M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. C’est vrai !
M. André Trillard, rapporteur pour avis. Cette exigence de réalisme a conduit à l’instauration d’un moratoire qui limite actuellement cette prise en charge aux seules classes de lycée.
Pour obtenir une présentation plus précise des crédits, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté un amendement visant à établir une distinction entre les crédits affectés à cette prise en charge et ceux qui sont destinés aux bourses scolaires, alors qu’ils sont aujourd’hui confondus au sein d’une même ligne budgétaire.
J’en viens maintenant au problème complexe de l’immobilier à l’étranger. Vous le savez, la France possède un grand nombre d’implantations à l’étranger, qui ne sont pas toujours situées de façon optimale au sein des villes ou des pays, et dont l’entretien est rarement assuré de façon correcte.
Depuis le 1er janvier dernier, le produit des cessions de nos biens à l’étranger est devenu le moyen de financement unique des opérations immobilières à l’étranger du ministère des affaires étrangères et européennes, le MAEE. Les futures opérations de rénovation et d’achat dépendent de la remontée, qui demande un délai souvent supérieur à un an, du produit des cessions vers le ministère. Vous trouverez dans mon rapport la liste, parfois tout à fait étonnante, des implantations proposées à la vente.
Dans la perspective d’une meilleure organisation et gestion des implantations à l’étranger, le principe même de ces cessions me semble positif, puisque le produit en sera entièrement affecté au ministère. Cependant, chacun le sait, le marché immobilier est marqué par une forte volatilité. Pour ne prendre que le seul exemple d’un pays voisin, il n’est pas très facile actuellement de vendre non pas des châteaux, mais des maisons ou des établissements en Espagne.
C’est pourquoi il serait souhaitable que des crédits budgétaires, même limités, soient mobilisables pour financer des opérations urgentes d’entretien. En effet, si certains de nos immeubles à l’étranger faisaient l’objet de dégradations, l’image de notre pays risquerait d’être affectée par l’existence de bâtiments peu ou mal entretenus.
Je terminerai ce tour d’horizon par l’évocation, après M. Gouteyron, du programme 332, qui regroupe les sommes destinées à financer les présidences françaises du G20 et du G8. Sont ainsi inscrits dans ce projet de loi de finances 60 millions d’euros au profit du ministère des affaires étrangères et européennes, qui est chargé de leur organisation.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l’État » pour 2011. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré une nouvelle maquette budgétaire, dont nous sommes très satisfaits, et le maintien de la « rallonge » budgétaire, la baisse des crédits consacrés à notre diplomatie culturelle et d’influence devrait se poursuivre au cours des trois prochaines années.
L’aspect le plus préoccupant de ce budget tient toutefois à la situation financière difficile de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.
Je rappelle que le réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger, qui compte plus de 280 000 élèves, dont 60 % sont étrangers, joue un rôle essentiel en termes de présence, d’influence et de rayonnement de la France dans le monde.
Son financement repose, pour une large part, sur les droits de scolarité acquittés par les familles françaises et étrangères.
Or ce réseau est aujourd’hui menacé de trois manières.
Tout d’abord, l’État a transféré à l’Agence la prise en charge des cotisations patronales des pensions des personnels détachés, mais sans accompagner cette mesure d’un transfert équivalent de subventions. Or cette charge devrait augmenter fortement au cours des trois prochaines années, en raison de la progression du taux de pension.
L’Agence estime ainsi qu’elle devra augmenter de 25 % ses ressources propres, ce qui entraînera inévitablement une forte progression des droits de scolarité payés par les familles et, par conséquent, des demandes de prises en charge et de bourses scolaires.
Ensuite, l’Agence est confrontée à l’évolution des aides à la scolarité, que constituent la PEC – la prise en charge – et les bourses sur critères sociaux.
La « cristallisation » préconisée par nos collègues Geneviève Colot et Sophie Joissains est, à mes yeux, une mesure à la fois injuste et insuffisante.
Elle est injuste, car elle ne tient compte ni des fortes variations du taux d’inflation d’un pays à l’autre – je rappelle que le Venezuela connaît une inflation à deux chiffres – ni des différences importantes entre les établissements s’agissant des droits de scolarité. Surtout, un tel système peut s’avérer pénalisant pour les établissements qui se sont engagés depuis 2007 ou qui s’engageront dans des programmes de rénovation immobilière essentiellement financés par les familles, engendrant des augmentations des droits de scolarité.
Elle est insuffisante, car, madame le ministre d’État, d’après les données de votre propre ministère, le déficit de financement de la prise en charge, « cristallisation » incluse, devrait atteindre, comme l’a très bien dit M. Gouteyron, 11 millions d’euros en 2012 et 40 millions d’euros en 2013.
Enfin, ma dernière préoccupation concerne la politique immobilière de l’Agence, sujet également abordé par notre collègue Gouteyron.
Depuis 2005, l’AEFE a réalisé un programme de construction et de réhabilitation immobilière dont le coût s’est élevé à 200 millions d’euros. L’emprunt a permis de mobiliser 97 millions d’euros, remboursables sur quinze ans par les établissements. L’Agence contracte des emprunts qui sont ensuite remboursés moyennant une augmentation des frais de scolarité acceptée par les familles. Aucune rénovation immobilière n’est effectuée dans le réseau de l’AEFE sans que les droits de scolarité soient augmentés sur une dizaine d’années.
Ce sont donc les parents d’élèves qui financent pour moitié au moins la construction et l’entretien de ce patrimoine de l’État. Bien qu’une telle solution ne soit pas tout à fait satisfaisante – surtout du point de vue des parents d’élèves –, elle est préférable à celle qui consisterait à laisser tomber en ruine les établissements ou à les fermer, faute de les avoir adaptés aux normes de sécurité du pays dans lequel ils sont implantés.
Tous les emprunts sont contractés sur une longue durée, à savoir environ quinze ans, pour ne pas faire exploser les droits de scolarité.
Or l’article 11 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2013 pourrait conduire, s’il était adopté en l’état, à interdire à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger de contracter des emprunts sur une période supérieure à douze mois. Bien sûr, seuls quelque 800 ODAC, organismes divers d’administration centrale, sont concernés par cet article. Toutefois, pour l’AEFE, il s’agit presque d’une question de vie ou de mort : pourra-t-elle continuer à supporter la charge croissante des investissements immobiliers ? Si la réponse à cette question était négative, il ne faudrait plus parler d’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (M. Jean-Louis Carrère opine.) ; nous aurions des écoles, plus ou moins françaises, éparpillées dans le monde.
C’est la raison pour laquelle la commission des affaires étrangères m’a mandaté pour vous demander, madame le ministre d’État, de vous assurer auprès de votre collègue chargé du budget que l’AEFE ne sera pas concernée par ce dispositif et qu’elle pourra continuer à souscrire des emprunts sur des périodes de quinze ans. Nous comptons donc beaucoup sur vous pour que l’AEFE ne figure pas dans la liste, fixée par arrêté après adoption de la loi, des organismes concernés.
Alors que l’Agence devrait recevoir prochainement la gestion immobilière directe de l’ensemble des établissements, il serait paradoxal de lui interdire de souscrire des emprunts, dans la mesure où le coût de leur rénovation est évalué entre 140 millions et 350 millions d’euros.
En conclusion, la commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission. À titre personnel, je ne voterai pas ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Hue applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Dauge, rapporteur pour avis.
M. Yves Dauge, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Il est vrai, madame la ministre d’État, que nous comptons beaucoup sur vous ! En effet, sous tous les gouvernements, le ministère des affaires étrangères a toujours eu du mal à se défendre contre ses amis du ministère du budget, qui considèrent que les affaires étrangères n’ont pas à se plaindre.
Dans le même temps, ce ministère fait l’objet d’une affirmation politique très forte, M. le Premier ministre ayant lui-même évoqué tout à l’heure la « voix de la France ».
Nous devons aujourd’hui dresser le bilan d’une telle contradiction. Le ministère des affaires étrangères, longtemps avant les autres, c'est-à-dire depuis l’époque de M. Védrine, puis de M. Juppé, a fourni des efforts considérables. Il s’est ensuite vu appliquer, dans un contexte de réformes, des règles très dures.
Aujourd’hui, – mes collègues l’ont dit, et en particulier M. Gouteyron, qui, en tant que membre de la commission des finances, est plus qualifié que moi, à cet égard – nous en sommes arrivés à une situation véritablement dangereuse.
Les réductions programmées des crédits du ministère atteindront 5 % en 2011, puis 7,5 % en 2012 et 10 % l’année suivante. Honnêtement, à ce rythme-là, nous ne tiendrons pas ! Ce réseau exceptionnel, qui, dans une certaine mesure, est la voix de France et porte notre diplomatie culturelle, sera profondément fragilisé.
Reconnaissons toutefois que la création, soutenue par le Sénat et l’Assemblée nationale, de l’Institut français constitue un progrès important. Notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication y tenait beaucoup, car elle estimait nécessaire de professionnaliser ce réseau, afin de l’affranchir d’une gestion administrative un peu lourde et de donner des perspectives de carrière aux agents, dont la mobilité trop rapide nuisait à l’élaboration dans le temps de leur projet professionnel.
L’Institut français sera mis en place avec un budget relativement modeste de 38 millions d’euros, dont nous prenons acte. En la matière, il faut d’ailleurs rendre hommage à votre prédécesseur, qui s’est battu pour cette nouvelle agence, souvent contre sa propre administration, laquelle redoutait de perdre ainsi une partie de son propre personnel.
En tout état de cause, madame le ministre d’État, malgré les demandes de notre commission, le réseau culturel français subira encore l’année prochaine une diminution importante de ses moyens.
Votre prédécesseur avait obtenu un abondement de 20 millions d’euros sur trois ans. En réalité, ce « plus » n’existe pas car, lorsque le ministère du budget a vu cette somme, il a retiré une somme équivalente ailleurs. Nous sommes ainsi revenus à notre point de départ, ce qui a profondément déçu la commission.
J’évoquerai également l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, afin de redire ce qui a été dit. En apparence, le budget est gelé à hauteur satisfaisante ; en réalité, cette agence, qui souhaite, comme beaucoup d’autres, établir un contrat d’objectifs et de moyens, ne le peut pas, compte tenu des incertitudes qui ont été évoquées. Ainsi, des incertitudes pèsent sur les frais de scolarité, je ne reviens pas sur ce point. Un amendement déposé par notre collègue Gouteyron vise à stabiliser la situation, mais ne règle pas l’affaire de manière définitive. Nous serions partisans, pour notre part, d’un système de bourses, qui serait plus juste et qui permettrait de se dégager de l’opération en question.
Par ailleurs, comment passer sous silence la question très grave et très injuste de la prise en charge par l’AEFE des pensions civiles des personnels titulaires de l’État ? Madame le ministre d’État, c’est le seul établissement public à ne pas avoir bénéficié, au-delà de la première année, d’une compensation à la suite du transfert d’une telle charge ! Les autres établissements publics bénéficient en effet, chaque année, d’une compensation à l’euro près.
En l’occurrence, la compensation dont l’Agence a bénéficié la première année a été versée une fois pour toutes. Ce sont donc les parents qui paient, par le biais de la contribution de 6 % assise sur les frais de scolarité. Franchement, c’est vraiment choquant ! Notre commission a demandé la remise par le Gouvernement, avant le 30 juin 2011, d’un rapport sur ce sujet, pour rendre compte de l’évolution de cette mesure. Il faut en effet savoir comment l’AEFE pourra faire face à cette charge, qui augmente tous les ans.
Sur la question immobilière, je formulerai les mêmes observations que mes collègues. L’État, après avoir transféré en dotation à l’AEFE un certain nombre d’établissements lui appartenant, a complètement changé de pratique en décidant de louer les bâtiments. À quel prix ? On n’en sait rien ! Dans quel état seront-ils loués ? Les estimations pour la remise en état des locaux varient entre 150 millions et 300 millions d’euros.
L’Agence prélève une partie de la contribution de 6 %, soit environ 10 millions d’euros par an, pour entretenir les bâtiments, ce qui, bien évidemment ne permettra pas de faire face à la situation !
C’est d’autant plus désolant, madame la ministre d’État, qu’il y a une augmentation très forte de la demande en matière d’enseignement du français. Elle est estimée à 4 % par an, ce qui est très positif.
Les services du budget peuvent toujours dire que, puisque la demande croît, il suffit de faire payer les intéressés. Une telle attitude serait dangereuse et fragiliserait le système.
L’AEFE s’inquiète aussi beaucoup du risque de voir se ralentir la mise à disposition des fonctionnaires de l’éducation nationale, qui serait la conséquence des baisses d’effectifs dans l’éducation nationale. Faute d’obtenir des enseignants en nombre suffisant, l’AEFE devrait aller chercher des enseignants je ne sais où, au risque de compromettre la qualité de l’enseignement qui fait la réputation des établissements. Il faut absolument que sur ce plan, l’Agence continue à avoir une relation claire avec l’éducation nationale.
Au sujet de l’Agence culturelle, un autre problème se pose, celui de la contribution des autres ministères à la politique culturelle. Cette année, compte tenu de la rigueur, le budget du ministère de la culture n’est pas si mauvais que cela. Quant au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, son budget fait même envie aux autres !
Alors que votre ministère est durement frappé, il vous faut absolument, madame la ministre, utiliser toute votre force de conviction et votre autorité politique pour obtenir une aide substantielle de ces deux autres ministères. L’Agence culturelle n’aura pas d’avenir si elle n’est pas interministérielle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Je vous rappelle qu’en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, et lui souhaiter un prompt rétablissement.
Je voudrais également vous souhaiter, madame la ministre d’État, la bienvenue en tant que ministre des affaires étrangères. C’était, je tiens à vous le dire comme je le pense, une bonne nouvelle de ce gouvernement. À un moment où on parle beaucoup de diversité politique, il se trouve que je me sens, en matière de politique étrangère comme de pratique des institutions, assez gaulliste, je pourrais même me dire chiraquien. Aussi, que vous ayez cette responsabilité me paraît donc tout à fait heureux, je tiens également à vous le dire comme je le pense.
C’est une responsabilité majeure, très importante pour notre pays. Je voudrais, en quelques minutes, évoquer deux axes qui me semblent essentiels.
D’abord, que le ministre porte une politique, celle qui est pensée avec le Président de la République, c’est normal. Il faut aussi que le ministre défende et protège le ministère. Notre ministère des affaires étrangères a besoin d’être soutenu. Notre diplomatie a besoin d’être renforcée. Et dans ces périodes où on redistribue beaucoup de moyens, souvent, ceux qui sont les plus lointains sont ceux qui souffrent le plus. Et je ne crois pas que ce soit un investissement toujours très stratégique que d’affaiblir certaines représentations dans des pays qui sont particulièrement stratégiques.
Si je retenais une seule chose de trois ans passés à Matignon, c’est sans doute que la France a trop les volets clos. Ce n’est certainement pas en fermant ou en affaiblissant des représentations françaises dans un certain nombre de pays stratégiques que l’on renforce notre diplomatie. Contrairement à ce que pense le citoyen, il ne suffit pas que deux présidents se téléphonent ou que deux first ladies se rencontrent pour que la diplomatie avance. La diplomatie, c’est un travail en profondeur, c’est un travail de culture, c’est un travail professionnel. Et nous devons être au côté de nos diplomates pour renforcer leur action ! (Mme Joëlle Garriaud-Maylam ainsi que MM. Jean-Pierre Cantegrit et Jacques Blanc applaudissent.)
Je sais que vous êtes bien équipée. Pour avoir vécu des débats budgétaires avec vous, madame la ministre d’État, je vous sais organisée et je sais que vous serez parfaitement à la hauteur de cette mission.
Mais, quand on examine attentivement l’exercice gouvernemental actuel, on se rend compte de certaines fragilités importantes de nos institutions ministérielles et de nos grandes administrations. De nombreux ministères sont aujourd’hui en voie de paupérisation dans un certain nombre de secteurs.
Il n’y a plus de très grands ministères régaliens, qui sont toujours très organisés. Notre ministère de l’intérieur, notre ministère des finances, notre ministère de la défense sont des ministères solides. Notre ministère des affaires étrangères peut encore rester un ministère solide, pour peu qu’on ne le démantèle pas et qu’on en fasse une priorité pour notre diplomatie. La France en a besoin. C’était, madame la ministre d’État, mon premier message.
Mon second message, c’est pour souligner le mot que vous allez remettre dans votre fonction : le mot « francophonie », puisque vous en êtes en charge et que la francophonie a besoin de vous.
M. Jean-Pierre Chevènement. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Partout dans le monde, un certain nombre de citoyens veulent qu’on parle français. Et pour eux, nous avons un devoir d’intransigeance francophone.
Je suis allé à Bruxelles défendre le français. À Bruxelles, le président de l’Union parle français, le président de la Commission parle français, beaucoup d’acteurs parlent français. Mais dans la salle de presse, quand on parle français, quand un journaliste veut poser une question en français, il y a un brouhaha, comme des reproches, comme si on perdait du temps quand on parle français ! C’est inacceptable !
Il est tout aussi inacceptable que, dans certaines circonstances, de grandes personnalités françaises abandonnent l’usage de leur langue, lorsqu’elles s’expriment dans des institutions où le français est reconnu comme langue officielle ou langue de travail. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et du groupe socialiste. – M. Robert Hue applaudit également.)
Voilà fort longtemps qu’il n’y avait eu autant de Français, autant de francophones au FMI, à l’OMC, à l’OCDE, à l’Organisation mondiale de la météorologie, à la FAO, par exemple. Or, pour faire plus moderne et faire montre d’aisance, il arrive souvent que nos amis francophones délaissent leurs discours en français pour parler en anglais.
Pensez à ces fonctionnaires, à ces enseignants, à tous ceux auxquels on demande, partout dans le monde, de faire les efforts nécessaires pour défendre la langue française, et qui voient nos grands responsables abandonner leur langue !
Ne perdons pas cet état d’esprit ! Aujourd'hui, nous avons reçu, avec M. le président Larcher, le Premier ministre du Québec. Il faut avoir l’âme québécoise pour défendre la francophonie et l’intransigeance francophone ! (Mme Nathalie Goulet marque son désaccord.)
Il faut aussi bien mesurer, madame la ministre d’État, que, contrairement à ce qu’on entend ici ou là, il n’y a pas un déclin du français dans le monde. Je me réfère aux propos du Président Abdou Diouf, il n’y a pas un déclin du français dans le monde, il y a un déclin de l’offre de français. Il faut en être bien conscient. La demande de français ne faiblit pas. Ouvrons des lycées, ouvrons des écoles et les classes seront remplies du jour au lendemain !
Il y a une grande demande de français dans le monde, mais nous n’avons pas suffisamment d’offre francophone, de français, qu’il s’agisse d’enseignement du français ou d’enseignement en français. Il me paraît très important de mener ce combat. Il faut soutenir l’AEFE. Il faut soutenir tous ceux qui militent pour cette demande de français.
Je voudrais évoquer une action que nous avons été quelques-uns ici à tenter. Si elle n’a pas vraiment été couronnée de succès, il n’est peut-être pas trop tard pour la relancer. Je veux parler du grand emprunt pour les grands sujets d’avenir. Or, s’il y a un sujet important et stratégique pour l’avenir de notre pays, c’est bien l’investissement en français !
On parle d’investissement d’avenir. Mais l’investissement en français, y compris en français scientifique, en français culturel, en français historique, nous en avons grand besoin ! Il faut aller très loin sur ce sujet.
Je vois l’importance que prend la Chine aujourd'hui. Voilà une dizaine d’années, elle n’était pas particulièrement repérée dans les réseaux de grandes écoles ou de formation supérieure. Or, en quelques années, la Chine a installé un classement, le classement de Shanghai.
Jacques Legendre a fait au Sénat un colloque très important sur ce sujet. Le classement de Shanghai ne reconnaît pas les communications scientifiques en français. Il demande des communications scientifiques en anglais.
Mme Nathalie Goulet. Et alors ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Or, il ne s’agit pas simplement d’écrire le français. Il s’agit de permettre à nos médecins, à nos ingénieurs de penser en français. La science a besoin de la pensée en français. Et ne plus penser la science en français serait affaiblir la francophonie.
Et de ce point de vue, il faut, avec les investissements d’avenir et les moyens que nous avons, essayer de faire en sorte que l’on aide, peut-être même parfois à travers les traductions, un certain nombre de communications afin de permettre aux cerveaux les plus brillants de penser et s’exprimer en français. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Voyez le succès de la médecine française partout dans le monde ! Dans une ville comme Wuhan où vivent 30 000 Français, je suis frappé de voir que le français est défendu grâce à l’hôpital, grâce aux quelque 500 médecins francophones qui y travaillent. Pourquoi ? Parce que nos facultés de médecine, nos grands professeurs et notre industrie pharmaceutique se sont employés à faire de la médecine une discipline dans laquelle on pense encore aujourd'hui en français dans le monde.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. C’est un sujet très important pour nous tous ! Voilà pourquoi il faut penser à cette défense de l’intransigeance francophone. Il faut aussi, madame la ministre d’État, penser à la demande de français et au soutien à l’offre de français.
Je terminerai en disant que, dans un monde complexe, notre politique étrangère a besoin d’une lisibilité renforcée. Nous devons y travailler les uns et les autres. L’action du Président de la République est remarquable dans un grand nombre de domaines. Aujourd’hui, le problème, c’est que la globalisation est complexe.
Le week-end dernier, à l’OTAN, vous avez réfléchi à la définition d’un concept stratégique. Je pense que l’une des missions d’un jeune ministre des affaires étrangères, ambitieux et compétent, est d’essayer de clarifier ce concept de la diplomatie française pour l’expliquer et le faire partager à nos concitoyens. Il est très important d’ouvrir les fenêtres de la France.
Et dans ce concept, les mots clés sont le respect de la diversité, la diversité culturelle, le respect des indépendances, de la liberté des peuples à décider d’eux-mêmes.
Ce respect des diversités fait partie de notre héritage. Mais nous sommes aussi les héritiers des républicains qui ont inventé l’unité, une unité forgée autour de valeurs essentielles qui entendaient rassembler.
Cette unité, elle est maintenant planétaire. Le monde attend le message de la France. Il nous revient de diffuser ces valeurs de paix, de développement durable, qui sont aujourd'hui des valeurs de rassemblement pour donner à la diversité une force nouvelle, une force française ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. le président. Mes chers collègues, je vous incite à la concision si nous voulons terminer cette discussion avant le dîner.
La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Madame le ministre d’État, c’est l’un de vos illustres prédécesseurs, membre de surcroît de la Haute Assemblée, François de Chateaubriand qui assurait : « Tout mensonge répété devient une vérité ».
Vous voilà, depuis onze jours, madame le ministre d’État, installée dans le bureau de Vergennes. Et nous savons tous combien il vous est difficile, en si peu de temps, de mesurer la complexité de votre tâche. Mais nous n’en attendons pas moins de vous la vérité sur notre diplomatie, la vérité sur l’emploi et l’ampleur des crédits que vous venez solliciter devant notre assemblée.
Sous l’autorité du Président de la République, et avec l’appui du Gouvernement, la France mène une politique attentive à nos partenaires européens, soucieuse de garantir la paix et la sécurité. La mise en place du service diplomatique européen va faire évoluer notre diplomatie. Je ferai simplement quelques remarques générales pour que nous puissions préserver quelques valeurs de cette diplomatie.
Dans l’Union européenne, l’amitié franco-allemande demeure depuis près d’un demi-siècle un maillon essentiel de la construction européenne. Elle a été lancée par Robert Schuman et Konrad Adenauer, suivis par le général de Gaulle et Konrad Adenauer.
Mais la nouvelle Entente cordiale qui semble naître du sommet de Londres du 2 novembre dernier, entre le Royaume-Uni et notre pays, est de bon augure. Et le débat de demain sur la défense sera une bonne occasion de l’expliquer.
C’est un autre centriste, Jacques Duhamel, qui fut à l’origine des accords de décembre 1971, lesquels permirent l’entrée de la Grande-Bretagne dans ce qui était encore la Communauté économique européenne.
Et c’est encore un autre centriste occupant avant vous le Quai d’Orsay, René Pleven, qui mena les négociations qui permirent au 1er janvier 1973 l’entrée de nos amis britanniques en Europe, sous l’autorité du Président Pompidou.
En Europe, sous l’autorité du Président de la République, la France a su – et c’est, à mon sens, très important – conforter, changer l’état d’esprit des relations avec la Russie de Dimitri Medvedev et de Vladimir Poutine. Le récent sommet de l’OTAN à Lisbonne, où vous étiez présente, précédé par la rencontre de Deauville, a démontré que Moscou prend conscience des menaces qui pèsent sur la sécurité du continent européen et se sent de plus en plus membre de la famille européenne.
Ce sommet a d’ailleurs tracé la voie à suivre pour l’Organisation. Elle reste le cadre transatlantique pour une solide défense collective et le forum essentiel pour les consultations et la prise de décision de sécurité entre alliés.
Avec les États-Unis, nos amis et alliés de toujours, les relations sont apparemment au beau fixe. Qu’il est loin, madame le ministre d’État, le temps où le général de Gaulle dénonçait, le 5 février 1965, le Gold Exchange Standard, sortait le 12 mars 1966 la France de l’OTAN et faisait sans grand ménagement quitter le 1er juillet 1967 du sol national des soldats américains et britanniques qui étaient venus verser leur sang pour le libérer !
En Méditerranée, le Président de la République a pris une excellente initiative avec l’Union pour la Méditerranée. Elle cherche autour de la terre et de l’eau à réconcilier les irréconciliables. C’est une politique qu’il faudra développer car elle souffre beaucoup actuellement de ses conflits internes.
L’Amérique latine a été trop longtemps négligée par nous-mêmes. Le Brésil est aujourd’hui une puissance émergente. Le Président de la République a raison d’en tenir le plus grand compte et chacun oublie trop souvent que ce pays est notre voisin et que nous avons une frontière commune : nos compatriotes de Guyane le savent bien, gardons-nous de ne pas nous en souvenir.
La vérité en diplomatie, c’est aussi ne pas négliger ces deux États antagonistes, rivaux et pourtant puissances émergentes indispensables à l’équilibre du monde que sont l’Inde et la Chine, qui changent complètement la donne au niveau diplomatique mondial.
Le contentieux – pour faire un peu d’histoire – entre l’Inde et la France a été refermé en 1954 avec la rétrocession de nos comptoirs à l’Union indienne. Pourtant, ce grand pays est encore négligé : c’est un partenaire commercial de première importance, ses capacités militaires sont importantes, son rôle dans la sous-région est de première grandeur. L’Union soviétique, son allié de toujours, n’existe plus et ce grand pays cherche sa voie. C’est un des éléments que la politique française devrait reprendre en compte et celle-ci devrait peut-être entraîner la politique européenne dans cet échange.
Rappelons-nous aussi les très anciens liens d’amitié qui nous unissent avec la Chine. Le Président Edgar Faure, dans sa mission préparatoire à la décision historique du 31 janvier 1964 de reconnaître le Gouvernement de Pékin, avait parfaitement cerné les contours de la mentalité chinoise. Quelle que soit la politique suivie, la Chine attend de la continuité, de la persévérance et de la patience. (M. Jean-Pierre Raffarin opine.) Je dis cela devant un ancien Premier ministre très sensible à tout ce qui se passe dans ce pays. La Chine est aussi sensible à ses intérêts mais peut comprendre les nôtres si nous les formulons clairement et fermement. C’est ce qui se passe, je crois, dans les relations actuelles, qui ont beaucoup évolué depuis quelques mois par rapport à la crise que nous avons connue il y a deux ou trois ans.
Enfin, la vérité sur notre diplomatie, c’est affirmer haut et fort la politique française au Moyen-Orient. La prolifération nucléaire est dangereuse, chacun le voit bien avec le nouvel et grave incident de frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. La politique menée par Téhéran est un faux-semblant. Le Président de la République l’a souligné. La fermeté, là aussi, doit prévaloir : tout recul de la position des Six serait considéré comme un encouragement à une intransigeance de plus en plus grande. Même si le pouvoir iranien est aujourd’hui plus que jamais divisé, le sentiment national est très marqué et une maladresse pourrait retourner une opinion publique intérieure aujourd’hui lassée de son Gouvernement et une jeunesse que nous espérons avide de connaître des lendemains meilleurs.
Voilà quelques remarques très générales, madame le ministre d’État, sur la politique étrangère de la France et j’espère qu’elles pourront toutes être reprises dans la politique et la diplomatie européennes que vous allez avoir à aborder. C’est une des révolutions que nous connaîtrons, je l’espère du moins.
Je n’aurai garde d’oublier, madame le ministre d’État, la raison essentielle de votre présence aujourd’hui au banc du Gouvernement. Vous sollicitez 5 016 millions d’euros en autorisations d’engagement, en hausse de 14 millions d’euros, soit 0,3 %, par rapport à 2010 et 5 100 millions d’euros en crédits de paiement, en augmentation de 183 millions d’euros, c’est-à-dire 3,7 %, par rapport à 2010.
Ma collègue Nathalie Goulet entrera bien plus dans le détail de ces mesures, mais sachez que le groupe de l’Union centriste vous apportera son soutien et vous souhaite bon travail dans ce ministère, qui est difficile, pour accompagner la politique de la France. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)