M. Guy Fischer. On ne vous croit pas !
M. Brice Hortefeux, ministre. Ensuite, les régions et les départements seront amenés à mieux travailler ensemble grâce à la création des conseillers territoriaux, qui est un acte de confiance envers les élus locaux (Vives protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.),…
M. Guy Fischer. Il se moque de nous !
M. Brice Hortefeux, ministre. … un acte de confiance dans la capacité de ces derniers à simplifier, à clarifier et à accélérer l’action publique locale, au plus près de la réalité des territoires.
Enfin, le texte fixe un cadre national cohérent et pérenne pour l’exercice des compétences des collectivités et la répartition de leurs financements, tout en préservant la capacité des élus de l’adapter au vu de certaines spécificités locales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de l’examen parlementaire de ce projet de loi, je souhaiterais remercier tous ceux d’entre vous qui ont participé à nos débats, souvent avec une grande compétence, parfois avec passion, toujours avec conviction.
Je crois pouvoir affirmer que le texte qui vous est soumis ce matin porte clairement la marque et l’empreinte de la Haute Assemblée (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.), qui « assure la représentation des collectivités territoriales de la République », selon les termes de notre Constitution. (Nouveaux applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Bricq. C’est un conte de Noël !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je souhaite à présent que votre assemblée puisse l’approuver et apporter son soutien à une réforme pragmatique et que je crois utile, utile pour nos élus locaux, utile pour nos concitoyens et certainement utile pour le pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Muguette Dini, MM. Adrien Giraud et Gilbert Barbier applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, la discussion générale n’étant pas organisée, les dispositions de l’article 29 ter, alinéa 3, du règlement s’appliquent ; il est donc attribué un temps global de deux heures à l’ensemble des orateurs.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, plus d’une année après le dépôt sur le bureau du Sénat de quatre textes portant réforme des collectivités, nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire, qui s’est réunie mercredi dernier, sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales.
En octobre 2009, le Gouvernement s’était engagé à mettre en œuvre un calendrier de réforme en quatre temps ; cette méthode devait permettre de poser un à un les jalons d’une réforme dont la nécessité était reconnue ici par tous. Au lieu de s’y tenir, le Gouvernement a préféré céder à la pression de l’Assemblée nationale et prêter le flanc à des critiques légitimes.
Les questions électorales devaient être débattues dans le cadre du projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale. Cédant face aux députés, le Gouvernement a bousculé ce calendrier, ce que nous regrettons. Sur un sujet si important, il eût été préférable de prendre le temps nécessaire à une meilleure concertation.
La clarification des compétences devait faire l’objet d’un texte ultérieur. Sur ce sujet, également, nous regrettons que la parole donnée au Sénat n’ait pas été tenue. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Légitimement, on peut critiquer non seulement le calendrier, mais aussi la méthode par laquelle certaines dispositions ont été introduites dans ce texte à l’Assemblée nationale.
Le Sénat a le sentiment justifié que son rôle de représentant constitutionnel des collectivités territoriales n’a pas été pleinement respecté. Nous le regrettons profondément.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Nicolas About. Je salue d’ailleurs la proposition de loi constitutionnelle de nos collègues du RDSE visant à donner le dernier mot au Sénat sur les projets de loi relatifs aux collectivités territoriales.
Au-delà de cette initiative bienvenue, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, nous vous demandons que, à l’avenir, la parole donnée au Sénat soit tenue et que les engagements pris devant nous soient respectés. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. –M. Jean Desessard applaudit.)
Cela évitera que, comme aujourd’hui, l’adoption par le Sénat d’une réforme si nécessaire soit mise en péril.
Car cette réforme, mes chers collègues, est nécessaire. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) L’ensemble des sensibilités qui s’expriment au sein de notre groupe adhère, dans son principe, à la création du conseiller territorial.
Comme l’indiquait voilà quelques mois le président du Mouvement démocrate, « il s’agit moins de diminuer le nombre de nos élus locaux que de mieux coordonner l’action des deux niveaux de collectivités. »
S’agissant de l’élection des futurs conseillers territoriaux, en mars 2014, nous avons fait des propositions pour introduire une part de représentation proportionnelle, comme l’avait prévu aussi le Gouvernement. Après deux lectures devant la Haute Assemblée, nous avons fait le constat qu’il n’existait pas à ce jour, même si certains s’en revendiquent, une majorité pour adopter cette dose de proportionnelle. Nous l’acceptons.
M. Roland Courteau. À qui la faute ?
M. Nicolas About. En revanche, nous comprenons mal l’attitude des dépités (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean Desessard applaudit.)…
M. Jean-Louis Carrère. Quel lapsus !
M. Nicolas About. En fait, c’est nous qui sommes dépités ! (Sourires.) … Je disais donc que nous comprenons mal l’attitude des députés s’agissant du seuil permettant le maintien au second tour des élections cantonales.
Modifier les règles d’une élection quelques mois seulement avant sa tenue nous semble très malvenu et profondément contraire à notre tradition républicaine.
Notre dernier sujet d’inquiétude relatif au conseiller territorial concernait le respect de la parité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Soyez rassurés, mes chers collègues de l’opposition : sur ce point, notre membre titulaire de la commission mixte paritaire, Yves Détraigne, a obtenu une modification visant à rendre le dispositif d’incitation financière au respect de la parité plus pénalisant, et donc plus incitatif. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. Cela existait déjà !
M. Nicolas About. On parle du respect de la parité. Peut-être pouvez-vous déjà respecter la démocratie et le droit de parole des autres ? (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Si vous souhaitez voir la parité respectée, respectez ceux qui s’expriment ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Pierre Michel s’exclame.)
Notre dispositif consiste à appliquer à l’ensemble des départements d’une région la diminution de financement la plus importante atteinte dans un des départements de cette région, correspondant au plus grand écart observé entre le nombre de candidates et de candidats. Cela incitera les partis politiques à veiller au respect de la parité dans tous les départements, sans exception.
M. Jean-Louis Carrère. Surtout l’UMP !
M. Nicolas About. Concernant l’intercommunalité, tant l’achèvement de la carte de l’intercommunalité que l’élection des délégués communautaires au suffrage direct doivent être salués. Il me semble d’ailleurs qu’on s’en félicite sur toutes les travées.
Le travail du Sénat a été primordial sur ces sujets, tout particulièrement l’assouplissement des règles de répartition des délégués communautaires.
La position de la Haute Assemblée a également été respectée sur les conditions de création d’une commune nouvelle.
Enfin, concernant la clarification des compétences, les dispositions introduites par l’Assemblée nationale restent inabouties. Pour de nombreux membres de notre groupe, elles sont en deçà de ce que l’on pouvait attendre.
Mais, en commission mixte paritaire, nous avons obtenu – j’en remercie encore une fois Yves Détraigne – que l’entrée en vigueur de ces dispositions soit reportée au 1er janvier 2015. Je considère que nous avons obtenu satisfaction,…
M. Nicolas About. … car, 2015, c’est loin… La majorité qui sortira des prochaines échéances électorales aura tout le temps et le loisir de modifier ces dispositions si cela lui apparaît nécessaire ou souhaitable.
M. Roland Courteau. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
M. Nicolas About. L’année 2015, c’est aussi après l’élection des premiers conseillers territoriaux. Ainsi, ce sont les élus qui siégeront à la fois à la région et au département qui élaboreront les schémas territoriaux d’organisation des compétences.
M. Jean-Louis Carrère. Surtout après les prochaines élections sénatoriales !
M. Nicolas About. Nous avons également renforcé la clause de revoyure qui permettra, par une nouvelle loi, de corriger et de compléter le dispositif dans l’année qui suivra sa mise en œuvre, soit en 2016.
Le texte issu de la commission mixte paritaire enclenche un mouvement de clarification de la répartition des compétences entre chaque niveau de collectivités. Il enclenche le bon mouvement, dans la bonne direction.
Grâce au report d’application que nous avons imposé, tous ceux qui souhaitent aller plus loin auront amplement le temps d’y revenir pour aller au-delà.
En matière de cofinancements, la commission mixte paritaire nous a également permis d’obtenir des améliorations importantes.
Tout d’abord, le seuil minimal de participation pour le maître d’ouvrage d’un projet est maintenu à 20 %, au lieu du seuil fixé à 30 % par l’Assemblée nationale.
Ensuite, l’interdiction de bénéficier d’un cumul de subventions à défaut d’adoption dans la région du schéma d’organisation des compétences a été repoussée à 2015.
Sur ce point, comme sur celui des communes nouvelles, l’Association des maires de France a indiqué que ses attentes étaient satisfaites.
Mes chers collègues, cette avancée, mais, plus largement, tout le travail du Sénat, a été salué par les associations d’élus. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Lesquelles ?
M. Nicolas About. Il doit être préservé. Pour cela, il nous appartient de ne pas laisser le dernier mot à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas About. Lors de l’examen des conclusions de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, présidée par Claude Belot, nous soulignions par la voix de notre collègue Jacqueline Gourault, rapporteur, que la nécessité d’une réforme faisait consensus au Sénat.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Nicolas About. En séance, elle déclarait ceci : « L’intercommunalité a montré que les consciences évoluaient dans le temps. (M. Didier Guillaume s’exclame.) Je me souviens des réticences initiales – notre collègue Jean-Pierre Chevènement ne les a sans doute pas oubliées lui non plus – et l’intercommunalité a fait l’unanimité, même si cette réussite est encore susceptible d’améliorations. »
En conclusion, notre collègue nous indiquait que, nous tous, en tant que sénateurs, nous étions prêts. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Aujourd’hui, après un an et demi de travail, de débats et de propositions, cela reste vrai : les sénateurs sont prêts ! (M. David Assouline s’exclame.) Nous sommes prêts à enclencher le mouvement de réforme, à préserver le travail et les améliorations obtenues au Sénat.
C’est la raison pour laquelle une majorité de sénateurs de l’Union centriste voteront les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, bien sûr, je pourrais revenir sur tout ce qui nous oppose à ce texte, en particulier sur la création du conseiller territorial, laquelle, si ce texte est adopté, symbolisera la confusion et institutionnalisera le cumul des mandats.
La création du conseiller territorial non seulement aurait pour effet de départementaliser les régions, alors que nous voulons des régions plus fortes dans le contexte européen et international actuel, mais encore se traduirait par la mort lente des départements, même si l’on n’en parle pas. Nous ne sommes pas d’accord avec cela.
De même, monsieur le ministre, nous ne sommes pas d’accord avec la recentralisation rampante, qui transparaît à travers presque chacun des articles de ce projet de loi. Quelle différence avec ce mouvement et ce souffle décentralisateurs voulus par François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Deferre ! (Eh oui ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.) C’est vraiment autre chose ! On l’a bien senti à chaque étape du débat !
Je pourrais répéter…
M. Gérard Longuet. C’est d’ailleurs ce que vous allez faire !
M. Jean-Pierre Sueur. … tout ce que nous avons déjà dit sur le refus de la parité, le recul observé en la matière, alors que, pour nous, elle est absolument essentielle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mais, mes chers collègues, je préfère revenir sur les conclusions de la commission mixte paritaire.
À la lecture de celles-ci, une question se pose à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs sur quelque travée qu’ils siègent dans cet hémicycle : est-il raisonnable de souscrire à ces conclusions quand nous avons voté ce que nous avons voté ici au Sénat ?
Mme Nicole Bricq. C’est affligeant !
M. Guy Fischer. Ils se sont couchés !
M. Jean-Pierre Sueur. L’examen objectif de ces conclusions devrait avoir une conséquence très claire, à savoir leur rejet, et ce pour trois raisons.
Premièrement, j’aborderai la question de la parité, que je viens d’évoquer.
M. Guy Fischer. Elle est enterrée !
M. Jean-Pierre Sueur. Que contient le texte issu de la commission mixte paritaire au sujet de la parité ? Une disposition obscure, complexe, alambiquée, incompréhensible sur le financement des partis politiques dans les régions et dans les départements !
Mes chers collègues, y a-t-il ici un seul sénateur ou une seule sénatrice qui pense que cette disposition puisse avoir un effet quelconque en matière de parité ? (Mme Gisèle Printz et M. Jean-Pierre Michel applaudissent.)
Mme Annie David. Bien sûr que non !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous savons bien que non ! Nous savons bien qu’elle n’aura aucun effet, et je dirai même que c’est mépriser la parité, qui est une grande conquête, que de croire que l’on peut la défendre avec d’obscures règles de trois, dont chacun sait qu’elles n’auront aucun effet sur les partis politiques de ce pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Robert Tropeano applaudit également.) Si quelqu’un ici pense le contraire, je lui saurai gré de nous fournir les arguments à même de nous convaincre. Il n’y en a pas ! (M. Dominique Braye s’exclame.)
Deuxièmement, en matière de compétences, un vote essentiel du Sénat a eu lieu, au terme de longs débats.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons jugé ensemble – je dis bien « ensemble » – par 335 voix pour et cinq voix contre, que le texte qui nous était présenté en matière de compétences ne convenait absolument pas. Nous en voyons tous les jours les inconvénients.
Ce texte ne convient pas, et tous les groupes du Sénat sont convenus qu’il fallait reporter la discussion. Donnons-nous le temps d’en parler sereinement, car tout cela n’est ni fait ni à faire ! Nous le constatons tous les week-ends dans nos départements, où l’on nous expose les grandes difficultés auxquelles seraient confrontés les maires si on l’adoptait.
Je vous le rappelle, mes chers collègues : 335 voix « pour » !
En commission mixte paritaire, après des débats confus, il est apparu que certaines mesures seraient reportées durant quelque temps. Mais qui ici pourrait souscrire à de tels procédés ? De deux choses l’une, mes chers collègues. Ou bien nous légiférons vraiment, comme cela a été le cas pour toutes les grandes lois de décentralisation sans exception, et alors nous devons voir loin. Nous bâtissons quelque chose de stable, de solide, sur quoi nous pourrons nous appuyer. Mais, en l’occurrence, ce n’est pas le cas ! Telle mesure ne s’appliquera qu’en 2015, telles autres en 2012, en 2013 ou en 2014…
On n’y comprend plus rien ! C’est la confusion la plus totale, c’est du bricolage, et vous le savez ! Ici, tout le monde le sait !
Mes chers collègues, qui parmi nous prendra la parole pour dire que ce bricolage est une grande loi de la République ? Personne !
M. Guy Fischer. C’est du tripatouillage !
M. Jean-Pierre Sueur. Je sais que vous pensez tous cela, alors tirez-en les conséquences !
Enfin – ce sera mon troisième et dernier argument –, il s’est passé une chose incroyable, s’agissant du seuil de maintien au second tour des candidats aux conseils territoriaux. Il y a eu un vote. Jusqu’à ce vote, la commission mixte paritaire avait échoué.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Guy Fischer. Si !
M. Jean-Pierre Sueur. Elle avait presque échoué, monsieur Hyest !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela arrive !
M. Jean-Pierre Sueur. Et puis le miracle est arrivé.
M. Marc Daunis. Saint Détraigne !
M. Jean-Pierre Sueur. Le texte initial prévoyait que se maintiendraient au second tour les candidats recueillant un score « au moins égal à 12,5 % ». Après une suspension de séance – et j’aimerais connaître l’auteur anonyme qui a eu cette trouvaille incroyable –, nous sommes donc passés d’un score « au moins égal à 12,5 % » à un score « égal au moins à 12,5 % » ! C’est là, mes chers collègues, un geste politique, un sursaut idéologique, une avancée épistémologique ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Ainsi, tout change, tout va de l’avant !
En réalité, ce n’est qu’une ridicule palinodie. Vous le savez tous ! Personne ne comprendrait que le Sénat se déjuge de la sorte ! Mes chers collègues, nous ne vous demandons qu’une chose : que le Sénat soit aujourd’hui fidèle à lui-même. (Bravo ! et applaudissements nourris sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des réformes auxquelles on peut prédire une longue vie, que l’on partage ou non leurs objectifs. Tel n’est pas le cas du texte qui nous est soumis aujourd'hui : confus, complexe, inachevé – sauf dans ses visées partisanes –, et dont la révision profonde s’imposera naturellement.
Nous avons participé aux débats ici-même avec l’espoir et l’envie d’aboutir à une œuvre consensuelle. De grandes convergences pouvaient nous rapprocher : la simplification progressive de la structuration de nos collectivités autour de trois pôles, la facilitation du processus de fusion, la finalisation de la carte intercommunale, le développement de la mutualisation, une réelle péréquation, une fiscalité locale plus juste, la révision des bases.
Nous pouvions envisager la recherche d'une certaine spécialisation des compétences en évitant les doublons. Nous pouvions entendre que, depuis dix ou quinze ans, les concours de l’État aux collectivités avaient fortement augmenté et que cela ne pouvait pas durer. Pour ce faire, il convenait de commencer par le commencement : faire le bilan de la décentralisation chère à Edmond Hervé, mettre à plat la réalité des transferts de charge, mais aussi les charges imposées par l'État aux collectivités.
M. Alain Marleix me reprochait récemment, et courtoisement comme à son habitude, d’avoir, en tant que président d’agglomération, refusé de cofinancer la route nationale 122. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Est-ce bien raisonnable ? De même, est-ce bien raisonnable de demander à nos communautés de taille moyenne de financer les centres universitaires, les lignes aériennes, bientôt les Haras nationaux, et j’en passe ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. Ou bien la police et la gendarmerie !
M. Jacques Mézard. C’est pour d’autres raisons que vous avez commencé par la fin en supprimant la taxe professionnelle et en la remplaçant par un monstre technocratique incontrôlé et incontrôlable ; vous avez défini une nouvelle fiscalité avant de réformer les collectivités.
M. Guy Fischer. C’est scandaleux !
M. Jacques Mézard. Vous avez modifié le calendrier électoral avant même de faire voter le principe de ladite réforme, puis vous avez malaxé sans vergogne plusieurs projets de loi (M. le ministre chargé des relations avec le Parlement manifeste son étonnement.) en faisant passer les articles de l’un à l’autre au mépris de toute logique, en fonction d’intérêts et d’opportunités stratégiques.
M. David Assouline. Ou politiciennes !
M. Jacques Mézard. Il ne fallait pas parler du mode de scrutin dans le projet de loi n° 60 de réforme des collectivités territoriales – sauf pour M. le président About – ni de répartition des compétences. Le projet de loi n°61 est ainsi devenu une sorte d’Arlésienne !
Nous sortions de la mission Belot avec une base de travail consensuelle, avec le souci de valoriser le rôle du Sénat, dont nous avions écouté le président. Au final, nous avons été menés en bateau jusqu’au brutal passage en force en CMP. Vous avez traité la fracture territoriale par la chirurgie de la rupture, seul moyen pour vous de soigner la République !
M. Roland Courteau. En effet ! Bien dit !
M. Jacques Mézard. Le Sénat est le premier à sortir blessé de ce gâchis.
Par des artifices procéduraux, vous avez réussi à contourner l’article 39 de la Constitution, privilégiant le rôle du Sénat dans les textes touchant les collectivités, d’où la proposition de loi constitutionnelle du groupe du RDSE pour renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Le Sénat a été humilié, tant par la chronologie invraisemblable de ces textes que par l’introduction devant l’Assemblée nationale d’amendements fondamentaux non discutés en première lecture par notre assemblée, par des réticences coupables comme par le refus de communiquer au Sénat le tableau des conseillers territoriaux ensuite dévoilé à l’Assemblée nationale. Il a également été humilié par le feuilleton rocambolesque relatif au mode de scrutin, et par le dernier acte de la CMP, malgré la grande dignité du président Hyest. Tout cela ne pourra que laisser le goût d’une amertume indélébile devant tant de partialité, d’arrogance, de renoncement de certains. La transmutation, très bien décrite par Jean-Pierre Sueur, de l’article 1er B, avec le passage d’un score « au moins égal à 12,5 % » à un score « égal au moins à 12,5% » et le changement du résultat du vote en découlant méritent de rejoindre rapidement les oubliettes du parlementarisme. (Rires et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Cette loi, nous l’espérons, trépassera avant de vivre (Oui ! sur les travées du groupe socialiste.), car elle ne répond pas aux véritables enjeux d’avenir de nos collectivités.
Le jour où vous avez voulu inoculer le conseiller territorial dans le tissu de nos collectivités – organisme hybride qui va les déstabiliser –, les masques sont tombés...
M. Roland Courteau. En effet, c’est une mascarade !
M. Jacques Mézard. En effet, le conseiller territorial n’a pas pour objectif de simplifier le fonctionnement de nos collectivités. Il a une vocation politique (Voilà ! sur les travées du groupe socialiste.) : diminuer le poids des régions et changer la représentation politique. (Absolument ! sur les travées du groupe socialiste.) Il est clair que les présidents de région seront à la merci des accords ou désaccords des présidents de conseil général. Surtout, le motif politique du nouveau système électoral, à savoir – disons-le ! – l’élimination du Front national, a en fait pour conséquence la confortation du parti majoritaire, qui n’aura plus à redouter de triangulaire et pourra encore davantage brider des alliés soumis.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Jacques Mézard. Pour les communistes et pour les Verts : cure d’amaigrissement garantie ! Quant aux radicaux, vous arriverez enfin à les éradiquer, conformément à votre objectif. Mais, mes chers collègues centristes, vous nous suivrez de peu dans la tombe ! (Oui ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
L’évolution de vos déclarations et positions sur le mode d’élection de ce conseiller territorial est révélatrice. Dans le projet de loi n° 61, vous défendiez le scrutin à un seul tour avec proportionnelle. À l’occasion de l’examen du projet de loi n° 60, un amendement n° 645, déposé par le président About, est apparu : « par un scrutin uninominal l’expression du pluralisme politique et la représentation démographique par un scrutin proportionnel ainsi que la parité » !
Au même moment, vous rejetiez dédaigneusement notre amendement introduisant le scrutin uninominal à deux tours. M. Mercier prétendait alors ne pas pouvoir « émettre un avis favorable, car le conseiller territorial assure la représentation des citoyens avant celle du territoire ». Nous connaissons la suite à l’Assemblée nationale. Verba volant !
M. Guy Fischer. Ils se moquent de nous !
M. Jacques Mézard. J’avais déjà souligné que l’acceptation au Sénat de l’article 1er A était un sirop pour faire avaler la pilule à ceux qui toussaient ; aujourd’hui, ils ont toutes les raisons de s’étouffer ! (Rires et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Sur les autres points discutés en CMP, que ce soit la désignation des délégués de communes – les observations pleines de bon sens de Jean-Pierre Chevènement le démontreront –, le fléchage, la représentation des petites communes ou le travail de leurs maires, qui seront fragilisés, l’article 34 bis A prévoit heureusement quelques dispositions !
Sur les compétences des collectivités, il n’a été tenu aucun compte du vote très majoritaire du Sénat en deuxième lecture fixant une compétence d’attribution par catégorie de collectivités sauf pour le sport, la culture et le tourisme, avec report au 1er janvier 2015 et, comme d’habitude, une « évaluation-revoyure » au bout de deux ans ; relevons simplement qu’une fois de plus les communes de plus de 3 500 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 50 000 habitants seront malheureusement fragilisés dans leurs investissements.
Au terme de ce débat, le Sénat n'est plus la « maison des territoires » voulue par son président, et ce du fait d’un détournement de l’esprit de la Constitution.
Au terme de ce débat, le Sénat n’est plus la « maison des territoires » chère à son président, et ce par un détournement de l’esprit de la Constitution. La nouvelle architecture territoriale relève du baroque non flamboyant. Nous voulions la simplification, nous avons une complexification et un arsenal de futurs conflits et litiges, et peut-être le plus grand charcutage électoral à venir.