M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est la deuxième année que le Gouvernement et la Chancellerie souhaitent un joyeux Noël à la profession d’avoué ! (Sourires.) Je remarque, au passage, que la contribution de cette profession au service de la justice pendant presque deux siècles n’est jamais soulignée.
Trois ministres de la justice ont accompagné cette chronique funèbre.
Je pensais, monsieur le garde des sceaux, que vous alliez clôturer ce dossier dans des conditions moins brutales et moins chaotiques.
En fait, tout cela se terminera par un vote conforme et par un débat tronqué au moyen de l’article 40 et de la règle de l’entonnoir, en l’absence de toute véritable discussion sur les amendements. Et cela, alors même que M. le ministre chargé des relations avec le Parlement nous parlait à l’instant de dialogue constructif et vantait l’enrichissement que pouvait apporter le Sénat aux textes du Gouvernement.
Grâce au doyen Gélard et au vote du Sénat le 23 décembre 2009, l’exécution de cette profession a au moins évité ce qui eût été une véritable spoliation de 440 avoués, doublée du licenciement par l’État de 1 850 collaborateurs.
On ne soulignera jamais assez l’originalité du procédé : liquidation par l’État d’une entreprise en bonne santé, dégageant des bénéfices, suscitant de l’impôt local et national, et embauchant du personnel ! Originalité d’une liquidation ordonnée par le chef de l’exécutif, et dont le coût sera essentiellement payé par le contribuable, et par le justiciable, aussi, qui aura à sa charge une taxe et des frais pour plus de 1000 euros.
Intérêt du justiciable, que de réformes inopportunes, mal préparées sont perpétrées en ton nom !
Si chacun a compris que la décision était irréversible, il n’en reste pas moins qu’il est encore temps de dire fermement que cette réforme, seule réalisation phare découlant du rapport Attali, en sa décision 213, méritait d’être conclue définitivement par la prise en compte de quelques observations légitimes.
Selon M. le rapporteur, la transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur ne constitue pas, elle non plus, une raison valable. La suppression des avoués à la cour relève d’une logique. Il aurait été plus pertinent qu’elle se réalise en 1972 ; ce ne fut pas le cas. Elle pouvait se réaliser dans la clarté, sans la brutalité qui fut employée par Mme Dati, alors même qu’en 2009 la Chancellerie avait laissé délivrer des diplômes à de jeunes avoués.
Deux conditions devaient être remplies : tout d’abord, une indemnisation juste, donc intégrale, pour les avoués, une solution équitable pour chaque collaborateur ; ensuite, une date de prise d’effet de la réforme permettant une période de transition, donc d’adaptation, suffisante. Aucune de ces conditions ne fut remplie.
Heureusement qu’il y eut le travail du doyen Gélard, et je tiens à nouveau à le saluer. Ce fut haro sur la profession d’avoué, à commencer par les avocats qui, frustrés de leur débâcle devant les notaires et les experts comptables, ont trouvé enfin un petit gibier livré prêt à être dévoré.
Le risque dans cette réforme serait qu’elle n’aboutisse pas à la réalisation d’objectifs partagés : qualité du droit, accélération de la procédure, accès du justiciable au droit. Nous sommes de ceux qui considèrent que l’évolution de la procédure d’appel était inéluctable et nécessaire, mais dans le cadre d’une approche complète englobant les questions de la dématérialisation, de la fusion, de la spécialisation et d’un véritable tarif répétible.
En ce qui concerne l’accélération de la procédure, reportez-vous à l’étude d’impact : le nombre des appels augmentera d’au moins 15 %, tandis que les effectifs des magistrats resteront constants. Aussi, les dossiers ne seront pas traités plus rapidement.
Pour ce qui est de la simplification de la procédure, le justiciable pourra désormais s’adresser à un professionnel unique, nous dit-on. Mais c’était déjà le cas dans l’immense majorité des dossiers, le justiciable s’adressant directement à l’avocat.
Quant à la réduction du coût de la justice d’appel, notre excellent rapporteur considère avec sagesse que ce motif est « discutable », en raison notamment de la taxe.
Monsieur le garde des sceaux, je me dois, à ce stade, de renouveler mon interpellation sur le problème fondamental de l’aide juridictionnelle dans la procédure d’appel, problème occulté par vos prédécesseurs de toutes sensibilités. Il s’agit là de la défense du justiciable démuni.
Il existait une indemnité d’aide juridictionnelle, ridicule, de quatorze unités de valeur pour chacun des professionnels. Allez-vous les cumuler, les réévaluer dans l’avenir ?
Je reste aussi convaincu que la réforme, telle qu’elle est engagée, va inéluctablement et rapidement, mais, je l’espère, non durablement, entraîner une baisse de la qualité du droit devant les cours d’appel. Les avoués connaissant parfaitement la jurisprudence et évitant nombre d’appels voués à l’échec, jouaient certainement le rôle d’un très bon tamis. De plus, connaissant les arcanes de la procédure d’appel, ils corrigeaient et évitaient nombre d’événements procéduraux, et assuraient un lien de proximité entre tous les intervenants.
Ceux qui rêvent aujourd’hui d’une justice totalement dématérialisée, de la généralisation de la visioconférence, oublient, en parfaits technocrates, que la justice est d’abord une question de relations humaines, et nécessite l’écoute, la vision et l’intelligence non d’une machine mais d’un homme.
Nous avons déposé une série d’amendements qui portent globalement sur trois problèmes : l’indemnisation des avoués, le sort des salariés et la période charnière. Nous savons cependant que cela ne servira strictement à rien et que, comme je l’ai dit, tous les moyens – article 40, entonnoir - seront mis en œuvre, car tout est bon pour étouffer le débat et aller vite.
Ce n’est pas une bonne chose.
Sur l’indemnisation, en particulier celle des avoués les plus jeunes, qui vont avoir une vraie difficulté de carrière, la question des plus-values est extrêmement importante, et je salue encore l’intervention du doyen Gélard sur ce point. Nous avons encore besoin sur ce sujet de réponses claires.
Je précise, monsieur le garde des sceaux, que, dans la note transmise par votre ministère, il est mentionné « pour plus de détails, nous tenons à votre disposition une fiche explicative ». Nous l’attendons encore ! Voilà encore une promesse non tenue, encore une fiche occulte…Peut-être la recevrons-nous bientôt !
Concernant le sort des salariés, vous nous dites que le ministre a offert 164 postes de catégorie C en 2010 ; on nous en avait annoncé 380. Notre collègue Alain Anziani a parfaitement décrit la situation et ce qui s’est passé pour écarter les candidats ou pour les dégoûter.
Aujourd’hui, le droit de déposer un dossier est un véritable leurre. À ma connaissance, aucune convention n’a été signée entre l’État, la Chambre nationale des avoués et les représentants des salariés.
Pour ce qui est du reclassement, aucune aide spécifique n’est prévue. Monsieur le garde des sceaux, l’État s’aligne-t-il sur Molex ? Voilà la bonne question !
En ce qui concerne la période charnière, tout a déjà été dit sur le décret Magendie. Vous savez parfaitement qu’il ne peut être efficient et sécurisé avant le 1er janvier 2013. Dire l’inverse ne correspond pas à la réalité ! Il est significatif que la Chancellerie ait demandé le renouvellement de la convention NIO ADESIUM pour un an.
La réalité, c’est que la plateforme e-barreau n’est pas globalement opérationnelle, et tout le monde le sait ! Vous vous arc-boutez sur la date du 31 mars en raison d’annonces antérieures. La sécurisation des procédures impose un changement de calendrier.
Encore une fois, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est la méthode de la rupture qui a été privilégiée dans ce dossier, ici pour détruire une profession qui consentait manifestement à disparaître, mais qui, légitimement, attendait que vous l’enterriez au moins avec les honneurs ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, en seconde lecture, prévoit la fusion des professions d’avoué et d’avocat, à l’issue d’une période transitoire et avec un accompagnement des salariés.
Nous arrivons à l’épilogue d’un long processus. Ce feuilleton a été jugé par certains un peu long, j’en conviens. Le sujet, qui touche à la justice, au patrimoine et à l’humain, est sensible.
L’évolution nécessaire de la représentation devant les cours d’appel répond au besoin de rendre notre procédure d’appel plus accessible, plus lisible et plus compréhensible pour nos concitoyens justiciables.
Ce texte permet aussi de nous mettre en cohérence avec la directive européenne, le statut actuel des avoués, en particulier les règles d’accès à cette profession, n’étant plus conforme avec le principe de libre concurrence.
Annoncé par le Gouvernement dès le 9 juin 2008, ce texte s’inscrit dans la continuité de la réforme de 1971, avec la fusion des professions d’avocat et d’avoué auprès des tribunaux de grande instance. Depuis lors, les avocats inscrits au barreau du tribunal de grande instance bénéficient du monopole de la postulation devant cette juridiction.
Il s’agit donc de poursuivre cette démarche et d’achever la réforme en fusionnant les professions d’avoué et d’avocat auprès des cours d’appel. Les avoués qui le souhaitent deviendront ainsi avocats, dès le 1er janvier 2012, et pourront exercer à ce titre la mission de postulation en appel qui leur est aujourd’hui dévolue en tant qu’avoués. Cela permettra aux justiciables d’avoir un interlocuteur unique en appel.
Le projet de loi prévoit également une réforme globale de la procédure et une dématérialisation progressive des échanges devant la cour d’appel.
Nous nous réjouissons du consciencieux travail mené sur ce texte par la commission des lois du Sénat, particulièrement par son excellent rapporteur, Patrice Gélard, ainsi que par son président. Tout cela nous permet d’aborder un dispositif qui nous semble à la fois juste et équilibré.
Il témoigne en effet des efforts consentis par le Gouvernement, en particulier concernant les mesures destinées aux avoués et à leurs salariés en matière d’indemnisation, de régime de retraite, mais aussi d’accompagnement personnalisé.
Le Sénat, en première lecture, s’était aussi montré particulièrement attentif aux conséquences que pourrait avoir cette réforme pour les 440 avoués et leurs 1 800 collaborateurs. Nous avons toujours eu à cœur de veiller à garantir l’équité de leur accompagnement financier et professionnel.
Complété par l'Assemblée nationale, le projet de loi répond désormais à la triple exigence qui a guidé l’ensemble des réflexions menées par les parlementaires de la majorité : d’abord, favoriser, sur la base du libre choix, des passerelles vers d’autres professions du droit ; ensuite, prévoir une juste indemnisation du préjudice subi ; enfin, éviter toute rupture brutale, en aménageant une période transitoire.
Ainsi, en plus de l’accès automatique à la profession d’avocat, le texte présenté aujourd’hui prévoit de mettre en place le reclassement des collaborateurs juristes des avoués, afin que ces salariés retrouvent, dans le domaine du droit, une profession et des conditions de travail satisfaisantes. Par exemple, l’accès au métier d’officier public ministériel sera facilité.
L’indemnisation de ces salariés, quant à elle, est prévue pour les dommages dus à la fermeture des offices d’avoués. Ainsi, s’ils suivent leur employeur dans sa nouvelle profession d’avocat, ils conserveront les avantages qu’ils auront acquis en application de leur convention collective et, s’ils décident de démissionner, percevront une indemnité.
Une convention tripartite entre l’État, la Chambre nationale des avoués et les représentants des salariés prévoira des aides à la mobilité, des formations, un suivi personnalisé par un prestataire privé ainsi que des allocations destinées à compenser une perte de revenus.
Pour pallier tout risque de lenteur de la procédure dans l’indemnisation des avoués, un acompte s’élevant à 50 % du dernier chiffre d’affaires connu pourra leur être versé immédiatement.
En outre, une commission d’indemnisation devra désormais faire une offre dans un délai de trois mois suivant la cessation de l’activité d’avoué et au plus tard le 31 mars 2012. Si cette offre est acceptée, le salarié percevra l’indemnité correspondante dans le mois de son acceptation.
L’objet de cette nouvelle mesure est de permettre aux avoués de ne pas recourir à la procédure devant le juge de l’expropriation si le montant proposé par la commission leur convient, et ainsi d’obtenir une indemnisation plus rapidement.
Malgré le « retard » pris dans l’examen du projet de loi par le Parlement, la période transitoire, ardemment souhaitée par les avoués, a été conservée, afin de préparer au mieux la reconversion des avoués et de répondre aux conséquences sociales des fermetures d’offices.
L’Assemblée nationale a finalement fixé la fin de cette période transitoire au 1er janvier 2012. Ce délai nous semble tout à fait raisonnable au regard des exigences matérielles d’une telle réforme.
De même, les avoués pourront exercer les deux professions, celle d’avoué et celle d’avocat, à partir du 1er octobre 2011, soit trois mois avant la fin de la période transitoire, afin d’éviter une trop grande distorsion de concurrence avec les avocats.
Le texte qui nous est aujourd'hui soumis nous apparaît donc cohérent et équilibré. Face à tout ce qui a été dit sur le sujet dont il traite, je tenais à ce que ce texte ne soit en aucun cas un reniement de ce qu’ont pu apporter les avoués à la justice française durant leur histoire professionnelle.
Cette profession a longtemps eu un rôle primordial, depuis le XVe siècle, qui l’a vu naître. Il nous faut donc nous réjouir que les avoués qui le souhaitent puissent continuer à mettre toutes leurs compétences et leur grande expérience au service de la justice.
La fusion des professions d’avocat et d’avoué permettra de simplifier les règles de représentation des parties devant les cours d’appel, dans l’intérêt à la fois des justiciables, mais aussi du bon fonctionnement de la justice.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce texte, et avec d’autant plus de satisfaction, monsieur le garde des sceaux, que vous aurez à cœur de répondre aux demandes d’éclaircissement du rapporteur de la commission des lois, notre excellent collègue Patrice Gélard. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur. Et s’il ne répond pas ?
(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de relever dans ce projet de loi une avancée positive, qui me semble importante, à savoir l’apparition, maintenue et confirmée, du juge de l’expropriation pour tout ce qui concernera l’indemnisation des avoués comme de leurs salariés.
Cela étant, je suis maire et, dans ma commune, quand il y a expropriation, c’est-à-dire quand il y a atteinte à un bien privé, celle-ci n’est acceptée et considérée comme juste que si l’on peut démontrer qu’elle sert un intérêt collectif supérieur.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
Mme Virginie Klès. Cela s’appelle tout simplement une enquête d’utilité publique.
J’ai donc voulu mener en quelque sorte une enquête d’utilité publique sur ce texte parce que, quand il s’agit de rendre la justice moins chère, de la rapprocher du justiciable, de favoriser l’appel, d’aider ceux qui ont besoin de la justice, ceux qui sont vulnérables et faibles, il me semble important de se replacer dans le contexte général de la justice aujourd'hui.
Dans ce contexte, cela a été rappelé mais je ne sais pas si tout a vraiment été rappelé, la réforme de la carte judiciaire est, à mon sens, le premier mauvais coup porté à la maison « Justice ». D’ailleurs, on s’en aperçoit aujourd’hui, puisque, dans certains secteurs – c’est notamment le cas à proximité de ma commune – des tribunaux qui avaient fermé sont rouverts à grands frais. Certes, on répare quelques erreurs, mais quel dommage qu’elles aient été commises ! Quel dommage que l’on soit allé trop vite et que cela doive coûter cher à tout le monde !
La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui ne va pas vraiment dans le sens d’une plus grande indépendance de la justice, ne favorisera pas non plus une justice sereine. Et l’on ne peut que déplorer les atteintes qui sont portées à la justice quand, au plus haut niveau de l’État, des décisions rendues par des magistrats donnent lieu à commentaires.
Tous ces textes, toutes ces mesures tendent à favoriser la constitution en France de gros cabinets d’avocats à l’anglo-saxonne, une culture judiciaire à l’anglo-saxonne et un fonctionnement de la justice à l’anglo-saxonne, mais ce n’est pas ce à quoi nous étions habitués et, en tout cas, ce à quoi j’aspire en tant que citoyenne française.
La suppression des juges d’instruction est, certes, pour le moment, mise en sommeil, mais elle ne manquera pas, tel le monstre du Loch Ness, de ressurgir un jour. La justice se réveillera tout à coup avec un système à vitesses variables. C’est ainsi, on avance par à-coups, on fait un grand pas, on s’arrête, on recule, on oublie et on avance de nouveau, à l’image d’ailleurs de ce que nous avons vécu avec l’examen du présent texte.
Ces mouvements d’accordéon affectent les plus fragiles, les plus défavorisés. Les moyens qui sont alloués à la Protection judiciaire de la jeunesse lui permettront-ils de fonctionner demain ? Quant à l’aide juridictionnelle, ses moyens diminuent drastiquement, quoi que l’on en dise.
Et que dire du budget de la justice lui-même ?
La part que l’on réserve à la projection pluriannuelle des créations de postes de magistrat, l’anticipation qui serait nécessaire au vu de la pyramide des âges des juges, les recrutements à l’École nationale de la magistrature, tout cela me semble plus que problématique. Alors, le budget de la justice se serait bien passé de ce nouveau mauvais coup, de cette dépense qu’on lui impose aujourd’hui, que plus personne ne sait chiffrer, mais qui augmente progressivement tous les ans, chaque fois que l’on reparle de cette réforme de la représentation devant les cours d’appel !
Beaucoup ayant déjà été dit sur ce texte, je me bornerai à souligner quelques points. Nous aurons l’occasion, lors de la défense de nos amendements, d’y revenir plus longuement.
La première chose que je dénoncerai, la plus gênante peut-être, c’est de nouveau le délai insuffisant qui nous est laissé, la précipitation qui caractérise l’examen de ce texte, avec un calendrier en accordéon qui entraîne des incohérences, des erreurs, même si l’erreur est humaine…
Certains textes seront demain inapplicables, anticonstitutionnels pour une part, tout simplement parce que l’on ne veut pas prendre le temps de la réflexion, alors que de nombreuses modifications sont intervenues au cours de la navette, ne serait-ce que la réintroduction du juge de l’expropriation dans le présent projet de loi, et que, du fait de l’année de retard que nous venons de prendre, bien des choses ont également changé.
Alors n’agissons pas dans la précipitation. Prenons un, deux ou trois mois de plus, s’il le faut, pour examiner de nouveau ce texte. Donnons-nous le temps, pourquoi pas ? d’une troisième lecture, et non pas seulement d’une CMP. Quel mal y a-t-il à vouloir prendre le temps d’étudier les dispositifs que nous votons afin d’éviter les erreurs et les inéluctables mesures qui sont prises pour les réparer ensuite ?
Parlons aussi du chômage, monsieur le garde des sceaux.
Cette réforme aura pour conséquence de mettre beaucoup de salariés au chômage, en particulier des femmes, souvent peu diplômées, âgées de 40 à 45 ans, et elles auront beaucoup de difficultés à retrouver un emploi, en tout cas un emploi au même niveau de rémunération et aussi intéressant. C’est également une question dont nous aurons l’occasion de reparler.
À cet égard, l’alinéa 3 de l’article 9 entraîne aujourd'hui les avoués à dissoudre purement et simplement leurs sociétés pour pouvoir constater des moins-values et être moins taxés demain. Cette disposition les incite donc à licencier l’ensemble de leur personnel sans même savoir si, demain, une fois devenus avocats, ils ne pourront pas faire vivre leurs cabinets, même avec moins de salariés. Les délais qu’on leur impose aujourd’hui ne leur laissent même pas le temps de réfléchir à cette question.
On leur impose de liquider les sociétés, de licencier le personnel et de faire remonter des moins-values pour que, à tout le moins, cette réforme ne leur coûte pas trop cher à eux, avoués, et que l’argent ne sorte pas de leur poche.
Alors concilier atteinte aux biens privés et utilité publique me semble ici un peu difficile.
Pour ce qui est de l’utilité publique, l’objet de la réforme est, nous dit-on, de faciliter l’accès à la justice, singulièrement en appel.
Comme nous l’avons déjà longuement souligné lors de la première lecture du texte, et cela reste vrai en deuxième lecture, pour le contribuable, on le sait, l’appel sera plus difficile, plus cher et donc moins accessible financièrement.
On fait financer cette réforme voulue par l’État par les contribuables, par les justiciables. Est-ce normal, est-ce logique, est-ce bien ?
Les petits cabinets d’avocats, ceux qui subsistent encore dans nos provinces, n’auront jamais les moyens de recruter les compétences nécessaires ni de se former pour suivre leurs clients en appel. Ils devront donc, pour l’appel, renvoyer leurs clients vers les gros cabinets d’avocats, dans la Capitale ou les grandes métropoles…
Est-ce cela, rapprocher la justice du justiciable ? Est-ce cela, favoriser l’appel, favoriser l’accès à la justice ? C’est tout le contraire, et c’est encore désertifier un peu plus nos campagnes.
M. Jacques Mézard. Très bien !
Mme Virginie Klès. Après la réforme de la carte judiciaire, c’est un nouveau coup porté à la justice, aux justiciables et à nos structures rurales, qui aujourd’hui vivent tant bien que mal. Ne l’oubliez pas, car les Français sauront ne pas l’oublier, eux non plus !
Il a aussi été question de « e-transmission ». Il est faux de dire que la plateforme e-barreau va compenser la convention avec NIO ADESIUM. On sait que cela ne fonctionnera pas.
Pour la seule région parisienne, 45 000 dossiers sont soumis au délai du décret « Magendie » et vont devoir repasser sous la forme papier, et l’on sait, avant même qu’ils soient déposés, que, de toute façon, ils seront caducs, irrecevables simplement pour cause de non-respect du délai.
Il est inutile de se cacher derrière son petit doigt. Ayons au moins le courage de dire aux 45 000 justiciables qui ont fait appel aujourd’hui qu’ils vont payer 150 euros pour rien du tout parce que, de toute façon, leurs dossiers sont déjà caducs !
Vous comprendrez bien, monsieur le ministre, qu’en tant que commissaire enquêteur chargé de ce dossier pour les besoins de cette courte démonstration, je ne peux que conclure à une proposition d’expropriation abusive pour cause de nuisance publique à la maison « Justice » en général et aux plus de 2 000 personnes directement concernées en particulier, avec la circonstance aggravante de la précipitation obstinée qui est manifestée pour que ce texte soit promulgué au plus vite.
Vous l’aurez compris, je voterai, avec mon groupe, contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, mes chers collègues, il m’est difficile de succéder à Virginie Klès, car elle a défendu le droit et la justice avec une fougue qui – j’en suis persuadé – n’a pu que vous toucher, monsieur le ministre !
Je ne vais pas non plus revenir sur les excellents propos d’Yves Détraigne concernant le retard préjudiciable et le raccourcissement de la période de transition pour les avoués, non moins préjudiciable. Monsieur le ministre, les argumentaires sur l’expropriation ont bien évidemment été préparés par votre prédécesseur. Peut-être ne souscrivez-vous pas à sa prose, ou, tout du moins – je l’espère – pas dans les mêmes termes.
Car enfin, on nous dit que des garanties importantes auraient été obtenues. Ainsi, selon le ministère, « l’offre préalable d’indemnisation interviendra au plus tard dans les trois mois à compter de la cession d’activité ». Mais on passe délibérément sous silence que cette offre ne sera notifiée qu’après la cessation d’activité. Le jeune avoué ne recevra donc cette offre que postérieurement à la disparition de sa profession.
En outre, aucune garantie n’a été fournie quant à la date de règlement de l’indemnité, notamment en cas de contestation de l’offre.
Le projet de loi, dans son état actuel, en offrant aux avoués la possibilité de devenir avocats, ne leur confère donc aucun avantage : les textes actuellement en vigueur prévoient d’ores et déjà cette passerelle, sans autre formalité qu’une simple demande d’inscription au barreau.
S’agissant de la fiscalité, tout a déjà été dit. Cependant, monsieur le ministre, en soutenant qu’il conviendrait de liquider les entreprises pour éviter les effets pernicieux du droit commun et une fiscalité alors très lourde et pénalisante, vous admettez derechef que l’outil de travail serait définitivement détruit, sans aucun espoir, au préjudice de ceux qui auraient peut-être espéré prolonger un tant soit peu leur activité professionnelle et procéder à leur reconversion en qualité d’avocat dans les sociétés existantes en conservant une partie de leur personnel.
Comme je dispose d’un temps limité, je m’attacherai à bien l’employer. Je veux faire ici état des demandes émanant des personnels titulaires du diplôme d’aptitude à l’exercice des fonctions d’avoué : la reconnaissance de la spécialisation en procédures d’appel pour tous les collaborateurs titulaires du diplôme d’avoué ; l’inscription de plein droit sur le tableau de l’ordre des avocats à la première demande pour tous les collaborateurs diplômés qui en feraient la demande, après prestation de serment ; le droit à une indemnité complémentaire pour perte de salaires.
Nous serons très intéressés par les réponses que vous pourrez nous apporter sur ces points, monsieur le garde des sceaux.
En ce qui concerne toujours les personnels, nous refusons la propagande qui a été faite (M. le garde des sceaux s’exclame), mais le terme « propagande » ne vous sied guère, monsieur le garde des sceaux.