. Y croyez-vous vous-même ?
M. Éric Woerth, ministre. Ce basculement, qui était prévu en 2003, est très prudent puisqu’il représente moins de 3 % du bouclage global de la réforme en 2018.
Pour ce qui est du financement des déficits accumulés jusqu’au retour du régime à l’équilibre en 2018 – donc, pour les années 2011 à 2018, sachant qu’en 2020 nous serons en léger excédent –, ces derniers seront repris au fur et à mesure par la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, qui pourra compter sur les ressources du FRR, le Fonds de réserve pour les retraites.
M. Claude Domeizel. Et voilà !
M. Éric Woerth, ministre. Grâce à ces ressources, la CADES pourra reprendre l’intégralité des déficits accumulés d’ici à 2018.
D’ici à 2018, il n’y aura donc ni augmentation ni accumulation des déficits, mais règlement des déficits, et, à partir de 2018, le régime sera en équilibre.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Vous êtes un grand optimiste, monsieur le ministre !
M. Éric Woerth, ministre. C’est d’ailleurs un des rares points de divergence que nous avons avec la MECSS ; je souhaite en rassurer les membres.
Bien évidemment, le FRR ne sera ni dissous, ni utilisé pour financer je ne sais quel autre déficit ou pour se substituer à une réforme : au lieu de gérer ses ressources pour compte propre, il les gérera pour compte de tiers, c'est-à-dire pour le compte de la CADES, et pour financer des déficits en matière de retraite, en attendant que notre réforme prenne toute son ampleur. C’est évidemment un aspect majeur.
M. Guy Fischer. C’est du racket !
M. Éric Woerth, ministre. Le FRR a d’ailleurs été créé, par le gouvernement socialiste d’alors, pour financer des déficits liés aux retraites, mais à un moment où le parti socialiste n’envisageait aucune réforme en la matière. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Claude Domeizel. Mais si !
Mme Gisèle Printz. Ce n’est pas vrai !
M. Guy Fischer. C’est tout à fait faux !
M. Éric Woerth, ministre. Aujourd'hui, nous procédons à une réforme puissante des retraites et il est normal que le FRR d’après la réforme ne soit pas le FRR d’avant la réforme.
Deuxièmement, et surtout, la France est le seul pays au monde qui constitue des réserves quand il est en déficit.
M. Robert del Picchia. Exactement !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. C’est un aveu !
M. Éric Woerth, ministre. Tous les autres pays le font quand ils sont en excèdent, à commencer par la Suède, dont je remarque que vous faites souvent grand cas, mesdames, messieurs de l’opposition, sans d’ailleurs relever que ce pays a abaissé de 3 % le niveau des pensions… J’attends vos propositions en ce sens !
Je ne serai pas de ceux qui racontent aux Français que le FRR est une solution pour dans vingt ans et qu’y toucher maintenant serait criminel. Les déficits ont vingt ans d’avance, et il me semble naturel que nous n’ayons pas, face à eux, vingt ans de retard.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la retraite est désormais l’un des principaux âges de la vie. Cette réforme est d’une importance considérable, parce qu’elle concerne notre société tout entière. Nous vous la présentons dans un esprit de responsabilité, de raison, d’efficacité et de justice.
Je rappelle que le projet de loi, qui ne sera présenté en conseil des ministres que le 13 juillet, est encore ouvert à la discussion avec les organisations syndicales.
Je conclurai en me félicitant, monsieur le président de la MECSS, de nos très nombreux points de convergence et en ne doutant pas de la richesse de nos débats futurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est aux orateurs des groupes, et tout d’abord à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1945, notre pays a mis en place un modèle de protection d’assurance vieillesse qui est aujourd’hui gravement menacé.
Les effets conjugués du choc démographique et de la crise économique ont engendré un déséquilibre financier que les réformes adoptées au cours des vingt dernières années n’ont pas réussi à endiguer.
Le Conseil d’orientation des retraites estime qu’il faudra trouver 70 milliards d’euros à l’horizon 2030 pour financer l’ensemble des régimes.
Ce constat, nous en sommes tous conscients. Il inquiète beaucoup nos concitoyens. Les jeunes, en particulier, se demandent s’ils pourront durablement encore compter sur ce filet de sécurité.
Il est donc urgent d’agir afin de sauver notre système de retraite par répartition, système qui constitue une application fondamentale du principe de solidarité cher à notre République.
La retraite est bien davantage qu’un dû : elle est un droit accordé en juste retour, pour chacun, d’une vie consacrée à consolider l’édifice social mais aussi économique de notre pays.
En réponse à ce grand défi, sept ans après la loi du 21 août 2003, le Président de la République vient tout juste d’arbitrer une nouvelle réforme des retraites.
Nous en connaissons depuis ce matin les grandes orientations.
Sur le fond, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je ne m’étonne guère des paramètres que vous avez choisis, pour tenter de garantir le financement des retraites, car ils s’inscrivent dans le prolongement de la réforme de 2003 : vous privilégiez une approche strictement comptable, dans laquelle les salariés sont la principale variable d’ajustement.
En revanche, je suis surpris qu’il ait fallu des mois de consultations pour parvenir à un projet qui, semble-t-il, ne retient presque rien des propositions des partenaires sociaux et des responsables politiques que vous avez consultés.
Le PRG, monsieur le ministre, ne se retrouve pas dans la plupart de vos propositions. Nous souscrivons seulement à votre engagement de sauvegarder le système par répartition. Comme vous l’avez déclaré voilà quelques jours, le régime par répartition appartient en effet au patrimoine des Français.
Ce système a fait la preuve de ses avantages, tandis que la crise financière a montré les limites de la retraite par capitalisation.
Ce consensus sur le régime par répartition n’exclut pas que l’on modifie quelques-unes de ses règles afin de le rendre plus cohérent et plus solide.
Par exemple, doit-on conserver pour le calcul des droits à la retraite, d’un côté, des régimes de base fonctionnant en annuités et, de l’autre, des régimes complémentaires dans lesquels les assurés acquièrent des points ?
Par ailleurs, la diversité des paramètres de calcul de la pension aboutit à distinguer des régimes que nombre de nos concitoyens considèrent, à juste titre ou non, trop généreux.
Pour les radicaux, la question du rapprochement entre les régimes privé et public n’est pas taboue, à condition qu’elle soit abordée sous l’angle de l’équité, et non dans le seul objectif d’opérer un nivellement par le bas.
Vous avez annoncé, ce matin, la convergence entre les régimes public et privé. J’ose espérer que les primes des fonctionnaires seront intégrées pour le calcul de la pension !
Par ailleurs, nous sommes totalement opposés au relèvement de l’âge légal de départ à la retraite, que vous souhaitez porter à 62 ans, car cette mesure pénalisera les salariés ayant commencé à travailler très tôt. J’ajoute que ce sont les mêmes qui ont été exposés à la pénibilité du travail. Vos propositions sont très insuffisantes au regard des souffrances subies au travail par un nombre important de nos concitoyens, qui sont de surcroît les plus modestes.
S’agissant du volet « recettes », qui offre davantage d’opportunités, vous avancez quelques pistes, mais trop timides à mon sens. Elles ne représenteront que 3,7 milliards d’euros en 2011, pour combler un déficit du régime de retraite qui s’élève actuellement à 32 milliards d’euros… Pourquoi ne pas asseoir franchement une partie du financement des retraites sur les dividendes perçus ?
M. Yvon Collin. La part des dividendes dans la valeur ajoutée est passée de 3,2 % du PIB en 1982 à 8,5 % en 2009. Il est donc de moins en moins crédible de calculer les cotisations patronales sans tenir compte de l’évolution de la valeur ajoutée et, en son sein, de la part des revenus du capital. Nous sommes d’ailleurs nombreux à souhaiter que les efforts consentis par les uns et les autres soient ainsi mieux partagés.
La taxation des revenus complémentaires est une autre piste. Je pense en particulier aux stock-options, mais aussi aux dispositifs d’intéressement et de participation. Vous auriez pu aller plus loin sur ce sujet. Je suis toutefois satisfait que la question des retraites chapeaux et celle de la contribution des hauts revenus soient sur la table.
Les radicaux sont attachés, également, à la création d’une taxation de certaines transactions financières. Nous en discuterons la semaine prochaine en séance publique, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi du RDSE. Nous souhaitons que 50 % du produit de cette taxe alimente le Fonds de réserve pour les retraites. J’espère, mes chers collègues, que vous serez nombreux à soutenir et à voter ce dispositif !
Au-delà de ces aménagements techniques et financiers, nécessaires pour parvenir à rendre soutenable notre régime de retraite, les radicaux de gauche souhaitent que l’on dépasse, sur cette question, l’approche comptable.
Nous devons engager une réflexion plus globale sur la société et ses évolutions. Dans cette optique, nous souhaitons encourager les salariés à travailler plus longtemps en instaurant un système de bonus progressif et, plus généralement, élargir ce système de bonus aux périodes de stage, d’apprentissage, de formation longue, de travail bénévole et de volontariat, je pense par exemple au nouveau service civique.
Les temps de formation, les modes de travail et l’allongement de la vie ont bouleversé l’organisation du temps tout au long de l’existence. Le système actuel de retraite repose sur un modèle économique ancien. Il doit être modernisé au regard du nouveau contexte dans lequel il opère.
Dans le cadre d’un renforcement de la répartition, nous proposons la mise en œuvre d’un système à points, plus flexible et plus responsable, permettant aux salariés et aux travailleurs indépendants de faire leurs propres arbitrages entre durée de cotisation et niveau de pension.
N’oublions pas non plus, monsieur le ministre, que la clef essentielle du redressement de toute politique sociale passe par un retour énergique à une politique de développement économique. Or, force est de le constater, nous sommes loin de voir le bout du tunnel. Malgré les différents plans de relance, la France continue à perdre des parts de marché dans le commerce mondial et la masse salariale a baissé de 1,4 % en 2009.
Plus grave encore, dans notre pays, le taux d’emploi des seniors est inférieur à la moyenne européenne et le chômage des jeunes reste encore malheureusement très élevé.
Ce chômage chronique des jeunes et des seniors, outre les problèmes humains qu’il engendre, est ce qu’il faut combattre en priorité pour remettre dans la boucle du travail des « cotisants » en puissance.
Pour cela, les radicaux souhaitent rétablir la politique des emplois-jeunes, en encourageant les vocations précoces pour des métiers manuels. Il serait également nécessaire d’instaurer une vraie politique des « emplois-seniors », qui irait au-delà des propositions du Gouvernement.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, il faut sanctionner les employeurs qui abusent, par commodité, du licenciement ou de la préretraite.
Sur le plan économique, il faut dynamiser plus encore la création d’entreprises et d’emplois, en donnant un nouveau rôle à la Caisse des dépôts et consignations, en relocalisant les productions « haut de gamme » de l’industrie et en renforçant le Small Business Act européen par des prêts aux PME à taux zéro.
Afin de favoriser de nouveaux réseaux de solidarité en direction des seniors, pourquoi ne pas viabiliser le secteur des services à la personne en créant, au sein de la sécurité sociale, un cinquième risque « dépendance », et en adoptant une politique fiscale de soutien aux associations de ce secteur répondant à des critères d’utilité sociale ?
Bien d’autres voies mériteraient, à mon sens, d’être explorées. Nous aurons l’occasion d’y revenir en septembre, même si je constate que le Gouvernement tente aujourd’hui de nous enfermer dans ses choix.
Sachez que les radicaux de gauche et de nombreux membres du RDSE useront de leur droit d’amendement pour proposer des alternatives préservant la pérennité de notre système de retraite et garantissant notre pacte social.
Dans les futurs débats, nous ne manquerons pas de rappeler à l’État ses responsabilités, dans un esprit toujours constructif et toujours positif. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, partout en Europe les gouvernements ont pris en compte les évolutions de la pyramide des âges et ont adopté des mesures de modification des régimes de retraite intégrant ces données démographiques, notamment l’allongement de la durée de vie.
Je ne vois pas pourquoi la France se singulariserait. Les autres Européens partent à la retraite à partir de 62 ans, voire plus. Notre grand voisin allemand vient ainsi de fixer l’âge de la retraite à 67 ans !
Aurions-nous une recette miracle qui nous rendrait infiniment meilleurs que les autres ? Disposons-nous d’une martingale qui nous permettrait de faire comme si de rien n’était ?
Nous devons avoir le courage de regarder la vérité en face et de prendre des mesures pour redonner à notre pays plus de compétitivité et pour rééquilibrer les comptes.
Cela étant dit, je regrette que l’on ne s’achemine pas vers un consensus fort en faveur de la fusion et de l’uniformisation des régimes de retraite. Je suis très choqué, pour ma part, par l’existence de régimes spéciaux.
La presse parle beaucoup du régime de retraite des parlementaires ; je suis d’ailleurs tout à fait partisan de le réformer. Mais il existe bien d’autres régimes spéciaux, notamment les régimes spécifiques des commerçants, des artisans, des professions libérales, des agriculteurs...
Nous devons généraliser le régime de retraite par points. Ce système pourrait très bien fonctionner pour la retraite de base, à l’instar de ce qui se fait pour la retraite complémentaire !
On ne peut pas demander à ceux qui exercent des métiers difficiles de faire des sacrifices importants, tout en laissant complètement de côté certains régimes spéciaux, comme ceux de la SNCF ou d’EDF. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Les conducteurs de trains ont, certes, des responsabilités, mais ils n’exercent pas un métier plus difficile qu’un autre. Or ils partent à la retraite à 50 ans ! Et je passe sur le fait que nombre d’entre eux, une fois retraités, retravaillent dans des entreprises ferroviaires privées, ce qui prouve qu’ils ne sont pas si fatigués...
Dans le même temps, un chauffeur d’autobus qui dessert des zones urbaines sensibles et des quartiers difficiles, qui se fait cracher dessus tous les matins, et subit au quotidien la circulation et les embouteillages, devra travailler jusqu’à 62 ans. Et l’on refuserait de toucher au régime de retraite des conducteurs de trains ? C’est incompréhensible !
Il y a là une pérennisation de l’injustice !
Il manque à ce projet des mesures fortes destinées à uniformiser et à unifier progressivement les régimes de retraite. Il ne s’agit pas d’entreprendre ce chantier dès à présent, car ce n’est pas possible, mais il faut se fixer un objectif à dix ans ou à quinze ans, et rapprocher progressivement, une année après l’autre, les différents régimes. Nous aboutirions ainsi, dans vingt ans, à la mise en place d’un régime unique de retraite par points, qui est le système le plus équitable. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.
Mme Annie David. Enfin des propos intéressants !
M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui n’est pas un exercice facile, et ce pour deux raisons : tout d’abord, la question des retraites est éminemment complexe ; ensuite, lancé sur l’initiative de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat, ce débat se tient le jour même où le Gouvernement annonce ses projets en matière de retraite, ce qui clôt une longue période de rumeurs, de fausses informations, de ballons d’essais, en bref de tests... Autant de techniques destinées à prendre le pouls de la population, à préparer l’opinion publique et à imposer les mesures les plus scandaleuses : report de l’âge légal de départ à la retraite, allongement de la durée de cotisation, attaques frontales contre les trois fonctions publiques !
Le groupe CRC-SPG a fait le choix, depuis quelques mois déjà, de se positionner clairement en tant que force de proposition. Personne dans cette assemblée ne pourra prétendre le contraire !
Nous avons donc présenté, conjointement avec le rapport de la MECSS rédigé par nos collègues Dominique Leclerc et Christiane Demontès, une contribution faisant état de nos observations et propositions. Notre groupe parlementaire a d’ailleurs été le seul à engager cette démarche, qui prendra la forme, le 21 juin prochain, d’un débat à l’Assemblée nationale, au cours duquel les parlementaires communistes déposeront une proposition de loi relative au financement des retraites.
Je tiens à rappeler ce que nous avons déjà dit dans notre contribution au rapport de la MECSS : nous sommes convaincus que notre pays n’est pas confronté, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, à un défi démographique insurmontable ni à un manque crucial de financement.
Soyons clairs : nous ne contestons pas le fait que notre système de retraite soit « impacté » par des facteurs démographiques. Il est vrai que, à l’horizon de 2025, le nombre de retraités aura considérablement augmenté, et les effets du papy-boom ne cesseront de croître jusqu’en 2020. Mais il s’agira d’une situation transitoire, comme s’accordent à le dire tous les sociologues et tous les économistes. Le Gouvernement dramatise la situation !
Nous contestons également l’analyse selon laquelle il serait devenu impossible de financer notre régime de retraite par répartition. Nous considérons que les ressources financières existent et que nous devons impérativement, pour financer les retraites de nos aînés, mais surtout celles des générations à venir, poser la question d’une plus juste répartition des richesses produites.
Les économistes le disent tous : il s’est produit un véritable tournant dans les années quatre-vingt puisque, pour la première fois, la part de valeur ajoutée consacrée aux salaires a perdu entre 8 et 10 points au profit des actionnaires.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Guy Fischer. Dans le même temps, les prélèvements financiers sur la valeur ajoutée produite dans les entreprises ont littéralement explosé. Ils représentent aujourd’hui 359 milliards d’euros, c’est-à-dire 36 % de la valeur ajoutée, alors que les prélèvements sociaux ne représentent que 151 milliards d’euros, soit deux fois moins.
Autrement dit, et nous sommes en complet désaccord sur ce point avec le Gouvernement et sa majorité, l’argent existe, et c’est bien sa mobilisation en faveur de l’emploi et des retraites qui doit être au cœur des politiques publiques.
Comment ignorer, par exemple, que la part des richesses produites dans les entreprises consacrée aux dépenses salariales soit progressivement passée de 72,8 % en 1970 à 66,2 % en 2000, alors que la productivité des salariés de notre pays, elle, n’a cessé de croître et se révèle être l’une des meilleures au monde ?
Selon les estimations de la Commission européenne, une somme de 100 milliards d’euros par an est consacrée à la rémunération du capital, en lieu et place de celle du travail. De surcroît, sur la même période, la part des dividendes versés aux actionnaires n’a cessé d’augmenter.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Guy Fischer. Ne comptant que pour 5 % de la valeur ajoutée en 1985, elle en représente à l’heure actuelle 25 %.
Mme Annie David. C’est scandaleux !
M. Guy Fischer. Cette survalorisation du capital joue contre le travail, entraînant à la fois la massification du chômage, le non-investissement dans l’outil productif et la stagnation des salaires.
En fait, on assiste à un véritable écrasement des salaires et des retraites, ainsi qu’à la délocalisation de la production.
Cette situation n’est pas acceptable !
Est tout aussi intolérable la manière dont les gouvernements successifs organisent, année après année, l’appauvrissement volontaire des comptes sociaux et le transfert progressif de leur financement des entreprises vers les foyers, les familles.
Le système mis en place prend principalement la forme d’exonérations ou d’exemptions de cotisations sociales et fiscales, principalement patronales. Ainsi, depuis 1992, les exonérations de cotisations sociales représentent une ristourne de 21 % accordée aux employeurs. Ces mécanismes sont d’autant moins acceptables que les exonérations, mêmes compensées par l’État, non seulement conduisent à un appauvrissement des comptes sociaux, mais également constituent une mauvaise pratique budgétaire, laissant croire à l’État qu’il peut disposer à sa guise des fruits du travail des salariés qui sont, en réalité, une part de salaire socialisée.
De la même manière, les exemptions de cotisations sociales – moins popularisées que les exonérations de cotisations sociales – participent de cet appauvrissement des comptes sociaux ; leurs effets sont d’ailleurs proportionnellement plus importants, dans la mesure où les exemptions, à l’inverse des exonérations, ne sont pas compensées par l’État. Elles sont cependant d’autant plus lourdes de conséquences qu’elles induisent des comportements patronaux néfastes pour les comptes sociaux et pour les salariés eux-mêmes.
En effet, les employeurs, pour éviter d’acquitter les cotisations sociales qui pèsent sur les salaires, préfèrent, notamment, remplacer les augmentations de salaires – un mécanisme collectif – par l’intéressement, la participation, l’épargne salariale ou l’épargne retraite, autant de mécanismes individualisés et non soumis à cotisations sociales.
On constate d’ailleurs la perversité de ce mécanisme en comparant les sommes distribuées au titre de ces dispositifs, qui, en cinq ans ont augmenté de 9 %, alors que la masse salariale, elle, n’a progressé que de 3 %.
Ainsi, selon les estimations de la Commission des comptes de la sécurité sociale, les 17,4 milliards d’euros versés au titre de l’intéressement auraient pu rapporter, s’ils avaient été acquittés sous forme de salaires, 7 milliards d’euros à la protection sociale, dont une part aurait pu alimenter tant la Caisse nationale d’assurance vieillesse que les régimes complémentaires de retraite.
M. Jean Desessard. Et voilà !
M. Guy Fischer. D’une manière plus globale, nous réaffirmons qu’une seule piste, une seule solution doit être envisagée pour assurer le financement pérenne de nos régimes de retraite et de la protection sociale dans son ensemble : favoriser l’emploi, singulièrement l’emploi de qualité, autrement dit l’emploi qualifié.
La crise économique et financière, qui résulte de la financiarisation outrancière de l’économie et qui a provoqué la destruction de 680 000 emplois depuis la fin de l’année 2008, n’est pas sans conséquences sur la situation actuelle.
Ainsi, les économistes estiment l’impact financier de la crise sur les régimes de retraite à environ 10 milliards d’euros, soit la moitié du déficit actuel.
C’est pourquoi nous considérons qu’il est urgent d’élaborer une vraie politique de l’emploi, tant, certes, pour les salariés âgés de 50 ans et plus que, à l’autre bout de la chaîne, pour les jeunes qui peinent à trouver leur premier emploi et à le garder. Cela suppose l’instauration de règles fiscales et sociales qui favorisent les entreprises dans lesquelles la part de richesse consacrée à l’emploi et aux salaires est importante et qui, au contraire, sanctionneraient celles qui consacrent une part considérable de leur valeur ajoutée aux actionnaires et à la spéculation.
Mais, visiblement, ni la majorité parlementaire ni le Gouvernement ne sont prêts à faire un tel choix !
Dans ce contexte, il n’y a rien d’étonnant, comme le souligne le rapport de la MECSS, à ce que nos concitoyens, particulièrement les plus jeunes d’entre eux, ne croient plus en la retraite par répartition et estiment que le système actuel est à bout de souffle. Il faut dire que tout est fait pour le présenter comme tel, à commencer par les recommandations des deux coauteurs du dernier rapport de la MECSS : annonce de l’augmentation des périodes de cotisation et du report de l’âge légal de départ à la retraite après 60 ans.
Cette observation a conduit nos deux collègues à préconiser un renversement complet du système et à proposer l’émergence d’un système dit de « retraite par points ».
La mise en place d’un tel régime constituerait un véritable renoncement à la solidarité entre les générations. En effet, dans un tel scénario, l’assuré accumule des points qu’il achète avec ses cotisations, en fonction d’une valeur d’achat ; le montant de sa pension se calcule en multipliant le nombre de points cumulés par la valeur du point. C’est la règle du chacun pour soi qui l’emporte. Les périodes de chômage, de précarité ou de maternité ne sont pas prises en compte.
Les régimes de retraites complémentaires français sont précisément assis sur un système de points. Or, année après année, on constate un double mouvement : augmentation du prix du point et diminution du rendement de ce dernier. Autrement dit, on achète toujours plus cher des points dont la valeur est, chaque année, inférieure à celle de l’année précédente !
Mais, au-delà même d’un changement en matière d’acquisition des droits, les modèles de retraites dits « à cotisations définies », parce qu’ils entraînent une plus grande individualisation des comportements, accroîtront inévitablement la part de capitalisation.
Ce mouvement a déjà commencé en France avec la généralisation des mécanismes d’épargne retraite qui, contrairement à la retraite telle qu’on la connaît aujourd’hui, sont individualisés et sont précisément à cotisations définies. Les retraites que se constituent par le biais de ces mécanismes nos concitoyens dépendent donc non seulement de leur propre capacité à épargner, mais aussi des choix de placements qu’ils ont réalisés conjointement avec leurs banques. Les salariés deviennent peu à peu eux-mêmes responsables de la faiblesse de leur niveau de pension.
Il existe bien une théorie selon laquelle il faudrait lever tous les obstacles à la retraite en permettant l’instauration d’une retraite à la carte – une limite d’âge ne serait plus fixée et le salarié serait le seul à décider de la date de son départ –, mais c’est une véritable chimère, car, très majoritairement, les salariés ne sont pas décisionnaires en matière d’emploi. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les statistiques : le taux d’emploi des salariés âgés de 55 ans à 64 ans n’est que de 50 %.
Par ailleurs, il nous faudrait également mesurer l’importance du nombre de salariés usés par le travail qui, en l’absence d’une véritable reconnaissance de la pénibilité de leur emploi, seraient contraints de partir à la retraite de manière anticipée, subissant alors une décote d’autant plus injuste que leur état de santé est précisément la résultante d’une activité professionnelle lourde de conséquences.
Faute de temps, je ne peux détailler les analyses et les propositions que nous avons formulées via notre contribution au rapport de la MECSS. Je vous renvoie donc à la lecture de ce document, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, certain que vous y trouverez les éléments vous permettant de proposer, enfin, une réforme des retraites juste et équitable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai en évoquant les conditions de ce débat. Le Gouvernement a annoncé ses propositions ce matin : c’est un peu court pour réagir !
M. Gérard Longuet. C’est en temps réel !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. De surcroît, c’est assez cruel pour la MECSS, car l’excellent rapport de Christiane Demontès et Dominique Leclerc risque de passer, avouons-le, un peu au second plan !
J’entre maintenant dans le vif du sujet : pour sauver le système de retraite par répartition, jouer sur un seul des paramètres de l’équation – l’âge de départ, le niveau des cotisations, celui des pensions – imposerait un tel ajustement de cette variable que cette solution est impensable. Nous avons pu le constater tout à l’heure avec les chiffres que nous a communiqués Dominique Leclerc.
Tout le débat est donc là : comment moduler les paramètres pour boucler la réforme ?
Pour répondre à cette question, plutôt que de partir des paramètres eux-mêmes, je préfère articuler mon intervention autour des principes prônés par la MECSS à la suite de ses auditions et qui devront, selon nous, gouverner notre action.
Ces principes, dont s’est inspiré le Gouvernement, sont au nombre de trois : responsabilité, équité et solidarité.
Tout d’abord, il est de notre responsabilité de régler la question des déficits tout en garantissant le niveau des pensions. La baisse de ces dernières n’est, bien sûr, pas une option, tant elle sonnerait comme un recul et un aveu d’échec.
Alors, qu’entend-on par « régler la question des déficits » ? Il s’agit non pas de définir un niveau « acceptable » de déficit, mais bien plutôt de viser le retour à l’équilibre.
À quel horizon ? Vous proposez, monsieur le ministre, de retenir l’année 2018, ce qui laisse envisager, compte tenu de l’évolution démographique qui pourrait ne pas être aussi linéaire que l’on veut bien le dire aujourd’hui, une nécessaire clause de revoyure.
Fixer un horizon à huit ans conditionne aussi le choix des paramètres devant évoluer. En effet, l’âge effectif de départ à la retraite est évidemment un élément essentiel pour assurer le redressement financier du système. On peut alors jouer sur deux paramètres : la durée de cotisation et les âges légaux d’ouverture des droits et d’obtention d’une pension à taux plein.
Si l’on se fixe 2018 pour horizon, il paraît rationnel de consentir à un relèvement de l’âge d’ouverture des droits, mais pas à une augmentation de la durée de cotisation.
Effectivement, nous pensons que cet âge peut être repoussé, car il faut sortir de l’idéologie pour sauver le système. Il pourrait passer, selon le Gouvernement, de 60 ans à 62 ans en huit ans. Selon nous, un tel relèvement est possible sous quatre conditions, qui ne semblent pas toutes réunies si l’on en juge aux grandes lignes du projet que vous avez présentées, monsieur le ministre.
Première condition : ce report doit être progressif. Le principe d’un rapport stable entre durée d’assurance et espérance de vie fixé par la loi de 2003 doit jouer à plein. Or ce n’est pas ce que vous semblez proposer avec une élévation de l’âge d’ouverture des droits de quatre mois par an, alors que l’espérance de vie augmente, elle, d’un trimestre par an.
Deuxième condition : une dérogation au principe doit être prévue pour les carrières longues et dans le cadre de la prise en compte de la pénibilité. J’y reviendrai.
Troisième condition : le relèvement de l’âge d’ouverture des droits ne doit pas emporter mécaniquement décalage de l’âge légal à 65 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Or vous proposez exactement le contraire.
Quatrième condition : le report de l’âge d’ouverture des droits ne pourra porter ses fruits que s’il est accompagné d’une politique très volontariste en faveur de l’emploi, en particulier celui des seniors. Dans le cas contraire, il pourrait se traduire par une augmentation du chômage.
Si, sous ces conditions, nous sommes favorables au relèvement de l’âge d’ouverture des droits, en revanche, nous sommes opposés à une augmentation de la durée de cotisation au-delà de ce que fixait la réforme de 2003 pour des raisons d’équité, évidemment, mais aussi parce que, d’ici à 2018, ce paramètre n’aura pratiquement aucun effet sur les comptes des régimes de retraite.
Nous notons donc avec satisfaction que, finalement, le projet gouvernemental ne comporte pas d’augmentation de la durée de cotisation.
La réforme ne devra cependant pas être exclusivement comptable. Ainsi, le deuxième principe devant gouverner notre action est l’équité.
À ce titre, monsieur le ministre, vous avez décidé de sanctuariser le dispositif « carrières longues ». Nous ne pouvons que nous en réjouir. La pénibilité doit aussi être prise en compte, ce que vous faites.
Bien sûr, le dossier de la pénibilité ne se confond pas avec celui de la retraite. Cependant, les deux sont connexes. Pour que la retraite prenne en compte ce facteur, comme le souhaitait la MECSS, vous proposez, monsieur le ministre, que la retraite anticipée soit accordée aux travailleurs bénéficiant déjà d’une rente au titre d’une incapacité de travail reconnue. Nous craignons que ce ne soit encore trop limitatif.
Nous préférerions un système s’inspirant de celui du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, le FCAATA, financé aussi par les employeurs concernés, autrement dit, un système plus généreux et sans doute plus juste.
Le troisième et dernier principe autour duquel la réforme doit s’articuler est la solidarité. Afin d’assurer la solidarité entre les régimes, il est nécessaire de poursuivre le rapprochement entre fonction publique et secteur privé lancé par la réforme de 2003. Sans même évoquer le salaire de référence, est-il normal que les taux de cotisation du régime des fonctionnaires et du régime général continuent de connaître un écart de plus de deux points ?
Vous proposez une convergence, monsieur le ministre. Cette mesure me paraît aller dans le bon sens à condition de ne pas être contrebalancée par une baisse de rémunération dans la fonction publique.
Cependant, promouvoir la solidarité dans l’assurance retraite, c’est aussi faire en sorte que tout le monde y contribue, et pas seulement les travailleurs salariés. C’est une question de justice, qui rendra acceptable la réforme qui est posée du système des retraites.
Les cotisations du régime général ont atteint un niveau plafond. Il n’est pas envisageable de les augmenter sans frapper cruellement la croissance.
En revanche, le Gouvernement propose plusieurs mesures financières pour élargir l’assiette des cotisations, dont certaines nous semblent très intéressantes.
C’est le cas de l’annualisation du calcul des exonérations de charges, déjà demandée par la commission des affaires sociales, ou du relèvement du taux spécifique applicable aux attributions de stock-options ou d’actions gratuites. De même, nous avions préconisé une taxation des retraites chapeaux plus ample que celle que vous proposez.
Mais tout cela ne suffit pas : la mobilisation de ressources nouvelles est absolument nécessaire. C’est pourquoi nous devons poursuivre le réexamen de l’ensemble des niches sociales.
On peut également s’interroger sur la sortie de la CSG et de la CRDS du bouclier fiscal. À titre personnel, j’y serais plutôt favorable.
Reste, enfin, l’option de la TVA sociale ou d’un relèvement de la CSG.
Ces ressources nouvelles seraient affectées au financement des risques relevant de la solidarité nationale que sont la santé et la famille. Les cotisations sociales seraient redéployées, à due concurrence, vers la branche vieillesse.
Faute de prendre de telles mesures, vous êtes obligé, monsieur le ministre, de recourir au fonds de réserve pour les retraites, le FRR. Ne craignez-vous pas sa disparition totale à l’horizon 2018, compte tenu de l’ampleur des déficits qu’il reste à couvrir ?
Tels sont donc les enjeux de court terme.
Cependant, saisissons l’occasion de ce rendez-vous pour voir plus loin. Depuis la réforme de 2003, le groupe de l’Union centriste défend la nécessité de mener, à moyen terme, après la réforme paramétrique, une réforme structurelle qui rendrait le système plus transparent, plus équitable et plus lisible.
C’est la fameuse idée du passage de l’annuité à un système par points ou au compte notionnel. Pour la première fois dans son rapport sur l’avenir du système de retraites, la MECSS nous a rejoints sur ce point clé.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à faire adopter, dans le projet qui nous sera soumis, le principe d’une réforme systémique pour l’avenir ? (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Longuet. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans le court temps qui nous est imparti, mon collègue Gérard Dériot traitera de la pénibilité du travail et de la situation des femmes. Pour ma part, je m’efforcerai de faire le lien avec les travaux remarquables de la MECSS et de ses rapporteurs, Mme Demontès et M. Leclerc, effectués sous le contrôle et avec la participation de la commission des affaires sociales et de sa présidente, travaux qui ont préparé le rendez-vous de ce jour.
Ainsi, l’échange que nous avons aujourd'hui sur vos propositions, monsieur le ministre, peut être – je l’espère – le plus professionnel et le plus apaisé sur un sujet qui a fait l’objet d’une étude et d’une réflexion approfondies.
Première remarque préliminaire, deux contraintes sont unanimement reconnues, à savoir, d’une part, la contrainte démographique, d’autre part, la réalité de l’intégration de l’économie française dans un système mondialisé, qui nous interdit de faire n’importe quoi et nous impose de procéder à un benchmarking portant au moins sur les pays européens ayant un niveau social similaire. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Ma deuxième remarque préliminaire, plus historique, mais nécessaire à la compréhension du débat, a trait à l’équivoque relative à l’expression : « régime par répartition ». M. Jean-Marie Vanlerenberghe soulignait à l’instant la nécessité de sauver le régime par répartition. En réalité, nous ne sommes pas dans un régime par répartition, mais dans un régime d’ambiguïté !
Alfred Sauvy définissait le régime par répartition comme un régime nécessairement équilibré, puisque les actifs payent pour les retraités et, s’il y a moins d’actifs, les recettes diminuent.
Or nous sommes aujourd’hui face à un système de solidarité intergénérationnelle, mais également de droits acquis. Là réside sans doute la complexité que vous avez à gérer à cet instant, monsieur le ministre.
Dernière remarque préliminaire, il existe une prise de conscience.
Naturellement, la décision de 1982 a pesé et pèse encore lourdement sur l’économie française. La majorité à laquelle j’appartiens a eu la responsabilité, voire le courage, en 1993, en 2003 et en 2007, de s’efforcer d’apporter des réponses partielles, mais utiles, qui ont sans doute permis de prolonger, en effet, le système par répartition.
Chers collègues de gauche, si vous avez institué le fonds de réserve pour les retraites et le conseil d’orientation des retraites, c’est que vous aviez bien conscience du problème. Mais vous n’êtes pas allés jusqu’au bout de votre démarche, ce que je regrette. Aujourd’hui, l’effort est plus important.
Monsieur le ministre, je tiens à vous faire part, au nom du groupe UMP, de deux convictions.
Tout d’abord, vous avez raison de fixer un horizon maîtrisable, 2018, pour rétablir l’équilibre de trésorerie, qui est une nécessité absolue.
Ensuite, la porte ouverte aujourd’hui débouchera nécessairement sur un chantier de long terme, de longue haleine, et permettra une réflexion plus profonde encore sur la « réforme systémique », pour reprendre vos propos, de nos régimes de retraite.
Encore fallait-il franchir le premier obstacle, qui était d’apporter au préalable une réponse, tout simplement en termes de trésorerie. Tous ceux qui, dans cet hémicycle, ont été amenés à gérer une entreprise savent que l’attention se porte d’abord sur la trésorerie, ensuite sur le bénéfice et, enfin, sur l’expansion.
En l’occurrence, nous sommes dans cette logique-là : il s’agit d’apporter une réponse en termes de trésorerie.
Vous le faites, monsieur le ministre, à partir de trois propositions, qui sont contenues dans les réflexions de la MECSS.
La première vise à définir le point équilibre entre les mesures démographiques et celles concernant les cotisations et les prélèvements.
On peut imaginer que vous fixez ce point d’équilibre à 70 % pour les mesures démographiques et à 30 % pour les mesures de prélèvements. On pourra discuter de ce ratio en septembre prochain. En tout état de cause, c’est celui qui m’apparaît à cet instant. Il représente le minimum que l’on puisse attendre des mesures démographiques.
En effet, ces dernières présentent l’immense avantage de mobiliser les capacités de travail qui existent dans notre pays et qui, après l’abaissement de l’âge de départ à la retraite à 60 ans et la réforme des 35 heures, ont été considérablement diminuées, affaiblissant ainsi notre compétitivité.
C’est la raison pour laquelle l’équilibre pour lequel vous optez me semble bon, non pas exceptionnel, mais réaliste.
Il repose sur une participation forte de la fonction publique. Vous avez raison de l’étaler dans le temps, car elle est significative. En effet, il s’agit de combler un écart de 25 % entre les efforts de cotisations des salariés et ceux des fonctionnaires.
La participation du secteur privé est importante. À cet égard, au nom de la commission des finances, suivant la commission des affaires sociales, je tiens à vous remercier d’accepter aujourd’hui ce que vous refusiez hier, c'est-à-dire l’annualité de la prise en compte des revenus salariaux pour l’exonération à hauteur de 1,6 SMIC. C’est une bonne chose.
Toutes ces mesures sont, de notre point de vue, parfaitement légitimes et fondées.
Deuxième proposition, s’agissant du débat autour de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ou à 63 ans, la réponse que vous apportez me semble lucide et de bon sens. J’avais la tentation, comme Dominique Leclerc me semble-t-il, de fixer cet âge à 63 ans.
Mais en fixant l’échéance de 2018, qui est une échéance politique proche – c’est une génération que nous pouvons maîtriser, à laquelle nous participerons et dont nous avons la responsabilité –, avec des marches un peu plus hautes pour pouvoir grimper plus rapidement vous retenez une option qui devrait être comprise et acceptée par nos compatriotes.
Dans cet effort de trésorerie qui était le préalable absolu, la troisième proposition concerne la convergence entre la fonction publique et le secteur privé, à laquelle vous souhaitez procéder avec mesure.
Je ferai un rappel historique. Pourquoi les retraites de la fonction publique sont-elles différentes de celles du régime général ? C’est parce que l’État, qui a, depuis des temps immémoriaux, le bénéfice de la pérennité, a offert à ses salariés, bien avant l’apparition des régimes particuliers, puis du régime général, un régime de retraite.
Vous nous proposez aujourd’hui de cheminer vers une convergence à un rythme qui paraît raisonnable. Loin du débat théologique entourant les six mois ou les vingt-cinq années prises en compte dans le calcul de la retraite, qui auraient requis au préalable une remise en ordre des salaires de la fonction publique, vous avez choisi l’option « trésorerie ».
Son effet est plus immédiat et n’exige pas de réorganisation préalable des salaires de la fonction publique, notamment en ce qui concerne le système des primes. C’est là un mystère de la fonction publique, impénétrable dans certaines administrations !
Vous avez fait le choix du bon sens, et nous vous soutenons sur ce point.
Mais ce n’est qu’une partie du chemin à parcourir.
Si ces mesures sont pertinentes pour apaiser, pour les dix années à venir, l’inquiétude résultant des déficits accumulés, elles n’interdisent en rien de mener une réflexion sur le changement systémique. Le chantier que vous ouvrez nous permet d’en débattre.
Il convient de sauvegarder le régime par répartition en faisant en sorte qu’il conserve réellement cette nature et qu’il ne soit pas confondu, curieusement, avec un système de droits acquis qui méconnaîtrait les réalités économiques actuelles. C’est pourquoi tous les efforts proposés dans votre plan concernant l’information des travailleurs et des salariés, point évoqué par la MECSS, constituent un devoir absolu.
Nous pensons, comme vous, que la retraite à la carte serait sinon une tarte à la crème, en tout cas une fausse solution, ambiguë et équivoque, comportant trop de malentendus pour ceux qui choisiraient cette option à titre personnel.
Nous avons un devoir absolu d’information envers le salarié, au moment où il entre dans la vie active comme au cours de sa carrière.
Nous ne pouvons pas, en tout état de cause, refuser de prendre une mesure collective courageuse sous prétexte que chacun pourrait prendre sa part de responsabilité selon ses vœux.
Nous assisterions alors inéluctablement à un transfert du régime des retraites vers le fonds de solidarité vieillesse et in fine vers les budgets des départements, qui prennent en charge, sous diverses formes d’intervention, les personnes âgées.
C’est la raison pour laquelle il est courageux, mais également civique et responsable, d’informer les salariés et de récuser l’idée selon laquelle chacun déciderait de sa retraite en fonction de son humeur pour finalement se rendre compte, après avoir mis fin à son activité, qu’il s’est malheureusement trompé et qu’il est préférable de s’en remettre à la solidarité nationale ! S’il avait été mieux informé, il aurait dès le début souhaité apporter son écho au système collectif.
Pour conclure, permettez-moi de vous présenter quatre pistes de travail.
La première, que je ne développerai pas, consiste à suivre avec attention le dossier des polypensionnés. Nous nous acheminons vers un allongement et une diversification des carrières. En effet, nombre de nos compatriotes n’imaginent plus exercer la même activité tout au long de leur vie. Le fonctionnement du régime des polypensionnés est défectueux et devrait être amélioré afin de mieux répondre au besoin de diversité exprimé par nos compatriotes.
La deuxième piste, évoquée par la MECSS, est la retraite par points. Celle-ci ne correspond pas au système caricatural présenté en trente secondes par notre collègue Guy Fischer ! Il s’agit, par le biais du compte notionnel, de contribuer à la vérité d’un système de répartition qui, à chaque instant, dit à la collectivité ce que vaut l’effort d’aujourd'hui, compte tenu de la capacité de production de richesses d’une société à un moment donné et du poids des retraités.
Les systèmes par points et la réflexion notionnelle, qui ont, d’une certaine façon, été choisis par l’Allemagne et la Suède, exigent un très long travail préparatoire de compréhension, d’explication et d’appropriation par les intéressés.
C’est la raison pour laquelle nous ne vous demandons pas d’aller vers un tel système dès à présent, monsieur le ministre.
Nous souhaitons simplement qu’une piste soit ouverte, afin que les prochains rendez-vous puissent être éclairés par une expérience qui nous est pour l’instant étrangère.
Les deux dernières pistes de réflexion sont les suivantes :
La première serait d’adosser le Fonds de réserve pour les retraites, le FRR, au formidable patrimoine d’infrastructures et de droits sur celles-ci dont dispose l’État. Je pense aux infrastructures routières, aux autorisations de réseaux, ou encore aux autorisations de l’espace hertzien. Ce sont autant de richesses patrimoniales intangibles, qui dégagent des bénéfices et qui peuvent servir à alléger une dette publique mise au service d’une cause juste, celle du fonctionnement de notre régime de retraite par répartition.
Enfin, la dernière piste serait d’avoir une vision globale du patrimoine individuel de nos compatriotes, et des incitations fiscales qui existent à ce jour. Je veux toutefois rassurer l’ancien ministre du budget que vous êtes, monsieur Woerth : l’UMP ne demande pas au Gouvernement de créer de nouvelles niches fiscales ! Elle souhaite simplement que les niches existantes soient mises en concurrence et évaluées au regard de leur productivité, c’est-à-dire de leur capacité à aider chacun nos compatriotes à se constituer un patrimoine individuel lui permettant d’être le plus autonome possible lorsque, une fois l’âge venu, il ne sera plus en mesure de travailler.
C’est pourquoi nous vous aiderons dans cet effort, monsieur le ministre, afin de mettre durablement sur pied un système qui équilibre la solidarité et la responsabilité individuelle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, ce débat était inscrit à notre ordre du jour, à la demande de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, dont chacun a salué la qualité du travail, avant que l’on ne connaisse précisément les intentions du Gouvernement.
Les mesures, nous les connaissons maintenant. Il est vrai que nous les subodorions déjà fortement. Un autre que moi a parfaitement résumé la dimension du débat, en déclarant : « Ce sont juste les modalités de la tonsure qui changent. Mais on va vous tondre ! » (Sourires.)
Elles ne changent donc rien aux raisons pour lesquelles j’ai tenu à m’exprimer à cette tribune.
Depuis que la question des retraites a été « lâchée » – j’utilise ce mot à dessein – aux appétits médiatiques des commentateurs, j’ai en effet été doublement frappé, d’abord par l’aspect technique sur lequel le projet du Gouvernement s’est focalisé et comme sclérosé, au point de se réduire, ces derniers jours, dans l’attente de l’oracle élyséen, à cette seule question : 62 ou 63 ans ?
J’ai été ensuite spontanément effrayé, comme chacun – mais n’est-ce pas là exactement le but recherché ? –, du ton et du vocabulaire proprement alarmiste de la majorité des discours, assailli et assommé de projections catastrophes et de chiffres abyssaux.
Cet art de la dramaturgie érigée en méthode de gouvernement n’est pas pour nous surprendre. Elle a été éprouvée s’agissant du service public hospitalier ; elle est appliquée aux collectivités territoriales et à la sécurité sociale ; elle est fortement envisagée pour l’éducation nationale.
La méthode est simple : c’est celle du pompier pyromane qui met le feu, sonne l’alerte et vous propose son aide pour achever l’édifice ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Or l’enjeu de ce projet aujourd’hui est celui du « vivre ensemble », de la solidarité que nous voulons préserver, du progrès social que nous voulons défendre et bâtir pour l’avenir.
L’orchestration « choc » du débat suffira-t-elle à masquer aux yeux des Françaises et des Français l’extrême injustice d’une réforme paramétrique et de court terme ?
En envisageant de reculer l’âge légal de départ en retraite, votre gouvernement, monsieur le ministre, restera dans l’histoire pour avoir réussi, après trois siècles de mouvement ininterrompu en avant, à faire reculer et tourner à l’envers la roue du progrès social. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
L’âge légal repoussé, ce sont les ouvriers et les employés, qui représentent près de 55 % de la population active, qui seront atteints les premiers.
Or, injustice supplémentaire, ce sont justement eux qui, le plus souvent, ont commencé à travailler plus tôt et qui meurent aussi plus tôt. C’est donc à ceux qui cumulent les carrières les plus longues avec l’espérance de vie la plus courte que le Gouvernement voudrait imposer de travailler plus encore. Ce n’est pas acceptable !
Et ce qui le sera encore moins, j’insiste sur ce point, c’est le cumul annoncé des trois mesures d’âge, consistant à relever simultanément l’âge légal du départ à la retraite, l’âge du droit à la pension complète et la durée de cotisation. Cette décision fera du système de retraite français l’un des plus durs d’Europe ! Vous pourrez le vérifier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Yves Daudigny. Quelle crédibilité même ce projet peut-il avoir auprès de nos concitoyens et de nos partenaires européens, qui connaissent la réalité et l’ampleur du chômage en France ? Comment sérieusement prétendre espérer des recettes nouvelles de mesures fondées sur l’emploi lorsqu’il n’y a pas de travail ?
Le seul résultat en sera le glissement du régime de retraite à celui de l’assurance chômage, à l’instar du transfert des « vieux » chômeurs au régime d’invalidité, que pratiquait l’Angleterre.
M. Guy Fischer. Et la Suède aussi !
M. Yves Daudigny. L’emploi, cela a été dit, est bien le problème majeur des retraites, puisqu’il en est la condition d’existence.
Le droit à la retraite à 60 ans n’est pas une idole archaïque autour de laquelle s’agiteraient ceux qui la défendent comme le ferait une tribu primitive. C’est un progrès majeur, encore très récent, qui est inscrit dans toutes les mémoires et appartient à la conscience sociale de notre pays.
Oui, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’autres mesures sont pourtant possibles. Elles sont diverses, et je limiterai mon propos à des pistes de financement.
Le projet annoncé envisage certes 3,7 milliards d’euros de recettes fiscales nouvelles. Mais les niches strictement fiscales – j’entends celles qui sont purement spéculatives ou celles auxquelles il a toujours été impossible de corréler création d’emploi ou relocalisation – ne représentent-elles pas, au bas mot, près de 50 milliards d’euros de pertes de recettes pour l’État, soit 50 milliards d’euros en moins pour financer les services publics, l’éducation, la formation et, précisément, les retraites ?
J’illustrerai la situation de notre pays en matière fiscale par deux exemples.
Le premier pourrait prendre la forme d’une devinette : de combien sont taxés les bénéfices des entreprises du CAC 40 ? Réponse : 8 %. Nous sommes loin du taux officiel, ou taux nominal, de 33 % de l’impôt sur les sociétés en France. Le chiffre est tiré d’un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires publié à l’automne dernier.
Pourquoi un tel décalage ? Parce que les multinationales sont les reines de l’optimisation fiscale et qu’elles utilisent toutes les dispositions susceptibles de minorer l’impôt.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Yves Daudigny. Par hypothèse, le relèvement du taux à 40 % pourrait rapporter entre 7 et 9 milliards d’euros, selon l’estimation du Syndicat national unifié des impôts.
La seconde illustration est la fameuse « super-niche » : depuis 2007, les entreprises ne paient plus d’impôt sur les plus-values lorsqu’elles vendent leurs filiales, à condition de les avoir détenues au moins deux ans. Cette exonération, appelée aussi « niche Copé », en référence au nom du ministre du budget de l’époque, a généré un manque à gagner pour l’État de 3,4 milliards d’euros en 2007, 12,5 milliards d’euros en 2008 et 6,1 milliards en 2009, soit 22 milliards d’euros en trois ans, selon les chiffres de Bercy.
Je sais bien que cette mesure, dont je propose la suppression, est très contestée, mais, de tout temps, toute mesure d’avancée sociale a toujours été vivement combattue par les forces conservatrices. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Oui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les piliers d’une réforme juste et durable existent bien. Des ressources nouvelles sont identifiables, et j’en donnerai quelques exemples.
Ainsi, la mise à contribution des revenus du capital est possible au travers de quatre mesures : la majoration des prélèvements sociaux sur les bonus et les stock-options, qui rapporterait 2 milliards d’euros ; le relèvement du « forfait social » appliqué à l’intéressement et à la participation, qui rapporterait 3 milliards d’euros ; l’application de la contribution sociale généralisée, la CSG, sur les revenus du capital actuellement exonérés et la remise en cause de la défiscalisation des plus-values sur les cessions de filiales, mesure qui rapporterait 7 milliards d’euros ; enfin, l’augmentation de la contribution sur la valeur ajoutée en exonérant les petites entreprises, qui rapporterait également 7 milliards d’euros.
Ces quatre mesures permettraient ainsi de mobiliser autour de 19 milliards d’euros en 2010, ce qui représente, compte tenu de la croissance, près de 25 milliards d’euros en 2025.
Je pourrais également citer la mesure possible d’augmentation, modérée et étalée dans le temps, des cotisations patronales et salariales à partir de 2012, qui produirait 12 milliards d’euros de recettes en 2025.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme envisagée n’est pas une réforme technique, une réforme de changement de paramètres. C’est très profondément un enjeu de société dont nous discutons aujourd’hui : quelle qualité de vie pour nos concitoyens ? Quels rapports entre les générations ? Quelle entrée dans la vie active pour la jeunesse ?
Oui, il est possible de construire une société dans laquelle l’égoïsme entre les générations n’aurait pas sa place !
Oui, il est possible de construire une société dans laquelle les Français retrouveraient la confiance dans leur système de retraite !
Oui, il est possible de construire une société dans laquelle l’effort serait réparti de manière équitable !
Une société qui serait bien entendu à l’opposé de celle qui est décrite, sous la plume de Denis Kessler, dans l’éditorial du journal Challenges du 4 octobre 2007 : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. […] Il est grand temps de le réformer, et le Gouvernement s’y emploie […] : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la sécurité sociale, paritarisme… […] À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. […] Cette architecture […] est à l’évidence complètement dépassée, inefficace, datée. »
M. Guy Fischer. Ah, Denis Kessler!
M. Yves Daudigny. Eh bien non, nous ne partageons pas ce point de vue sur notre société. Non, la vieillesse n’est ni un fardeau ni une charge ! Elle est, au contraire, une chance pour notre société.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, hommes et femmes de gauche, nous ne sommes ni aveugles ni plus sots que d’autres. Nous mesurons bien les évolutions de notre société. Nous savons que 2010 n’est pas 1945. Nous mesurons que c’est bien un faisceau de mesures diverses qui distingueront la solidarité nationale du système assurantiel et contributif et qui permettront de pérenniser notre système de retraite par répartition.
Mais la société dont nous avons l’ambition est à l’opposé de celle que vous voulez construire, parce que nous la voulons fondamentalement ancrée dans des valeurs qui sont celles de la justice et de la solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot.
M. Gérard Dériot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les uns et les autres l’ont rappelé, effectivement, nous débattons des retraites quelques heures après la présentation du projet de réforme du Gouvernement.
Nous sommes bien conscients que ce sujet constitue un enjeu tout à fait considérable pour chaque famille française, mais aussi pour le contrat entre les générations et pour nos finances publiques.
La situation très difficile à laquelle nos régimes de retraite sont confrontés, et qui menace leur pérennité, préoccupe, à juste titre, nos concitoyens.
Les chiffres sont connus : dès aujourd’hui, une retraite sur dix n’est pas financée ; si nous ne faisons rien, ce sera une sur six en 2030.
Nier la réalité n’a jamais constitué une politique efficace sur le long terme. C’est pourquoi votre projet de réforme, monsieur le secrétaire d'État, a le courage d’apporter des réponses aux interrogations des Français, soucieux de sauver leur système de retraite.
Beaucoup a déjà été dit dans ce débat, sur le diagnostic et les mesures que nous aurons à examiner dans le cadre de la discussion parlementaire à la rentrée.
Dès à présent, j’insisterai, pour ma part, sur deux points.
Le premier concerne les inégalités entre hommes et femmes. La France présente, en matière de retraite, des écarts très importants : les droits à la retraite propres aux femmes n’y représentent que 48 % de ceux des hommes, contre 68 % en Suède, par exemple. Même en prenant en compte les droits dérivés, comme les pensions de réversion, on ne parvient guère qu’à des taux de 62 % en France, contre 79 % en Suède.
Les inégalités durant la vie active entraînent les inégalités à la retraite : le taux d’activité des femmes est plus faible ; les interruptions d’activité liées aux enfants concernent avant tout les mères ; les femmes sont plus frappées par le chômage que les hommes ; les emplois à temps partiel sont très majoritairement occupés par des femmes ; enfin, l’écart de salaire entre hommes et femmes est au moins de 20 %. Tout se combine pour affaiblir le niveau des pensions des femmes. À tel point que trois femmes sur dix attendent 65 ans pour liquider leur retraite et ne pas subir la décote.
De plus, des études récentes montrent que le système français de réversion de pension fonctionne moins bien qu’autrefois, en raison de l’augmentation du nombre de divorces et d’unions libres ou encore de l’accroissement du travail à temps partiel pour une grande proportion de femmes. Beaucoup d’entre elles se retrouvent ainsi isolées à la retraite et le niveau de leur pension ne dépend plus que de leurs droits propres.
Devant un tel constat, la réforme majeure de sauvegarde des retraites conduite par le Gouvernement doit permettre d’atténuer à l’avenir de telles iniquités. M. le ministre du travail a, me semble-t-il, annoncé tout à l’heure que cet état de fait serait pris en compte dans les réformes, ce que nous souhaitons vivement.
Second point de mon intervention, la question des retraites me semble indissociable de celle des conditions de travail. Si l’on veut obliger les Français à travailler plus longtemps, il ne faut pas qu’ils soient usés prématurément par leur activité professionnelle.
Un salarié peut, certes, être usé par l’accumulation d’efforts physiques tout au long de sa carrière, par exemple, s’il est amené à porter régulièrement des charges lourdes. Il peut être usé par l’exposition à des substances dangereuses, telles que l’amiante ou certains produits chimiques. Mais l’usure peut revêtir aussi une dimension psychologique, et c’est sur ce point que je veux insister.
Comme vous le savez, la commission des affaires sociales a mis en place, au début de l’année, une mission d’information sur le mal-être au travail, présidée par Jean-Pierre Godefroy et dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur.
Après les drames qui se sont produits dans plusieurs grandes entreprises, nous avons souhaité mieux comprendre les raisons qui peuvent conduire un salarié à commettre l’irréparable, tout en ayant conscience que le problème est plus large. Le mal-être peut se traduire par du stress ou un état dépressif, incitant les salariés à quitter le monde du travail le plus tôt possible.
Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé, ainsi que les dizaines de témoignages recueillis sur notre blog, montrent que le mal-être au travail est répandu et qu’il concerne aussi bien le secteur privé que le secteur public.
La recherche de la performance, tout à fait légitime, soumet les salariés à une pression continue. Autrefois, ils pouvaient s’appuyer sur une équipe et compter sur la solidarité de leurs collègues pour y faire face. Mais l’affaiblissement des collectifs de travail, la poursuite d’objectifs de plus en plus individualisés laissent les salariés trop souvent seuls face aux exigences du monde du travail contemporain.
Si l’on ajoute à cela la primauté des objectifs financiers à court terme, on voit que les difficultés rencontrées par un certain nombre de travailleurs poussent ces derniers à quitter le monde du travail plus rapidement.
Pourtant, les Français sont attachés à leur travail, qui demeure, heureusement, pour la majorité d’entre eux, une source d’épanouissement. Les personnes privées d’emploi sont d’ailleurs plus souvent confrontées à la souffrance psychologique que celles ayant un travail. Par ailleurs, on sait que le départ à la retraite constitue, pour nombre de salariés, une rupture difficile à vivre.
Si, à l’avenir, la majorité de nos concitoyens est amenée à travailler au-delà de soixante ans, nous ne pourrons pas négliger la dimension du bien-être psychologique au travail.
Dès lors que la vie professionnelle est perçue comme pénible, l’aspiration à partir le plus tôt possible à la retraite est très forte : à l’heure actuelle, 58 % des Français ont ce désir. Pour qu’ils aient envie de rester plus longtemps en activité, l’entreprise doit, elle aussi, prendre en compte le fait qu’elle doit devenir un lieu où se tisse le lien social. Elle se doit donc de veiller à préserver les moments de convivialité, qui sont non pas du temps perdu, mais, au contraire, une source d’efficacité pour elle-même.
Il faut être attentif aussi à repérer et à traiter les situations de souffrance professionnelle avant qu’elles ne dégénèrent.
Ces objectifs ne peuvent être atteints que par un management soucieux des hommes, conscient de sa responsabilité sociale et s’appuyant, bien sûr, sur des institutions représentatives du personnel efficaces.
Par ailleurs, les services de santé au travail sont un autre levier grâce auquel nous pouvons agir pour prévenir les risques psychosociaux.
M. Éric Woerth a clairement indiqué, lors de son audition par la mission d’information, que la réforme de la médecine du travail serait articulée avec celle des retraites ; il l’a également rappelé dans les propositions qu’il vient d’exposer.
Cette réforme, attendue depuis longtemps, est rendue indispensable par la transformation des risques professionnels et la diminution préoccupante du nombre de médecins du travail.
Il s’agit donc là d’un autre domaine, qui, à l’évidence, doit accompagner la réforme de notre système de retraites. Nous espérons que le Gouvernement en tiendra le plus grand compte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame Demontès, monsieur Leclerc, je vous remercie de la qualité de votre rapport. J’ai apprécié cette étude complète et documentée, qui a le mérite de rendre clair et lisible un sujet ardu.
Hasard du calendrier, nous avons eu ce matin connaissance du projet de réforme des retraites du Gouvernement.
M. Claude Domeizel. La presse en a eu connaissance, pas nous !
M. Jean Desessard. Nous avons, en effet, lu la presse !
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez appliqué le sophisme : « Puisque l’on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps ».
M. François Trucy. Eh oui !
M. Jean Desessard. Non ! Nous, écologistes – les vrais, s’entend ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) – refusons ce postulat pour trois raisons.
Premièrement, parlons progrès social : outre les progrès dans le domaine de la médecine, on pourrait se demander si ce n’est pas aussi parce que l’on travaille moins longtemps que l’on vit plus longtemps.
Mme Gisèle Printz. Voilà !
M. Jean Desessard. C’est du moins ce que laissent penser les avancées sociales réalisées au XXe siècle, comme les congés payés, la retraite à soixante ans, ou encore la réduction du temps de travail.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jean Desessard. Deuxièmement, parlons taux de productivité, puisque vous l’évoquez dans le rapport : les écologistes pensent qu’il existe un degré d’activité nécessaire pour garantir le bon fonctionnement de la société sans avoir besoin de créer toujours plus d’activité. Au-delà d’un certain seuil, qui diminue régulièrement vu l’accroissement de la productivité, nous n’avons pas besoin d’activités toujours plus consommatrices d’énergie et de ressources naturelles ou génératrices de désastres, tels que celui du golfe du Mexique.
Il nous faut donc trouver un équilibre entre la préservation des ressources et le temps de travail socialement utile. C’est dans cette articulation entre temps de formation, emploi utile et temps de loisirs que doit s’évaluer la part du PIB à consacrer aux retraites.
Troisièmement, enfin, le rapport de la MECSS dégage d’autres pistes pour résorber le déficit des retraites, par exemple, une remise à plat réellement ambitieuse de la fiscalité.
Monsieur le secrétaire d’État, vous pensez que faire travailler davantage les seniors est la solution miracle à l’épineuse question du financement des retraites.
Le rapport de la MECSS fait état des mesures en faveur de l’emploi des seniors adoptées ces dernières années. Il faut le reconnaître, certaines de ces dispositions ont partiellement porté leurs fruits : l’activité des salariés de plus de cinquante-cinq ans a progressé.
Certes, depuis 2008, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans a légèrement progressé, de 0,7 point, mais, par ailleurs, il y a de plus en plus de chômeurs.
Si l’on se penche sur la situation des personnes de 25 à 49 ans, leur taux d’emploi a régressé de 1,6 point, soit 327 000 emplois en moins.
Dans un contexte de crise, les réformes des retraites menées par la droite depuis 1993 ont abouti à un non-sens : on a aggravé la situation des moins de cinquante ans sur le marché du travail.
Dès lors, pourquoi s’obstiner dans cette direction ?
Pourquoi obliger les seniors à travailler plus longtemps quand on connaît leur impact négatif sur l’emploi des personnes de 25 à 49 ans ?
Si vous pensez qu’il est possible de faire davantage travailler les seniors, pourquoi ne pas faire travailler plutôt les jeunes ?
Monsieur le secrétaire d’État, expliquez-moi les raisons pour lesquelles les seniors trouveraient un emploi plus facilement que les jeunes ? S’il n’y en a pas, alors faisons travailler les jeunes ! Et si l’on n’arrive pas à faire travailler les seniors, il y aura du chômage, et pour les uns, et pour les autres. Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans aboutira, par conséquent, à une baisse des pensions à cause des décotes.
Oui, l’emploi en France doit être amélioré. Chaque personne le souhaitant doit pouvoir trouver un travail, en particulier les femmes et les jeunes, qui sont les plus touchés par le chômage et la précarité. C’est à eux que les politiques publiques doivent s’adresser, plutôt que d’imposer de travailler à des seniors qui n’ont rien demandé.
Non seulement les femmes et les jeunes ont envie de travailler et possèdent la santé pour cela, mais un travail leur permettrait également de les sortir de la précarité. En outre, une hausse de l’emploi représenterait une source de cotisations supplémentaires.
Si les 2,7 millions de Français au chômage, indemnisés en moyenne 1 040 euros par mois, selon les chiffres de l’INSEE, trouvaient un emploi, ce serait 33 milliards d’euros de cotisations chômage en moins à verser par an et 6,7 milliards d’euros de cotisations supplémentaires apportées par ces nouveaux travailleurs.
On repousse l’âge de départ à la retraite, mais on repousse aussi aujourd'hui, dans les faits, l’âge de la première embauche. En effet, comme le rappelle le rapport de la MECSS, les droits à la retraite accumulés à l’âge de trente ans sont de plus en plus faibles, génération après génération. Obtenir un CDI devient un parcours du combattant pour les jeunes diplômés et une mission impossible pour les moins qualifiés.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Jean Desessard. Jusqu’où devrons-nous aller pour avoir des droits ?
Quant aux femmes, leurs carrières sont souvent plus décousues que celles des hommes. Elles sont sous-représentées dans la population au travail et surreprésentées dans les emplois les plus précaires. Nombre d’entre elles subissent des emplois à temps partiel imposé. Elles souffrent de rémunérations inférieures à celles de leurs collègues masculins. Tout cela fait que leur pension de retraite ne représente que 56 % de celle des hommes.
Selon la Commission européenne, si l’on atteignait l’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine de l’emploi, des conditions de travail et des rémunérations, le PIB de la France pourrait croître de 20 %.
Les femmes sont particulièrement actives dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la petite enfance : cela tombe bien, car c’est justement là que les besoins sont énormes ! On peut donc faire vite...
Selon nos calculs, l’égalité entre les hommes et les femmes aurait un impact positif à hauteur de 25 milliards d’euros de cotisations par an.
À l’horizon 2030, là encore selon la Commission européenne, si l’on arrivait à l’égalité entre les hommes et les femmes, l’apport de cotisations supplémentaires représenterait la somme non négligeable de 78 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien !
Monsieur le secrétaire d’État, sans doute allez-vous me dire que l’égalité entre les hommes et les femmes relève de l’utopie ?
M. Jean Desessard. Mais faire travailler tous les seniors, est-ce bien réaliste ? Est-ce la bonne direction ?
J’ai indiqué que les écologistes posaient comme préalable une autre organisation sociale, respectueuse de l’environnement et non soumise à la course effrénée à la croissance.
En effet, le développement considérable de la productivité depuis une cinquantaine d’années a réduit de façon spectaculaire le nombre d’heures utiles, notamment dans l’agriculture, le bâtiment, l’industrie, le travail ménager. Demain, les robots intelligents nous délivreront de tâches aujourd’hui fastidieuses. D’ailleurs, leur impact n’a pas été mesuré dans le rapport du COR. Il est vrai qu’ils ne sont pas taxés, eux, à la différence du travail humain.
Je pourrais parler de productivité dans tous les domaines, mais je ne voudrais pas que cette reconnaissance de l’état de fait qu’une production industrielle nécessite dix fois moins de main-d’œuvre qu’il y a trente ans soit interprétée comme un hymne à la productivité.
En effet, se réjouir que le progrès technique permette de se libérer des travaux pénibles, d’éviter des gaspillages par une meilleure maîtrise de l’outil, de dégager des heures pour les loisirs et sa vie familiale ne signifie pas qu’il faille l’étendre de façon « idiote » dans les domaines des services.
En effet, certains entendent par productivité la suppression des temps de pause, la standardisation des salariés, l’augmentation du nombre de clients par guichetier, de malades par infirmière. Il s’agit de mal-être et de souffrance au travail, qui ne participent pas d’une amélioration de la qualité de vie.
Sachons donc faire la part des choses lorsque nous parlons de productivité : il faut distinguer la productivité technique de la productivité de rentabilité.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je crains que le débat sur le projet de loi qui nous attend à la rentrée ne s’inscrive dans un plan d’austérité à l’échelle européenne, comme c’est déjà le cas en Grèce ou en Italie.
La réforme des retraites ne doit pas se faire par idéologie néolibérale. Son but doit être de redonner confiance aux citoyens dans le contrat social et de garantir une pension aux générations futures, et non de donner des gages aux marchés financiers.
Le rapport de la MECSS est une base de réflexion intéressante, mais il n’amène pas les écologistes aux mêmes conclusions que le Gouvernement. Les Verts prennent position pour le maintien de l’âge de départ à la retraite à 60 ans, pour une autre organisation des temps de vie dans la société, pour une remise à plat efficace et juste de la fiscalité.
Pour conclure, je soulignerai, et tel était le sens de mon intervention, que l’urgence n’est pas de faire travailler toujours plus longtemps les seniors qui ne le souhaitent pas : elle est de favoriser l’emploi des catégories les plus touchées par la précarité, en particulier les jeunes et les femmes, qui, eux, aspirent à l’intégration sociale que représente un travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que le Gouvernement vient de dévoiler l’économie générale de son projet, il est bon que le Sénat fasse valoir son expertise de la question. À cet égard, le travail de fond réalisé dans le cadre de la MECSS par Mme Demontès et M. Leclerc est tout à fait remarquable, à la fois de pondération, de franchise et de lucidité.
Quel fut notre constat de départ ? Il nous a d’abord fallu admettre que les réformes des dix dernières années n’ont pas permis de corriger les déséquilibres financiers du système. Pris dans sa globalité, l’ensemble des régimes de retraite cumulera près de 30 milliards d’euros de déficit dès cette année. Pour la seule branche vieillesse du régime général, nous approcherons les 10 milliards d’euros de pertes, au terme, il faut bien le dire, d’un quinquennat de dégradation ininterrompue. Désormais, l’assurance vieillesse rivalise avec l’assurance maladie dans la composition du déficit social : rappelons que, en 2010, le besoin de financement de la sécurité sociale battra tous les records et culminera à près de 27 milliards d’euros, la conjoncture ayant, bien sûr, aggravé le déficit structurel.
Le premier point de notre analyse, c’est donc que la loi de 2003 portant réforme des retraites n’a pas produit les effets escomptés, essentiellement parce que ses hypothèses étaient intenables, et ce pour quatre raisons.
D’abord, le taux de chômage est presque deux fois plus important que prévu : on l’annonçait à 5 %, nous sommes à 9,5 %. L’élévation de la masse salariale s’en est bien évidemment ressentie.
Ensuite, le taux de croissance est, quant à lui, deux fois plus bas que prévu : il fallait 2 % par an, alors que, selon la Banque centrale européenne, la BCE, nous avoisinerons 1 % cette année, après une stagnation en 2008 et une croissance négative en 2009 !
Par ailleurs, le taux d’emploi des seniors, pour sa part, s’est encore dégradé, marquant ainsi l’échec, monsieur le secrétaire d’État, du « plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors ». Sur ce terrain, contrairement à ce qu’a affirmé tout à l’heure M. Woerth, me semble-t-il, la France est toujours lanterne rouge en Europe.
Enfin, parallèlement, la fréquence des départs à la retraite à 60 ans s’est accélérée et les départs anticipés pour carrière longue ont été bien plus importants qu’annoncé, les salariés ayant précipité leur décision avant que ne soit réduite la portée du dispositif. L’effet du choc démographique sur les dépenses a donc été mal évalué.
Bref, rien ne tenait dans cette réforme, pourtant présentée à l’époque, d’une façon que je qualifierai d’immodeste, comme la solution absolue au problème des retraites.
II faut donc veiller à ne pas reproduire les erreurs du passé en proposant une révision d’ensemble. Il conviendrait d’éviter que la réforme de 2010 ne soit qu’un toilettage marginal des dispositifs actuels, ce qui la vouerait au même sort que la précédente. À nos yeux, son succès passe par une refonte globale du système plus que par des ajustements techniques.
Une chose est certaine : nous ne voulons plus que le système fonctionne à découvert comme il le fait aujourd’hui, où 10 % des pensions versées font l’objet d’un emprunt.
Nous ne voulons pas non plus d’un système dont les Français doutent et dont le fonctionnement actuel conduirait à un déficit annuel de 45 milliards d’euros en 2025, soit un quasi-doublement à l’horizon d’une décennie.
Nous voulons que le système soit sauvé, parce qu’il repose sur des principes raisonnés et parce qu’il a fait la preuve de son efficacité en réduisant la pauvreté aux âges élevés.
Nous voulons aussi que les décisions de sauvetage et de transformation qu’il convient de prendre soient empreintes de justice.
Justice entre les générations, qui passe par la pérennité du système par répartition. Nous savons bien que de moins en moins d’actifs ne peuvent pas financer de plus en plus de retraités. Il faudra donc une inévitable réforme là-dessus, quoi qu’on en pense.
Justice entre actifs et retraités, qui doit conduire à rechercher une parité entre les niveaux de vie et, donc, à prévoir une répartition partagée des sacrifices.
Justice entre les retraités eux-mêmes, alors que cohabitent trente-huit régimes différents qu’il conviendrait de faire converger pour les rendre compréhensibles, pour leur redonner de la cohérence et, surtout, pour atténuer les jalousies sociales suscitées par un système illisible.
Justice entre les catégories sociales, qui demandera un effort de redistribution entre les retraités au moment de la retraite, mais surtout dans le recours aux prélèvements. Le financement des régimes sociaux ne peut plus reposer sur le seul facteur travail : il faut enfin abroger les privilèges fiscaux de certains et mettre à contribution le patrimoine.
Justice, on l’a dit, entre les sexes, qui implique un travail d’égalisation des pensions, donc des carrières, entre hommes et femmes et l’élaboration de mécanismes compensatoires.
Justice morale et sanitaire, enfin, devant l’inégalité face à la mort, qui exige que nous prenions en compte l’usure du travail dans l’obtention des droits.
Le moins que l’on puisse dire, après une lecture assez rapide, il faut bien le dire, mais efficace du projet qui a été présenté ce matin, c’est que celui-ci élude bon nombre de ces aspects ! Au demeurant, monsieur le secrétaire d’État, nous aimerions connaître les prévisions économiques sur lesquelles reposent vos prévisions d’équilibre, car pour l’instant, vous m’en excuserez, je ne les ai pas trouvées.
On entend, par exemple, relever l’âge légal du départ à la retraite. Mais à quoi bon le faire alors que la majorité des salariés du secteur privé ne sont plus au travail dès 55 ans et qu’ils sont soit au chômage, soit en maladie, soit en invalidité ? (Approbation sur les travées du groupe socialiste.)
À court terme, un recul de l’âge légal ne fera que transférer des dépenses des caisses de retraite vers l’assurance-chômage, mais sans rien régler. (Mêmes mouvements.)
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Bernard Cazeau. Nous aurons seulement moins de « jeunes retraités », parce que nous choisirons d’avoir plus de « vieux chômeurs ».
M. Guy Fischer. Comme en Suède ! Ils sont en invalidité !
M. Bernard Cazeau. De surcroît, par le mécanisme du report du départ à 60 ans, on contraindra des milliers de salariés modestes à une durée d’assurance tout à fait excessive. Pensons, par exemple, à ceux appartenant à la génération née en 1956 : certains d’entre eux devront patienter quarante-quatre ans pour pouvoir liquider leurs droits, même s’ils disposent de suffisamment de trimestres !
En matière de prise en compte de la pénibilité, les propositions du Gouvernement sont nettement insuffisantes : le maintien du départ à 60 ans en cas d’usure professionnelle concernera à peine plus de l % des salariés, selon les projections dévoilées par M. le ministre.
Concernant la clé de voûte de toute réforme, à savoir l’emploi des seniors, il faut bien dire que nous restons sur notre faim. Sur ce terrain, au-delà de nos oppositions, nous attendions un sursaut national afin que notre pays ne « rate » pas le tournant de civilisation qu’est la transformation de sa pyramide des âges. Nous attendions des mesures fortes, par exemple faciliter le temps partiel en fin de carrière, créer des contrats aidés durables pour les seniors, mettre en place un puissant système de bonus-malus sur les cotisations de retraite des employeurs en fonction de leur comportement à l’égard des seniors. Pour tout cela, il fallait une volonté politique forte ; pour l’instant, elle n’y est pas.
On ne la trouve d’ailleurs pas davantage sur le terrain des recettes, où les quelques gadgets annoncés ne couvriront même pas 10 % des besoins financiers : 3,7 milliards d’euros, alors que la MECSS en proposait le triple !
Les pistes étaient pourtant multiples. Je citerai la révision de certaines exonérations générales de cotisations, qui ne sont pas toujours efficaces, ou encore la taxation, actuellement très faible, de certaines niches sociales, comme l’assujettissement des stock-options aux cotisations sociales. Sur ce point, je rappelle que, en 2007, Philippe Séguin avait présenté un rapport de la Cour des comptes dans lequel le produit d’une telle imposition était évalué à 3 milliards d’euros, chiffre très proche de celui que vous nous présentez aujourd’hui en matière de taxation. Je mentionnerai également la fiscalité du patrimoine, qui est plus faible que celle du travail.
Enfin, que dire du sort qui attend le fonds de réserve des retraites, dont on s’apprête à adosser les actifs à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, pour payer les déficits d’aujourd’hui, alors qu’il aurait fallu le sanctuariser dans la perspective critique de 2020 ?
Manifestement, les conditions sur lesquelles nous appelions à l’élaboration d’un nouveau pacte social ne sont pas réunies ! Le Gouvernement a choisi la voie du clivage plutôt que celle de la recherche d’une solution partagée.
Pourtant, une réforme transpartisane eût été souhaitable, car l’horizon de la réforme, monsieur le secrétaire d’État, n’est pas celui des partis politiques ni des échéances électorales : c’est celui de plusieurs générations. D’ici à 2050, bien des gouvernements, de droite et de gauche, seront appelés à se succéder. C’est précisément pour cela que nous demandions à ce que l’opposition fût entendue.
Telle ne semble pas être la solution retenue. Le Gouvernement paraît, cette fois encore, résolu à faire de l’injustice sociale sa marque de fabrique politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame et monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord d’exprimer tout le plaisir que j’ai à intervenir de nouveau – cela m’est arrivé à plusieurs reprises ces derniers jours – devant le Sénat.
Je m’associe très volontiers à vous pour penser que les hasards du calendrier nous conduisent à discuter d’un projet alors même que l’excellent rapport remis par la MECSS aurait en soi quasiment mérité qu’on lui réservât un débat. Ne pas mentionner d’emblée ce point, je le dis très sincèrement, ce serait minorer les travaux de la mission.
J’ai été très sensible à la façon dont se sont exprimées des opinions divergentes. Dans un débat de cette nature, il est excellent que nous puissions discuter, proposer, contester, et ce dans un climat apaisé.
Je vous prie de m’excuser par avance si, prenant la parole après Éric Woerth, je me montre quelque peu redondant. Je le répète, le double exercice auquel nous nous livrons conduit bien évidemment à dire, pour les expliciter en apportant des éléments supplémentaires, des choses qui ont déjà été entendues.
En ce qui me concerne, je regrouperai vos remarques sous plusieurs rubriques.
J’ai entendu M. Daudigny, je viens d’entendre M. Cazeau évoquer cette façon que le Gouvernement aurait eue de dramatiser la situation. Pardon de le dire, mais j’avais cru comprendre que nous étions tous d’accord pour considérer que le rapport du COR pouvait, au moins, faire l’unanimité entre nous ! Il le doit, d’abord, parce qu’il est une des rares institutions à porter l’estampille du gouvernement Jospin entre 1997 et 2002, si bien que l’on peut difficilement le soupçonner d’avoir été mis en place pour servir particulièrement des arguments à la majorité. Il le doit, ensuite, parce qu’il est constitué de techniciens, d’experts, de parlementaires de tous bords, de femmes et d’hommes qui se réclament d’opinions politiques divergentes : les rapports qu’il remet méritent assurément d’être considérés comme une bonne base de départ.
Je le dis avec des mots mesurés, je n’entrerai pas dans le débat de savoir s’il y a ou non dramatisation, argument que, au demeurant, je n’avais pas entendu depuis quasiment deux mois.
Mme Raymonde Le Texier. C’est de la forme que nous parlions !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. La vérité, c’est que le COR a énoncé des choses très intéressantes et importantes. Je rappellerai simplement les trois chiffres principaux : un déficit constaté de 32 milliards d’euros en 2010, un déficit anticipé, si rien n’était fait, de 41 milliards d’euros en 2020 et de 70 milliards d’euros en 2030. Il s’agit là non pas de l’hypothèse de travail retenue par le Gouvernement, mais des projections établies par le COR.
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, vous reconnaîtrez qu’il fallait évidemment intervenir et agir. C’est ce que nous nous proposons de faire.
Répondant à votre question, monsieur Cazeau, je précise que nous avons travaillé sur la base du scénario B du COR, qui repose sur l’hypothèse d’une croissance de la productivité de 1,5 % par an, d’un retour au plein-emploi en 2024 et, d’ici là, d’un taux de chômage de 7,7 % en 2015 et de 5,7 % en 2020. J’attire votre attention, monsieur le sénateur, sur le fait qu’il s’agit bien d’un scénario intermédiaire, et ce n’est pas faire un procès d’intention au parti socialiste que de le souligner. Nous l’avons retenu parce que nous avons considéré qu’il était assez équilibré ; les projections qu’il nous conduit à faire ne sont pas forcément celles qui auraient le mieux servi notre cause !
Pour ce qui le concerne, le parti socialiste semble s’être plutôt calé sur le meilleur scénario retenu par le COR, un scénario qui majore, de fait, les recettes et minore les déficits potentiels. C’est un vrai débat que nous engageons entre nous, et je vous remercie infiniment de l’avoir ouvert. D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, le débat opposant un projet contre un autre, auquel vous aspirez, nous donnera l’occasion de bien mettre en avant le fait que nous avons opté pour deux scénarios différents, tous deux issus du rapport du COR : le vôtre, celui qui est, de très loin, le plus optimiste, et le nôtre, le scénario intermédiaire, qui nous semble à peu près compatible avec les orientations mesurées et sages telles que nous avons pu les anticiper.
Évidemment, il fallait s’y attendre, le débat porte sur des questions classiques, notamment celle de l’âge, ce qui est tout à fait normal.
Disons les choses très simplement, mais n’ouvrons pas de nouveau le débat, car Éric Woerth a donné des explications très claires tout à l'heure.
Oui, nous sommes convaincus qu’un régime par répartition – cette notion veut d’ailleurs bien dire ce qu’elle veut dire ! – suppose d’agir sur le paramètre de l’âge. Pour être très objectif, je vous rappelle le leitmotiv des opposants à la réforme Fillon de 2003 : sauvons le système de retraite par répartition ! À cet égard, je m’empresse de vous dire que les deux réformes, la réforme Balladur de 1993 et la réforme Fillon de 2003, ont permis de réduire de 50 % environ le déficit que nous aurions connu aujourd'hui sans ces réformes. J’indique que ce pourcentage n’émane pas non plus d’une note rédigée par le Gouvernement ou l’UMP ; il figure tout simplement dans le Livre blanc sur les retraites paru en 1989 et dans le rapport Charpin, notamment.
Quoi qu’il en soit, nous estimons, pour notre part, qu’il faut évidemment agir sur le paramètre de l’âge. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe à l’étranger, ainsi que l’a très justement rappelé tout à l'heure M. Longuet. Aujourd'hui, la France est le seul pays européen à ne pas avoir augmenté l’âge légal de départ à la retraite.
Je veux bien tout entendre et essayer de tout comprendre, et je le fais avec un esprit d’autant plus ouvert que j’apprécie les vertus d’un dialogue constructif, à l’instar de celui que nous avons actuellement. Mais je suis toujours étonné de constater qu’est de nouveau abordée ici une question qui, semble-t-il, ne devrait plus faire débat.
Certes, on peut se demander s’il faut fixer l’âge légal de la retraite à 62 ans ou 63 ans, les plus mesurés proposant l’âge de 61 ans et ceux qui ont l’ambition d’aller plus encore loin celui de 64 ans, voire 65 ans. Mais comment ne pas être d’accord sur le fait qu’il faille reculer l’âge ? C’est une évidence !
Tout système par répartition est assis sur la démographie. Éric Woerth l’a souligné tout à l'heure et pardonnez-moi de le répéter encore, tous les pays qui nous entourent ont augmenté l’âge légal de la retraite – il n’y en a pas un seul qui en ait fait l’économie ! – …
Mme Annie David. Ce n’est pas un argument !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. … en le portant à 62 ou 63 ans, et même, le plus souvent d’ailleurs, à 64 ou 65 ans.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils n’ont pas la même démographie que la France !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, notre démographie n’est pas très différente. Nous avons un taux de fécondité de l’ordre de 2, mais il faut savoir que, aujourd'hui, le renouvellement des générations n’est pas assuré. Certes, notre taux est légèrement supérieur à celui des autres pays grâce à la politique familiale qui est la nôtre.
Mme Annie David. Nous avons tout de même le meilleur taux !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Je vous remercie de le souligner, mais ce fait ne nous apporte en aucune façon quelque garantie que ce soit.
Cela dit, concernant l’âge de la retraite, je ne rappellerai pas toutes les mesures qui ont été prises, car vous les connaissez, plusieurs d’entre vous les ayant rappelées. Ces mesures nous semblent indispensables, et je souligne d’ailleurs que nous avons tenu à ne pas demander le même effort à tous, en prenant en compte l’usure des salariés et en permettant, notamment aux salariés dont la vie professionnelle a été plus dure, de partir plus tôt à la retraite.
Oui, c’est une véritable avancée que d’avoir prévu, dans le cadre de ce projet, que l’âge requis pour pouvoir bénéficier du dispositif « carrières longues » soit fixé à 17 ans, soit deux ans de plus que l’âge prévu dans la réforme précédente. À cet égard, je remercie ceux d’entre vous qui, indirectement, au travers de leurs questions, ont rendu hommage à ce dispositif.
De plus, nous avons pris en compte la pénibilité en introduisant, là encore, des innovations, qu’il convient de souligner, telles que le maintien de la retraite à 60 ans pour les salariés qui, du fait d’une usure professionnelle constatée, ont une incapacité physique supérieure ou égale à 20 %. C’est la première fois que l’on prévoit un dispositif de cette nature adossé à la pénibilité.
Je le dis très clairement, les deux mesures que je viens d’évoquer vont incontestablement dans le même sens. Pour répondre à M. Longuet, j’indique que les mesures d’âge participeront à hauteur de 50 % environ au rétablissement des comptes à l’horizon de 2018, avec quelque 20 milliards d’euros.
Concernant les questions liées au financement, je formulerai deux remarques.
Madame et monsieur les rapporteurs, nous sommes, en réalité, plutôt d’accord avec la plupart des propositions de la MECSS pour ce qui concerne les prélèvements sur les revenus du capital, même si nous préférons, je le souligne, les cibler sur certains revenus plutôt que de procéder à une hausse générale d’un point de la CSG. Je n’entrerai pas dans le détail, mais nous vous rejoignons sur les stock-options, les retraites chapeaux et l’annualisation des allégements que vous demandiez depuis longtemps ; je faisais d’ailleurs partie de ceux qui estimaient que toutes ces mesures vont dans le bon sens. Il en est de même aussi pour la contribution des hauts revenus au travers de l’impôt sur le revenu.
Toutefois, nous avons quelques petites divergences de vues, sur lesquelles nous reviendrons au cours du débat, s’agissant du forfait social versé au titre de l’intéressement et de la participation.
Augmenter ce forfait toucherait le travail plutôt que le capital, nous semble-t-il, et cette mesure ne ciblerait pas les hauts revenus.
Par ailleurs, pour ce qui concerne l’augmentation du taux de CSG sur les retraites, nous y sommes défavorables pour une raison simple : il n’est pas question de diminuer le niveau de vie des retraités. Augmenter le taux de la CSG irait à l’encontre des engagements que nous avons pris.
En revanche, je tiens à souligner que nous ne sommes pas en accord, ni de façon globale ni de façon détaillée, avec les propositions présentées par le parti socialiste et sa première secrétaire, et ce pour une raison très simple : eu égard au taux des prélèvements obligatoires dans notre pays, comment l’un d’entre nous pourrait-il penser une seconde qu’il serait possible de résoudre le problème du financement de la retraite par répartition grâce à des mesures fiscales ? Voilà une idée incongrue ! Grosso modo, il faudrait augmenter les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les ménages et les entreprises à hauteur de 35 milliards d’euros actuellement, puis de 40 milliards d’euros en 2020, comme je l’ai indiqué tout à l'heure ! Comment ne pas imaginer les conséquences immédiates et inéluctables en termes de compétitivité, et donc de chômage ?
Mme Raymonde Le Texier. C’est un peu réducteur !
M. Jacky Le Menn. Oui !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Il faut dire les choses très clairement et simplement : personne de sérieux, j’en suis absolument convaincu, ne peut défendre un tel projet.
À cet égard, je ne prendrai qu’un seul exemple qui, là encore, est tiré non pas des études menées par le Gouvernement lui-même, mais par d’autres organismes. Une augmentation de la cotisation patronale équivaut effectivement à 4,5 milliards d’euros, mais entraîne immédiatement entre 55 000 et 60 000 suppressions d’emploi. Il faut donc savoir ce que l’on veut : est-on dans une logique de compétitivité, logique à laquelle nous adhérons, ou dans une autre ? Je suis toujours frappé d’entendre dire ceux qui font de la compétitivité de notre pays, et du chômage en particulier, une priorité qu’ils pourront tout résoudre par l’impôt !
En réalité, le choc fiscal proposé par le parti socialiste porte à 60 % environ sur les revenus du travail ! C’est vrai quand on décline la hausse des cotisations, la taxation de l’intéressement et de la participation, ainsi que la contribution sur la valeur ajoutée qui est, pour les deux tiers, issue du travail et non pas, je tiens à le souligner, du capital !
J’en profite pour répondre à M. Fischer, que j’ai écouté avec beaucoup d’attention, qui s’interroge sur l’augmentation considérable des dividendes dans la valeur ajoutée. À vrai dire, je m’étais fait la même réflexion, et je me suis renseigné. J’ai surtout relu un passage du rapport Cotis, qui est, en la matière, assez intéressant dans la mesure où il montre que si l’on fait le total des dividendes et des intérêts bancaires dans la valeur ajoutée, on s’aperçoit que celle-ci est à peu près comparable à ce qu’elle était voilà vingt-cinq ans. En fait, il y a eu transfert entre les dividendes et les intérêts bancaires. Pour dire les choses simplement, dans les années quatre-vingt, les entreprises avaient recours aux banques pour leur financement et versaient donc des intérêts bancaires. Mais, depuis le passage à l’euro notamment, c’est le marché qui a remplacé le système bancaire.
Mme Annie David. Ah, le marché !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. On a gagné en quelque sorte en termes de dividendes ce que l’on a perdu en termes d’intérêts bancaires.
Monsieur le sénateur, votre remarque est tout à fait pertinente et juste, mais, si j’en crois le rapport Cotis, il ne s’agit en fait que d’un transfert !
Cela étant, j’en reviens au projet du parti socialiste. Son chiffrage fiscal, qui, je le répète, porte à 60 % sur les revenus du travail, nous paraît complètement paradoxal et anachronique. Voilà une vraie différence entre nous.
Pour parler des hypothèses de travail, monsieur le sénateur, sachez que ce chiffrage nous semble également plutôt erroné.
En premier lieu, vous estimez l’assiette sur les stock-options à 8,6 milliards d’euros, alors qu’il ne s’agit en réalité que de 2 milliards d’euros par an, chiffre avéré dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Pour être sincère, je n’ai toujours pas compris pourquoi le parti socialiste n’avait pas retrouvé ce chiffre ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
En deuxième lieu, la taxe sur les banques a été estimée sur le bénéfice mondial et non pas sur celui de la France. Par ailleurs, vous prévoyez, je le répète, tout un ensemble de mesures qui auront des conséquences assez destructrices en matière d’emploi. Voilà, là encore, une vraie différence entre nous.
En troisième et dernier lieu, plusieurs d’entre vous ont posé, à juste titre, la question des retraites des femmes.
Notre système de retraite comprend aujourd'hui, il est vrai, un grand nombre de dispositifs, mais ceux-ci n’ont pas abouti à assurer une égalité entre les hommes et les femmes. Cela dit, ils permettent de compenser les écarts de carrière existant actuellement entre les hommes et les femmes. Il en est ainsi de la majoration de la durée d’assurance de deux ans par enfant, au titre de la compensation pour maternité et pour l’éducation des enfants. Avec ces dispositifs, le constat est plutôt plus optimiste qu’il y a quelques années, même s’il est encore loin de nous donner satisfaction. Ainsi, la durée d’assurance des femmes rejoint progressivement celle des hommes et, comme l’a souligné tout à l’heure Éric Woerth, on observe même qu’elle est supérieure pour les plus jeunes dans des cas bien identifiés.
J’ajoute – c’est, là encore, un constat de l’INSEE – que le montant des retraites des femmes s’améliore progressivement.
Mme Annie David. Nous n’allons pas nous en plaindre ! C’est la moindre des choses !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Certes, mais il faut le savoir et voir les choses dans leur progressivité ! Les retraites progressent, c’est tout ce que je dis !
D’ailleurs, les droits propres des femmes comparés à ceux des hommes ont progressé de vingt-cinq points entre la génération née en 1930 et celle qui est née en 1950, passant de 42 % à 67 %. Même s’il manque encore 33 %, la progression est réelle. Je ne dis rien de plus !
Comme vous, nous estimons qu’il faut aller plus loin. Pour ce faire, nous avons programmé plusieurs mesures.
D’abord, nous voulons renforcer les dispositifs de solidarité, notamment en compensant intégralement le congé maternité pour la retraite.
Ensuite, nous voulons agir directement sur les causes de cet écart, avec deux enjeux : l’égalité salariale – il est évident que nous devons renforcer les contraintes et les sanctions dans ce domaine – et, évidemment, la conciliation de la vie familiale et professionnelle, avec différentes mesures que je ne déclinerai pas ici, mais qui existent et vont en ce sens.
Par ailleurs, j’aborderai brièvement – je prie les sénateurs de la majorité comme ceux de l’opposition de bien vouloir m’en excuser ! – un sujet que plusieurs d’entre vous, notamment M. Longuet et M. Fischer, ont évoqué, à savoir les mesures sur la fonction publique.
À cet égard, je suis heureux de constater que le projet du Gouvernement n’a, en réalité, pas attiré de critiques particulières dans cet hémicycle. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) En tout cas, je n’en ai pas entendues beaucoup, ce dont je me réjouis. En effet, au regard de la convergence souhaitée, celles-ci auraient été relativement infondées.
Incontestablement, nous connaissons tous la réalité : deux régimes différents coexistent et il faut éviter de montrer systématiquement du doigt l’un d’eux, le plus souvent en l’occurrence, celui de la fonction publique. Pour ma part, j’ai été rapporteur spécial du budget de la fonction publique à l'Assemblée nationale pendant une petite dizaine d’années, et je ne suis jamais rentré dans un tel jeu ! Sans vouloir paraître immodeste, je vous propose, en cas de doute, de vous référer directement à mes différents rapports ; vous pourrez ainsi constater que je n’ai jamais tenu de propos de cette nature.
Au demeurant, plusieurs d’entre vous l’ont souligné, tout le monde est convaincu que nous devons aller vers un minimum de convergence. Dans ce projet, sans donner le sentiment de faire de la caricature, nous allons précisément vers un système de convergence sur trois ou quatre points bien ciblés. À cet égard, je donnerai un exemple très concret.
Plusieurs parlementaires de la majorité, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, nous ont demandé pourquoi nous n’avions pas souhaité avoir une convergence plus directe pour ce qui concerne la base de calcul de la retraite, à savoir les vingt-cinq meilleures années dans le secteur privé et les six derniers mois dans le secteur public.
En réalité, le constat est de deux natures.
D’une part, on voit bien que les salaires moyens sont à peu près équivalents dans le régime de la fonction publique et dans celui du secteur privé et, toutes choses étant égales par ailleurs, les pensions de retraite moyennes sont également à peu près équivalentes. Deux modes de calcul radicalement différents aboutissent donc en quelque sorte à des pensions de retraite qui ne sont pas fondamentalement différentes.
C’est l’une des raisons pour lesquelles il ne me semble pas opportun de donner le sentiment que l’un des deux régimes est privilégié, je l’ai d’ailleurs répété la semaine dernière à l'Assemblée nationale lors de la séance des questions au Gouvernement.
D’autre part, ainsi que vous l’avez mentionné, monsieur Fischer, nous ne parlons pas de la même assiette.
Le système des primes, c’est évident, constitue un véritable sujet. Je me permets d’ailleurs de dire que nous devrons arriver à y voir un peu plus clair dans le domaine des régimes indemnitaires. Rien que pour la fonction publique d’État, il existe, mesdames, messieurs les sénateurs, 1 800 primes différentes ! Dans ces conditions, vous le mesurez bien, l’exercice est extrêmement difficile d’un point de vue technique.
Telle est toutefois la tâche à laquelle nous nous attelons. À l’occasion du débat que nous avons eu ici même, voilà quelques jours, sur le projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique, j’ai eu l’occasion de présenter un amendement du Gouvernement qui visait à généraliser le principe de la prime de fonction et de résultat. Au-delà des caricatures – j’ai d’ailleurs été heureux de constater qu’il n’y en avait pas ! –, il s’agit d’un véritable système d’homogénéisation du dispositif des primes. En harmonisant les primes des fonctions publiques d’État, hospitalière et territoriale, nous allons enfin commencer à mieux apprécier les différentes situations. Par ailleurs, un dispositif de mobilité, qui n’existe pas aujourd’hui, pourra ainsi être instauré, ce qui va dans la bonne direction.
Cette prime s’articulera selon un pyramidage comportant trois étages.
Le premier est directement lié au grade, c'est-à-dire à l’accès à la carrière par voie de concours. Cette mesure, parfaitement justifiée par le choix opéré par le fonctionnaire, est très claire et précise.
Le deuxième est associé directement aux sujétions du service. On peut également y adosser, de façon collective au sein d’un service, et à parts égales, qu’il s’agisse d’un responsable ou d’un agent d’exécution, toute la politique de l’intéressement dans la fonction publique.
Le troisième représente la part individuelle, liée aux objectifs fixés à l’agent et qu’il doit atteindre.
Je le répète, ce système va dans la bonne direction. Il permettra en effet de mieux appréhender le régime indemnitaire, qui est aujourd’hui extrêmement compliqué.
Cet exemple témoigne de la philosophie qui anime le Gouvernement à cet égard. Il ne s’agit en aucun cas de critiquer a priori les systèmes qui prévalent dans la fonction publique.
En revanche, pour reprendre les propos tenus par Éric Woerth tout à l’heure, nous avons estimé qu’il était logique de prévoir des avancées sur trois points qui concernent des différences n’ayant objectivement aucune raison d’être.
Le premier concerne bien évidemment le taux de cotisation des salariés de la fonction publique, que nous portons de 7,85 % à 10,55 %, pour des raisons d’ailleurs très simples. En effet, alors que la retraite des salariés du public et du privé est à peu près équivalente, je l’ai dit tout à l’heure, il existe un véritable différentiel concernant son coût d’acquisition.
Nous avons décidé que cette évolution serait très progressive, puisqu’elle s’étalera sur une dizaine d’années. Les cotisations seront augmentées de 0,27 % environ par an. Cela correspond à une hausse moyenne mensuelle de 6 euros sur les dix prochaines années. Pour la catégorie C, l’augmentation mensuelle sera de 4 euros, pour la catégorie B, de 5 euros et pour la catégorie A, de 7 euros.
Alors que ce dispositif permettra d’abonder les finances publiques d’une somme non négligeable, il reste cependant très mesuré.
Nous avons également souhaité mettre en exergue le taux de cotisation de l’État, lequel atteint aujourd’hui 62 %. N’oublions pas ce chiffre, mesdames, messieurs les sénateurs ! Il indique clairement que l’alignement du taux de cotisation des salariés à hauteur de 10,55 % se justifie d’un point de vue non seulement politique, mais aussi économique.
Deuxième point, le dispositif s’adressant aux parents de trois enfants ayant effectué quinze ans de service et pouvant justifier d’une période de deux mois d’interruption de leur activité professionnelle sera progressivement abandonné. En réalité, il soulevait nombre de problèmes, étant notamment considéré, et ce à juste titre, comme un dispositif de préretraite. Nous avons décidé, comme le préconisait d’ailleurs le COR, de l’interrompre à partir de 2012. Il semble que personne n’ait contesté cette décision.
Troisième mesure, nous avons décidé d’harmoniser les règles du minimum garanti et du minimum contributif. Comme la MECSS l’a très justement fait remarquer, cette harmonisation ne concerne pas les montants, qui enregistrent un écart d’environ 200 euros. Nous sommes donc fidèles à l’engagement du Président de la République de ne pas diminuer les retraites.
En revanche, il nous a paru tout à fait évident que les conditions pour obtenir ce minimum garanti étaient très privilégiées par rapport à celles qu’il faut réunir dans le cadre du régime privé. Il fallait donc les modifier. C’est la raison pour laquelle seuls les salariés de la fonction publique bénéficiant d’un taux plein ou ayant atteint l’âge de soixante-cinq ans pourront désormais prétendre au minimum garanti.
Pour conclure sur la convergence entre le public et le privé, je dirai que nous avons pris une voie médiane, qui va dans la bonne direction. Elle donnera le sentiment à nos concitoyens que la réforme, en la matière, est équitable. Simultanément, cela nous permettra de réduire le différentiel de financement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous apporter ces précisions. Estimant que nos désaccords permettront d’enrichir nos prochains débats, je vous remercie une nouvelle fois de votre participation.
En tout état de cause, c’est sur le fondement de ces propositions que nous réunirons, avec Éric Woerth, les organisations syndicales, avec lesquelles nous tenterons d’améliorer tel ou tel dispositif du projet. Nous aurons ensuite le plaisir de venir en débattre avec vous à la rentrée prochaine. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Débat interactif et spontané
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à deux heures par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. La mission ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.
La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le secrétaire d’État, bien que vous ayez, lors de votre intervention, répondu à ma question, il me semble nécessaire de vous demander un certain nombre d’explications.
Le vieillissement de la population entraîne de nouveaux besoins de financement en termes de retraite, de maladie ou de dépendance, mais aussi de solidarité. La charge de cet effort supplémentaire ne saurait ainsi, selon moi, peser sur les seules générations actuelles d’actifs.
Deux importantes niches sociales existent aujourd’hui en faveur des personnes retraitées. Il s’agit, d’une part, du taux réduit de CSG sur les pensions, d’autre part, de l’abattement spécifique de 10 % sur les revenus de remplacement dans le cadre du calcul de l’impôt sur le revenu.
Selon les informations qui ont pu être publiées, ces deux mesures représenteraient un manque à gagner de plus de 4,6 milliards d’euros pour l’État.
Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous favorable à un rééquilibrage de ces deux mesures, rééquilibrage qui pourrait au demeurant rester parfaitement équitable en ne s’appliquant qu’aux revenus les plus élevés, suivant les seuils d’ores et déjà en vigueur ?
Si l’on prend en compte les revenus du patrimoine, les placements financiers et immobiliers, ainsi que les loyers non versés par les retraités propriétaires, le niveau de vie moyen de ces derniers apparaît légèrement supérieur à celui des actifs. Selon le Conseil d’orientation des retraites, le taux de pauvreté des personnes de 60 ans et plus dépassait 30 % en 1970. De 1996 à 2007, il s’est maintenu aux alentours de 10 %, soit un niveau inférieur à celui que l’on constate pour l’ensemble de la population.
Ces chiffres globaux ne doivent cependant pas masquer la grande hétérogénéité des situations. C’est la raison pour laquelle je vous interroge, monsieur le secrétaire d'État, sur une remise en cause partielle des avantages précédemment mentionnés.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous l’avez très justement rappelé, les retraités, contrairement aux actifs, bénéficient de taux de CSG différents en fonction de leur niveau de vie.
Cela dit, et il faut en tenir compte, la pension touchée par les retraités est, dans la très grande majorité des cas, inférieure au dernier salaire. C’est la raison pour laquelle des règles différentes s’appliquent en matière fiscale.
L’orientation que j’évoquais tout à l’heure et que je confirme ici est claire : il ne s’agit pas, aujourd’hui, dans le cadre de cette réforme, de diminuer, d’une manière ou d’une autre, les pensions. Nous avons exclu une telle piste.
En revanche, pour être tout à fait sincère avec vous, nous aurons prochainement un autre débat qui portera sur la dépendance. Si votre proposition ne peut donner lieu à une ouverture en l’état actuel des choses dans le cadre du débat sur les retraites, une autre tonalité pourrait sans doute se faire entendre lors de cet autre débat.
J’achèverai mon propos, monsieur Jégou, par une observation personnelle. Je suis très sensible aux transferts intergénérationnels infra-familiaux, qu’il convient d’ailleurs de mesurer. Une étude chiffrée a été réalisée, voilà deux ou trois ans, par l’INSEE. Elle montre qu’il existe une prise en charge très importante par les grands-parents d’une partie des sommes consacrées à l’éducation de leurs petits-enfants.
Il ne s’agit ni d’une vue de l’esprit ni d’un argument dilatoire. Chacun d’entre vous peut d’ailleurs le constater au cours des permanences qu’il assure. Il est donc important de ne pas tarir cette source de financement infra-familiale par une taxation trop lourde.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot.
M. Gérard Dériot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres : le montant du déficit actuel de notre système de retraites s’élève à 32 milliards d’euros ; le ratio actifs-retraités est de 1,6 en 2010 ; le taux d’emploi des 55-64 ans ne représente que 38,2 %.
Ces trois chiffres appellent respectivement trois conséquences.
Premièrement, la réforme de notre système par répartition, auquel nous sommes attachés, s’impose à tous.
Deuxièmement, la réforme ne peut pas faire abstraction de la réalité démographique de notre pays. Soyons cohérents, pour faire en sorte que le ratio actifs-retraités reste positif, il faut apporter une réponse démographique !
Troisièmement, le recul de l’âge légal de départ à la retraite ne saurait se suffire à lui-même. S’il est évident, monsieur le secrétaire d’État, que l’âge légal actuel est un frein à l’emploi des plus de 55 ans, nous ne pouvons envisager une réforme efficiente sans renforcer les dispositions en faveur de l’emploi des seniors.
Les premiers résultats des différentes mesures prises par notre majorité en faveur de l’accès à l’emploi et le maintien dans l’emploi des seniors sont encourageants. Grâce, notamment, à la surcote de 5 %, le cumul emploi-retraite, ou encore les accords de branche ou d’entreprise, le taux d’emploi des 55-64 ans est passé de 37 % en 2003 à 38,2 % en 2008.
Nous nous félicitons de la portée des réformes engagées par notre majorité. C’est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État, je vous demande de bien vouloir nous éclairer sur la continuité de ces dispositifs, ainsi que sur les nouvelles mesures que vous envisagez de prendre afin d’encourager l’emploi des seniors.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous mettez le doigt sur un problème parfaitement identifié sur toutes les travées et qui devra faire l’objet d’un important examen.
Je formulerai trois types d’observations.
D’abord, comme Éric Woerth l’a très justement rappelé tout à l’heure, tous nos constats, tant dans notre pays, en particulier pour la période qui a précédé la réforme de 1982-1983, qu’à l’étranger, montrent, de façon très concrète, un affaissement du taux d’employabilité des seniors pour la tranche d’âge inférieure de cinq ans à la limite d’âge.
En France, le phénomène concerne aujourd’hui les seniors qui n’ont pas encore atteint l’âge légal ou l’âge du taux plein. Par rapport à la période qui a précédé la réforme de 1982-1983, les seniors touchés sont, en moyenne, de cinq ans plus jeunes.
Dans tous les pays qui nous entourent, on s’aperçoit que le taux d’employabilité des seniors suit l’évolution de l’âge légal ou de l’âge du taux plein tel qu’il est fixé.
Aussi simple que cela paraisse, en reculant à 62 ans l’âge légal, on a toutes les raisons de penser que le taux d’employabilité des seniors évoluera comme il l’a fait dans le passé, pour atteindre celui qui est observé dans d’autres pays.
Cela relève du bon sens ! Même si cette image vous paraît un peu simple, je comparerai cette situation à notre gestion du temps. On a toujours tendance à se décaler quelque peu par rapport à l’horaire ; si ce dernier est reculé d’une demi-heure, le départ ne se fait plus à six heures moins trois, mais à six heures vingt-sept. C’est ainsi que les choses fonctionnent !
Ensuite, la réforme – vous l’avez d’ailleurs très justement rappelé – s’appuie sur ce qui a déjà été adopté. Nous ne partons pas de rien ! Je pense notamment à la surcote, dont le taux est passé à 5 %, après l’adoption de la loi de 2003, et qui concerne aujourd’hui 14 % des assurés. La libéralisation du cumul emploi-retraite favorise également l’employabilité des seniors.
Enfin, l’âge à partir duquel un salarié du secteur privé peut être mis à la retraite d’office a été porté à 70 ans.
En résumé, parmi les mesures qu’il a rendues publiques ce matin, le Gouvernement propose, outre la disposition importante du projet concernant le recul de l’âge légal de départ à la retraite, une mesure d’accompagnement, qui est une aide à l’embauche des chômeurs seniors âgés de plus de 55 ans, ce qui représente une baisse des charges de l’ordre de 14 %, ainsi qu’une mesure plus classique, mais qui a fait ses preuves, de mobilisation des crédits de la formation professionnelle en faveur du tutorat.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite aborder la question du fonds de réserve pour les retraites. Au nom du groupe socialiste, j’ai souvent demandé au Gouvernement s’il comptait alimenter ce fonds ou bien s’il avait plutôt l’intention de casser la tirelire avant 2020. Je n’ai jamais obtenu de réponse.
Aujourd’hui, nous l’avons ! En effet, nous savons maintenant que le fonds de réserve va migrer vers la CADES, délestant d’autant celle-ci de ses charges de remboursement. Autrement dit, en dépit de toutes les circonvolutions de M. le secrétaire d'État, le fonds de réserve va être vidé !
Certes, il est maintenu, mais on se demande bien pourquoi, puisqu’il gérera et fera fructifier des fonds qui n’existeront plus. Il ne servira donc plus à grand-chose !
Comment en est-on arrivé là ? On nous dit que le rendez-vous de 2020 est avancé de dix ans. Mais, monsieur le secrétaire d'État, la majorité à laquelle vous appartenez est au pouvoir depuis huit ans. Or si nous en sommes là, c’est parce que rien n’a été fait durant cette période ! Si nous sommes aujourd’hui confrontés à de telles difficultés, c’est bien parce que, pendant ces années, vous n’avez pris aucune mesure efficace pour rétablir les comptes ! Certes, vous avez fait voter la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, mais elle n’a rien servi à rien, sauf à pénaliser les femmes en particulier.
C’est la raison pour laquelle je vous pose la question : à quoi servira désormais le fonds de réserve pour les retraites dès lors qu’il aura été vidé et que, chaque année, tombera dans l’escarcelle de la CADES entre 1 milliard et 1,5 milliard d’euros en provenance du FRR ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Monsieur Domeizel, je répondrai volontiers à votre question. J’ai cru comprendre, mais peut-être ai-je mal saisi le sens de vos propos, que vous reprochiez à l’actuelle majorité de n’avoir rien fait pour le rétablissement des comptes au cours de ces huit dernières années. Visez-vous le fonds de réserve pour les retraites ou les retraites en général ?
M. Claude Domeizel. Vous n’avez conduit aucune action efficace !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. La situation des retraites que nous connaissons, monsieur le sénateur, pourrait être deux fois plus mauvaise. Pardonnez-moi de vous dire, monsieur le sénateur, que si elle ne l’est pas, c’est parce que nous avons fait ce que vous n’avez jamais fait ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
C’est pourquoi je ne comprends pas votre argumentation selon laquelle vous nous reprochez notre soi-disant inefficacité, alors même que vous contestez les réformes que nous avons engagées en 1993, en 2003 et en 2007 ! (Nouveaux applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est facile !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Vous ne pouvez pas nous reprocher à la fois de ne pas avoir agi et d’avoir mal agi ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le sénateur, depuis que je m’intéresse au dossier des retraites, j’ai entendu beaucoup de choses. En 1989, le parti socialiste nous expliquait qu’il fallait rédiger un rapport. Dix ans plus tard était publié le rapport Charpin. Puis, vous avez installé le Conseil d’orientation des retraites, ce qui ne vous empêche pas, maintenant, de critiquer le caractère dramatisant, selon vous, de ses conclusions. (M. Claude Domeizel proteste.) En 1999, vous avez créé le fonds de réserve pour les retraites, ce qui signifie bien que vous anticipiez et mesuriez les difficultés à venir.
En revanche, comme Éric Woerth l’a très bien dit tout à l’heure, le parti socialiste n’a jamais porté la moindre réforme !
Mme Raymonde Le Texier. C’est la raison pour laquelle nous gagnons les élections !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Dieu sait si j’essaie d’être courtois et mesuré, mais j’admets difficilement que le parti socialiste fasse peser sur nous la responsabilité de la situation actuelle et du déficit, alors même que nous engageons, pour la quatrième fois, une réforme des retraites, et que lui n’a strictement rien fait ! C’est tout de même le monde à l’envers ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Je craignais d’avoir mal compris vos propos. Ce n’est pas le cas ! Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Domeizel, permettez-moi de vous dire que votre remarque est particulièrement inopportune.
Cela étant dit, essayons de prendre un peu de recul. À quoi servait le fonds de réserve pour les retraites tel qu’il a été mis en place ? L’objectif était de le faire monter en puissance afin de répondre au choc programmé des années 2020. Que s’est-il passé depuis lors ? Comme le COR l’a montré, nous anticipons un déficit du régime des retraites dans vingt ans. Ce n’est pas nous qui le disons, telle est la réalité. Dès lors, est-il totalement illogique, mesdames, messieurs les sénateurs, d’utiliser un outil, qui a été justement mis en place pour aider à passer ce cap difficile, lequel survient avec une avance d’environ quinze à vingt ans par rapport à l’échéance qui avait été retenue ?
Pour répondre plus précisément à votre question, monsieur le sénateur, je tiens à vous préciser que le fonds de réserve ne sera pas dissous. Il continuera d’exister, avec sa capacité de gestion. Ainsi, il mettra l’ensemble des actifs dont il dispose à la disposition de la CADES et, puisque cette dernière amortit elle-même sa dette sur une longue période, le fonds de réserve gérera ses actifs pour le compte de la CADES.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le secrétaire d'État, je reviens sur la question des retraites dans la fonction publique.
Le projet présenté par le Gouvernement comporte d’importantes attaques contre les trois fonctions publiques. Pourtant, nous savons tous que le versement des pensions des fonctionnaires relève non pas du régime général de retraite, mais des comptes publics. Autrement dit, les mesures que vous proposez visent plus à satisfaire les marchés financiers et les agences de notation, qui exigent de la France qu’elle réduise son déficit public, qu’à permettre le retour à l’équilibre des comptes sociaux.
Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez dit qu’il s’agissait là d’une mesure d’équité entre les salariés du secteur public et ceux du secteur privé, comme si l’équité devait toujours avoir pour conséquence la réduction des droits !
Dans vos déclarations, nous retenons, concernant les fonctionnaires, trois mesures graves : l’extinction, à compter de 2012, du dispositif de départ anticipé sans condition d’âge pour les parents de trois enfants ayant quinze ans de service ; l’alignement, en dix ans, du taux de cotisation du secteur public, actuellement de 7,85 %, sur celui du privé, soit 10,55 % ; la réduction progressive du droit à un départ anticipé pour les fonctionnaires qui relèvent des catégories actives, comme les militaires, les sapeurs-pompiers et les policiers.
Sans entrer dans le détail, je souhaite toutefois vous interroger, monsieur le secrétaire d'État, sur votre volonté d’augmenter les cotisations sociales des fonctionnaires.
En effet, selon vous, les cotisations sociales des fonctionnaires seraient inférieures à celles auxquelles sont assujettis les salariés du privé. Or, actuellement, le taux de cotisation des agents de la fonction publique est fixé à 7,85 %, alors que, pour les salariés du secteur privé, le taux des cotisations sociales dédiées à la branche vieillesse de la sécurité sociale est de 6,75 %.
Le taux de 10 % qu’on a coutume de citer intègre, en réalité, les cotisations dédiées aux retraites complémentaires du secteur privé. Les fonctionnaires, quant à eux, ne disposent pas d’un tel mécanisme. Il n’existe que le régime additionnel créé en 2005, mais celui-ci ne peut pas être réellement qualifié de régime complémentaire de retraite de la fonction publique.
Compte tenu de tous ces éléments, pourquoi avez-vous décidé de baisser le pouvoir d’achat des fonctionnaires en augmentant leurs cotisations sociales ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame le sénateur, je vais tenter de ne pas me répéter.
Autant on peut contester les termes de cette réforme, autant on ne peut dénier au Gouvernement d’avoir été guidé dans sa réflexion par le principe d’équité. Les Français, quelles que soient leurs opinions, savent bien qu’il existe plusieurs différences entre les régimes du secteur public et du secteur privé. Tout à l’heure, j’en ai détaillé quatre.
Dans le secteur privé, les retraites sont calculées sur les vingt-cinq meilleures années, tandis que, dans la fonction publique, elles le sont sur les six derniers mois. Nous avons fait le choix de ne pas modifier ces modalités de calcul, préférant nous attacher à d’autres aspects.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les primes ne sont pas prises en compte pour le calcul de la retraite !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Vous avez raison, madame Borvo Cohen-Seat, en ce qui concerne les primes. C’est bien pourquoi j’ai indiqué qu’il fallait tendre vers une harmonisation pour pouvoir établir de justes comparaisons.
J’en reviens à la question de Mme Labarre. Nous avons tenu le raisonnement suivant : les rémunérations et les pensions moyennes servies par les secteurs public et privé représentent des masses à peu près équivalentes (Mme Agnès Labarre proteste.), même si, à l’intérieur de ces masses, et M. Domeizel connaît bien le sujet, sans rentrer dans le détail, les différences sont réelles, s’agissant notamment de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière.
En revanche, la différence essentielle entre secteur privé et secteur public tient au taux de cotisation, autrement dit au coût d’acquisition : le taux est de 7,85 % dans le secteur public, inférieur de trois points environ à celui du secteur privé.
Fallait-il, par souci d’équité, remonter ce taux à 10,55 % ? Nous avons répondu par l’affirmative, d’autant plus qu’il faut faire de justes comparaisons et mettre en regard le régime intégré de la fonction publique avec l’addition du régime de base et des régimes complémentaires du secteur privé. C’est ce calcul qui permet d’arriver respectivement aux taux de 7,85 % et de 10,55 %, qui justifient la mesure de hausse que nous avons prise.
Cela dit, nous avons considéré que cette hausse devait être très progressive. C’est ce qui nous a conduits à la programmer sur dix ans, soit une augmentation de l’ordre de 0,27 % par an. Comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, cela représentera, pendant cette période, une contribution supplémentaire mensuelle de 6 euros pour un fonctionnaire moyen, soit 4 euros pour un fonctionnaire de catégorie C, 5 euros pour un fonctionnaire de catégorie B et 7 euros pour un fonctionnaire de catégorie A.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le secrétaire d'État, je veux aborder la question des retraites agricoles.
Le rapport de la MECSS, malgré son sérieux, ne la traite pas directement, et c’est bien regrettable. Pour votre part, monsieur le secrétaire d'État, vous l’avez esquivée lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
Les agriculteurs et leurs conjoints représentent la catégorie sociale qui bénéficie, si l’on peut dire, des plus petites pensions de retraite, un très grand nombre d’entre eux percevant un montant inférieur à 85 % du SMIC malgré une carrière complète. Pourtant, monsieur le secrétaire d'État, vous refusez systématiquement les propositions que nous vous présentons pour remédier à cette situation ! L’extension de l’octroi du minimum vieillesse que vous envisagez n’est pas suffisante.
À cet égard, je ne m’appesantirai pas sur la situation proprement scandaleuse des veuves, lesquelles touchent des pensions parfois inférieures à 400 euros par mois !
Vous avez abondé le fonds de solidarité et procédé aux adaptations nécessaires pour en faciliter l’accès. L’application de la mesure mérite d’être surveillée : allez-vous ponctionner la tirelire du fonds de réserve pour les retraites ?
En ce qui concerne les chefs d’exploitation, la situation de ces derniers est aggravée par le niveau élevé de l’assiette minimale de cotisation pour la retraite complémentaire obligatoire. La grande majorité d’entre eux surcotisent.
S’agissant des conjoints et des aides familiaux, vous vous êtes opposé, en janvier dernier, à la proposition socialiste visant à étendre la retraite complémentaire obligatoire à leur profit, mais nous avons été agréablement surpris de découvrir, ce matin, parmi les propositions formulées par M. le ministre Éric Woerth, que le Gouvernement prônait maintenant cette mesure !
Dans le contexte de crise sans précédent auquel est confronté le monde agricole, le montant des pensions de retraite de la plupart des agriculteurs et de leurs familles n’est pas acceptable.
Selon un sondage récent réalisé pour Libération par Viavoice, 81,5 % des agriculteurs sont pour le maintien de l’âge de départ à la retraite à 60 ans ; c’est logique, parce qu’ayant souvent commencé à travailler très tôt, ils ont la plupart du temps déjà atteint, voire dépassé à cet âge, la durée minimale de cotisation. Vous ne semblez pas en tenir compte.
Face à cette situation brièvement décrite, mais ô combien alarmante, nous attendons des propositions réalistes pour assurer un niveau de pension de retraite décent à ceux qui nous nourrissent, offrent un poumon vert à nos villes et entretiennent les espaces ruraux, propositions qui, pour être acceptables, devront aussi tenir compte de la pénibilité de leur travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame le sénateur, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur ce sujet important qui, contrairement à ce que vous avez indiqué – mais je comprends votre argumentation –, n’a pas fait l’objet d’un revers de main de la part du Gouvernement.
Comme vous l’avez rappelé à juste titre, la pension minimale mensuelle servie aux agriculteurs, de 400 euros, est bien inférieure au minimum vieillesse, qui s’élève à 709 euros. Mais, pour des raisons techniques, les agriculteurs n’ont pas accès à ce dernier. Il convenait de remédier à ce problème bien réel.
En 2009, le Gouvernement a fixé à 400 euros mensuels la pension minimum versée aux agriculteurs, pour un coût global de 90 millions d’euros : 230 000 personnes étaient concernées. En 2010, il revalorise les pensions de réversion, pour un coût de 40 millions d’euros : 100 000 personnes bénéficient directement de cette mesure.
Malgré tout, force est de constater, in fine, qu’il faut aller plus loin. C’est pourquoi, sous l’impulsion de M. Bruno Le Maire et de M. Éric Woerth, le Gouvernement a décidé, dans le cadre de la présente réforme, de prendre des dispositions de nature à répondre à deux difficultés qui subsistent en matière de retraite agricole.
En premier lieu, nous facilitons l’obtention par des femmes exploitantes agricoles du bénéfice de la revalorisation du minimum de pension agricole, avec un assouplissement général des conditions d’accès à ce dispositif.
En second lieu – je l’ai souligné voilà quelques instants et Éric Woerth a lui-même évoqué cette question dans son intervention à la tribune –, nous modulons les règles d’attribution du minimum vieillesse afin que les agriculteurs ayant peu cotisé puissent avoir accès au minimum vieillesse, c’est-à-dire à un revenu de 709 euros au titre de la retraite pour une personne seule. Ainsi, les terres agricoles et le corps de ferme seront exclus du recours sur succession, compte tenu de la spécificité de ces biens, afin d’inciter les agriculteurs à demander le minimum vieillesse.
Madame Alquier, je puis vous assurer que la question que vous avez soulevée est bien prise en compte dans le cadre de la réforme des retraites. Comme vous l’avez rappelé à juste raison, et je m’associe à vos propos, chacun ici est bien conscient de tout ce que nous devons aux agriculteurs et des difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons bien compris que le Gouvernement n’a pas bougé d’un pouce depuis l’annonce de la réforme des retraites.
Vous êtes resté attaché à vos dogmes : excluant toute référence à l’emploi ou à la productivité, vous retenez un seul paramètre, celui de la durée de la vie, et une seule catégorie de privilégiés, c'est-à-dire une partie des salariés de la fonction publique, voire les salariés bénéficiant d’un abattement de 10 % sur leur impôt sur le revenu.
Néanmoins, en ces temps où les inégalités et les injustices sont considérables et vivement ressenties par nos concitoyens, comment allez-vous justifier que ceux qui supportent la plus grande part du coût de votre réforme soient ceux qui travaillent le plus tôt, le plus longtemps, qui exercent les métiers les plus durs, ainsi que les personnes en situation fragile, victimes de votre politique de précarisation de l’emploi, en majorité des femmes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame le sénateur, je vais m’efforcer de vous apporter une réponse pleine de nuances, bien que ce soit en l’occurrence un exercice malaisé.
Vous m’interrogez sur les personnes qui ont les carrières les plus difficiles, soit parce qu’elles ont commencé à travailler très tôt, soit parce qu’elles exercent des métiers très durs.
Je ne répéterai pas ce que j’ai dit à la tribune tout à l’heure. La loi de 2003 n’a pas été proposée, me semble-t-il, par un gouvernement d’inspiration différente de celle du gouvernement actuel. Or, je suis désolé de le rappeler, c’est bien cette loi, conduite par notre majorité, qui a instauré le dispositif des carrières longues, lequel permet à des salariés ayant commencé à travailler à quatorze, quinze ou seize ans de partir plus tôt à la retraite.
Vous me reprochez de présenter une réforme qui néglige une situation dérogatoire que nous avons nous-mêmes instituée. Cela me rappelle l’intervention de M. Domeizel qui, voilà quelques instants, nous reprochait l’inefficacité de mesures que nous sommes les seuls à avoir su prendre. Je suis sensible à la critique, mais à la condition d’y trouver quelque chose qui nous permette d’avancer ensemble.
Pour dire les choses très simplement, nous ne demandons pas le même effort à tout le monde. Nous prenons en compte l’usure des salariés en permettant à ceux qui ont une vie professionnelle plus dure de partir à la retraite plus tôt.
La loi de 2003 visait, je l’ai rappelé, les salariés ayant commencé de travailler dès quatorze, quinze ou seize ans. Le dispositif qui est prévu dans le projet de réforme de 2010 pour les carrières longues s’appliquera tout naturellement aux salariés qui ont débuté à dix-sept ans. Ce nouveau dispositif, qui vient compléter celui de la loi de 2003, concernera 50 000 personnes en 2011 et près 100 000 personnes en 2015.
Et si nous prenons en compte les carrières longues, c’est parce qu’il faut le faire. Je l’ai indiqué à plusieurs reprises, je le répète en cet instant : nous voulons faire une réforme marquée du sceau de l’équité. Or comment pourrions-nous conduire une réforme juste si nous pénalisons les personnes qui ont commencé à travailler très tôt ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je tenais à féliciter les deux rapporteurs – ils ne m’entendront pas, puisqu’ils participent en cet instant à une émission réalisée par Public-Sénat – qui ont consacré de nombreuses semaines à étudier la réforme des retraites. Ils ont rédigé un rapport très intéressant, qui comporte certaines hypothèses que j’aurais aimé examiner tranquillement avec eux. Je regrette donc que ce débat ait été parasité par l’annonce faite ce matin par le Gouvernement.
Je souhaite revenir sur un point particulier du rapport, qui a déjà été évoqué par plusieurs intervenants et auquel M. le secrétaire d’État a partiellement répondu, qui concerne la politique de l’emploi.
On ne peut conduire une véritable réforme des retraites sans réformer en profondeur le marché du travail. Aujourd’hui, la productivité française repose essentiellement sur la fraction de la population âgée de 24 à 54 ans. Ce segment d’autant plus pressurisé qu’il est réduit, ce qui conduit à une dégradation des conditions de travail de l’ensemble des salariés. Mais là n’est pas le propos.
Pendant ce temps, le chômage de masse, qui se traduit par l’exclusion des jeunes, des seniors et des femmes du marché de l’emploi, a des conséquences dramatiques sur les finances de notre protection sociale, l’avenir de notre système de retraite et la cohésion de notre société.
Aujourd’hui, entre l’âge moyen de cessation d’activité, soit un peu moins de 58 ans et demi, et l’âge de liquidation de la retraite, soit 61 ans et demi, les salariés subissent trois années de galère entre ASSEDIC, longue maladie, invalidité, voire préretraite pour les plus chanceux.
Au demeurant, pour la plupart des salariés, les parcours professionnels sont rudes : l’entrée sur le marché du travail est une véritable épreuve pour les plus jeunes ; l’exclusion dès 55 ans est vécue comme un rejet par les plus âgés et, entre les deux, les carrières se déroulent sous le signe de la précarité, de l’emploi fractionné et sous la pression du chômage.
Aujourd’hui, 4,4 millions de personnes en capacité de travailler pointent aux ASSEDIC, sont réduites au RSA ou survivent à peine avec des contrats à temps très partiels. Le taux d’emploi des 16-24 ans ne dépasse pas 32,2 % et celui des 55-64 ans plafonne à 38 %.
Une telle organisation du marché du travail multiplie les inégalités. Voilà pourquoi, tant que des efforts importants ne seront pas consentis pour améliorer le taux d’emploi, tant que des politiques ciblées ne s’attaqueront pas efficacement à la question de l’activité des seniors, des jeunes et des femmes, le passage à 41 ans de cotisation aura surtout pour effet d’allonger la durée passée au chômage et de réduire le montant des pensions.
Mais tel est peut-être le but recherché, car il est facile de réduire le déficit des ASSEDIC en réduisant la période d’indemnisation des chômeurs et en obligeant ces derniers à accepter le deuxième emploi proposé, même s’il est éloigné de leur domicile. Nous connaissons ces dispositions par cœur pour les avoir vu voter dans cette même enceinte.
Appauvrissement du niveau de vie des retraités, creusement des inégalités, mise à mal de la solidarité intergénérationnelle, telles sont les conséquences d’une façon d’aborder l’avenir des retraites, fondée sur une simple logique financière.
Or réformer les retraites, c’est impulser un changement de société. Pour que ce changement soit un progrès partagé par tous et équitable pour chacun, c’est une véritable politique de l’emploi qu’il faut mettre en œuvre.
Les travaux de la MECSS et ceux du COR montrent bien qu’un simple colmatage du déficit courant par le biais de mesures financières ne constitue pas une réponse pérenne.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles dispositions envisagez-vous de prendre, en matière d’emploi, pour que l’avenir des retraites ne se résume pas à un sacrifice des valeurs qui fondent notre protection sociale ?
Vous avez partiellement répondu tout à l’heure au problème de l’emploi des seniors en évoquant, d’abord, l’aspect mécanique du règlement de la situation, puis son aspect classique, c'est-à-dire l’incitation à l’embauche par la baisse des charges sociales.
Je souhaite que vous me répondiez sur la question catastrophique de l’entrée tardive des jeunes sur le marché du travail.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame Le Texier, je crains de vous décevoir. Aussi vais-je chercher quelques excuses afin que vous ne portiez pas un jugement trop sévère sur ma réponse.
Je n’ai pas la prétention, et d’ailleurs nul ne peut l’avoir, de traiter tous les sujets à l’occasion d’un débat sur les retraites. L’emploi est une question en elle-même très importante, qui s’inscrit dans un champ beaucoup plus vaste.
Votre intervention m’inspire quelques observations.
Premièrement, comme je l’ai indiqué à la tribune, nous avons parfaitement conscience que la situation de l’emploi est au cœur du problème. C’est à partir de paramètres adossés sur la situation réelle de l’emploi et calés sur la politique de l’emploi que le COR a, selon un scénario tour à tour optimiste, moyen et pessimiste, réalisé ses projections et déterminé les montants des déficits à venir. Notre réflexion est donc liée en permanence à la question de l’emploi.
Deuxièmement, vous avez dressé un tableau global et sans doute un peu noir de la situation. Permettez au secrétaire d’État à la fonction publique que je suis de formuler deux observations.
En premier lieu, dans la fonction publique, 80 % des agents sont titulaires. Ils ne sont donc pas soumis à la même « pression du chômage », pour reprendre votre expression, que d’autres salariés.
En second lieu, le Gouvernement travaille sur des mesures visant à remédier à la précarité de la situation de certains agents non-titulaires dans la fonction publique. Ces mesures seront présentées dans un projet de loi qui pourrait être déposé en fin d’année.
Troisièmement, la politique de l’emploi ne doit pas être sectorisée. Soyons clairs : il ne s’agit pas de laisser tomber une partie de la population, active mais non employée, c'est-à-dire les seniors, afin d’en cibler une autre, les jeunes.
Nous avons pris des mesures pour les jeunes qui entrent assez tardivement sur le marché de l’emploi. Afin d’éviter un décrochage de ceux qui suivent des études longues, nous n’avons pas retenu le principe de l’allongement de la durée des cotisations. Au-delà des effets de la réforme de 2003, ce dispositif aurait pénalisé les jeunes se trouvant dans cette situation.
Nous avons également pris des mesures pour les seniors – vous les avez évoquées, madame Le Texier – et pour les femmes. Je les ai détaillées tout à l’heure, je n’y reviendrai donc pas.
En ce qui concerne les seniors, j’ai esquissé dans mon propos liminaire quelques-unes des pistes sur lesquelles nous travaillons, notamment le développement du tutorat adossé à la formation professionnelle.
Comme vous l’avez rappelé, le recul de l’âge légal de départ à la retraite aura un effet mécanique. Nous avons pu l’observer à l’étranger, mais aussi en France, dans le passé. Nous connaîtrons un déchargement des emplois des seniors.
On ne peut pas, dans un débat sur les retraites, insérer un débat fiscal, un débat sur l’emploi. Mais il est bien évident que le débat sur l’emploi sert de référent à celui que nous avons sur les retraites.
Mme la présidente. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vais pas traiter en quelques minutes d’une question aussi importante que celle des retraites ; le débat a été ouvert et largement développé. Je formulerai simplement quelques remarques et idées-force destinées à nourrir un débat qui doit rester courtois et objectif.
Cette question des retraites, parce qu’elle interroge la vie, son sens, sa durée, est révélatrice de l’ensemble des choix de société qui sont devant nous, et je voudrais répéter vigoureusement que, au-delà des questions techniques et financières, il s’agit bien avant tout d’un enjeu politique et social.
Je souhaiterais aussi apporter une précision.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez cité à plusieurs reprises le COR, dont j’ai l’honneur de faire partie, en particulier avec Dominique Leclerc. Son rôle, que je tiens à repréciser, est de proposer des scénarii et de formuler des hypothèses économiques et sociales sur le court, le moyen et le long terme. Mais le COR n’a aucune décision politique à prendre, et il n’en prend pas. Et même lorsque l’on fait des projections pour 2050, nous sommes perplexes, car nous ne pouvons pas imaginer aujourd’hui quelle sera la situation économique, les flux migratoires, etc. Cela fait partie des études à mener.
Je voudrais vous faire part d’une deuxième idée afin de poursuivre notre réflexion. Vous avez dit tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État – et je partage votre opinion –, que nous étions en train de prendre des mesures « mesurées ». Mesurons-les bien !
Je souhaiterais que nous tournions le dos à tous les discours chagrins qui voudraient transformer notre discussion en une menace pour l’équilibre social.
Je dirai aussi que la fin de l’activité professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et sociale. D’ailleurs, aujourd’hui, 40 % des élus ont cessé leur activité professionnelle, et nos associations vivent très souvent grâce à leur participation. Alors arrêtons ce discours chagrin selon lequel l’allongement de l’espérance de vie serait une catastrophe, et prenons-le en compte dans cet équilibre des générations.
Je voudrais m’interroger, pour conclure, sur une question fondamentale que nous avons évoquée et dont dépendra la réussite de la réforme.
Certes, personne ne remet en cause le régime par répartition. On sait aussi que 38 % des seniors ont un emploi, et il est courant qu’un salarié sorte du marché du travail vers cinquante-sept ans et attende la retraite jusqu’à soixante ans. On dit toujours qu’il représente un coût pour l’entreprise, mais, durant ces années d’attente, il ne cotise plus, et ce sont les caisses de chômage qui assurent le versement des indemnités. C’est donc une perte importante pour les régimes sociaux. C’est également, et surtout, la disparition d’une expérience professionnelle dans l’entreprise.
En un mot, c’est un véritable gâchis économique et humain auquel vous avez essayé d’apporter des solutions, et nous devons y mettre un terme. Les mesures qui viennent d’être portées à notre connaissance depuis ce matin ne résolvent absolument pas ce problème de l’emploi des seniors, et votre volonté de repousser de soixante à soixante-deux ans l’âge d’ouverture des droits provoquera une nouvelle augmentation du chômage des seniors.
Mme la présidente. Mon cher collègue, veuillez conclure !
M. René Teulade. J’aimerais que vous précisiez la solution envisagée, afin d’éviter ces situations injustes, qui sont socialement et économiquement aberrantes, et de permettre aux seniors de retrouver un emploi, de redevenir des cotisants actifs plutôt que des allocataires assistés.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je suis en accord parfait avec vous sur la nécessité – vous le démontrez d’ailleurs sans difficulté – d’aborder ces questions avec la courtoisie et le calme qui doivent accompagner tout débat. D’ailleurs, je le fais tout naturellement.
Je formulerai juste deux ou trois observations, si vous me le permettez.
Tout d’abord, je sais parfaitement que le COR n’a pas à faire de préconisations. Il doit réaliser une expertise, avec un ensemble de capacités et de compétences dont la vôtre, et c’est exactement ce qu’on attend de lui.
Cela étant, je soulignerai que c’est justement parce qu’il remplit cette mission que, une fois le rapport rendu et le diagnostic établi, nous devons les faire nôtres sans chercher à les interpréter d’une façon ou d’une autre.
Je me suis autorisé tout à l’heure à rappeler à l’un d’entre vous que le rapport du COR ne dramatise pas la situation. Il rend compte des réalités.
Je partage tout à fait vos interrogations sur les projections à très long terme. Nul ne sait ce qui se passera en 2040 ou en 2050. D’ici là, le monde aura sans doute changé. En revanche, vous n’avez pas mentionné – je me permets de le faire à votre place – que c’est précisément pour cette raison que nous avons choisi un horizon assez proche : 2018. Là, il s’agit de projections non pas « à la saint Glinglin », si vous me permettez l’expression, mais à huit ans, c’est-à-dire dans un avenir proche. Et, compte tenu de la situation des déficits, vouloir mettre la « barre à zéro » à huit ans nous paraît évidemment aller dans la bonne direction.
Je partage également votre discours sur l’espérance de vie. Il ne s’agit certainement pas de la transformer en un facteur catastrophique, et il me semble excellent de rappeler les progrès qui sont réalisés dans ce domaine.
Après cette réforme, si tant est que la Haute Assemblée et l’Assemblée nationale se mettent d’accord pour la voter et que l’âge légal de départ à la retraite soit repoussé à soixante-deux ans, l’espérance de vie à la retraite serait, en 2010-2011, supérieure de trois ans à ce qu’elle était en 1981-1982, lorsque la retraite à soixante ans a été instaurée.
Donc, c’est l’illustration par excellence que l’espérance de vie est en progrès et que, même lorsque l’on inverse le curseur, pour reprendre votre expression, nous nous orientons dans la bonne direction.
J’en viens au dernier aspect de votre question, sur lequel je ne tenterai pas de vous convaincre. Il s’agit du problème de l’emploi des seniors, qui est parfaitement identifié. Vous avez raison, monsieur le sénateur, c’est une question de fond.
Je dirai deux choses, en n’y mettant aucun esprit polémique.
La réponse à cette question dans notre pays est, me semble-t-il, culturelle, et les politiques de préretraite qui ont été mises en place de façon équivalente par les différents gouvernements, notamment à une certaine période, ont très largement contribué à cette espèce de culture actuelle de sous-emploi des seniors.
Nous avons commencé dans un premier temps par supprimer, je le rappelais tout à l’heure, ce dispositif de préretraites.
Nous avons ensuite instauré des incitations directes à l’emploi des seniors par l’intermédiaire de la surcote, qui profite tout de même, si mon pourcentage est juste, à 14 % des salariés. Nous avons développé la possibilité de cumuler l’emploi et la retraite. Par ailleurs, nous avons programmé trois mesures, dont je ne vous infligerai pas le détail une nouvelle fois, qui commencent à produire des effets.
La situation de l’emploi des seniors de cinquante-cinq à soixante ans s’améliore, même si les progrès ne sont pas équivalents pour la tranche d’âge de soixante à soixante-cinq ans. J’ai tendance à penser que, grâce aux mesures envisagées, ce phénomène s’amplifiera. Nous pourrions rattraper la moyenne européenne, voire atteindre – on peut toujours rêver – les objectifs de Lisbonne, qui étaient tout de même de 50 % !
M. Claude Domeizel. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Mme la présidente. Monsieur Domeizel, veuillez d’abord laisser Mme Printz s’exprimer ; vous interviendrez ensuite.
Vous avez la parole, madame Printz.
Mme Gisèle Printz. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les disparités des retraites entre les hommes et les femmes devraient constituer un véritable enjeu de la réforme des retraites.
Le montant moyen des pensions des femmes représente 62 % de celui des hommes. Hors pension de réversion, minimum vieillesse et autres prestations, l’écart se creuse encore, puisque les femmes ne bénéficient plus que d’une pension en droit propre de 780 euros, soit 48 % de celle des hommes. Les femmes valident rarement des carrières complètes – exception faite, peut-être, chez les cadres –, et seulement 41 % d’entre elles ont suffisamment cotisé pour bénéficier d’une retraite complète, contre 85 % des hommes.
La retraite à 60 ans n’a d’ailleurs plus grande signification pour un certain nombre d’entre elles, puisqu’elles partent en moyenne à 61,4 ans, contre 59,5 ans pour les hommes.
Enfin, près de quatre femmes sur dix perçoivent moins de 600 euros par mois. Pour les hommes, c’est un sur dix. Par conséquent, 63 % des allocataires du minimum vieillesse sont des femmes. C’est lors du décès de leur conjoint qu’elles sont exposées à la pauvreté.
De plus, 70 % des emplois précaires et 82 % des emplois partiels sont dévolus aux femmes. Elles sont plus touchées par le chômage, faute de formation professionnelle.
Ces situations résultent aussi du partage inégal des tâches domestiques et d’éducation. Les femmes restent majoritairement en charge des enfants, ce qui génère des interruptions de carrière. Pour concilier vie professionnelle et vie personnelle, elles sont amenées à travailler à temps partiel, les structures d’accueil pour les enfants étant souvent inexistantes.
Certaines réformes ont aggravé les inégalités, notamment le passage de 37,5 annuités à 41 années de cotisation, le passage de dix à vingt-cinq ans des meilleures années et la remise en cause de la majoration pour enfant. Le Gouvernement invoque l’équité entre les générations pour justifier sa réforme.
L’équité serait de rendre obligatoire l’égalité salariale entre les femmes et les hommes – j’ai noté que M. le secrétaire d’État s’est engagé à remédier à cette injustice, et j’espère que ce n’est pas une promesse en l’air –, de permettre aux parents pacsés, en cas de décès du conjoint, de bénéficier de la pension de réversion, et de rétablir la majoration de deux ans par enfant.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, je constate que le Gouvernement est en train de fabriquer une nouvelle génération de précaires composée essentiellement de femmes. En êtes-vous conscient ?
Ma question, ou plutôt ma demande, monsieur le secrétaire d’État, est que vous mettiez tout en œuvre pour que la retraite permette aux femmes de vivre dignement.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, il s’agit, je le répète, d’une question importante. Vous me permettrez d’apporter des éléments un peu différents, et, avec votre autorisation, de nuancer votre propos.
D’abord, je voudrais rappeler que les pensions de réversion les plus modestes ont fait l’objet d’une augmentation de 11 % et que, depuis le 1er janvier 2010, 600 000 personnes, des veuves pour l’immense majorité, sont concernées par cette mesure.
Donc, comme vous le voyez, il n’est pas tout à fait exact de dire que, pour ces pensions de réversion les plus modestes, rien de concret n’a été fait.
Je ferai deux autres observations.
Incontestablement, je l’ai dit tout à l’heure, le système de retraites qui est le nôtre comprend un grand nombre de dispositifs qui permettent de compenser ces états de carrière. Vous manifestez peut-être un peu d’inquiétude, mais je ne suis pas certain qu’elle soit fondée. Vous avez en particulier évoqué la remise en cause de la majoration de durée d’assurance de deux ans par enfant. Or, en vertu d’un texte qui a été voté assez récemment, celle-ci, je le redis, est totalement maintenue, à l’instar de la compensation des périodes consacrées à l’éducation des enfants.
La vérité, c’est que, aujourd’hui, le différentiel a tendance à s’amoindrir. Le montant de la retraite des femmes est sur la voie de l’amélioration, mais, comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut évidemment aller plus loin. Pour cela, nous avons prévu différents dispositifs.
Le premier est l’approfondissement de tout ce qui a trait aux dispositifs de solidarité et la compensation, désormais intégrale, du congé de maternité pour la retraite.
Nous nous sommes également engagés à diminuer les causes de l’écart entre les retraites en respectant davantage l’égalité salariale.
Enfin, plusieurs mesures, que je ne déclinerai pas, tendent à une meilleure conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle.
Pour terminer, je dirai que je suis extrêmement sensible à toutes ces questions et que, à l’occasion de ce débat sur les retraites, nous mesurons les imperfections diverses et variées du système. En l’occurrence, les différentiels de rémunération entre les hommes et les femmes pour une même carrière sont véritablement choquants. D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre des fonctions qui sont les miennes, je suis très soucieux de trouver le moyen d’instiller de nouveaux dispositifs afin de remédier à ce problème, en particulier pour les emplois de responsabilité. Nous sommes bien conscients qu’il existe en la matière un « plafond de verre ».
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Domeizel, pour un rappel au règlement.
M. Claude Domeizel. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 75 ter de notre règlement et concerne l’organisation du débat.
Mme la présidente. Monsieur Domeizel, l’organisation du débat a été fixée par la conférence des présidents. Vous avez déjà eu la parole et vous ne pouvez plus intervenir.
M. Claude Domeizel. Madame la présidente, en vertu de l’article 36, alinéa 3, il est possible de prendre la parole à tout moment pour un rappel au règlement.
M. François Trucy. À condition que ce ne soit pas sur le sujet en cours !
Mme la présidente. Je vous donne la parole, monsieur Domeizel, mais je vous prie d’être bref.
M. Claude Domeizel. Il s’agit d’un débat « interactif et spontané » : ces deux adjectifs ont une signification ! Le débat doit durer deux heures : il nous reste une heure, nous avons donc le temps. D’ailleurs, sur un tel sujet, il faut savoir prendre le temps…
Je ne comprends pas que l’on ne puisse pas avoir la parole plus d’une fois. En particulier, lorsque le représentant du Gouvernement répond une énormité et qu’il est applaudi par la majorité, on doit pouvoir intervenir !
C’est la raison pour laquelle j’aurais aimé rafraîchir la mémoire de M. le secrétaire d’État : en 1997, quand Lionel Jospin a été nommé Premier ministre, le déficit de la sécurité sociale s’élevait à 54 milliards de francs ; en 2001, la sécurité sociale était excédentaire, grâce à une politique volontariste de l’emploi. (Plusieurs sénateurs du groupe UMP quittent l’hémicycle en signe de protestation.)
Mme la présidente. Monsieur Domeizel, vous dépassez les bornes ; je me vois dans l’obligation de vous couper la parole !
Débat interactif et spontané (suite)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Le 24 avril 2009, le Président de la République annonçait la mise en place d’un plan de 1,3 milliard d’euros pour la formation, l’apprentissage et la professionnalisation des jeunes de moins de vingt-six ans.
L’objectif affiché était d’aider les jeunes, premières victimes de la crise économique, et dont le taux d’emploi est l’un des plus faibles de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, à s’insérer dans la vie active.
De même, dans son rapport, la MECSS incite à renforcer le recours à l’apprentissage et à l’alternance pour les jeunes, ce qui leur permet de « cotiser au titre de la retraite dès l’entrée en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation ».
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur la confusion entre les objectifs du Gouvernement en matière d’apprentissage et a fortiori d’emploi des jeunes, et la réforme des retraites annoncée.
Expliquez-nous ce que vous aller dire à ces jeunes apprentis ! Comment allez-vous justifier le fait que vous les incitiez à intégrer le monde du travail très jeunes, et que, parallèlement, vous les condamniez à en sortir tardivement ?
La retraite à soixante ans doit rester un marqueur social. Allonger l’âge légal, c’est obliger les personnes en carrière longue à travailler au-delà des quarante annuités légales, c’est donc leur demander de payer plus sans contrepartie ; bref, de travailler plus pour gagner moins !
L’exemple le plus frappant est celui des artisans. En effet, ces derniers ont généralement commencé à travailler à seize ou à dix-sept ans. Quand ils atteignent l’âge de soixante ans, ils peuvent déjà se prévaloir de quarante-trois voire quarante-quatre ans de cotisations, soit bien plus qu’il n’est nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Ils cotisent « à vide » pendant des années. C’est leur infliger une double peine qui va à l’encontre de tout système de solidarité.
Vous ne pouvez afficher une valorisation des filières professionnelles, un soutien à l’artisanat et, dans le même temps, continuer à pénaliser celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt. Notons d’ailleurs que ces personnes exercent pour la plupart des métiers manuels usants.
À juste titre, le rapport de la MECSS souligne que l’un des principaux obstacles au développement de l’alternance est la concentration des secteurs d’activité qui ont recours à l’apprentissage : le bâtiment, la restauration et, encore insuffisamment, la banque, l’informatique et la fonction publique.
La réforme des retraites est l’occasion de mettre un terme à cette anomalie. Les ajustements financiers auxquels vous la cantonnez ne vont faire que l’accroître. C’est regrettable.
M. le Président de la République, lors de la présentation de son plan pour l’emploi des jeunes, disait pourtant : « en préparant les jeunes à l’avenir, la France prépare son avenir ». Comment, monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous concilier cette légitime ambition et la réforme des retraites telle qu’elle nous a été présentée dans la presse ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, ainsi présentée, notre démarche peut sembler contradictoire, mais il existe peut-être une autre façon de présenter les choses, en posant des questions simples auxquelles je vous répondrai simplement.
Oui, nous sommes favorables à des dispositifs d’apprentissage qui permettent, comme le sommet social l’a encore réaffirmé, à des jeunes gens d’entrer de façon précoce sur le marché de l’emploi. Ainsi, certains d’entre eux, j’en suis convaincu, peuvent se stabiliser par rapport à un monde professionnel particulièrement fermé, notamment à ceux qui n’ont pas pu ou pas souhaité développer leur formation dans le système scolaire.
Je suis d’ailleurs, à titre personnel, particulièrement intéressé par le sujet, puisque mon ancienne circonscription compte quatre établissements qui forment des apprentis.
Cela étant dit, je ne vois aucune contradiction entre la nécessité de développer l’apprentissage et l’ajustement d’un dispositif démographique au cœur même de la retraite par répartition.
Oui, les apprentis commencent tôt voire plus tôt que les autres à travailler. Oui, il est bon d’avoir un accès à l’apprentissage précoce. Dans ces conditions, compte tenu du nombre d’années de cotisations, ces apprentis seront nécessairement concernés par le dispositif « carrières longues ».
C’est la raison pour laquelle nous avons conservé le dispositif « carrières longues » mis en place en 2003. Nous avons souhaité qu’il soit renforcé, notamment avec un accès facilité pour les jeunes âgés de dix-sept ans.
Cette question ne doit pas prêter à polémique. Je suis en effet favorable à l’apprentissage, dans les conditions que vous avez décrites et que je fais très volontiers miennes. À travers la réponse que je viens de vous apporter, je ne vois rien de contradictoire, dans le dispositif « carrières longues », avec la possibilité d’allonger les curseurs démographiques. D’ailleurs, monsieur le sénateur, beaucoup d’apprentis bénéficient du dispositif « carrières longues ».
Mme la présidente. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. J’ai vécu un moment de confusion cet après-midi. Nos débats ont pris une tournure quelque peu psychédélique ! (Sourires.)
Après avoir écouté mes collègues en commission des affaires sociales et dans le cadre de la MECSS, je pensais les entendre prendre position concernant les propositions de l’excellent rapport réalisé par la mission, afin de faire avancer les discussions.
Par exemple, nous aurions pu parler de l’âge légal de départ à la retraite d’une manière relativement neutre, de la mise en œuvre de la politique de l’emploi des seniors qui devait l’accompagner, de la prise en compte de la pénibilité, des carrières longues ou de la sanctuarisation du fonds de réserve pour les retraites.
Nous n’avons pas dit un mot de l’épargne retraite ni de l’insertion des jeunes. D’une manière plus large, nous n’avons pas parlé du changement prévu à terme dans le cadre de ce rapport, à savoir le passage d’un système paramétrique, dont on voit bien les limites, à un système différent, puisqu’il s’agit d’une réforme systémique. Nous aurions pu évoquer les comptes notionnels.
Nous avons assisté à une avant-première du débat qui doit avoir lieu au mois de septembre. Le projet de loi n’étant pas encore mis sur la table, personne n’a pu affûter ses arguments.
Nous avons de quoi répondre à ces propositions, mais, monsieur le secrétaire d’État, ne soyez pas hâtif dans vos réponses ! Le parti socialiste, que vous avez beaucoup « arrosé » en cette fin d’après-midi, n’a, vous semble-t-il, rien fait ! Cette discussion a pris des airs de Tartarin de Tarascon : « Nous, on agit ; eux, ils n’ont rien fait ! »
Nous allons faire des propositions lorsque nous étudierons votre texte au mois de septembre ! Vous nous l’avez dit ce matin, le projet exposé aux journalistes est encore susceptible d’être amélioré à l’issue du dialogue. Nous en jugerons.
Nous avons tout mélangé sans réellement avancer pour proposer à nos concitoyens la réforme qu’ils attendent.
À gauche, nous sommes également extrêmement soucieux des deniers publics. Je siège à la commission de la dette sociale et j’écoute avec beaucoup d’attention M. Baroin et les experts qui l’entourent, comme les présidents de la CADES et de l’ACOSS que nous entendions hier soir.
Tout cela nous permet de réfléchir et nous formulerons des propositions. Mais, que diable, pourquoi s’emballer et faire le débat par anticipation aujourd’hui alors que nous avons beaucoup à dire à propos de l’excellent rapport de la MECSS ?
Dans le cadre de cette mission, j’ai d’ailleurs assisté à de nombreuses auditions et je remercie nos collègues rapporteurs qui ont réalisé cet important travail.
Nous pourrions aller beaucoup plus loin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Je répondrai avec franchise et courtoisie.
Commençons par la courtoisie : j’ai été très heureux, comme les fois précédentes, de répondre à une invitation de la Haute Assemblée. Il est quelque peu surprenant, j’en conviens volontiers, que ce débat, fixé de longue date, ait lieu le jour même où le Gouvernement révèle son projet de réforme.
Dans ce cadre, il était normal d’évoquer les mesures du Gouvernement. Au demeurant, je me livre avec beaucoup de plaisir, depuis une heure et quart, à l’exercice qui consiste à répondre aux questions que vous me posez. J’aurais d'ailleurs été surpris que vous ne m’interrogiez sur le projet du Gouvernement.
En outre, le rapport de la MECSS, que j’ai lu, est excellent. Cela ne me surprend aucunement, les rapporteurs étant des spécialistes de ces sujets. Les propositions qui ont été formulées méritent débat, et nous aurons l’occasion d’en discuter.
Monsieur le sénateur, nous sommes chacun dans notre rôle. La remarque de M. Domeizel m’a semblé quelque peu incongrue (Protestations sur les travées du groupe socialiste) – et je choisis un mot mesuré, souvent employé dans les Alpes-de-Haute-Provence... (Sourires.)
M. Claude Domeizel. Intempestive !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Nous nous souvenons des quinze ou vingt dernières années. Je ne crois pas faire acte de provocation en disant que les réformes sur les retraites ne sont pas estampillées par les partis ou les gouvernements de gauche : c’est une réalité !
Vous ne pouvez pas nous reprocher de n’avoir rien fait, alors même que vous nous accusez d’avoir mal fait ! Je connais la qualité des rapports qui ont été rendus mais je ne me souviens pas qu’ils aient été suivis de mesures.
Il est normal d’avoir ce débat aujourd’hui et de répondre à ces questions qui sont dans le vif du sujet. Ce sera avec le plus grand plaisir que nous poursuivrons ce débat, le moment venu, à la rentrée. Ainsi, personne ne pourra dire, au moment du vote de la loi, que nous ne connaissions pas le sujet de longue date et que nous n’avions pas eu l’occasion d’en parler. C’est le principal.
Je vous remercie infiniment de votre participation et de la façon dont le débat s’est déroulé. (Mme Christiane Demontès et M. Dominique Leclerc, rapporteurs, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. J’espère que ma question ne sera pas frappée du sceau de l’incongruité ! (Sourires.)
Tout à l’heure, M. Éric Woerth a présenté une mesure qui se voudrait une avancée sociale majeure concernant l’accessibilité à la retraite et la prise en compte la pénibilité du travail.
Cependant, comment déterminer les critères pris en compte en amont pour accéder au statut de retraité ? Cette question nous inquiète et posera des problèmes au-delà de cet hémicycle.
D’après les propos de M. Éric Woerth, seules les personnes ayant une pathologie avérée et justifiée par une incapacité pourraient bénéficier de cette mesure. C’est faire peu de cas de l’ensemble de ceux qui travaillent, le plus souvent dans le bâtiment ou sur les chantiers publics, et qui arrivent usés à la retraite. Du reste, les statistiques quant à leur espérance de vie le démontrent très facilement.
Même si cette mesure semble teintée de bonnes intentions, il est tout de même parfaitement illogique qu’il faille se trouver dans une situation pathologique pour revendiquer, très légitimement d'ailleurs, l’accès à la retraite à un âge raisonnable !
Ici même, voilà quelques jours, s'agissant des infirmières et des infirmiers, on nous a expliqué que la pénibilité n’existait plus. Elle était balayée d’un revers de main !
Monsieur le secrétaire d'État, vous connaissez aussi bien que moi la situation des services de la médecine du travail, qui, pour le coup, ont en effet besoin d’une « mastérisation » très poussée, leur permettant de travailler très en amont sur un volet que je qualifierais de prophylactique. Ils ne doivent pas être amenés à considérer qu’une pathologie ne justifie un départ plus ou moins prématuré à la retraite que quand elle est avérée !
Ma question est donc simple : selon quelles modalités pratiques les salariés et les autres travailleurs pourront-ils bénéficier de cette mesure ? Comment ferez-vous en sorte que ces gens ne soient pas assujettis à une double peine ? Et je parle non pas seulement de ceux dont la pathologie est avérée, mais aussi de ceux qui se trouvent en marge de ce diagnostic, en raison de la pénibilité du travail qu’ils ont effectué durant toute leur carrière, et pour lesquels le Gouvernement devrait, me semble-t-il, prévoir dans ce texte des mesures plus pertinentes et plus précises.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Je répéterai les propos qu’a tenus tout à l'heure Éric Woerth : la pénibilité est évidemment une question importante, qui doit être traitée dans le cadre du projet de loi que nous allons déposer.
Je ferai quelques remarques.
Tout d'abord, et nous sommes ici au cœur de mes fonctions, comme vous le savez, monsieur Mirassou, dans la fonction publique, la pénibilité par métier est reconnue grâce à la notion de « catégories actives ». Vous avez d'ailleurs noté, sans critiquer ce point, ce qui revient à vous en féliciter, que nous n’avons adopté aucune mesure susceptible de remettre en cause ces catégories actives, auxquelles nous appliquons simplement les limites d’âge.
Pourtant, certains éléments nous conduisaient à nous interroger. Par exemple, il existe des catégories actives qui bénéficient d’un âge de départ à la retraite particulièrement précoce, alors qu’aucun des pays qui nous entourent n’applique une telle règle. Si j’évoque ce point, c’est pour montrer que ce texte reste mesuré.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la situation des infirmières. Vous connaissez sans doute aussi bien que moi, si ce n’est mieux, l’article 30 du projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dont je m’autoriserai simplement à rappeler qu’il laisse aux infirmières un droit d’option, ouvert d'ailleurs jusqu’au mois de février de l’année prochaine. Elles pourront donc se prononcer, en toute indépendance, dans le sens qu’elles souhaiteront.
Parmi le « stock » – passez-moi l’expression – des infirmières, celles qui veulent faire jouer leur droit d’option bénéficieront d’une revalorisation salariale et statutaire qui les conduira à prendre leur retraite en catégorie sédentaire, certes, mais à soixante ans, non à soixante ans plus deux ans. Il est bon de le souligner : certains pensaient que nous ne prendrions pas une telle mesure, mais c’est pourtant ce que nous faisons.
Quant aux autres infirmières, dès lors qu’elles n’auront pas choisi de rejoindre les catégories sédentaires, elles partageront bien évidemment la situation des catégories actives, c'est-à-dire qu’elles prendront leur retraite à cinquante-cinq ans plus deux ans. Je tenais à souligner ce point, monsieur Mirassou, en réponse à vos propos sur les infirmières.
Pour le reste, très concrètement, ce sera un examen médical individuel qui décidera du départ en retraite. En effet, si tel n’était pas le cas, dans le cadre d’une reconnaissance de la pénibilité par métier, certaines situations individuelles qui ne correspondent pas à des fonctions considérées comme pénibles mais qui, pourtant, témoignent d’une usure réelle du salarié ne pourraient être prises en compte.
Or, pour notre part, nous voulons prendre en considération la situation de salariés qui sont physiquement usés par le travail sans pour autant que le métier qu’ils exercent soit reconnu comme pénible. L’argument que vous m’avez opposé est donc réversible, je me permets de vous le montrer : dans le cadre que vous proposez, certains agents ou salariés pourraient se plaindre de la situation qui leur est réservée.
Très concrètement, ce dispositif ira donc plutôt dans le sens d’un élargissement des droits des salariés, puisque l’incapacité de ces derniers sera reconnue à partir d’un taux de 20 %, contre 50 % dans le dispositif actuel. Et nous procéderons à un examen individuel afin d’éviter l’écueil sur lequel je viens d’attirer votre attention.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec ce débat sur les retraites.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Débat sur les conséquences de la tempête Xynthia
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conséquences de la tempête Xynthia, organisé à la demande de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.
La parole est à M. le président de la mission commune d’information.
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans la nuit du 27 au 28 février dernier, Xynthia a tué 29 personnes en Vendée, 12 personnes en Charente-Maritime, et 53 personnes au total en France.
Ce bilan est inacceptable et, en ouvrant ce débat, je tiens, au nom de tous les membres de la mission commune d’information, à exprimer aux familles endeuillées notre immense sympathie ; bien entendu, nos pensées vont aussi à ceux qui, depuis hier, sont confrontés à la perte de proches ou d’amis dans le Var.
Je souhaite leur dire que tous leurs disparus habitent nos travaux et que le plus bel hommage que nous puissions leur rendre est non pas de nous contenter de discours, mais de faire en sorte de tirer toutes les leçons de cette catastrophe pour que, à l’avenir, un tel drame ne se reproduise pas.
C’est la raison pour laquelle nous nous sommes rapidement mis au travail grâce au président de la Haute Assemblée, Gérard Larcher, qui a proposé la création de cette mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.
Nous avons mené plus d’une centaine d’auditions. Très vite, nous sommes allés sur le terrain, en Vendée et en Charente-Maritime, pour rencontrer les sinistrés. Nous nous sommes également rendus dans l’estuaire de la Gironde, à Bruxelles pour convaincre les commissaires de ne pas bloquer les aides promises, notamment aux agriculteurs, aux Pays-Bas pour comprendre comment ce pays, né des eaux par la main de l’homme, organise sa défense contre la mer et contre les crues.
Nos travaux se poursuivront avec la remise du rapport final qui est prévue au début du mois de juillet prochain. Ils ne s’achèveront pas pour autant : nous suivrons jusqu’au bout les mesures qui ont été annoncées ou qui le seront dans les semaines à venir, je pense par exemple au plan « digues », comme on l’appelle encore pour le moment improprement.
Nous avons cependant tenu à engager ce débat en nous appuyant sur ce rapport d’étape qui nous permettra d’enrichir nos réflexions.
Je souhaite remercier Alain Anziani, rapporteur, et tous les membres de la mission commune d’information de l’esprit dans lequel ils ont travaillé. J’ai été heureux de constater que, lorsque l’essentiel est en jeu, nous n’avions aucun mal à dépasser nos différences de tempérament, de géographie ou d’appartenance partisane.
Quels sont les premiers enseignements que nous pouvons d’ores et déjà tirer ?
Le constat est malheureusement sans appel : si Xynthia, comme phénomène climatique extraordinaire, était inévitable, le drame Xynthia, lui, n’était pas une fatalité.
La question des responsabilités est du ressort de la justice, qui est saisie. Toutefois, il est évident que ce drame a pour origine principale l’impréparation de la France au risque spécifique de submersion marine. Celle-ci a conduit à de graves défaillances et à une forte dilution de la responsabilité dans la chaîne de décisions.
Ces défaillances sont de natures diverses.
Elles apparaissent dans la phase de prévision et d’alerte : aucune évaluation des conséquences de la tempête à terre, un système d’alerte insuffisamment explicite, des plans communaux de sauvegarde inexistants, rendant délicates les mesures d’évacuation. Preuve de ce dysfonctionnement, la consigne était de se calfeutrer chez soi ; or, ce faisant, on enfermait les gens dans ce qui allait devenir leur tombeau.
Nous constatons également des défaillances dans la prévention. Pourquoi des maisons avaient-elles été construites, alors qu’il existait un risque naturel majeur avéré ? Pourquoi, en France, les plans de prévention des risques naturels sont-ils si peu nombreux, alors que, dans cette zone, le risque était bien présent ?
Enfin, les défaillances ont également concerné les systèmes de protection. La gestion des ouvrages naturels ou artificiels de défense contre la mer souffre en France de plusieurs maux : fragmentation de la propriété, retrait des financements de l’État, manque d’entretien, lourdeur des procédures, etc.
Sur chacune de ces défaillances, la mission fera des propositions concrètes.
En revanche, tous les avis convergent pour reconnaître le caractère remarquable de la gestion de la crise. Les secours, coordonnés par les préfets, ont été massifs et formidablement efficaces. Des centaines de vies humaines ont ainsi pu être sauvées et il faut rendre hommage à tous ceux qui ont fait preuve d’un courage exemplaire, souvent au péril de leur vie : sapeurs-pompiers, gendarmes, militaires, pilotes d’hélicoptères et, dans la phase suivante, secouristes et bénévoles.
C’est ainsi que, dans cette nuit noire de désolation, de nombreux actes de bravoure ou de générosité nous ont rappelé le vrai sens du mot « fraternité », qui est le plus beau, mais aussi sans doute le plus exigeant de notre devise républicaine.
Madame la secrétaire d'État, je souhaite également saluer la réactivité de l’État. Jamais un arrêté de catastrophe naturelle n’a été pris aussi rapidement, presque simultanément, au lendemain de la tempête, le 1er mars dernier.
Très vite, les mesures d’indemnisation et de soutien aux filières économiques ont été annoncées, tandis qu’un formidable élan de solidarité s’organisait entre les collectivités, les associations, les anonymes qu’il faut saluer comme le signe tangible des liens invisibles qui relient entre eux nos concitoyens.
Bien sûr, tout n’est pas parfait et il y aurait beaucoup à redire. À ce stade, je formulerai deux observations.
La première remarque porte sur les mesures de soutien aux filières. Plusieurs questions restent en suspens. Ainsi, il faut impérativement obtenir le soutien de l’Union européenne, notamment à travers le Fonds de solidarité de l’Union européenne. Il convient également de revoir les délais de versement des aides, notamment pour la filière agricole. Madame la secrétaire d'État, un contrôle administratif tatillon de la Commission européenne s’impose-t-il lorsqu’il s’agit de mesures d’indemnisation et non d’aides susceptibles d’entraîner une distorsion de concurrence ? Il faut je crois replacer les choses à leur juste mesure.
Le problème de l’équité se pose également. Pourquoi existe-t-il un traitement différent pour les conchyliculteurs et les agriculteurs ? Ainsi, le taux de vétusté forfaitaire, de l’ordre de 10 % pour les agriculteurs, sera pris en charge totalement par l’État pour la filière conchylicole.
La seconde remarque concerne les zones d’acquisitions amiables.
La mission est tout à fait favorable au principe selon lequel les terrains exposés à un risque naturel grave doivent être déclarés inconstructibles.
Toutefois, l’application de ce principe juste a souffert de trois problèmes : trop précipitation, pas assez de transparence et beaucoup de confusion dans l’expression publique.
La position que la mission avait définie dès le 14 avril dernier lors de sa visite en Charente-Maritime est sans équivoque et peut se résumer rapidement.
Les périmètres actuels n’ont pas de fondement juridique : ils donnent aux propriétaires la possibilité de vendre leur maison selon une procédure d’acquisition amiable. Je pense qu’il s’agit là d’un point positif pour tous les sinistrés qui veulent tourner la page.
Ces périmètres ne doivent pas être définitivement figés. Il faut au contraire qu’ils soient resserrés au terme des deux prochaines étapes : la constitution du dossier d’enquête publique – il faut profiter des mois qui restent à notre disposition pour mener des expertises complémentaires –, la procédure d’enquête publique avec des expertises contradictoires au cas par cas, parcelle par parcelle, avant l’expropriation.
Nous souhaitons que l’État étudie un mécanisme de compensation fiscale pour les communes qui subiront aussi une destruction de leur base fiscale.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous n’avons pas fini de gérer les conséquences de cette tempête. Mais il faut dès maintenant préparer l’avenir et ne pas se contenter de réagir à la dernière tempête. Car d’autres événements climatiques de cette nature surviendront, c’est une certitude.
Préparer l’avenir, c’est évaluer précisément les enjeux pour doter la France d’une véritable culture du risque. Ceux-ci sont de trois ordres.
Premièrement, en France, comme dans le reste du monde, les populations s’agrègent de plus en plus le long des estuaires et sur le littoral ; une délégation de l’ambassade du Japon le confirmait voilà quelques heures encore. La pression démographique et foncière ne se démentira pas sur ces zones.
Deuxièmement, le changement climatique accroîtra considérablement encore la vulnérabilité du littoral.
Ce changement climatique, qui entraîne une élévation du niveau de la mer, a été constaté dès le xxe siècle. De vingt centimètres au siècle passé, cette augmentation sera comprise entre cinquante centimètres et un mètre au cours du xxie siècle – tous les experts que nous avons rencontrés s’accordent sur cette estimation –, avec des conséquences impressionnantes en termes de surcote, donc de submersion marine, et de période de retour.
Les Néerlandais ont calculé qu’une élévation de cinquante centimètres du niveau de la mer ramenait la période de retour d’un événement centennal à dix ans !
Troisièmement, la culture du risque, c’est aussi la conscience du risque que peuvent avoir nos sociétés.
Or, vous le savez, nos sociétés, qui se considèrent hautement avancées sur les plans technologique et scientifique, ont progressivement tué l’idée même du risque, et par là même effacé la conscience du risque et affaibli la culture du risque.
La culture du risque, ce ne sont pas seulement des règles enfermées dans des codes. Nous sommes d’ailleurs sans doute les champions du monde des règles, mes chers collègues ! (Sourires.) Nous avons les codes de l’environnement et de l’urbanisme les plus fournis. Comme nous l’ont fait remarquer les experts que nous avons auditionnés, nous disposons en France de tous les outils nécessaires. Le problème ne se situe donc pas sur ce plan.
En réalité, la culture du risque ne doit pas être seulement l’affaire de l’État, des collectivités et des élus ! Elle doit aussi être très largement partagée par la population.
Chers collègues, tirer les leçons de Xynthia se résume fondamentalement à trois actions.
C’est d’abord prendre en compte la spécificité du risque de submersion marine, phénomène qui n’est pas en tout point égal à ce que l’on appelle une crue de rivière.
Cela signifie, pour le premier pilier de la prévision, procéder à une véritable évaluation des conséquences sur terre d’une surcote en mer, avec un système d’alerte intelligible, compréhensible, pour que les élus puissent prendre les bonnes décisions.
Concernant le deuxième pilier qui est celui de la prévention, la création de plans de prévention de risques de submersion marine doit obéir à des règles bien particulières. On sait bien que, désormais, l’État n’a pas les moyens de procéder à un contrôle de légalité systématique. Dès lors, il convient que celui-ci se concentre sur sa mission régalienne de protection des personnes. Le contrôle systématique des actes d’urbanisme doit être effectué de manière généralisée dans les zones à risques pour toutes les autorisations d’urbanisme.
Enfin, concernant le pilier de la protection, nous attendons bien sûr le plan « digues », qui portera vraisemblablement un nom différent ; du moins je l’espère.
À cet égard, madame la secrétaire d’État, il faut d’ores et déjà préparer les marées d’équinoxe. Quand le Président de la République est venu à La Roche-sur-Yon – vous étiez également présente –, il s’est engagé à ce que l’État finance 50 % du montant des travaux, non seulement pour conforter les brèches, mais aussi pour préparer les marées d’équinoxe qui doivent se produire à la mi-septembre. Les préfets attendent les délégations de crédits qui leur permettront de donner le feu vert aux maîtres d’ouvrage. Les ordres de service doivent être prêts ! Il faut les signer pour que les entreprises travaillent maintenant si l’on veut pouvoir affronter demain, en septembre, les grandes marées d’équinoxe.
Sachez que, concernant le plan « digues », nous ne sommes pas favorables à une gestion centralisée à l’échelle nationale, car l’État n’en a plus les moyens. En revanche, si la gestion doit être locale, il faut une stratégie nationale.
Le deuxième outil qui doit accompagner la culture du risque consisterait à adopter une approche de la gestion du risque non pas fragmentée – c’est le mal français ! – mais globale, ce qui signifie assurer une meilleure coordination entre les trois piliers de la prévision, de la prévention et de la protection.
Je m’appuierai sur un exemple simple. Il faut de vraies cartographies, adaptées au bon aléa climatique. Ces cartographies seront utiles à la fois pour le système d’alerte, le plan de prévention des risques et les plans communaux de sauvegarde, ainsi que pour mettre en relation la protection, le système dunaire, les systèmes de protection naturel et artificiel avec les problèmes que l’on peut constater précisément sur ces cartes.
Enfin, il faut associer plus étroitement la gestion du risque à l’aménagement de l’espace.
On ne peut pas – c’est notre conviction –, au nom du risque de submersion marine, sanctuariser de façon systématique tous les espaces littoraux. Cette conception serait vouée à l’échec. À l’inverse, on ne peut pas non plus laisser la pression foncière et immobilière s’exercer au mépris de la sécurité ou de la préservation des espaces naturels fragiles. À cet égard, nous ferons des propositions à Mme la secrétaire d’État dans notre rapport final pour concilier ces deux dimensions.
Pour conclure, les propositions que nous allons désormais développer s’éloigneront résolument de deux positions extrêmes. D’un côté, la vision progressiste et prométhéenne serait celle d’un monde où l’homme moderne prétendrait domestiquer complètement la nature et où l’État protecteur lui offrirait une sorte de garantie tous risques constitutionnalisée dans le principe de précaution. De l’autre côté, diamétralement opposée à la première, la vision régressive et malthusienne imposerait à l’homme de se soumettre et de s’incliner devant mère nature. Si l’on suivait ce point de vue, il faudrait placer en zone noire tout territoire précédemment conquis sur la nature !
Mes chers collèges, le risque fait partie de notre monde et de la société dans laquelle nous vivons. Il serait dangereux de le nier, mais il serait stupide d’en faire une fatalité. C’est un défi qu’il nous faut relever ; depuis Xynthia, nous n’avons cependant plus le droit de faire comme si de rien n’était. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Anziani, rapporteur de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la mission commune d’information, mes chers collègues, la tempête Xynthia, ses 53 morts, ses 500 000 victimes, ses 2,5 milliards d’euros de dommages marqueront certainement notre mémoire ; en tout cas, nous pouvons et nous devons l’espérer.
Cette tempête a provoqué l’indignation : comment se fait-il qu’un pays comme le nôtre n’ait pas été capable de prévenir sa population et de la protéger ? Le fait est là, terrible et indiscutable : nos connaissances n’ont été ni suffisantes ni suffisamment exploitées et notre organisation administrative a failli.
Notre rapport ne peut en effet se réduire à un examen des causes naturelles qui ont été rappelées ; ce serait une erreur considérable. Nous devons bien entendu aller au-delà et déterminer ce qui relève de notre responsabilité.
Celle-ci commence très tôt. Les dommages auraient été certainement très différents si nous nous étions inquiétés depuis longtemps d’un trait de côte fragilisé ou de cordons dunaires rompus.
Cependant, le pire maintenant serait d’oublier. Il est facile et souvent commode d’oublier, en retenant, par exemple, et je reprendrai ici les propos du président de la mission commune d’information, le fait que nous sommes en présence d’un risque centennal. Or, une telle fréquence théorique n’interdit pas que deux tempêtes se succèdent sur un intervalle de temps plus resserré demain, après-demain, l’année prochaine. Surtout, il suffit d’une augmentation de cinquante centimètres du niveau de la mer pour que nous passions d’un risque centennal à un risque décennal.
Xynthia peut donc devenir demain sinon une catastrophe ordinaire, du moins un événement ordinaire. Et c’est à nous, parlementaires, de faire en sorte que cet événement ordinaire ne devienne pas une catastrophe habituelle devant laquelle nous baisserions les bras.
Nous l’avons entendu cet après-midi : les armoires sont remplies de rapports sur les inondations ou les submersions, mais aucune décision n’est prise à l’issue de ces publications. C’est sans doute ce défi que nous devons relever.
Les Pays-Bas y sont parvenus avant nous. En 1953, ils ont connu une catastrophe qui a provoqué la mort de plus de 1 800 personnes. Ils ont alors changé l’ensemble de leur organisation administrative. Depuis, la submersion marine et les inondations n’ont plus fait une seule victime aux Pays-Bas.
Nous devons sans doute modifier notre manière de voir. J’examinerai avec vous quatre questions auxquelles notre mission a été confrontée.
La première, sans doute la plus médiatique, pas nécessairement la plus délicate, est celle de la délimitation des zones noires. Nous pensons que, dans certains lieux, dans certaines circonstances, il est de notre devoir d’évacuer les populations. Si notre position est claire quant au fond, elle l’est tout autant concernant la méthode : le procédé « à la hussarde » qui a été employé n’est pas satisfaisant. Les zones noires ont été pour 90 % d’entre elles créées en quinze jours, et ce davantage à l’appui de séries statistiques manipulées au sein de cabinets que lors de visites de terrain.
Cette approche technocratique a évidemment provoqué l’incompréhension et même, souvent, la colère, une colère qui perdure aujourd’hui encore. Elle a été perçue comme une sanction, là où était en réalité institué un droit de cession amiable dans de bonnes conditions.
Il me semble qu’il y a eu un manque de pédagogie et peut-être même d’humanité ; qu’il y a eu – excusez-moi pour ce terme, madame la secrétaire d’État – une cacophonie dans le vocabulaire employé par différents membres du Gouvernement ; qu’il y a eu des déclarations péremptoires sans véritable sens, la notion de zone noire n’ayant pas de fondement juridique. Tous ces éléments ont abouti à la confusion que nous avons constatée.
A contrario, dans d’autres départements, notamment dans celui dont Françoise Cartron et moi-même sommes les élus, nous avons eu la surprise de constater que des familles qui se sont retrouvées sur le toit de leur maison ne peuvent pas céder leur bien à l’amiable à l’État, ce qui, évidemment, provoque une inégalité devant la loi.
La deuxième question est celle de l’indemnisation. Elle n’est pas encore réglée.
Selon France Domaine, au 7 juin, 1 367 procédures d’acquisition avaient été engagées. L’estimation totale de l’indemnisation varie fortement : elle atteindrait 800 millions d’euros selon France Domaine, mais le ministre du budget indiquait il y a quelques jours une somme de 400 millions d’euros ; nous estimons pour notre part que le montant serait plus proche de 400 millions que de 800 millions d’euros.
Or, le fonds Barnier, chargé d’indemniser les victimes et de financer les digues, et dont les recettes annuelles ne dépassent pas 150 millions d’euros, dispose d’une trésorerie correspondant à 75 millions d’euros. Comment faire face aux indemnisations avec une telle somme ?
Plusieurs solutions peuvent être envisagées. Nous pourrions peut-être effectuer un prélèvement exceptionnel auprès de la Caisse centrale de réassurance, ou CCR, ce qui est envisageable dans la mesure où celle-ci dispose de liquidités importantes. Évitons en tout cas de faire appel à de nouvelles taxes comme certains l’ont proposé, en considérant par exemple que l’on pourrait prélever un complément sur les taxes du foncier bâti dans les communes.
Les collectivités locales ont également subi des préjudices, à l’instar des filières économiques, mais je ne reviendrai pas sur ce qu’a déjà développé M. Bruno Retailleau.
J’en viens à ma troisième question, que je tenterai d’examiner le plus rapidement possible : aurions-nous pu éviter les dommages ?
À cet égard, nous sommes face à un paradoxe : la prévision de la tempête a été parfaitement exacte, les cartes de Météo France ont donné des prévisions justes, mais l’impact sur la terre n’a pas été bien calculé, et nous n’avions pas d’informations sur les effets de la submersion dans telle ou telle commune.
Il y a là un manque de connaissances, qui tient sans doute à des raisons techniques, mais aussi au morcellement de l’intelligence. Nous avons constaté au sein de la mission d’information que les personnes intelligentes étaient nombreuses mais qu’elles travaillaient dans des pièces différentes sans jamais se parler ou mettre en commun leurs savoirs.
Par ailleurs, la mission a mis en évidence un dispositif d’alertes controversé. Les préfectures considèrent qu’elles ont fait leur travail en transmettant aux maires les informations dont elles disposaient. Les maires que nous avons rencontrés se sont plaints de ne disposer que d’une information disparate ne leur permettant pas de prendre des décisions ; il pouvait s’agir d’une simple carte de Météo France ou d’une indication de surcote d’un mètre pour une commune non déterminée.
Comme l’a indiqué l’un des maires que nous avons interrogés : « trop d’alertes tue l’alerte ». Quand trente alertes sont décrétées au cours d’une année, c’est-à-dire deux ou trois fois par mois, et qu’il ne se passe rien, les populations ne donnent plus de crédit aux élus qui en sont à l’origine.
La prévention s’est révélée quant à elle gravement incomplète.
En Vendée et en Charente-Maritime, deux départements qu’il ne faut pas stigmatiser car cet événement aurait pu toucher d’autres départements, seules 46 communes disposent d’un plan de prévention approuvé et les plans communaux de sauvegarde sont très peu nombreux. Ce laxisme, si on peut dire, a abouti à la construction de 235 000 maisons entre zéro et moins deux mètres en dessous du niveau de la mer. Il faudra évidemment examiner à qui incombe la responsabilité de cette lacune.
La tendance naturelle qui se dessine est donc la suivante : le maire est rendu responsable, il est le bouc émissaire. Une telle logique révèle une méconnaissance totale de la procédure du permis de construire. La demande est, le plus souvent, instruite par les services de l’État, en l’espèce toujours par les services de l’État dans les communes concernées. Le maire, sur l’avis du service de l’État, délivre le permis de construire, puis le service de légalité, qui dépend encore de l’État, juge de la conformité de l’autorisation aux normes en vigueur.
Malheureusement, le service de légalité a failli. Nous avons constaté que sur l’ensemble des actes déférés au tribunal administratif, seulement 0,024 % concernent des autorisations de construire.
L’explication nous a été très clairement donnée : RGPP oblige, faute de disposer des moyens d’exercer le contrôle de légalité qui leur revient, les préfectures ne peuvent plus procéder que par échantillonnage, ce qui explique ce chiffre tout à fait insatisfaisant.
Je terminerai mon propos en évoquant le plan « digues ». Madame la secrétaire d’État, je saisis la chance de votre présence pour vous le dire très nettement : ne renouvelez pas, avec le plan « digues », l’erreur de précipitation qui a été commise avec les zones noires ou les zones de solidarité ! Je vous le dis en toute franchise, si le plan « digues » nous tombe brutalement sur la tête du haut d’un ciel technocratique, ce ciel qui sait tout, cela n’ira pas ! Un bon plan « digues », c’est un plan qui a fait l’objet d’une concertation, notamment avec les élus parfaitement avertis de l’état des ouvrages qui sont les leurs.
Je vous mets également en garde contre le risque de confondre plan « digues » et plan de protection. Il faut absolument qu’il y ait un plan de protection des populations ! Cela commence, par exemple, par le cordon dunaire. Renforçons les cordons dunaires avec du sable, réensablons les plages, comme les Hollandais savent très bien le faire ! Construisons des digues là où il le faut, rehaussons-les, ne serait-ce que pour tenir compte de l’élévation du niveau de la mer. Et puis, derrière ces digues, étudions la possibilité de constructions alternatives, soumises à des normes qui pourront différer des normes habituelles. Peut-être faudra-t-il parfois interdire purement et simplement les constructions.
Contraint par le temps qui m’est imparti, je ne peux évoquer tous les sujets. Je tiens néanmoins à dire que la digue doit être aussi un outil d’aménagement paysager. Qu’elle ressemble à un mur de béton, et elle « tuera », en quelque sorte, la commune où elle est implantée ! Elle doit être intégrée dans le paysage, qu’il soit urbain ou rural. Vous y parviendrez en créant, par exemple, des pistes cyclables sur cet espace, qui peut aussi accueillir des animations. Bref, faisons de la digue un élément qui attire le touriste au lieu de le faire fuir !
Comme l’a dit M. Retailleau, il faudra régler la question du financement et mettre en place une gouvernance des digues.
Je voudrais terminer en disant qu’il ne faut pas se tromper d’enjeu. Oui, il nous manque encore certaines connaissances – on peut toujours en avoir davantage ! Oui, il nous manque et il nous manquera toujours de l’argent ! Mais ce qui nous manque le plus, je peux l’affirmer, après tant d’années, après le rapport d’Éric Doligé, après la situation que nous avons connue à Vaison-la-Romaine, après d’autres rapports rendus sur des phénomènes similaires sans être identiques, ce qui nous manque le plus, c’est la volonté politique ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà à peu près vingt ans que je m’intéresse à ces sujets. Pour cette seule année, la France a notamment subi la tempête Xynthia et des inondations toutes récentes dans le Var. Et à chaque fois, au fil du temps, j’ai vraiment l’impression d’avoir parlé dans le vide. Les politiques nationales ont échoué, et les politiques locales n’ont guère eu plus de succès !
On se donne beaucoup de mal pour s’apercevoir qu’au final les choses ne bougent pas beaucoup ! Le titre du rapport d’information, « Xynthia, les leçons d’une catastrophe », m’intéresse beaucoup : j’espère que ce rapport va enfin nous permettre de tirer les leçons d’une catastrophe !
Nous vivons malheureusement dans une société qui ignore la culture du risque, une société dans laquelle l’oubli est particulièrement rapide, une société très individualiste, très émotive, dans laquelle le poids des médias est extrêmement fort.
Chaque fois qu’une catastrophe se produit, on en parle beaucoup, et puis, deux ou trois semaines après, cela passe : on cesse d’en parler et on l’oublie totalement. Et il ne reste que quelques individus – dont certains sont parmi vous – pour travailler sur ces sujets en essayant d’être à contre-courant et de trouver des solutions jusqu’à la prochaine catastrophe.
Bien sûr, celle-ci a été très marquante. Nous sommes à l’aube d’une petite révolution au terme de laquelle vont peut-être lentement réapparaître les rapports qui avaient été enfermés dans des armoires. Et dans toutes ces pages, peut-être trouvera-t-on quelques éléments intéressants qui dissiperont ce sentiment d’avoir travaillé pendant aussi longtemps dans le vide !
Sur les travées de la Haute Assemblée, comme au banc du Gouvernement, je vois un certain nombre de personnes qui travaillent depuis longtemps sur ces sujets et aimeraient voir aboutir les différents travaux auxquels ils ont participé.
Je voudrais élargir quelques-unes des constatations, des réflexions et des propositions d’ordre général formulées par M. le président de la mission et M. le rapporteur.
Comme l’ont dit MM. Retailleau et Anziani, toutes ces catastrophes sont l’illustration d’un urbanisme totalement incontrôlé : il se construit beaucoup de choses qui ne devraient probablement pas sortir de terre – certaines dans la légalité et d’autres à la marge.
Je me souviens d’un préfet de mon département qui, voilà plus d’une dizaine d’années, avait pris, pour les bords de la Loire, un programme d’intérêt général. Ce PIG a créé la révolution ! Les élus ne voulaient pas en entendre parler parce qu’il interdisait de construire – sans qu’il y ait à l’époque d’éléments d’urbanisme suffisants – sur des terrains en zone constructible qui avaient beaucoup de valeur puisqu’ils étaient au bord de la Loire. Personne ne voulait alors croire qu’ils étaient submersibles, alors que tous les documents l’établissaient !
Plus de dix ans après, un certain nombre de personnes se souviennent encore du nom de ce préfet et lui en veulent d’avoir interdit de construire sur des terrains qui sont assurément inondables à tous les coups !
L’urbanisme a été relativement incontrôlé. On continue de construire dans des zones fortement exposées aux risques. Chacun sait qu’en région parisienne, à peu près un tiers des permis de construire sont accordés dans des zones inondables – plus ou moins inondables, certes. Sans doute sont-ils « peu inondables » si on raisonne sur une décennie. Mais quels seront les dégâts quand surviendra une inondation centennale, du type de la crue de 1910 ?
Ce qu’il faut retenir d’une inondation, ce sont, bien sûr, les dégâts humains qui, dans le cas d’une submersion marine, sont considérables. Mais il faut aussi savoir que la France aura du mal à se relever d’une véritable inondation nationale ou d’une crue centennale sur l’un de nos grands fleuves.
L’habitat est totalement inadapté aux submersions marines et aux inondations. On laisse construire des habitats qui ne permettent pas d’absorber l’inondation. On ne tient pas compte des caractéristiques spécifiques de chaque type d’inondation. Et l’on a bien vu construire de plain-pied dans des zones inondables ! C’est totalement irresponsable de la part de la société en général. Malheureusement, nous sommes tous responsables de ce qui peut se passer.
Je voudrais encore évoquer quelques points. En matière d’urbanisme, il faut être beaucoup plus ambitieux et courageux. Or notre société manque de courage en matière d’urbanisme. Les maires doivent absolument être au courant des conséquences négatives des mesures qu’ils peuvent prendre dans leur commune. Ils autorisent un certain nombre de choses sans être exactement informés des risques encourus.
Même en l’absence de PPR, il faut les inciter à inscrire dans leurs documents d’urbanisme un certain nombre de contraintes. Ce courage ne doit pas leur faire défaut, quel que soit l’état d’avancement des documents en leur possession.
Xynthia nous montre l’importance d’adapter notre urbanisme et notre territoire aux risques d’inondation.
En matière de financement – peut-être est-ce un sujet qui pèse sur ce dossier –, on a le sentiment de vivre au-dessus de nos moyens. L’existence du fonds Barnier et du régime des catastrophes naturelles laisse à penser qu’on peut être protégé de tout et être remboursé des dégâts susceptibles de survenir à tel ou tel endroit.
Je pense, madame la secrétaire d’État, que le financement est un vrai sujet de réflexion. Il ne faut absolument pas donner aux habitants de nos territoires le sentiment qu’ils sont protégés financièrement et qu’ils n’ont donc pas de mesures à prendre.
Je vous incite à lancer une réflexion sur la pénalisation – non pas pour ceux qui ont déjà construit et l’ont fait dans la transparence – mais pour ceux qui seraient tentés de construire, à l’avenir, sur des terrains exposés aux risques d’inondation sans prendre les dispositions indispensables.
Je terminerai mon propos en évoquant les digues. Les submersions marines que nous avons vécues sont similaires à celles qui ont été subies en 2005 par la Nouvelle-Orléans. Nous nous sommes rendus sur place et avons constaté qu’elle ne s’en est toujours pas remise !
À notre retour, nous avons fait un certain nombre de propositions sur les digues, sur la manière de les financer et sur la gouvernance. Je souhaiterais, madame la secrétaire d’État, poursuivre ce travail avec plusieurs collègues membres d’associations nationales.
Nous allons créer un groupe parlementaire composé de volontaires. J’ai proposé de le réunir pour travailler sur ce sujet et faire un certain nombre de propositions. Peut-être éviterons-nous ainsi le danger signalé par M. le rapporteur : celui d’un plan « digues » qui nous arriverait sans échanges ni discussions préalables.
Je suis persuadé que nous trouverons les voies et les moyens, notamment en collaboration avec votre cabinet, madame la secrétaire d’État.
Monsieur le président, j’ai conscience d’avoir été un peu bavard, mais nous avons tant à dire sur ce sujet ! J’aimerais que le Parlement et nous tous, nous penchions sérieusement sur ce problème. Nous ne sommes pas responsables de ce qui s’est passé hier ou aujourd’hui, mais je pense que nous serions responsables de ce qui se passerait demain si nous ne faisions plus rien. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’occasion de cet échange autour du pré-rapport de la mission commune d’information, permettez-moi d’avoir une pensée en direction de toutes les familles qui ont été durement touchées par cette submersion marine. Cinquante-trois personnes sont mortes lors de cette tempête, soixante-treize ont été blessées et beaucoup sont probablement marquées pour longtemps par cette catastrophe.
On peut d’ailleurs féliciter les services de secours dont la mobilisation exceptionnelle a probablement évité des pertes plus lourdes.
Plus habituée à traiter les zones inondables le long des fleuves, j’ai pu constater, en travaillant dans le cadre de la mission, que la culture du risque dans ce secteur du littoral était inexistante ou presque. On dirait que l’intérêt de s’installer en bord de mer, l’attrait de la côte, la proximité des plages ont gommé le fait que le risque de submersion marine peut exister, même si l’on n’en a pas gardé la mémoire.
Quelques plans de prévention des risques avaient été prescrits, beaucoup restent à faire. Et on finit par se demander pourquoi la loi « littoral » n’a pas permis d’agir avant l’élaboration des plans de prévention.
N’a-t-on pas cédé quelque part un peu trop aux sirènes de l’immobilier, en particulier touristique, au mépris de l’intérêt humain ? On ne peut donc qu’être surpris de la précipitation avec laquelle le Gouvernement a décidé des zones noires, des zones d’expropriation, en dehors de toutes les règles que nous connaissons en tant qu’élus, pour la détermination de ces espaces considérés comme lieu où un risque mortel peut être encouru par ceux qui y vivent.
La transformation de ces zones noires en lieu de solidarité, qui est une belle invention sémantique, n’efface pas l’impression d’improvisation laissée auprès des habitants, des élus des secteurs concernés, mais aussi du grand public.
C’est un peu comme si l’État avait voulu faire oublier certaines de ses carences dans la gestion du littoral et du risque de submersion ! Je crois que, sans la mobilisation des populations et des élus locaux, nos protestations à nous, élus nationaux, n’auraient pas été suffisantes pour qu’un autre regard soit porté sur leur situation.
Le travail qu’il nous faut faire aujourd’hui nécessite d’analyser tous les dysfonctionnements afin de vérifier d’abord que les outils existants ont été bien utilisés pour prévenir les risques de submersion marine lors d’une tempête et ensuite s’il en manque.
Quand je dis « outils », je parle d’outils réglementaires et législatifs, mais aussi de moyens pour une meilleure connaissance du risque.
A-t-on mis en place des moyens pour simuler – même si, me dit-on, c’est difficile – une submersion sur l’ensemble de la côte atlantique de façon à voir quelles actions doivent être mises en place pour protéger les lieux quand c’est possible, pour interdire la construction quand on voit que le danger peut être mortel, pour réduire la vulnérabilité des biens et des personnes là où l’on décide de maintenir un habitat et des activités économiques ? Il semble bien que non.
Or, pour avoir participé à l’élaboration des plans de prévention des risques le long de la Loire, je dois dire qu’une telle simulation nous a aidés à comprendre comment le phénomène des inondations pouvait impacter notre territoire et comment mieux y répondre à l’avenir.
Je dis bien « nous », car, contrairement à ce qui vient d’être vécu sur le terrain, même si ce n’était pas la démarche de l’État au début du processus, les élus des communes ont, à l’époque, été associés à l’élaboration des plans de prévention des risques d’inondation, dans une conception non pas seulement d’interdit, mais aussi du devenir des lieux où les règles d’urbanisme changent.
En effet, et c’est un point dont je pense que notre mission doit se saisir pour poursuivre son travail, il est indispensable de prévoir un avenir pour les territoires dans lesquels on pense que le risque est trop grand pour y laisser vivre ou travailler qui que ce soit.
Vous le savez tous, les espaces non gérés deviennent des lieux squattés. La pointe de l’Aiguillon-sur-Mer s’est ainsi couverte peu à peu de petites cabanes qui, avec le temps, se sont transformées en maisons, tout cela sans aucune autorisation, et je pourrais citer d’autres exemples, non seulement sur le littoral mais aussi dans le lit des fleuves.
Aujourd’hui, il faut s’intéresser aux indemnisations des victimes, à leur relogement, à la réinstallation des commerces, à la reprise des voiries et équipements indispensables pour un retour rapide à la vie normale.
C’est véritablement important, et je partage les grandes lignes des propositions de la mission mais aussi les interrogations du rapporteur sur la capacité du fonds Barnier à faire face aux coûts estimés.
Je m’interroge aussi sur la capacité du FISAC à répondre aux besoins exceptionnels liés à cette catastrophe, alors que de nombreux dossiers nécessitent son intervention régulière dans toute la France.
Nous devons aussi regarder l’avenir.
Il faut, dès maintenant, réfléchir aux projets que toutes ces communes vont pouvoir porter pour ces territoires dont il n’est plus possible de maintenir la destination de zones habitables.
Quelle action peut être menée pour aider les collectivités territoriales ?
Vous le savez, leur situation va être très fragilisée, d’autant que les pertes de ressources ne porteront pas seulement sur cette année, problème d’ailleurs récurrent pour tous les territoires soumis aux risques naturels.
Je voudrais également vous alerter, à l’occasion de ce débat, sur un autre sujet.
Si l’État et ses services élaborent avec les collectivités des plans de prévention des risques d’inondation dans lesquels sont édictées des règles d’urbanisme et des conditions de constructibilité, cela nécessite de redonner des capacités d’intervention aux maires sur les transformations réalisées sur un certain nombre de biens.
Les nouveaux textes permettent à un acheteur de transformer son bien sans en informer la commune s’il ne modifie pas la façade du bâtiment. Or, dans le cas d’un redécoupage, si nous exigeons, par exemple, qu’une pièce soit au-dessus des plus hautes eaux connues pour éviter aux populations concernées de courir à nouveau les mêmes risques, il n’y aura aucun moyen de vérifier que le projet est conforme au plan de prévention des risques d’inondation puisqu’aucun dossier n’est à présenter par le propriétaire auprès de la commune où se situe le bien.
Pour terminer, je voudrais en venir à l’alerte, autre sujet ô combien sensible, car c’est grâce à elle, à sa qualité, que l’on peut espérer sauver des vies humaines.
Je partage largement les premières préconisations de la mission, et je veux insister sur la nécessité de messages clairs, décryptés, autrement dit compréhensibles par les non-spécialistes.
La clarté est en effet essentielle pour savoir si l’on déclenche une évacuation ou si l’on invite les habitants à rester chez eux. Cela nécessite également d’avoir les moyens de s’assurer que l’alerte est bien reçue par les responsables.
Cependant, mettre en œuvre les actions préventives dès l’alerte suppose bien évidemment que les plans communaux de sauvegarde soient élaborés. L’État a demandé aux collectivités d’adopter ces plans, mais aucun moyen, particulièrement humain, n’a été mis à la disposition des collectivités pour les réaliser.
Combien de communes de petites tailles, comptant moins de 10 000 habitants, ont la capacité de concrétiser rapidement ces plans ?
Il me semble qu’aujourd’hui, sur cet aspect comme pour les délivrances de permis de construire et pour l’instruction de toutes les autorisations du droit des sols, les collectivités ont besoin d’un accompagnement des services de l’État.
Malheureusement, la révision générale des politiques publiques est passée par là et les personnels de l’équipement sont de moins en moins nombreux pour ces tâches. On voit très nettement la limite de la réduction des effectifs et les risques que ces mesures font peser sur l’application de règles pertinentes pour protéger les populations, les activités économiques et les équipements.
Ne pensez-vous pas qu’il est urgent de revenir sur la saignée de ces services qui avaient pourtant engrangé une expertise dont nous aurions bien besoin pour avancer plus rapidement dans l’élaboration des plans de prévention des risques d’inondation avec les élus ?
Ces services pourraient utilement apporter leur concours pour aider à définir les mesures qui peuvent répondre à la protection des populations.
Ne pensez-vous pas qu’ils seraient utiles à la mise en œuvre de la directive européenne 2007/60/CE du 23 octobre 2007 relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation ?
Celle-ci a été intégrée a minima au sein du Grenelle 2 pour que notre pays se mette rapidement en conformité avec les obligations de transposition.
Le travail des services de l’État avec l’ensemble des partenaires qui doivent être associés devrait, à mon avis, s’appuyer plus largement sur cette directive pour traiter les risques d’inondation sur notre territoire, en tenant compte des diversités de situations, conformément à ce qu’elle préconise.
L’inondation tragique que vient de vivre le Var confirme la nécessité de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour les travaux de prévention des risques et pour la réduction de la vulnérabilité de toutes les constructions afin d’assurer la sécurité des populations qui y vivent.
Enfin, pour respecter mon temps de parole je n’ai pas abordé le plan digues, mais je suis d’accord avec le président de la mission pour dire qu’il ne porte pas très bien son nom… (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.
M. Jean-Claude Merceron. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’heure où le département du Var est en deuil à la suite des pluies torrentielles qui se sont déversées hier, mes pensées vont aux victimes, à leurs familles et à nos collègues sénateurs de ce département. Qu’ils soient tous assurés de ma compassion et de ma solidarité dans l’épreuve.
Cela dit, le débat qui nous rassemble ce soir concerne les conséquences de la tempête Xynthia.
Le dimanche 28 février dernier, la France s’est réveillée sous le choc, en découvrant les dégâts produits par la tempête sur le littoral atlantique et, plus particulièrement, en Charente-Maritime et en Vendée. La nuit d’angoisse et de mort vécue par nos concitoyens sinistrés, Charentais et Vendéens de l’Aiguillon-sur-Mer et de la Faute-sur-Mer, restera gravée dans nos mémoires.
Les images de la submersion marine et les désastres en chaîne déferlaient sur nos écrans de télévision, au fur et à mesure que le courant électrique était rétabli. L’onde de choc était à la mesure de l’horreur de ce désastre.
En Vendée et en Charente-Maritime, départements les plus violemment touchés, les villes du littoral ont été frappées d’inondations mortelles.
La-Faute-sur-Mer et L’Aiguillon-sur-Mer se sont en partie retrouvées sous un à deux mètres d’eau. Cinquante-trois personnes ont péri, dont vingt-neuf à La Faute-sur-Mer.
Jusqu’à un million de foyers ont été privés d’électricité dans une partie de la Bretagne, le Limousin, le Centre et en Auvergne. On n’en finirait pas de faire la liste des dégâts matériels mettant les sinistrés à la rue et bouleversant toute l’économie agricole, ostréicole, artisanale, commerciale et touristique de ces territoires !
Dès le 25 mars dernier, et sans attendre les conclusions des missions de l’État, le Sénat a décidé la création d’une mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.
Le périmètre de réflexion, comme viennent de nous le rappeler nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani, président et rapporteur de la mission, porte sur les systèmes de prévision et d’alerte, sur les dispositifs de prévention et d’indemnisation, sur les règles d’urbanisme et le droit des sols, ainsi que sur le plan de reconstruction et de renforcement des digues.
Je m’associe aux remerciements déjà exprimés a leur endroit, en saluant leur disponibilité et la qualité du travail déjà produit.
En outre, je peux vous assurer, chers collègues membres de cette mission, que j’ai reçu de nombreux témoignages émouvants de Vendéens sinistrés à la suite de la visite qu’ensemble nous avons effectuée au mois de mars auprès des populations.
La première préoccupation étant de tirer les leçons de cette tragédie, la mission s’est donné pour objectif, lors de sa constitution le 31 mars, de formuler des préconisations précises et des mesures concrètes destinées à prévenir le renouvellement d’une telle catastrophe meurtrière.
Dans ce cadre, mon propos a pour objet de rappeler l’obligation de solidarité nationale envers tous les sinistrés, de souligner la « responsabilité partagée » de différents acteurs dans la catastrophe, d’envisager des pistes pour redéfinir la culture du risque qui devrait prévaloir sur notre littoral et, enfin, d’évoquer la question de la protection des populations contre l’action de la mer.
Le plan de soutien annoncé sur place le 16 mars par le Président de La République semble laisser de côté certains sinistrés de la tempête.
Certains attendent toujours des mesures. Je pense notamment aux exploitants agricoles dont les terres ont toutes été recouvertes par de l’eau salée ou à cet éleveur qui a perdu son troupeau de moutons.
Certains se sont vu opposer un refus. Il s’agit d’horticulteurs dont les serres ne pouvaient être préalablement assurées.
Madame la secrétaire d'État, il paraît indispensable, après bientôt quatre mois, de faire le bilan des indemnisations et je vous remercie d’être mon interprète auprès de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
Les responsabilités à tous les niveaux doivent être établies. Je me refuse en revanche à désigner des coupables.
Je tiens ici à saluer l’esprit qui a guidé la mission, loin de l’effervescence qui a agité certains qui très vite dénonçaient des coupables et proposaient des solutions miracles.
La frénésie immobilière est le reflet du développement de toutes les zones littorales attractives, de politiques d’investissements touristiques et de développement économique des territoires. La culture de la villa « les pieds dans l’eau » a poussé l’ensemble des acteurs à participer à cette frénésie immobilière.
Reconnaissons-le, l’effervescence du développement économique a aussi créé des emplois et induit des équipements collectifs, amplifiant l’attrait touristique de notre littoral et lui conférant une valeur certaine.
Ainsi, des risques qui ne valaient pas la peine d’être courus pour de l’argent ont-ils été pris et une catastrophe naturelle s’est transformée en catastrophe humaine de dimension nationale.
Pour autant, nous n’avons pas la culture du risque, comme l’ont reconnu l’ensemble des responsables que nous avons auditionnés.
Le paradoxe, c’est que nous pratiquons la politique du parapluie pour éviter toute responsabilité. Ainsi développons-nous trop souvent une surprotection dont la surdimension finit par créer de faux problèmes et un écran de fumée.
Le principe de précaution est aujourd’hui dévoyé. En surréagissant, toute une chaîne de responsabilité, par crainte d’être désignée coupable depuis la judiciarisation de notre société, se couvre et se surprotège.
La culture du risque est une méthode, qui passe par l’identification du risque, son évaluation, la mise en place de moyens, une responsabilité solidaire, le suivi et la vulgarisation.
Nous sommes tous concernés, et c’est donc une approche sereine du risque qu’avec toute la population nous devons collectivement développer. Ainsi ne serons-nous plus tous potentiellement coupables mais tous effectivement responsables et solidaires.
Permettez-moi de faire référence à la contribution, intitulée « Protection des populations contre l’action de la mer », que j’avais rédigée dans le cadre du Grenelle de la mer, et qui a été retenue parmi les 138 engagements en faveur de la mer et du littoral.
Considérant que les risques pour les populations littorales étaient totalement absents des discussions du Grenelle de la mer, j’avais établi ce texte au printemps 2009, près d’un an avant la tempête Xynthia, pour mettre en garde les autorités et le monde maritime contre les effets cumulés de la surélévation du niveau de la mer et des événements climatiques extrêmes, qui accroissent les risques encourus par les populations et les biens dont la sécurité dépend d’une protection naturelle ou artificielle contre la mer. J’ajoutais que la connaissance hétérogène des points faibles, digues ou cordons littoraux, ne suffisait pas à engager des actions de prévention à hauteur des risques encourus par la population.
Il ne s’agissait pas de prémonition, mais seulement d’une réflexion de bon sens, issue de mon expérience du terrain ; je rappelle que je suis un élu du littoral vendéen.
À partir de ce constat, je proposais que la France se positionne comme leader d’un programme international de protection des populations.
Il s’agissait, dans un premier temps, de montrer l’exemple en établissant un recensement rapide, pragmatique, mais méthodique, de nos côtes métropolitaines et d’outre-mer, pour en identifier les points faibles : altimétrie, état des ouvrages, populations concernées... Il convenait, dans un second temps, de lancer un programme national spécial, contractualisé entre l’État et les collectivités, et indépendant des actuels contrats de projets, afin de financer les priorités arrêtées en concertation étroite avec les collectivités.
En effet, si le plan digues concerne l’engagement financier de l’État, la gestion de ces digues et du maintien du cordon dunaire doit être maintenue au niveau local. Il est souhaitable de conforter les collectivités de proximité dans cette mission de gestion.
Le pré-rapport, dont j’ai pris connaissance avec un grand intérêt, mentionne, dans son dernier chapitre, la protection des populations et le renforcement des digues.
Cité dans l’exposé, le recensement général, qui me paraît indispensable, pourrait être repris dans la synthèse des préconisations de la mission. Mais il nous faut encore travailler...
Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable et craindre de révéler au grand jour une situation critique ! Le grand recensement que j’appelais de mes vœux, il y a plus d’un an, doit être lancé sans attendre.
Les directions départementales des territoires et de la mer disposent d’archives sur les ouvrages et de diverses études. Elles doivent être sorties des placards ! Il faut en faire un grand inventaire dans des délais très brefs ; compte tenu des enjeux, cette tâche ne devra pas prendre plus d’une année. Aucun territoire littoral ne doit y échapper, de nos îles lointaines jusqu’à la Méditerranée.
Cet inventaire sera la première étape d’un bilan de santé des rivages, qui devra être achevé dans deux ans et qui permettra d’évaluer les risques pour les populations.
Nous devons faire ce travail ! À défaut, comment pourrions-nous expliquer à nos concitoyens que rien n’a été fait depuis la tempête Xynthia si, l’hiver prochain ou le suivant, devaient se reproduire des événements similaires, dont la probabilité d’occurrence augmente.
Je tiens à vous rappeler, à la suite de Bruno Retailleau, que les prochaines marées d’équinoxe auront lieu en septembre prochain. Le plan digues, annoncé par le Président de la République, ne suffira pas à faire face à cette nouvelle menace. Nous devons mener une véritable course contre la montre !
Nous attendons toujours l’engagement du financement de l’État, à hauteur de 50 %, pour lancer de toute urgence les ordres de service en vue de la réalisation des travaux.
En conclusion, permettez-moi de saluer le courage des bénévoles, des professionnels et des collectivités qui se sont mobilisés pour secourir et aider les sinistrés de Xynthia. Je remercie également nos concitoyens pour leur élan de solidarité et leur générosité.
Il ne m’a pas été possible, faute de temps, de souligner à quel point il est indispensable de revoir la coordination des systèmes de prévision et d’alerte, ni d’aborder l’épineuse question des zonages et de la démolition de toute habitation située dans ces zones dites « noires ». J’apporte mon soutien aux propositions présentées par nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani sur ces deux points, qui sont repris dans le rapport d’étape.
Tirer les leçons de la catastrophe humaine qui a meurtri le littoral atlantique, pour ne plus jamais revivre une telle situation, telle est notre mission. Prendre les bonnes mesures pour protéger nos concitoyens des aléas climatiques, tel est notre devoir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État., mes chers collègues, les épreuves vécues la nuit dernière, dans le Var, avec leur cortège de drames humains, donnent tout son poids à notre débat.
Comment ne pas avoir une pensée émue pour ces familles endeuillées ? Comment ne pas assurer de notre solidarité tous ceux et toutes celles qui, à l’occasion d’une tempête ou d’une inondation d’une gravité extrême, ont vu leur vie basculer en un instant.
Je ne suis pas de l’un de ces départements cruellement touchés par la dépression météorologique majeure, d’un type tout à fait exceptionnel, qui a dévasté plusieurs zones côtières, dans la nuit du 27 au 28 février 2010, avant de poursuivre son œuvre destructrice en Auvergne et dans les Pyrénées. Mais, comme tous les élus de la République pleinement concernés par ce drame, je m’interroge sur les mesures que nous aurions pu prendre pour éviter une telle catastrophe, et pour en réparer les effets.
Loin de moi l’idée de dresser un bilan accablant tant en termes de prévention que de réparation. Je sais trop que l’on ne peut pas tout prévoir et tout guérir dans l’instant.
Je relève, tout d’abord, que les alertes orange, puis rouge, ont bien été déclenchées, et que les populations ont été invitées à la prudence, et même incitées à s’éloigner de la zone côtière immédiate. Je note aussi l’extraordinaire mobilisation de tous les acteurs concernés, qui n’ont économisé ni leurs forces ni leur énergie pour secourir les dizaines de personnes prisonnières des eaux et leur apporter un peu de réconfort.
Je ne néglige pas non plus toutes les démarches de solidarité qui ont été spontanément engagées pour réparer de façon urgente les dégâts matériels innombrables et, tout simplement, pour permettre à la vie de reprendre son cours.
Nous sommes cependant en droit, ou plutôt « en devoir », de nous interroger sur l’existence éventuelle de dysfonctionnements ou de carences.
Comment expliquer que l’on ait autorisé la construction de maisons dans des zones manifestement inondables ? Méconnaissance des risques, confiance infondée dans un système de digues fragilisées par le temps, pression inconsidérée de promoteurs immobiliers (M. Bruno Retailleau opine), insouciance de propriétaires ayant enfin réalisé leur rêve ? Toutes ces raisons s’additionnent et concourent au désastre que nous avons constaté.
N’existe-t-il pas, pour autant, des garde-fous ? La délivrance de permis de construire n’est-elle pas soumise à des règles, à des normes strictes ? N’y a-t-il pas de plans de protection des risques d’inondation, de dispositifs d’alerte, de plans communaux de sauvegarde, de campagnes d’information des populations ?
Tous ces dispositifs existent et sont prévus soit par la loi, soit par le règlement. Ils relèvent de la compétence de l’État et des collectivités locales. Étaient-ils en place, et convenablement activés ? La réponse n’est pas, me semble-t-il, uniformément positive.
La procédure de catastrophe naturelle est en soi une excellente chose, qui permet d’indemniser les sinistres dans des délais rapides, et selon des modalités spécifiques. Dans ce cas particulier, elle a été déclenchée dès le 1er mars, soit moins de quarante-huit heures après le passage de la tempête Xynthia. Comment expliquer, dès lors, que des personnes sinistrées en soient réduites, aujourd’hui encore, à reconstituer leur patrimoine et à en justifier l’existence pour obtenir des compagnies d’assurances une indemnisation décente ?
Le Gouvernement s’est engagé, pour sa part, à intervenir auprès des acteurs économiques les plus durement touchés : les agriculteurs dont les sols et les plantations ont été inondés et détériorés par l’eau de mer, les ostréiculteurs qui ont perdu tout ou partie de leurs exploitations, les artisans et les chefs d’entreprises privés de leur outil de travail.
Pouvons-nous obtenir l’assurance que le plan d’aide et d’allégement des charges est pleinement mis en œuvre ? Je serai attentive, madame la secrétaire d’État, aux réponses que vous nous apporterez pour l’ensemble des secteurs concernés.
Comment ne pas évoquer, enfin, cette mauvaise pièce de théâtre à laquelle nous avons assisté, quelque peu abasourdis ? Chacun y est allé de sa tirade, ajoutant maladresses sur maladresses, avant de reconnaître qu’une « erreur de communication » avait été commise.
Était-ce vraiment une erreur de communication que de dire haut et fort que l’État ne laisserait pas se réinstaller dans leurs maisons, si elles présentaient des risques mortels, des propriétaires en pleine détresse, comme de dire, quelques jours plus tard, que les « zones noires », devenues entre-temps « zones de solidarité », n’étaient pas complètement délimitées ? Quelle maladresse, oui, vraiment quelle maladresse, de balayer en un instant la vie entière de personnes fragilisées psychologiquement par le drame vécu !
Je veux donc espérer que les réflexions menées aujourd'hui au plan local, avec les préfets et l’ensemble des acteurs locaux, pour poser de nouvelles bases de travail et établir un zonage d’acquisition amiable, permettront de trouver une voie de rationalité et d’équilibre de nature à répondre aux exigences de sécurité et à satisfaire les attentes légitimes de la population.
J’en viens au plan digues, présenté comme la solution salvatrice. Permettez-moi d’en souligner les difficultés pratiques majeures.
Tout d’abord, quel est le statut de ces digues ? À qui appartiennent-elles ? À l’État ? Aux collectivités locales ? Aux propriétaires riverains ? Qui est chargé de leur entretien, de leur surveillance ?
À cet égard, la loi de 1807 est imprécise. Quant à la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, qui établit la nécessité de mener des études de dangerosité concernant les digues, elle n’apporte guère de réponses.
Ce plan digues, dont on ignore la forme et le contenu, devrait permettre, au préalable, de clarifier ces points de droit.
Je m’interroge, en outre, sur le plan digues lui-même. Pouvez-vous nous dire, madame la secrétaire d’État, si des solutions alternatives ont été envisagées ?
Les zones côtières ne présentent assurément pas les mêmes spécificités sur le plan de la géographie physique. Il faudrait peut-être envisager d’autres moyens de défense contre la mer ; je pense, notamment, aux polders.
J’ajoute que ce plan, dont, je le répète, le contenu n’est pas encore défini, entraînera obligatoirement des dépenses. Or le montant des crédits susceptibles d’être alloués à ces travaux n’a pas été évoqué.
Madame la secrétaire d’État, je comprends que l’on réagisse à une situation aussi exceptionnelle, et pour partie imprévisible, à ce grand chaos, de façon également chaotique et désordonnée. Mais personne ne comprendrait, autour de nous, que le Gouvernement ne mette pas tout en œuvre pour en finir avec un système confus de responsabilité collective. Il faut instaurer une véritable culture du risque à laquelle la population doit être associée, par des exercices concrets d’évacuation, par exemple. Ainsi pourra-t-on élaborer une vraie doctrine générale de sécurité civile.
Nous savons, madame la secrétaire d’État, que nous pouvons compter sur vous. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce soir porte sur les conséquences de la tempête Xynthia, qui a traversé la France les 27 et 28 février dernier et a provoqué la mort de plus de cinquante personnes. Comme les orateurs précédents, je m’incline devant toutes les victimes et exprime à leurs familles ma solidarité.
La gravité de cette tempête a justifié la reconnaissance quasi immédiate – cela a été souligné – de l’état de catastrophe naturelle.
Ce drame soulève plusieurs questions. Quelles sont les conséquences pour les victimes de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ? Pourquoi les digues ont-elles cédé et qu’en est-il en matière de responsabilité ? Les systèmes de prévision des submersions marines étaient-ils suffisamment performants ? Des dysfonctionnements ont été relevés : quels sont-ils et quelles en sont les causes ?
C’est pour répondre, entre autres, à ces interrogations que la mission commune d’information a été constituée. En effet, nous avons le devoir de tirer toutes les conséquences de ce drame, qui, comme l’ont noté tous les observateurs, résulte de la conjonction de plusieurs facteurs, dont un fort coefficient de marée, des carences en matière d’urbanisme, des défaillances humaines.
Après le président de la mission susvisée, je veux à mon tour souligner la sérénité et l’objectivité qui ont présidé aux auditions de celle-ci, permettant ainsi une réflexion approfondie et sans tabou. Les personnalités de son président, Bruno Retailleau, et de son rapporteur, Alain Anziani, n’y sont sans doute pas étrangères.
Je veux également souligner que, au moment où il est de bon ton de critiquer les parlementaires, en particulier les sénateurs, une telle mission témoigne du rôle utile de contrôle de ces derniers sur l’exécutif.
Mon intervention se concentrera autour de cinq points : la procédure d’alerte, la définition des fameuses zones noires, la problématique des digues, les règles d’urbanisme et, enfin, l’indemnisation tant attendue des agriculteurs.
En matière d’alerte, quels éléments maîtrisions-nous ? Nous savions que les tempêtes ont des conséquences sur le niveau de la mer. Nous connaissions les horaires des marées. Nous étions au courant de l’existence de digues mal entretenues. Nous avions également connaissance de l’existence d’habitations en zones initialement réservées à des fins agricoles en raison de leur caractère inondable.
Les conséquences d’une tempête telle que Xynthia étaient donc très largement envisageables. D’ailleurs, les populations ont été alertées dans de très nombreux endroits, même si les risques majeurs les plus souvent signalés étaient liés aux vents forts.
C’est la conjonction spatiale et temporelle de tous ces éléments, connus et appréhendés séparément, qui était peut-être la plus difficile à prévoir.
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Absolument !
M. Ronan Kerdraon. À quelques heures près, à marée basse par exemple, les inondations auraient pu ne pas avoir lieu.
Alors, que s’est-il passé ?
Dès le samedi 27 février au soir, Météo-France avait prévu l’heure d’arrivée du plus fort de la dépression. Nous disposions donc a priori de l’ensemble des éléments permettant de déclencher l’alerte.
Mais, mes chers collègues, notre système d’alerte est quelque peu désuet. Nous avons tous été stupéfaits de l’apprendre lors de l’audition du directeur de la sécurité civile : notre système d’alerte date de 1930... Chacun d’entre nous, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège dans cette assemblée, conviendra que les moyens technologiques existants aujourd’hui devraient permettre d’en améliorer sensiblement la précision et l’efficacité.
Élu d’une commune littorale des Côtes-d’Armor, heureusement moins touchée que celles de Charente-Maritime ou de Vendée, je peux attester de certains dysfonctionnements dans le système d’alerte.
Il ne sert à rien, en effet, d’envoyer un message d’alerte par fax à une mairie un samedi soir, alors que personne n’est là pour le réceptionner. De surcroît, la rédaction d’un tel message est parfois peu compréhensible par un non-professionnel ou un non-scientifique. Tous les maires ne sont pas en mesure de comprendre le jargon technique. L’occasion m’est donnée de saluer les élus et les personnels assurant la sécurité publique, qui se sont mobilisés sans compter.
Actuellement, diverses associations départementales de maires de France mènent un certain nombre de réflexions. Mutualisons ces réflexions ! Nous ne pouvons plus nous contenter du système actuel !
J’en viens aux zones noires. Au départ, la mission commune d’information ne devait pas s’y intéresser. Mais, lors de nos déplacements en Charente-Maritime et en Vendée, nous avons tous été choqués, quelle que soit notre appartenance politique, par la méthode retenue pour délimiter les zones sinistrées et pour prendre les mesures qui s’imposaient.
Les échanges que nous avons eus à Charron comme à Châtelaillon, aussi bien avec les élus qu’avec les habitants, me conduisent à penser que les décisions ont été adoptées dans la précipitation et sous le coup de l’émotion publique. Sans trop m’avancer, je dirai que ce sentiment est partagé par la plupart des membres de la mission.
Bien sûr, il fallait prendre en compte la gravité de la situation, mais de là à mettre en place systématiquement des zones noires… C’était exagéré !
J’ai en mémoire les propos tenus par la totalité des élus charentais lors de notre rencontre à Châtelaillon : ils déploraient que certaines parcelles ayant subi une submersion marine de plus de 1,80 mètre n’aient pas été classées en zone noire, au motif – et je cite leurs propos – qu’elles ont été considérées comme « économiquement insoutenables ». Ce n’est pas normal !
Paradoxalement, à proximité de ces zones non classées, le village des Boucholeurs, situé sur la commune de Châtelaillon, se retrouvait lui en zone noire, en raison de la présence de quelque 10 ou 20 centimètres d’eau dans deux ou trois maisons.
Où est la logique, où est la cohérence d’une telle approche ?
Je comprends la colère et le sentiment d’injustice exprimés par les personnes concernées, sentiment renforcé par le fait que très peu d’entre elles ont rencontré les experts en cause.
C’est d’ailleurs, précisons-le, la venue de la mission commune d’information sénatoriale en Charente-Maritime et en Vendée qui a conduit le Gouvernement à requalifier ces zones noires en « zones de solidarité ». N’aurait-il pas été plus simple et plus humain de prendre une telle décision la première semaine, au lieu d’imposer des zones tracées à la hache ?
Avec dix centimètres d’eau, le courant n’est pas un critère ; certes, on est en danger à cinquante mètres d’une digue, mais il faut expliquer cela à nos concitoyens.
Il fallait définir cette zone non pas comme une « zone de solidarité », mais comme une zone d’acquisition, de négociation afin justement d’engager des pourparlers avec les habitants qui voulaient partir ! Il fallait effectuer une analyse au cas par cas. Surtout, il ne fallait pas provoquer un tel désarroi ! La plupart de ces habitants étaient des victimes !
Les choses auraient pu et auraient dû se faire dans la sérénité, lors des réunions organisées par les préfets, d’autant que des travaux, réalisés de longue date en concertation avec des experts, des scientifiques et des élus locaux, qui connaissent bien leurs territoires, étaient possibles.
Abordons maintenant la question des digues.
En raison des nombreuses victimes, la tempête Xynthia soulève des questions quant à la construction des digues et aux règles de sécurité, notamment dans les zones inondables, interrogations sur lesquelles s’est penchée la mission commune d’information.
La gestion des digues est problématique – Mme Escoffier l’a souligné –, car nombreuses sont celles qui n’appartiennent à personne, aucun propriétaire n’étant connu et l’État ne se considérant pas comme tel. Cette situation est liée pour partie à l’ancienneté de ces ouvrages ; de ce fait, aucun acte administratif de propriété ne les régit. Dans ce cas, qui a la charge de leur entretien ? Est-ce à l’État d’en assumer les frais, même s’il n’est pas à proprement dit le propriétaire ?
Récemment, la réglementation s’est faite plus contraignante. La loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques a été suivie d’un décret du mois de décembre 2007, qui établit, notamment, la nécessité de mener pour les digues des études de dangerosité.
Ces audits, à la charge des propriétaires des digues, doivent établir les risques que celles-ci font courir aux personnes proches ou aux installations publiques et industrielles.
Un premier problème se pose : quid de ces audits quand les digues n’ont pas de propriétaire ?
En fonction des résultats, les propriétaires doivent être capables de surveiller leurs digues, de les entretenir et d’en prévenir les défaillances, cela sous le contrôle des services territoriaux de l’État, de moins en moins nombreux, comme l’a rappelé ma collègue tout à l’heure.
Un second problème surgit : les travaux qui en découlent sont souvent très coûteux, donc hors de portée des associations de riverains ou des communes. Alors que fait-on ?
Une digue doit être contrôlée et entretenue régulièrement, il n’est qu’à prendre l’exemple des Pays-Bas. Depuis la catastrophe nationale de 1953, les Néerlandais ont défini une stratégie nationale ambitieuse de prévention du risque de submersion marine à travers l’élaboration des plans Delta I et Delta II.
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Exactement !
M. Ronan Kerdraon. Ainsi, près de un milliard d’euros y sont consacrés chaque année.
En France, voilà six ou sept ans, l’État a revu sa doctrine en matière de digues : en raison de décès provoqués par la rupture d’ouvrages sur effet de vagues, notamment dans le Gard et l’Aude, il a abandonné la construction de digues de protection. À l’époque, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l’écologie et du développement durable, s’était même opposée à la création de polders, ces étendues artificielles de terre dont le niveau est inférieur à celui de la mer, et qui, réalisées par drainage, provoquent l’assèchement des marais, estuaires, lacs ou zones littorales.
Le fait que les digues soient gérées par de multiples acteurs, disposant de peu de moyens et ayant parfois des intérêts contradictoires, nuit sérieusement à l’efficacité du système.
Un programme de réfection des ouvrages endommagés et, de manière plus générale, un programme de réfection des digues en France doit s’intégrer dans une politique globale de prévention, engagée surtout, comme cela a été indiqué, dans la concertation.
Quelle est la base législative actuelle ? L’article 33 de la loi impériale du 16 septembre 1807 ! La frénésie législative que nous connaissons d’habitude n’a pas conduit à actualiser ce mode de gestion, et c’est bien dommage !
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Il faut bien le reconnaître !
M. Ronan Kerdraon. Je le répète : aucune collectivité locale n’a seule les moyens de construire ou d’entretenir des digues ! Dès lors, la solution ne peut venir, à mon sens, que d’une étroite coopération entre l’État et les collectivités locales. Il faut fédérer, autour d’un territoire à risques, l’ensemble des intervenants de proximité que sont les collectivités locales et les propriétaires, et les décisions doivent être prises en liaison avec l’État, qui assurera la maîtrise d’ouvrage.
Mais, mes chers collègues, un tel scénario ne peut reposer que sur un transfert de la gestion des ouvrages soit aux communes et à leurs groupements, soit aux départements. Quoi qu’il en soit, la collectivité locale doit être obligatoirement associée aux travaux.
Un pilotage plus exigeant et, je le répète, de proximité, s’impose ! Une telle démarche serait d’ailleurs en totale cohérence avec la transposition intégrale de la directive européenne relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation.
Comme toute catastrophe de ce type, la tempête Xynthia ravive également le débat sur la délivrance de permis de construire en zone inondable.
Les règles en la matière sont insuffisantes car elles ne prennent en considération ni l’ensemble des facteurs de risque ni l’ensemble des constructions situées en zone sensible.
Dans les secteurs où le risque est le plus faible, certaines constructions peuvent sans doute être autorisées par la mairie. Encore faut-il entourer cette possibilité de garanties. Les occupants devront prendre les mesures de prévention et de sécurité qui s’imposent en cas d’inondation. En outre, il est clair que le contrôle de légalité doit être en la matière systématique.
Il faut développer, en France, la culture du risque car le risque zéro est illusoire.
En ce sens, la proposition de l’Association nationale des élus du littoral, l’ANEL, d’élaborer un schéma de cohérence territoriale, un SCOT, littoral me semble pertinente et mérite d’être étudiée.
J’en viens enfin à la nécessaire indemnisation des agriculteurs.
À ce jour, seules les premières sommes du Fonds national de garantie des calamités agricoles, le FNGCA, ont été débloquées ainsi que les indemnités liées aux contrats d’assurance privée souscrits par les professionnels.
L’Europe se montre tatillonne en ce qui concerne l’utilisation des fonds de solidarité. C’est pourquoi, lors du récent examen par notre assemblée du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le président de la mission commune d’information, Bruno Retailleau, a alerté M. Bruno Lemaire, dont je déplore la réponse.
En conclusion, je trouve regrettable que les questions liées à la prévention des risques naturels ne soient traitées que lorsque survient une catastrophe de l’ampleur de celle que nous avons connue et je forme le vœu que les propositions contenues dans l’excellent pré-rapport de la mission commune d’information soient transcrites dans notre législation au plus tôt. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, presque quatre mois après le passage de la tempête Xynthia, ce débat sur les conséquences de la tempête révèle toute son acuité, compte tenu des très nombreuses questions en suspens.
Tout d’abord, je souhaite m’associer à l’inquiétude exprimée par mes collègues de la mission à propos de la définition des périmètres qui ont été fixés, particulièrement en Charente-Maritime, avec une très grande confusion, une très grande précipitation et un manque certain de transparence. Je n’en dirai pas plus étant donné que mon collègue de Charente-Maritime Michel Doublet interviendra sur ce point précis.
Vous remarquez, madame la secrétaire d’État, la cohérence et la complémentarité de nos propos avec ceux de la mission, qui vont tous dans le même sens. J’espère qu’ils seront suivis d’effets !
J’axerai mon intervention sur la problématique des digues, de leur financement et de la programmation des travaux. En effet, les élus, les associations syndicales de propriétaires, les professionnels et les riverains attendent des réponses pour pouvoir enfin se projeter dans l’avenir.
Rappelons que l’une des principales conséquences de la tempête du 28 février 2010 a été la destruction, ou la forte détérioration, des digues ou des ouvrages de protection des côtes, dont l’une des vocations premières est la protection des populations.
Une grande partie du territoire de la Charente-Maritime est constituée de terres basses, sur près de cent cinquante kilomètres de la baie de l’Aiguillon à l’estuaire de la Gironde. Les marais littoraux couvrent environ 100 000 hectares sur les 600 000 hectares que compte le département.
En dehors des agglomérations, les digues de protection sont presque exclusivement en terre, sans autre dispositif permettant de lutter contre l’érosion. Elles protègent non seulement des marais agricoles, conchylicoles ou salicoles, mais également des infrastructures importantes et des zones bâties implantées à l’abri de ces digues.
Dans leur grande majorité, leur construction lointaine, puis leur entretien ont été entrepris et assurés par les propriétaires des terres agricoles, regroupés en associations syndicales de propriétaires. Ainsi, ces ouvrages, que l’on pouvait qualifier de bien commun des associés, sont devenus des ouvrages d’intérêt collectif.
Ces digues de protection agricole sont devenues progressivement des digues de protection de larges zones bâties. Il est donc temps de prendre en compte les digues en terre de marais comme n’importe quel autre ouvrage de protection du territoire, et d’ajouter à la prise en charge de la sécurité des personnes et des lieux bâtis, la sécurité des biens agricoles qui constituent l’outil de travail de nombreux agriculteurs et éleveurs.
Or, la crise économique que traverse le secteur primaire interdit aux exploitants d’assumer plus de 10 % des frais d’entretien de ces ouvrages, qui doivent de plus intégrer des contraintes environnementales ou architecturales excessives et dispendieuses.
Jusqu’à une date récente, le conseil général de la Charente-Maritime participait financièrement, avec l’aide de l’État et de l’Europe, via le FEOGA ou le FEDER, aux travaux d’entretien de ces ouvrages. Le cumul des aides accordées s’élevait à 70 % ou 80 %. Or, les interventions de l’État et de l’Europe ont récemment diminué, voire disparu.
La multiplicité des intervenants, État, collectivités territoriales, associations de propriétaires privés, l’enchevêtrement des responsabilités, le manque de moyens, ont inexorablement conduit à un défaut d’entretien des digues. Malheureusement, la conjonction exceptionnelle d’une forte dépression, d’une marée à coefficient élevé et d’une surcote a eu les conséquences dramatiques que l’on connaît.
Aujourd’hui, la reconstruction est en marche. S’agissant des travaux d’hydraulique agricole devant être exécutés dans les zones humides, nous avons pu obtenir une dérogation exceptionnelle afin de permettre l’exécution de travaux en secteur Natura 2000 durant les mois d’avril à juin. Nous vous en remercions.
Les premières réparations ou confortations intervenues sur les digues dites « d’urgence 1 » ont pu bénéficier de dispositions dérogatoires. Ces travaux d’urgence ont été réalisés pour un montant de 6,5 millions d’euros financés par l’État. Des travaux complémentaires ont été commandés et payés par le conseil général de la Charente-Maritime pour un montant d’environ un million d’euros, avec une participation du FEDER à hauteur de 40 % du montant hors taxes.
Les travaux de la seconde phase, estimés à 12 millions d’euros, doivent être impérativement engagés avant les grandes marées d’équinoxe de septembre, sous peine d’une nouvelle catastrophe, tant les digues sont affaiblies et les confortements réalisés en première urgence précaires. Cela est notamment vrai en Charente-Maritime, comme il a été dit.
Le conseil général s’est porté maître d’ouvrage de ces travaux, alors même que ces ouvrages situés pour leur quasi-totalité sur le domaine public maritime ne sont pas la propriété du département. D’ores et déjà, le conseil général a sollicité une participation du FEDER à hauteur de 40 % du montant hors taxes. L’État doit également abonder financièrement ces opérations. Mais nous avons toujours des incertitudes concernant les digues agricoles établies sur fonds privés.
Enfin, en ce qui concerne le plan digues à dix ans, le coût des travaux en Charente-Maritime est estimé à environ 155 millions d’euros. Il conviendra de réfléchir à la conception de ces ouvrages afin de renforcer leur efficience.
Comme l’a très justement dit précédemment notre rapporteur, Alain Anziani, il convient de mettre en place un plan digue réfléchi, concret, solide dans le temps, comme cela a été fait aux Pays-Bas, afin que l’argent public ne soit pas dépensé inutilement.
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Très bien !
M. Daniel Laurent. La Commission européenne a, semble-t-il, donné son accord pour contribuer au financement de ces opérations dans le cadre de l’axe 2 du programme opérationnel européen FEDER 2007-2013, au titre du cofinancement des actions des phases 1 et 2 des travaux.
Madame la secrétaire d’État, sans une aide importante de l’État, de l’ordre de 50 % du montant global des travaux, nous ne pourrons réaliser ces opérations indispensables au maintien de l’intégrité de nos territoires. Le conseil général de la Charente-Maritime est prêt à engager les chantiers demain. Seule fait défaut la décision de l’État de participer à ce financement.
Je vous prie de comprendre et d’excuser mon insistance, madame la secrétaire d’État !
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Notre insistance !
M. Daniel Laurent. Notre insistance en effet ! Mais nous avons besoin d’avoir rapidement la certitude que l’État sera à nos côtés pour mener à bien ces projets indispensables pour la sécurisation de notre territoire et l’avenir des générations futures. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la tempête Xynthia a lourdement frappé le littoral atlantique le 28 février dernier. C’est une catastrophe qui a endeuillé la Charente-Maritime, la Vendée et la France tout entière.
Malgré la forte mobilisation des secours et le grand courage avec lequel ils sont intervenus, cinquante-trois personnes ont péri et soixante-dix-neuf ont été blessées. La mémoire de ces victimes, ainsi que la douleur de leurs familles sont toujours présentes à l’esprit des membres de la mission et il nous appartient de trouver des solutions afin qu’un tel drame ne puisse se reproduire.
La France fait face, depuis plus d’une dizaine d’années, à des catastrophes naturelles d’ampleur exceptionnelle telles Xynthia ou celle qui est survenue dans le Var il y a à peine quelques heures. Je voudrais à mon tour exprimer mon soutien aux familles touchées par ce nouveau drame.
Chaque fois que de tels événements se produisent, des controverses voient le jour et sèment le doute quant à notre capacité à anticiper de tels risques et à y faire face. La tempête Xynthia en fournit une bonne illustration puisqu’elle met en évidence de graves défaillances de la part des pouvoirs publics.
Cette défaillance est évidente par exemple en matière d’urbanisme à travers l’occupation des sols. En effet, les membres de notre mission ont tous été stupéfaits de constater que certaines habitations sinistrées avaient été construites sans permis, qui plus est sur le domaine public maritime.
C’est notamment le cas de cent cinquante habitations situées dans le secteur de la Pointe, sur la commune de l’Aiguillon-sur-mer. Ces constructions, totalement illégales, n’auraient jamais dû être tolérées par les services préfectoraux. Par ailleurs, lorsque des permis de construire ont été délivrés, ils n’ont pas tenu compte du risque d’inondation pourtant indéniable puisque les terrains se situaient en dessous du niveau de la mer.
À ce sujet, il est à noter que la fédération française des sociétés d’assurance a classé huit cents communes dans des zones dites « à risque de submersion marine » entre zéro et deux mètres au-dessus du niveau de la mer. Pour autant, 235 000 maisons y sont construites.
Pourtant, le zonage instauré par les plans locaux d’urbanisme peut tout à fait être utilisé pour protéger les populations, soit en déclarant certaines zones inconstructibles, soit en assortissant de prescriptions les permis de construire délivrés.
Mais cela n’a pas été le cas dans les communes touchées par la tempête Xynthia. Quant aux plans de prévention des risques naturels, déclinés en plans de prévention des risques d’inondation, les communes les plus touchées par la tempête n’en étaient pas dotées. En effet, comme vous l’avez confirmé vous-même, madame la secrétaire d’État, seuls quarante-six plans ont été approuvés et soixante et onze prescrits, sur les 864 communes littorales.
De plus, lorsque ces plans existent, ils ne sont pas pour autant efficaces. En effet, le rapport de la mission relève que les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde, imposées aux collectivités et aux particuliers, sont souvent insuffisantes et peu argumentées. En pratique, la simple annexion des plans de prévention des risques d’inondation aux documents d’urbanisme n’entraine pas nécessairement de cohérence entre les deux.
Ainsi, nous sommes face à une sous-estimation générale des risques en France. À la suite de cet épisode tragique, il apparaît nécessaire de réaliser un bilan de l’exposition des communes littorales au risque d’inondation et de submersion marine et d’évaluer les risques encourus. La gestion du risque et l’aménagement du territoire ne peuvent être disjoints.
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Absolument !
Mme Nicole Bonnefoy. Il s’agira de mettre en place les mesures de précaution et les moyens permettant de s’y préparer afin d’éviter la mise en danger des personnes, par un renforcement des digues, une cartographie des zones inondables, des prescriptions de construction, voire d’expropriation quand cela est nécessaire, afin de restaurer les zones naturelles qui peuvent servir de tampon en cas d’inondation.
Concernant les zones noires, j’estime qu’il faut revenir sur le processus de leur mise en place, qui a débouché sur une incompréhension, voire sur la colère des sinistrés. Ces derniers ont perçu l’action de l’État comme empreinte de brutalité, d’opacité et de manque d’écoute.
En effet, le Gouvernement a laissé trop longtemps planer le doute sur ses intentions, en qualifiant certaines zones sinistrées de « zones de danger mortel », laissant entendre qu’une expropriation massive des résidents était envisagée. Ce sentiment a été exacerbé par le manque de transparence du processus de délimitation des zones à risque, notamment par le refus des préfectures de communiquer aux associations de victimes les études sur lesquelles les experts s’étaient appuyés pour délimiter lesdites « zones noires ».
Lors des auditions menées par la mission, les experts nationaux ont admis que les cartographies des « zones noires » avaient été effectuées de manière « théorique » et conçues « à dires d’expert ». Les sinistrés ont tous, à ce propos, déploré et dénoncé le caractère unilatéral de l’action de l’État.
L’incompréhension a été renforcée lorsque la cartographie, rendue publique, a fait apparaître dans les fameuses zones noires, des propriétés très peu touchées, alors que d’autres, particulièrement atteintes, n’y figuraient pas. Il aura fallu attendre que la situation locale s’envenime et que des protestations surgissent de l’opinion ainsi que des élus locaux, pour que le Gouvernement se rétracte, en requalifiant les « zones noires » en « zones de solidarité ».
Je crois que cette expérience devrait pousser, à l’avenir, les pouvoirs publics à plus de retenue dans leurs annonces. Il est intolérable de laisser planer le doute durant plusieurs semaines sur le sort réservé à des citoyens en proie au désarroi ! Le rôle des pouvoirs publics dans une telle situation est, au contraire, d’apporter une écoute et d’agir en concertation étroite avec les élus et les sinistrés, ou les associations qui les représentent.
Les relations entre l’État et les sinistrés doivent être revues à l’aune de ce constat, afin de ne pas renouveler une communication que je me permettrai de qualifier de désastreuse.
Je voudrais maintenant souligner le rôle important joué par les collectivités territoriales. À l’heure actuelle, nous ne connaissons pas le coût total engendré par la tempête Xynthia, tant pour le budget de l’État que pour les collectivités territoriales et les sinistrés. Nous savons cependant qu’il sera colossal !
En ce qui concerne les sinistrés, lors de leurs auditions, les deux fédérations d’assureurs nous ont fait part de leur volonté de procéder à des indemnisations dans des conditions favorables aux victimes, et c’est tant mieux.
Par exemple, en réponse aux inquiétudes légitimes des sinistrés quant au risque de sous-estimation de leurs biens, France Domaine a indiqué que la consigne avait été donnée aux évaluateurs de chercher à déterminer la valeur du bien antérieurement à la catastrophe, sans aucune prise en compte du risque potentiel ni de la vétusté du logement, et en s’appuyant sur les statistiques du marché de l’immobilier en 2009.
Les assurances ont aussi accordé aux victimes des facilités en matière fiscale et sociale.
Parallèlement à l’indemnisation des particuliers, il faut absolument apporter une aide aux collectivités. Ce sont elles qui ont été en première ligne et qui ont dû faire face aux urgences, en mobilisant des moyens humains et financiers importants.
Nous savons que la reconstruction va exiger des moyens financiers conséquents, que ces mêmes collectivités ne pourront supporter seules !
Il est donc nécessaire que l’État s’engage rapidement et clairement à leurs côtés ! Il doit les aider à réparer les dommages aux biens non assurables tels que la voirie, les ponts et ouvrages d’art, les réseaux d’adduction d’eau et d’assainissement.
Lors de son audition, le ministre de l’intérieur nous a dit intervenir à hauteur de 40 % au titre de la solidarité nationale. Ce taux nous paraît relativement faible face à l’ampleur de la catastrophe, d’autant que, d’après les premières estimations des services préfectoraux, les dommages sur les biens non assurables s’élèveraient à 117 millions d’euros pour les quatre départements les plus touchés, avec plus de 70 millions d’euros restant à la charge des collectivités.
J’espère que l’État va mettre en place les moyens nécessaires pour que les collectivités ne se retrouvent pas dans une situation financière ingérable, face à l’ampleur des dégâts engendrés par la catastrophe.
De plus, il faut également avoir à l’esprit que les collectivités locales sinistrées vont subir des pertes fiscales importantes de par la démolition d’habitations situées en zone d’acquisition amiable. Elles vont donc se voir privées de ressources fiscales telles que la taxe d’habitation ou la taxe sur le foncier bâti. Cet aspect ne doit pas être négligé : la mission a évalué cette perte de recettes fiscales à 1,8 million d’euros !
Afin de faire face à une situation qui peut s’avérer critique pour les collectivités, la mission propose de mettre à l’étude un mode de compensation des pertes de recettes fiscales induites par la démolition des maisons situées en zone d’acquisition amiable.
En conclusion, j’espère que les pouvoirs publics tireront toutes les conséquences de cet événement tragique. Notre mission d’information a soulevé de nombreux dysfonctionnements, auxquels il va falloir apporter des réponses concrètes. Nous avons tenté collectivement de formuler des recommandations en ce sens, mais il est temps que la France se dote d’une politique globale et cohérente de gestion des risques naturels. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.
M. Michel Doublet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsqu’on ne passe pas en vedette américaine, le risque est de répéter ce qui s’est dit auparavant… (Sourires.)
Le 28 février dernier, la tempête Xynthia a meurtri et endeuillé la Charente-Maritime et la Vendée. Quatre mois après ce drame, je crois que nous pouvons avoir une pensée pour les victimes et leurs familles. En cet instant, je n’oublie pas non plus les victimes des intempéries qui ont frappé hier le département du Var.
Malgré la charge de responsabilité dont on a voulu « parer » les élus, ce sont bien les maires qui ont été en première ligne pour faire face. Saluons l’action exemplaire des services publics, des collectivités locales et de l’ensemble des acteurs concernés pour remettre nos départements en état !
À l’aube de la saison estivale, rappelons que nous sommes prêts pour accueillir les vacanciers. Cette ressource est vitale pour notre économie locale, et vous êtes donc les bienvenus en Charente-Maritime et en Vendée, mes chers collègues ! (Sourires.)
Je ne reviendrai pas sur la problématique des digues, qui vient d’être développée par mon collègue Daniel Laurent, mais j’évoquerai une question particulièrement sensible, celle de la cartographie des zones à risques, qui a provoqué, dès son annonce, ire, incompréhension, exaspération ou encore sentiment d’injustice,… la liste des qualificatifs n’étant malheureusement pas exhaustive.
Une fois encore, ce sont les élus et les sinistrés, qui se sont constitués en associations, qui doivent faire l’interface avec les services de l’État pour que l’intérêt collectif, mais également individuel, soit pris en compte.
En effet, l’annonce de la cartographie des « zones noires ou de solidarité » – à vrai dire, on s’y perd ! – a suscité une vive émotion parmi la population. Nous avons tous reçu, au lendemain de l’annonce, pléthore de messages circonstanciés arguant du caractère ubuesque de ces classifications, d’appels à l’aide – le mot n’est pas trop fort –, d’expertises fortement documentées ; je pense notamment aux travaux de l’université de La Rochelle sur l’histoire des submersions marines, ou vimers, pour reprendre une terminologie rétaise, ou encore au colloque actuellement en préparation sur les littoraux à l’heure des changements climatiques.
Ce sentiment d’injustice a été décuplé par le manque total de transparence du processus de zonage et le refus de communication aux victimes et aux élus des études ayant servi à l’élaboration de la cartographie, entraînant de facto suspicion et confusion.
Aux termes de la circulaire du 18 mars 2010, sont considérées comme « zones de solidarité » les zones remplissant au moins deux des critères suivants : hauteur d’eau constatée sur le terrain supérieure à un mètre ; zone située à moins de 110 mètres d’une digue ; phénomènes hydrauliques induisant une forte vitesse de montée des eaux ; habitations fortement endommagées ne pouvant être reconstruites avec un refuge ; zone formant un ensemble cohérent et homogène et ne créant pas de mitage – le maintien de propriétés éparses risque en effet de rendre l’évacuation plus difficile.
Ce zonage est complété par les « zones jaunes », définies comme zones à risques, qui seront grevées de prescriptions particulières de protection, et les « zones orange », pour lesquelles une expertise complémentaire est en cours.
Ainsi, des maisons ont été classées en « zone de solidarité » alors qu’il n’y avait pas eu de submersion, tandis que d’autres sinistrés demandaient en vain leur classement « en zone de solidarité » ; je pense notamment au secteur de Pied-du-Coteau sur la commune de Port-des-Barques, déjà fortement touché par la tempête de 1999, et dont les résidents demandent leur classement en « zone de solidarité » ou, comme le souhaite la mission sénatoriale, en « zone d’acquisition amiable ». L’incompréhension est donc totale.
En voulant éviter de maintenir les sinistrés dans une situation d’incertitude, on a établi une cartographie en un temps record, en faisant l’impasse sur de nombreuses données pourtant essentielles, mais surtout en omettant de procéder à une vérification in situ et de mener une concertation avec la population et les élus.
Par exemple, le plan de submersion de l’île d’Aix, remis par les services du département, comportait, d’après ce que le maire nous a rapporté, de nombreuses lacunes, les « experts » ayant travaillé sur un plan de nivellement incomplet et n’ayant pas pris l’attache de la mairie.
Résultat : aujourd’hui, l’incertitude demeure sur l’avenir de ces maisons, et cette situation est fortement anxiogène. Aux Boucholeurs, chez notre collègue député Jean-Louis Léonard, un nouveau zonage a été réalisé à la suite d’expertises complémentaires : des maisons passeraient ainsi en zone jaune, quand d’autres deviendraient « noires ». Or ce nouveau zonage ne convient absolument pas aux élus, en raison de son manque de réalisme.
Les communes et les riverains qui demandent leur classement en « zone d’acquisition amiable », pour reprendre la terminologie idoine, ont déjà travaillé sur des plans de reconstruction, mais n’ont à ce jour aucune visibilité sur une programmation éventuelle, alors que les conséquences sont vitales pour l’avenir et la pérennité même de communes comme Charron.
Les maires des communes de Fouras et d’Yves nous faisaient part de l’absence de dialogue et de concertation qui a précédé l’annonce du zonage, laissant les élus seuls face à une population qui commence à se diviser en comparant les propositions faites aux uns et aux autres. Avec les nouveaux zonages proposés hier, ils ont de nouveau l’impression que leur expertise du terrain n’a jamais été prise en compte. On s’achemine vers de douloureux contentieux.
Selon les conclusions d’une expertise rédigée par M. Thierry Sauzeau, géohistorien du littoral, sur le quartier de La Perrotine dans l’île d’Oléron, « le système hydraulique peut être remis en état pour un coût raisonnable. Malgré l’abandon dont a fait l’objet ses défenses traditionnelles, le village de La Perrotine apparaît bien moins exposé que sa submersion, durant sept marées consécutives, ne le laisse croire ».
Les élus des zones insulaires ont demandé une étude au cas par cas, en tenant compte d’éléments objectifs d’évaluation, la restauration des protections existantes et la mise en œuvre effective d’un plan communal de sauvegarde. Les îliens sont exposés à des risques spécifiques dont ils ont parfaitement conscience et qu’ils ont acceptés.
Bien entendu, le zonage est un travail difficile et délicat, mais les sinistrés ont besoin d’avoir des réponses rapides. Tous veulent tourner la page au plus vite, on doit les écouter et les entendre.
L’indemnisation des « zones d’acquisition amiable » doit être recherchée en priorité, et gageons qu’il ne sera pas nécessaire de recourir à des expropriations.
Il y a donc des alternatives à la « destruction ou à la délocalisation ». Ayons une approche raisonnée et raisonnable du principe de précaution. Nous avons des efforts à faire en matière de gestion du risque, à l’instar de ce qui existe aux Pays-Bas.
Le renforcement de la protection de nos côtes doit être une priorité et les moyens financiers doivent être à la hauteur de l’ampleur de la tâche, tout comme la protection et la sauvegarde des populations. Une réflexion doit également être engagée sur les modes de construction adaptés au risque de submersion.
Aujourd’hui, quelles réponses concrètes peut-on apporter aux élus et aux sinistrés sur l’arrêt définitif de la cartographie, notamment celle des « zones orange », et sur les délais d’indemnisation des particuliers et des agriculteurs ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots vont au président et au rapporteur de notre mission, afin de leur rendre hommage. Ils ont en effet su conduire nos travaux avec l’humanité et l’humilité qui s’imposent face à un drame d’une telle ampleur. Tout en veillant à cerner et révéler tous les aspects de cet événement douloureux, ils ont évité l’écueil de la surenchère émotionnelle et de la désignation de boucs-émissaires, pour mieux tenter de tirer les enseignements de cette catastrophe.
Je me retrouve pleinement dans leurs propos, ainsi que, plus généralement, dans ceux qui ont été tenus par nos collègues membres de la mission. Je me bornerai, pour ma part, à insister plus particulièrement sur deux points.
Le premier est celui de l’alerte : quel maire n’a pas reçu de la préfecture un appel sur son portable, sous forme de message téléphonique ou de SMS, l’alertant sur une tempête, des averses violentes, du gel ou de la neige à venir ?
Incontestablement, les maires de Charente-Maritime, de Gironde ou de Vendée, tout comme ceux d’autres départements, ont bien été alertés. Les messages étaient-ils clairs ? Oui, même si, au départ, seul l’épisode venteux était annoncé, ce qui a conduit certains collègues à inviter leurs habitants à rentrer ou rester chez eux. Ce n’est que plus tard que sont parvenus les messages annonçant les risques d’inondation.
La question qui se pose est de savoir si ces messages sont opérationnels et quel usage concret les maires peuvent en faire.
C’est là une première observation. Il me semble souhaitable de travailler, non seulement à la diffusion d’une information aussi précise et fiable que possible, mais aussi à l’accompagnement de conseils faisant référence, le cas échéant, à une cellule de crise. Les plans de prévention des risques naturels ou les plans de prévention des risques d’inondation, lorsqu’ils existent, ne peuvent faire face à tout, même s’ils sont dotés d’un volet opérationnel en cas de sinistre.
Les élus locaux, confrontés à l’information brute qui leur est délivrée, doivent être assurés de bénéficier d’un accompagnement et d’un dialogue, le cas échéant, avec les services de l’émetteur des messages. Cette remarque ne vise en rien la mobilisation et la réactivité des services départementaux de l’État ou de sécurité, qui ont assumé la situation de façon exemplaire et courageuse. Il s’agit tout simplement de mieux fluidifier les relations et les initiatives.
Par ailleurs, de l’avis même des maires rencontrés, il ressort, selon leur expression, que « trop d’alertes finissent par tuer l’alerte », comme l’a dit Alain Anziani. La multiplication de celles-ci – lesquelles, fort heureusement, ne se traduisent que rarement par des préjudices –, finit par inciter les élus à ne pas répercuter l’information, pour autant qu’ils en aient les moyens, auprès des habitants, qui eux-mêmes ne prendraient plus au sérieux ces alertes si elles s’avéraient infondées.
Enfin, faute de préconisations concrètes ou de propositions d’accompagnement, la multiplication de ces messages d’alerte peut être vécue par leurs destinataires comme une recherche préventive de responsables, en cas de difficultés.
Cela me conduit à considérer qu’une véritable prévention des risques repose sur une mobilisation de tous les acteurs locaux et de l’État, dans la recherche de réponses graduées et adaptées aux réalités du terrain, et non sur la transmission brute et systématique d’informations souvent difficiles à exploiter.
Le deuxième point que je souhaite relever est celui des digues. Nous avons déjà évoqué leur statut, la question de leur propriété, de leur entretien ou de leur état général.
Le Gouvernement doit faire des propositions sur ce sujet mais, au-delà des mesures d’urgence, pour faire face aux prochaines grandes marées, je souhaite insister sur le fait qu’un plan digues ne vaudra que par l’affirmation des objectifs assignés à ces protections.
S’agit-il, pour autant que ce soit possible techniquement et souhaitable écologiquement et financièrement, d’envisager une protection qui se voudrait sinon totale, du moins maximale et en tout point du littoral ?
Ces digues ont-elles vocation à protéger les habitations, ce qui pose de nouveau la question des documents d’urbanisme ?
Ces digues sont-elles des éléments de préservation de la biodiversité animale et de la flore, ou des humains et de leurs activités ?
Sont-elles un élément destiné à optimiser l’usage des sols à vocation agricole ou conchylicole ?
Peut-on envisager que des espaces soient considérés comme des espaces d’expansion des crues ?
Peut-on imaginer des digues sans penser à la gestion des flux, notamment pour l’évacuation des eaux en cas de surverse ?
Je n’ai pas de réponse à ces questions.
Mais un plan digues construit sans référence à l’histoire de la côte, sans intégrer la question de l’élévation du niveau de la mer et qui se contenterait, sans distinction de territoire et de topologie, de prescrire des travaux serait voué à l’échec.
Un plan digues, qui ne ferait aucune différenciation entre les ouvrages selon leur finalité, ne s’inscrirait pas dans la durée. Un plan digues, qui s’affranchirait de l’urbanisme, comme un urbanisme qui s’en remettrait au plan digues pour justifier ses choix, ne serait pas le meilleur moyen d’éviter une nouvelle catastrophe.
Un plan digues ne peut se réduire à la seule approche technique. Il devra être politique, au sens le plus noble du terme, car il sous-tend des choix économiques, environnementaux et urbains. Il a une vocation pédagogique au regard de la culture du risque. Autant d’arbitrages qui doivent être rendus en toute transparence et en toute objectivité et sans tabou.
Tels sont les quelques points que je souhaitais développer. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur le président, monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, Nîmes en 1988, Vaison-la-Romaine en 1992, Xynthia en février dernier et hier le Var, la nature nous rappelle sa puissance avec toujours un peu plus de brutalité par le nombre de morts. Elle nous renvoie souvent à notre méconnaissance et parfois un peu aussi à notre inconséquence collective.
En votre nom à tous, je voudrais en cet instant rendre hommage aux victimes de Xynthia et aux victimes du Var, qui sont dix-neuf ce soir, mais qui, malheureusement, seront probablement encore plus demain. Les images que nous voyons ce soir nous rappellent dramatiquement celles de la tempête Xynthia.
Je souhaite à mon tour saluer le travail remarquable qui a été réalisé par votre mission d’information, un travail collectif qui a rassemblé l’ensemble des partis, un travail de responsabilité, mais aussi un travail qui a effectivement évité l’écueil – vous l’avez rappelé, monsieur de Legge – de stigmatiser certains. Est en cause en effet la responsabilité collective de l’ensemble des décideurs publics à l’égard de nos concitoyens, qu’il s’agisse de l’État ou des élus, et dans ce domaine, personne, me semble-t-il, n’a de leçon à donner aux autres.
Je souscris pleinement aux conclusions de votre mission : le risque de submersion a été insuffisamment pris en compte, nous ne nous y sommes pas assez préparés ; globalement, le risque d’inondation est sous-estimé en France ; les mesures de prévention n’ont pas été suffisamment mises en œuvre.
Je rappellerai juste quelques évidences parce qu’il faut replacer ce débat dans un contexte global.
Première évidence, nous ne pouvons pas nous référer à notre seule mémoire pour juger du bon niveau des préventions. Dans le Var, un tel cumul de pluie n’avait jamais été vu depuis 1827. Quant à Xynthia, la conjonction des différents phénomènes était totalement inconnue et improbable.
Deuxième évidence, le nombre de catastrophes augmente dans le monde comme en France : on dénombra vingt-trois très grandes catastrophes en 2001 à travers le monde, quarante-trois en 2007, et cette augmentation devrait se confirmer sur le long terme selon les perspectives du GIEC.
Troisième évidence, nous ne cessons de courir après la réalité, avec la prise en compte d’abord du risque d’inondation, ensuite, du risque de ruissellement, enfin, du risque de submersion.
Comme les autres pays, mis à part certains qui sont un peu plus exemplaires, nous avons sous-estimé le risque de submersion et de ruissellement, l’élévation future du niveau de la mer, l’augmentation évidente de l’occurrence de ces événements et le niveau de risque global.
Cela a été dit par la plupart d’entre vous, il est urgent d’accélérer la prévention, et mieux vaut surestimer un peu le risque plutôt que de le sous-estimer. À défaut, nous allons le payer en nombre de morts et surtout, vous l’avez rappelé, nous n’aurons pas les moyens financiers de répondre à toutes les demandes.
Il faut effectivement arrêter de tergiverser sur l’estimation du risque, c’est le travail des experts et je ne le remettrai pas en question. En revanche, il y a un choix politique à effectuer sur le niveau de risque que nous voulons assumer collectivement et, en ce sens, le futur « plan digues » – je n’ai pas encore trouvé de terme plus adéquat –, devra faire l’objet d’une concertation entre l’État et les élus.
Je répondrai maintenant à vos différentes observations, mesdames, messieurs les sénateurs.
Quelle a été l’action de l’État depuis la tempête ?
Vous l’avez tous rappelé, la surcote a été bien prévue par Météo France, le vent aussi, mais, comme l’a dit très clairement M. Retailleau, le risque de submersion, donc l’impact sur terre, n’a pas été anticipé et c’est la raison pour laquelle les consignes n’ont pas été adaptées.
La qualité de l’intervention des secours a été unanimement reconnue. C’est vrai, on peut être satisfait d’avoir en France des services de sécurité civile et d’urgence qui interviennent toujours avec une grande efficacité.
Monsieur Retailleau, vous m’avez interrogé en particulier sur la question des aides aux agriculteurs.
Le plan de 30 millions d’euros prévu par Bruno Le Maire pour couvrir les calamités agricoles et la remise en état des sols tarde à être mis en œuvre. Nous attendons la réponse de la Commission européenne et je suis tout à fait d’accord avec vous, face à ce type d’événements, il faut mettre en place une procédure d’approbation accélérée.
À l’inverse, l’aide aux conchyliculteurs a été rapidement octroyée. À ce jour, il est vrai, nous avons très peu de dossiers puisque nous ne sommes qu’à 10 % des demandes attendues.
Monsieur Merceron, je me ferai votre interprète auprès de Bruno Le Maire pour qu’il active un peu la Commission européenne – il le fait très bien d’ailleurs – afin d’avoir une réponse un peu plus rapide.
S’agissant de la mobilisation du fonds de solidarité de l’Union européenne, il est a priori difficile d’avoir une réponse positive car les conditions d’engagement sont assez compliquées à réunir : d’une part, les dégâts doivent être supérieurs à 3,4 milliards d’euros, ce qui a priori aujourd'hui n’est pas le cas pour la tempête Xynthia et, d’autre part, il faut que l’impact sur une majorité de la population s’étale sur plus d’un an.
Je ne vous cache pas que très peu d’événements peuvent, à mon sens, rassembler de telles conditions.
Cet événement mortel a mis en lumière des zones d’extrême danger, ces fameuses zones dont vous avez tous parlé.
Le Président de la République a pris un engagement clair : ne pas laisser d’habitants exposés à des risques mortels, soit en rachetant les maisons par solidarité, soit, en cas de refus, par expropriation.
Monsieur Anziani, c’est un objectif auquel vous avez souscrit, mais dont, ensuite, vous avez contesté les modalités.
La détermination des niveaux de danger a été définie par une circulaire et les services locaux ont appliqué les critères que nous avions retenus. Ces critères ont été rappelés : une hauteur d’eau constatée supérieure à un mètre, la prise en compte de la vitesse de montée des eaux, la nécessité – en tout cas dans un premier temps – d’avoir des zones cohérentes et homogènes pour éviter autant que possible le mitage, et la possibilité ou non de protéger ou d’évacuer ces lieux.
Deux types de zones, initialement appelées « zones noires » et « zones jaunes », ont été identifiés.
Les « zones d’extrême danger », qui ont été rebaptisées « zones de solidarité », ouvrent un droit à rachat par l’État. Au total, plus de 1 650 habitations sont concernées à ce jour.
S’agissant des zones d’extrême danger avec possibilité de protection, les fameuses « zones jaunes », qui nécessitent des systèmes de protection individuelle ou collective, nous avons demandé aux préfets de définir pour le 30 juin un programme de protection.
Il faut être très clair sur le zonage qui a été défini par les experts. Ces zones sont globalement de danger extrême, madame Escoffier : elles peuvent comprendre des monticules sur lesquels ont été construites des maisons qui n’ont pas été inondées.
Oui, nous avons été vite – vous avez parlé de précipitation, monsieur Anziani – mais cette rapidité était volontaire de la part du ministre d’État et de l’ensemble des ministres. Pourquoi ?
Les zones de solidarité ont été annoncées le 7 avril pour donner à ceux dont la maison était complètement inondée ou détruite et qui étaient logés soit chez des amis, soit à l’hôtel, ne pouvaient ni réemménager, ni vendre leur maison, une possibilité immédiate de se défaire de cette maison.
L’incertitude demeurait sur seulement quatre zones dites « orange », qui nécessitaient des expertises supplémentaires, et le doute a été levé par M. le ministre d’État le 10 juin dernier. Ce sont les seules zones qui ont réellement bougé.
M. Anziani m’a interrogé sur la possibilité ou non d’obtenir un rachat en dehors des zones de solidarité.
Ce rachat est possible en dehors des zones de solidarité si les dégâts sont supérieurs à 50 %. C’était un souhait de M. le ministre d’État afin d’éviter des injustices.
Par ailleurs, nous reconnaissons que, lors de notre déplacement le 15 avril, nous n’avons pas été assez clairs sur l’objectif de ces zones et surtout sur les procédures.
Madame Bonnefoy, c’est la raison pour laquelle nous avons envoyé des délégués à la solidarité pour expliquer un peu plus concrètement les choses et entendre les doléances des habitants. Nous avons clairement rappelé que, dans un premier temps, ces fameuses zones ouvrent un droit de rachat à l’amiable fixé – j’y reviendrai ultérieurement – sur la base du prix du marché avant la tempête.
Dans un second temps, puisque nous ne sommes pas dans un pays de non-droit, madame Beaufils, mais dans un pays où les procédures d’expropriation sont extrêmement encadrées, des périmètres seront définis pour la déclaration d’utilité publique, sur la base d’une enquête publique et d’une expertise précise parcelle par parcelle, et l’expropriation ne pourra être accordée que s’il n’y a pas de protection possible. Elle ne se fera que sous le contrôle du juge.
Notre souci était que les personnes puissent reconstruire leur vie et donc qu’elles puissent vendre leur maison à un prix tout à fait satisfaisant, celui du marché avant la tempête.
Les évaluations ont été faites par France Domaine. Madame Bonnefoy, je vous rappelle que France Domaine, c’est l’État, et que les évaluations sont a priori plutôt satisfaisantes, puisque nous avons d’ores et déjà 166 réponses positives au prix proposé.
Monsieur Doublet, je vous rassure, nous irons très vite pour indemniser ces personnes. Les rachats seront financés par le fonds Barnier. Nous aurons les moyens de payer car, à la trésorerie de l’année 2010, s’ajoutera un reliquat de l’année précédente, et nous pourrons avoir recours à des avances de trésorerie en cas de besoin. Il n’y a pas de difficultés sur ce point.
Monsieur Anziani, vous avez proposé d’opérer un prélèvement supplémentaire sur la CCR. Nous le ferons si nécessaire, mais il n’y aura pas d’augmentation des cotisations. Ces hypothèses sont à l’étude.
Enfin, Mme Bonnefoy m’a interrogée sur la possibilité d’aider les communes à mettre en place un nouveau projet urbain ou à reloger les personnes résidant dans les zones rendues inhabitables ou inhabitées. De fait, la mission a formulé dans son rapport des propositions concernant des aménagements de nature fiscale. Ces points ne sont évidemment pas tranchés à ce jour, mais nous allons les étudier.
J’en viens aux travaux sur les digues. La plupart des travaux de réparation ou de confortement de première urgence ont été réalisés. Il reste maintenant à se préparer aux marées d’équinoxe. Le ministère du développement durable prendra à sa charge tous les travaux sous maîtrise d’ouvrage d’État, dont le montant est estimé à environ 12,9 millions d’euros. Il a d’ores et déjà délégué aux préfets 7,4 millions d’euros et dispose des moyens nécessaires pour financer le reste.
Quant aux travaux d’urgence sur les digues sous maîtrise d’ouvrage des collectivités locales, question soulevée par M. Retailleau et M. Laurent, le principe d’un cofinancement de l’État et du FEDER est acté. Le Premier ministre est sur le point de rendre son arbitrage sur la somme que consentira l’État, sachant que nous avons sur ce sujet un engagement très précis du Président de la République.
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Quand cet arbitrage sera-t-il connu ?
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Peut-être pouvez-vous nous en dire déjà un mot ?
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Nous n’avons pas passé minuit, je n’ai pas encore la réponse ! (Sourires.)
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Nous pouvons attendre quelques minutes, si vous voulez ! (Nouveaux sourires.)
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Il nous faut tirer les enseignements de cette catastrophe, et j’évoquerai les mesures que nous prenons actuellement pour le long terme.
Tout d’abord, comme vous l’avez unanimement souligné, le système d’alerte doit être amélioré. Il faut revoir non seulement les moyens techniques à mettre en œuvre, mais aussi les mesures à prendre en cas d’alerte.
Météo-France mène actuellement un travail, qui doit être achevé d’ici à l’été 2011, pour mieux caractériser le risque de submersion. Il s’agit d’en améliorer la prévision en fonction des paramètres météorologiques et topographiques et, surtout, de coordonner l’ensemble des alertes.
Oui, monsieur Anziani, nous allons améliorer ce travail d’alerte et coordonner l’action des différents bureaux pour qu’ils ne travaillent plus séparément. Et non, madame Beaufils, nous ne disposons pas, à ce jour, d’outil de simulation immédiat en cas de submersion.
Par ailleurs, nous sommes tout à fait favorables à ce que les communes à risque soient contraintes d’adopter des plans communaux de sauvegarde, que la mission d’inspection interministérielle recommande de réaliser en même temps que les PPR. Je souscris également tout à fait à la proposition d’organiser des exercices d’évacuation.
Enfin, le ministère de l’intérieur travaille à la rénovation de notre système d’alerte et d’information des populations, qui sera déployé sur les sites réputés exposés à des risques majeurs. J’y insiste, monsieur Kerdraon, monsieur de Legge : c’est là une priorité pour Brice Hortefeux.
Après l’alerte, il nous faut envisager la mise en œuvre à l’échelon local de la politique de prévention des risques.
Oui, monsieur Retailleau, c’est très clair : Xynthia nous a révélé que trop peu de communes littorales disposaient d’un plan de prévention des risques, pour des raisons d’ailleurs fort diverses. Par une circulaire du 7 avril 2010, le ministre du développement durable et le ministre de l’intérieur ont demandé aux préfets d’accélérer la mise en œuvre de ces plans. Mme Bonnefoy l’a rappelé, dans les 864 communes situées en zone basse, 46 plans de prévention des risques ont été approuvés et 71 ont été prescrits.
La circulaire demande également aux préfets de prendre des mesures d’urbanisme conservatoires et de recenser pour le 30 juin les zones basses du littoral métropolitain.
Enfin, le Gouvernement a déposé un amendement au projet de loi dit « Grenelle II » – nous n’avons par définition pas pu le faire lors de son examen par le Sénat, j’en suis désolée – tendant à éviter que les plans de prévention des risques qui ont été adoptés par anticipation par le préfet ne tombent s’ils n’ont pas été approuvés au bout de trois ans.
Oui, madame Escoffier, vous connaissez bien le sujet : nous avons des outils, ces fameux plans de prévention des risques, mais Xynthia nous a fait prendre conscience que, dans nombre de cas, les risques, les aléas étaient sous-évalués. Pour y remédier, nous avons déposé, lors de la discussion par l’Assemblée nationale du projet de loi Grenelle II, d’autres amendements ayant pour objet d’inscrire dès à présent dans la loi le principe d’une formalisation réglementaire de certains éléments de doctrine d’élaboration des plans de prévention des risques. Il s’agit notamment de fixer l’aléa de référence, afin qu’à l’avenir il ne puisse plus être sous-évalué.
Le très délicat problème du contrôle a été cité, et d’abord celui du contrôle de légalité. Brice Hortefeux a répondu sans ambiguïté sur ce point : il a donné des consignes très claires pour que le contrôle de légalité de l’instruction des permis de construire soit une priorité, notamment dans les situations à risque.
Reste le contrôle des ouvrages, évoqué par M. Kerdraon, en particulier celui des digues. Il faut savoir qu’en 2008 le contrôle des digues était assuré par 20 personnes ; en 2010, elles étaient 60, et l’objectif est d’atteindre en 2013 un effectif de 120. La prise en compte de cette nécessité au sein du ministère a donc connu une forte accélération, et le programme « Prévention des risques » est à nos yeux l’un des plus importants.
Xynthia nous a aussi montré que le risque de submersion n’était pas suffisamment pris en charge par le fonds Barnier. C’est la raison pour laquelle nous avons présenté un amendement, que l’Assemblée nationale a adopté, visant, d’une part, à permettre que le risque de submersion soit explicitement pris en compte dans le cadre du fonds Barnier et, d’autre part, à augmenter les taux d’intervention pour le futur plan digues, au moins pour les ouvrages de prévention. Ce taux passe à 40 % lorsqu’il existe un plan de prévention des risques approuvé, au lieu de 25 % auparavant ; s’y ajoutent évidemment les 10 % provenant du FEDER.
Monsieur Merceron, vous avez souligné un autre problème mis en évidence par Xynthia : la connaissance lacunaire que nous avons des digues, de leurs propriétaires, de leurs gestionnaires. La tempête nous a montré qu’elles n’étaient pas plus insubmersibles que bien entretenues. Cette question constituera, bien évidemment, l’un des points centraux du plan que je suis désolée de continuer à appeler « plan digues », en attendant de lui trouver un nom plus intelligent. Le recensement des digues est en cours, et nous devrions en avoir un état complet en 2011.
Ainsi, tout concourt à ce que l’élaboration de ce fameux plan digues soit reconnue comme une nécessité. Notre objectif clairement affiché est à la fois de parvenir à un système de gouvernance efficace – et là, je compte sur vous, monsieur Doligé – et de disposer de moyens financiers pérennes – et là, c’est vous qui comptez sur moi. (Sourires.)
Le plan est donc en cours de rédaction, et nous espérons pouvoir en présenter au moins les grandes lignes au mois de juillet. Nous attendrons les conclusions du groupe de travail de M. Doligé pour y mettre le point final, car, dans la logique exacte du Grenelle de l’environnement, nous souhaitons une concertation aussi large que possible.
Ce plan doit s’intégrer dans une politique plus générale de prévention des inondations, dans le cadre de la mise en œuvre de la fameuse directive Inondation. Celle-ci constitue une très bonne base, car elle clarifie bien les choses et tient compte de l’ensemble des risques. Elle a été transposée dans le projet de loi Grenelle II, du moins pour ce qui est de ses éléments législatifs, les autres relevant du règlement. Par ailleurs, nous sommes allés plus loin que ne le demandait la directive, notamment en choisissant de nous doter d’une stratégie nationale.
Bien sûr, ce plan doit également s’intégrer dans une politique de lutte contre la dégradation du trait de côte, l’enjeu étant de définir une stratégie véritablement nationale, conformément, ainsi que l’a rappelé M. Merceron, à l’un des engagements du Grenelle de la mer. Là aussi, nous devons apporter des réponses beaucoup plus larges que les réponses habituelles : cela peut être des reculs stratégiques, comme M. Retailleau les a évoqués à propos des Pays-Bas, cela peut être la création de polders, la consolidation des dunes, la gestion du stock sédimentaire… Un groupe de travail spécifique sera mis en place à la rentrée afin d’élaborer cette stratégie nationale du trait de côte, dans la définition de laquelle les collectivités auront bien évidemment un rôle absolument central, un rôle clef à jouer.
Enfin, le plan digues doit s’intégrer dans la stratégie nationale d’adaptation au changement climatique. Dans cette perspective, nous avons notamment demandé à Jean Jouzel, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, de définir précisément des scénarios de référence – puisque, cela a été rappelé, l’ampleur de l’élévation du niveau des mers fait l’objet de nombreux débats –, l’un a minima, l’autre a maxima, afin que nous puissions calibrer les différents plans de prévention des risques.
Le plan digues sera élaboré en liaison très étroite, d’une part, ainsi que je l’ai indiqué, avec les collectivités et, d’autre part, avec le Conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs, présidé par le député Christian Kert, dont la réunion de demain sera consacrée une nouvelle fois à ce sujet. Nous mettrons également en place un comité de pilotage qui, j’y insiste, sera partenarial.
Le plan doit permettre de définir les enjeux de protection, les zones habitées étant bien sûr prioritaires. Il est d’ores et déjà acquis qu’il posera également le principe que l’on n’élève plus de digue pour construire derrière. Il nous permettra enfin de définir les meilleurs modes de protection et de sélectionner les ouvrages à renforcer prioritairement. Je tiens à confirmer que, si le pilotage global est national, la mise en œuvre se fera naturellement à un échelon déconcentré.
Les travaux de confortement d’ouvrages seront pris en charge par le fonds Barnier et les fonds structurels européens. À ce stade, les premiers arbitrages montrent que, dans les six prochaines années, 1 200 kilomètres de digues sous maîtrise d’ouvrage des collectivités et 200 kilomètres de digues sous maîtrise d’ouvrage d’État peuvent être confortés.
Le plan définira aussi le régime d’urbanisation et réorganisera la maîtrise d’ouvrage des digues. Sur ce point, je le répète encore, je serai très attentive aux conclusions que M. Doligé nous remettra à la rentrée.
M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information. Cela l’oblige !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je soulignerai – mais vous l’avez tous rappelé – que nous sommes désormais confrontés à une nouvelle culture du risque. Il est devenu nécessaire de disposer d’une expertise précise, laquelle relève… des experts, et, en face, de faire un choix politique sur le niveau de risque que nous acceptons d’assumer. Et c’est probablement là la principale difficulté : jamais nous n’avons véritablement eu l’occasion de discuter ensemble de ce niveau de risque dans la perspective d’un arbitrage. Aujourd’hui, la situation s’y prête. Elle nous donne une bonne occasion de nous rassembler et, surtout, de sortir de ces débats tout à fait stériles visant à déterminer qui est responsable.
Face à des événements d’une telle ampleur, des événements que nous n’avions jamais connus mais que nous connaîtrons de nouveau, il ne s’agit plus de chercher qui est coupable. Nous sommes confrontés à un problème de responsabilité collective dont l’enjeu est de savoir comment éviter de tels événements et comment, s’ils devaient néanmoins survenir, y répondre le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat sur les conséquences de la tempête Xynthia.
5
Renvoi pour avis
M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi n° 556 (2009-2010), adopté par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dont la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des finances.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 17 juin 2010 :
À neuf heures trente :
1. Débat sur l’optimisation des moyens des collectivités territoriales.
À quinze heures :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
À la suite des questions d’actualité au Gouvernement, allocution de M. le Président du Sénat à l’occasion du 70e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940.
3. Débat sur les nanotechnologies.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART