Sommaire
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, Jean-Paul Virapoullé.
3. Saisine du Conseil constitutionnel
4. Décisions du Conseil constitutionnel
6. Demande d'avis sur des projets de nomination
8. Communication du Conseil constitutionnel
9. Retrait d'une question orale
10. Questions orales
statut des produits provenant des colonies israéliennes dans les territoires occupés palestiniens
Question de Mme Monique Cerisier-ben Guiga. – M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation ; Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
transposition du « troisième paquet Télécom »
Question de M. Michel Teston. – MM. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation ; Michel Teston.
frais et mobilité bancaires des consommateurs
Question de M. Daniel Reiner. – MM. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation ; Daniel Reiner.
transférabilité des contrats d'assurance sur la vie
Question de M. Hervé Maurey. – MM. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation ; Hervé Maurey.
nécessité de la mise en place d'une véritable unité d'aérostructures
Question de M. Jean-Jacques Mirassou. – MM. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation ; Jean-Jacques Mirassou.
suppression de quarante-trois postes RASED
Question de M. Robert Hue. – Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de la vie associative ; M. Robert Hue.
évolution du système carcéral français
Question de M. Daniel Marsin. – Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de la vie associative ; M. Daniel Marsin.
difficultés de l'insertion par l'activité économique
Question de Mme Bernadette Bourzai. – Mmes Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; Bernadette Bourzai.
avenir des psychologues hospitaliers
Question de M. Michel Billout. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; M. Michel Billout.
transformation d'un contrat de travail à temps plein en stage
Question de Mme Catherine Procaccia. – Mmes Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; Catherine Procaccia.
suivi médical des agents des collectivités territoriales dans les communes du saumurois
Question de Mme Catherine Deroche. – Mmes Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; Catherine Deroche.
réutilisation d'eaux usées traitées pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts
Question de M. Michel Doublet. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Michel Doublet.
financement du plan digues et protection des marais littoraux charentais
Question de M. Daniel Laurent. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Daniel Laurent.
taxe d’habitation et logements vacants
Question de M. Christian Cambon. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Christian Cambon.
indemnisation des communes traversées par la lgv bordeaux-toulouse-espagne
Question de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. – M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
vidéoprotection dans les logements sociaux des quartiers dits « sensibles »
Question de Mme Catherine Dumas. – M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Mme Catherine Dumas.
fonds de solidarité pour le logement et identité des bénéficiaires
Question de M. Rémy Pointereau. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Rémy Pointereau.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
11. Débat sur l’indemnisation des communes au titre des périmètres de protection de l’eau
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, au nom du groupe UMP.
M. François Fortassin, Mme Évelyne Didier, MM. Bernard Saugey, Paul Raoult, Michel Doublet.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
12. Questions cribles thématiques
M. Bernard Cazeau, Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé.
M. Robert Hue, Mmes la secrétaire d'État, Isabelle Pasquet.
M. François Zocchetto, Mme la secrétaire d'État.
M. Gilbert Barbier, Mme la secrétaire d'État.
Mmes Marie-Thérèse Hermange, la secrétaire d'État.
M. Ronan Kerdraon, Mme la secrétaire d'État.
Mmes Catherine Procaccia, la secrétaire d'État.
M. Alain Milon, Mme la secrétaire d'État.
Suspension et reprise de la séance
13. Débat sur l’avenir de la politique agricole commune
MM. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune ; Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune ; Mme Bernadette Bourzai, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune, et en remplacement de Mme Odette Herviaux, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune.
MM. Michel Billout, Marcel Deneux.
14. Candidatures à deux missions communes d'information
15. Débat sur l'avenir de la politique agricole commune (suite)
MM. Raymond Vall, Gérard César, Yannick Botrel, Antoine Lefèvre, Daniel Soulage, Mme Renée Nicoux, MM. Jean-François Mayet, Roland Ries, Jacques Blanc, Jean-Paul Fournier.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.
16. Nomination des membres de deux missions communes d’information
17. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Guy Fischer
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Jean-Paul Virapoullé.
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, en ce début d’année, à vous présenter, ainsi qu’au personnel du Sénat, tous mes vœux, persuadé que nos travaux seront empreints, cette année encore, du respect mutuel auquel je suis très attaché.
1
Procès-verbal
M. le président. Le procès-verbal de la séance du mercredi 22 décembre 2010 a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès d'anciens sénateurs
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle le décès de nos anciens collègues Jean Chamant, qui fut sénateur de l’Yonne de 1977 à 1995 et vice-président du Sénat de 1989 à 1995, et René Martin, qui fut sénateur des Yvelines de 1982 à 1986.
3
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 décembre 2010 d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante sénateurs de la loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
4
Décisions du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 28 décembre 2010, les textes de deux décisions rendues par le Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution de la loi de finances pour 2011 et de la loi de finances rectificative pour 2010.
Acte est donné de ces communications.
5
Commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
6
Demande d'avis sur des projets de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat, par lettres en date du 31 décembre 2010 et du 5 janvier 2011, de lui faire connaître l’avis des commissions du Sénat compétentes en matière de santé publique et en matière d’activités financières sur les projets :
- de nomination par M. le Président de la République de M. Jean-Luc Harousseau à la présidence de la Haute Autorité de santé ;
- et de reconduction de M. François Drouin à la présidence du conseil d’administration de l’établissement public OSEO.
Ces demandes d’avis ont été respectivement transmises à la commission des affaires sociales et à la commission des finances.
Acte est donné de cette communication.
7
Dépôt de rapports
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :
- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales, établi en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit ;
- le rapport sur le contrôle a posteriori des actes des collectivités locales et des établissements publics locaux pour les années 2007 à 2009, établi en application des articles L. 2131-7, L. 3132-2 et L. 4142-2 du code général des collectivités territoriales ;
- le rapport 2009 retraçant l’évolution des missions de surveillance et de financement du cantonnement exercées par l’Établissement public de financement et de restructuration, établi en application de l’article 4 du décret n° 95-1316 du 22 décembre 1995 ;
- le rapport sur la mise en œuvre des mécanismes de conditionnalité des allégements et exonérations de cotisations sociales instaurés par les articles 26 et 27 de la loi n°2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail, établi en application de l’article 27 de ladite loi.
Le premier a été transmis à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, le deuxième à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le troisième à la commission des finances et le dernier à la commission des finances et à la commission des affaires sociales.
Il a également reçu de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, le rapport 2009 du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières.
Ce document a été transmis à la commission des finances.
Acte est donné du dépôt de ces rapports. Ils seront disponibles au bureau de la distribution.
8
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat :
- le 3 janvier 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel trois décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-108, 2010-109 et 2010-110 QPC) ;
- le 5 janvier 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-111 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
9
Retrait d'une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question n° 1122 de Mme Claire-Lise Campion est retirée de l’ordre du jour de la séance de ce jour, à la demande de son auteur.
10
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
statut des produits provenant des colonies israéliennes dans les territoires occupés palestiniens
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, auteur de la question n° 1129, adressée à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le secrétaire d'État, en exergue à ma question et pour mémoire, je rappelle que la France est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, qu’elle est signataire de la quatrième convention de Genève relative aux règles d’occupation militaire d’un territoire étranger et qu’elle est partie à l’accord de partenariat entre l’Union européenne et l’État d’Israël. Elle doit donc promouvoir le respect de tous ces instruments internationaux dans sa réglementation commerciale entre autres.
À ce titre, la France doit exclure la production des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée des exemptions de droits de douane accordées actuellement aux produits israéliens.
Alors que l’extension des colonies provoque chaque jour exactions, spoliations, blessures et mort de civils palestiniens, la France ne peut pas continuer à ignorer le détournement des accords dont elle est partie en faveur de cette politique.
Agir ainsi, c’est apporter un appui concret à une politique de colonisation que l’on dénonce verbalement et contribuer à priver de tous les éléments de viabilité territoriale et économique le futur État palestinien, dont la France et l’Union européenne financent les institutions. En somme, cela revient à détruire d’une main ce que l’on prétend construire de l’autre.
Dans ce contexte, le statut réservé aux produits provenant des colonies israéliennes dans les territoires occupés palestiniens revêt un caractère déterminant. Je souhaiterais que vous me répondiez au nom du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, sur les deux points suivants.
Le 25 février 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a statué que les produits en provenance des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés ne peuvent pas bénéficier du traitement préférentiel accordé aux produits israéliens en vertu de l’accord d’association Union européenne-Israël. Qu’entend faire le Gouvernement pour que les produits agricoles et industriels en provenance de ces colonies cessent, en vertu de cet accord, de bénéficier de l’exonération de droits de douane ?
En outre, ces produits, qui sont issus de l’agriculture et de l’industrie des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens, sont commercialisés en infraction à la quatrième convention de Genève. Une réelle traçabilité géographique des produits commercialisés constituerait un rappel fort et sans ambiguïté de la France à l’État d’Israël sur cet état de fait.
Je souhaiterais que l’étiquetage des produits en provenance d’Israël et des territoires palestiniens spécifie la provenance de ceux-ci : Israël, colonies israéliennes, territoires palestiniens. Ainsi, le consommateur pourrait connaître l’origine exacte des biens concernés et accéder à l’information qui lui est due.
Entendez-vous, monsieur le secrétaire d'État, donner des instructions pour mettre en place un étiquetage sans ambiguïté et lisible ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Permettez-moi tout d’abord, monsieur le président, à l’occasion de cette nouvelle année, d’adresser à mon tour des vœux de pleine réussite à la Haute Assemblée. Je souhaite que la collaboration entre le Parlement et le Gouvernement soit fructueuse pour que cette année soit, pour les Français et pour notre pays, une année de sortie de crise réussie !
Madame la sénatrice, vous avez soulevé une question qui préoccupe tout le monde.
Je ne rappellerai pas l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et l’État d’Israël, d’autre part, car vous l’avez évoqué, pas plus que je ne rappellerai l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne rendu à propos de l’affaire Brita, que vous avez cité.
Il est parfaitement vrai, madame la sénatrice, que les produits originaires des territoires palestiniens ne peuvent pas bénéficier du régime tarifaire préférentiel instauré par l’accord entre l’Union européenne et Israël.
J’ajoute que, dans un avis aux importateurs publié au Journal officiel de l’Union européenne du 25 janvier 2005 énonçant des principes clairs d’indication du lieu de production, l’Union européenne a fait connaître sa position, qui consiste à refuser le régime préférentiel défini par l’accord Union européenne-Israël aux produits originaires des territoires palestiniens qui sont exportés par Israël dans l’Union européenne. Cette position est claire et sans ambiguïté.
Sur ces bases, les services douaniers français, comme les autres services douaniers européens, procèdent à des contrôles réguliers des certificats d’origine, en rejetant les certificats non conformes ou en signalant une origine hors du territoire israélien. Les importations dans l’Union européenne de produits originaires des implantations israéliennes situées dans les territoires palestiniens ne peuvent donc pas bénéficier des avantages tarifaires nés de l’accord Union européenne-Israël.
Vous avez ensuite soulevé, madame la sénatrice, la question de la traçabilité, une question évidemment essentielle à laquelle le Gouvernement attache une importance particulière. Moi-même, je prendrai des initiatives quant à l’appellation made in France, à la marque France et à l’appellation d’origine des produits en France, trois appellations qui concourent à assurer la traçabilité des produits. Toutefois, l’une des difficultés rencontrées, que l’on retrouve également dans le cas que vous avez évoqué, tient au fait que, au sein de l’Union européenne, le marquage de l’origine n’est pas obligatoire, la Cour de justice de l’Union européenne ayant indiqué à diverses reprises qu’une réglementation nationale rendant obligatoire le marquage de l’origine serait de nature à constituer une entrave aux échanges.
Pour cette raison, la France a dû supprimer l’obligation de mentionner l’origine dans le décret n° 86-985 du 21 août 1986 relatif à l’étiquetage des textiles.
De même, la Commission européenne a rejeté la demande de l’Irlande visant à réglementer à l’échelon national la mention du pays d’origine sur l’étiquetage des viandes de volaille, de porc et d’ovins dans la décision 2009/291/CE du 20 mars 2009.
En revanche, rien n’empêche les professionnels de fournir de façon volontaire des renseignements sur l’origine de leurs produits, en l’occurrence sur leur origine française.
Pour répondre à la question précise que vous m’avez posée, on ne peut que faire confiance à nos douaniers pour l’application d’une réglementation qui est aujourd’hui très claire à tous les niveaux de la chaîne, ce dont, visiblement, vous sembliez douter.
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le secrétaire d’État, on peut toujours répondre que tout va pour le mieux et que rien ne pose problème !
Nous savons qu’un grand nombre des médicaments génériques que nous consommons en France sont produits dans des colonies israéliennes proches de Jérusalem, mais rien ne nous indique la provenance exacte.
Nous estimons, par conséquent, qu’il ne faut pas se voiler la face ! N’agissons pas comme nous l’avons fait pour le régime du président Ben Ali ! Il ne faut pas s’étonner des explosions de colère de la population à la suite des graves injustices qu’elle subit quand, pendant des années et des années, on a tout fait pour que ces injustices perdurent !
Une troisième Intifada n’aura peut-être pas lieu dans les territoires occupés ; mais, à l’instar de ce qui se passe actuellement en Tunisie contre le régime dictatorial du président Ben Ali, des soulèvements sporadiques se produiront, car le régime imposé aux Palestiniens par l’armée israélienne est du même ordre.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Madame Cerisier-ben Guiga, je ne vous suivrai pas sur ce terrain, car la comparaison est un peu osée !
Vous m’avez posé une question claire : les produits en provenance des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens bénéficient-ils, sur le plan tarifaire, des conditions avantageuses accordées aux produits israéliens en vertu de l’accord d’association Union européenne-Israël ? Ma réponse, qui sera également très claire, est non !
Quant au sujet que vous avez évoqué dans votre réponse, il est d’une autre nature et ne relève absolument pas de la question posée aujourd’hui.
transposition du « troisième paquet Télécom »
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, auteur de la question n° 1103, adressée à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Parlement et le Conseil européen ont, le 25 novembre 2009, adopté des dispositions relatives aux communications électroniques. Ces dispositions regroupées sous l’appellation « troisième paquet Télécom » sont constituées de trois textes.
D’abord, une directive intitulée « Mieux légiférer », qui modifie les directives « Cadre », « Accès » et « Autorisation » ; ensuite une directive intitulée « Droits des citoyens », qui révise les directives « Vie privée » et « Service universel » ; enfin, un règlement relatif à l’organe des régulateurs européens des communications électroniques.
Ce dispositif législatif doit être transposé en droit interne d’ici au 25 mai 2011.
Lors du conseil des ministres du 15 septembre 2010, le Gouvernement a décidé de présenter un projet de loi « portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques ».
Ce texte, qui a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale et qui sera examiné en procédure accélérée, contient donc onze articles portant sur des sujets très divers visant à transposer en droit interne des directives par voie d’ordonnance. Il s’agit d’une loi d’habilitation.
Dans ce projet, un seul article est consacré aux communications électroniques. Il autorise le Gouvernement à transposer la directive 2009/140/CE « Mieux légiférer », à transposer la directive 2006/136/CE « Droits des citoyens », à prendre des mesures « nécessaires à l’accroissement de l’efficacité de la gestion des fréquences radioélectriques », à prendre des mesures nécessaires à la lutte contre certaines infractions et à procéder à des corrections et clarifications dans le code des postes et des communications électroniques… Rien que cela pour un seul article de loi !
Pourtant, en raison de la place des télécommunications dans la vie quotidienne, la transposition en droit français du troisième « Paquet Télécom » me paraît relever de la procédure législative normale, à savoir l’article 34 et non l’article 38 de la Constitution.
En conséquence, monsieur le secrétaire d'État, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas jugé bon de présenter un projet de loi spécifique sur un sujet aussi important ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur Teston, le Gouvernement a souhaité en effet être habilité à transposer par ordonnance les directives dites du troisième « paquet Télécom ».
Vous avez détaillé, et je vous en remercie, le contour de cette demande d’habilitation par le biais d’un projet de loi en cours d’examen « portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne », comportant un article d’habilitation. C’est la procédure classique.
Le Gouvernement a préféré procéder à la transposition par voie d’ordonnance plutôt que par voie parlementaire, comme vous l’y invitiez à l’instant, et ce pour deux raisons principales.
D’abord, l’obligation de respecter l’échéance de transposition nous laisse un délai très bref – jusqu’au 25 mai 2011 – et expose notre pays à des sanctions significatives, en particulier financières, en cas de retard dans la transposition au-delà de cette date.
Ensuite, ce « paquet Télécom » s’inscrit dans la continuité du précédent. Les règles et principes majeurs applicables au secteur des communications électroniques, adoptés dans les directives de 2002 et transposés par la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques, restent valides et n’appellent pas de changement particulier. Il ne s’agit donc que d’ajustements.
Voilà pourquoi le Gouvernement a souhaité agir par voie d’ordonnance.
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Selon M. le secrétaire d’État, la transposition en droit interne du troisième « Paquet Télécom » par le biais d’un projet de loi comportant un article d’habilitation et faisant l’objet de la procédure accélérée est justifiée non seulement par l’urgence, mais aussi par le fait que ce troisième « paquet Télécom » s’inscrit dans la continuité des deux précédents qui ont été examinés par le Parlement et transcrits en droit interne.
Je ne conteste pas la nécessité de transposer avant le 25 mai 2011 les deux directives que j’ai citées et qui le prévoient d’ailleurs expressément.
Mais il convient de rappeler que ce troisième « paquet Télécom » a été adopté par le Parlement et le Conseil européen le 25 novembre 2009. Par conséquent, si le gouvernement français n’avait pas attendu le 15 septembre 2010, il aurait été possible d’engager la transposition selon la procédure législative normale. Ce ne sera pas le cas et je le déplore !
frais et mobilité bancaires des consommateurs
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, auteur de la question n° 1095, adressée à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Daniel Reiner. J’attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la question – il est vrai récurrente, hélas ! – des frais et de la mobilité bancaires des consommateurs.
Dans mon département de Meurthe-et-Moselle, l’association de consommateurs de Nancy et des environs vient de rendre publique une enquête sur les frais et la mobilité bancaires. Les résultats démontrent à l’évidence que les établissements bancaires ne jouent pas le jeu de la concurrence, les clients qui souhaitent changer de banque rencontrant de nombreux obstacles !
Cette association a sollicité douze agences de Meurthe-et-Moselle pour vérifier le prix des services et tester l’effectivité du service d’aide à la mobilité bancaire mis en place au 1er novembre 2009. Croyez-moi, ce n’est pas simple, et l’on se perd aisément dans la lecture du fascicule regroupant l’ensemble des tarifs bancaires de ces dernières années !
L’évolution des prix entre 2004 et 2010 de trois produits considérés par les consommateurs comme stratégiques – la carte bleue classique, la commission d’intervention par incident et le retrait au distributeur – met en évidence une hausse pouvant aller jusqu’à 18,6 % en six ans pour certaines banques, hausse donc très supérieure à l’inflation constatée sur cette période, soit 8 %.
De plus, malgré l’engagement pris par les banques, le changement d’établissement s’avère particulièrement difficile pour les consommateurs. D’après l’enquête locale, 90 % des conseillers financiers n’en parlent pas spontanément à un client venant les solliciter pour changer de banque. Dans 50 % des établissements, le client doit effectuer lui-même toutes les démarches, et dans 30 % le travail est partagé avec la banque.
Quant au délai nécessaire avant activation du compte, le consommateur de Meurthe-et-Moselle ou de la Meuse doit attendre plus d’un mois dans 43 % des cas, alors que les banques s’étaient engagées à un délai de cinq jours ouvrés au plus.
Au vu de l’échec de l’autorégulation, je souhaite savoir dans quelle mesure le Gouvernement envisage une réforme d’ampleur du secteur bancaire qui soit susceptible de dynamiser la concurrence, en particulier d’assurer une véritable mobilité bancaire pour les consommateurs.
Je vous remercie par avance de votre réponse, monsieur le secrétaire d'État.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur Daniel Reiner, vous avez parfaitement raison ; je ne peux pas vous dire mieux !
Mon portefeuille ministériel comprend la consommation, et chacun sait que la défense des consommateurs est l’une de mes préoccupations.
Le Gouvernement est particulièrement attentif aux difficultés rencontrées par les clients et bien décidé à agir.
Dès 2008, Christine Lagarde a demandé au Comité consultatif du secteur financier, le CCSF, d’examiner les meilleures pratiques européennes en matière d’aide à la mobilité bancaire. À la suite de ces travaux, les banques se sont engagées en mai 2008 à mettre en place dès 2009 un service d’aide à la mobilité.
Concrètement, lorsqu’un client veut changer de banque, c’est la banque d’accueil qui doit lui assurer ce service : elle doit fournir au client une information complète sur le processus de transfert le plus rapidement possible et dans un délai maximum de soixante-douze heures suivant sa demande ; elle doit contacter la banque de départ pour assurer le transfert des prélèvements et des virements périodiques ; elle doit aider son client à vérifier attentivement qu’il n’y a pas d’opération en circulation. Par ailleurs, je rappelle que les banques ne facturent plus les clôtures de compte.
Christine Lagarde a souhaité qu’une évaluation régulière de ce dispositif soit conduite. Le CCSF s’est donc réuni le 4 novembre 2010, afin de faire le bilan de la mise en œuvre de ces engagements après un an de fonctionnement. Les conclusions du CCSF sont plus que mitigées.
D’un côté, selon les représentants de la profession bancaire, des outils internes ont été mis en place en application de leurs engagements et, de l’autre, les associations de consommateurs considèrent que ces engagements n’ont pas été respectés et que des efforts très significatifs restent à accomplir.
Dans ces conditions, nous demandons nous-mêmes des améliorations sur un certain nombre de points, notamment sur l’existence et la nature du service offert dès le guichet ou en très peu de clics sur les sites Internet, sur le renforcement de la prise en charge par la banque d’accueil de l’ensemble des opérations prévues, auquel les banques s’étaient engagées, et sur la formation des personnels, dont l’insuffisance explique en partie que les résultats, malgré la volonté des établissements d’améliorer leurs pratiques, n’aient pas été au rendez-vous.
En conséquence, Christine Lagarde a demandé que soit conduit un véritable audit du respect des engagements pris par les banques en matière de mobilité. Elle fera ainsi usage, pour la première fois, de la compétence qui lui a été donnée par la loi de régulation bancaire et financière adoptée en octobre dernier, en matière de contrôle du respect de leurs engagements par les banques. C’est l’Autorité de contrôle prudentiel, chargée de la surveillance du secteur bancaire, qui conduira cet audit. Elle rendra son rapport à Christine Lagarde, ainsi qu’au CCSF lui-même, en juillet 2011. Comme vous pouvez le constater, le Gouvernement n’a pas perdu de temps ! Nous sommes donc parfaitement en phase avec vos propres positions, monsieur le sénateur.
En fonction de cet audit, Christine Lagarde décidera la mise en place d’un certain nombre de dispositions, qui s’imposeront à tous.
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le secrétaire d’État, je prends acte de votre engagement, qui ne constitue toutefois qu’un engagement supplémentaire. En effet, en la circonstance, communication n’est pas action ! Sur ce sujet, le Gouvernement communique depuis un certain nombre d’années. Or la preuve est désormais faite que la communication ne suffit pas, puisque les faits ne suivent pas !
Je transmettrai votre réponse à l’organisme de défense des consommateurs qui m’a saisi de cette question. Je reste toutefois sceptique en ce domaine, le Gouvernement ayant tenu exactement le même discours voilà un an.
Depuis la publication d’une enquête européenne menée voilà deux ou trois ans, chacun sait que les banques françaises occupent les toutes dernières places en matière de frais bancaire, de services et de relations avec les consommateurs. Sur le terrain, elles ne progressent malheureusement pas, bien qu’elles passent leur temps à s’engager et à mettre en avant leur bonne volonté. Une telle situation, qui coûte cher aux consommateurs, est agaçante !
Les associations de défense des consommateurs souhaitent donc que le Gouvernement cesse de demander aux banques des engagements – on sait qu’elles ne les tiennent pas – et mette en œuvre une véritable réforme. Il faut désormais passer à l’acte et prendre les décisions que les banques ne sont pas capables de s’imposer à elles-mêmes.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. J’ajoute simplement, pour que ce soit parfaitement clair, monsieur le sénateur, que le Gouvernement agit.
En effet, le premier dispositif, adopté et appliqué dès 2009, et qui reposait sur l’autorégulation, ne s’est pas révélé satisfaisant. Nous avons donc chargé un organisme indépendant de mener un audit sur cette question. À la lumière des conclusions qu’il rendra, nous déciderons s’il convient ou non de légiférer en la matière. La réponse apportée est donc conforme à ce que vous appelez de vos vœux, monsieur le sénateur, à savoir un dispositif qui s’impose à tous, et notamment au secteur bancaire.
transférabilité des contrats d'assurance sur la vie
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 1096, adressée à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, l’assurance vie est le produit d’épargne préféré des Françaises et des Français, en raison notamment de sa sécurité et des avantages fiscaux qui y sont associés.
À plusieurs reprises, le Sénat a marqué son intérêt et son attachement à l’assurance vie et à la protection des bénéficiaires des contrats en étant à l’origine de textes destinés à favoriser leur recherche. Ainsi, en avril dernier, avons-nous voté à l’unanimité une proposition de loi que j’avais eu l’honneur de proposer à la Haute Assemblée.
Avec un encours de plus de 1 200 milliards d’euros en juillet 2010, l’assurance vie confirme un succès qui ne se dément pas depuis plus de vingt ans, malgré l’augmentation régulière de la fiscalité à laquelle elle est assujettie. Aujourd’hui, les prélèvements sociaux, qui seront désormais prélevés annuellement en application de la loi de finances pour 2011, s’élèvent à 12,3 %.
À ce prélèvement s’ajoute une imposition dont le barème varie en fonction de la durée du contrat : 35 % pour les contrats détenus depuis moins de quatre ans, 15 % pour ceux dont la durée est de quatre à huit ans, et 7,5 % pour ceux dont la durée est supérieure à huit ans. Cette dégressivité a pour objectif d’assurer une stabilité permettant de favoriser l’épargne à long terme dont notre économie a besoin.
Cette règle, malgré son caractère strict, est comprise et admise par tous.
En revanche, une autre règle est beaucoup moins bien acceptée : c’est celle qui empêche un souscripteur de transférer un contrat en cours d’une compagnie à une autre, sans perdre le bénéfice de l’antériorité.
Aujourd’hui, pour transférer son contrat, un souscripteur est obligé de le racheter et d’en souscrire un nouveau, perdant ainsi les avantages fiscaux attachés à l’antériorité dont il bénéficiait.
Cette contrainte constitue un verrou en matière de concurrence et de liberté du consommateur, dans un secteur marqué par d’importants regroupements. Une telle situation diffère de celle qui prévaut dans la plupart des cas, et notamment pour d’autres placements d’épargne populaire tels que le livret A.
Dans un rapport adopté en juin 2009, le Conseil économique, social et environnemental, tout en plaidant pour une stabilisation de la réglementation, suggère également que soit offerte la possibilité de « transférer un contrat d’assurance vie d’un opérateur à un autre sans frais excessifs et sans pénalisation fiscale dès lors que le contrat demeure ouvert ».
Ayant écrit à ce sujet à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi le 16 juin 2010 et n’ayant toujours pas obtenu de réponse malgré plusieurs relances, je me permets de vous interroger, monsieur le secrétaire d’État : le Gouvernement entend-il, sur la base des préconisations du Conseil économique, social et environnemental, assouplir une règle qui me semble aujourd’hui très restrictive ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur le sénateur, vous l’avez dit, il s’agit d’un sujet que vous connaissez bien.
Vous interrogez Mme la ministre sur l’opportunité d’autoriser le transfert individuel de contrats d’assurance vie entre compagnies d’assurance. Or Mme Lagarde est assez réservée s’agissant de l’opportunité de ce type de transferts, et ce pour plusieurs raisons.
Le régime de l’assurance vie est lié, dans notre pays, à la nécessité de favoriser l’épargne sur le long terme. Vous avez également rappelé ce point, qui constitue d’ailleurs l’argument principal sur lequel s’articulera ma réponse. Depuis sa création, ce dispositif a eu pour objet la constitution d’une telle épargne, qui est nécessaire à notre économie. Or la transférabilité induirait un certain nombre d’effets pervers.
Premièrement, elle remettrait en cause – vous avez certainement en tête une telle perspective – le financement de nos entreprises, lié à l’existence d’une épargne sur le long terme. Il s’agit d’un enjeu majeur de politique économique. La détention d’une épargne sur le moyen terme est justement ce à quoi incite le dispositif depuis qu’il a été créé.
De fait, on observe que, en raison notamment du régime fiscal associé à l’assurance vie, la maturité moyenne des contrats est d’environ neuf ans. Cette durée permet à l’assureur d’adopter un horizon de gestion de moyen terme et d’investir dans des actifs à long terme, comme la dette et des actions d’entreprises. Ainsi, fin 2009, 53 % des actifs des assureurs étaient investis dans des actifs d’entreprises, qu’il s’agisse de dette ou d’actions.
Si, d’aventure, le transfert individuel de contrats d’assurance vie était autorisé, l’assureur serait dans l’obligation de réduire son horizon de gestion et de détenir des actifs plus liquides, principalement de la dette souveraine, ce qui n’est pas dans l’intérêt de notre économie ni, surtout, de nos PME.
Deuxièmement, le régime fiscal dont bénéficie l’assurance vie a historiquement été introduit pour inciter à la détention d’actifs sur le long terme. Cet aspect n’est pas sans importance. En effet, si l’incitation à la détention de tels actifs ne constituait plus la priorité du dispositif, le bien-fondé du régime fiscal de l’assurance vie risquerait alors d’être remis en cause, ce que ni le Gouvernement ni vous-même, monsieur le sénateur, ne souhaitent.
Troisièmement, la détention d’actifs sur le long terme est normalement source de rendements pour l’épargnant. Vous l’avez vous-même souligné, monsieur le sénateur, ce produit est souvent le préféré des Français. Le transfert individuel de contrats d’assurance vie ayant pour effet de raccourcir l’horizon de gestion des assureurs, les rendements risqueraient de diminuer, ce qui rendrait moins attractif pour les assurés ce type de produits.
Monsieur le sénateur, je connais parfaitement votre engagement – nous le partageons d’ailleurs – dans la défense des consommateurs. Je connais en outre votre attachement au régime de l’assurance vie.
Vous avez plaidé en faveur de la possibilité de rachat d’un contrat, l’épargnant pouvant alors réinvestir son épargne dans un autre contrat. Or rien n’empêche l’épargnant qui ne serait pas satisfait d’un premier contrat d’en souscrire un second ! Ce point est loin d’être négligeable. En effet, il avait été question, à une certaine époque, de « verrouiller » le nombre de contrats d’assurance vie, en le limitant à un seul.
Tels sont les éléments de réflexion que je souhaitais porter à votre connaissance, monsieur le sénateur. Vous l’avez compris, il s’agit non pas d’une opposition de principe, mais plutôt d’une inquiétude très forte liée à la remise en cause du régime lui-même, mais surtout de tous les avantages que ce dernier procure tant à l’assuré qu’aux PME de notre pays. Or une telle perspective, j’en suis convaincu, ne correspond bien évidemment pas à ce que vous souhaitez.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de m’avoir enfin apporté une réponse. Je comprends parfaitement les arguments que vous venez d’évoquer et qui sont d’ailleurs ceux qui sont utilisés par les établissements financiers concernés, qu’il s’agisse des banques ou des compagnies d’assurance.
Je tiens toutefois à faire remarquer que le transfert, lequel, par définition, ne remet pas en cause l’existence du contrat, ne nuit pas aux investissements sur le long terme. Ne perdons pas de vue cette donnée !
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, il convient également de considérer le point de vue des consommateurs, auquel je vous sais très attaché.
Sans doute ce sujet mériterait-il de réunir une table ronde, qui associerait tous les organismes de défense des consommateurs. En effet, derrière cette question se pose également le problème de la mobilité bancaire. Très souvent, face à l’impossibilité de transférer son contrat d’assurance vie, le consommateur renonce à quitter son établissement bancaire, d’autant plus qu’il se trouverait alors confronté aux pénalités évoquées tout à l’heure par notre collègue.
Ces questions doivent donc être examinées, afin de mieux prendre en compte le point de vue du consommateur.
nécessité de la mise en place d'une véritable unité d'aérostructures
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la question n° 1077, adressée à M. le ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette question était initialement destinée à M. Estrosi. Toutefois, les aléas de la vie parlementaire et gouvernementale me conduisent aujourd’hui à l’adresser à M. Frédéric Lefebvre, qui représente ce matin M. Besson, successeur de M. Estrosi.
Voilà quelques mois, M. Estrosi avait annoncé la mise en place des comités stratégiques de filières industrielles.
Cette mise en place appelle plusieurs réflexions de ma part, étant précisé au préalable que M. Besson, j’imagine, s’inscrit dans la démarche engagée par son prédécesseur, M. Estrosi.
Je crois très fortement en la nécessité de structurer rapidement l’industrie française autour de véritables filières, notamment dans le secteur aéronautique, dont vous savez tous que 80 % de l’activité se situe dans la région Midi-Pyrénées. À travers la mise en place d’une filière aéronautique, apparaîtrait l’opportunité de « muscler » le secteur de la sous-traitance en favorisant le développement de clusters qui, pour leur part, pourraient favoriser l’intégration de la recherche et de l’industrie.
C’est donc avec satisfaction que j’ai pris note de la décision du ministre de l’époque de mettre en place un comité stratégique de la filière aéronautique. Pour des raisons évidentes, je déplore toutefois le fait que ce comité ne soit pas symboliquement basé à Toulouse. Vous savez du reste que Toulouse recevra jeudi prochain, sur le site d’EADS, la visite du Président de la République. Cette visite soulignera une double évidence : d’une part, la place occupée par Toulouse dans le secteur aéronautique ; d’autre part, la place de l’aéronautique dans le tissu industriel national. Peut-être des annonces seront-elles faites à cette occasion.
J’espère cependant que, passé l’effet d’annonce de la création de ce comité stratégique, cette structure sera à moyen terme véritablement opérationnelle et efficace. Je le crois d’autant plus que les travaux actuellement menés par la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, à laquelle j’appartiens, confortent largement ce point de vue.
Dans un autre registre, mais sans trop m’éloigner du cœur du sujet, je voudrais souligner qu’il est indispensable de favoriser, dans le périmètre d’EADS et au-delà, l’émergence d’un puissant acteur français dans le domaine des aérostructures. Il est évident que Sogerma, Daher-Socata et, surtout, Latécoère représentent des entités pouvant concourir à l’émergence d’un tel acteur, déjà concurrencé par certaines initiatives allemandes ou américaines.
En ce sens, la presse a évoqué voilà quelque temps l’éventualité pour la société américaine Spirit – cette société, appendice de la firme Boeing, est déjà implantée sur le sol français et est spécialisée dans les éléments composites – d’acquérir la société Latécoère basée à Toulouse et dans une commune du Gers proche de cette dernière ville. Une telle opération, si elle se réalisait, réduirait pratiquement à néant les chances de voir émerger un ensemble industriel national d’aérostructures, qui pourrait bénéficier du concours du Fonds stratégique d’investissement, le FSI. Il existe donc un véritable enjeu sur le plan de la stratégie industrielle, enjeu qui justifie un affichage politique auprès de tous les acteurs concernés, et ce dans un délai relativement rapide. Lorsque j’évoque l’affichage politique et la stratégie industrielle, vous pensez bien, monsieur le secrétaire d’État, que j’interpelle l’État.
J’espère que vos éléments de réponse me permettront de rassurer tous ceux qui, dans la région Midi-Pyrénées et au-delà, sont préoccupés par cette situation. En effet, le Gouvernement ne peut rester indifférent et muet face à cette question, et a donc le devoir, à travers les compétences du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, de parler et surtout d’agir.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur Mirassou, vous avez parfaitement rappelé que Christian Estrosi avait annoncé, dans le cadre des états généraux de l’industrie, un certain nombre de mesures destinées à renforcer la compétitivité et la solidité des entreprises. Le Président de la République s’est d’ailleurs lui-même engagé dans cette voie à plusieurs reprises, et notamment à l’occasion de ces états généraux de l’industrie.
Parmi les mesures prévues figure la structuration en filières de l’industrie française. Les objectifs fixés à l’époque restent évidemment ceux du Gouvernement. Aujourd’hui, comme hier, ces enjeux constituent une priorité.
Vous avez cité un certain nombre d’entreprises, et je n’y reviendrai pas. Au regard du nombre d’emplois concernés, de l’innovation dans ce secteur et du caractère structurant pour le tissu industriel de cette activité, l’aéronautique figure parmi les onze filières stratégiques identifiées lors des états généraux de l’industrie. C’est une bonne nouvelle pour Toulouse.
Lors de l’installation du comité stratégique de la filière aéronautique, le 16 septembre 2010, plusieurs chantiers prioritaires ont été identifiés, dont celui de la supply chain, comme disent les Anglo-Saxons. Il s’agit, dans le cadre de la filière aéronautique, des aérostructures, que vous avez parfaitement présentées tout à l’heure. Ce secteur des aérostructures emploie directement 9 000 salariés en France, auxquels s’ajoutent de 10 000 à 20 000 emplois dans la sous-traitance. Aerolia, Latécoère, Sogerma et Daher-Socata, que vous avez cités, sont les acteurs principaux de ce secteur.
Il s’agit là d’un secteur performant qui, comme vous l’avez dit, est cependant fragmenté.
Il existe donc un enjeu stratégique majeur à faire émerger un grand champion de taille mondiale dans le secteur des aérostructures, et le Gouvernement est décidé à « être au rendez-vous ». Chacune des entreprises françaises que vous et moi avons citées – Aérolia, Latécoère, Sogerma, Daher-Socata – peut être en mesure d’assumer un rôle fédérateur dans le secteur des aérostructures, à condition qu’elle en ait la volonté stratégique et les capacités financières.
L’État n’a pas vocation à dicter aux entreprises leur stratégie. En revanche, il a mis en place des outils, tel le Fonds stratégique d’investissement, ou FSI, aptes à accompagner des opérations ambitieuses de création de valeur industrielle nationale.
Dans le respect des règles de gouvernance de ces dispositifs, le Gouvernement sera attentif à leur mobilisation pour accompagner la concentration du secteur, dès lors que les industriels auront élaboré un projet ambitieux concordant avec les enjeux nationaux de développement industriel.
Dès lors que ce projet ambitieux sera « sur la table », le Gouvernement aura pour priorité d’être aux côtés de cet acteur que nous souhaitons voir émerger en France. Le FSI est également dans l’attente de ce projet que les entreprises doivent définir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le secrétaire d’État, je partage les bonnes intentions que vous avez affichées, même si j’attends leur concrétisation par des actes.
Il y a toutefois un point de divergence entre votre diagnostic et le mien. Je suis en effet convaincu du fait que, dès que l’on évoque la stratégie industrielle, l’État a alors toute légitimité pour intervenir, voire pour interférer, dans les choix faits par les industries concernées.
Cela est tellement vrai que, dans d’autres pays concurrents de la France – je pense notamment à nos amis allemands –, les gouvernements, faisant preuve de moins de scrupules, interviennent de manière très importante dans ce type de situation ; un membre du Gouvernement est d’ailleurs généralement chargé de la problématique aéronautique. Je ne peux pour ma part que vous souhaitez d’être un jour chargé de ce dossier, monsieur le secrétaire d’État, car il est éminemment important en termes non seulement de stratégie industrielle, qui engage l’ensemble de la nation, mais également d’emploi et de recherche et développement.
Par conséquent, dès l’instant que des comités stratégiques consacrés à ces filières sont créés, il ne faut pas rester au milieu du gué : il faut « pousser les feux » pour que le Gouvernement joue pleinement son rôle. Sinon, les industriels que vous avez cités pourraient être tentés de « jouer petits bras » et préférer, en l’absence d’une volonté politique affirmée à l’échelon gouvernemental, ne pas se lancer dans un effort d’une telle ampleur.
Il faut donner aux énergies existantes la possibilité de tirer le maximum de leur potentiel et confirmer par des actes la volonté politique que vous avez affichée à l’instant, monsieur le secrétaire d’État.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur Mirassou, mon collègue Éric Besson, en charge de ces dossiers, est particulièrement déterminé à ce que, dès lors que les entreprises se mobiliseront, des mesures soient prises. La balle est dans le camp des entreprises. Il ne s’agit pas d’avoir des scrupules ou de ne pas faire comme nos amis allemands. Au contraire ! Il n’est toutefois pas possible de définir la stratégie des entreprises à leur place.
Une fois qu’une stratégie et un projet ambitieux seront sur la table, l’État sera aux côtés du secteur des aérostructures.
M. Jean-Jacques Mirassou. Il pourrait d’ores et déjà le stimuler !
suppression de quarante-trois postes RASED
M. le président. La parole est à M. Robert Hue, auteur de la question n° 1138, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous me permettrez d’évoquer la situation et l’avenir des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, à partir de la réalité de mon département, sachant que la situation du Val-d’Oise est, à bien des égards, représentative de la réalité nationale.
Cette situation renforce, s’il en était besoin, l’extrême inquiétude qui traverse aujourd’hui les communautés scolaires face au désengagement de l’État dans leur domaine. Toutefois, le fait de s’en prendre aux RASED, dispositif performant, est pour moi révélateur de la volonté régressive des initiateurs de cette démarche.
Le fait d’avoir supprimé depuis trois ans des dizaines de milliers d’emplois d’enseignement et d’accueil n’est pas sans conséquences sur la qualité de notre service public de l’éducation nationale. De surcroît, ces réductions massives de capacités humaines sont décidées au moment où les effectifs scolaires sont, quant à eux, en hausse, notamment dans le premier degré.
Les chiffres sont là. Ils sont divulgués de la manière la plus officielle qui soit par le préfet présidant le conseil départemental de l’éducation nationale. Le Val-d’Oise comptera, en 2011, 1 408 élèves supplémentaires, évolution renforçant la tendance des précédentes années. Or ce chiffre se heurte à une baisse du nombre d’emplois, qui passe de 7 113 emplois en 2008 à 7 000 emplois aujourd’hui, du fait notamment de la non-affectation, l’an prochain, de 78 nouveaux postes.
De fait, nous ne sommes pas confrontés à une volonté de faire des économies, mais nous subissons le « dogme » de la suppression d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Cette politique a des conséquences directes sur les dispositifs de lutte contre l’échec scolaire, aujourd’hui sacrifiés.
La « preuve par le Val-d’Oise » est criante. En effet, le rectorat confirme non seulement la suppression budgétaire des 43 postes dédiés au dispositif RASED, mais prévoit également, au travers de nouveaux glissements d’emplois, la suppression supplémentaire de 11 postes affectés au dispositif RASED.
Par conséquent, l’annonce de la non-budgétisation de 54 postes affectés au dispositif RASED, sur les 78 postes non-affectés que j’ai évoqués, démontre que sont principalement visés les postes d’enseignant dédiés au travail spécifique en direction des élèves les plus en difficulté.
Du fait de l’action du Gouvernement, madame la secrétaire d’État, nous passons de la discrimination positive au nivellement par le bas.
Au moment où l’on prétend faire de l’illettrisme une cause nationale, ces décisions, si elles étaient confirmées – j’attends votre réponse à cet égard –, seraient intolérables. Elles annonceraient en effet la mise à mort d’un dispositif vanté par l’ensemble de la communauté scolaire. Nous ne pouvons oublier que ces choix auront des conséquences particulièrement douloureuses pour les familles et les élèves ayant le plus besoin d’une école susceptible de répondre aux inégalités sociales et scolaires.
Je souhaite donc une réponse précise de votre part, madame la secrétaire d’État, quant à l’annonce de ces 54 suppressions de postes dédiés au dispositif RASED.
En apportant votre réponse, vous ne pourrez oublier que cette question précise sur l’avenir des RASED est posée alors qu’un sentiment de colère et d’incompréhension émerge face aux dysfonctionnements récurrents émaillant la vie quotidienne des groupes scolaires.
Il ne peut en être autrement quand, dans un département comme le mien, 150 classes sont quotidiennement privées d’enseignant.
M. Daniel Reiner. On trouve les mêmes problèmes dans d’autres départements !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, chargée de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. Luc Chatel.
Monsieur le sénateur, la réforme de l’enseignement primaire a permis de recentrer les actions de l’école sur les apprentissages fondamentaux.
Chaque élève en difficulté – c’est l’ambition qui est au cœur de cette réforme – doit recevoir une réponse adaptée à sa situation, grâce d’une part à l’institution d’une aide personnalisée de deux heures hebdomadaires en petit groupe, assurée par les enseignants et, d’une part, à des stages de remise à niveau gratuits proposés aux élèves de CM1 et de CM2, pendant les vacances scolaires, à raison de trois heures par jour pendant une semaine.
M. Daniel Reiner. Gadget !
Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État. Désormais, les enseignants ont la possibilité, en prolongement de la classe, de traiter eux-mêmes les difficultés d’apprentissage de leurs élèves. Il ne s’agit pas d’une régression (Protestations sur les travées du groupe socialiste.), bien au contraire !
Ces deux heures d’aide personnalisée représentent au total soixante heures annuelles consacrées par chaque maître à des actions directes auprès des élèves en difficulté. Cet effort représente l’équivalent de 16 000 postes d’enseignants.
Avec cette évolution, nous avons fait le choix de réinvestir l’action des maîtres spécialisés du RASED sur les plus graves difficultés d’apprentissage des élèves. C’est là que la compétence spécialisée de ces maîtres trouve réellement à s’employer avec efficience.
Le ministère de l’éducation nationale vise donc non pas la disparition du dispositif RASED, mais sa mise en cohérence avec la réforme de l’école primaire et avec les moyens nouveaux dont elle dispose pour lutter contre l’échec scolaire.
M. Daniel Reiner. Des mots !
Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, j’en viens à la situation particulière que connaît votre département, le Val-d’Oise.
Dans ce département, au cours de l’année scolaire 2009-2010, pas moins de 33 000 élèves ont bénéficié du dispositif d’aide personnalisée de deux heures hebdomadaires, soit 25,5 % des effectifs. Peut-on dès lors parler d’une régression ?
Pour cette année scolaire, votre département a obtenu une dotation supplémentaire de 52 équivalents temps plein, ou ETP.
En ce qui concerne les RASED, il est vrai que les inspecteurs d’académie ont été invités, dans le cadre de la préparation de la rentrée de 2011, à dresser un état précis des besoins et à en tirer les conséquences en termes d’organisation.
Dans le Val-d’Oise, cette analyse a amené à réduire le nombre de postes de RASED pour le fixer à 207 ETP. La diminution de 43 ETP que vous évoquez correspond à une situation antérieure de « surnuméraires ». Elle n’aura donc absolument aucune incidence sur les personnels titulaires, d’autant que le Val-d’Oise compte aujourd’hui 52 postes de RASED vacants.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, nous n’abandonnons pas les élèves en situation de difficulté scolaire, loin s’en faut. Nous leur apportons une réponse précise, de proximité, assurée par les enseignants, c’est-à-dire par ceux qui connaissent le mieux les élèves. Nous n’abandonnons pas non plus les RASED : nous leur donnons une fonction précise en adéquation complète avec leur mission.
Notre ambition pour l’école est d’aider chaque élève selon ses besoins, afin de lui permettre de construire sa réussite.
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Madame la secrétaire d’État, malheureusement, votre réponse va terriblement accroître la colère et l’incompréhension de la communauté scolaire éducative et des parents d’élèves de mon département.
M. Daniel Reiner. C’est vrai !
M. Robert Hue. Avec le respect que je vous porte, madame la secrétaire d’État, pardonnez-moi de vous dire que vous êtes à mille lieues de la réalité ! Vous voulez enfermer les inspecteurs d’académie dans votre dogme, les contraindre à des choix qui ne fonctionnent pas.
M. Daniel Reiner. Bien sûr !
M. Robert Hue. En réalité, de par votre politique, des enfants en grande difficulté, en situation d’inégalité sociale majeure, ne bénéficieront plus de l’aide qui leur était accordée jusqu’à présent. C’est extrêmement grave ! C’est ainsi que l’on tue un système, et vous êtes bien en train de tuer celui-ci !
En effet, nous passons d’une discrimination positive, que permettaient les RASED, à un total nivellement par le bas. Que vous le vouliez ou non, et je suis très respectueux de votre réponse, ce processus annonce la disparition à terme de ce dispositif, qu’au demeurant nombre de nos voisins européens nous envient au point de rechercher les moyens d’instituer un système similaire.
Le dogme aveugle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a des conséquences gravissimes dans l’éducation nationale, comme dans le reste de la fonction publique. Cette démarche provoquera inévitablement de graves mouvements, car elle est inacceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
évolution du système carcéral français
M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin, auteur de la question n° 1087, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
M. Daniel Marsin. Ma question s’adresse en effet à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Lors de sa visite en Guadeloupe, en décembre 2009, l’ancien secrétaire d’État chargé de la justice, M. Jean-Marie Bockel, avait pu constater avec moi et avec tous les usagers, la vétusté de la maison d’arrêt de Basse-Terre.
Il s’agit bien d’un échantillon concentré, des plus frappants, de tous les maux dont souffre le système carcéral français. Je citerai, entre autres, la surpopulation, un espace vital réduit entraînant des problèmes de promiscuité liés à la présence de six à huit détenus pour dix mètres carrés, alors que les normes européennes imposent neuf mètres carrés par détenu, un suivi médical lacunaire, des problèmes de sécurité, la faiblesse des dispositifs de réinsertion des détenus.
Un projet de réhabilitation de la maison d’arrêt de Basse-Terre, prévoyant notamment la reconstruction de l’établissement, « recalibré » avec 200 places supplémentaires, avait alors été évoqué. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me dire ce qu’il en est aujourd’hui de ce projet ?
Par ailleurs, vous le savez, le cas de la maison d’arrêt de Basse-Terre n’est pas isolé : de trop nombreuses prisons d’outre-mer et de métropole sont dans une situation critique, au bord de l’asphyxie, et ce constat amer est récurrent !
Il est donc aujourd’hui urgent et indispensable de moderniser ces établissements, mais aussi d’humaniser leur fonctionnement, d’améliorer les conditions de détention et de mettre en place de vrais dispositifs de réinsertion.
De ce point de vue, le développement des prisons ouvertes pourrait être un complément efficace aux modes actuels d’exécution des peines, conjuguant l’amélioration des conditions de détention et des outils plus performants de réinsertion des détenus.
À cet égard, il conviendrait de s’inspirer de l’expérience, réussie semble-t-il, de l’établissement corse Casabianda. Si ce dispositif était retenu, sur plus de 66 000 détenus, près de 4 200 d’entre eux pourraient en bénéficier. L’expérience corse ne doit donc pas rester isolée. Elle devrait au contraire devenir la rampe de lancement de ce mode d’incarcération.
Madame la secrétaire d'État, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement sur ce sujet. Envisagez-vous un programme de développement de ce mode de détention ? Puisque j’ai soulevé le cas de la Guadeloupe, ne pourrait-on précisément commencer par y mettre en œuvre ce régime ouvert ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, chargée de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord d’exprimer mon soutien aux habitants de la Guadeloupe, notamment ceux des Abymes, de Morne-à-l’Eau ou de Port-Louis, à la suite des événements qui se sont produits la semaine dernière.
Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice.
Vous avez appelé son attention sur la situation des établissements pénitentiaires de la Guadeloupe, et plus particulièrement sur celle de la maison d’arrêt de Basse-Terre.
Cet établissement, situé en centre-ville et à proximité immédiate du palais de justice, est un ancien couvent aménagé en prison en 1792. D’une capacité de 130 places, il hébergeait 167 détenus au 1er octobre 2010.
Le constat de surpopulation carcérale et l’état de vétusté avancé de la maison d’arrêt de Basse-Terre, en dépit de travaux menés au cours de la dernière décennie, ont conduit l’administration pénitentiaire à ériger en priorité la modernisation du parc immobilier pénitentiaire de la Guadeloupe.
L’agence publique pour l’immobilier de la justice, qui a été mandatée aux fins d’effectuer des études de faisabilité pour la réhabilitation lourde de la maison d’arrêt de Basse-Terre, a remis les résultats de son expertise.
Au regard des conclusions de l’étude que M. le garde des sceaux vient de recevoir, les orientations sont à ce stade les suivantes : la maison d’arrêt de Basse-Terre sera totalement démolie et reconstruite sur le site. Des parcelles foncières contiguës sont en cours d’acquisition, ce qui permettra la mise aux normes et l’agrandissement de l’établissement, dont la capacité passera de 130 à 180 places au moins, en cellules individuelles.
À ce sujet, M. le garde des sceaux a demandé au préfet, en août dernier, de prendre les dispositions nécessaires afin de permettre une démolition rapide de l’édifice actuel. La livraison des premiers bâtiments est prévue pour le début de 2015.
En ce qui concerne un éventuel développement des prisons ouvertes, je vous informe qu’une réflexion est actuellement menée, au sein du ministère de la justice et des libertés, sur les établissements pénitentiaires, dits « prisons sans barreaux », qui pourraient être développés à l’avenir en France.
À cette fin, s’appuyant sur le rapport Gontard, l’administration pénitentiaire étudie la possibilité de réaliser un ou deux quartiers spécifiques de 50 à 100 places hors enceinte, jouxtant un établissement neuf du nouveau programme immobilier.
La première phase, actuellement en cours, a pour objet de décrire le fonctionnement théorique, l’organisation, les exigences et les contraintes d’une telle structure en se fondant, notamment, sur les retours d’expériences étrangères.
La seconde phase, au cours des années 2011 et 2012, consistera à écrire le programme des exigences fonctionnelles et techniques d’une telle structure et à mener les études de faisabilité. Dans le même temps, la localisation d’un site adapté devra être arrêtée.
M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.
M. Daniel Marsin. Madame la secrétaire d’État, je tiens tout d’abord à vous remercier, au nom de tous les Guadeloupéens, de l’intérêt que vous portez aux conséquences des inondations qui se sont produites sur l’île la semaine dernière.
Vous m’avez rassuré en confirmant que le projet de reconstruction de la prison de Basse-Terre, loin d’être abandonné, était au contraire en cours de réalisation et qu’il devrait aboutir en 2015.
Je tiens toutefois à attirer votre attention sur la nécessité de prendre toutes les dispositions nécessaires afin que le centre pénitentiaire de Baie-Mahault ne connaisse pas une nouvelle crise pendant la période de démolition.
Quant au régime de la prison ouverte, je note avec intérêt que ce dispositif, qui semble avoir été testé de façon satisfaisante en Corse, pourrait être étendu. Il s’agirait d’un progrès considérable dans les conditions de détention des prisonniers français.
difficultés de l'insertion par l'activité économique
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, auteur de la question n° 1112, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis vingt-cinq ans, les entreprises d’insertion sous forme associative contribuent à la réinsertion durable dans l’emploi de personnes en situation d’exclusion.
Avec un taux de retour à l’emploi très élevé et, paradoxalement, un coût global de traitement des chômeurs relativement faible, nombre de professionnels s’accordent à le dire, les entreprises d’insertion sont un moyen efficace et peu onéreux pour accompagner des populations qui trouvent très difficilement ailleurs un retour à l’emploi.
Mais ces entreprises d’insertion sous forme associative sont confrontées à une situation financière structurellement difficile. En effet, l’aide au poste qu’elles perçoivent durant le contrat à temps plein qu’elles offrent n’est pas indexée. D’un montant de 9 681 euros par an et par équivalent temps plein, cette indemnité n’a pas été réévaluée depuis dix ans, alors que dans la même période, le SMIC a été revalorisé de 41 %. Cette aide ne couvre plus aujourd’hui, loin s’en faut, le coût réel des prestations d’encadrement et d’accompagnement social des entreprises d’insertion.
De plus, ces entreprises d’insertion subissent la concurrence des entreprises de services à la personne, lesquelles font bénéficier leur clientèle d’une TVA plus favorable, à hauteur de 5,5 %, contre 19,6 % pour les entreprises d’insertion.
Il résulte de cette situation que certaines entreprises d’insertion de la région du Limousin, notamment en Corrèze, envisagent d’abandonner ce service ; d’autres ont dû, en 2010, réduire le nombre de personnes accompagnées, ce qui est préjudiciable sur le plan social.
Les entreprises d’insertion sollicitent une revalorisation justifiée de l’aide au poste. Elle pourrait consister, par exemple, en une indexation sur l’évolution du SMIC, comme dans le cas des contrats aidés. Ces entreprises, de par leur objet même, sont moins productives, puisqu’elles doivent accompagner des populations en difficulté.
Une autre piste pour les aider serait de garantir une déduction fiscale incitative à leurs clients, à l’instar de ce qui existe pour les entreprises offrant des prestations de service, ou d’agir sur le taux de TVA.
Madame la secrétaire d'État, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement à l’égard de ces propositions et savoir quelles dispositions vous comptez prendre pour permettre aux entreprises d’insertion de pérenniser leur activité en 2011, et au-delà si possible, et de tenir leur rôle face à la crise.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Madame la sénatrice, vous appelez l’attention du ministre du travail, de l’emploi et de la santé sur la situation financière des entreprises d’insertion sous forme associative. Xavier Bertrand m’a priée de vous transmettre les éléments de réponses suivants.
Il convient de souligner que, entre 2004 et 2010, s’il n’y a pas eu de revalorisation de l’aide au poste des entreprises d’insertion, les crédits consacrés globalement à l’insertion par l’activité économique ont été doublés.
De plus, dans le contexte de maîtrise des finances publiques, il a été décidé de préserver dans le projet de loi de finances pour 2011 les crédits alloués à l’insertion par l’activité économique, alors même que les crédits d’intervention de l’État se verront appliquer une norme de baisse de 5 %.
C’est la marque de l’attachement que le Gouvernement porte au secteur de l’insertion par l’activité, acteur essentiel de retour à l’emploi des publics qui en sont le plus éloignés sur nos territoires.
S’agissant des modalités de financement, il convient de rappeler que les acteurs du secteur ont souhaité, à l’occasion du Grenelle de l’insertion, organiser la sortie d’un système d’aide forfaitaire au profit de la généralisation d’une « aide au poste modulable et encadrée ».
Il est clair qu’une telle aide modulable doit permettre un soutien tenant compte des coûts réels de l’insertion, de sorte que la question de mesures générales uniformes de revalorisation de l’aide au poste ne se poserait plus à l’avenir.
Des expérimentations ont été menées en 2010 auprès d’une centaine de structures, dans quatre territoires, en vue de préparer de telles aides modulables. Un bilan d’étape de cette expérimentation a eu lieu en juin 2010, au terme duquel les acteurs de l’insertion par l’activité ont proposé la poursuite des travaux en 2011, avant une généralisation de la réforme.
Par ailleurs, dès 2011, l’État proposera aux organismes d’insertion par l’activité économique qui se portent volontaires, et en associant les collectivités territoriales qui le souhaitent, des contrats de performance destinés à enrichir les travaux préalables à une réforme du financement de ces structures.
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Madame la secrétaire d’État, j’ai assisté vendredi après-midi au conseil d’administration d’une entreprise d’insertion, ce qui m’a permis de me tenir informée de façon très précise des réalités de terrain.
De fait, je suis assez sceptique quant à la réponse que vous venez de m’apporter de la part de M. Bertrand.
Vous nous dites que les crédits consacrés à l’insertion par l’activité économique ont doublé. Il n’empêche que l’aide au poste est maintenue au même niveau depuis dix ans, ce qui ne peut nous satisfaire. Vous avez également souligné que les crédits étaient préservés en 2011. Malheureusement, je rappelle qu’ils avaient diminué de 25 % en 2010. Par conséquent, vous les maintenez, certes, mais à la baisse. C’est tout à fait dommageable !
Par ailleurs, nous aimerions en savoir un peu plus sur les modalités de financement que vous avez évoquées. Nous y serons évidemment très attentifs.
S’agissant des contrats partenariaux, vous faites appel une fois de plus aux collectivités locales. Or, compte tenu de la situation, que vous n’ignorez pas, des départements, voire des régions, puisque ce sont ces dernières qui, le plus souvent, investissent dans les entreprises d’insertion, il s’agit d’un vœu pieux. Là encore, c’est dommageable !
En effet, tant en milieu urbain qu’en zone rurale, la situation sociale est de plus en plus catastrophique.
Le Gouvernement la dégrade davantage encore par de nouvelles mesures. Ainsi, j’ai appris vendredi que les contrats aidés, c'est-à-dire les contrats d’accompagnement dans l’emploi, les CAE, et les contrats uniques d’insertion, les fameux CUI, sont passés de 26 heures à 24 heures, avec, pour première conséquence, la diminution du salaire net versé à leurs titulaires, qui passera de 800 euros à 680 euros, c’est-à-dire en dessous du seuil de pauvreté. Dans de telles conditions, comment peut-on encourager les gens à se remettre au travail ? C’est indigne !
avenir des psychologues hospitaliers
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, auteur de la question n° 1137, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
M. Michel Billout. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur l’avenir des psychologues hospitaliers. La circulaire du 4 mai 2010 de la direction générale de l’offre de soins, la DGOS, relative à la situation des psychologues dans la fonction publique hospitalière indique que « les psychologues contractuels n’ont pas vocation à bénéficier des dispositions relatives au temps FIR », c'est-à-dire au temps alloué à la formation, à l’information et à la recherche.
Sachant que le temps FIR peut représenter un tiers du temps de l’activité d’un psychologue, comme le recommande la circulaire, avec cette mesure, les directeurs d’hôpitaux ont évidemment tout intérêt d’un point de vue financier à recruter des psychologues contractuels sur des postes vacants.
Or, depuis plus d’une dizaine d’années, la précarisation des psychologues dans la fonction publique hospitalière a considérablement augmenté : on comptait, en 1996, 3 502 titulaires pour 2 079 contractuels et, en 2006, 5 076 titulaires pour 3 843 contractuels, soit, en dix ans, un taux de croissance de 45 % pour les titulaires, contre 85 % pour les contractuels.
Paradoxalement, la même circulaire indique : « Les emplois permanents à temps complet ont vocation à être occupés par des fonctionnaires. Toutes les diligences nécessaires doivent être prises afin de s’assurer que les fonctions de psychologue soient exercées par les titulaires du corps correspondant ».
Je le répète, la suppression du temps FIR des contractuels, outre la dégradation qu’elle entraîne de la qualité de traitement des patients, risque d’avoir pour effet d’inciter les directions hospitalières à continuer de multiplier les contrats précaires, y compris en CDI.
C’est le cas, par exemple, à l’hôpital Marc Jacquet de Melun, dans mon département, où plus de la moitié des psychologues sont contractuels, soit trente sur un effectif total de cinquante-six, parfois depuis de longues périodes pouvant aller jusqu’à douze ans, travaillant aussi bien dans des unités classiques d’hospitalisation que dans des secteurs extra-hospitaliers pour enfants, adolescents ou adultes : consultations médico-psychologiques, centres d’aide thérapeutique, consultations et soins ambulatoires en établissements pénitentiaires, équipes mobiles de psychiatrie pour les populations précaires.
Pourtant, contractuels et titulaires effectuent le même travail, défini par le décret n° 91-129 du 31 janvier 1991 : « Ils contribuent à la détermination, à l’indication et à la réalisation d’actions préventives et curatives assurées par les établissements et collaborent à leurs projets thérapeutiques ou éducatifs tant sur le plan individuel qu’institutionnel.
« Ils entreprennent, suscitent ou participent à tous travaux, recherches ou formations que nécessitent l’élaboration, la réalisation et l’évaluation de leur action. »
Ce temps de formation et de recherche étant aujourd’hui supprimé pour les contractuels, qui représentent une part très importante des effectifs de psychologues dans de nombreux hôpitaux, je souhaiterais connaître les mesures que compte prendre le Gouvernement auprès des établissements hospitaliers afin de transformer ces contrats précaires en postes titularisés.
Cela permettrait ainsi aux patients de consulter des professionnels bénéficiant des mêmes conditions de formation, favorisant ainsi une démarche de qualité de soins et de prise en charge des malades en lieu et place d’une pratique de la psychologie à deux vitesses que vous voulez instaurer.
M. Robert Hue. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur le sénateur, la circulaire du 4 mai 2010 relative à la situation des psychologues dans la fonction publique hospitalière, dans son paragraphe IV sur le « Bénéfice du temps de formation, d’information et de recherche », dit « temps FIR », ne fait que rappeler les conséquences de la situation juridique différente des psychologues contractuels et des psychologues titulaires régis par le décret du 31 janvier 1991 portant statut particulier des psychologues de la fonction publique hospitalière.
De ce fait, les psychologues contractuels ne bénéficient pas du temps FIR au titre de l’article 2 du décret du 31 janvier 1991. Il convient d’ajouter toutefois que la lettre-circulaire du 16 août 1995 non abrogée laisse toute possibilité au chef d’établissement d’inclure dans le contrat de recrutement d’un psychologue non statutaire des dispositions relatives à une organisation de son temps de travail lui permettant de facto de bénéficier d’un temps FIR.
La circulaire du 4 mai 2010, qui appelle des précisions, n’a donc pas « supprimé » le temps FIR des psychologues contractuels.
Enfin, comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, la circulaire précitée rappelle que les emplois permanents de psychologue à temps complet ont vocation à être occupés par des personnels titulaires.
Cette mention démontre, s’il en était besoin, la volonté des pouvoirs publics de lutter contre la précarisation dans la fonction publique hospitalière.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la secrétaire d’État, je suis quelque peu abasourdi par votre réponse !
La circulaire du 4 mai 2010 a eu des conséquences extrêmement importantes dans les hôpitaux. Peut-être la disposition était-elle déjà contenue en filigrane dans le décret, mais la circulaire a rappelé aux directeurs des hôpitaux, dans un contexte où il leur est demandé de fournir des efforts gigantesques pour équilibrer leur budget, qu’ils pouvaient supprimer le temps de formation, d’information et de recherche qui représente pratiquement un tiers du temps de l’activité des psychologues contractuels.
Un certain nombre de directeurs d’hôpitaux ne s’en sont pas privés et ont pris des dispositions nouvelles en ce sens. C’est notamment le cas dans mon département.
Dans votre réponse, madame la secrétaire d'État, je comprends que, d’un côté, l’on indique gentiment aux directeurs d’hôpitaux qu’ils devraient faire quelques efforts pour placer des fonctionnaires à ces postes et, de l’autre, on les incite très fortement à ne pas le faire.
Or il convient d’avoir à l’esprit le travail qui est effectué par les psychologues dans les hôpitaux. Déjà en 2003, notre collègue Bruno Sido avait interrogé le ministre de la santé de l’époque sur les dérives constatées à cet égard : le manque de psychiatres conduisait les psychologues à remplir les fonctions de ces derniers. Ce phénomène avait d’ailleurs été confirmé par la réponse du ministre, à laquelle chacun peut se référer.
Aujourd'hui, les hôpitaux manquent de psychiatres et les psychologues sont amenés à effectuer des tâches de plus en plus importantes. Or le nombre des psychologues contractuels ne bénéficiant pas du temps de formation, d’information et de recherche nécessaire ne cesse d’augmenter, comme vous l’avez confirmé, madame la secrétaire d’État. Cette situation est particulièrement grave et préoccupante !
transformation d'un contrat de travail à temps plein en stage
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 1109, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le droit du travail. En effet, plusieurs cas m’ayant été signalés, je m’interroge sur la légalité des pratiques qui consistent à transformer un emploi précédemment exercé par un salarié à temps plein, en CDD ou en CDI, en une mission de stage.
Dans le cadre de la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, des dispositions ont été prévues afin d’encadrer l’usage des stages et protéger les étudiants. Nous avions en effet tous constaté qu’il était fréquent que des stagiaires qualifiés, souvent titulaires de diplômes sanctionnant trois, quatre ou cinq années d’études après le baccalauréat, soient utilisés comme une main-d’œuvre gratuite, bien que consentante, au détriment de la création de postes permanents dans l’entreprise. Les stagiaires s’y succédaient, en remplacement d’un emploi à temps plein. Dans certaines entreprises, ils constituaient même des équipes complètes !
Cependant, malgré l’obligation aujourd'hui légale de rémunérer les stages de plus de deux mois, certaines entreprises proposent des stages de longue durée, certes soumis à une gratification minimale, mais venant remplacer des emplois précédemment occupés à plein-temps par des salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée.
Je souhaite savoir si des dispositions du code du travail prohibent de telles pratiques, quels sont les recours dont dispose l’ancien salarié lorsqu’il découvre que son poste de travail non renouvelé est dorénavant proposé en stage de longue durée, si corrélativement le stagiaire qui le remplace peut demander la requalification de son stage en CDD et, enfin, si l’entreprise peut être sanctionnée pour de tels procédés.
Au-delà de ces questions précises de droit du travail, j’aimerais savoir quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour empêcher ces pratiques, qui vont à l’encontre de l’emploi en général et celui des jeunes en particulier et qui sont malheureusement de plus en plus fréquentes, surtout par le biais d’internet.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Madame Procaccia, la pratique des stages en entreprise a donné lieu à des abus manifestes, notamment s’agissant de jeunes en entreprise.
La nécessité de fixer un cadre clair assurant l’insertion du stage dans le cursus de formation suivi par le jeune, protégeant ses droits et évitant les abus, a été affirmée explicitement par l’article 9 de la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, et son décret d’application du 29 août 2006.
L’article 6 de ce décret énonce qu’aucune convention de stage ne peut être conclue pour remplacer un salarié absent ou licencié. De même, le stage ne peut servir à exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent ni être utilisé pour répondre à un accroissement d’activité ou pour exécuter un emploi saisonnier.
Le cas évoqué de transformation en stage d’un emploi précédemment occupé par un salarié à temps plein paraît ainsi relever de cette interdiction.
L’ancien salarié établissant le recours abusif au stage pourra faire juger que la rupture de son contrat de travail ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et, à ce titre, demander au juge une indemnité en complément, le cas échéant, des indemnités déjà perçues.
De son côté, le stagiaire, établissant le recours abusif au stage, pourra demander au juge la requalification de son activité en contrat de travail, à durée déterminée ou indéterminée, assortie de la rémunération correspondant à l’emploi occupé, telle que résultant des dispositions légales et conventionnelles applicables.
Cette requalification pourra entraîner, du fait du recours abusif au statut de stagiaire, le constat, par un agent d’un corps de contrôle habilité, d’une situation de travail dissimulé, constat pouvant donner lieu à l’application de sanctions civiles et pénales par le juge.
Plus généralement, le dispositif d’encadrement du recours au stage met à la charge des entreprises certaines obligations visant à faciliter le contrôle des abus éventuels, comme la tenue à jour de la liste des conventions de stage conclues.
Si les signalements d’abus demeurent rares, l’emploi de faux stagiaires représente 4 % des infractions constatées au droit du travail. Le renforcement du contrôle des conditions de recours au stagiaire fait partie des axes prioritaires de contrôle retenus par le plan national de lutte contre le travail illégal fixé pour les années 2010 et 2011.
Ainsi, le Gouvernement entend poursuivre son action pour empêcher les pratiques illicites du recours à des faux stagiaires, dont sont victimes les jeunes, élèves ou étudiants.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d’État, vos propos confortent le sentiment que j’avais de l’illégalité de ces pratiques.
Je me permettrai toutefois de suggérer que le ministère du travail mette en place une boîte aux lettres ou un site internet sur lequel les stagiaires pourraient expliquer que, dans telle ou telle entreprise, ils ont découvert qu’ils remplaçaient un salarié auparavant employé en CDD ou en CDI et qui a démissionné.
En effet, si l’on imagine qu’un salarié puisse saisir le juge, il sera plus difficile pour un stagiaire, qui a déjà du mal à décrocher un contrat, d’effectuer cette démarche.
Je souhaiterais également que le ministère du travail jette un œil sur les offres de postes publiées sur internet par les grandes entreprises. Sans doute le fait-il déjà, mais il découvrira, en cliquant sur ces offres, qu’elles prennent pour la plupart la forme de stages.
Je suis certes favorable aux stages – ils sont essentiels dans un parcours de formation –, mais la dérive que nous constatons aujourd’hui devrait pouvoir être combattue par des moyens un peu moins lourds que le recours au juge.
suivi médical des agents des collectivités territoriales dans les communes du saumurois
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteur de la question n° 1132, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Mme Catherine Deroche. Ma question porte sur les services de santé au travail, en particulier ceux de la fonction publique territoriale.
En effet, de nombreuses collectivités territoriales rencontrent d’extrêmes difficultés pour assurer le suivi médical de leurs agents ; c’est le cas en particulier des collectivités de l’arrondissement de Saumur, dans mon département de Maine-et-Loire.
C’est ainsi que le service médical interentreprises du saumurois, le SMIS, a décidé de dénoncer, à compter du 1er janvier 2011, la convention qui le liait depuis plusieurs années aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale, au motif qu’il était confronté, comme un nombre croissant de services de santé au travail, à un problème de démographie médicale.
Ne pouvant plus recruter de nouveaux médecins sur un marché inexistant, ce service souhaite concentrer ses capacités actuelles sur ses adhérents du secteur privé.
Pourtant, les collectivités territoriales sont tenues de veiller à la santé des agents territoriaux. La loi du 26 janvier 1984 offre différentes possibilités : soit recruter un médecin, soit adhérer à un service commun à plusieurs collectivités ou au service créé par le centre de gestion, ou encore à un service de santé interentreprises ou assimilé.
Le centre de gestion de Maine-et-Loire a cessé d’assurer cette fonction depuis 2005, la carence de médecins du travail étant préjudiciable à la qualité du service qu’il rendait.
Les communes de Maine-et-Loire se sont alors tournées vers les services de santé interentreprises. Mais, concernant le Saumurois, en 2011, le service interentreprises de l’arrondissement d’Angers, le SMIA, et celui de l’arrondissement de Cholet, le SMIEC, refusent de suppléer le service défaillant en plaidant l’absence de compétence géographique. Ils sont eux-mêmes confrontés à des difficultés analogues de recrutement de médecins.
En l’état actuel du droit, le recours à un médecin agréé par les communes se révèle une solution difficile à mettre en œuvre, puisque l’agrément des médecins de la liste préfectorale ne porte que sur l’aptitude à entrer dans la fonction publique territoriale, et non sur l’aptitude dans l’emploi. Ces médecins ne peuvent donc pas assurer le suivi des agents une fois que ces derniers sont entrés dans la fonction publique.
Cette situation, que dénoncent vivement les municipalités subissant cette pénurie médicale, risque d’engendrer des conséquences en termes de responsabilité pénale pour les exécutifs territoriaux, en cas notamment d’accidents du travail susceptibles de toucher les personnels affectés, par exemple, à l’entretien du réseau routier, aux services de restauration ou à l’assainissement.
En conséquence, je souhaite savoir quelles mesures le Gouvernement envisage de prendre pour permettre aux élus de répondre à leurs obligations dans le contexte actuel de la médecine du travail.
On pourrait envisager, par exemple, de modifier l’agrément des médecins inscrits sur les listes préfectorales, ou encore de revoir les règles régissant actuellement la médecine du travail de la fonction publique territoriale, sachant qu’elles sont différentes dans la fonction publique d’État. Ainsi, au sein d’un même établissement, un agent territorial spécialisé des écoles maternelles, ou ATSEM, employé par la commune, devra faire l’objet d’un suivi tous les deux ans, alors que l’enseignant relevant de la fonction publique d’État ne subira un examen que tous les cinq ans.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Madame la sénatrice, vous appelez l’attention du Gouvernement sur les grandes difficultés rencontrées par les collectivités territoriales de Maine-et-Loire pour assurer le suivi médical de leurs agents après la dénonciation par le service médical interentreprises du Saumurois de la convention qui la liait aux communes, au motif qu’il est confronté à une pénurie de médecins.
En application de l’article 108-2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, les collectivités ont plusieurs possibilités pour se doter d’un service de médecine pour assurer le suivi médical de leurs agents : elles peuvent recruter elles-mêmes un médecin, recourir à un service commun à plusieurs collectivités ou à celui du centre de gestion, à un service de santé interentreprises ou encore à un service de santé en agriculture.
Les collectivités territoriales, comme le secteur privé d’ailleurs, se heurtent cependant à la pénurie de médecins du travail. Le Gouvernement s’efforce de remédier à cette situation.
Tout d’abord, en ce qui concerne la fonction publique, l’article 34 de la loi du 3 août 2009, relative à la mobilité et aux parcours professionnels, a modifié les règles de cumul d’activités et devrait permettre à davantage de médecins de travailler pour un employeur public tout en conservant une activité privée.
Le manque de médecins touche également les services de santé au travail du secteur privé. C’est pourquoi le Gouvernement a engagé, dans le cadre du deuxième plan santé au travail, une réforme des services de santé au travail. Cette réforme visera plusieurs objectifs : favoriser la pluridisciplinarité des équipes de santé au travail ; tenir compte de la démographie médicale, en explorant les pistes dégagées par M. Paul Frimat dans le rapport dont les recommandations ont été exposées le 11 mai 2010 aux membres du Conseil d’orientation des conditions de travail. Ces propositions ont été mises en ligne sur le site www.travailler-mieux.gouv.fr.
Par ailleurs, au sein de l’accord sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique, signé par sept des huit organisations syndicales de la fonction publique, ainsi que par les employeurs territoriaux et hospitaliers, des premières réponses ont été apportées afin de permettre la résorption du déficit quantitatif de médecins de prévention dans la fonction publique.
Il s’agit, d’une part, de l’amélioration des conditions d’emploi de ces médecins et, d’autre part, de la modernisation du système de prévention par le biais de la mutualisation des services de prévention, ainsi que de la pluridisciplinarité.
En outre, le 16 décembre dernier, le secrétaire d’État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, chargé de la fonction publique, lors de la deuxième réunion du comité de suivi de l’accord sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique, a estimé utile la mise en place d’une réflexion afin de développer l’attractivité de cette spécialité.
En revanche, il n’est pas envisagé de modifier l’agrément, les médecins généralistes agréés ayant une compétence pour la visite d’aptitude physique préalable à la nomination d’un fonctionnaire ou à l’engagement d’un agent non titulaire, alors que le suivi médical des agents des collectivités territoriales et leurs établissements publics doit être assuré par les médecins titulaires de la spécialité en médecine du travail.
Enfin, la responsabilité pénale des exécutifs territoriaux pour délit non intentionnel ne saurait être engagée à raison du non-respect de leur obligation relative au suivi des agents territoriaux. En effet, pour engager leur responsabilité, une faute personnelle doit pouvoir leur être imputée.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. J’ai bien entendu toutes les mesures que le Gouvernement souhaite prendre pour rendre plus attractive la médecine du travail. La mutualisation peut permettre de résoudre certaines difficultés.
Le problème actuel des communes est de faire face à leurs responsabilités dans les prochaines semaines et les mois à venir. Sachant que la mise en œuvre des mesures envisagées prendra du temps, nous allons nous efforcer, avec les communes concernées, de trouver une solution leur permettant de pallier les cas les plus difficiles.
réutilisation d'eaux usées traitées pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet, auteur de la question n° 1116, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
M. Michel Doublet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ma question porte sur les difficultés d’application de l’arrêté du 2 août 2010 fixant les prescriptions sanitaires et techniques applicables à l’utilisation d’eaux issues du traitement d’épuration des eaux résiduaires urbaines pour l’irrigation de cultures ou d’espaces verts.
Cette pratique, qui a pour objectif la préservation quantitative de la ressource en eau, suppose un encadrement réglementaire strict.
Pris en application de l’article R. 211-13 du code de l’environnement, l’arrêté définit les contraintes d’usage, de distance et de terrain, en imposant la mise en place d’un programme d’irrigation, s’agissant notamment des parcelles, des cultures, du matériel.
L’utilisation d’eaux usées traitées à des fins d’irrigation est autorisée par un arrêté préfectoral qui fixe les modalités d’irrigation. Elles visent, entre autres, le niveau de qualité sanitaire des eaux usées traitées, les débits journaliers, les distances à respecter, la protection de la santé publique, l’information des usagers, l’identité des exploitants.
Ainsi, des associations d’irrigants de la Charente-Maritime ont étudié avec la communauté d’agglomération de La Rochelle et le syndicat des eaux de la Charente-Maritime, que je préside, la possibilité d’utiliser les eaux résiduaires des stations d’épuration pour l’irrigation des grandes cultures.
Or les nouvelles normes de qualité imposées, notamment pour l’irrigation par aspersion, sont difficilement atteignables.
Les deux projets en cours sont mort-nés, si je puis m’exprimer ainsi, et au lieu d’utiliser l’eau sur un nombre d’hectares importants – selon les spécialistes, le meilleur des filtres est le sol –, celle-ci va être injectée dans la nappe sur quatre ou cinq hectares ou, si cette dernière ne l’absorbe pas, elle sera rejetée dans l’anse de la baie de l’Aiguillon via les canaux.
Force est de constater que ces normes sont actuellement impossibles à atteindre et posent d’importants problèmes aux irrigants déjà engagés dans cette voie, notamment dans l’Île de Ré et le pays rochelais.
En conséquence, monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures entendez-vous mettre en œuvre pour que les nouvelles normes soient applicables sur le terrain et n’obèrent pas les projets d’utilisation des eaux résiduaires pour l’irrigation par aspersion ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur Doublet, la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement a bien conscience du sentiment des associations d’irrigants de la Charente-Maritime à propos de l’arrêté du 2 août 2010 relatif à la réutilisation des eaux usées.
Après leur passage en station d’épuration, au lieu d’être rejetées dans les eaux superficielles des cours d’eau, plans d’eau, ou littorales, les eaux usées peuvent faire l’objet d’une épuration supplémentaire et être réutilisées, notamment pour des usages agricoles. Cette réutilisation permet, d’une part, de mobiliser une ressource en eau supplémentaire et, d’autre part, de protéger les eaux réceptrices accueillant les eaux usées traitées.
La réglementation distingue les garanties à apporter en fonction des risques, selon le type de culture, l’environnement proche et la qualité des eaux traitées, et répond à un double objectif : la protection de l’environnement, mais également la santé publique ; le risque sanitaire lié à la réutilisation dépend à la fois des concentrations des contaminants et du degré d’exposition des populations.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a été sollicitée à plusieurs reprises sur ce dossier encore peu connu en France. Pour permettre la poursuite de la quantification par l’ANSES des risques au regard de cette technique d’irrigation sans entraver le démarrage du développement de cette filière, il est prévu une phase transitoire pour le mode de dissémination par aspersion, qui est celui dont la zone d’influence est la plus importante. À l’issue de cette étude, d’ici à la fin de 2011, l’arrêté interministériel sera révisé.
Même si les normes retenues par l’arrêté du 2 août 2010 paraissent très supérieures à celles qui sont préconisées par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, pour les pays en voie de développement, elles sont du même ordre que pour les pays comparables au nôtre, à savoir les pays les plus développés : je pense, bien évidemment, aux normes utilisées en Australie, en Espagne ou en Italie.
Enfin, sur le plan économique, j’attire votre attention, monsieur le sénateur, sur le fait que la réutilisation des eaux usées a un coût élevé, bien souvent supérieur à celui de la simple captation des eaux là où elles sont abondantes, ce qui est en général le cas en France.
Dans ces conditions, ce sont principalement les zones en très fort stress hydrique, là où la demande est forte comme dans le Sud-Ouest, qui pourront développer cette technique dans un premier temps, dans l’attente de l’acquisition d’une expérience française qui nous permettra de faire baisser les coûts de cette technique pour la rendre plus utilisable sur l’ensemble du territoire.
Monsieur le sénateur, telle est la réponse que souhaitait vous apporter le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.
M. Michel Doublet. J’ai bien entendu la réponse de M. le secrétaire d’État s’agissant notamment de la possibilité de revoir les conditions de réutilisation des eaux usées.
Il est vrai qu’actuellement elles ne peuvent pas être utilisées.
Cependant, au lieu d’être épurées une seconde fois par le filtre du sol, ces eaux partent directement à travers les canaux vers des zones balnéaires ou ostréicoles. Il est tout de même un peu fort de café de constater que l’eau qu’il n’est pas possible d’utiliser dans des régions agricoles est rejetée dans des zones de tourisme et de cultures marines !
J’espère que l’arrêté sera assoupli afin que ces eaux, en quantités importantes, puissent être utilisées. Rappelons que la ville de La Rochelle et la communauté d’agglomération, totalisant 130 000 habitants, se situent dans une zone affichant un fort déficit en eau pour l’irrigation.
J’espère que le bon sens l’emportera et que le décret sera applicable.
financement du plan digues et protection des marais littoraux charentais
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 1121, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
M. Daniel Laurent. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ma question porte sur le plan digues et sur la protection des marais littoraux charentais. Elle s’inscrit dans le prolongement de la question du 16 novembre dernier de mon collègue et ami Michel Doublet, mais également des questions posées auparavant, qui ont donné lieu à des réponses ne nous ayant pas pleinement satisfaits.
La tempête Xynthia a mis en évidence la nécessité d’un renforcement des ouvrages de protection de nos côtes pour éviter les ruptures des digues et les submersions.
En Charente-Maritime, après l’intervention de l’État en toute première urgence dans le cadre du plan ORSEC, le conseil général a assuré la maîtrise d’ouvrage des premières réparations et confortements pour assurer une fonctionnalité identique à l’avant-tempête.
Les collectivités et le département préparent, en lien avec les services de l’État, les dossiers à déposer au début de 2011 en vue de réaliser des travaux pour protéger les secteurs prioritaires ou les digues repérées comme fragiles devant un nouvel événement exceptionnel.
Seraient notamment concernés les secteurs des « zones jaunes », qualifiées de zones d’extrême danger protégeables, et certaines zones de solidarité.
La finalisation technique de ces dossiers nécessite de définir un aléa de référence à prendre en compte pour chaque zone homogène à protéger et d’arrêter les dispositions constructives de l’ouvrage, notamment sa cote d’arase supérieure.
L’article L. 562-8-1 du code de l’environnement, issu de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, précise les obligations de conception, d’entretien et d’exploitation auxquelles doivent répondre les ouvrages et la responsabilité du gestionnaire, un décret en Conseil d’État devant en fixer les modalités.
Dans quelles conditions et dans quel délai seront définis l’aléa de référence à prendre en compte et la validation des dispositions constructives de l’ouvrage ?
De même, dans quel délai sera publié le décret mentionné ci-dessus ?
Par ailleurs, le montant des investissements à réaliser doit rester compatible avec les possibilités des différents cofinanceurs.
Une première estimation des travaux de confortement à réaliser dans le département de la Charente-Maritime fait état d’un montant de 195 millions d’euros hors taxes, laquelle ne prend pas en compte la surélévation nécessaire des ouvrages pour minimiser les conséquences d’un aléa identique à celui de la tempête Xynthia, avant même d’anticiper un changement climatique.
L’État pourrait financer la réalisation des ouvrages ou équipements de protection à hauteur de 40 % ou de 25 % dans les communes où un plan de prévention des risques naturels, un PPRN, a été approuvé ou prescrit.
Des travaux seront à réaliser dans certains secteurs dans des délais courts et incompatibles avec celui de l’approbation ou même de la prescription d’un PPRN.
Les collectivités locales seront ainsi dans l’incapacité de mobiliser leurs seuls budgets sans les compléments idoines pour financer les opérations.
Enfin, il est indispensable de clarifier le régime de propriété en envisageant le transfert de propriété publique, comme préconisé dans le rapport d’information de nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani sur les conséquences de la tempête Xynthia, proposition par ailleurs reprise dans la proposition de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine.
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes toujours dans l’incertitude sur le financement ; pouvez-vous aujourd’hui nous apporter des réponses concrètes et précises sur les modes de financements complémentaires envisagés par l’État pour permettre aux collectivités de se porter maîtres d’ouvrage des travaux, tout en restant compatibles avec leurs équilibres budgétaires ? En outre, quid du régime de propriété ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le sénateur, vous avez attiré l’attention du Gouvernement sur le renforcement des ouvrages de protection des côtes pour éviter les ruptures de digues et les submersions. Je souhaite vous apporter les éléments de réponse suivants.
Concernant tout d’abord l’aléa de référence à prendre en compte pour le dimensionnement des ouvrages de protection, appelé « objectif de protection », les travaux annoncés par l’article 220 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ont été lancés par les services du ministère et feront l’objet d’une large concertation, auprès des collectivités territoriales notamment.
La publication du décret d’application de l’article L. 562-8-1 du code de l’environnement devrait ainsi aboutir à la fin de 2011.
Cet objectif de protection pourra être distinct de l’aléa de référence pris en compte dans les plans de prévention des risques naturels pour fixer les règles d’interdictions ou de prescriptions, fondé sur le plus fort événement historique connu, s’il est plus rare que l’événement centennal, et à défaut sur l’aléa centennal.
Bien évidemment, l’État ne pourra prendre en compte la fonction de protection des ouvrages dans les plans de prévention des risques naturels qu’à la double condition que ces ouvrages aient un objectif de protection au moins égal à l’aléa de référence et que des garanties soient données sur la pérennité des ouvrages : le maître d’ouvrage devra être identifié et présenter des garanties de pérennité en matière d’entretien et de gestion des ouvrages concernés.
Dans le cas de la tempête Xynthia et des sites littoraux qui ont été affectés, cet événement, complété par la prise en compte de scénarios légèrement différents issus de l’expérience d’autres tempêtes connues, peut être pris comme aléa de référence des PPRN. Pour les ouvrages de Charente-Maritime, l’événement Xynthia apparaît donc comme une référence assez légitime en termes d’aléa de conception dans les zones à forts enjeux.
Compte tenu des incertitudes sur la connaissance des aléas de submersion en l’état actuel et des évolutions attendues du niveau moyen des océans liées au changement climatique, les ouvrages doivent être conçus comme évolutifs.
Concernant les dispositions constructives, les ouvrages devront naturellement respecter la réglementation en vigueur, relative notamment à l’étude de danger et à la revue de sûreté.
Pour en venir au cœur de votre question, monsieur Laurent, j’indique que le financement des projets, dès lors qu’il sera envisagé d’augmenter le niveau de protection actuel des ouvrages, devra se placer dans le cadre d’une démarche globale de prévention contractualisée de type PAPI, c'est-à-dire des programmes d’actions de prévention des inondations, pour bénéficier de subventions de l’État.
Vous avez rappelé le niveau des taux de subvention, qui reste inchangé. Ceux-ci sont de 25 % lorsqu’un PPRN est prescrit et de 40 % s’il est approuvé. En ce qui concerne les secteurs d’intervention prioritaires, les prescriptions nécessaires du PPRN seront diligentées par les préfets.
Un groupe de travail, présidé par votre collègue Éric Doligé, fera prochainement des propositions au Gouvernement sur les conditions à prévoir en vue de l’émergence d’une maîtrise d’ouvrage pérenne des digues. Ces propositions seront examinées avec la plus grande attention. Mais la question des financements complémentaires à apporter par les collectivités locales dépend aussi des priorités d’intervention de ces dernières et de leurs choix d’investissement en faveur de l’aménagement du territoire.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de toutes ces réponses. À l’évidence, il faudra absolument fixer l’aléa de référence, et ce très rapidement, et verser les subventions tout aussi rapidement. En effet, les départements ont donné leur accord pour être les maîtres d’ouvrage de l’ensemble des opérations. L’État doit donc s’engager à leurs côtés, dans l’urgence, pour se préparer en cas de marées d’équinoxe, lesquelles risquent de se produire au mois de septembre prochain.
taxe d’habitation et logements vacants
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, auteur de la question n° 1102, adressée à M. le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.
M. Christian Cambon. Monsieur le secrétaire d’État chargé du logement, ma question s’adresse effectivement à M. le ministre du budget, mais elle ne manquera pas de vous intéresser également puisqu’elle concerne les difficultés rencontrées par les communes pour recouvrer la taxe d’habitation sur les logements vacants.
La taxe d’habitation est due par toute personne physique occupant un logement d’habitation au 1er janvier de l’année d’imposition. Le redevable peut être soit le propriétaire, soit le locataire, soit l’occupant à titre gracieux, cet impôt étant dû par tout le monde.
Un avis d’imposition est établi pour chaque adresse où un redevable de la taxe d’habitation dispose de locaux à usage d’habitation. Le système repose sur un système déclaratif. Malheureusement, le propriétaire bailleur, censé informer les services fiscaux en cas de déménagement de son locataire dans un délai d’un mois, ne le fait pas toujours et peut alors être tenu de payer la taxe d’habitation non réglée par l’ancien locataire.
Dans de nombreuses communes de mon département, mais la situation est sans doute analogue dans beaucoup d’autres agglomérations, notamment en Île-de-France, la quantité de logements vacants est particulièrement importante, ce qui est du reste assez problématique quand on connaît l’importance de la demande en ce domaine. Ainsi, à Saint-Maurice, ville dont je suis le maire, le fichier des logements vacants fait apparaître 400 logements déclarés comme tels.
Face à ce constat et à la diminution des bases d’imposition de la taxe d’habitation en découlant, le service financier de la ville a mis en place un observatoire fiscal. Ce dernier a effectué un travail long et patient, mais aussi très coûteux ; il a permis de montrer que nombreux sont les habitants qui n’acquittent pas la taxe d’habitation alors qu’ils devraient normalement y être assujettis.
Cette absence d’imposition a évidemment des conséquences financières considérables pour les collectivités territoriales. Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d'État, que le produit des impôts locaux représente 40 % de leurs recettes.
Plus grave, le fait que le calcul de l’impôt s’effectue au 1er janvier de l’année d’imposition n’est pas non plus sans incidence. Nous sommes plusieurs maires à avoir constaté qu’un certain nombre de personnes emménage après le 1er janvier, parfois juste après, et ce pour échapper à la première année d’imposition de la taxe d’habitation.
Les maires ont demandé l’appui des services fiscaux, qui, malheureusement, ont fait état d’une insuffisance de moyens d’action, laquelle entraîne des conséquences très lourdes pour nos collectivités. L’absence de contrôle oblige en effet les villes à effectuer un important travail de recherche soit en interne, soit en faisant intervenir un cabinet extérieur, ce qui est aussi très coûteux ; à cela s’ajoute la lenteur en matière d’enregistrement des signalements.
Au final, les communes subissent des pertes de recettes préjudiciables dans la mesure où les redressements ne peuvent porter que sur trois années quand l’absence de déclaration est parfois bien antérieure. Dans ma ville de Saint-Maurice, la centaine de redressements pour l’année 2010, signalés aux services fiscaux grâce au travail de notre observatoire, ne seront effectués et n’apparaîtront sur les rôles supplémentaires qu’en avril 2011, voire en novembre. À l’évidence, ce décalage, dû à des délais de traitement des dossiers bien trop longs, n’est pas sans effet sur le budget de la commune.
Monsieur le secrétaire d'État, ma question est simple : qu’il s’agisse d’œuvrer en faveur de l’amélioration du traitement des dossiers ou d’une évolution future des bases d’imposition et de leur mode de déclaration, pouvez-vous nous indiquer les mesures susceptibles d’être prises afin qu’aucun redevable ne puisse plus échapper à cet impôt local dont la perception est indispensable à l’équilibre budgétaire des communes ? Il y va de la justice fiscale dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé le ministre du budget sur les mesures prises par l’administration fiscale pour assurer une bonne collecte de la taxe d’habitation, qui constitue, comme vous l’avez souligné, une recette très importante pour les communes.
Pour améliorer la qualité des impositions, la DGFIP, la direction générale des finances publiques, a mis en place depuis de nombreuses années une procédure spécifique de mise à jour de la taxe d’habitation, qui repose principalement sur l’exploitation des informations figurant sur les déclarations annuelles de revenus des contribuables, ainsi que sur l’exploitation des réponses aux demandes de renseignements qui sont adressées à ces derniers. Cette procédure permet d’effectuer l’essentiel des mises à jour concernant les locaux occupés par les redevables à titre d’habitation principale.
Pour les autres locaux, telles les dépendances et résidences secondaires, ou pour les personnes ne souscrivant pas de déclaration de revenus, l’administration doit, en l’absence d’obligation déclarative en matière de taxe d’habitation, rechercher les changements affectant d’une année sur l’autre les locaux et leurs occupants. Pour cela, elle exploite différentes données : les listes transmises par les organismes d’HLM et autres gestionnaires d’immeubles collectifs ; les demandes de renseignements à destination des propriétaires ; des listes internes d’aide à la mise à jour de la taxe d’habitation ; la liste des locaux vacants servant de bulletin navette entre les communes.
L’écueil principal que vous signalez, tenant à un défaut de désignation d’un nouveau locataire par un bailleur, est donc, semble-t-il, plus théorique que réel. (M. Christian Cambon se montre dubitatif.) En effet, si le locataire a déclaré ses revenus, il aura à cette occasion indiqué son adresse, ce qui permettra de l’imposer à la taxe d’habitation. À défaut, le propriétaire sera interrogé par l’administration et, au besoin dans certains cas, directement taxé.
Quant à votre observation sur la perte d’imposition résultant d’un calcul de la taxe d’habitation au 1er janvier de l’année, elle ne semble pas non plus pouvoir être retenue. S’il n’habite pas à l’adresse concernée à cette date, notre contribuable réside ailleurs et est taxé au titre de sa résidence actuelle. C’est donc non pas un moindre produit qui est constaté, mais une répartition différente entre les communes de résidence. De fait, telle est bien la problématique que vous soulevez.
En ce qui concerne, enfin, la prise en compte d’observations transmises par les communes à l’administration fiscale, que vous jugez trop lente, le problème ne se pose pas, d’après cette dernière, pour la taxe d’habitation. Cela étant, la réunion annuelle de la commission des impôts directs, qui se déroule dans chaque commune en présence de l’administration, est pour nous le lieu privilégié pour échanger les informations et permettre ainsi d’accélérer la procédure.
Telles sont, monsieur le sénateur, les réponses que je souhaitais vous apporter.
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le secrétaire d'État, j’entends bien cette description idéale des règles telles qu’elles devraient fonctionner. Il se trouve que les faits ne la corroborent pas toujours.
Ainsi, dans ma commune, dont le service financier est pourtant très attentif à toute évolution de la situation, nous nous sommes aperçus que 8 % de locataires n’acquittent pas la taxe d’habitation. Des pourcentages supérieurs nous sont même communiqués pour le reste du département, allant jusqu’à près de 30 % pour la commune de L’Haÿ-les-Roses !
Les services fiscaux ne contestent pas le problème, mais font état d’une insuffisance de moyens. Certes, je suis favorable, en cette période où il convient de faire de grandes économies, à une régulation des dépenses de l’État. Néanmoins, la justice et l’équité fiscales sont des éléments très importants. Comme, de surcroît, les communes sont réduites à la portion congrue sur le plan des financements et comme l’argent est rare, il est selon moi primordial que le ministère du budget regarde dans le détail la manière dont le dispositif fonctionne, pour y apporter d’éventuelles modifications.
Croyez bien que les maires seront extrêmement attentifs aux dispositions qui pourront être prises, car ils ont vraiment besoin d’une telle contribution. (Mme Catherine Dumas acquiesce.)
En effet, l'ensemble des dépenses publiques qu’ils mettent en œuvre dans l'intérêt de leurs concitoyens nécessitent bien évidemment les financements correspondants.
indemnisation des communes traversées par la lgv bordeaux-toulouse-espagne
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, auteur de la question n° 1126, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je souhaite en effet attirer l’attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement sur l’indemnisation prévue pour les communes non seulement de Gironde, mais aussi des Landes, des Pyrénées-Atlantiques, du Lot-et-Garonne, du Tarn-et-Garonne et de la Haute-Garonne, traversées par le projet de ligne à grande vitesse, ou LGV, dans le cadre des grands projets du Sud-Ouest, ou GPSO.
Concernant le premier tronçon, avec la LGV Sud-Europe-Atlantique, les préfets de région ont déjà été destinataires d’une circulaire cosignée par l’ancien ministre d’État, ministre de l’écologie, et l’ex-secrétaire d’État aux transports, circulaire transmise aux maires et annonçant la mise en place d’un fonds de solidarité territoriale en vue d’un éventuel dédommagement. Sont concernées des communes de Gironde, au nord de Bordeaux, et de Charente.
S’agissant de la LGV au sud de Bordeaux, alors que les études GPSO ont commencé en début d’année, l’annonce faite à Bordeaux par le ministre de l’écologie de l’époque, au mois de septembre dernier, avec le fuseau des mille mètres retenu, a rassuré certains des maires dont les communes sont directement touchées par le projet.
Cette infrastructure nouvelle ne doit néanmoins pas voir le jour au détriment des communes impliquées qui auront à subir, outre de graves nuisances, les désagréments liés au passage des trains à grande vitesse.
Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d'État, si vous êtes en mesure de confirmer que des compensations similaires à celles qui sont présentées dans le cadre de la ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique seront bien proposées aux communes concernées par la LGV Bordeaux-Toulouse-Espagne, avec le calcul retenu par l’État d’une indemnité en fonction du kilomètre linéaire de rail s’élevant à 100 000 euros.
Je souhaite également savoir dans quelle mesure une indemnité pérenne pourrait être versée, notamment par l’exploitant, pendant le fonctionnement de la LGV.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Madame la sénatrice, les projets de nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse représentent des opportunités incontestables pour les territoires qui sont traversés, y compris lorsque ceux-ci sont éloignés des agglomérations.
En effet, les communes traversées bénéficient d’importantes retombées économiques liées à la création de plusieurs milliers d’emplois durant la période de chantiers et de réalisation des infrastructures.
Cependant, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les élus, notamment par vous-même, le Premier ministre a décidé, le 24 octobre 2009, la mise en place d’un fonds de solidarité territoriale pour chaque projet de ligne à grande vitesse, à destination des communes traversées.
Les modalités de mise en œuvre de ce dispositif ont été fixées par une circulaire du 27 septembre 2010. Ainsi, pour chaque projet de ligne ferroviaire nouvelle à grande vitesse, un fonds spécifique est mis en place pour un montant égal à 0,4 % du coût prévisionnel de chaque projet.
Ce fonds de solidarité permettra d’accompagner les territoires traversés en finançant des actions d’amélioration de l’insertion environnementale de la nouvelle infrastructure ou des actions visant à mettre en valeur les territoires traversés, notamment en favorisant leur développement économique, social ou culturel. Ce dispositif est géré par un comité des exécutifs, présidé par le préfet coordonnateur du projet, et réunissant notamment les représentants des communes des territoires touchés par le projet de ligne nouvelle.
Les lignes nouvelles Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne, qui constituent ensemble les grands projets du Sud-Ouest, bénéficieront, bien évidemment, de ce dispositif le moment venu. Les travaux des comités des exécutifs pourront ainsi être engagés une fois conclues les conventions de financement de ces opérations.
Ce dispositif me semble apporter une réponse aux volontés et aux préoccupations exprimées par les élus, que vous venez de relayer à l’instant.
J’en viens, enfin, au versement annuel d’une redevance par le gestionnaire de la ligne nouvelle. Nous ne l’envisageons pas pour la simple raison que l’opportunité d’un tel dispositif doit être examinée au regard de la problématique globale de financement des grands projets d’infrastructures.
Toute introduction de charges supplémentaires pour les gestionnaires d’infrastructures, Réseau ferré de France, RFF, ou un éventuel partenaire privé, sera intégralement répercutée sur le montant des concours publics nécessaires à la réalisation du projet. Le coût de cette imposition serait, de ce fait, reporté sur la participation demandée à l’État ou aux collectivités locales assurant le cofinancement, tous deux déjà fortement sollicités.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement ne répondra pas favorablement à cette demande.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je suis très satisfaite, je l’avoue, que vous me confirmiez, monsieur le secrétaire d'État, la création d’un fonds spécifique de solidarité territoriale pour chaque projet de ligne à grande vitesse, l’un pour Bordeaux-Toulouse, l’autre pour Bordeaux-Espagne. C’est une bonne nouvelle !
Je voudrais, toutefois, appeler le Gouvernement à être attentif à la gestion de ce dispositif. En effet, s’agissant des projets environnementaux sur lesquels pourrait porter ce dédommagement, je croyais très sincèrement, monsieur le secrétaire d'État, comme beaucoup d’élus locaux et de maires que je représente ici, que l’aménagement environnemental autour de la LGV, était laissé à la charge du concessionnaire. Il faudra être très vigilant sur ce point. Je trouve tout de même un peu fort de café qu’on vienne maintenant demander aux maires et aux élus locaux de présenter des dossiers dans ce domaine environnemental !
Sur le sujet, qui passe nettement au second plan, d’une indemnité pérenne versée par l’exploitant, j’entends également les arguments. Je crois savoir que l’Association des maires de France s’est saisie du dossier, qui n’est pas encore clos et mérite un traitement approprié.
vidéoprotection dans les logements sociaux des quartiers dits « sensibles »
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, auteur de la question n° 1133, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement.
Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, malgré l’amélioration des chiffres de la délinquance générale à Paris depuis 2001, la baisse ayant atteint près de 25 % en dix ans, le sentiment d’insécurité perdure chez nos concitoyens.
Dans certains quartiers de la capitale, dits « difficiles » en termes de sécurité, les halls d’immeubles sont très régulièrement le théâtre de faits de délinquance ou d’une violence quotidienne qui devient difficilement soutenable pour les riverains.
Dans ces lieux, la mise en place de caméras permettrait pourtant d’éviter certains événements. Dissuasif et efficace, ce dispositif existe déjà dans quelques immeubles sociaux.
En octobre 2008, les élus parisiens ont adopté le « plan 1000 caméras de Paris ». En novembre 2009, nous nous sommes prononcés en faveur de l’installation de ces caméras dans les vingt arrondissements de la capitale. Un recours devant le tribunal administratif de Paris a retardé la mise en œuvre effective du plan, pourtant très attendu par les Parisiens.
La mise place de la vidéoprotection constitue indéniablement, monsieur le secrétaire d'État, l’une des réponses à ces problématiques. Les caméras ont encore démontré récemment leur utilité à Paris, avec l’arrestation rapide de l’agresseur, la nuit de la Saint-Sylvestre, d’une jeune ressortissante russe. Il a été identifié dès le lendemain grâce aux images.
N’ayons pas peur d’utiliser l’ensemble des outils à notre disposition pour garantir la sécurité et la tranquillité des Parisiens !
Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'État, que vous me précisiez aujourd’hui les intentions du Gouvernement sur cette question. Quels moyens peuvent être utilisés pour inciter les bailleurs sociaux à mettre en place la vidéoprotection ? Quelles mesures seront prises pour assurer la sécurité et la tranquillité publique dans les immeubles des cités sensibles de la capitale ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Madame la sénatrice, l’amélioration de la tranquillité et de la sécurité publique dans les quartiers d’habitat social est évidemment l’une des priorités du Gouvernement et l’un des objectifs du programme national de rénovation urbaine initié en 2004 par Jean-Louis Borloo. La vidéoprotection en constitue un élément central, vous venez de le rappeler.
La mise en œuvre de ce programme a déjà permis d’améliorer les conditions de vie dans ces quartiers et de mieux prendre en compte la protection des biens et des personnes, notamment au travers des opérations de « résidentialisation » engagées sur ces programmes, lesquels comportent, dans un certain nombre de cas, l’installation d’un réseau de vidéoprotection dans les halls d’immeubles.
La circulaire interministérielle cosignée entre le ministre de la ville et le ministre de l’intérieur, le 6 septembre 2010, et adressée aux préfets, a rappelé à ces derniers l’intérêt de mener des études de sécurité dans les projets de rénovation urbaine en cours de réalisation, ce qui n’avait pas été prévu à l’origine. L’idée est évidemment de cibler les opérations susceptibles de présenter des risques sur la protection des personnes et des biens et qui n’ont pas encore fait l’objet de telles études.
Parallèlement à cette circulaire, l’État a engagé plusieurs démarches contractuelles qui concourent à l’amélioration de la tranquillité publique. Il s’agit, d’abord, des contrats urbains de cohésion sociale mis en place en 2007, en particulier des actions de gestion urbaine de proximité fondée sur une coordination des interventions des différents gestionnaires et une implication des habitants. Ces actions de gestion urbaine doivent engager des actions de prévention des troubles de la tranquillité publique au travers, notamment, d’une gestion efficace des espaces publics et privés, de la mise en place de médiations, de dispositifs de gardiennage ou de surveillance adaptés, notamment la vidéosurveillance.
Il s’agit également des conventions d’utilité sociale, en train d’être négociées en ce moment même entre l’État et les organismes d’HLM, conventions qui peuvent également prévoir des engagements pour l’amélioration de la tranquillité quotidienne au titre de la qualité du service rendu à la population. Ces conventions doivent être signées pour le premier semestre de l’année 2011. Nous allons donc pouvoir, mais c’est déjà le cas, retransmettre des consignes visant à développer la vidéoprotection.
L’enveloppe du Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, FIPD, dédiée à la vidéoprotection, dans les règles qui lui sont propres, d’une part, et les subventions de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, d’autre part, sont susceptibles de financer les équipements nécessaires.
Concernant le FIPD, il est prévu depuis 2010 que ce fonds puisse abonder les projets présentés par des bailleurs sociaux. Ainsi, cinquante nouveaux dispositifs de vidéoprotection correspondant à cinquante immeubles sociaux répartis dans vingt départements, dont trois en région parisienne, ont pu être cofinancés l’an dernier.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, pour cette réponse très claire, qui a détaillé un certain nombre de dispositifs. Elle montre bien la volonté ferme du Gouvernement d’aller dans ce sens.
Elle est d’autant plus nécessaire qu’à Paris, la majorité municipale, fortement divisée sur cette question et ébranlée par le recours juridictionnel déposé par les élus Verts, peine réellement aujourd’hui à convaincre les Parisiens de sa sincérité et de sa détermination sur ce sujet.
Je veux d’ailleurs rappeler que le maire de Paris ne s’est engagé dans le sens d’un plan de vidéoprotection que parce qu’il y avait eu un concours décisif du ministère de l’intérieur et de la préfecture de police.
Pour conclure, je veux vous redire qu’avec mes collègues du groupe UMP au Conseil de Paris, en particulier Jean-Jacques Giannesini et Anne-Constance Onghena dans le XIXème arrondissement, Patrick Trémège dans le XIIIème arrondissement, et Pierre-Yves Bournazel dans le XVIIIème arrondissement, nous resterons très attentifs aux réponses qui seront données sur ce sujet important, lequel touche et préoccupe véritablement au quotidien les Parisiens.
fonds de solidarité pour le logement et identité des bénéficiaires
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, auteur de la question n° 1118, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le secrétaire d'État, la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions pose le principe du droit, pour les ménages en situation de précarité et confrontés à des difficultés pécuniaires, une aide financière pour accéder ou préserver leur accès à une fourniture d’eau, d’énergie et de services téléphoniques.
Depuis juillet 2006, les présidents de conseils généraux ont le pouvoir de signer les décisions relatives au Fond social pour le logement, le FSL, et doivent rendre compte a posteriori de leurs décisions à leur assemblée délibérante.
Or, avant cette saisine, le Conseil général du Cher oppose un refus de communiquer la liste des bénéficiaires du FSL aux maires des communes de résidence de ces bénéficiaires.
Même dans les communes rurales, où ils connaissent à peu près tout le monde et ont donc une information parfaite sur les populations démunies en situation de précarité, les maires ne peuvent pas exprimer un avis ni intervenir éventuellement en complément, par l’intermédiaire de leur centre communal d’action sociale, le CCAS. Ils en éprouvent, bien sûr, un sentiment de frustration et ils s’interrogent sur le bien-fondé et la légalité d’un tel refus.
Voilà quelques mois, j’avais interrogé sur ce sujet, dans le cadre de la commission de l’économie, notre collègue Alex Türk, en sa qualité de président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL. Il m’avait répondu que c’était la loi, et non la CNIL, qui empêchait la communication des listings.
S’agissant de l’aspect légal, une loi du 31 mai 1990 prévoit l’obligation pour les conseils généraux de conclure des conventions avec les fournisseurs.
Ces conventions doivent définir les modalités d’information réciproque entre fournisseurs et services sociaux du conseil général et, le cas échéant, communaux. Les communes ou les centres intercommunaux d’action sociale, les CIAS, peuvent même être parties prenantes à ces conventions afin de contribuer à la politique de prévention aux côtés des services sociaux départementaux, la signature de ces conventions étant aussi l’occasion de définir précisément les modalités d’échange d’informations.
Il semble donc bien que les maires doivent être tenus informés.
Pouvez-vous préciser, monsieur le secrétaire d’État, quel est le cadre légal applicable et, surtout, dans quelle mesure et dans quelles conditions le conseil général est tenu de communiquer des informations sur les bénéficiaires du FSL ?
Enfin, de quels recours les maires disposeraient-ils pour faire valoir le droit à l’information à ce sujet, en cas de refus persistant du conseil général ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le sénateur, vous demandez si les communes et intercommunalités, avec leurs CCAS et CIAS, doivent travailler avec les conseils généraux pour aider les ménages éprouvant des difficultés financières. La réponse est évidemment positive : oui, ils doivent travailler ensemble.
L’article 3 du décret n°2008-780 du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d’eau précise bien que le FSL saisi d’une demande doit informer tous les services sociaux concernés : ceux du département, de la commune et du fournisseur.
En outre, il est possible pour les maires de signer les conventions conclues entre les conseils généraux et les fournisseurs, ce que j’encourage vivement. Ces conventions définissent les modalités d’information réciproque entre fournisseurs et services sociaux concernés des différents signataires, notamment des communes. Ainsi, au-delà de la simple information relative aux saisines d’aide du FSL, ces conventions doivent permettre une réelle mise en commun des efforts des services sociaux départementaux et communaux.
Enfin, la gestion du FSL doit faire l’objet d’un compte rendu transmis au comité responsable du plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées, le PDALPD, au sein duquel siège au moins un représentant de commune. Dans le cas du département du Cher, ce comité est composé de représentants des CCAS de Bourges et de Vierzon, ainsi que d’un représentant de l’Association des maires du Cher. C’est à l’intérieur de cette instance, par le biais du règlement intérieur du FSL et dans le cadre du décret que je viens de citer, qu’il importe de faire valoir cette nécessité d’information mutuelle des services sociaux. Ce règlement, adopté après avis du comité responsable du plan, doit prendre en compte toutes les dispositions du décret de 2008.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Elle ne me satisfait cependant que partiellement. Ainsi, dans le Cher, alors même que nous avons passé une convention, le président du conseil général du Cher oppose une fin de non-recevoir aux maires qui souhaitent obtenir des listes de bénéficiaires du FSL et demande aux parlementaires – dont je suis le seul représentant au sein du conseil général – de changer la loi sur ce point.
Je souhaite que l’on clarifie la législation en précisant qu’il est obligatoire pour tous les conseils généraux de communiquer ces listes. Le maire peut bien obtenir la liste des demandeurs d’emploi de sa commune inscrits à Pôle emploi, pourquoi ne pourrait-il pas demander celles des bénéficiaires du FSL ?
Dans un souci de transparence, il serait utile de disposer de ces listes, notamment dans nos communes rurales comptant 400 ou 500 habitants, où l’on connaît les difficultés des uns et des autres. Sur le plan de l’équité et pour que les choses soient claires, il est indispensable que votre secrétariat d’État donne des instructions sur ce point aux conseils généraux.
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
11
Débat sur l’indemnisation des communes au titre des périmètres de protection de l’eau
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’indemnisation des communes au titre des périmètres de protection de l’eau, organisé à la demande du groupe UMP.
La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, orateur du groupe qui a demandé ce débat.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, au nom du groupe UMP, auteur de la demande. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le président et l’ensemble des membres du groupe UMP ont souhaité l’inscription de ce débat, en cette première journée de séance de l’année 2011, pour attirer l’attention du Gouvernement sur la situation de nombreuses petites communes qui se trouvent injustement pénalisées financièrement.
En effet, nous connaissons tous les contraintes pesant sur les communes dans lesquelles a été déclarée d’intérêt public la création de périmètres de protection autour de captages d’eau destinée à la consommation humaine.
La présence de périmètres de captage peut représenter des contraintes importantes pour les communes, notamment en rendant impossibles les implantations industrielles, commerciales, de loisirs ou de tout autre type, sans du reste que leurs habitants bénéficient nécessairement des eaux captées.
C’est notamment le cas lorsque les ressources en eau sont exploitées pour alimenter une agglomération à laquelle n’appartient pas la commune concernée.
Je citerai comme exemple celui du territoire de la commune de Budos, dans mon département de la Gironde, qui accueille une zone de captage d’eau pour le compte de la communauté urbaine de Bordeaux.
La création de périmètres de protection autour des captages d’eau prévue à l’article L. 1321–2 du code de la santé publique permet de s’assurer que cette eau est propre à la consommation humaine et de prévenir les causes de pollution susceptibles d’en altérer la qualité.
En effet, l’article L. 1321–2 du code de la santé publique dispose que l’acte portant déclaration d’utilité publique des travaux de prélèvement d’eau destinée à l’alimentation des collectivités humaines, acte mentionné à l’article L. 215–13 du code de l’environnement, détermine autour du point de prélèvement plusieurs périmètres : un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété ; un périmètre de protection rapprochée « à l’intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d’installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux » ; le cas échéant, un périmètre de protection éloignée « à l’intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés ».
Compte tenu des restrictions qu’ils imposent aux possibilités de construire ou de développer certaines activités, ces différents périmètres ont un impact direct sur le dynamisme économique de ces territoires, notamment en y interdisant, de fait, les implantations industrielles, commerciales ou de loisirs.
Or les articles L. 1321–2 et L. 1321–3 du code de la santé publique ne prévoient aucune indemnisation pour les collectivités publiques concernées alors que les propriétaires privés des terrains inclus dans les périmètres en cause peuvent, eux, bénéficier d’indemnités fixées selon les règles applicables en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.
Cette situation, mes chers collègues, apparaît particulièrement inéquitable lorsque les habitants d’une commune ne bénéficient même pas des eaux captées, lesquelles sont le plus souvent exploitées pour approvisionner ceux de grandes agglomérations voisines.
La seule solution pour la commune est actuellement de mettre en jeu la responsabilité sans faute de l’État sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques – voir l’arrêt du Conseil d’État du 15 novembre 2000, chambre de commerce de Colmar –, car l’acte portant déclaration d’utilité publique des travaux de prélèvement d’eau est un acte administratif préfectoral.
Aucun recours direct en responsabilité n’est possible, par exemple à l’encontre de l’établissement public de coopération intercommunale bénéficiaire des eaux captées, comme l’a confirmé encore récemment la jurisprudence administrative. Dans l’arrêt Tribunal administratif de Bordeaux, 12 mars 2009, commune de Budos, le juge a ainsi rappelé que, « conformément aux principes qui régissent la responsabilité sans faute de la puissance publique, quand bien même les servitudes à l’origine du litige sont constituées au bénéfice de la communauté urbaine de Bordeaux, seule la responsabilité de l’État peut être engagée en raison de la rupture d’égalité devant les charges publiques résultant ou à résulter d’un acte émanant du préfet, autorité de l’État ».
Or la reconnaissance de la responsabilité sans faute de l’État est difficilement admise par la jurisprudence pour ce type d’opérations, qui répondent à des préoccupations d’intérêt général.
Les communes sont, à cet égard, moins bien traitées que les sociétés privées, lesquelles peuvent être indemnisées si leurs activités sont perturbées par le captage d’eau. Selon moi, nous sommes là face à un vide juridique.
Ainsi, dans un arrêt rendu le 12 janvier 2009, une société d’exploitation s’est vu reconnaître par le Conseil d’État le droit à une indemnisation pour la raison qu’un captage sur le torrent alimentant sa centrale avait réduit le débit de celui-ci. Le juge a considéré qu’il existait un lien direct de causalité entre le captage opéré et le préjudice dont la société demandait réparation et que ce préjudice présentait un caractère anormal de nature à ouvrir droit à indemnité.
J’ai donc pris l’initiative, en juillet dernier, de déposer une proposition de loi visant à donner une base légale à un dispositif rendant possible l’indemnisation des communes sur les territoires desquelles un captage d’eau potable est opéré sans contrepartie, c’est-à-dire lorsqu’une source d’eau potable est située sur le territoire de la commune, mais exploitée au profit des habitants d’une autre collectivité.
À cet effet, ma proposition de loi tend à insérer un article L. 1321–3–1 nouveau dans le code de la santé publique prévoyant un dispositif d’indemnisation de ladite commune. Cet article s’insère après l’article L. 1321–3 dudit code, lequel article fixe le régime des indemnités dues aux personnes privées.
Il prévoit que les indemnités qui peuvent être dues aux propriétaires ou aux occupants de terrains compris dans un périmètre de protection de prélèvement d’eau destinée à l’alimentation des collectivités humaines, à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau, sont fixées selon les règles applicables en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique ; lorsque les indemnités visées au premier alinéa sont dues à raison de l’instauration d’un périmètre de protection rapprochée visé à l’article L. 1321–2–1, celles-ci sont à la charge du propriétaire du captage.
Le dispositif nouveau que nous proposons s’appuie sur l’exemple des servitudes d’urbanisme qui, pareillement, font l’objet d’arrêtés préfectoraux ayant des incidences sur les règles de construction.
Il existe un principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme, qui figure à l’article L. 160–5 du code de l’urbanisme. Il signifie que, à moins de démontrer une faute de l’administration dans l’établissement de la servitude, les administrés ne peuvent demander réparation des préjudices que son institution leur cause.
Ce principe fait cependant l’objet de quelques dérogations législatives. Le même article L. 160–5 prévoit ainsi une réparation en cas d’atteinte à des droits acquis : « Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification de l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ; cette indemnité, à défaut d’accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui doit tenir compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan d’occupation des sols rendu public ou du plan local d’urbanisme approuvé ou du document qui en tient lieu. »
Le code de l’urbanisme admet également l’indemnisation pour la servitude de passage le long du littoral. Son article L. 160–7 dispose ceci : « La servitude instituée par l’article L. 160–6 n’ouvre un droit à indemnité que s’il en résulte pour le propriétaire un dommage direct, matériel et certain. La demande d’indemnité doit, à peine de forclusion, parvenir à l’autorité compétente dans le délai de six mois à compter de la date où le dommage a été causé. L’indemnité est fixée soit à l’amiable, soit, en cas de désaccord, dans les conditions définies au deuxième alinéa de l’article L. 160–5. Le montant de l’indemnité de privation de jouissance est calculé compte tenu de l’utilisation habituelle antérieure du terrain […]. »
Autre exemple, la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie, modifiée par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », a prévu l’indemnisation des servitudes – pouvant comporter des limitations ou interdictions de construire – instituées au voisinage d’une ligne électrique aérienne de tension supérieure ou égale à 130 kilovolts.
L’article 12 bis de cette loi, créé par loi SRU, dispose précisément ce qui suit :
« Après déclaration d’utilité publique précédée d’une enquête publique, des servitudes d’utilité publique concernant l’utilisation du sol, ainsi que l’exécution de travaux soumis au permis de construire, peuvent être instituées au voisinage d’une ligne électrique aérienne de tension supérieure ou égale à 130 kilovolts. Ces servitudes sont instituées par arrêté du préfet du département concerné.
« Ces servitudes comportent, en tant que de besoin, la limitation ou l’interdiction du droit d’implanter des bâtiments à usage d’habitation et des établissements recevant du public. Elles ne peuvent faire obstacle aux travaux d’adaptation, de réfection ou d’extension de constructions existantes édifiées en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur avant l’institution desdites servitudes, à condition que ces travaux n’entraînent pas d’augmentation significative de la capacité d’accueil d’habitants dans les périmètres où les servitudes ont été instituées.
« Lorsque l’institution des servitudes prévues au présent article entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit. Le paiement des indemnités est à la charge de l’exploitant de la ligne électrique. À défaut d’accord amiable, l’indemnité est fixée par le juge de l’expropriation et est évaluée dans les conditions prévues par l’article L. 13–15 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis du comité technique de l’électricité, fixe la liste des catégories d’ouvrages concernés, les conditions de délimitation des périmètres dans lesquelles les servitudes peuvent être instituées ainsi que les conditions d’établissement de ces servitudes. »
Ma proposition de loi s’inspire directement de ce dernier exemple.
Elle comporte un article 1er qui ouvre la possibilité d’une indemnisation en cas de « préjudice direct, matériel et certain » résultant de la création de l’un des périmètres de protection visés au premier alinéa de l’article L. 1321–2 du code de la santé publique. Cette indemnisation est distincte de celle qui existe pour les propriétaires des terrains compris dans les périmètres. Mes chers collègues, il est clair que ceux qui prétendent qu’il n’existe pas de préjudice direct, matériel et certain dans ce genre de situation ne sont jamais venus sur le terrain !
Elle prévoit que les indemnités visées sont à la charge de la collectivité publique bénéficiaire du captage.
L’article 2 vise à instaurer une compensation des éventuelles conséquences financières pouvant en résulter pour la collectivité débitrice.
Ma proposition de loi, vous l’avez compris, madame le ministre, n’occasionne aucune charge pour l’État. L’indemnisation doit être faite par la collectivité bénéficiaire. Ainsi, de fait, la responsabilité sans faute de l’État sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques ne pourra plus être invoquée. C’est également un point important.
Je souhaite donc très vivement que le Gouvernement puisse se pencher avec attention et bienveillance sur cette proposition législative qui ne vise qu’à remédier à une situation inéquitable pour de nombreuses petites communes.
Comme mes collègues du groupe UMP cosignataires de cette proposition de loi, j’aurais bien sûr préféré que l’on débatte aujourd’hui de celle-ci. Je souhaite en tout cas qu’à l’issue de ce débat, auquel chacun apportera sa contribution et ses témoignages, le Gouvernement, dans sa grande sagesse, donne un avis favorable à cette proposition législative et que celle-ci puisse être inscrite rapidement à l’ordre du jour des travaux du Sénat. Il faut remédier à une situation inéquitable : il y va, je le répète, de l’intérêt des petites collectivités locales. (Mme Catherine Troendle et M. Bernard Saugey applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’enjeu sanitaire lié à la qualité et à la sécurité de l’eau potable est fondamental. Les eaux puisées doivent répondre à des normes de potabilité pour protéger la santé des populations et éviter des crises sanitaires. C’est pourquoi la mise en place de périmètres de protection autour des points de captage est essentielle.
Il est indispensable de protéger physiquement les ouvrages et d’empêcher toute introduction directe de substances dans les captages. Malheureusement, les objectifs fixés par le premier puis par le second plan national santé-environnement ne sont pas encore atteints et ne sont pas à la hauteur des enjeux.
L’ambition était l’instauration de périmètres de protection pour 80 % des captages en 2008 et pour 100 % en 2010. Or il semblerait qu’à peine un peu plus de la moitié des points de captage bénéficient en 2010 de périmètres de protection. Je souhaiterais, madame la ministre, que vous puissiez préciser ces chiffres.
Nous savons que les raisons de ce retard sont diverses. Les procédures sont longues et complexes. Elles sont le fruit d’une réglementation multiple liée à la fois au domaine de la santé et à celui de l’environnement, qui n’ont pas les mêmes enjeux ni les mêmes exigences et encore moins les mêmes acteurs.
De plus, sur le terrain, chaque situation est unique. Par exemple, le captage peut être la propriété d’une entreprise privée qui revend l’eau à une collectivité territoriale ou bien appartenir à une collectivité mais être situé sur le terrain d’un agriculteur. Ainsi, la protection des captages fait référence à la notion de territoire et entre en conflit avec d’autres usagers et d’autres usages.
La loi prévoit que les propriétaires privés de terrains inclus dans les périmètres de protection peuvent bénéficier d’indemnités fixées selon les règles applicables en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. Cependant, la loi ne prévoit aucun dispositif de compensation pour les communes dans lesquelles la création de périmètres de protection autour de captages d’eau destinée à la consommation humaine a été déclarée d’intérêt public. Pourtant, elles doivent supporter de nombreuses et lourdes contraintes, notamment sur les périmètres de protection rapprochée.
La préservation de l’eau est une obligation légale, un devoir pour les collectivités territoriales. Néanmoins, il y a un impact direct bien réel sur le dynamisme économique de ces territoires lors de l’installation des différents périmètres de protection autour des captages. Par exemple, l’implantation ou le développement de certaines activités industrielles, commerciales, voire touristiques deviennent impossibles. Dès lors, ces communes subissent des préjudices extrêmement importants.
Cette situation est d’autant plus inéquitable que les habitants de la commune concernée, comme l’a souligné Mme Des Esgaulx, ne bénéficient souvent même pas des eaux captées. La plupart du temps, elles sont exploitées pour approvisionner de grandes agglomérations voisines. À ce niveau, incontestablement, la solidarité territoriale ne joue pas ; elle serait pourtant fort utile.
La seule solution pour les communes est actuellement de mettre en jeu la responsabilité sans faute de l’État sur le fondement de la rupture d’égalité devant les charges publiques,…
M. Jean-Louis Carrère. Il n’y a pas de péréquation !
M. François Fortassin. … mais la jurisprudence n’admet que très rarement la responsabilité de l’État pour ces opérations qui répondent à des préoccupations d’intérêt général. Effectivement, comme le souffle mon excellent collègue Jean-Louis Carrère, la notion de péréquation est dans ces cas-là totalement absente, alors qu’elle serait pourtant indispensable.
Pourquoi la commune devrait-elle supporter la totalité des dépenses au bénéfice exclusif d’autres communes ou collectivités ? La protection de la ressource est l’affaire de la collectivité dans son ensemble, et non d’une commune en particulier. La question de la répartition des financements doit être résolue. Les périmètres de protection sont décidés à l’initiative de la collectivité pour les captages qu’elle exploite situés sur son territoire, que celui-ci soit administratif ou pas.
Il y a donc un décalage entre, d’une part, une opération de protection de la ressource au bénéfice de tous et, d’autre part, les contraintes et les servitudes qui ne vont peser que sur la seule commune sur le territoire de laquelle se trouve le point de captage à protéger. Les agences de l’eau ont, semble-t-il, un rôle à jouer sur ce plan. Or, pour l’instant, elles sont souvent étrangement muettes.
Mais, surtout, pourquoi ne pas mettre en place une compensation financière en contrepartie des servitudes créées par l’instauration de périmètres de protection ?
Ce vide juridique doit être comblé au plus vite. Il est avant tout essentiel de connaître aujourd’hui avec précision le nombre de communes concernées. Il permettra d’estimer le coût que représenteraient les indemnisations supplémentaires, car avant d’objecter un coût trop élevé, encore faudrait-il que nous disposions d’estimations à peu près fiables.
Il est paradoxal de prôner une protection maximale des ressources en eau sans mettre en place les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif. Le retard accumulé représente autant de pollutions de moins en moins contrôlables. Certains périmètres ne pourront plus – ou ne peuvent déjà plus – être installés du fait de l’urbanisation. Les communes sont encore une fois trop seules aujourd’hui pour assumer la mise en place et le financement d’une procédure coûteuse et complexe.
La loi qui sera vraisemblablement votée dans les mois à venir réglera peut-être le problème. En attendant, nous souhaiterions que l’État n’abandonne pas en rase campagne des collectivités souvent de petite taille et extrêmement démunies. Nous attendons surtout, madame la ministre, que l’État joue le rôle d’arbitre qui lui est imparti. (MM. Jean-Claude Frécon et Michel Teston applaudissent.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons débattre aujourd’hui de la question des périmètres de protection autour des captages d’eau, à la demande du groupe UMP et plus précisément de notre collègue Mme Des Esgaulx, auteur d’une proposition de loi sur ce thème. Il s’agit en effet d’une question importante : la protection de la ressource aquatique contre les pollutions est une nécessité absolue, nécessité réaffirmée lors du Grenelle de l’environnement et notamment dans la loi dite « Grenelle 2 ».
Il me semble utile avant toute chose de revenir quelques instants sur la définition et l’intérêt même de ces périmètres. Il s’agit non pas d’imposer des contraintes déraisonnables aux collectivités, mais bien de garantir la qualité de la ressource en eau.
Ainsi, les périmètres de protection constituent le moyen privilégié pour prévenir et diminuer toute cause de pollution locale, ponctuelle et accidentelle qui peut altérer la qualité des eaux prélevées. Ce dispositif a été codifié, à la suite de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau qui rend désormais sa mise en œuvre obligatoire.
Ces périmètres sont essentiels pour atteindre l’objectif d’un accès à l’eau potable et non pollué pour l’ensemble de nos concitoyens, comme l’a rappelé Mme Rama Yade dans la réponse à une question orale posée par vous-même, madame Des Esgaulx.
À ce titre, le taux de réalisation des objectifs formulés par les plans nationaux santé-environnement, dont le premier date de 2004, n’est pas à la hauteur de nos attentes. Si l’objectif désigné est la couverture de l’ensemble des captages à l’horizon 2010, les chiffres sont alarmants : seuls 57 % des captages bénéficient d’une protection, et nous sommes déjà en 2011 !
Ainsi, il me semble que l’urgence est bien de réaffirmer la volonté politique partagée par l’ensemble des acteurs d’aller vers une couverture intégrale des captages d’eau par des périmètres de protection et d’identifier les freins à l’application de cette obligation légale.
Par ailleurs, dans le rapport de la Cour des comptes de février 2002, les lacunes de ces périmètres de protection ont été soulevées. Notamment, il a été déploré que ceux-ci ne constituent pas une bonne protection contre les pollutions diffuses d’origine agricole. Pour finir, les procédures de création de ces périmètres sont jugées longues et complexes, ce qui expliquerait pour partie le retard pris.
Nous le voyons, les questions liées à ces périmètres sont multiples et nous devons nous interroger sur la constitution de meilleurs outils afin de préserver la qualité de la ressource aquatique, et ce dans le cadre d’une meilleure imprégnation des impératifs écologiques au sein des politiques publiques.
Dans ce sens, il me semble que la proposition de loi du groupe UMP peut laisser penser que la protection des captages est une contrainte assimilée à une nuisance, ce qui, à nos yeux, n’est pas une bonne approche.
Pour ce qui est plus précisément de l’objet du présent débat, vous avez raison de rappeler que le principe reste celui de la non-indemnisation des servitudes d’urbanisme. Certes, des exceptions existent, notamment celle que vous mentionnez concernant l’indemnisation des communes accueillant sur leur sol des lignes à haute tension ; mais il nous semble que la situation est différente puisqu’il s’agit dans un cas de la création par l’homme d’une infrastructure par définition nouvelle et qui aurait pu se situer ailleurs, et dans l’autre d’un point de captage naturel qui a toujours été présent.
En effet, si ces périmètres entraînent pour les communes qui les subissent des contraintes – et personne ne le nie –, ils sont par ailleurs le gage de la qualité de l’eau, objectif qui ne doit souffrir aucune restriction, et ne peuvent ainsi être simplement considérés comme une nuisance entachant le potentiel de développement d’une commune.
Au fond, toute la difficulté consiste ainsi à faire coïncider l’intérêt général avec l’intérêt particulier, en l’occurrence celui d’une collectivité qui elle aussi, d’une certaine manière, représente l’intérêt général. Mais comment indemniser pour un dommage qui n’existe pas ? Comment expertiser les projets hypothétiques qui auraient pu naître à cet endroit ?
Sur le fond, seul l’État peut, par des mesures compensatoires, prendre acte du préjudice subi. À cet égard, je partage le point de vue de mon collègue Fortassin sur la question de la péréquation. Il est bien évident que les collectivités qui portent seules des territoires à enjeu d’intérêt général doivent être aidées et bénéficier de mesures de péréquation.
Nous regrettons que la jurisprudence soit si restrictive en ce domaine et que la responsabilité de l’État – responsabilité sans faute – comme outil de solidarité territoriale et de péréquation ne soit jamais reconnue. Il y a là matière à un véritable débat. Il nous faudra d’ailleurs nous interroger sur les motivations des juges en ce domaine.
Ainsi, faute de pouvoir engager la responsabilité de l’État, vous êtes tentés, mes chers collègues, avec cette proposition de loi, de renvoyer les collectivités dos à dos en opposant celles qui seraient propriétaires et celles qui seraient bénéficiaires d’un captage d’eau – d’autres domaines pourraient ensuite être concernés. En outre, le dispositif d’indemnisation prévu aurait nécessairement des répercussions sur les factures d’eau des particuliers, ce que nous ne souhaitons pas.
Je crains que, au fond, ce genre de débat ne nous amène à éluder d’autres questions.
L’assèchement des ressources des collectivités locales par l’État doit nous conduire non pas à opposer les collectivités les unes aux autres, mais à désigner les véritables responsables de cette situation.
Vous l’aurez compris, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, même si le groupe CRC-SPG comprend les difficultés rencontrées par les collectivités et le problème posé par Marie-Hélène Des Esgaulx, même s’il ne nie pas les problématiques purement locales que posent les périmètres de protection, il ne peut souscrire aux solutions préconisées dans la proposition de loi. Cette dernière témoigne tout de même d’une logique de marchandisation des ressources premières et occulte les défis et les responsabilités partagées en termes de développement durable par l’ensemble des collectivités publiques. Nous pensons que la solution réside dans la péréquation et que l’État a un rôle à jouer.
M. le président. La parole est à M. Bernard Saugey.
M. Bernard Saugey. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ayant été l’un des initiateurs de ce débat, j’ai tenu à intervenir aujourd’hui pour appeler, moi aussi, l’attention du Gouvernement sur l’anomalie législative que vous a fort bien exposée notre collègue et amie Marie-Hélène Des Esgaulx.
Cette anomalie législative, c’est la non-indemnisation des communes sur le territoire desquelles sont créés des périmètres de protection entourant des captages d’eau potable, déclarés d’utilité publique, alors que ces captages bénéficient à des communes voisines.
Comme chacun sait, les périmètres de protection autour des captages d’eau pour préserver la ressource d’éventuelles pollutions sont inscrits dans le code de la santé publique.
Il a fallu attendre la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau pour que l’instauration de périmètres de protection devienne obligatoire pour tout captage ne bénéficiant pas d’une protection naturelle. La loi a également renforcé les instruments de la puissance publique en permettant d’instaurer des servitudes administratives, voire de recourir à l’expropriation pour accélérer la mise en œuvre des périmètres.
Conformément à plusieurs directives européennes et à la loi de 1992 sur l’eau, ces points de captage d’eau potable doivent disposer d’un périmètre de protection afin d’éviter les pollutions liées aux activités humaines usuelles et de réduire le risque de pollution accidentelle, laquelle pourrait entraîner une contamination de l’eau et, par conséquent, une crise sanitaire.
Si la loi prévoit l’indemnisation des propriétaires de terrains privés en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, elle ne prévoit, en revanche, aucune compensation pour les communes alors que les eaux captées bénéficient à des agglomérations voisines.
Pourtant, la mise en place des périmètres de captage peut constituer une contrainte importante pour les communes en rendant impossibles les implantations industrielles, commerciales ou de loisirs. Ces conséquences négatives pour la vie économique, commerciale ou touristique des communes n’ont jamais été prises en compte et ne font l’objet d’aucune indemnisation, y compris lorsque les sources d’eau potable ne profitent pas à ces communes.
Les communes ne perçoivent donc aucune compensation financière en contrepartie des servitudes créées, la loi actuelle ne le permettant pas, alors que l’indemnisation des propriétaires privés, dont les terrains sont grevés de servitudes, représente un coût financier pour les collectivités.
Afin de renforcer la mise en place de ces périmètres de protection, le Gouvernement a fixé des objectifs chiffrés dans le plan national santé-environnement, le PNSE, établi en 2004. Ainsi, en 2010, 100 % des points de captage d’eau potable devaient bénéficier d’un périmètre de protection, assorti de prescriptions limitant les risques de pollution. Or, selon les dernières statistiques, cet objectif, madame la ministre, n’a pas été atteint.
Les raisons de ce retard sont diverses.
Il apparaît en effet que les procédures sont longues et complexes. Elles sont le fruit d’une réglementation multiple, dans les domaines à la fois de la santé et de l’environnement, domaines où les enjeux, les exigences et les acteurs ne sont pas les mêmes.
La protection des captages fait référence à la notion de territoire et entre en conflit avec d’autres usages et usagers. En effet, certaines collectivités profitent de ces captages alors que ceux-ci ne sont pas situés sur leur territoire.
Jusque dans les années quatre-vingt, la protection des captages consistait essentiellement à protéger le périmètre immédiat des prises d’eau à la suite de simples visites sur le terrain d’un hydrogéologue agréé, le plus souvent sans étude préalable. De ce fait, de nombreux périmètres ont été initialement mal positionnés, souvent sous-dimensionnés, sans prise en compte des écoulements souterrains. De plus, seuls les risques de pollution bactériologique étaient considérés, non les pollutions diffuses d’origine agricole.
Depuis quelques années, l’augmentation régulière des teneurs en nitrates, dans certaines régions, a conduit à une remise à plat des périmètres existants et à la redéfinition des prescriptions qui leur sont liées. Il y a donc de plus en plus de procédures à engager et les communes sont de plus en plus sollicitées.
Certaines communes hésitent pourtant à s’engager dans la procédure longue, complexe et économiquement coûteuse que nécessite la mise en place des périmètres, notamment lorsque les captages bénéficient au final à une agglomération voisine, sans aucune indemnisation.
Il semble donc légitime qu’une commune puisse être indemnisée en cas de préjudice direct résultant de la création d’un périmètre de protection sur son territoire, notamment lorsque le captage d’eau ne lui profite pas. La proposition de loi ne vise que ce seul cas de figure. À l’évidence, c’est à la collectivité publique voisine bénéficiaire de l’alimentation en eau qu’il revient d’indemniser cette commune. C’est là une question de bon sens et surtout d’équité.
Voilà pourquoi les signataires de la proposition de loi de Marie-Hélène Des Esgaulx souhaitent, madame la ministre, qu’il soit mis un terme à une telle situation inéquitable et que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour des travaux du Sénat dès que possible.
Cette proposition de loi, je le rappelle, ne crée aucune charge ni pour l’État ni pour les collectivités locales en général. Elle n’en crée que pour les collectivités qui bénéficient d’une alimentation en eau potable sans aucune contrainte ni servitude par ailleurs. (Mme Brigitte Bout applaudit.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’idée qui nous est soumise aujourd'hui au travers de cette proposition de loi est ancienne. Je l’ai très souvent entendue en tant que président du syndicat d’eau d’une grande régie, dans une région, le Nord-Pas-de-Calais, qui compte des châteaux d’eau de plusieurs dizaines de millions de mètres cubes – je pense à l’Audomarois : 90 millions de mètres cubes – et de vastes secteurs, de Lille à Dunkerque, situés en amont des réseaux hydrographiques et où il n’y a pas une seule nappe phréatique. La vie économique et celle des populations dépendent inévitablement des réseaux de nappes phréatiques se trouvant dans la nappe de la craie, c'est-à-dire celle de l’Artois. Dès lors, des solidarités interrégionales et interdépartementales doivent être dégagées.
Dans le même temps, j’entends le discours que vous avez développé tout à l’heure, madame Des Esgaulx.
Quelle est donc la solution ?
Il est vrai qu’une collectivité A peut obtenir un arrêté préfectoral de déclaration d’utilité publique l’autorisant à réaliser un prélèvement sur le territoire de la collectivité B, laquelle a un champ captant, et définissant les périmètres de protection autour du point de prélèvement.
Les propriétaires et occupants de terrains affectés par les servitudes correspondant à ces périmètres de protection sont indemnisés. À ce titre, la collectivité B est indemnisée de la même façon que les autres propriétaires pour les terrains qui lui appartiennent à l’intérieur de chaque périmètre de protection. En revanche, elle ne reçoit aucune compensation au titre du prélèvement d’une ressource à partir de son territoire et des contraintes qui en résultent. Cette absence de contrepartie est souvent considérée comme inéquitable par les communes qui voient d’autres collectivités venir s’approvisionner en eau sur leur territoire.
Assez fréquemment, ces communes formulent des demandes d’indemnisation, soit au titre d’un supposé « droit » analogue à celui du propriétaire sur le sous-sol des terrains qui lui appartiennent, soit au titre d’un préjudice causé à leur développement par le « gel » des terrains correspondant aux périmètres de protection, lesquels deviennent indisponibles pour des projets d’urbanisation ou d’implantation de nouvelles activités économiques.
Or les demandes d’indemnisation de ce type ne sont pas recevables, pour trois raisons principales.
Tout d’abord, une commune ne saurait être considérée comme propriétaire de l’eau présente dans le sous-sol de son territoire puisque « l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation ». C’est le principal motif qui a été retenu dans un arrêt du 24 octobre 1995 souvent cité – Commune de Saint-Ours-les-Roches – de la cour administrative d’appel de Lyon. Les juges ont considéré que « les eaux susceptibles d’être recueillies sur le territoire d’une commune mais non encore captées ne peuvent par leur nature présenter le caractère d’un élément du domaine de ladite commune » et que la commune ne peut ainsi « arguer d’un droit sur la ressource en eau présente sur son territoire dont le prélèvement est autorisé par l’arrêté litigieux », en l’occurrence l’arrêté préfectoral de déclaration d’utilité publique autorisant un syndicat intercommunal d’eau potable, dont la commune requérante n’est pas membre, à prélever de l’eau sur le territoire de cette commune.
Ensuite, les seuls bénéficiaires de l’indemnisation prévue par le code de la santé publique au moment de la mise en place des périmètres de protection sont, comme nous l’avons vu, les propriétaires et occupants des terrains affectés par les servitudes correspondant à ces périmètres.
Enfin, le même code renvoie la définition des modalités d’indemnisation au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Or ce dernier code n’admet que l’indemnisation du « préjudice direct, matériel et certain » causé au patrimoine des personnes affectées par l’expropriation ou les servitudes d’utilité publique. L’impact sur le développement économique futur d’une collectivité n’entre manifestement pas dans ce cadre puisqu’il s’agit d’un préjudice éventuel et indirect, n’affectant pas les biens actuels de la collectivité, dont l’indemnisation est systématiquement exclue par la jurisprudence.
La proposition de loi qui nous est aujourd'hui présentée vise à lever les obstacles juridiques que je viens de rappeler en insérant dans le code de la santé publique un article supplémentaire relatif à l’indemnisation des propriétaires et occupants des terrains concernés par la création de périmètres de protection de captages d’eau destinée à la production d’eau potable.
Cet article serait ainsi rédigé : « Des indemnités au titre du préjudice direct, matériel et certain subi par la commune sur le territoire de laquelle des périmètres de protection ont été institués sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 1321–2 du code de la santé publique peuvent également être versées par la ou les collectivités territoriales bénéficiaires du prélèvement d’eau potable correspondant. […] »
Toutefois, on peut se demander si cette proposition de loi, dans l’hypothèse où elle serait adoptée, permettrait effectivement d’atteindre l’objectif visé. En effet, l’indemnisation de la commune sur le territoire de laquelle les périmètres de protection sont institués reste limitée au « préjudice direct, matériel et certain » qu’elle subit. Or, comme on l’a vu voilà un instant, la perte de possibilités d’urbanisation et de développement d’activité constitue, pour les personnes autres que les propriétaires et occupants ayant déjà déposé un projet, non pas un « préjudice direct, matériel et certain », mais seulement un préjudice éventuel et indirect n’affectant pas le patrimoine de la commune. Il n’est donc pas indemnisable dans le cadre des règles actuelles du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Pour permettre à une commune d’obtenir une compensation au titre de la création de périmètres de protection sur son territoire, il faudrait modifier ces règles plus profondément que ne le prévoit la proposition de loi.
Or c’est évidemment assez délicat, puisque les règles d’indemnisation en cas d’expropriation ou de création de servitudes d’utilité publique reposent sur des principes anciens et bien établis en droit français. Il n’est donc pas facile de justifier que les communes bénéficient dans ce domaine d’un régime privilégié et dérogatoire par rapport au droit commun.
En fait, on peut envisager une solution différente de celle qui est prévue par les auteurs de la proposition de loi. Il faudrait attribuer aux communes et à leurs groupements un monopole de production d’eau potable sur leur territoire – pour l’eau potable destinée aux réseaux publics de distribution – avec possibilité de cession d’une partie des droits conférés par ce monopole à d’autres collectivités.
Il convient de le rappeler, la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques a attribué aux communes la compétence en matière de distribution d’eau potable, confirmant ainsi un monopole qui existait de fait depuis le XIXe siècle, mais qui n’était pas inscrit dans les textes.
Toutefois, la même loi n’a donné aux communes que la possibilité, et non la compétence pleine et entière, d’assurer la production, le stockage et le transport de l’eau potable. Contrairement à la distribution, les communes n’ont donc pas le monopole de ces activités sur leur territoire. Et, comme nous le savons, certaines entreprises produisent effectivement de l’eau potable à des fins soit de commercialisation en bouteilles, soit de satisfaction de besoins industriels.
Autre conséquence de l’absence de monopole, une collectivité A manquant de ressources en eau sur son territoire peut parfaitement venir produire de l’eau potable sur le territoire d’une collectivité B sans même avoir besoin de l’accord de cette dernière, dès lors qu’elle bénéficie d’une déclaration d’utilité publique délivrée par le préfet.
Afin de rééquilibrer les relations entre collectivités sur ce point, le législateur pourrait donc envisager d’aller un peu plus loin sur la voie dans laquelle il s’était déjà engagé en adoptant la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques.
Il s’agirait, d’une part, d’étendre la compétence des communes et de leurs groupements à la production d’eau potable destinée à la distribution publique par réseau, à l’exclusion de la production d’eau potable à d’autres fins, comme la mise en bouteille, l’approvisionnement de sites industriels ou l’usage purement familial, qui demeureraient hors monopole communal. Il s’agirait, d’autre part, d’habiliter les communes et groupements dotés de cette compétence à autoriser d’autres collectivités à produire de l’eau sur leur territoire, avec la possibilité de demander à ces dernières de verser une redevance par mètre cube d’eau potable produite, dont le taux serait plafonné par la loi.
Une telle mesure ne nécessite que la modification d’un seul article du code général des collectivités territoriales ; je vous renvoie à la rédaction proposée. Cela présenterait l’avantage d’attribuer aux communes une compensation financière durable dans le temps, en contrepartie du « gel » d’une partie de leur territoire par des périmètres de protection implantés au bénéfice d’autres collectivités, sans qu’il soit nécessaire de modifier les règles du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique en matière d’indemnisation.
Les nouvelles dispositions ne seraient pas applicables rétroactivement aux installations existantes de production d’eau potable. Elles concerneraient seulement les nouveaux projets de recherche d’eau pour alimenter un réseau de distribution d’eau potable en allant prospecter sur le territoire d’autres collectivités. On éviterait ainsi de remettre en cause des « droits acquis » par certaines collectivités qui utilisent, parfois depuis le XIXe siècle, des ressources non situées sur leur territoire.
Telles sont, madame la ministre, les propositions que je souhaitais formuler.
Cependant, cela pose tout de même évidemment le problème de la gouvernance de l’eau dans notre pays. Concrètement, qui l’exerce ? Comment maîtriser l’équilibre entre les nécessaires solidarités intercommunales, interdépartementales et interrégionales et le droit légitime des communes ? On ne peut naturellement pas être dans la simple expression de l’égoïsme communal. L’ensemble des territoires concernés, en particulier ceux qui sont en situation de déficit, ont besoin d’eau.
En outre, les servitudes environnementales ne sont pas toujours bien définies. À cet égard, je voudrais évoquer les servitudes liées à la biodiversité. Prenons le cas des zones humides : pourquoi faut-il les préserver ? Nous savons qu’elles jouent un rôle décisif pour la potabilité de l’eau dans la nappe phréatique. Mais elles correspondent aussi à une servitude environnementale. Comment celle-ci peut-elle être rémunérée ?
Et quid du prix de l’eau ? Si les distributeurs publics et privés sont soumis à une redevance supplémentaire, c’est le consommateur qui devra au final l’assumer !
Or, comme nous le savons, la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques a déjà créé des charges très importantes. Plusieurs mesures ont été adoptées ; je pense notamment à l’autocontrôle, à l’analyse d’eau, ainsi qu’à l’obligation, au demeurant tout à fait légitime, de rechercher d’éventuelles fuites et d’améliorer l’entretien du réseau.
En d’autres termes, les entreprises de distribution d’eau font face à des contraintes financières extrêmement lourdes. Elles doivent également réaliser des investissements de fonctionnement, et elles éprouvent parfois des difficultés pour maîtriser le système.
Et si nous ajoutons une redevance supplémentaire, que nous pouvons soutenir sur le principe, il faudra évidemment en assumer les conséquences !
Par ailleurs, nous nous rendons bien compte que la qualité de l’eau dans les nappes phréatiques s’est dégradée et continue souvent de se dégrader. Notre souci actuel est donc de faire participer les distributeurs d’eau publics ou privés à l’amélioration de cette qualité.
Les expériences que nous menons dans le Nord–Pas-de-Calais avec l’agence de l’eau – je pense notamment aux diagnostics territoriaux « multipression » – pour rétablir la qualité de l’eau nécessitent également des crédits importants.
À cet égard, les communes situées sur le territoire de champs captants sont nécessairement en première ligne. Il faut faire en sorte que les différents acteurs concernés, agriculteurs, forces industrielles, artisans et collectivités publiques, soient partie prenante à la démarche, afin de parvenir à des résultats positifs en termes d’amélioration de la qualité de l’eau.
C’est la raison pour laquelle une telle proposition m’inspire une certaine perplexité ou, du moins, m’incite à la prudence, madame la ministre.
Le syndicat dont j’ai la responsabilité doit ravitailler 400 communes dans lesquelles il n’y a pas du tout de nappe phréatique. En outre, l’agglomération lilloise est aujourd'hui en déficit de plus de 5 millions de mètres cubes d’eau et risque de se trouver dans l’impossibilité d’approvisionner la population en période de sécheresse prolongée. Et quand on veut faire appel à la solidarité pour aller chercher de l’eau à 150 kilomètres ou 200 kilomètres, il faut tout de même en trouver les moyens !
En même temps, les communes rurales, qui sont confrontées à de grandes difficultés financières – on leur impose des efforts en matière d’assainissement collectif et non collectif –, ont véritablement besoin d’aide.
Nous devons donc envisager des pistes de réflexion en matière de solidarité intercommunale, interdépartementale et interrégionale, tout en maîtrisant les coûts financiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. François Fortassin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.
M. Michel Doublet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le syndicat des eaux de la Charente-Maritime, que j’ai l’honneur de présider, regroupe 466 des 472 communes du département.
Il a pour triple mission de réaliser les investissements, de gérer le patrimoine et de protéger la ressource, ainsi que l’environnement naturel, dans le cadre de ses compétences statutaires : production et distribution d’eau potable, collecte et traitement des eaux usées domestiques, contrôle, réhabilitation et entretien de l’assainissement non collectif.
Notre débat d’aujourd’hui, qui porte sur l’indemnisation des communes au titre des périmètres de protection de l’eau, me concerne plus particulièrement. En effet, le premier forage du syndicat départemental a été réalisé dans ma commune en 1952.
Le périmètre de protection a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de déclaration d’utilité publique et les prescriptions sont mises en œuvre précisément par le syndicat départemental des eaux.
Lorsque Marie-Hélène Des Esgaulx m’a proposé de cosigner sa proposition de loi tendant à permettre l’indemnisation des communes sur le territoire desquelles sont créés des périmètres de protection entourant des captages d’eau potable, je me suis interrogé sur les incidences d’un tel dispositif non seulement pour les communes, mais également pour les syndicats.
La création de périmètres de protection autour des captages d’eau prévue à l’article L. 1321-2 du code de la santé publique a pour objectifs d’assurer une eau propre à la consommation humaine et de prévenir les causes de pollution susceptibles d’en altérer la qualité.
C’est le rôle dévolu aux périmètres de protection, avec trois niveaux de prévention.
Premier niveau : le périmètre immédiat, qui est l’espace clôturé autour du captage, propriété du maître d’ouvrage.
Deuxième niveau : le périmètre de protection rapprochée, qui est de taille variable selon le contexte hydrogéologique et qui peut faire l’objet d’interdictions ou de réglementations spécifiques.
Troisième niveau : le périmètre éloigné, application de réglementations spécifiques et/ou rappel de la réglementation générale.
Ces contraintes ou interdictions peuvent entraîner la prise en charge par la commune ou l’EPCI bénéficiaire de la déclaration d’utilité publique d’indemnités au bénéfice des personnes physiques ou morales de droit privé concernées.
J’en viens à présent à mes interrogations.
L’article 1er de la proposition de loi ouvre la possibilité d’une indemnisation de la collectivité recevant l’ouvrage en cas de « préjudice direct, matériel et certain » résultant de la création d’un des périmètres de protection visée à l’article L. 1321-2-1 du code de la santé publique, restreignant ainsi le champ de l’indemnisation et permettant d’éviter les dérives.
Toutefois, on notera dans la rédaction de cet article que les indemnités éventuelles sont versées par les collectivités territoriales bénéficiaires du prélèvement d’eau potable, et non par la collectivité propriétaire de l’ouvrage. Peut-on en déduire que si le captage appartient à un syndicat intercommunal ou départemental, comme c’est souvent le cas, ce sont les collectivités adhérentes desservies par cet ouvrage qui verseront l’indemnisation, et non pas le syndicat lui-même ? Et comment assurera-t-on la répartition des charges si les collectivités ne sont desservies que partiellement par l’ouvrage ? Je pense notamment aux réseaux interconnectés ou à une desserte de secours.
L’article 2 vise à instituer une compensation des éventuelles conséquences financières pouvant en résulter pour la collectivité débitrice. Comme les syndicats intercommunaux n’ont pas accès à la dotation globale de fonctionnement, la DGF, une telle disposition tendrait à confirmer que les indemnités seront versées non pas par les syndicats intercommunaux propriétaires des ouvrages, mais bien par les communes bénéficiaires.
J’imagine difficilement les communes ayant délégué la compétence « production et distribution de l’eau potable » à un EPCI s’engager dans des procédures d’indemnisation compensatoire complexe sans disposer de leur propre budget annexe « eau potable », du fait même de ce transfert de compétence.
Telles sont les réflexions que m’inspire la proposition de loi. Je souhaiterais obtenir quelques éclaircissements sur les points que je viens de soulever, madame le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
(M. Guy Fischer remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat riche et important est organisé à la demande du groupe UMP, et plus particulièrement de Marie-Hélène Des Esgaulx, qui a déposé une proposition de loi sur le sujet et que je tiens à remercier.
Cette discussion nous donne l’occasion d’examiner plus généralement l’indemnisation des communes en cas de servitude partagée, un sujet qui ne concerne pas uniquement l’eau.
En fait, il existe un débat général sur les relations entre petites et grandes collectivités territoriales, entre milieu urbain et milieu rural, et sur les communes servant les autres et notamment les communes rendant un service à la nature du fait de la qualité de leur environnement.
Je le rappelle d’emblée, certains de ces services sont rendus sans rémunération. Ce n’est pas seulement le cas en matière environnementale. Telle commune, par exemple, investit dans un équipement sportif qui profite aux habitants des communes rurales périphériques ou telle commune rurale entretient un réseau de sentiers dans sa forêt communale au bénéfice des promeneurs urbains.
Dans le domaine de l’eau, les différentes positions qui viennent d’être exprimées m’amènent à rappeler quelques principes essentiels et liminaires.
L’article L. 210–1 du code de l’environnement établit que « l’usage de l’eau appartient à tous ». Chacun doit être conscient qu’une ressource en eau encore non captée ne constitue pas un élément du domaine public de la commune, comme l’ont rappelé la cour administrative d’appel de Lyon le 24 octobre 1995 sur un jugement concernant la commune de Saint-Ours-les-Roches – M. Raoult y a fait référence – et le Conseil d’État le 16 novembre 1962 sur un jugement ayant trait à la ville de Grenoble. En d’autres termes, une commune ne peut se déclarer propriétaire de ressources en eau au seul motif que ces dernières se trouvent sous ou sur son territoire ; chacun, ici, en conviendra.
Pour autant, des servitudes pèsent sur les communes où se trouve un lieu de captage. Mme Des Esgaulx l’a souligné, le code de la santé publique définit plusieurs périmètres autour du point de prélèvement d’eau : un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété ; un périmètre de protection rapprochée à l’intérieur duquel peuvent être interdites ou réglementées toutes sortes d’installations, d’activités, d’ouvrages, d’aménagement des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux ; un périmètre de protection éloignée à l’intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, occupations des sols et dépôts, quoique de manière plus légère.
La procédure existante organise déjà un système indemnitaire au profit de la personne propriétaire du sol sur lequel sont instaurés les différents périmètres de protection, à condition qu’un préjudice matériel, certain et direct soit constaté. Ce préjudice, dans le cas du propriétaire ou de l’exploitant des terrains, est quantifiable. Il s’agit, la plupart du temps, d’une expropriation obligatoire des terrains situés dans le périmètre de protection immédiate ou de restrictions concernant l’usage des sols dans le périmètre de protection rapprochée.
Dans le cas des communes, vous reconnaîtrez que l’instauration de périmètres de protection n’induit pas de gel systématique des terrains au regard de leur constructibilité ou d’activités diverses. Cette décision doit être prise au cas par cas. La plupart du temps, le préjudice n’est que potentiel et il n’existe pas de préjudice direct, matériel et certain subi pour la commune au sens du droit. Il faut donc se demander s’il est nécessaire d’adopter une disposition ne concernant que les cas isolés où le préjudice pourrait réellement être démontré. J’insiste sur ce point : le préjudice doit absolument être démontré et quantifié.
Vous faisiez référence, madame Des Esgaulx, aux indemnisations pour servitude de passage le long du littoral ou au voisinage d’une ligne électrique aérienne. Il faut rappeler que dans ces cas, également, seule est prévue l’indemnisation des propriétaires des terrains sur lesquels portent les servitudes. Aucune indemnisation des collectivités n’est prévue lorsque ces dernières ne sont pas propriétaires des terrains directement concernés.
J’ai bien relevé à ce propos, madame Didier, que vous vous êtes exprimée en défaveur d’une mesure qui consisterait à faire payer les communes bénéficiaires d’un captage, et que vous appelez à maintenir une distinction forte entre les servitudes liées à des équipements créés par l’homme, qui auraient pu être positionnés ailleurs, et des servitudes liées à la présence d’une ressource naturelle particulière. Des problèmes très concrets resteraient néanmoins à régler.
M. Doublet soulève un certain nombre de questions importantes sur les modalités de versement des indemnités par les collectivités territoriales bénéficiaires du prélèvement d’eau potable. Il faut s’interroger sur l’applicabilité d’un tel dispositif dans la mesure où les captages appartiennent souvent à des syndicats intercommunaux et non directement aux communes, et que les conditions de desserte peuvent être spécifiques à chaque commune tout en variant dans le temps.
Ces considérations m’amènent à souligner que le dispositif aura in fine des répercussions sur le prix de l’eau, lequel augmentera forcément avec l’internalisation du coût des indemnités. Cette augmentation du prix de l’eau sera difficile à justifier auprès des usagers concernés.
Nous avons des objectifs très forts en matière de protection des captages d’eau. Bernard Saugey et François Fortassin l’ont rappelé, selon le plan national santé-environnement, 100 % des points de captage d’eau potable auraient dû bénéficier, à la fin de l’année 2010, d’un périmètre de protection assorti de prescriptions. À l’heure actuelle, cet objectif n’est pas atteint. Monsieur Fortassin, pour répondre à votre sollicitation, je serai plus précise : deux tiers, environ, des volumes d’eau prélevés, soit 60 % des captages sont protégés ; mais 40 % des captages ne le sont pas et ne disposent pas encore de déclaration d’utilité publique instaurant les périmètres de protection. Au total, 34 000 points de captage sont répertoriés en France et 14 000 d’entre eux restent à protéger. Les conditions pour ce faire sont pourtant assez avantageuses. En tout cas, un certain nombre d’aides sont prévues. Des agences de l’eau subventionnent les études préalables à hauteur de 80 % et les indemnités peuvent s’élever, dans plusieurs bassins, jusqu’à 50 %. Je précise également que la charge de l’établissement des périmètres incombe non pas à la commune d’implantation, mais à la collectivité maître d’ouvrage du captage, ce qui est bien le minimum…
Dans ce contexte, ne faut-il pas craindre que le dispositif tel qu’il est envisagé dans la proposition de loi ne freine davantage la dynamique engagée par les collectivités retardataires, du fait de l’augmentation des indemnisations à financer ?
Le projet qui vient de nous être présenté suscite donc de vraies questions auxquelles je ne me soustrairai pas malgré toutes les difficultés que je viens de recenser. Il faut pouvoir y répondre, mais il faut surtout préalablement définir l’échelle territoriale la plus pertinente pour y répondre. À titre d’exemple, la superficie des aires d’alimentation de certains captages dits « Grenelle » avoisine les 6 600 hectares, soit cinq fois la superficie moyenne d’une commune française.
Par ailleurs, très souvent, même si le point de captage est localisé sur une seule commune, les trois périmètres de protection peuvent être à cheval sur plusieurs communes voisines. La protection de la ressource en eau est donc souvent de facto intercommunale, et il serait réducteur d’aborder le sujet en opposant simplement communes de petite et de grande taille. Il existe des exemples qui montrent qu’un dispositif gagnant-gagnant entre la collectivité bénéficiaire du captage et la collectivité propriétaire peut être inventé. Ce dispositif, de nature contractuelle, permet alors à la collectivité propriétaire de bénéficier de contreparties en échange des services rendus à la collectivité bénéficiaire.
Pour ma part, je crois à la capacité des collectivités à trouver un terrain d’entente et à formaliser leurs engagements sous forme de convention de gestion contractuelle. Nous pouvons naturellement réfléchir à la meilleure façon de les accompagner dans la mise en place de telles conventions.
En outre, n’oublions pas que le problème exposé par Marie-Hélène Des Esgaulx ne trouvera de solution pérenne qu’avec l’optimisation de nos services d’alimentation en eau potable. En Grande-Bretagne, il existe 23 compagnies pour l’alimentation en eau potable et l’assainissement. En Allemagne, on dénombre 5 260 entités, qui gèrent 14 500 réseaux d’adduction d’eau. En France, nous avons 16 000 services pour l’alimentation en eau potable. À l’évidence, nous devons poursuivre nos efforts pour regrouper ces services – ce pourrait être un élément de réponse aux questions posées ici – et cela doit être une priorité pour les toutes prochaines années.
Je tiens également à rappeler que la loi de réforme des collectivités territoriales prévoit une couverture du territoire par des EPCI à fiscalité propre. Les communautés de communes ou les communautés d’agglomération pourront répondre aux difficultés rencontrées, en mettant en œuvre un développement équilibré de la communauté et la péréquation des moyens financiers nécessaires. Là aussi, une part de la solution pourrait être trouvée dans la montée en puissance des EPCI au cours des prochaines années.
En conclusion, les conditions de mise en place d’une solidarité financière à l’échelle intercommunale doivent être approfondies et nécessitent une expertise plus poussée, et conjointe du ministère de l’écologie, du ministère de la santé et du ministère de l’intérieur. Tout comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai beaucoup évoqué les intercommunalités. Le ministère de l’intérieur doit être totalement associé à ce débat. Dans son intervention, François Fortassin a réclamé à raison des données plus précises. Nous devons pouvoir produire des chiffres plus détaillés sur les coûts et sur le nombre de cas où le problème soulevé par Marie-Hélène Des Esgaulx se pose précisément.
Je m’engage, par conséquent, à me rapprocher dès maintenant du ministre de l’intérieur et du ministre de la santé pour lancer ces travaux et mener un travail conjoint avec Marie-Hélène Des Esgaulx afin d’approfondir les questions clés qu’elle a permis d’identifier, sans masquer les réelles difficultés que j’ai soulevées aujourd'hui, à l’instar de certains d’entre vous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’indemnisation des communes au titre des périmètres de protection de l’eau.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures pour les questions cribles thématiques sur le trafic des médicaments.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
12
Questions cribles thématiques
le trafic des médicaments
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur le trafic des médicaments.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir, sur France 3, après l’émission Ce soir ou jamais de M. Frédéric Taddeï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été installés à la vue de tous.
Mes chers collègues, il est déjà dix-sept heures et deux minutes, et nous attendons Mme la secrétaire d’État chargée de la santé. L’exactitude est une marque de respect, à l’égard tant des téléspectateurs que de notre assemblée ! (Mme la secrétaire d’État fait son entrée dans l’hémicycle.)
La parole est à M. Bernard Cazeau, pour le groupe socialiste.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, plus de la moitié des médicaments achetés sur des sites internet en 2010 seraient des faux.
Les contrefaçons peuvent représenter, en valeur, jusqu’à 50 % du marché, dans certains pays, notamment africains, où l’on compte de nombreux décès liés à ces « médicaments ».
De son côté, INTERPOL a estimé, l’année dernière, le chiffre d’affaires dégagé par le trafic de faux médicaments à 75 milliards d’euros. Ce commerce serait d’ailleurs en pleine expansion : entre 2007 et 2008, il aurait crû de 300 % au niveau mondial, selon les Douanes.
L’extraordinaire outil commercial que constitue Internet et la récupération croissante de ce trafic par ceux qui se concentraient jusque-là sur le trafic de drogues expliquent cet essor.
En France, nous étions naguère à l’abri de ce phénomène, et ce pour deux raisons : le remboursement des médicaments par la sécurité sociale réduit l’attractivité des prix pratiqués sur Internet et, par ailleurs, le maillage de notre territoire par les médecins et les pharmaciens relativise l’argument tiré de la facilité d’accès offerte par le web.
Ces raisons expliquent pourquoi l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, n’a été saisie, en 2010, que d’une quarantaine de problèmes de pharmacovigilance, portant principalement sur des produits de régime.
Au-delà de la criminalité qu’il importe de combattre, nous sommes aujourd’hui confrontés à un véritable enjeu de santé publique.
Nous savons que les Douanes françaises ont récemment créé un observatoire qui, spécialement consacré aux médicaments contrefaits, est chargé de localiser les lieux de production et de stockage, d’identifier les réseaux criminels et les filières d’approvisionnement, d’analyser les modes opératoires des fraudeurs et de fournir ainsi aux services opérationnels les supports pour l’identification de ces médicaments.
Enfin, au-delà de cet observatoire, le réseau Médifraude coordonne les activités de l’ensemble des services de l’État participant à la lutte contre la circulation et la commercialisation des médicaments illicites.
Aussi ma question sera-t-elle simple, madame la secrétaire d’État : quel bilan peut-on tirer des moyens employés jusqu’ici pour lutter contre les trafics de médicaments ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d’État auprès du ministre du travail, de l’emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le commerce électronique se développe dans tous les domaines, y compris celui des médicaments, en dépit des réglementations existantes.
Toutefois, en France, l’importance du recours à l’achat de médicaments sur Internet doit être relativisée. Vous avez d’ailleurs évoqué, monsieur le sénateur, l’une des raisons qui expliquent ce moindre engouement, monsieur le sénateur, à savoir le remboursement par l’assurance maladie. En effet, les médicaments sont, pour la grande majorité d’entre eux, pris en charge, ce qui supprime une motivation importante pour les consommateurs.
De plus, il convient de rappeler que la France se situe, en termes de densité, au premier rang mondial pour le nombre de pharmacies par habitant et au deuxième rang pour le nombre de médecins par habitant, ce qui garantit la proximité.
Une veille sur Internet a été mise en place par l’AFSSAPS en juin 2009 : l’Agence recherche et achète, par l’intermédiaire d’un huissier de justice, des produits sur Internet ; elle signale les sites suspects à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, l’OCLCTIC, qui est chargé de la cyberdélinquance. L’AFSSAPS procède ensuite à des contrôles et analyse en laboratoire ces produits, en vue de détecter une éventuelle falsification. En cas de falsification avérée, l’Agence transmet un dossier à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, l’OCLAESP. Tout signalement de site illicite fait l’objet d’une transmission à la justice et aux services d’enquête que j’ai cités.
On peut d’ailleurs souligner que l’AFSSAPS a participé à l’opération PANGEA III, menée il y a quelques mois.
M. le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Pour conclure, les dispositifs légaux de contrôle, de détection et de sanction existent. Parallèlement, il faut aussi sensibiliser le public et développer des outils de communication pour que les usagers puissent se prémunir contre l’achat de produits susceptibles d’entraîner des risques pour leur santé.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour la réplique.
M. Bernard Cazeau. Madame la secrétaire d’État, plus qu’un rappel partiel de mon propos, je vous demandais un bilan. Je constate que vous n’avez pratiquement pas répondu à ma question et je le regrette, car il faut, selon moi, expliquer les raisons de l’essor de ce trafic.
En effet, la poursuite d’une politique de création de franchises, d’augmentation des forfaits et d’aggravation des déremboursements, accentuée depuis 2007, pousse de plus en plus nos concitoyens à se fournir par l’intermédiaire des sites internet, afin d’alléger ce que l’on peut qualifier de « taxation déguisée ».
Ainsi, après avoir « raboté » les taux de remboursement des médicaments à service médical rendu insuffisant, les pouvoirs publics se sont attaqués, dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, à des médicaments présentant un intérêt thérapeutique ! C’est ainsi qu’un certain nombre de médicaments – les médicaments à service médical rendu modéré et à vignette bleue -, qui représentent près de trente millions de boîtes vendues chaque année, ainsi que certains dispositifs médicaux, pansements ou orthèses, seront désormais « déremboursés ».
Voilà au moins l’une des raisons…
M. Jacky Le Menn. Mais une très forte raison !
M. Bernard Cazeau. … qui poussent nos concitoyens à recourir à Internet. Je regrette donc que vous n’ayez pu m’indiquer un bilan de vos actions, dont la nature m’est par ailleurs parfaitement connue ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue, pour le groupe CRC-SPG.
M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si la consommation en France de faux médicaments ou de médicaments contrefaits est en constante progression – notamment du fait des commandes sur Internet de médicaments liés à la sexualité –, elle demeure néanmoins marginale, particulièrement au regard de l’ampleur des trafics dans les pays en développement et, singulièrement, dans les pays africains.
Le sujet est important, puisque le trafic de médicaments, plus rentable que celui de drogues selon des responsables d’INTERPOL, présente un risque considérable pour la santé des populations qui les consomment, qu’elles soient conscientes ou non que les produits qu’elles utilisent sont de faux médicaments.
J’entends par « faux médicaments » ceux qui ne soignent pas la maladie pour laquelle ils sont utilisés, qui ont des effets thérapeutiques et secondaires incertains, quand ils ne dégradent pas l’état de santé des patients. Cette précision est indispensable puisque, reprenant les propres termes du président de la Mutualité française prononcés à l’occasion d’un colloque organisé sur ce sujet en octobre dernier, « la lutte contre les faux médicaments ne doit pas conduire à une remise en cause de l’accès aux thérapeutiques efficaces et financièrement plus accessibles que constituent les médicaments génériques, notamment dans les pays du Sud ».
Le colloque auquel je viens de faire référence a permis la mise en évidence de différentes causes à l’origine de ces trafics : absence de politiques de santé publique, insuffisance des structures de soins, inexistence de mécanismes de sécurité sociale...
En somme, c’est sur le terreau de la misère que prospèrent ces trafics.
Il nous faut donc inventer, madame la secrétaire d’État, une politique de coopération nouvelle sur les questions sanitaires et de santé publique qui dépasse largement les enjeux industriels. À cette fin, nous devons prendre l’exact contre-pied de la politique menée actuellement par la Commission européenne dans le cadre de l’accord de libre-échange entre l’Europe et l’Inde, qui vise à durcir les conditions de fabrication des génériques, alors que l’Inde, qui produit 90 % des médicaments génériques vendus dans les pays pauvres, est considérée comme le laboratoire des pays en voie de développement.
Aussi, madame la secrétaire d’État, quelles mesures concrètes entendez-vous prendre au niveau national et, surtout, au niveau européen, pour que les pays en voie de développement puissent satisfaire eux-mêmes les besoins en médicaments de leurs populations ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Jacky Le Menn applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre le trafic de médicaments ne repose pas uniquement sur un cadre légal, mais aussi, vous l’avez rappelé, sur une coopération et une intégration des actions entreprises par les principaux acteurs impliqués, qu’ils exercent une compétence directe pour traiter le délit ou une compétence indirecte sur les produits concernés.
La mobilisation des pouvoirs publics demeure essentielle pour promouvoir cette coopération entre les différents intervenants que sont le ministère de la santé, l’AFSSAPS, la police, les Douanes et les autorités judiciaires. En France, l’AFSSAPS a développé des contacts non seulement avec les agents de l’État chargés de la lutte contre le trafic des médicaments, mais aussi avec les responsables de la lutte contre tout type de fraude pouvant concerner, notamment, les produits de santé.
La constitution d’un groupe interministériel de lutte contre la contrefaçon des produits de santé, piloté par l’AFSSAPS, illustre ces partenariats ; ce groupe a pour objectif d’élaborer des mesures concrètes d’organisation pour faciliter la lutte contre la contrefaçon des produits de santé, de proposer des actions de sensibilisation des publics et d’analyser les retours d’expérience des acteurs, tant publics que privés.
Par ailleurs, pour répondre plus directement à votre interrogation, l’AFSSAPS est tout à fait impliquée dans les instances internationales. Un groupe de travail, le Head of Medicines Agency Working Group of Enforcement Officers, ou HMA-WGEO, réunit les agents représentant les autorités compétentes européennes qui ont un pouvoir de recherche et de constat des infractions pénales à la réglementation des produits de santé. Ce lieu d’échanges, créé en 2004, est reconnu par la réunion des chefs d’agences européennes, qui l’ont mandaté pour formuler des propositions dans le domaine de la lutte contre le trafic des médicaments.
Dans le même esprit, un groupe émanant du Conseil de l’Europe se réunit depuis 2007,…
M. le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d’État. … en relation avec l’OMS. Il a décidé la mise en place de réseaux de points de contact uniques dans tous les États membres. Une collaboration structurée à l’échelle européenne est ainsi mise en place…
M. le président. Madame la secrétaire d’État, il est temps de conclure !
Mme Nora Berra, secrétaire d’État. … pour faire en sorte que ces dispositifs internationaux assurent une protection effective des populations, en particulier les plus vulnérables.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Pasquet. Mon collègue Robert Hue, tout comme M. Bernard Cazeau, a mis en évidence l’importance des structures sociales et sanitaires dans la lutte contre le trafic de médicaments, plus particulièrement ceux qui relèvent d’un système de sécurité sociale.
Les politiques menées depuis des années par votre majorité, madame la secrétaire d’État – déconstruction des protections sociales, déremboursements, suppression des protections du travail, gel des salaires et des pensions – peuvent conduire, demain, une partie de nos concitoyens, les plus pauvres d’entre eux, à se tourner vers des filières parallèles pour répondre à leurs besoins tant médicaux que pharmaceutiques.
C’est d’autant plus probable qu’un autre pan de votre politique, la révision générale des politiques publiques, entraîne une réduction notable du nombre d’agents dans les services douaniers. Alors qu’il y avait, au 1er janvier 1993, 22 500 douaniers sur le territoire national, ils ne sont plus que 17 000 en ce début d’année, avec une diminution de plus de 300 agents par rapport au 1er janvier 2010.
En obérant ainsi la force de contrôle de notre administration, madame la secrétaire d’État,…
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Isabelle Pasquet. … vous réduisez sa capacité à protéger la santé de nos concitoyens au regard de la prolifération des médicaments contrefaits et, plus globalement, de l’ensemble des produits de consommation à destination humaine.
M. le président. Je rappelle que chacun doit respecter strictement le temps de parole qui lui est imparti.
La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe Union centriste.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, trafic de drogues et trafic de médicaments sont aussi odieux l’un que l’autre. À de nombreux égards, ils sont d’ailleurs comparables.
Tout d’abord, ils mettent en danger l’intégrité physique et la santé des personnes. On estime que, chaque année dans le monde, 200 000 décès sont liés au trafic de médicaments.
Ensuite, les victimes sont le plus souvent des personnes fragiles ou appartenant aux couches les plus défavorisées de la population.
Enfin, dernier point de comparaison, et pas des moindres, les montants en jeux : selon l’OMS, le trafic de faux médicaments représenterait 10 % du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique mondiale, soit 45 milliards d’euros. En 2009, INTERPOL estimait que le marché des médicaments contrefaits vendus sur Internet était bien plus rentable que le trafic de drogues.
Il faut en avoir conscience, Internet a changé la donne : si le problème a, pendant longtemps, surtout concerné les pays en voie de développement et s’il y est – malheureusement – toujours présent de façon endémique, le trafic de médicaments n’épargne plus personne depuis l’avènement du « net ». Ainsi, à la fin de 2009, la Commission européenne constatait que la circulation de médicaments contrefaits dans l’Union européenne dépassait ses pires craintes.
Il y a donc urgence à agir !
D’ailleurs, un double appel a été lancé : d’une part, la Commission européenne a appelé à l’élaboration d’une législation spécifiquement européenne en la matière, d’autre part, M. Jacques Chirac a appelé à la signature d’une convention internationale de lutte contre les faux médicaments.
Ces deux initiatives en faveur de la mise en place d’un cadre répressif international sont à la mesure de l’enjeu, mais, pour l’heure, elles n’ont pas rencontré le même écho.
Le 7 décembre 2010, le Conseil de l’Europe a certes adopté la convention MEDICRIME, tout premier outil juridique international qui criminalise la contrefaçon de produits médicaux.
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. François Zocchetto. Cependant, madame la secrétaire d’État, même si cette convention MEDICRIME est ouverte à la signature d’États non membres du Conseil de l’Europe, une convention internationale ad hoc n’est-elle pas nécessaire ? Dans l’affirmative, la France a-t-elle l’intention de peser de tout son poids pour qu’une telle convention soit signée dès 2011 ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Vous avez raison, monsieur Zocchetto, le trafic de médicaments est un véritable fléau. Il est beaucoup plus lucratif que le trafic de drogues lui-même ou que le trafic de tabac – dix fois plus lucratif que le trafic d’héroïne et cinq fois plus lucratif que le commerce illicite de tabac – et, paradoxalement, moins pénalisé. En effet, les sanctions observées atteignent, au maximum, trois ans de prison.
Vous avez évoqué l’appel de Cotonou, dont le but était de sensibiliser le plus grand nombre de pays possible à ce problème et de les encourager à converger vers l’élaboration d’une convention. Celle-ci pourrait être le point de départ d’une démarche visant à protéger les personnes susceptibles d’être victimes du trafic de médicaments contrefaits et, de ce fait, exposées à des risques.
Quoi qu’il en soit, même si je ne peux pas en cet instant vous indiquer de date précise, la décision devant être prise ultérieurement au niveau européen, la convention MEDICRIME sera ouverte à la signature des États membres en 2011.
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour la réplique.
M. François Zocchetto. La lutte contre le trafic de médicaments ne peut être l’affaire d’amateurs, car ce trafic est entre les mains de mafias.
Je pense donc que la France doit non seulement intervenir sur la scène internationale pour que des instruments de lutte soient mis en place contre ces mafias, mais également montrer l’exemple et mettre rapidement en place sur son territoire des équipes pluridisciplinaires chargées d’enquêter sur ces affaires et de réprimer ce type de pratiques. Les Douanes ne peuvent procéder seules à ce travail. Elles doivent être épaulées par des équipes de policiers, de gendarmes et de magistrats spécialisées dans la lutte contre ces nouvelles mafias.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour le groupe RDSE.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’importance du trafic de médicaments a été soulignée : celui-ci se monte à 45 milliards de dollars, soit 10 % du marché pharmaceutique mondial.
Si les contrefaçons sont essentiellement retrouvées dans les pays du tiers-monde, mais aussi dans certaines pharmacies des États-Unis ou de Grande-Bretagne, la France est relativement préservée, compte tenu de son système de distribution des médicaments, très contrôlé.
Toutefois, comme cela a déjà été souligné par les orateurs précédents, la menace vient d’Internet, sur lequel on trouve toutes sortes de médicaments. Gain de temps, facilité, économie, confidentialité ou encore absence d’ordonnance sont autant de raisons qui poussent les patients à acheter sur Internet.
Faut-il rappeler les risques de mauvais usage ou de contre-indication, qui sont grands, la provenance souvent douteuse des produits et leur composition aléatoire ? Par exemple, certains compléments alimentaires se sont révélés contenir des principes actifs, comme la sibutramine, qui est inscrite sur la liste des substances vénéneuses. D’autres produits contenaient de la caféine à des concentrations beaucoup plus élevées que celles qui sont recommandées en France.
Devant ce constat, madame la secrétaire d’État, votre prédécesseur – Mme Roselyne Bachelot-Narquin – avait mis en place un groupe de travail chargé de réfléchir à un projet de « cyber-pharmacie » sur un portail qui pourrait être hébergé par l’Ordre national des pharmaciens et renverrait vers les sites des officines.
Plutôt que de chercher à bloquer un phénomène incontrôlable, il est sans doute plus efficace d’amener sur le marché une offre pharmaceutique en ligne qui serait sécurisée et encadrée. Une telle offre existe d’ailleurs depuis longtemps chez certains de nos voisins européens : en Allemagne, en Suisse ou encore en Belgique. Avec la télémédecine, lancée en octobre dernier, elle pourrait apporter une réponse intéressante aux difficultés d’accès aux soins.
Avez-vous repris cette réflexion, madame la secrétaire d’État ? Où en sont les travaux de ce groupe de travail ? Seuls les médicaments délivrés sans ordonnance et non remboursables seront-ils concernés ?
Quoi qu’il en soit, gardons à l’esprit qu’Internet ne remplacera pas la relation entre le malade et le médecin ou entre le patient et le pharmacien, seul gage de sécurité et de qualité des soins. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la Direction générale de la santé pilote bien, depuis le printemps 2010, un groupe de travail.
Je ne vais pas citer toutes les directions ministérielles qui y participent, mais ce groupe est largement fédérateur au sein des différentes instances de l’État et comprend également des représentants d’instances professionnelles, comme l’Ordre national des pharmaciens ou le syndicat des entreprises du médicament, le LEEM.
Sa mission est de déterminer le cadre juridique approprié pour permettre aux pharmaciens d’officine qui le souhaitent de créer des sites internet. Je vais vous en indiquer les axes de travail, qui tiennent compte du cadre européen
Premièrement, les sites internet de pharmacie doivent être le prolongement virtuel des officines physiques existantes, afin que les patients aient la garantie de s’adresser à des sites sécurisés, gérés par des professionnels compétents et intégrés dans la chaîne de distribution. En d’autres termes, seules les pharmacies seront autorisées à vendre en ligne des médicaments.
Deuxièmement, seuls les médicaments pour lesquels la prescription médicale est facultative pourront être commercialisés par le biais des sites internet de pharmacie. Seront donc exclus de ce marché les médicaments délivrés sur prescription médicale obligatoire.
Troisièmement, il faudra définir les conditions de création et de gestion de ces sites internet de pharmacie. Dans ce cadre, des déclarations aux différentes instances de gouvernance, par exemple, aux agences régionales de santé ou à l’Ordre national des pharmaciens, seront probablement prévues.
Quatrièmement, on pourra envisager la mise en place d’un portail internet géré par le Conseil national de l’ordre des pharmaciens, d’où les patients pourraient avoir accès aux différents sites internet de pharmacie.
Cinquièmement, des contrôles et des sanctions en cas de non-respect des règles sur les sites internet de pharmacie seront éventuellement mis en œuvre.
Sixièmement, toujours dans le cadre de ce groupe de travail, il faudra également réfléchir à l’adoption de règles relatives à la protection et à la confidentialité des données personnelles et de santé de l’internaute, qui viendront compléter l’exercice déontologique du pharmacien.
Septièmement, il faudra adapter les règles relatives à la publicité des médicaments et en faveur de l’officine au média internet, ainsi qu’aux règles du commerce électronique.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Huitièmement, enfin, il faudra adopter un arrêté relatif aux bonnes pratiques sur l’élaboration d’un site internet de pharmacie.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour la réplique.
M. Gilbert Barbier. Je voudrais simplement, en complément, évoquer un autre problème existant dans notre pays : certains médecins prescrivent en trop grande quantité et, de ce fait, des médicaments sont remboursés par la sécurité sociale pour être ensuite revendus sur les sites internet. C’est un problème, madame la secrétaire, qu’il faudrait traiter de manière efficace dans les études que vous poursuivez.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour le groupe UMP.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Je voudrais d’abord remercier la conférence des présidents d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour. Les médicaments ne sont effectivement pas des marchandises comme les autres, et la fraude met ici en jeu des vies humaines, puisque vendre un faux médicament à un malade, c’est l’empoisonner.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont été évoqués par mes collègues. Je voudrais néanmoins rappeler qu’un médicament sur quatre utilisés dans les pays en voie de développement est faux et que 200 000 décès par an pourraient être évités si les médicaments prescrits contre le paludisme étaient conformes à la réglementation et susceptibles de traiter réellement la maladie.
On l’a dit, la France est relativement épargnée par ce phénomène. Elle ne l’est pas totalement, parce qu’il existe différentes formes de trafics : la quantité de principe actif du médicament peut être trop faible ou trop forte, celui-ci peut être inexistant, voire remplacé par une substance toxique. C’est ainsi, par exemple, que l’on a récemment assisté, dans un pays d’Afrique, à la mort d’une centaine de nourrissons qui avaient absorbé du faux sirop au paracétamol.
Comme l’a souligné Gilbert Barbier, la France n’est donc pas à l’abri de ce trafic, du fait du détournement et de la vente de médicaments à d’autres fins que thérapeutiques ou de l’augmentation de la vente de faux médicaments sur Internet.
Le Conseil de l’Europe a élaboré une convention intitulée « MEDICRIME », qui doit être signée en 2011 par les ministres des affaires étrangères de quarante-sept de ses États membres.
M. le président. Veuillez poser votre question, ma chère collègue.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la secrétaire d’État, je voudrais savoir si le Président de la République a l’intention de signer l’appel de Cotonou et si la France compte s’engager concrètement dans cette lutte, au travers d’un soutien financier – par exemple, à l’Agence française de développement – et d’une pénalisation de ce trafic. Enfin, ce sujet sera-t-il porté au sein du G8 présidé par la France ? (M. Gilbert Barbier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour une réponse qui, je le rappelle, ne doit pas dépasser deux minutes. Je souhaiterais effectivement que M. Alain Milon, dernier intervenant inscrit, puisse poser sa question.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Madame Hermange, il est très difficile, aujourd’hui, d’évaluer les budgets alloués spécifiquement aux actions de lutte contre le trafic de médicaments, car la comptabilité des organismes concernés ne permet pas de les mettre en exergue. Néanmoins, la lutte contre le trafic de faux médicaments est bien évidemment une priorité pour les autorités sanitaires.
S’agissant de la convention MEDICRIME, l’appel de Cotonou a effectivement donné l’élan, car l’ensemble des pays ont été invités à rejoindre une démarche visant à élaborer de bonnes pratiques internationales, afin de protéger les personnes, notamment dans les pays en voie de développement, où les besoins sont criants mais l’offre est insuffisante.
Le Conseil de l’Europe a adopté cette convention le 9 décembre 2010. La France a participé à l’élaboration du texte et a soutenu l’objectif fixé. Cette convention, premier instrument international dans le domaine du droit pénal, fait obligation aux États parties d’ériger en infraction pénale la fabrication de médicaments contrefaits.
Je le répète, la convention sera ouverte à la signature dès 2011. Nous serons bien entendu mobilisés aux côtés des autres pays concernés. Cette initiative dépasse, d’ailleurs, le cadre européen, et l’on peut souligner la mobilisation du Canada, du Japon et d’Israël, présents en qualité d’observateurs.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour la réplique.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Je serai très brève, pour laisser du temps à mon collègue Alain Milon, mais j’aurais souhaité que Mme la secrétaire d’État nous confirme que le Président de la République signera l’appel de Cotonou et que ce sujet sera bien porté au niveau du G8. (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour le groupe socialiste.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un médicament n’est pas un produit comme un autre ; cela a été rappelé à l’instant et l’actualité récente, avec le Mediator, le prouve. Un médicament mal utilisé ou contrefait ne soigne pas, et ses effets secondaires peuvent provoquer une grave dégradation de la santé des patients, voire entraîner la mort.
La contrefaçon de médicaments est donc criminelle !
Cela a également été rappelé, le marché de la contrefaçon est très lucratif. Il représenterait environ 10 % du marché mondial du médicament et rapporterait aux trafiquants entre 50 milliards d’euros et 75 milliards d’euros par an.
Chacun d’entre nous doit mesurer qu’il s’agit là d’un fléau aussi grave que le trafic de drogues. Dans les pays pauvres, en particulier en Afrique, ce sont ainsi des centaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants qui trouvent la mort alors qu’ils pensent se soigner.
Tous les experts le reconnaissent, c’est sur le « terreau » de la pauvreté que ce fléau prospère le mieux. L’Organisation mondiale des douanes a d’ailleurs qualifié ce trafic de « crime du XXIe siècle ».
En effet, ces médicaments contrefaits concernent le plus souvent des pathologies graves. Pire, ils peuvent contribuer à réduire à néant les efforts faits pour endiguer les grandes épidémies. Dès lors, se pose la question des moyens susceptibles d’endiguer de telles pratiques.
Il est impératif de déclarer la mobilisation générale des systèmes douaniers, des polices nationales, d’INTERPOL et de l’OMS.
Des solutions existent !
Il faut résoudre les problèmes de prévention, apporter des réponses répressives plus dissuasives, mais, surtout, il faut résoudre les problèmes financiers de l’accès aux médicaments essentiels.
Il est primordial de lutter contre le trafic de médicaments non pas parce que certains gros industriels y perdent de l’argent, mais parce que des gens en meurent !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement !
M. Ronan Kerdraon. En cela, l’appel de Cotonou, lancé le 12 octobre 2009 et formalisé par la déclaration de Zanzibar, va dans le bon sens. Mais, après les intentions, il est temps de passer aux actes ! Cet appel doit trouver une application réelle et efficace.
Madame la secrétaire d’État, quelles sont les actions que la France entend initier avec les organisations internationales et l’ensemble des pays émergents ou en voie de développement pour contribuer à lutter efficacement contre ces activités criminelles ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous évoquez des points sur lesquels je suis déjà intervenue. Nous sommes tous d’accord s’agissant de la mobilisation de la France, pays leader dans la lutte contre les trafics, et assez exemplaire dans ce domaine.
Sur le plan international, un groupe a été créé en 2006 sous l’impulsion de l’OMS. Il s’agit de l’International Medical Products Anti-Counterfeiting Taskforce, IMPACT, qui rassemble les principaux acteurs concernés afin de promouvoir la collaboration et la coordination à l’échelle internationale, pour que soient mises au point et appliquées rapidement des politiques et des approches techniques nouvelles. IMPACT permet aussi un partenariat de choix entre les organisations internationales, les organisations non-gouvernementales, les organismes chargés du contrôle et de la répression, les représentants des industries pharmaceutiques, les autorités de régulation des secteurs pharmaceutiques ainsi que les associations des pays développés ou en voie de développement.
Depuis la création d’IMPACT, les participants partagent leur expertise, l’identification des problèmes, la recherche de solutions et la coordination des activités, afin que soit promue et renforcée la collaboration internationale.
La France a diligenté un envoyé spécial pour coordonner cette action aux échelons national et international. M. Thierry Le Lay est donc chargé de la lutte contre les médicaments falsifiés.
À l’échelon national, sa mission consiste à contribuer à l'élaboration des positions de la France en facilitant, le plus en amont possible, la coordination entre les ministères concernés.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. À l’échelon international, il est notamment chargé de mobiliser notre réseau diplomatique afin de sensibiliser les dirigeants des pays concernés et de les amener à prendre la pleine mesure du fléau.
Tout cela va dans le sens de l’appel de Cotonou et de l’organisation de la mobilisation internationale.
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour la réplique.
M. Ronan Kerdraon. Je regrette que Mme la secrétaire d’État fasse dans sa réponse le même constat que nous, sans autre forme de proposition ou d’engagement.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement !
M. Ronan Kerdraon. Ma collègue Marie-Thérèse Hermange évoquait notamment la signature de l’appel de Cotonou. Je n’ai pas entendu, dans cet hémicycle, de vrais engagements en la matière de la part du Gouvernement, et je le déplore.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour le groupe UMP.
Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d’État, mes collègues l’ont dit, du fait du développement d’Internet, tous les pays développés sont aujourd’hui concernés par la diffusion illégale de médicaments. Cette question ne concerne donc plus seulement des pays dans lesquels l’offre sanitaire est insuffisante.
La vente sans contrôle et sans ordonnance de médicaments est dangereuse en elle-même, mais elle l’est encore plus lorsqu’il s’agit, comme souvent, de médicaments contrefaits.
Une étude récente montre que près d’un Européen sur deux a d’ores et déjà acheté des médicaments sans ordonnance sur Internet, et que 62 % de ces médicaments seraient des contrefaçons contenant parfois des substances dangereuses. Il y a donc un réel risque sanitaire !
La France s’est dotée, depuis 2008, d’un plan d’action contre la cybercriminalité. En décembre 2009, le Gouvernement a annoncé la signature d’une charte de lutte contre la contrefaçon sur Internet. Cette charte implique notamment les entreprises du médicament, le LEEM et plusieurs laboratoires pharmaceutiques.
Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous dire si ces deux actions ont donné des premiers résultats ?
Je m'inquiète aussi de l'amélioration des normes relatives à la traçabilité du médicament. L'an passé, de pseudo-vaccins contre la grippe étaient vendus sur Internet. Aujourd’hui, nos messageries sont en permanence envahies de spams sur le Viagra.
Pouvez-vous nous préciser si le Gouvernement envisage de prendre des mesures pour améliorer la traçabilité de ces médicaments et pour sécuriser d’une part les voies logistiques d’approvisionnement et de distribution du médicament – le respect de la température, par exemple –, d’autre part, le produit lui-même ?
Enfin, j’ai découvert sur Internet, en préparant cette séance de questions cribles, l’existence d’une opération internationale intitulée PANGEA, qui a permis de démanteler dix-neuf sites internet illégaux en France, et cent soixante-quatre sites dans le monde. Je m’étonne que nous n’en ayons pas parlé davantage.
M. Jacky Le Menn. Tout à fait !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Je pense avoir évoqué tout à l’heure PANGEA III, madame la sénatrice. L’opération a impliqué plusieurs pays, sous l’égide d’INTERPOL et de l’OMS. Sont visés les sites internet revendant de façon illicite des médicaments ou des produits présentés comme tels.
Cette opération internationale annuelle a permis d’identifier cent soixante-quatre sites illégaux, dont dix-neuf sont rattachés à la France, grâce à l’intervention des services de police, de l’administration des douanes et des autorités compétentes en matière de médicaments. Elle a également reçu le concours des fournisseurs d’accès à Internet.
Onze sites ont été fermés du fait d’infractions caractérisées. Huit autres sites relèvent pour le moment de procédures judiciaires, et le secret de l’instruction ne me permet pas d’aller plus loin dans ma réponse.
La charte de lutte contre la contrefaçon sur Internet, quant à elle, a été signée en décembre 2009 sous l’égide de Mme la ministre chargée de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Les signataires de cette charte sont les plateformes de commerce électronique et les titulaires de droits de propriété industrielle, afin que soient protégés les consommateurs risquant d’être trompés. Les signataires s’engagent à informer les consommateurs, mais également les vendeurs, sur les catégories de produits les plus touchés par la contrefaçon.
L’un des objectifs est donc de porter une attention particulière au comportement du vendeur et aux informations qu’il fournira au consommateur.
Surtout, et c’est ce qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, cette charte comporte des engagements concernant spécifiquement les médicaments. Ainsi, les plateformes de commerce électronique signataires s’engagent à mettre en place des mesures pour détecter les offres portant sur des médicaments et empêcher leur mise en ligne.
M. le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Si une offre n’est pas détectée avant sa mise en ligne, les plateformes s’engagent à la retirer sans délai.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ferai part des résultats du bilan de l’application de cette charte qui sera réalisé en juin 2011.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Je renonce à mon temps de parole au profit de mon collègue Alain Milon, monsieur le président.
M. le président. La parole est donc à M. Alain Milon, pour le groupe UMP.
M. Alain Milon. Madame la secrétaire d'État, en intervenant en huitième position, il m’est difficile de poser des questions véritablement nouvelles !
Je voudrais cependant insister sur le fait que la lutte contre le trafic des médicaments nécessite une triple coopération : d’abord interministérielle à l’échelon national, ensuite européenne, enfin, internationale.
Au niveau national, l’ensemble des autorités administratives compétentes doivent collaborer pour permettre l’échange d’informations nécessaire à une lutte plus efficace contre les activités illicites du secteur. Il serait intéressant que vous nous précisiez quelles ont été les actions entreprises pour développer cette collaboration.
Au niveau européen, une directive est en cours de discussion afin de modifier la législation pharmaceutique dans le souci de mieux lutter contre les médicaments falsifiés. Elle tend également à proposer l’introduction de dispositifs de sécurité. Pouvez-vous nous indiquer quel sera l’impact de cette directive ?
Au niveau international, des initiatives, que nous avons largement évoquées, ont été développées – je pense en particulier aux travaux de l’Organisation mondiale de la santé et de son groupe de travail IMPACT, créé en 2006. Vous serait-il possible, madame la secrétaire d'État, de nous informer des suites qui ont été données à ces travaux ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous apporter des précisions sur le rôle qui sera joué par les autorités françaises dans la lutte contre ce fléau, en particulier en matière de prévention, et notamment dans le cadre de la signature de l’appel de Cotonou ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, l’une des avancées majeures de la directive que vous évoquez concerne le développement de dispositifs de sécurité obligatoires pour une certaine classe de médicaments. Rappelons que ces dispositions ne s’appliquent qu’aux médicaments à usage humain.
Cette proposition législative concerne le produit lui-même et a pour objectif de permettre aux professionnels du secteur d’identifier les médicaments falsifiés présents dans la chaîne d’approvisionnement, ce qui aboutit à une sécurisation de la distribution en gros et de la dispensation du médicament par les officines et les établissements de santé.
Le dispositif doit permettre l’identification de chaque unité de conditionnement par le biais d’un identifiant unique et la vérification tant de l’authenticité des médicaments que du caractère intact du conditionnement extérieur.
Pour ce qui est de la chaîne d’approvisionnement française, la vérification concernera les fabricants, les distributeurs en gros et les personnes autorisées à vendre des médicaments au public.
Cependant, les autorités sanitaires françaises ont pesé de tout leur poids pour que les particularités nationales de la chaîne d’approvisionnement pharmaceutique soient prises en compte. Le champ d’application de la directive concernant ces dispositifs de sécurité est donc restreint aux médicaments soumis à prescription médicale obligatoire. De manière exceptionnelle, les médicaments à prescription facultative pourront bénéficier d’un tel dispositif de sécurité.
En outre, à la demande des autorités françaises, un État membre pourra étendre spécifiquement le champ d’application des dispositifs d’inviolabilité à d’autres médicaments, dans un objectif de protection des patients, ce qui permettra de faire bénéficier les médicaments en libre accès de ces dispositifs d’inviolabilité.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Je voudrais terminer en rappelant un point important : la traçabilité est, en France, une exigence réglementaire qui s’applique à l’ensemble des médicaments, et ce depuis le 1er janvier 2011.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.
M. Alain Milon. Dans notre pays, la médecine curative a toujours pris le pas sur la médecine préventive. En l’espèce, la prévention doit prendre le pas sur le curatif : il faut prémunir les malades contre leur naïveté face à ce fléau.
M. le président. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques consacrées à l’important sujet du trafic des médicaments.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
13
Débat sur l’avenir de la politique agricole commune
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir de la politique agricole commune.
Monsieur le ministre, en ce début d’année, je tiens à vous présenter, au nom du Sénat, mes meilleurs vœux.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la voie de la réforme de la politique agricole commune, la PAC, est désormais ouverte. Nous avons aujourd’hui un point de départ et un repère.
Le point de départ est la communication de la Commission européenne du 18 novembre dernier, même s’il faut attendre l’été 2011 pour avoir des propositions législatives.
Le repère est la position commune franco-allemande pour une politique agricole forte à l’horizon de 2020, une position à laquelle se sont ralliées plusieurs États membres, mais pas tous.
Le silence du Royaume-Uni n’est pas surprenant, car l’aversion à la PAC est dans ce pays une sorte de ciment culturel. En revanche, la réserve de la Pologne, qui est un autre grand partenaire agricole, ne doit pas être négligée. En outre, quelques surprises ne sont pas à exclure...
Ainsi, la voie de la réforme est ouverte, mais est loin d’être déjà tracée.
Quelle que soit l’attitude des uns et des autres, on ne peut qu’être satisfait, et même soulagé, par la tournure que prend cette négociation. Quelle évolution en deux ans à peine ! Bien sûr, les circonstances ont changé et la menace de crise alimentaire a pesé, mais, comme toujours, le poids des hommes a compté davantage.
Le commissaire européen chargé de l’agriculture est un ami de la PAC. Cela se sait, cela se sent ! Mais j’ose ajouter que vous-même, monsieur le ministre, êtes un atout maître dans cette négociation, dont la clef se trouve dans la capacité à fédérer et à nouer des alliances. Vous ne ménagez pas vos efforts, et cela se sait aussi.
Lors d’une mission de notre groupe de travail commun entre la commission des affaires européennes et la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, le président du principal syndicat agricole allemand nous a confié que vous étiez venu, personnellement, huit fois de suite à Berlin pour obtenir cet accord. Cette détermination est récompensée, car la réussite est là.
De même, les motifs de satisfaction sont nombreux dans la communication de la Commission européenne. Il me suffit d’évoquer le rappel du principe de sécurité alimentaire, le maintien des aides directes, en excluant l’idée d’un taux unique à l’hectare en Europe, le soutien aux petites structures et aux zones à handicap et le rappel de l’importance des services fournis par les agriculteurs, y compris environnementaux.
Cette évocation permet de retrouver une légitimité et un appui populaire. La PAC est une politique pour tous qui sert l’ensemble des citoyens.
L’orientation générale est donc satisfaisante. Toutefois, l’organisation d’un débat au Sénat n’aurait pas de sens si nous nous contentions de nous adresser des louanges et de déclamer notre confiance.
En effet, ces motifs de satisfaction ne doivent pas cacher quelques inquiétudes, que je présenterai en deux volets.
En premier lieu, la communication de la Commission européenne suscite quelques réserves qui sont autant d’interrogations.
La première de ces réserves porte sur le silence gardé sur le budget.
C’est évidemment un choix qui a ses avantages, car, pour la première fois, on parle du fond avant de parler des crédits. Mais la question budgétaire se posera bientôt et elle risque de perturber nombre de nos attentes. À enveloppe budgétaire constante – on ne voit pas comment il pourrait en être autrement dans les circonstances financières actuelles ! –, plusieurs États membres n’en font pas mystère, s’il fallait arbitrer entre politique de cohésion et PAC, ils choisiraient la première.
Je n’ose pas dire : « Et nous ? », mais cette question ne peut être éludée. Le nouveau périmètre ministériel étendu à l’aménagement du territoire vous place d’ailleurs, monsieur le ministre, dans une situation d’arbitrage en la matière.
La deuxième réserve porte sur les absences.
Le concept de régulation semble abandonné. L’intervention n’est conservée qu’au titre de filet de sécurité. Mais, en réalité, ce filet sécurise de moins en moins.
Par ailleurs, le terme « alimentation » est quasi absent. Il figure certes dans le titre, mais nulle part ailleurs. Or je suis de ceux qui pensent que la PAC aurait retrouvé une légitimité si, au lieu de parler d’« aides aux revenus », on avait parlé d’« alimentation ».
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Jean Bizet, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Mais a-t-on jamais fait cette proposition ? Si oui, n’a-t-elle pas été écartée pour éviter les difficultés et les transferts financiers entre secteurs qu’elle aurait entraînés ?
La troisième réserve porte sur les contradictions internes.
Peut-on vraiment croire la Commission européenne quand elle annonce une simplification, alors que, de toute évidence, le système sera encore plus compliqué ?
En effet, que propose la Commission ? Un système d’aide en strates, ou, pour reprendre une expression italienne, un « système en lasagnes », avec des conditionnalités spécifiques propres à chaque couche. C’est très bien de penser à l’opinion, mais il faut aussi penser aux agriculteurs ! Or n’est-ce pas l’occasion de les écouter quand ils demandent moins de règles, moins de procédures, moins de suspicion, moins de paperasserie, moins de conditionnalités en cascade ?
La réforme de la PAC ne pourra se faire sans les agriculteurs, ni a fortiori contre eux.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jean Bizet, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. La quatrième réserve est plutôt un appel au Gouvernement.
Cette réforme doit s’atteler à redonner une légitimité à une politique qui l’a perdue et à « redonner du sens à la PAC », pour reprendre le titre du rapport d’information que notre groupe de travail a récemment déposé.
À ce titre, nous suggérions plusieurs réformes.
Sur la forme, il s’agirait de replacer le mot « agriculture » dans le cadre financier pluriannuel ou de changer l’expression, si maladroite, de « droit à paiement », par exemple.
Sur le fond, nous avancions l’idée de moduler les aides directes en fonction du degré de regroupement professionnel, afin de favoriser l’émergence d’organisations de producteurs capables de parler d’égal à égal avec les industriels. La réglementation communautaire va, certes, le permettre, mais il nous faut favoriser ces organisations. C’est un point essentiel, dont les agriculteurs et, peut-être, les responsables politiques n’ont pas encore mesuré l’impact.
Nous proposions aussi de clarifier le partage entre les deux piliers en suivant une logique politique, avec un premier pilier résolument agricole et un deuxième résolument territorial et environnemental. Cette distinction éviterait beaucoup de confusion, qui me semble être le point faible de la communication de la Commission européenne.
En second lieu, et sur le fond, mon inquiétude porte sur ce qu’il est convenu d’appeler le « verdissement de la PAC ».
Ce verdissement consiste à conditionner les aides communautaires en subordonnant leur octroi à des critères environnementaux. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais le système serait amplifié.
Une meilleure intégration des objectifs environnementaux dans la PAC est nécessaire, inéluctable, inattaquable. Elle n’offre que des avantages pour la société dans son ensemble et pour les agriculteurs eux-mêmes. L’agriculture doit être en phase avec la société, et la société a cette exigence.
L’environnement est au cœur de la communication de la Commission européenne. Le mot est utilisé trente-cinq fois, alors que le mot « alimentation » ne l’est, je le répète, qu’une fois…
Si vous me permettez ce trait, le verdissement est le fil rouge de la Commission européenne. Mais quelle ironie de voir la Commission européenne évoquer la simplification de la PAC, alors qu’elle ne fait, me semble-t-il, que la compliquer en conditionnant davantage encore les aides directes et en chevauchant les deux piliers !
Je le répète, il ne s’agit surtout pas de nier l’importance de l’environnement – le rapport d’information de notre groupe de travail contient même en filigrane l’ébauche d’une véritable politique de l’environnement –, mais il convient simplement de ne pas tout mélanger, la PAC – la politique agricole – et, si je puis dire, la PEC – la politique de l’environnement –, afin de bien distinguer l’objectif d’une politique agricole et les conditions pour y parvenir.
Verdir n’est pas le problème, mais que verdir ? comment verdir ? et, surtout, jusqu’où verdir ? Telles sont les questions qui se posent, car c’est l’opportunité d’un verdissement accru du premier pilier qui doit être débattue.
Le système actuel prévoit l’écoconditionnalité. S’agissant d’un soutien vital pour les agriculteurs, faut-il aller plus loin ? Pourquoi ne pas centrer les aides environnementales sur le deuxième pilier ? Dans la PAC, l’environnement a sa place, mais il doit trouver sa juste place et non pas se substituer au principal. Nous croyons que la PAC est encore une politique agricole et nous espérons qu’elle le reste.
Je souhaite que l’Europe ait, sur ce point, une approche réaliste et non idéologique et médiatique. J’en appelle à la raison et au bon sens, en espérant que le sens commun soit aussi le sens communautaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.- M. Raymond Vall applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de la politique agricole commune est un feuilleton permanent, qui nous tient régulièrement en haleine, parce que la PAC, seule politique communautaire pleinement intégrée, conditionne grandement l’avenir de notre agriculture.
L’enjeu n’est pas mince : en France, la PAC représente 10 milliards d’euros par an au titre des soutiens publics aux exploitations agricoles. Elle permet de maintenir une agriculture dans des territoires qui, sans cela, seraient abandonnés.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Jean-Paul Emorine, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Mais la PAC va bien au-delà de sa dimension financière : déjà, elle impose aux agriculteurs européens le respect de normes environnementales ou concernant le bien-être animal qui sont les plus rigoureuses au monde.
En bref, la PAC structure très fortement l’agriculture européenne. Sa réforme est inscrite dans l’agenda européen de 2011 : tant le cadre financier que le régime d’aides et les règles d’organisation des marchés agricoles doivent être définis pour la période 2014-2020.
Les discussions vont s’engager sur la base de la communication de la Commission européenne de novembre dernier pour aboutir probablement en 2012. Les négociations sur les prochaines perspectives financières et celles qui portent sur les futurs instruments de la PAC seront d’ailleurs menées en parallèle.
La commission de l’économie et la commission des affaires européennes du Sénat ont décidé d’intervenir conjointement très en amont dans le processus, afin de pouvoir peser – c’est ce qu’elles espèrent ! – avant que les décisions définitives ne soient prises.
Le groupe de travail commun sur l’avenir de la politique agricole commune, constitué en mai dernier, a rendu un premier rapport au mois de novembre dernier, avant même la communication de la Commission européenne. Nous avons voulu ainsi mettre en avant des propositions fortes, des priorités, qui devront être défendues dans la négociation à venir.
Laissez-moi, mes chers collègues, vous faire part de quatre points clés de nos propositions, qui s’inscrivent tout à fait dans le souci de conserver une PAC forte après 2013.
Le premier point concerne la régulation.
Les réformes de la PAC qui se sont succédé depuis 1992 ont orienté de plus en plus cette politique vers les marchés. Les aides ont été découplées et les outils d’intervention communautaires ont été réduits, voire supprimés, l’agriculteur devenant dépendant d’un prix de marché qui est de plus en plus un prix mondial. Dans un contexte de volatilité accrue des prix, l’agriculteur voit donc ses revenus varier très fortement d’une année sur l’autre.
Dès lors, comment faire en sorte pour que les marchés soient mieux régulés et que les mouvements observés soient atténués ? La lutte contre la spéculation sur les marchés dérivés de produits agricoles est essentielle, et il en sera d’ailleurs question dans le cadre du G20.
Mais la crise du lait a montré qu’il fallait aussi pouvoir déclencher des mesures de stockage pour stabiliser les cours.
La Commission européenne a proposé, au mois de décembre dernier, un règlement encourageant la contractualisation entre les acteurs de la filière, et je vous remercie, monsieur le ministre, d’y avoir participé activement. C’est la voie qui avait d’ailleurs été choisie dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dont notre collègue Gérard César était le rapporteur et que nous avons adoptée en juillet 2010.
Pour le groupe de travail, la nouvelle PAC ne pourra évidemment pas faire abstraction des marchés, mais elle devra conserver un objectif de régulation, avec des instruments adaptés et réactifs.
Le deuxième point est relatif aux aides directes.
Le régime des aides directes doit évoluer pour être plus juste et plus acceptable par tous. Entre les États, d’abord, le rééquilibrage pourra prendre la forme d’une convergence progressive des niveaux d’aide. Un montant unique européen d’aide à l’hectare est, en effet, inacceptable par ses effets redistributifs trop massifs, au détriment de la France.
Notons au passage que, dans sa communication, la Commission européenne ne propose pas de passer brutalement aux montants uniques à l’hectare.
Au sein des États, ensuite, les modalités de calcul des aides directes devront évoluer. Les références historiques créent entre agriculteurs voisins des inégalités fortes qui ne sont plus explicables. Le groupe de travail a donc proposé une évolution vers la convergence des montants d’aide à l’hectare de base uniques au sein des États membres.
La fin des références historiques devra-t-elle être brutale ? L’aide unique à l’hectare doit-elle être mise en œuvre sur une base nationale ou sur une base régionalisée ? Ces questions restent ouvertes.
Le troisième point porte sur les marges de manœuvre nationales.
Le groupe de travail souhaite que la PAC reste largement une politique communautaire. L’existence de trop fortes marges d’adaptation nationale de la PAC, y compris à travers des cofinancements nationaux, peut créer des distorsions de concurrence ravageuses à l’intérieur de l’Union européenne.
Toutefois, le groupe a estimé que certaines marges de manœuvre devraient être laissées aux États, conformément à ce que permet aujourd’hui le bilan de santé de la PAC dans le cadre dit « de l’article 68 », avec deux objectifs : d’une part, un objectif de soutien spécifique propre à certains secteurs et nécessaire à leur survie ; d’autre part, un objectif de soutien à la souscription d’assurances par les agriculteurs pour leur permettre de faire face aux risques climatiques.
La gestion des risques est devenue un enjeu crucial. Nous avons pu nous en rendre compte lors de la discussion de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Le soutien à la démarche de gestion des risques doit couvrir aussi le secteur animal, en permettant d’alimenter des fonds sanitaires.
Le quatrième et dernier point concerne le « verdissement de la PAC », déjà évoqué par Jean Bizet.
C’est la voie stratégique privilégiée par la Commission européenne, qui, dans son scénario central, propose à la fois le verdissement du premier pilier et le maintien d’objectifs de lutte contre le changement climatique ou de mesures environnementales dans le deuxième pilier.
Le groupe de travail estime qu’il ne faut pas opposer agriculture et environnement. Mais il est nécessaire de clarifier les objectifs des deux piliers et de disposer d’enveloppes claires pour chacun de ces piliers, sans modulation entre eux, laquelle introduit plutôt de la confusion. Un schéma est joint au rapport du groupe de travail pour expliquer l’articulation souhaitée entre les deux piliers.
En effet, la politique agricole commune doit rester une politique économique avant d’être une politique environnementale. Les aides du premier pilier doivent donc regrouper toutes les mesures de soutien économique aux agriculteurs : aides directes, dépenses d’intervention, actions en faveur de la compétitivité des exploitations.
Les mesures en faveur des territoires, comme l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, et les mesures en faveur de l’environnement, comme les actions agro-environnementales, doivent en revanche relever du deuxième pilier.
Ce schéma a l’avantage de la simplicité et de la cohérence. Rendre la PAC plus compréhensible pour les agriculteurs et pour le grand public est, en effet, l’une des conditions de son acceptation.
Tels sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éléments de réflexion du groupe de travail que je voulais vous livrer. Naturellement, cette réflexion ne demande qu’à être affinée et approfondie.
Le groupe de travail va poursuivre sa mission. De nouvelles rencontres avec nos partenaires européens seront organisées, dans une démarche parallèle à la vôtre, monsieur le ministre. Mais nous avons là une base de travail commune. À charge pour nous, maintenant, de convaincre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Bizet, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune, et en remplacement de Mme Odette Herviaux, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune.
Mme Bernadette Bourzai, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune, et en remplacement de Mme Odette Herviaux, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ma qualité de coprésidente du groupe de travail du Sénat sur la politique agricole commune, et au titre de la commission des affaires européennes, je vais, à mon tour, vous faire part de mes observations sur l’avenir de cette politique essentielle à nos territoires.
En outre, je vous donnerai connaissance des observations de Mme Herviaux, coprésidente du groupe de travail au titre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui ne peut pas être avec nous aujourd’hui.
Je précise tout d’abord que mon propos s’inscrit dans le cadre de la coprésidence du groupe de travail. Les conclusions de ce groupe, parues quelques jours avant la communication officielle de la Commission européenne sur l’avenir de la PAC, sont, pour la plupart, consensuelles. Toutefois, le groupe socialiste, dans une contribution qui est annexée au rapport, a exprimé quelques points divergents que mes collègues socialistes développeront tout à l’heure.
Comme la Commission européenne dans sa communication, nous partons, dans notre rapport, d’un constat : la PAC a besoin aujourd’hui d’être à nouveau légitimée auprès de nos concitoyens.
L’objectif de sécurité alimentaire est celui qui permet de rassembler un large soutien autour de la PAC. Chacun est en effet en mesure de comprendre que l’alimentation constitue un enjeu majeur pour notre avenir.
La PAC a d’ailleurs eu pour objectif historique premier de développer la production agricole afin de nourrir les Européens ; on parlait alors d’autosuffisance alimentaire.
La communication de la Commission se situe dans le prolongement de cette vision, en indiquant, en introduction, que la PAC doit « Préserver durablement le potentiel de production alimentaire de l’UE afin d’assurer la sécurité alimentaire à long terme pour les Européens ».
Le groupe de travail insiste également sur cette dimension de la PAC, une dimension essentielle et qui doit demeurer. Nous notons d’ailleurs que continuer à produire des denrées alimentaires en Europe est une précaution que l’Union européenne doit au monde, sachant que la demande dans ce secteur pourrait augmenter de 70 % d’ici à 2050, sous l’effet notamment de la croissance démographique. L’Union européenne a par conséquent une responsabilité en termes de satisfaction des besoins mondiaux.
Ensuite, pour que l’agriculteur européen continue de produire, il faut qu’il puisse disposer d’un revenu décent et durable. Le groupe de travail a admis que la répartition des aides compensatrices au revenu, les droits à paiement unique établis sur les références historiques, était obsolète et qu’il fallait une répartition plus juste et plus équitable en direction des secteurs de production, des exploitations et des régions qui en ont le plus besoin.
En effet, l’agriculteur travaille aujourd’hui dans un contexte de très forte volatilité des marchés. Il est donc indispensable de réhabiliter la régulation, qui permet de lutter contre la spéculation et d’amortir les fluctuations de revenus des agriculteurs.
Le grand danger est bien là : la disparition de pans entiers de notre agriculture à l’occasion de fortes crises conjoncturelles. Il n’y a donc pas d’agriculture durable sans régulation.
À cet égard, le groupe de travail considère que la notion de filet de sécurité sur les marchés agricoles, pierre angulaire de l’intervention selon la Commission européenne, est actuellement insuffisante pour lutter efficacement contre la spéculation sur les matières premières agricoles.
Il faut aussi que les instruments d’intervention soient mobilisés plus vite, et aussi que l’Europe s’arme pour prévenir les crises, plutôt que de réagir une fois que celles-ci sont installées.
Autre constat en partie lié au précédent : l’activité agricole s’exerce dans un contexte international nouveau. Ouverte sur les marchés, l’agriculture européenne est soumise à rude concurrence, une concurrence qui ne se fait pas toujours à armes égales.
Le groupe a donc souligné que les échanges agricoles internationaux devaient se faire dans le respect du principe de réciprocité, notamment quant aux conditions sanitaires, sociales et environnementales de production.
Plus globalement, l’Europe ne doit pas se désarmer de manière unilatérale dans les négociations commerciales internationales de l’Organisation mondiale du commerce, et l’agriculture ne doit pas en être la variable d’ajustement, comme nous pouvons le craindre, notamment dans le cadre des projets d’accords avec le MERCOSUR.
Au libre-échange, je propose, avec les socialistes, de substituer la notion de « juste échange » entre les grandes zones de production et de consommation.
Enfin, un élément a sous-tendu notre réflexion : la PAC, dans sa version d’après 2013, ne devra pas remettre en cause notre modèle agricole, fait d’exploitations à taille humaine, diverses, occupant des territoires très différents.
Le lien essentiel entre agriculture et territoires doit être préservé, faute de quoi nous assisterons à une désertification rapide et massive des zones rurales défavorisées. En effet, l’activité agricole constitue encore l’activité principale des zones rurales ; elle tient et entretient les territoires ruraux.
Par ailleurs, l’existence d’une diversité des productions alimentaires, d’une diversité des zones de production, a elle-même une valeur. Cette diversité doit être préservée par la future PAC pour répondre à la demande des consommateurs, qui se tournent de plus en plus vers des produits de qualité.
La Commission propose à juste titre de maintenir des mécanismes comme l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, mais il faut que les autres outils de la PAC contribuent aussi à cet objectif de préservation de l’activité agricole dans tous les territoires et au maintien, voire à la création d’emplois dans les territoires ruraux.
Il est rassurant de constater que la Commission, dans sa communication, envisage un régime de soutien simple et spécifique pour les petits exploitants.
En outre, l’agriculture jouant un rôle majeur dans l’aménagement du territoire, la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, qui, selon la formule de notre collègue Jean-Paul Emorine, sont notre « patrimoine commun », j’estime que cette fonction essentielle exercée par l’agriculteur doit aussi être rémunérée.
Enfin, les questions environnementales sont cruciales. La conditionnalité environnementale des aides doit naturellement être maintenue, même si la Commission propose parallèlement d’en simplifier les règles. Il ne faut pas baisser la garde en matière d’exigences environnementales, mais il faut simplifier, harmoniser et faciliter l’acceptation de la PAC et de ses conditions par les agriculteurs eux-mêmes.
Globalement, mais vous avez entendu quelques nuances, le « verdissement » n’a pas rencontré d’hostilité de principe du groupe de travail dès lors, bien entendu, que la PAC ne se transforme pas en politique environnementale et que les contraintes fixées sont équilibrées par des compensations financières, ce qui suppose un budget important pour la future PAC. Mais là, c’est un autre problème !
Dernière remarque, le groupe de travail propose que le volet « développement rural » de la PAC s’attache à la création d’emplois agricoles, les activités non agricoles en zone rurale relevant plutôt des instruments de la politique régionale, qu’il conviendra d’articuler avec les outils de la PAC pour une véritable politique de développement rural.
Je voudrais maintenant vous faire part des trois constats de Mme Herviaux qui complètent mes propres observations.
Premier constat : l’état d’esprit a changé en Europe sur la réforme de la PAC.
La crise très violente que l’agriculture européenne vient de traverser – je pense au secteur laitier mais aussi aux émeutes de la faim de 2007 et de 2008 – ainsi que l’insécurité alimentaire au niveau mondial ont changé la donne.
À cet égard, il convient de noter le retour en grâce de la régulation, que beaucoup n’hésitaient pourtant pas à confondre avec l’économie administrée. Le commissaire européen Dacian Cioloş est lui-même, je peux en témoigner, sur une ligne bien moins libérale que Mariann Fischer Boel. J’en veux pour preuve notamment les propositions de modification de l’Organisation commune de marché unique qui viennent d’être faites sur le lait par la Commission européenne et qui visent à encadrer le marché du lait ; j’en dirai quelques mots plus loin.
Ce changement est notable aussi dans une majorité d’États membres, désormais plus réceptifs à la régulation. Vous y avez beaucoup travaillé, monsieur le ministre, je vous l’accorde.
De plus, le Parlement européen jouera un rôle important dans la réforme de la PAC, puisque les nouveaux règlements communautaires devront être adoptés selon la procédure de codécision. Les parlementaires européens se sont exprimés en faveur d’une PAC forte après 2013. Le rapport de George Lyon, de juillet 2010, constitue un travail remarquable et traduit, lui aussi, ce changement d’état d’esprit.
Deuxième constat : la compétitivité a été mise au cœur des politiques agricoles. C’est là l’effet des réformes successives de la PAC consistant à abandonner la politique de soutien par les prix, en laissant les prix agricoles suivre les prix mondiaux. Finalement, le différentiel de compétitivité n’est plus compensé que par les aides directes.
Mais je tiens à souligner ici qu’une vision trop réductrice de la notion de compétitivité peut avoir des conséquences néfastes. L’Union européenne a en effet tout à perdre d’une course aux prix les plus bas, car des pays produiront toujours moins cher.
De plus, cet impératif conduirait à imposer un modèle agricole unique, celui de la grande exploitation, des productions uniformisées et des territoires indifférenciés. La recherche aveugle de la compétitivité à outrance entraînerait, en l’occurrence, beaucoup de dégâts sociaux et environnementaux.
Une politique agricole et alimentaire commune, car c’est bien là le sens que nous lui donnons, doit également encourager les productions de qualité, et la qualité se paye ! Elle doit se traduire par une meilleure valorisation des produits écoresponsables, une meilleure qualité sanitaire, une meilleure rémunération pour les producteurs.
Troisième constat : un nouveau thème émerge aujourd’hui, celui de la répartition de la valeur ajoutée, sur lequel nous regrettons fortement le mutisme actuel de la Commission.
L’agriculteur est le premier maillon de la chaîne dans les filières agroalimentaires face à quelques gros industriels et à une poignée de distributeurs.
À ce propos, permettez-moi, monsieur le ministre, d’évoquer à titre personnel les négociations difficiles de novembre dernier entre l’entreprise Bigard, dont l’un des abattoirs se trouve à Égletons, ville dont j’ai été l’élue, et les éleveurs bovins du bassin allaitant, qui auraient aimé être eux aussi concernés par l’augmentation de 66 % du revenu des agriculteurs. Ce n’est, hélas, pas le cas !
Les marges de négociation de l’agriculteur sont donc souvent limitées et il se voit imposer des prix qui ne couvrent pas, ou à peine, ses coûts de production, d’où le scepticisme des syndicats et des éleveurs devant les conclusions du rapport Chalmin, qui vous a été rendu la semaine dernière.
Les études de l’INSEE montrent qu’en France les prix des productions agricoles se sont effondrés de moitié, en termes réels, en quarante ans. Dans le même temps, les prix à la consommation n’ont pas baissé.
Au plan européen, cette problématique commence à peine à être traitée. Le rapport de juillet 2010 du groupe de haut niveau sur le lait avait relevé des déséquilibres très importants entre les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Ses propositions visaient à favoriser les organisations de producteurs et à donner un rôle accru aux organisations interprofessionnelles en matière de transparence des marchés, par la communication des prix et des volumes échangés. De telles préconisations vont dans le bon sens, mais la récente crise du lait en France a démontré que les pouvoirs publics devaient assumer une certaine responsabilité dans l’encadrement de ces négociations interprofessionnelles et jouer un rôle de régulateur.
Il serait aussi important que les règles de la concurrence applicables au secteur agricole soient assouplies. Or la communication de la Commission n’aborde pas cette question, alors que le commissaire à l’agriculture et au développement rural avait pris des engagements à cet égard. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Gérard César applaudit également.)
M. le président. Dans la suite du débat, nous en sommes parvenus aux interventions des orateurs des groupes.
La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la politique agricole commune, sujet lourd de conséquences sociales, environnementales et économiques, fait suite au rapport d’information intitulé « Redonner du sens à la PAC ». Il s’inscrit également dans le processus de réforme de la politique agricole commune, qui a donné lieu à une résolution du Parlement européen et, dernièrement, à une communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Comité des régions. Cet été, des propositions législatives devraient être présentées par la Commission européenne ; s’ensuivra alors la procédure de codécision, appliquée pour la première fois dans le cadre d’une réforme de la PAC.
Le présent débat est donc l’occasion de faire entendre la voix des parlementaires nationaux et de montrer que l’on peut construire une PAC qui garantisse la sécurité alimentaire, valorise les territoires, préserve les ressources naturelles et réponde au problème majeur et récurrent de la faiblesse des revenus agricoles.
Le texte d’orientation présenté par le commissaire européen comporte sans aucun doute des points positifs : la mise en place d’un mécanisme d’aides incitatives dès lors que l’environnement est valorisé, la volonté de mieux aider les petites exploitations, avec un ciblage au plus près des territoires, ainsi que la prise en compte de la notion d’agriculteur actif.
Cela étant, il est important de ne pas faire preuve d’angélisme et de bien comprendre que, pendant que nous discutons de l’avenir de l’agriculture, d’autres sont sur le point de le sceller. En effet, M. David Walker, président des négociations sur l’agriculture dans le cadre de l’OMC, a confirmé que celles-ci entreront dans leur phase finale à partir du 17 janvier prochain, en vue de l’élaboration d’un projet révisé de « modalités » quasiment définitif d’ici à la fin du mois de mars et de la conclusion complète du Cycle de Doha avant la fin de l’année.
Or, à la lecture de la partie consacrée à l’agriculture de ce projet révisé de modalités – il date du 6 décembre 2008, mais reste le document de travail principal –, on s’aperçoit qu’un certain nombre de questions seront réglées dans ce cadre-là. Cela donne un avant-goût amer de ce que pourrait être la nouvelle PAC : une politique fidèle au dogme ultralibéral, sous couvert de restrictions budgétaires.
Ainsi, dans le cadre des négociations actuelles, certains pays, les États-Unis et le Brésil notamment, souhaiteraient empêcher l’Union européenne de conserver des outils de régulation ou de gestion de crise. D’ores et déjà, il a été convenu de supprimer les subventions à l’exportation dès 2013 en cas d’accord. Une telle mesure concernerait également les subventions déguisées en crédit ou en aide alimentaire autre que d’urgence et celles qui sont relatives aux activités d’exportation des entreprises commerciales. Pour le soutien interne, le plafond de la boîte orange devrait être réduit, tandis que la boîte bleue serait plafonnée. Pour l’accès au marché, il semblerait qu’il soit convenu d’une modalité de réduction par bande tarifaire, les droits de douane les plus élevés devant être revus à la baisse.
Dans ce contexte, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que, « aujourd’hui […], le budget de la PAC est sécurisé […], la régulation des marchés a pris la place de l’idée folle de libéralisation des marchés agricoles et ça, on le doit à l’action volontariste de la France ». Permettez-moi d’être moins optimiste que vous, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, comme vous le savez, l’agriculture est un secteur particulier, caractérisé par un cycle de production à long terme et exposé à la volatilité extrême du marché ainsi qu’aux catastrophes naturelles.
Le manque d’élasticité de la demande et la grande dépendance des agriculteurs par rapport aux acheteurs, qui décident des prix, imposent une réforme en profondeur de la gestion de l’offre et un contrôle des prix aux niveaux européen et mondial.
Cette question fut également abordée avec vous lors des débats sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, au travers de notre demande de généralisation du coefficient multiplicateur.
La volatilité néfaste des prix agricoles a été renforcée par les phénomènes de spéculation sur les matières premières agricoles. Ainsi, M. Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, a largement décrit et dénoncé « le processus d’acquisition et de location de terres à grande échelle [qui] s’est accéléré après la crise mondiale des prix alimentaires de 2008. […] Les investisseurs privés, y compris les fonds d’investissement, sont de plus en plus attirés par le secteur agricole et spéculent de plus en plus sur les terres arables. »
La spéculation sur les matières premières agricoles a bien entendu des conséquences sur le cours des prix des produits agricoles. Pourtant, cette question n’apparaît pas dans les négociations internationales et européennes.
Les mesures annoncées pour lutter contre les dérives de la spéculation financière dans le cadre du G 20 sont en effet bien dérisoires au regard de l’ampleur du phénomène. Le Président de la République a ainsi déclaré que, « sur la volatilité du prix des matières premières, nous avons obtenu de mandater les organisations internationales dans le domaine de l’énergie comme dans celui de l’agriculture pour produire expertises et recommandations en vue de décisions sous notre présidence ». Vous l’avouerez, la situation mériterait des engagements plus forts !
En effet, sans un encadrement des prix et une interdiction de toute spéculation sur les denrées et les terres agricoles, l’Union européenne ne pourra garantir des prix rémunérateurs aux agriculteurs, sans compter que la spéculation multiplie les échanges, et donc les transports, au mépris des objectifs environnementaux que s’est fixés la communauté internationale.
Ensuite, pour ce qui concerne le maintien des aides, la PAC a perdu beaucoup de sa légitimité dans la mesure où 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % des aides et que les plus gros bénéficiaires ont pu être le prince de Monaco ou la reine d’Angleterre ! (M. le ministre sourit.) Nous sommes donc favorables au ciblage des aides, par le recours à la notion d’agriculteur actif.
Il serait également nécessaire, à l’avenir, de simplifier le versement des aides de la PAC. Cette année, par exemple, les éleveurs ont rencontré des difficultés à cet égard, entre la modulation de 8 %, le versement des aides en plusieurs fois et l’application des coefficients stabilisateurs.
Ces aides sont nécessaires, mais elles ne constituent toujours pas des réponses adaptées au problème des revenus des exploitants. La question du revenu agricole doit selon nous prendre une place centrale dans la réforme de la politique agricole commune. Il est urgent de mettre un terme au dumping social au sein de l’Union européenne et de procéder à une harmonisation par le haut des salaires et des normes sociales pour les travailleurs du secteur. À cet égard, nous estimons que la « convergence des aides » peut être utilisée comme un levier incitatif.
Le Parlement européen, dans sa résolution sur l’avenir de la politique agricole commune après 2013, considère que « la PAC doit répondre immédiatement aux effets de la crise économique sur les entreprises agricoles, tels que le manque d’accès au crédit pour les agriculteurs, les pressions exercées sur les revenus agricoles et la hausse du chômage dans les zones rurales ». Il estime à ce titre que la réduction des paiements directs dans le cadre du premier pilier aurait des conséquences dévastatrices.
Nous soutenons ces positions ; il convient d’étendre l’application du principe de subsidiarité, de plafonner les aides et de les lier à l’emploi.
À l’inverse, les propositions de la Commission relatives à la rémunération du travail restent très en deçà de nos attentes. Aucun mécanisme comparable au système de préférence communautaire n’est proposé.
Malgré la crise du secteur laitier et l’importance avérée des instruments d’intervention publique sur le marché, la Commission souhaite rationaliser et simplifier les outils existants. Il est vrai qu’un certain nombre d’entre eux risquent de tomber sous le coup des accords de Doha. Comme nous l’avons dit, les restitutions à l’exportation devraient être interdites dans le cadre de l’OMC, et les droits de douane et les contingents largement limités.
La suppression des quotas pour le lait et, à moyen terme, pour le sucre dans le cadre d’un marché ouvert aboutira à une baisse des prix au détriment des producteurs, en situation de dépendance face aux secteurs de la transformation et de la grande distribution.
Nous regrettons d’ailleurs que la Commission n’aborde pas la question de la répartition de la valeur ajoutée dans la filière agroalimentaire, et nous sommes très sceptiques quant à l’efficacité de la contractualisation pour corriger le déséquilibre des relations commerciales.
Enfin, il serait regrettable que la nouvelle politique agricole s’affranchisse de la question de la dépendance de l’Europe en matière de protéines, au moment où l’ensemble des productions européennes riches en protéines végétales ne couvrent que 24 % des besoins des élevages, et seulement 1 % des besoins en soja.
Pour répondre à ces besoins, l’Union européenne se tourne vers l’extérieur, notamment vers le continent américain. Or les importations de protéines végétales posent des problèmes majeurs sur plusieurs plans.
D’abord, les producteurs sont dépendants de la fluctuation des prix des produits sources de protéines végétales, notamment du tourteau de soja. Ces prix sont susceptibles d’augmenter avec la croissance de la demande à l’échelle mondiale, en particulier de celle des pays d’Europe centrale et orientale et de l’Asie.
Ensuite, ces productions ont un impact social et environnemental important, notamment en Amérique du Sud, d’où provient 85 % du soja importé par l’Union européenne, du fait des changements directs et indirects d’affectation des sols – selon l’IEEP, l’Institute for european environmental policy, la hausse des prix du soja en 2007 aurait amené un doublement en quatre mois des surfaces soumises à la déforestation –, de l’utilisation accrue de pesticides et de la pression exercée sur les petits paysans.
Pour conclure, aux yeux des membres du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, l’agriculture ne peut être considérée comme un secteur marchand banal. Notre position sur ce point est claire : il faut sortir l’agriculture du cadre de l’OMC.
En effet, les politiques agricoles et alimentaires doivent être détachées de toute forme de dumping social, économique ou environnemental. Des règles nouvelles doivent prévaloir : soutien à l’agriculture paysanne et à la pêche artisanale, fondé sur les connaissances agro-écologiques ; prix agricoles rémunérateurs et non spéculatifs ; relocalisation des productions ; promotion de garanties sociales et environnementales ; valorisation des circuits courts et limitation des échanges à la diversification.
Il s’agit là d’enjeux humains et environnementaux incontournables. Pour nous, la sécurité alimentaire reste le défi central pour l’agriculture, non seulement pour l’Union européenne, mais pour le monde. Selon la FAO, la demande alimentaire mondiale devrait doubler d’ici à 2050. Aujourd’hui, en Europe, plus de 40 millions de personnes pauvres ne bénéficient pas d’une alimentation suffisante. La politique agricole que nous mènerons ne sera ni juste, ni solidaire, ni susceptible de garantir des prix rémunérateurs, un développement durable des territoires et la préservation des ressources naturelles si elle reste soumise aux politiques commerciales déterminées au sein de l’OMC. Non seulement le système actuel est délétère pour l’agriculture européenne, mais il conduit à exploiter indignement les pays du Sud et à affamer les populations. Lors de la réunion de Paris pour l’avenir de la PAC, qui s’est tenue le 10 décembre 2009, vous déclariez, monsieur le ministre, que « l’agriculture, c’est la conception que l’on se fait de notre avenir en Europe et de l’avenir de l’Europe dans le monde ». Cet avenir, nous souhaitons le garantir à notre agriculture, mais certainement pas au détriment des pays du Sud, ni pour le plus grand profit des spéculateurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole commune appartient à l’histoire de la construction européenne. Elle tient une place comparable à celle des premiers accords sur le charbon et l’acier dans le panthéon européen des accords politiques.
Toutefois, après toutes les étapes que nous avons connues avec l’élargissement de l’Union européenne et les négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce, la politique agricole commune est aujourd’hui remise en cause, du fait de la marchandisation des productions agroalimentaires et de ses propres errements, qui ont engendré parfois des effets pervers, telle la surproduction, accompagnée de difficultés de financement et d’une mauvaise répartition des revenus.
Cependant, de nombreux succès peuvent être mis à l’actif de la politique agricole commune. Ainsi, depuis 1962, année du premier règlement européen, la part des dépenses alimentaires dans les revenus disponibles des ménages est passée de 42 % à 15 %. Par ailleurs, en dépit des procès qui sont régulièrement instruits contre la « malbouffe », on ne peut que constater que l’espérance de vie des Français est parmi les plus élevées du monde et qu’elle continue à croître. C’est le signe que le productivisme – souvent confondu avec la productivité –, indispensable pour répondre au défi posé par la croissance de la demande en matière d’alimentation, a su concilier l’accroissement des volumes et le respect des exigences institutionnelles, alors que les enjeux nutritionnels sont souvent devenus des débats de société.
On constate en outre que l’Europe est devenue le deuxième exportateur mondial dans le secteur agricole, en une période où l’environnement international s’est modifié. Nous sommes en train de passer rapidement d’un monde dominé par l’Occident à un monde de partenariats multipolaires, avec l’émergence de préoccupations environnementales et de pénuries de matières premières.
Dans ce contexte, je souhaite que l’on révise, en fonction des rapports de force et de nos propres contraintes, les trois concepts fondateurs de la PAC, à savoir l’unité de marché, la solidarité financière et la préférence communautaire.
En matière de préférence communautaire, il serait bon que la réflexion soit menée à l’aune de notre sécurité alimentaire et de notre dépendance en matière de protéines végétales. On peut envisager de remettre en cause les accords de Blair House, mais, à l’échelle de la planète, les choses se présentent différemment : l’agriculture est confrontée aux défis de la croissance démographique mondiale. Pour l’heure, la réponse n’est pas satisfaisante, ce qui ne laisse pas d’être inquiétant pour l’avenir.
L’agriculture française a devant elle des perspectives très ouvertes, à condition qu’elle soit forte. Ces dernières années, nous avons voté deux textes, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche et la loi de modernisation de l’économie, qui intéressent l’agriculture et mettent l’accent sur l’organisation des filières, tant il est vrai que celles-ci ont parfois autant besoin d’organisation que de subventions…
Je constate que ces textes tendent à rétablir un pouvoir compensateur, au sens que donnait à cette expression l’économiste américain Galbraith, au profit des producteurs. La contractualisation, qui est devenue l’idée centrale, n’est pas une découverte, mais elle est apparue comme une réponse adaptée et s’est épanouie, avec les coopératives, dans la majeure partie des grandes filières agricoles françaises qui ont réussi.
Les coopératives constituent une forme originale et efficiente du capitalisme moderne, la forme la plus aboutie de l’organisation professionnelle. Elles sont des entreprises de marché ne pouvant faire l’objet d’une OPA ou d’une délocalisation. Leur structure financière comporte une part de capital impartageable, c’est-à-dire liée sans défaillance à l’outil de travail. Leurs actionnaires sont des coopérateurs et des fournisseurs, souvent peu soucieux de rendement élevé du capital à court terme, mais attachés à la réalisation des investissements.
La coopérative est une arme de guerre économique redoutable sur les marchés. Elle peut offrir au monde paysan toutes les options adéquates en matière d’organisation et de rémunération du travail de chacun, aussi bien pour le marché intérieur que pour l’export.
Ainsi, que peut-on faire pour aider les coopératives à se développer davantage ? Il faut d’abord reconnaître leur importance et s’intéresser à leur avenir. Lors du dernier remaniement ministériel, il y a eu un cafouillage sur les attributions des différents ministères en matière d’autorité sur la DGCS. Cela a été ressenti comme un désaveu par les coopérateurs, malgré les préconisations réconfortantes du récent rapport Vercamer. La situation n’est pas satisfaisante.
Pour conforter la place de l’agriculture française au sein de l’Europe, il faut travailler à accroître la taille des entreprises agroalimentaires tout en réfléchissant aux méthodes de gouvernance, afin de privilégier celles qui n’éloignent pas trop les hommes du centre de commandement ; autrement dit, les unions sont préférables aux fusions, l’essentiel étant d’atteindre le seuil critique nécessaire pour couvrir le marché. Il faudra en parler avec la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et son ministre de tutelle.
Enfin, pour les détenteurs des capitaux nomades qui circulent dans le monde financier, il est aujourd’hui plus rentable d’investir sur les marchés à terme du sucre ou du blé qu’en bourse. Tant que cette situation perdurera, je ne pourrai guère faire confiance aux marchés à terme pour améliorer le revenu des producteurs. Il conviendra de transmettre ce message au G 20, monsieur le ministre !
Le deuxième pilier aidant, je souhaite que l’extension du périmètre de vos attributions à l’aménagement du territoire et au développement rural vous permette d’être davantage encore le ministre des agriculteurs. (Applaudissements.)
14
Candidatures à deux missions communes d'information
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-quatre membres de la mission commune d’information sur les dysfonctionnements éventuels de notre système de contrôle et d’évaluation des médicaments, révélés à l’occasion du retrait de la vente en novembre 2009 d’une molécule prescrite dans le cadre du diabète, commercialisée sous le nom de Médiator, et sur les moyens d’y remédier en tant que de besoin.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-six membres de la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux.
Je rappelle que cette mission a été créée à l’initiative du groupe socialiste, en application de l’article 6 bis du règlement du Sénat, qui prévoit pour chaque groupe un « droit de tirage » pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information par année parlementaire.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
15
Débat sur l'avenir de la politique agricole commune (suite)
M. le président. Nous reprenons le débat sur l’avenir de la politique agricole commune.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Raymond Vall. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2013 la politique agricole commune devra avoir accompli sa mue. Quelle sera la nouvelle PAC ? C’est là une question angoissante pour de nombreux agriculteurs dont le revenu disponible dépend en grande partie, voire en totalité, des aides directes de l’Union européenne.
Incompréhensible, coûteuse, injuste, nocive… Les griefs adressés à la PAC ne sont pas nouveaux, mais cette litanie de reproches, dont certains sont peut-être fondés, ne doit pas occulter une formidable réussite : la PAC a permis de garantir l’autosuffisance alimentaire de l’Europe. Atteindre cet objectif était loin d’être évident en 1962, lors de la création de cette politique communautaire. Il reste d’actualité dans un monde où près de 1 milliard de personnes souffrent de sous-alimentation et où il faudra nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050, contre 6,5 milliards aujourd’hui.
La PAC originelle a eu le mérite de limiter la diminution du nombre d’agriculteurs en Europe et d’assurer à ceux-ci un revenu décent. Accusée, sans doute à juste titre, d’avoir favorisé une course à la productivité, contribué à l’érosion des sols, empêché l’essor agricole des pays émergents, elle a changé de cap en 1992. On est passé, en deux décennies, d’une politique interventionniste sur des marchés contrôlés à un processus de libéralisation accélérée, menant à une régulation par le marché, les filières devant s’adapter. On voit aujourd’hui le résultat ! Les deux années passées ont montré que les revenus de complément tirés de la PAC ne permettent guère d’amortir les soubresauts des prix mondiaux et les conséquences des aléas naturels.
On nous a annoncé une augmentation de 66 % des revenus agricoles en 2010. Il n’y a pas là de quoi se réjouir outre mesure : il s’agit d’abord d’un rattrapage après les baisses de 2008 et de 2009, et ce chiffre masque de fortes disparités suivant les exploitations, l’embellie profitant surtout aux grandes cultures, les éleveurs, quant à eux, étant toujours en grande difficulté.
Il serait évidemment absurde de préconiser un retour à l’ancienne PAC, qui a montré ses limites et ses excès. Il serait tout aussi stérile de ne pas entendre les critiques, de ne pas voir les imperfections ou de ne pas répondre aux attentes de réforme.
La France a su faire adopter une politique agricole favorable à ses intérêts, mais elle s’est ensuite crispée pendant des décennies sur ses avantages, sans se préoccuper de leur obsolescence ni des changements de rapports de force intervenus au fil des élargissements successifs.
On le sait, premier poste de dépenses de l’Union européenne avec un budget de 55 milliards d’euros en 2010, la PAC suscite les convoitises : dans le cadre des négociations sur les perspectives financières pour la période 2014-2020, les tentations seront fortes de dégager à ses dépens des marges de manœuvre pour servir d’autres priorités.
La France devra affronter les pays partisans d’une plus grande libéralisation du secteur, tels que le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark ou la République tchèque. Certains se satisferaient pleinement d’une PAC sans argent, qui se bornerait à fixer des règles de régulation, au sens anglais du terme, c’est-à-dire des règles commerciales sur la concurrence et la traçabilité.
Une chose est sûre, l’heure sera en tout cas à un rééquilibrage des aides entre les pays. Si la montée en puissance des aides du premier pilier dans les nouveaux États membres devrait atténuer l’écart constaté aujourd’hui avec les anciens États membres, restent les inégalités criantes et bien connues entre régions, entre secteurs et entre agriculteurs. Voilà de quoi susciter l’incompréhension non seulement des bénéficiaires lésés, mais aussi du grand public, qui a de plus en plus de mal à trouver une légitimité à la PAC, d’autant que, paradoxalement, celle-ci ne permet pas toujours aux agriculteurs de vivre de la vente de leurs produits.
Si l’on ajoute à ces défauts de la PAC réformée un bilan en matière d’environnement et de développement rural à peine satisfaisant, sinon décevant, et des effets pervers, sur le prix du foncier par exemple, qui freine l’installation de nouveaux exploitants, on comprend bien que le statu quo n’est plus possible. Pour autant, quelle direction prendre ?
Dans une communication présentée le 18 novembre dernier, la Commission européenne esquisse les scénarii possibles. Je dois dire que le scénario que semble privilégier le commissaire européen Dacian Ciolos nous rassure quelque peu, tant il rompt avec le point de vue « tout libéral » de son prédécesseur, Mariann Fischer Boel.
Cependant, ce « ouf » de soulagement n’est pas un plébiscite. Nous partageons bien sûr l’idée de mettre en place une PAC plus juste et plus équitable, avec la fin du système des références historiques, la prise en compte de l’emploi et des handicaps naturels dans l’attribution des aides, l’orientation du soutien vers les agriculteurs actifs, l’instauration d’un plafonnement par exploitation et d’un niveau minimal garanti pour les petites exploitations. Cette attention aux petites exploitations, qui a tant manqué jusqu’à présent, est une nécessité, car ce sont elles qui assurent la vitalité économique et humaine de nos zones rurales, comme le grand Sud-Ouest, et en particulier le département du Gers.
Nous saluons aussi une nouvelle étape dans la prise en compte de l’impératif écologique, avec notamment la reconnaissance de l’apport des agriculteurs au regard des objectifs d’intérêt public que sont le maintien des paysages, l’aménagement des territoires, la lutte contre le réchauffement climatique. Cette fonction de l’agriculture justifie amplement, s’il en était besoin, que l’Europe consacre un demi-point de PIB à la PAC.
Cela étant, ces bonnes intentions masquent des lacunes. Alors que l’impérative résolution du problème de la volatilité des prix des matières premières agricoles a été inscrite à l’ordre du jour des discussions du G 20, le texte de la Commission demeure très insuffisant en matière de régulation des marchés agricoles.
Comment les agriculteurs peuvent-ils gérer leur exploitation quand, en l’espace de trois mois, un prix peut passer de 100 à 200 euros, avant de retomber à 100 euros deux mois plus tard ? Sur cette question de la volatilité des cours, la Commission semble en rester à l’idée que la régulation doit se faire par le marché et qu’il revient aux filières de s’adapter. Aucun nouvel instrument n’est envisagé, seul le maintien des outils existants est prévu, alors même qu’aujourd’hui certaines filières, comme celle de la viande, sont en grande difficulté.
Par ailleurs, le texte de la Commission ne dit rien de l’effort financier que devra assumer l’Europe. Or, cette question est cruciale : une « PAC forte », comme l’appelle de ses vœux M. Ciolos, suppose un budget à la hauteur ! Espérons qu’après avoir donné des espoirs aux agriculteurs, la Commission leur apportera une traduction budgétaire…
Enfin, rien non plus n’affirme la « préférence communautaire ». Si ce n’est pas là un « gros mot » pour M. Sarkozy, il semble que cela en reste un pour la Commission !
J’ai bien conscience, monsieur le ministre, que ce document donne le coup d’envoi de discussions âpres. Comment abordez-vous cette période ? Quelles seront vos idées-forces ? Nous savons votre détermination.
L’agriculture et l’alimentation sont parties intégrantes de la société française, comme l’atteste le succès rencontré tous les ans par le salon de la porte de Versailles, où veaux, vaches, cochons font le bonheur de tous les visiteurs. Ce salon est un trait d’union nécessaire entre citadins et ruraux, qui souvent se méconnaissent alors qu’ils ont pourtant besoin les uns des autres.
Il faut sans aucun doute répondre aux critiques et aux attentes, mais personne n’a intérêt à ce que la PAC n’atteigne pas ses trois objectifs essentiels – unité du marché, solidarité financière et préférence communautaire – ni à ce qu’elle soit affaiblie ou démantelée.
Certes, la PAC devra en 2013 être plus juste, plus verte qu’elle ne l’était auparavant. Elle doit gagner en lisibilité et cesser d’apparaître comme un écheveau de dispositifs techniques d’une infinie complexité, ce qui peut donner le sentiment qu’elle avance masquée. Les sigles fleurissent plus vite que les coquelicots dans un champ de blé ! Elle doit enfin aborder la question décisive la part des différents acteurs dans la chaîne de formation de la valeur.
À l’heure actuelle, c’est le marché, et lui seul, qui décide, en parfaite cohérence avec la doctrine économique libérale. Ce n’est plus acceptable. Est-il normal que les ententes entre agriculteurs en vue de fixer les prix soient sanctionnées, tandis que les concentrations excessives dans la distribution et dans certains secteurs de l’industrie alimentaire sont tolérées ? Dans les vingt-sept pays de l’Union, quinze chaînes de distribution contrôlent déjà à elles seules 77 % du marché alimentaire. Le droit de la concurrence ne s’applique pas à tous de manière égale !
Quoi qu’il en soit, la PAC ne doit pas disparaître. N’oublions pas que ce dispositif, mis en place voilà un demi-siècle, est quasiment l’unique politique commune européenne. Est-ce un modèle ? Non, mais c’est du moins un exemple pour quiconque estime que l’avenir de l’Europe ne peut être que collectif. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard César.
M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le mois de novembre dernier, les discussions en vue de la définition de la future politique agricole commune se sont engagées à la suite de la publication des propositions de la Commission européenne.
Ce débat arrive donc au bon moment, et je remercie MM. Jean-Paul Emorine et Jean Bizet, co-présidents du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune, auquel j’ai l’honneur de participer, de l’avoir amorcé au travers de leur remarquable rapport d’information.
Symbole fort de l’Union européenne, la PAC est la première des politiques communautaires, la plus ancienne et la plus intégrée, mais elle est aussi la plus discutée, et l’échéance de 2013 amènera, sans aucun doute, un retour des rapports de force, que le Président Nicolas Sarkozy et vous-même, monsieur le ministre, avez anticipé dans le cadre de l’accord franco-allemand. Des rencontres fructueuses avec nos collègues polonais et allemands se sont en outre tenues récemment à l’Assemblée nationale, en présence de MM. Bizet et Emorine.
L’Union européenne va devoir redéfinir, pour la période 2014-2020, une vision stratégique, à la fois économique, sociale et environnementale, qui ne soit pas un simple réajustement. De nouvelles attentes fortes sont aujourd’hui exprimées par nos concitoyens, notamment en matière sanitaire, et l’on ne peut bien entendu pas les ignorer.
Depuis sa création, la PAC a connu plusieurs évolutions, notamment pour éliminer les excédents ou se soumettre aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce. La production a ainsi été régulée par le biais de l’instauration de quotas, du recours à la mise en jachère et de la réduction des prix de référence. Parallèlement, les aides aux agriculteurs et les aides à la production ont été découplées et les marchés agricoles ouverts.
Aujourd’hui, nous le savons, la PAC doit relever de nouveaux défis. L’enjeu majeur, à mon sens, est de poursuivre l’adaptation des structures agricoles dans un marché de plus en plus ouvert. Soyons lucides, cette ouverture ne sera pas remise en question dans le cadre des négociations sur la future PAC ; nous n’assisterons pas au retour de mesures plus ou moins protectionnistes. La seule voie consiste à mettre l’accent sur la gestion des marchés et la modernisation des structures et des exploitations agricoles, ainsi que sur l’organisation économique des producteurs telle que l’a prévue la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. En tant que rapporteur de cette loi, je profite de cette occasion pour vous remercier, monsieur le ministre, de la publication des textes relatifs aux filières du lait et des fruits et légumes, intervenue avant le 31 décembre, comme vous nous l’aviez promis.
Dans un monde où les échanges ont été libéralisés et sont appelés à se développer, les pouvoirs publics peuvent contribuer à accompagner les évolutions. Je pense notamment à la régulation et à l’amélioration de la transparence des marchés. Le rôle des organisations professionnelles et, surtout, interprofessionnelles dans la gestion des filières et la couverture des risques doit être modernisé et renforcé.
Les exploitations devront également poursuivre leur modernisation, là aussi avec l’aide des pouvoirs publics. En cinquante ans, le nombre d’exploitations est passé de 2,3 millions à 326 000 dans notre pays. Aucun autre secteur économique n’a connu une telle évolution.
Pourtant, il faut continuer à s’adapter, par l’accroissement des surfaces, l’utilisation de nouveaux équipements et l’accès aux innovations technologiques. Une bonne anticipation de cette exigence incontournable suppose, monsieur le ministre, que la question ne soit pas taboue.
Un autre enjeu tient à la conversion environnementale de l’agriculture, qui exige une politique et un soutien à long terme. Les attentes de la société en matière de préservation de l’environnement et de qualité sanitaire des aliments ont été intégrées dans la PAC. C’est une excellente chose, toutefois cette politique doit absolument être lisible, à la fois dans ses objectifs et dans ses résultats. Or, pour l’instant, on a le sentiment de se trouver dans une jungle technocratique. Ces défauts, qu’il faudra corriger, ne remettent cependant pas en cause l’orientation de la PAC vers une gestion durable des ressources naturelles.
Par ailleurs, les freins à la recherche agronomique – autre sujet qui fâche – doivent être levés. Comment ne pas voir que l’innovation conditionne la marche vers de nouvelles pratiques agricoles durables et économiquement viables ? Vous le savez, monsieur le ministre, la recherche pâtit lourdement, en France, du rejet obsessionnel des OGM. Cette opposition rejaillit sur l’ensemble des recherches en vue de l’amélioration des plantes. Nous devons donc avoir le courage de mettre fin à ce blocage français, qui pénalise lourdement l’agriculture tant européenne que nationale. Comment l’agriculture pourrait-elle se passer à la fois des intrants chimiques et des biotechnologies ? La France prend un retard considérable par rapport à d’autres pays qui, eux, avancent.
La PAC doit enfin, à mon sens, relever le défi de la prise en compte de l’entrée de nouveaux pays au sein de l’Union, dont le nombre de membres est passé, en moins de dix ans, de quinze à vingt-sept, ce qui a entraîné une augmentation de plus de 64 % du nombre des exploitations agricoles. Cela a renforcé les disparités agricoles, au moment où un nouvel équilibre se mettait en place après les élargissements précédents.
Jusqu’à présent, les nouveaux entrants ont géré leur adhésion et leurs réformes internes ; leur arrivée dans l’Union n’a pas produit ses pleins effets sur l’économie agricole européenne, mais il faut s’attendre à ce que la concurrence intra-européenne s’accroisse, introduisant une contrainte supplémentaire à la modernisation des structures. Il faut s’attendre aussi à ce que ces pays soient plus exigeants et s’attachent à préserver une PAC forte, à condition bien sûr qu’elle leur soit favorable.
Dans ce contexte, on imagine aisément que les débats sur le budget de la PAC pour l’après-2013 seront particulièrement durs. Je vous rappelle, mes chers collègues, que le traité de Lisbonne a renforcé les pouvoirs du Parlement européen, qui doit désormais approuver la PAC dans le cadre de la cogestion. Il est difficile de prévoir ce que sera le rapport des forces au Parlement européen, mais, de toute évidence, celui-ci pèsera certainement en faveur d’une redistribution des aides. Il est donc probable, monsieur le ministre, que l’agriculture française devra franchir une nouvelle étape d’adaptation avec des soutiens budgétaires réduits, dans un contexte politique européen difficile.
Si nous voulons une véritable PAC, il est indispensable de maintenir le budget agricole à son niveau de ces dernières années. À cet égard, je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir communiqué, voilà quelques jours, des données relatives aux aides à l’investissement en 2008 et en 2009.
En définitive, l’enjeu, pour l’agriculture française, tient à notre capacité à définir ensemble une vision politique ambitieuse. Un cadre politique est indispensable, car il est toujours source de confiance et de stabilité. La définition de la future PAC nécessitera un vrai débat, d’ailleurs déjà entamé, mais surtout une volonté forte de l’ensemble des acteurs politiques et socioprofessionnels, qui devront œuvrer pour que tous les agriculteurs puissent vivre de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. –M. Yvon Collin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus que jamais, la place de l’agriculture est essentielle et stratégique : cette analyse est partagée par tous, même s’il existe des divergences d’appréciation sur le rôle que doit jouer l’agriculture. S’agit-il seulement d’assurer un volume global de production, ou de prendre en compte ses différentes fonctions alimentaires, environnementales, de gestion des espaces, d’aménagement des territoires ? Disons-le nettement, les socialistes optent pour ce second aspect.
C’est dans un contexte mondialisé, avec en corollaire des négociations internationales, que va intervenir la réforme de la politique agricole commune. Celle-ci devra apporter des réponses aux nouvelles attentes sociétales.
Dans cette perspective, il faut, pour l’après-2013, défendre l’idée forte d’une politique agricole ambitieuse, novatrice. Cette priorité devra être affirmée par l’Union européenne et trouver une traduction politique et budgétaire.
À la suite de la réforme de 2003 et du bilan de santé de la PAC, une orientation de nature très libérale a été prise, puisqu’il s’est agi d’accorder la primauté à la loi du marché, au détriment d’une régulation plus ou moins assumée jusqu’alors.
Les limites de cette vision libérale à outrance sont apparues rapidement à la lumière des crises qui ont frappé la plupart des productions. Sans qu’il soit question d’administrer l’agriculture, du moins faut-il poser à nouveau des règles suffisamment fortes d’organisation et de gestion collective qui assureront l’avenir des agriculteurs.
La révision de la PAC est l’occasion unique d’apporter, au regard du constat qui vient d’être dressé, les inflexions attendues par beaucoup d’agriculteurs et par la société européenne. Elle doit avoir pour ambition de permettre le maintien d’une agriculture diverse et de qualité et de contribuer à la préparer aux défis de demain.
Dans la perspective de la réforme, trois scénarii sont en présence. Nous avons bien compris que le scénario médian est privilégié par le commissaire européen et que, au-delà, plusieurs des objectifs énoncés dans ce scénario sont assez largement partagés, des nuances se faisant cependant jour.
Au nombre de ces objectifs figure à l’évidence la redistribution des aides. Le maintien de nombreux agriculteurs passe par la garantie d’un revenu stable et équitable. Chacun le sait, disposer d’une visibilité financière est primordial pour réaliser des investissements de long terme ; à défaut, de nombreuses installations s’avèrent fragiles. Dans ces conditions, il n’est pas concevable que perdure le déséquilibre que l’on a pu constater dans l’attribution des aides européennes, dont 80 % du montant est accaparé par 20 % des bénéficiaires.
L’introduction de plafonds et de planchers d’aide par exploitation va donc dans la bonne direction. La PAC doit être orientée vers un paiement direct minimal pour l’ensemble des agriculteurs, afin de préserver les petites et moyennes exploitations ; c’est une question d’équité. Cependant, il convient aussi, dans la même perspective, de plafonner les versements. Une redistribution plus pertinente et plus juste des aides entre les filières, et entre les agriculteurs, est en effet vitale pour assurer l’avenir du plus grand nombre. Sans garantie de revenu, les nouvelles installations seront compromises, ce qui relativiserait, et même contredirait, le discours officiel en faveur de l’installation des jeunes agriculteurs.
Quelle aberration encore que l’on puisse aujourd’hui percevoir des aides sans pratiquement produire, du simple fait d’une situation acquise ! Il faut y mettre un terme : les aides doivent être réservées aux agriculteurs ayant une fonction réelle de production.
Il faut donc aller au-delà de la logique des primes à l’exploitation, vers l’instauration de primes liées à la production et au renforcement de la qualité de celle-ci. Les aides doivent ainsi être modulées en fonction de la main-d’œuvre employée sur les exploitations, des efforts d’adaptation environnementale qu’elles fournissent et des handicaps naturels auxquels elles sont confrontées.
Si la production de masse a longtemps été privilégiée, la fourniture d’une alimentation de qualité doit désormais être l’objectif visé. Ce principe a été longuement discuté lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, au nom des attentes des consommateurs, mais aussi dans un souci de santé publique. La future PAC devrait prendre en compte la promotion des productions locales et des marchés de proximité. Rétablir le lien entre production et territoire, développer les circuits courts quand cela est possible mérite un accompagnement financier significatif, alors que les aides aujourd’hui accordées pour la diversification et la reconversion tiennent parfois du saupoudrage. Cela permettra aussi, dans l’esprit du Grenelle 2, d’améliorer le bilan carbone, ainsi que de favoriser une activité économique porteuse d’avenir et de créer des emplois au plus près des territoires, tout en répondant à une attente sociétale forte. La cohérence globale du projet agricole communautaire appelle la prise d’initiatives dans ce domaine.
L’un des aspects fondamentaux de la PAC devra porter sur les moyens accordés à la régulation et à la gestion des marchés. Un constat s’impose presque de lui-même : le marché mondial des produits agricoles est soumis à de fortes tensions, qu’elles résultent d’événements climatiques, de crises frumentaires ou tout simplement de la spéculation ou de la financiarisation des marchés des matières premières. Les conséquences qui en découlent sont, d’une part, la spéculation et la volatilité des cours, et, d’autre part, la difficulté d’anticiper ces mouvements erratiques.
Lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le débat a porté sur l’usage d’outils de régulation pour la prévention et la gestion des crises. Or l’orientation libérale donnée à la PAC en 2003 a mis à mal la notion même de régulation et de moyens d’intervention en ce domaine. L’année 2015 verra la disparition des quotas laitiers, évolution à laquelle vous avez répondu par une contractualisation portant sur les volumes. Monsieur le ministre, vous avez admis la nécessité de disposer de moyens rénovés de régulation, singulièrement par l’application, sur le plan national, de la contractualisation et la mise en place des interprofessions. Ces mesures devraient, selon vous, redonner aux agriculteurs une position moins marginale dans les discussions au sein de chaque filière. Cela ne suffira pas : les interprofessions peinent à entrer en action ; quant aux contrats, ils ne sont pas du tout prévus pour réguler le volume global de la production, en particulier dans le domaine laitier.
Ces dispositions ne remplacent donc pas une politique commune de régulation européenne des marchés. De même, la future PAC, se bornant à un simple « filet de sécurité », ne va pas suffisamment loin, comme le constate un ancien secrétaire général de la FNSEA, qui déclare que « la Commission n’a pas tiré les leçons de la crise de 2009 ». C’est juste, et c’est bien vu. Dans la confrontation mondiale, peu de protagonistes font montre d’angélisme, et les États défendent leur agriculture. L’Europe doit se protéger, y compris contre les distorsions de coûts de production résultant des différences d’exigence de qualité dans les domaines sanitaire ou environnemental. J’ajouterai que, en Europe même, au sein du marché unique, pèse la suspicion de dumping social. Quelle position la France défendra-t-elle sur ces points lors des futures discussions ?
Se pose aussi la question de la sécurité alimentaire, facteur indéniable d’indépendance, dont on voit se dessiner les enjeux sur le plan planétaire. Les terres des pays en voie de développement ne deviennent-elles pas l’objet de la convoitise des multinationales et de certains pays émergents, qui procèdent à des acquisitions considérables de foncier agricole ?
La future PAC devra s’accompagner des financements nécessaires pour répondre aux défis et aux enjeux et pouvoir adapter notre agriculture au nouveau contexte mondial. Il est évident qu’une telle politique ne peut se conduire au rabais, sans moyens budgétaires adéquats, mais qu’elle doit au contraire demeurer l’une des priorités européennes. C’est d’ailleurs l’opinion du commissaire européen à l’agriculture, reprise par M. Jean-Michel Lemétayer, qui estime que la future PAC ne sera confortée que si son budget est « au moins équivalent à celui d’aujourd’hui ». On ne peut donc que s’inquiéter des menaces d’une diminution des crédits, qui pourrait amener une réduction de l’engagement européen en faveur de l’agriculture à 32 % du budget communautaire en 2013 ; pour mémoire, il atteignait 61 % de celui-ci voilà vingt ans.
Les enjeux de la nouvelle PAC sont considérables pour l’Europe, pour nombre de régions et pour les agriculteurs qui y vivent de leur travail, pour l’emploi induit dans l’agroalimentaire, l’artisanat et les services, en somme pour l’ensemble du tissu économique et social des territoires ruraux. Nous pouvons nous rejoindre sur l’analyse et la détermination de certains d’entre eux, mais les propositions et les moyens ne vont selon nous pas assez loin, et nous serons donc très vigilants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 novembre dernier, les ministres européens de l’agriculture se sont réunis pour donner le coup d’envoi des négociations sur la future PAC à vingt-sept pour la période 2014-2020.
Nous savons tous le caractère stratégique de l’agriculture, à l’heure où près de 1 milliard de personnes souffrent de sous-alimentation, tandis qu’il faudra en nourrir 9 milliards en 2050.
D’autres sénateurs l’ont rappelé avant moi, la PAC a justement permis de garantir l’autosuffisance alimentaire de l’Europe. Alors qu’elle représentait quasiment 90 % du budget de l’Union européenne en 1970, sa part s’élève aujourd’hui à 42 % de celui-ci, soit 55 milliards d’euros, montant à mettre en regard des 87 milliards d’euros que les États-Unis consacrent au soutien à leur agriculture. Il faut remettre le coût de la PAC en perspective.
N’oublions pas que la France est le premier bénéficiaire des aides accordées au titre de la PAC et le deuxième contributeur, après l’Allemagne. En outre, la valeur de la production agricole française s’élevait à 62 milliards d’euros en 2009, ce qui fait de notre agriculture la première de l’Union européenne.
La PAC a atteint les objectifs qui lui avaient été assignés en matière de sécurité alimentaire et sanitaire, mais aussi de préservation de l’équilibre des territoires ruraux, qui constitue parfois la seule activité économique viable dans certaines zones reculées. En soutenant l’innovation technique agricole et la préservation de la biodiversité, elle a permis à l’agriculture de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de plus de 20 % depuis 1990.
Cependant, les tensions n’ont jamais été aussi fortes au sein des filières, en particulier celle de l’élevage, et nombre d’agriculteurs souffrent, au point que certains d’entre eux en sont réduits à s’adresser aux Restos du cœur… Quel paradoxe, quand on exerce le plus beau métier du monde, consistant à nourrir ses semblables !
En effet, force est de constater que l’on assiste à une paupérisation grandissante de certains agriculteurs. La PAC n’a pas réduit toutes les inégalités, ni entre exploitants ni entre pays membres. C’est sans doute pour cela qu’elle n’a pas trouvé sa légitimité aux yeux de l’opinion publique européenne.
Par ailleurs, sa trop grande complexité la rend incompréhensible, même pour les habitués : un grand nombre de directives, de règlements en matière d’environnement, de santé publique, de sécurité alimentaire, etc., conditionnent l’attribution des aides directes au respect de « bonnes pratiques ».
Enfin, la volatilité extrême des coûts de production ou de vente fragilise les filières, alors que les financiers internationaux se servent, en outre, des produits agricoles comme de matières premières soumises à la spéculation.
Des outils de régulation innovants doivent être définis, afin de prévenir les crises ou de pouvoir y répondre rapidement. Ils permettront aux agriculteurs de lisser leurs résultats. Un premier pas dans cette direction vient d’être franchi pour le marché du lait avec le projet de règlement présenté le 9 décembre dernier sous votre pugnace impulsion, monsieur le ministre. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir lancé, voilà un an, ce fameux « appel de Paris » à une nouvelle régulation des marchés agricoles ; vingt-deux des États membres de l’Union vous avaient alors suivi.
Nous avons besoin d’une réforme forte et ambitieuse, d’une nouvelle PAC permettant de conjuguer performances économiques et environnementales, équilibre des territoires et indépendance énergétique, mais aussi et surtout de rendre nos exploitations plus compétitives et autonomes. Ces objectifs peuvent paraître difficilement conciliables, mais ils ne sont pas contradictoires.
Les négociations sont menées sur la base des propositions faites par le commissaire européen Dacian Ciolos, auxquelles vient s’ajouter l’excellent travail présenté tout à l’heure par MM. Bizet et Emorine et par Mme Bourzai.
Le Parlement européen, au travers de la codécision, sera par ailleurs partie prenante à la réforme, et a d’ores et déjà émis des avis favorables sur cette grande mutation, notamment sur les aides directes, étant donné les coûts de production élevés, essentiellement en raison des normes sociales ou environnementales auxquelles sont soumis nos agriculteurs.
En effet, ces normes, pour vertueuses qu’elles se doivent d’être, sont difficiles à respecter pour les agriculteurs installés dans une zone de montagne, périurbaine, défavorisée, vulnérable ou sur le territoire d’un nouvel État membre.
Une harmonisation sans faille des normes à l’échelon européen est essentielle. Nos exploitants ne sont pas opposés au « verdissement » de la PAC, dans la mesure où cela peut permettre d’appliquer les mêmes règles dans tous les États membres, ce qui est loin d’être le cas actuellement.
Enfin, beaucoup souhaitent le développement du stockage public et privé, ainsi que des moyens légaux et juridiques permettant la contractualisation dans les filières et entre les filières.
La décision d’inscrire l’agriculture dans le système libéral doit s’accompagner de la possibilité, pour les agriculteurs, de s’organiser en vue d’essayer d’assurer une certaine équité dans les rapports commerciaux avec les industriels et les grandes surfaces. Il n’y aura pas de contractualisation efficace sans rapport de force équilibré. Privilégions le regroupement des professionnels, l’organisation de filières fortes, le maintien d’une agriculture diversifiée dans toutes nos régions, les circuits de distribution courts, une agriculture biologique de proximité.
Les DPU alloués aux exploitations du département de l’Aisne, dont l’activité va de la viticulture sur les coteaux de la Marne aux grandes cultures, en passant par la production laitière en Thiérache au sein de structures plus petites, sont très divers, mais représentent parfois le revenu des agriculteurs. Toute évolution devra donc se faire sur plusieurs années, sauf à mettre en grande difficulté certains d’entre eux. Les agriculteurs de mon département sont preneurs d’un développement grâce au deuxième pilier, ayant remarqué que les industriels sont systématiquement demandeurs des aides spécifiques destinées à telle ou telle filière, comme on a pu le voir pour celles des protéagineux et des légumes en 2010, par exemple.
Les mesures du deuxième pilier doivent pouvoir concerner toutes les régions et toutes les formes d’agriculture. Dans notre région, le grand succès du « plan sucre » est en effet la démonstration que les agriculteurs sont prêts à investir pour améliorer leur compétitivité et créer de la valeur ajoutée. Ces mesures devraient aussi permettre, en matière de développement durable, de protéger certaines productions, par exemple l’élevage dans les régions de grandes cultures, ce qui permettrait de maintenir la culture de la luzerne, la production de fécule, de légumes, etc. En effet, une spécialisation des régions serait extrêmement dommageable sur les plans économique et environnemental.
Plus largement, l’Europe devrait pouvoir résoudre les problèmes de concurrence sur les plans social et financier.
Nous devons sauver la PAC, qu’il faut appréhender sous un angle novateur, d’autant qu’elle représente quasiment l’unique politique commune européenne ! Elle mérite donc toute notre attention en tant qu’exemple pour l’avenir de l’Europe, avenir qui ne peut être, nous en sommes tous conscients, que collectif. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les co-présidents du groupe de travail, mes chers collègues, l’année 2010 s’est terminée, pour l’agriculture, de façon plus positive qu’elle n’avait commencé, d’abord parce que les agriculteurs ont globalement vu leurs revenus très sensiblement augmenter, ensuite parce que M. Dacian Ciolos a esquissé les contours de la PAC pour la période 2014-2020. En effet, les paramètres du marché agricole évoluant, il est sain de s’interroger sur l’adéquation de la PAC avec les attentes des agriculteurs.
Mon collègue du groupe de l’Union centriste Marcel Deneux ayant tout à l’heure développé son analyse sur l’avenir de la PAC, je souhaiterais pour ma part aborder les cas particuliers de la filière des fruits et légumes et des productions que l’on pourrait qualifier de « spéciales », comme le tabac ou le pruneau pour le Lot-et-Garonne, par exemple, afin que la PAC de demain réponde au mieux aux attentes du terrain.
Les fruits et légumes représentent, je le rappelle, 17 % de la valeur de la production agricole européenne et 6,1 milliards d’euros pour la France, mais cette filière ne bénéficie que de 3,5 % du budget de la PAC. Pour maintenir leur activité, et donc la vie dans nos territoires, les producteurs ont impérativement besoin que ces aides soient conservées, afin de leur permettre d’améliorer leur compétitivité et leur organisation professionnelle.
S’agissant des fruits et légumes, la PAC doit permettre de lutter efficacement contre le dumping agricole. À l’échelle de la France, ce sont plus de 640 000 emplois, dont 450 000 saisonniers, qui sont concernés !
En ce qui concerne le tabac, le cas de cette production illustre la nécessité de bâtir des filières intégrées, et à défaut de soutenir la restructuration de l’organisation professionnelle.
En effet, seulement 17 000 tonnes de tabac sont produites en France, pour 60 000 tonnes consommées. Il n’existe donc aucune adéquation entre la consommation et la production. Pendant de longues années, on a laissé se démanteler un appareil industriel qui faisait de la filière du tabac une filière intégrée, à forte valeur ajoutée. Les tabaculteurs ont dû se réorganiser pour défendre les prix de leur production « brute » ; ils ont déjà fourni des efforts considérables, mais ils ne pourront pas poursuivre cette restructuration sans une aide financière. Il faut donc que la PAC permette d’améliorer la compétitivité, l’équilibre n’étant pas encore atteint.
Il en va de même pour la filière de la tomate industrielle, qui ne produit que de 15 % à 20 % des besoins nationaux. Une incitation à la restructuration des producteurs et un soutien à l’outil industriel de transformation permettraient d’accroître sa compétitivité. À défaut, les unités de transformation sont rachetées par des entrepreneurs, notamment chinois, qui s’en servent comme bases logistiques pour vendre non seulement des tomates, mais aussi des haricots verts ou encore du maïs doux, tous produits importés de Chine pour être commercialisés sous la marque française rachetée.
L’aide à la production est donc indispensable pour maintenir les outils de transformation. Sinon, ces filières vont nous échapper !
Enfin, en ce qui concerne la filière du pruneau, il semble indispensable que la France évite un découplage des aides. Seul leur couplage permet d’améliorer la productivité et de concurrencer les productions sud-américaines. À titre d’exemple, nous devons, dans mon département, refaire entièrement le verger pour rester compétitifs, ce qui exige du temps et beaucoup de moyens.
Ces différents exemples montrent qu’il est nécessaire, dans le cadre de la PAC, de maintenir à leur niveau actuel les droits à paiement unique du premier pilier et de laisser des marges de manœuvre aux États membres pour soutenir les investissements et les réformes dans ces secteurs, sauf à voir ces petites productions disparaître purement et simplement !
En outre, la PAC doit agir comme un filet de sécurité en cas de crises conjoncturelles, notamment pour ces productions. L’Europe doit en effet mobiliser des instruments de régulation de marché pour lisser la volatilité des prix et permettre le financement de mécanismes d’assurance contre les risques climatiques ou sanitaires.
Monsieur le ministre, l’assurance récolte, dont je prône le développement depuis de nombreuses années et que vous avez instaurée dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ne fonctionnera pas tant qu’il n’y aura pas de réassurance publique. Celle-ci doit être confortée dans le cadre de la PAC, sinon on en restera au stade des bonnes intentions : les assureurs ne pourront pas ou ne voudront pas jouer le jeu !
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Daniel Soulage. Telles sont, mes chers collègues, les attentes du terrain. Je sais que vous connaissez bien ces dossiers, monsieur le ministre, et que vous y travaillez sans relâche dans la perspective des négociations sur la future PAC. Je vous en suis infiniment reconnaissant, ainsi que de vous être déplacé dans le Lot-et-Garonne pour y rencontrer nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, eu égard aux nouveaux défis à relever, la politique agricole commune doit prendre un nouveau virage. Elle est au carrefour d’enjeux multiples, à la fois économiques, alimentaires, sanitaires, environnementaux, sociaux et territoriaux.
La réforme annoncée de 2013 sera décisive pour l’avenir de l’Europe. Elle permettra d’apporter une première réponse à une question récurrente que se posent les instances européennes quant à la capacité des Européens à unir leurs forces pour aller plus loin dans la construction communautaire, en vue d’affronter la mondialisation croissante, la libéralisation des échanges et les crises économiques qui se succèdent.
L’agriculture européenne traverse une crise. Nous en avons tous vu les effets ces dernières années. Elle se heurte à une concurrence de plus en plus vive, souvent déloyale, et caractérisée par une instabilité chronique du marché, rendant toute projection dans l’avenir impossible pour les agriculteurs. L’Union européenne, en tant qu’organisation politique, a donc un rôle crucial à jouer dans la gestion et la sortie de cette crise.
La réflexion sur la réforme de la PAC en 2013 a donné lieu à de nombreuses prises de positions du Parlement européen, des États membres et, le 18 novembre dernier, de la Commission européenne. Ce même mois, un groupe de travail sénatorial a publié un rapport sur ce thème. Nous avons eu l’occasion de rencontrer nos homologues européens et d’échanger nos points de vue sur ce que devra être l’agriculture européenne de demain. Sans surprise, de nombreuses divergences politiques sont apparues, et il sera très difficile de trouver un consensus entre les partisans du libre marché et ceux de la régulation.
La PAC fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques, de la part tant des agriculteurs eux-mêmes que des citoyens européens, qui ne perçoivent clairement ni son fonctionnement ni ses bienfaits. Il est donc évident qu’une réforme efficiente de la PAC devra s’accompagner de la réhabilitation de son image. Il faudra, pour cela, la rendre plus efficace et lisible.
L’objectif prioritaire d’une telle réforme devra être d’offrir un avenir aux agriculteurs, dont la situation est des plus critiques, notamment en France. En effet, le revenu des agriculteurs a chuté brutalement en 2008 et en 2009, après plus d’une dizaine d’années de stagnation. Pourtant, voilà un mois, on nous a annoncé que ce revenu avait connu une hausse de 66 % en 2010, pour s’établir en moyenne à 24 400 euros ! Certains se félicitaient déjà d’une sortie de crise. Quelle supercherie !
Tout d’abord, cette hausse n’est qu’un petit rattrapage après la crise épouvantable de ces dernières années. Mais surtout, ces chiffres sont en trompe-l’œil, car ils sont fondés en grande partie sur l’envolée du prix des céréales, qui, dans le même temps, a fait baisser les revenus de certaines catégories d’agriculteurs. Chacun sait que la crise a touché inégalement les filières et que certaines d’entre elles sont aujourd’hui au bord du précipice, quand elles ne sont pas déjà tombées dedans.
Ainsi, dans la filière des bovins à viande, le prix de vente au kilo vif est identique à ce qu’il était voilà plus de dix ans. Comment ces éleveurs peuvent-ils s’en sortir quand on sait que le prix des aliments et des carburants n’a, dans le même temps, cessé d’augmenter ? Certains en sont réduits à demander le RSA, tandis que d’autres sont contraints de mettre la clé sous la porte. C’est ainsi que le nombre d’exploitations et d’exploitants en activité s’est effondré, parallèlement à l’agrandissement des structures, avec tous les effets néfastes que cela entraîne.
La prochaine PAC devra donc intrinsèquement avoir pour finalité de donner aux agriculteurs les moyens de vivre de leur profession, voire de leur assurer un revenu minimum, mais aussi de fixer des plafonds d’aide. Pour atteindre cet objectif, il est indispensable que les aides européennes soient réparties de façon plus égalitaire entre toutes les filières, et donc entre tous les agriculteurs. Il est en effet anormal que 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % du montant des aides, et ce, pour les céréaliers, quel que soit le cours du blé, ou, pour d’autres, quelles que soient les surfaces cultivées. L’iniquité dans la répartition des paiements directs entre les États membres est l’un des aspects les plus critiqués du système actuel, qui devra être corrigé.
Un consensus semble se dégager sur l’abandon des références historiques, et nous pouvons nous en féliciter, bien que notre pays soit l’un des rares à ne pas avoir passé le cap, malgré le caractère injuste de ce dispositif. Il faut surtout que les aides soient attribuées aux agriculteurs actifs et liées à la production réelle, comme l’avait souligné la Cour des comptes européenne. Par ailleurs, les efforts environnementaux doivent être pris en compte, de même que les handicaps naturels auxquels les exploitants sont exposés, en particulier dans les zones de montagne.
Au-delà de cette mission centrale, la PAC doit bien évidemment remplir son rôle premier, à savoir préserver le potentiel de production alimentaire de l’Union européenne afin d’assurer l’autonomie et la sécurité alimentaires de ses habitants. Une Europe forte ne peut être dépendante de ses importations alimentaires.
Dans ce contexte, il est évident que l’Union européenne doit se doter d’une véritable régulation de ses marchés, prenant en compte aléas climatiques et volatilité des prix !
Il est un aspect de la PAC qui ne doit pas être laissé de côté : le rôle joué par l’agriculture en termes de biens publics. Il est indispensable que les efforts accomplis de tout temps par les agriculteurs pour préserver les aménités soient rémunérés, qu’il s’agisse de l’entretien des terres et des paysages, du maintien de la biodiversité ou d’autres actions agro-environnementales.
Dans les zones de montagne, par exemple, l’agriculture constitue une activité économique essentielle, qui engendre des emplois directs et indirects. Elle permet de lutter contre la désertification et préserve la diversité des différents terroirs européens, grâce à l’ancrage des hommes dans les territoires.
La future PAC devra donc s’attacher à soutenir la production de ces biens publics, en favorisant le maintien ou la création de petites exploitations.
L’instauration d’un régime de soutien, simple et spécifique, applicable aux petites exploitations, sur le modèle de celui qui a été présenté par la Commission européenne, pourrait constituer un début de réponse. Encore faudra-t-il que ce régime prenne en compte la spécificité des territoires et les contraintes qui peuvent peser sur les exploitants !
En somme, la PAC a un véritable rôle à jouer en termes de cohésion sociale et territoriale dans nos régions. Si les moyens et la volonté sont suffisants, elle peut contribuer à atténuer les déséquilibres territoriaux et à améliorer la vitalité et le potentiel économique des zones rurales.
La question de l’environnement devra, de toute évidence, être au cœur de la future PAC, mais avec un traitement équitable et uniforme sur l’ensemble du territoire européen. Il ne peut pas y avoir de traitement différencié, et donc de concurrence, dans ce domaine, entre les États membres.
En effet, l’avenir de l’activité agricole est intimement lié à la préservation des ressources naturelles et aux efforts environnementaux des agriculteurs, qui ont, eux aussi, à y gagner, en termes tant de capacité productive de leurs terres que de qualité de leurs productions.
Intégrer une composante écologique obligatoire dans les paiements directs, comme l’a préconisé la Commission, semble une idée intéressante.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme Renée Nicoux. Quant à l’éco-conditionnalité, il nous semble également intéressant de la maintenir, pourvu qu’elle revête un caractère de valorisation du travail, et non plus seulement de sanction, comme c’est trop souvent le cas actuellement.
Pour être efficace, ce « verdissement » du premier pilier devra intervenir dans un cadre contractuel et territorialisé, ce qui ne semble malheureusement pas être l’orientation choisie par la Commission.
Il est évident que le respect des normes environnementales, justifiant des prix plus élevés, permettra à nos agriculteurs de valoriser leurs productions. En effet, il est faux de dire que seule la compétitivité en termes de prix permettra à l’agriculture européenne de survivre.
La compétitivité doit être appréciée à l’aune d’autres critères, notamment qualitatifs, sociaux et environnementaux, les consommateurs s’attachant de plus en plus à la qualité des produits plutôt qu’à leur prix. Cela n’est vrai que dans une certaine mesure, bien évidemment, mais la réussite actuelle, même en temps de crise, de la filière de l’agriculture biologique est une illustration de ce fait.
Cette recherche de qualité devra aller de pair avec une amélioration de la traçabilité et de l’étiquetage des produits.
En conclusion, les différentes propositions de la Commission européenne semblent aller dans le bon sens, avec une orientation de la PAC vers plus d’équité entre agriculteurs et entre États membres et des soutiens davantage ciblés sur l’environnement, le changement climatique, les petites exploitations, l’installation, ainsi que les marchés locaux ou régionaux.
Cependant, le démantèlement de la PAC auquel nous avons assisté ces dernières années nous amène à être plus que sceptiques quant à la mise en œuvre concrète des priorités affichées. En effet, la plus grande difficulté reste devant nous : trouver un accord entre les États membres pour parvenir à un règlement accepté par tous et dégager des moyens à la hauteur de l’ambition affichée, à l’heure de l’austérité budgétaire. Les bonnes volontés existent, mais l’Europe doit maintenant se donner les moyens de leur donner une portée concrète. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Mayet.
M. Jean-François Mayet. Monsieur le ministre, je souhaite tout d’abord saluer la politique que vous conduisez pour répondre à la crise que traverse l’agriculture, notamment par la mise en œuvre, l’année dernière, d’un plan de soutien.
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ainsi que les différentes initiatives prises sur votre instigation à l’échelon communautaire en vue de la mise en place d’outils d’intervention et d’une meilleure régulation des marchés des produits agricoles sont pertinentes et bienvenues.
L’année 2011 sera essentielle pour l’avenir de la PAC. Dans la perspective des travaux et des négociations que vous conduirez à ce titre, je souhaite évoquer les préoccupations des agriculteurs de mon département.
S’agissant tout d’abord du maintien du budget agricole communautaire, la communication de la Commission a réhabilité la production et la sécurité alimentaires en tant que premiers objectifs de la PAC. Pour les atteindre, il faut disposer d’un budget à la hauteur des ambitions affichées.
Dans mon département, grâce aux références économiques issues des réseaux ROSACE, les soutiens sont à la limite de ce qui est nécessaire pour assurer la viabilité de la plupart des systèmes d’exploitation dans un contexte de forte progression des charges. Or, à mi-parcours de la réforme de la PAC, la « ferme Indre » a déjà perdu 13 millions d’euros sur les 134 millions d’euros dont elle bénéficiait auparavant.
De plus, dans notre département, 480 agriculteurs sont éligibles au dispositif d’accompagnement spécifique. L’importance de ce nombre révèle la situation fragile d’un grand nombre d’exploitations.
Une autre source d’inquiétude tient à la volatilité des cours, due à la mondialisation de l’économie : elle provoque une instabilité des cours à laquelle les exploitations de notre département, le plus souvent de type familial et occupant une ou deux unités de travail humain, ou UTH, sont incapables de faire face.
Les distorsions de concurrence liées à la mise en place de normes européennes exigeantes, induisant une perte de compétitivité par rapport aux produits importés, constituent également un motif de préoccupation. Les mêmes normes devraient s’appliquer aux produits agricoles européens et aux produits en provenance des pays tiers, que ce soit en termes d’hygiène, de pesticides, de santé ou de bien-être des animaux.
La redéfinition des zones défavorisées ne manque pas non plus de susciter des inquiétudes. Dans notre département, par exemple, les aides spécifiques destinées à compenser l’existence de handicaps naturels sont indispensables, notamment pour appuyer l’installation de jeunes agriculteurs. Il est essentiel que le nouveau zonage n’exclue pas les territoires comprenant des sols présentant un handicap naturel, que ce soit pour faire de la culture ou de l’élevage, car dans le cas contraire l’activité agricole y serait fortement déstabilisée.
Par ailleurs, les réformes qui se sont succédé n’ont jamais tenu compte du caractère de « zone intermédiaire » commun à une quinzaine de départements agricoles. Il s’agit de zones de transition entre plaine et montagne, de zones mixtes qui ne sont spécialisées ni en élevage ni en grandes cultures, mais où les exploitations de polyculture-élevage sont très dépendantes de la PAC et restent souvent à l’écart des mesures destinées à favoriser l’une ou l’autre de ces productions.
J’évoquerai enfin la dépendance des éleveurs du bassin allaitant par rapport au marché italien : on constate en effet, depuis un certain nombre d’années, au gré des crises sanitaires, un accroissement des difficultés de commercialisation, vers l’Italie notamment.
Monsieur le ministre, pour répondre à ces préoccupations, plusieurs pistes peuvent être envisagées.
En premier lieu, des mesures plus efficaces de régulation des marchés pourraient être mises en œuvre.
Il s’agirait de mettre en place des mécanismes flexibles pour toutes les productions stockées, de renforcer le pouvoir de marché des producteurs par leur regroupement, pour contractualiser sur les volumes et sur les prix dans un cadre sécurisé, d’améliorer la connaissance et la transparence des marchés dans toute l’Europe en matière de volumes et de prix, car seule la transparence permettra un partage équitable de la valeur ajoutée, de garantir au consommateur européen le même niveau de sécurité alimentaire pour les produits importés que pour les produits issus de l’agriculture communautaire.
En second lieu, un dispositif de paiements directs pour toutes les productions, plus simple, plus lisible, avec une harmonisation des normes dans toute l’Europe, pourrait être instauré. Pour cela, plusieurs corrections doivent être apportées à la situation actuelle.
Il faudrait d’abord, tout en prévoyant une période de transition, sortir du système sclérosant des droits à paiement unique. En effet, fondé sur les références de 2000, de 2001 et de 2002, il est de plus en plus décalé par rapport à la réalité du terrain.
Au sein du premier pilier, l’aide complémentaire verte doit être construite, en termes de contraintes, sur le modèle de l’existant, notamment celui des bonnes conditions agro-environnementales.
Les soutiens couplés doivent être suffisants pour mobiliser des aides, notamment pour l’élevage au sein du bassin allaitant, l’économie de ces zones étant très fragile et très dépendante de l’agriculture.
Par ailleurs, il est nécessaire de mettre en place un dispositif permettant de prendre en compte les handicaps de certaines zones. Par exemple, mon département, dont 82 % de la superficie est classée en zone défavorisée, se trouve pénalisé depuis le début de l’histoire agricole contemporaine.
Enfin, la politique de développement rural doit prendre en considération les spécificités des territoires pour y favoriser l’installation de jeunes agriculteurs, la modernisation des exploitations en place et l’innovation. Elle doit être souple et dotée d’outils adaptables aux contextes locaux. Ainsi, une simplification de la mise en œuvre des mesures agro-environnementales élaborées localement aurait un intérêt certain pour les bassins de captage dans mon département.
Il en va de même pour le soutien aux filières territorialisées, dont plusieurs peuvent être des sources importantes d’emplois, telles, dans l’Indre, les AOC caprines, la lentille verte du Berry, la pisciculture de la Brenne, l’engraissement de taurillons.
Monsieur le ministre, je sais que votre mobilisation en faveur de la mise en place d’une politique agricole commune plus conforme aux attentes de nos agriculteurs français est totale, dans le droit fil de l’« appel de Paris » lancé sur votre initiative, voilà plus d’un an.
Les préoccupations et les propositions que j’ai évoquées, illustrées par le cas de mon département, se retrouvent, vous le savez bien, à l’échelon national. Au nom de l’ensemble de nos agriculteurs, je vous remercie par avance de votre action. Nous savons pouvoir compter sur vous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de même qu’il ne faut pas laisser aux sénateurs médecins l’exclusivité des interventions sur la politique de santé, il faut éviter de laisser aux élus des territoires ruraux le monopole des interventions sur la politique agricole. (Sourires.) C’est pourquoi l’élu urbain que je suis a souhaité prendre la parole dans un débat qui, en vérité, nous concerne tous.
Aujourd'hui, l’avenir de la PAC se trouve au centre des négociations sur les perspectives financières européennes pour la période 2014-2020.
Chacun peut le constater, les objectifs initiaux de la PAC, inscrits dans le traité de Rome, se sont en quelque sorte perdus dans les sables au fil des ans, notamment parce que les dogmes du marché et de la libre concurrence se sont largement imposés. Pourtant, ces objectifs restent tout à fait d’actualité. En effet, la PAC devait permettre d’assurer un niveau de vie décent à la population agricole, de stabiliser les marchés, car les fluctuations incessantes des prix dues à la spéculation financière menacent en permanence la sécurité de nos approvisionnements, et d’assurer des prix raisonnables aux consommateurs.
Le 17 novembre dernier, le nouveau commissaire européen à l’agriculture et au développement rural, Dacian Ciolos, a donc présenté une communication prévoyant des orientations pour une nouvelle PAC de l’après-2013. La discussion est lancée dans toute l’Union européenne sur cette base et le débat que nous entamons ce soir contribuera, je l’espère, à orienter les futures dispositions législatives qui seront présentées par la Commission européenne en juillet prochain.
Dans sa communication, la Commission explique que les marchés agricoles sont aujourd’hui caractérisés par l’incertitude et la volatilité croissantes des prix. Elle semble ainsi reconnaître les effets négatifs du libre marché et de la dérégulation qui ont orienté la PAC ces dernières années.
La Commission souligne la spécificité de l’activité agricole par rapport aux autres activités économiques, l’alimentation étant un bien essentiel à la survie de l’homme. Le rôle premier de l’agriculteur doit bien être la production de nourriture et, étant donné l’augmentation de la population mondiale, il est primordial que l’agriculture européenne maintienne sa capacité de production, contrairement à ce qui a pu parfois être dit.
La Commission souligne également le rôle de l’agriculture dans l’équilibre des territoires, et semble ainsi remettre en question les processus de spécialisation et de concentration des exploitations qui ont caractérisé la PAC ces dernières années. L’activité agricole demeure le « moteur » de l’économie rurale ; elle concourt à l’identité des régions et la PAC doit donc permettre de la pérenniser sur l’ensemble du territoire européen.
La Commission souligne enfin les liens forts qui unissent l’activité agricole et la protection de l’environnement : sans ressources naturelles préservées, il n’y a pas d’agriculture viable ; à l’inverse, sans agriculture, la préservation des espaces naturels n’est pas assurée. La Commission met donc l’accent sur les enjeux multiples, à la fois économiques, sanitaires, sociaux, territoriaux et environnementaux, liés à l’agriculture.
Le groupe socialiste du Sénat ne peut que se réjouir de ces premières orientations, qui semblent renouer avec les objectifs fondamentaux de la PAC : l’indépendance et la sécurité alimentaires, la garantie d’un revenu décent pour l’ensemble des agriculteurs, la cohésion sociale et territoriale, la valorisation de la diversité des terroirs, la protection de l’environnement et la solidarité européenne.
De même, nous approuvons le nouveau principe posé par la Commission d’une répartition des aides plus équilibrée entre États membres et entre filières. C’est, en effet, une nécessité pour que la PAC retrouve sa légitimité. Ainsi, la Commission souhaite mettre en place une réforme tendant à instaurer davantage d’équité, avec un revenu de base pour l’ensemble des agriculteurs européens, une aide supplémentaire pour le « verdissement » de l’agriculture et pour les régions à contraintes naturelles spécifiques, ainsi qu’un plafonnement des aides. Un maximum d’aide pour les grandes exploitations et un soutien minimal pour les petites exploitations seraient ainsi instaurés.
Cependant, le groupe socialiste regrette que la Commission, dans sa communication, n’aborde pas directement la question budgétaire, pourtant primordiale, qui conditionne la mise en œuvre d’une réforme ambitieuse. En ce qui nous concerne, nous sommes favorables au maintien a minima du pourcentage global actuel du budget européen consacré à la PAC.
En outre, le groupe socialiste considère que les propositions de la Commission restent très limitées en matière de régulation des marchés. Elle se contente de prévoir un filet de sécurité en cas de crise. Aucune proposition ne vise à éviter la survenue des crises et à empêcher la volatilité des prix, phénomène que la crise du lait a illustré dans un passé récent.
Nous estimons, pour notre part, que les objectifs de cette réforme ne pourront être atteints que par une régulation du marché agricole à l’échelon tant européen que mondial. Selon nous, il est important de réguler l’offre agricole via des objectifs de production, des indices de prix, des mesures de stockage.
De même, il nous semble nécessaire de revaloriser la place de notre agriculture dans le commerce mondial et dans les politiques de développement. Pour que les échanges commerciaux soient plus justes, chacune des parties doit respecter les mêmes règles du jeu, les mêmes normes sociales, environnementales, sanitaires. En effet, le respect des normes qui leur sont imposées engendre des coûts importants pour les agriculteurs européens, ce qui les empêche d’être compétitifs face aux pays tiers, dont les producteurs ne sont pas tenus par de telles normes.
Nous proposons donc que soit pris en compte, à l’échelle mondiale, un principe de réciprocité dans les échanges alimentaires. À défaut, nous pourrions renforcer le principe de préférence communautaire en instaurant des « écluses tarifaires ». Il va sans dire qu’au sein même de l’Union européenne, nous devons rechercher une harmonisation en matière de droit fiscal et de droit du travail, afin d’éviter les situations de concurrence déloyale internes à l’’espace communautaire.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les messages que je souhaitais délivrer au nom du groupe socialiste à l’occasion de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me féliciter de l’organisation d’un tel débat : nous commençons bien l’année !
Le Sénat démontre ainsi sa capacité de travail, d’anticipation pour répondre aux évolutions amenées par le traité de Lisbonne. La réforme de la PAC conditionne la sécurité alimentaire de l’Union européenne et le maintien des équilibres territoriaux, en particulier dans les zones de montagne, qui me sont chères ! (Sourires.)
Nous avons la chance, dans notre pays, d’avoir pu compter sur des ministres de l’agriculture porteurs d’une volonté politique forte de promouvoir l’agriculture à l’échelon européen. Vous vous inscrivez dans cette lignée, monsieur le ministre, et je m’en réjouis.
Nous avions eu avec votre prédécesseur, Michel Barnier, un débat sur le bilan de santé de la PAC. Sous l’influence de la France, un certain nombre de décisions allant dans le bon sens ont ensuite été prises sur le plan communautaire. La nécessité d’une PAC et du maintien d’outils de régulation a été réaffirmée, même s’il est vrai que certaines aides doivent être réorientées, en particulier au profit des zones défavorisées et des éleveurs en difficulté.
Avec une grande force de conviction, monsieur le ministre, vous avez su convaincre les Allemands de s’engager à nos côtés dans la définition d’une nouvelle politique agricole, ce qui n’était pas forcément évident au départ, et vous avez amené vingt-deux pays membres de l’Union européenne à reconnaître la nécessité d’une régulation. Nous pouvons donc vous faire confiance pour garder le cap de la politique agricole commune et la faire évoluer de manière à répondre aux attentes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire tout en permettant à de petites exploitations agricoles de vivre et de faire vivre l’ensemble de nos territoires.
Il s’agit là d’un enjeu de société, et non de la défense des seuls agriculteurs. L’orateur qui m’a précédé a eu raison d’indiquer que les élus des territoires ruraux ne devaient pas avoir le monopole des interventions sur la PAC, qui est la seule politique communautaire. Ce dernier point m’amène d’ailleurs à souligner que, en matière de dépenses – on reproche volontiers à la PAC de coûter cher –, les comparaisons avec d’autres secteurs sont, pour cette raison, impossibles : par exemple, il n’existe pas de politique communautaire de la recherche, ce domaine étant essentiellement une compétence nationale.
Nous souhaitons tous le maintien d’une politique agricole commune. Il est important de l’affirmer, car la tentation d’une renationalisation a parfois pu se faire jour en Europe.
En ce qui concerne la vocation alimentaire de l’agriculture, je ne prétends pas que le problème se pose dans les mêmes termes que pour notre approvisionnement en métaux et en terres rares, sujet sur lequel la commission des affaires étrangères m’a demandé de rédiger un rapport, mais la sécurité et la qualité alimentaires représentent des enjeux fondamentaux dans un monde dont la population croît rapidement. Ne l’oublions pas, la qualité de l’alimentation conditionne la qualité de la vie, parfois même la survie. M. Bizet regrettait tout à l’heure que la communication de la Commission n’évoque pas suffisamment la finalité alimentaire de l’agriculture : il est vrai qu’il faut y insister.
Une autre vocation de la PAC est la préservation des ressources naturelles et de la qualité de notre environnement. Ce matin même, j’ai plaidé pour le classement par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité des causses des Cévennes, au titre de l’agropastoralisme. En effet, ce sont les agriculteurs qui, par leur travail, ont façonné nos paysages et fait la qualité de notre environnement. L’œuvre de l’homme est indispensable à la préservation des milieux naturels. Il faut en avoir conscience ! Cela étant, sortons d’un faux débat : si l’agriculteur est un acteur de la protection de l’environnement, il ne doit pas être transformé en jardinier. C’est pourquoi il importe de trouver un équilibre entre soutien financier régulé à la production et prise en compte des missions spécifiques accomplies par les agriculteurs au bénéfice de nos sociétés, en particulier dans les zones de montagne. Cela nous ramène aux premier et deuxième piliers de la PAC.
Le lien entre activité agricole et environnement est patent. Récemment, les jeunes agriculteurs se sont réunis en Lozère – c’était là un bon choix de leur part ! –, à la Baraque des Bouviers, pour demander le maintien de l’indemnité compensatoire de handicap naturel, qui est indispensable, et de la prime à la vache allaitante, ainsi que des aides spécifiques à la modernisation des bâtiments d’élevage, à la mécanisation, à l’installation des jeunes. Enfin, ils ont appelé de leurs vœux un soutien aux initiatives innovantes, affirmant ainsi avec force que le monde agricole est capable d’innover sur ces territoires. En un mot, ils veulent une vraie politique agricole.
Monsieur le ministre, vous allez devoir vous battre pour que les pseudo-intellectuels parfois fatigués de certains pays du Nord, qui ne comprennent rien aux problèmes de l’agriculture, ne viennent pas imposer leurs vues. (Sourires.) Vous avez toute notre confiance !
Par ailleurs, la stratégie de Lisbonne a mis en exergue la nécessité d’assurer la cohésion territoriale. À cet égard, je suis le plus heureux des hommes, monsieur le ministre, car le fait que l’aménagement du territoire relève désormais également de vos responsabilités vous permettra de promouvoir conjointement à Bruxelles une vraie politique agricole commune et une authentique politique de cohésion territoriale.
L’Europe a un message à porter : son modèle agricole est exemplaire et permet le maintien de la vie sur l’ensemble de son territoire. Ce modèle, je sais que vous avez la volonté et la détermination de le défendre, monsieur le ministre. Les travaux remarquables réalisés par le Sénat sur ce sujet vous y aideront. L’Europe doit se mobiliser pour construire une société mettant l’homme au cœur des territoires, en particulier de montagne. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Fournier.
M. Jean-Paul Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon la FAO, la demande mondiale en denrées alimentaires augmentera de 70 % d’ici à 2050. La politique agricole commune doit rester la marque d’un esprit de responsabilité assumée à l’égard des citoyens de l’Union européenne et du reste du monde.
Partant du vécu gardois, j’établirai un premier constat : la PAC actuelle n’est pas prioritairement tournée vers l’agriculture méditerranéenne, une agriculture faite de petites exploitations viticoles, de production extensive à forte intensité de main-d’œuvre dans le secteur de l’arboriculture, subissant, pour couronner le tout, une concurrence féroce extra- et intracommunautaire, en raison d’importantes distorsions de charges. C’est là un problème majeur, monsieur le ministre.
Jusqu’à présent, les organisations communes des marchés compétentes s’occupaient spécifiquement de ces productions, tandis que moins de 5 % des fonds du premier pilier étaient consacrés presque exclusivement à des interventions de régulation des marchés.
Les orientations rendues publiques par le commissaire européen Dacian Cioloş, favorables au maintien d’une agriculture sur tous les territoires, semblent plutôt encourageantes. Dans le Sud, l’héliotropisme pèse sur les documents d’urbanisme, la déprise agricole a une ampleur phénoménale. À l’heure du « verdissement » de la PAC, poursuivre la marginalisation de cette agriculture millénaire et performante, qui ne s’est jamais imposée à la nature, serait un contresens !
Des voix s’élèvent, ici ou là, contre l’existence de la PAC, parce qu’elle financerait l’« obésité », le « gras ». Il serait fou que la Commission ne considère pas les fruits et légumes et le vin comme des productions à protéger, et plus encore à promouvoir.
M. Jacques Blanc. C’est le régime méditerranéen ! (Sourires.)
M. Jean-Paul Fournier. Pour ces deux secteurs, la Commission n’envisage pas de modifications substantielles, au prétexte que les réglementations spécifiques seraient récentes. Attention à ne pas écarter de la discussion notre agriculture méridionale, alors que se dessine une nouvelle donne financière fort incertaine ! Elle porte depuis toujours le nouveau modèle agricole prôné par la Commission.
La régulation des marchés, le renforcement de l’organisation des producteurs et le développement rural constituent des enjeux majeurs.
Alors que le budget « investissements » est consommé jusqu’en 2013 et que l’on évoque une contraction budgétaire globale de la PAC à hauteur de 15 % pour la période 2014-2020, nos agriculteurs sont inquiets, et les viticulteurs le sont encore plus ! La France est le premier producteur mondial de vin. Alors que les domaines viticoles représentent 13 % des exploitations nationales, l’enveloppe consacrée à la viticulture se réduit à 2 % du total des subventions agricoles françaises.
Avec l’abandon des OCM spécifiques, la réforme de la PAC aura une incidence directe sur la viticulture française. Même si notre pays n’a pas adopté le régime des droits à paiement unique, toutes les autres décisions relatives aux mesures dites « générales » et « horizontales » affecteront la viticulture.
Monsieur le ministre, est-on capable, aujourd’hui, de prévoir les effets de ces décisions ? Malgré cette perte relative de spécificité, êtes-vous en mesure de nous apporter quelques certitudes quant au maintien d’un budget européen au moins constant pour la viticulture ?
La perte d’ambition régulatrice de la Commission se résoudrait-elle à cette évolution paradoxale : d’abord une campagne d’arrachage volontaire jusqu’à la fin de 2011, ensuite, en 2016 ou en 2018, la fin des droits de plantation, qui auront contribué à la régulation de la production, depuis 1936 en France et depuis 1972 à l’échelon européen ? Vous conviendrez que ce n’est pas très cohérent.
À la lumière des crises successives subies par la filière fruits et légumes et par celle de la viticulture, la nécessité de la régulation des marchés apparaît. La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche que vous avez portée, monsieur le ministre, a permis des avancées techniques sur le plan des relations commerciales. Les agriculteurs du Midi saluent votre pragmatisme et attendent aussi beaucoup de votre action à Bruxelles.
Supprimer toute régulation en amont, c’est d’abord condamner la viticulture à des crises de surproduction et à des chutes de prix ; c’est aussi remettre en cause les efforts qualitatifs de ces dernières décennies. Par ailleurs, l’irrégularité des marchés exige que l’on envisage enfin l’aide au stockage.
De paradoxe en abandon, la Commission ne prévoit pas de mesures viticoles avant 2015 ou 2016, tandis que les programmes d’aide à la viticulture en cours se termineront en 2013. Doit-on comprendre, monsieur le ministre, que la nouvelle PAC scellera définitivement le sort de ce secteur ?
Les viticulteurs et les arboriculteurs du Midi concourent à l’excellence de l’agriculture européenne. Pour continuer, ils ont besoin d’un horizon, de clarté et de considération, au même titre que les agriculteurs des autres filières. Vous portez leurs espoirs, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, messieurs les présidents des commissions, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous adresser mes meilleurs vœux et de vous dire le plaisir que j’ai à vous retrouver aujourd’hui.
Je vous remercie d’avoir décidé de commencer l’année par un débat sur un sujet essentiel, à savoir l’avenir de la politique agricole commune, d’autant que nous entrerons en 2011 dans le vif des négociations avec nos partenaires européens.
En préambule, je voudrais souligner que la politique agricole commune n’est pas un sujet technique ou sectoriel ; elle est d’abord un sujet politique et stratégique. C’est une politique qui engage l’avenir de 12 millions de paysans européens, ainsi que notre sécurité alimentaire et sanitaire. À cet égard, ce qui vient de se passer en Allemagne, où des traces de dioxine ont été détectées dans des aliments pour animaux, doit nous rappeler l’importance de faire preuve de vigilance dans le domaine sanitaire. Enfin, la politique agricole commune engage l’avenir de l’ensemble de nos territoires et présente, à ce titre, un caractère stratégique.
La politique agricole commune est confrontée à un défi nouveau, dont l’importance ne cesse de croître depuis plusieurs mois : celui de la volatilité croissante des prix agricoles mondiaux.
À cet instant, afin que chacun puisse prendre toute la mesure de la situation, je rappellerai quelques chiffres : le prix de la tonne de blé est de 135 euros au mois de juillet 2010 à 260 euros aujourd’hui, et pourrait atteindre 300 euros dans les mois à venir ; le prix de la tonne d’orge a plus que doublé pendant la même période, passant de 105 euros à 220 euros ; celui de la tonne de maïs, qui était de 150 euros au mois de juillet 2009, s’établit aujourd'hui à près de 260 euros. Que dirait-on si le prix du pétrole ou du gaz doublait ou triplait en l’espace de quelques mois ? Nous serions face à une crise internationale majeure. Telle est exactement la réalité de la situation du secteur agricole, telle est la nature du défi auquel est confrontée la politique agricole commune.
Cette volatilité croissante des prix agricoles résulte bien entendu de phénomènes climatiques que vous connaissez tous, qu’il s’agisse de la sécheresse en Russie, qui a conduit ce pays à fermer ses frontières aux exportations de blé en août dernier, ou des désastreuses inondations récemment survenues en Australie. Les prochaines récoltes en Amérique du Sud détermineront si nous aurons ou non à affronter une crise alimentaire dans les semaines à venir.
Cependant, cette réalité physique est aggravée par une spéculation financière inacceptable sur les marchés de matières premières agricoles,…
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Bruno Le Maire, ministre. … qui a purement et simplement pris le relais de la spéculation sur le marché immobilier et sur les marchés financiers, parce qu’elle rapporte davantage. Il n’est pas question de laisser faire, et nous prendrons toutes dispositions nécessaires, dans le cadre du G 20, pour essayer d’encadrer cette spéculation.
Sur ce point, je ne citerai qu’un seul chiffre : sur les marchés agricoles, le volume des encours financiers est quinze fois supérieur à celui des encours physiques ! Cette situation est inacceptable, et je crois que nous pouvons tous nous féliciter de ce que la France ait inscrit la question de la régulation des marchés de matières premières agricoles à l’ordre du jour des travaux du G 20.
Le renforcement de la politique agricole commune est évidemment l’une des réponses à cette spéculation. Je tiens à remercier tous les intervenants, notamment MM. Bizet, Lefèvre et Mayet, qui ont mis l’accent sur la volonté manifestée par la France, au cours des derniers mois, de remettre la question agricole au cœur du débat européen, alors que certains avaient tendance à la glisser sous le tapis, en expliquant qu’elle était devenue secondaire par rapport à des sujets comme l’éducation, la recherche ou les universités. Il n’y a pas de sujet secondaire, et l’agriculture est en tout état de cause une question stratégique pour l’avenir de l’Europe.
La politique agricole commune, aujourd’hui, ce sont 40 milliards d’euros d’aides directes, dont plus de 8 milliards d’euros pour la France, ce sont des mesures de régulation et d’intervention sur les marchés, ce sont des aides absolument indispensables au maintien de certaines activités agricoles. Je pense notamment, monsieur Blanc, à l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, qui représente 520 millions d’euros pour nos agriculteurs installés dans les zones difficiles, en particulier dans les zones de montagne. Le jour où cette aide sera supprimée ou réduite, ne serait-ce que de 20 % ou de 30 %, des milliers d’exploitants, en France et dans toute l’Europe, seront condamnés à mettre la clé sous la porte.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Bruno Le Maire, ministre. Des territoires entiers deviendront alors des déserts économiques et humains. Nous n’accepterons jamais que l’on en arrive à une telle situation ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il existe désormais un consensus sur l’importance essentielle de la PAC. Mesurons le chemin parcouru ces derniers mois : grâce à la position commune franco-allemande adoptée en septembre dernier, grâce à l’« appel de Paris » de décembre 2009, qui a permis de créer une nouvelle dynamique en faveur de la politique agricole commune, grâce aux efforts du Parlement européen, que je tiens à saluer car les eurodéputés, toutes tendances confondues, ont joué un rôle majeur, grâce au rapport Lyon, grâce au travail réalisé par les parlementaires nationaux, notamment par les sénateurs, nous avons gagné la première bataille de la politique agricole commune, en faisant comprendre aux 500 millions de citoyens européens qu’elle était un sujet essentiel. À cet égard, je salue le rapport d’information rédigé par les présidents Jean-Paul Emorine et Jean Bizet, ainsi que par Mmes Bernadette Bourzai et Odette Herviaux : il a contribué à remettre la PAC au cœur du débat.
Cela étant, soyons lucides : si nous avons gagné une bataille, nous n’avons pas encore gagné la guerre. Tous ensemble, nous devons rester mobilisés pour que la politique agricole commune puisse continuer à jouer le rôle qui est le sien depuis maintenant plusieurs décennies.
Dans cette perspective, nous devons d’abord continuer à remettre de l’ordre dans nos propres affaires agricoles et poursuivre les efforts de modernisation que nous avons engagés depuis plusieurs mois. Nous ne serons crédibles, aux yeux des autres pays européens, que si nous commençons par faire le ménage chez nous ! Ceux qui donnent des leçons sans être capables de se les appliquer ne sont guère écoutés par leurs partenaires européens.
C’est pourquoi l’une des premières décisions que j’ai prises, suivie par d’autres allant dans le même sens, a été de revenir sur les aides illégales qui avaient été accordées par certains gouvernements précédents, afin de nous mettre en conformité avec la réglementation européenne. Il est tout de même difficile d’être le premier pays bénéficiaire des aides de la PAC et de réclamer que l’Europe maintienne son soutien à l’agriculture tout en ne respectant pas les règles européennes !
Par ailleurs, nous avons modernisé notre agriculture, notamment grâce à la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche que le Sénat a adoptée voilà quelques mois. La compétitivité de notre agriculture a progressé, et nous avons repris un certain nombre de marchés. Nous venons ainsi d’apprendre que la France était redevenue en 2010 le premier producteur mondial de vin, place qu’elle avait perdue l’année dernière. Je suis heureux de pouvoir vous l’annoncer ce soir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je tiens à dire à ce sujet – Gérard César a beaucoup insisté sur ce point – que la compétitivité n’est pas un mot tabou en agriculture. Cette notion, loin d’être une menace pour les agriculteurs, est au contraire un atout pour eux, puisqu’elle consiste à faire baisser les coûts de production pour augmenter leurs revenus.
J’ajoute que la compétitivité ne relève pas que de la responsabilité des producteurs ; son amélioration concerne toute la filière. Au lieu de pointer systématiquement du doigt les producteurs, il faudrait aussi regarder ce qui se passe du côté des transformateurs, des industriels, des grands distributeurs, afin d’obtenir une réduction des coûts de production tout au long de la filière.
M. Gérard César. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je souligne également que la recherche de la compétitivité n’est pas synonyme d’alignement sur un modèle d’agriculture intensive, qui n’est pas celui que je défends. Je le dis notamment à l’adresse de Bernadette Bourzai, qui s’interrogeait légitimement à ce sujet. Au contraire, la compétitivité est le moyen de préserver notre modèle agricole, caractérisé par la diversité et la qualité des produits, par la présence de l’agriculture sur l’ensemble du territoire, par la valorisation des productions. Je suis tout à fait d’accord avec vous, madame la sénatrice, pour dire que la qualité se paie, et qu’elle doit se payer dans toutes les filières. De ce point de vue, je le reconnais, il y a des efforts à faire.
Dans la filière laitière, la qualité se paie. Le lait qui sert à produire du saint-nectaire, du cantal de Salers, de la tome de Savoie ou du comté est vendu entre 400 et 420 euros la tonne. Ces filières à haute valeur ajoutée n’ont jamais connu de véritable crise.
En revanche, il est d’autres filières où la qualité ne paie pas. C’est un scandale auquel nous devons remédier. Dans la filière bovine, en particulier, il n’est pas normal que le prix de référence soit systématiquement celui de la vache de réforme.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour un éleveur de bovins de race Salers ou Blonde d’Aquitaine, qui produit de la viande de qualité, il est inacceptable que le prix de référence soit celui de la viande de vache de réforme, dont la qualité et les propriétés gustatives ne sont pas les mêmes. Nous voulons remédier à cette situation dans les mois à venir. C’est, je le répète, l’une de mes priorités absolues.
Pour défendre efficacement la politique agricole commune à l’échelon européen, nous devons également être en mesure de formuler des propositions nouvelles. Nous l’avons fait à propos de la filière laitière, en acceptant de renoncer aux quotas laitiers pour essayer de bâtir une nouvelle régulation. Nos propositions en la matière ont été reprises dans le paquet « lait ». Nous avons également été le premier grand État européen à dire qu’il fallait abandonner les références historiques, parce qu’elles sont inacceptables pour un certain nombre de nos partenaires, par exemple la Pologne.
Maintenant que la politique agricole commune a été replacée au centre du débat et son caractère stratégique réaffirmé, que la proposition surréaliste avancée par certains de réduire son budget de 30 % à 40 % a été écartée, de même que l’idée absurde selon laquelle l’agriculture serait moins importante que l’éducation ou l’innovation, quelles perspectives s’ouvrent devant nous ?
La nouvelle politique agricole commune, c’est d’abord cette régulation des marchés pour laquelle je me bats depuis près de deux ans et dont la notion commence, me semble-t-il, à faire son chemin dans les esprits européens.
La régulation ne s’opère pas contre le marché, elle l’améliore ; la régulation n’est pas une notion tombée du ciel, elle découle de la simple observation de la réalité de la volatilité des prix des matières premières agricoles ; la régulation n’est pas qu’un mot, ce sont désormais des décisions concrètes, comme en témoigne le paquet « lait » adopté par la Commission européenne.
Ainsi, lorsque la Commission indique qu’elle est prête à modifier le droit de la concurrence européen, que les producteurs pourront désormais se regrouper jusqu’à représenter 3,5 % de l’ensemble de la production laitière communautaire, il s’agit d’une véritable révolution. Cela signifie que près d’un tiers des producteurs français pourront, s’ils le souhaitent, se rassembler et négocier collectivement, en position de force, le prix du lait avec les industriels.
Je rappelle en effet que, avant ce « paquet lait » et ces décisions en matière de régulation, les producteurs de lait français ne pouvaient pas se regrouper à plus de 400 pour négocier le prix du lait avec des industriels tels que Sodiaal, Danone ou Lactalis.
C’est bien la preuve que la régulation n’est pas qu’un mot et qu’elle se traduit par des actes. La régulation ne tient pas simplement à une meilleure organisation du marché ; elle est aussi une affaire d’équité et de justice pour les producteurs.
La nouvelle politique agricole commune, c’est aussi le maintien des deux piliers, qui, comme l’a rappelé à juste titre Jean-Paul Emorine, est essentiel. Il est également essentiel de refuser dans le premier pilier une aide unique à l’hectare, laquelle n’aurait pas de sens. En effet, les niveaux de développement économique et de rémunération entre les pays européens, ainsi que les systèmes sociaux, restent trop différents pour que nous puissions accepter une aide unique.
Entre la remise en cause des références historiques, que j’approuve parce qu’elle est juste, et l’aide unique à l’hectare, que je refuse parce qu’elle est injuste, nous trouverons une solution équilibrée pour les aides directes.
La nouvelle politique agricole commune, c’est une plus grande légitimité des aides financières apportées aux exploitations, comme vous l’avez tous souligné ici, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes tendances politiques confondues. Une politique qui représente près de 46 % de l’ensemble du budget européen, soit des dizaines de milliards d’euros distribués chaque année, se doit d’être équitable et légitime. Si nous voulons gagner la bataille de la politique agricole commune vis-à-vis des 500 millions de citoyens européens, il faut donner une nouvelle légitimité aux aides directes.
Cette nouvelle légitimité passe par un rééquilibrage du budget entre les États membres. Nous y sommes prêts, nous avons fait un geste en ce sens, comme je l’ai indiqué à nos amis polonais.
La nouvelle politique agricole commune, c’est également ce que le commissaire européen Dacian Ciolos a appelé le « verdissement » de la PAC.
Je suis favorable au verdissement de la PAC, qui ne me fait pas peur, parce que je pense que c’est tout à l’honneur de l’Union européenne de défendre une agriculture respectueuse de l’environnement. C’est une singularité européenne dont nous pouvons être fiers. Ce verdissement nous permettra de gagner la bataille de la légitimité aux yeux des citoyens européens.
Toutefois, il y a verdissement intelligent et verdissement stupide, pour dire les choses clairement.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le verdissement stupide, c’est celui qui stigmatise systématiquement les agriculteurs en expliquant que ce sont eux les pollueurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Voilà !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le verdissement stupide, c’est celui qui rend plus complexe encore un dispositif qui l’est déjà trop.
C’est celui – je le dis avec force – qui oublierait que nous sommes dans un monde ouvert et de compétition, qui céderait – j’aurai l’occasion d’y revenir – devant les négociations commerciales internationales et, par conséquent, signifierait la fin de nombre de nos exploitations en Europe.
Le verdissement intelligent, en revanche, c’est celui qui valorise les efforts des agriculteurs, ceux qui s’orientent vers le respect de l’environnement, qui sont soucieux de la qualité des eaux, qui tiennent compte du bien-être animal. Une fois de plus, c’est tout à l’honneur de l’Europe d’être respectueux du bien-être animal, de veiller à la façon dont sont exploités et traités les animaux dans l’agriculture.
Le verdissement intelligent, c’est celui qui valorise ces efforts et qui reconnaît que les agriculteurs ont été les premiers à développer, à exploiter et à respecter nos paysages.
Le verdissement intelligent, c’est celui qui tend à une simplification des règles. (Mouvements d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Le verdissement intelligent, c’est celui qui est budgétairement possible, financièrement soutenu, …
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. … celui qui aide les agriculteurs et qui les encourage. Ce n’est pas celui qui les brime et qui les empêche d’exercer correctement leur métier ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Tout cela n’est possible, je tiens à le rappeler, qu’avec un budget à la hauteur de nos ambitions. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, la première proposition qui a été faite – une réduction de 30 % à 40 % du budget – était inacceptable. Heureusement, cette idée folle a été abandonnée. Nous sommes aujourd'hui d’accord sur le fait que le budget de la PAC doit être stabilisé.
Je ne suis pas d’un naturel particulièrement méfiant, mais je sais que, dès qu’il s’agit de finances et d’argent, dès que l’on approche du but, les choses deviennent en règle générale plus complexes. Je vous demande donc à tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de m’aider à soutenir l’idée du maintien du budget de la politique agricole commune.
M. Bruno Sido. Nous le ferons !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce maintien est indispensable au soutien de nos agriculteurs et au respect de nos exploitations, tout simplement. (MM. Bruno Sido et Jacques Blanc applaudissent.)
Comment allons-nous procéder ? Quelle méthode allons-nous appliquer ?
Tout d’abord, d’ici à la présentation officielle dans quelques mois par la Commission de ses propositions législatives sur les instruments de la PAC, nous devons impérativement rassembler nos partenaires autour de la position commune franco-allemande.
À cet effet, je recevrai demain mon homologue slovène. Je rencontrerai mes homologues portugais et espagnol dans les prochains jours. Enfin, je me rendrai dans un certain nombre de pays européens dans les semaines à venir. Nous poursuivrons ce marathon diplomatique afin de rassembler et de solidariser le maximum d’États européens autour de la position commune franco-allemande.
À cet égard, l’accord avec la Pologne sera évidemment capital, mais il ne sera pas facile à obtenir. Cela fait des mois que je négocie avec le gouvernement polonais. Ilse Aigner, mon homologue allemande, et moi-même allons conjuguer nos efforts pour essayer d’entraîner la Pologne avec nous.
Pour rassembler nos partenaires, je compte également m’appuyer sur les travaux du Parlement européen. Je recevrai vendredi le rapporteur du Parlement européen sur la PAC et je me rendrai à Strasbourg prochainement pour discuter avec les parlementaires concernés, qui auront tous un rôle majeur à jouer.
En clair, c’est non pas tous les mois ou toutes les semaines, mais tous les jours qu’il faut poursuivre le travail diplomatique qui nous permettra de remporter définitivement la bataille de la politique agricole commune.
Enfin, j’évoquerai deux points importants de notre stratégie européenne et internationale pour l’avenir de la PAC.
Il ne sert à rien de se battre pour la PAC si on ne se bat pas non plus dans le cadre des négociations commerciales et du G20.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il faut aborder les négociations commerciales internationales, notamment avec le MERCOSUR et dans le cadre de l’OMC, sans aucune naïveté et sans aucun complexe. C’est sans complexes que nous devons défendre notre agriculture, refuser les accords qui se feraient au détriment de l’agriculture et ne pas accepter que l’agriculture soit une nouvelle fois la monnaie d’échange dans un marché de dupes entre les pays sud-américains et l’Union européenne.
À ce stade de mon intervention, permettez-moi de rappeler quelques réalités à tous les esprits bien-pensants qui estiment qu’il faut ouvrir tout grand nos frontières à un certain nombre d’États, qui, eux, ne s’empressent pas de faire de même.
Je citerai un premier chiffre : le déséquilibre commercial entre les pays du MERCOSUR et l’Union européenne pour les seuls produits agricoles est de 22 milliards d’euros par an, soit la moitié du budget de la politique agricole commune, et ce avec le régime tarifaire existant.
Je vous laisse imaginer, si le régime tarifaire existant était modifié, mesdames, messieurs les sénateurs, l’ampleur qu’atteindrait notre déficit commercial en matière agricole avec les pays d’Amérique du Sud et les conséquences que cela aurait pour notre agriculture, en particulier pour les exploitations d’élevage en France et en Europe.
M. Yvon Collin. C’est fondamental !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce point est en effet tout à fait fondamental.
Il ne sert à rien de nous battre pour préserver un modèle agricole européen si, dans le même temps, nous ouvrons tout grand nos frontières à d’autres pays qui ne respectent pas les mêmes règles sanitaires ou environnementales que nous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je rappellerai un autre chiffre intéressant, à savoir le coût de production dans le secteur de l’élevage – ce secteur, je le répète, est ma préoccupation majeure – au Brésil et en France. Du fait des règles sanitaires, environnementales et de respect du bien-être animal qui s’appliquent en France, règles auxquelles, comme n’importe quel citoyen européen, je suis attaché – c’est tout à l’honneur de l’Europe de les défendre –, le coût de production par kilo de carcasse dans l’élevage est trois fois plus élevé en France qu’au Brésil. (M. Bruno Sido s’exclame.)
Par conséquent, si nous ne maintenons pas un certain nombre de protections tarifaires et le principe de réciprocité, si nous faisons preuve de trop de naïveté ou d’angélisme, nous ferons peut-être très plaisir à un certain nombre de pays dont nous n’avons pourtant pas à défendre les intérêts. En revanche, nous défendrons mal les nôtres. Or notre rôle est de défendre les intérêts français et européens. (M. Jacques Blanc applaudit.)
J’évoquerai maintenant le G20 et la régulation des marchés. Comme je l’ai indiqué au début de mon intervention, il nous faut lutter contre la volatilité des prix des matières premières agricoles. La France a été le premier pays à placer ce sujet au cœur des débats du G20, ce qui est une très bonne chose.
Pour la première fois dans l’histoire de ce forum ou du G8, les vingt ministres de l’agriculture des pays les plus riches de la planète se réuniront en mai ou en juin prochain. Pour la première fois, nous proposerons un certain nombre de mesures concrètes.
Tout d’abord, nous insisterons sur la nécessaire transparence des marchés, notamment sur les stocks. Comment pourrions-nous en effet lutter contre la volatilité des prix alors que personne ne connaît aujourd'hui avec précision l’état des stocks de blé, de riz ou de maïs dans le monde ? Les spéculateurs auraient tort de ne pas spéculer sur les matières premières agricoles alors qu’il n’y a dans ce domaine aucune transparence, qu’aucune information n’est disponible et qu’il n’existe pas de statistiques coordonnées sur le niveau des stocks. La spéculation se nourrit de l’absence d’informations.
La première des choses à faire est donc d’instaurer de la transparence et de mettre en œuvre des bases de données communes afin de disposer d’informations sur les stocks. L’enjeu est crucial et cet objectif sera difficile à atteindre, car c’est là un sujet stratégique pour des pays tels que la Chine ou l’Inde, mais je pense que nous pouvons progresser.
Ensuite, nous devons travailler à une meilleure coordination des responsables politiques au plus haut niveau. Nous ne pouvons pas admettre que perdure un système qui permet à la Russie, en l’absence d’outil de coordination, de décider unilatéralement, sans prévenir personne, de ne plus exporter de blé, alors qu’elle est l’un des premiers pays producteurs au monde. Cela conduit à une augmentation de 20 % du prix du blé en une nuit ! Cela n’est pas possible. Des échanges d’information et une coordination sont nécessaires.
Enfin, il faut moraliser les marchés financiers qui traitent des matières premières agricoles. Comme je l’ai déjà dit, l’écart entre la réalité physique des échanges agricoles et la réalité financière des volumes traités sur ces marchés est une des raisons de la spéculation et l’un des problèmes auxquels nous devons remédier. Sur ce point, j’ai fait un certain nombre de propositions techniques à nos partenaires américains et j’espère que nous pourrons progresser.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments que je souhaitais vous présenter ce soir.
Pour terminer, je tiens à vous remercier de ce débat, car il est très important que la question de la politique agricole commune soit portée sur la place publique afin que chaque citoyen en France et en Europe, et non pas seulement le Gouvernement, les responsables politiques et les parlementaires, puisse s’en saisir.
À mon sens, il y a derrière la politique agricole commune un modèle politique singulier. Ce modèle permet de lutter contre l’uniformisation des produits agricoles. Il nous permet de refuser d’avoir tous le même régime alimentaire partout sur la planète. Il respecte les exploitations de taille raisonnable. Il permet de prendre en compte l’environnement, la sécurité sanitaire et le bien-être des animaux dans la production agricole.
Certes, c’est un modèle singulier, auquel, il est vrai, nos partenaires américains, sud-américains ou d’autres pays n’adhèrent pas. Il n’en demeure pas moins un beau modèle. Ce n’est pas parce qu’il est peut-être économiquement plus coûteux que d’autres qu’il n’est pas politiquement valable. Ce n’est pas parce que d’autres estiment que seul le prix compte que nous devons nous aligner sur le moins-disant agricole.
Une fois encore, il est tout à notre honneur de défendre à travers la politique agricole commune un modèle de civilisation européen singulier et valable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
16
Nomination des membres de deux missions communes d’information
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la mission commune d’information sur les dysfonctionnements éventuels de notre système de contrôle et d’évaluation des médicaments, révélés à l’occasion du retrait de la vente en novembre 2009 d’une molécule prescrite dans le cadre du diabète, commercialisée sous le nom de « Mediator », et sur les moyens d’y remédier en tant que de besoin.
La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, elles sont ratifiées et je proclame : MM. François Autain, Paul Blanc, Gilbert Barbier, Bernard Cazeau, Philippe Darniche, Jean Desessard, André Dulait, Alain Fauconnier, Mme Nathalie Goulet, M. Michel Guerry, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Christiane Kammermann, M. Ronan Kerdraon, Mme Virginie Klès, MM. Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-Louis Lorrain, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Jean-Jacques Mirassou, Mmes Janine Rozier, Odette Terrade, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe et Alain Vasselle, membres de la mission commune d’information sur les dysfonctionnements éventuels de notre système de contrôle et d’évaluation des médicaments, révélés à l’occasion du retrait de la vente en novembre 2009 d’une molécule prescrite dans le cadre du diabète, commercialisée sous le nom de « Mediator », et sur les moyens d’y remédier en tant que de besoin.
Je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux.
La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, elles sont ratifiées et je proclame : Mme Michèle André, M. Gérard Bailly, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, M. Pierre-Yves Collombat, Raymond Couderc, Mmes Christiane Demontès, Catherine Deroche, MM. Éric Doligé, Jean-Luc Fichet, Mme Jacqueline Gourault, MM. Adrien Gouteyron, Didier Guillaume, Alain Houpert, Dominique de Legge, Mme Valérie Létard, MM. Roland du Luart, Rachel Mazuir, Jacques Mézard, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Charles Revet, Alex Türk, Bernard Vera et Jean-Pierre Vial membres de la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux.
17
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 12 janvier 2011, à quatorze heures trente :
– Débat sur l’édiction des mesures règlementaires d’application des lois.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART