M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la création du Défenseur des droits s’inscrit dans la volonté du Gouvernement et du Parlement d’une simplification administrative et de l’amélioration des relations entre les usagers et les organismes publics. Nous ne pouvons que nous en réjouir et saluer, en particulier, l’excellent travail de notre rapporteur, Patrice Gélard.
Le Gouvernement souhaite instaurer un cadre souple pour permettre à cette nouvelle institution de décider de son organisation. Je comprends cette volonté, mais il me semble que certaines précisions méritent néanmoins d’être énoncées dans la future loi organique. Je pense en particulier aux voies de recours accessibles aux Français ne résidant pas sur notre territoire.
Pendant plus de dix ans, j’ai réclamé, notamment auprès du prédécesseur de Jean-Paul Delevoye, Bernard Stasi, qu’un délégué aux Français de l’étranger soit nommé auprès du Médiateur de la République, mais les réticences étaient alors très fortes. Une telle coordination se justifie pourtant à la fois par la spécificité des problèmes rencontrés par les Français de l’étranger et par l’importance des obstacles auxquels ceux-ci font face pour communiquer avec les organismes publics depuis l’étranger.
Ce n’est qu’en 2009 – nous étions tous, je crois, unanimes sur le sujet – que cette demande a finalement pu aboutir, l’ensemble des dossiers émanant des Français de l’étranger étant désormais centralisés entre les mains d’un responsable unique au sein des services du Médiateur de la République.
M. Christian Cointat. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Si ce dispositif doit sans aucun doute être pérennisé, il peut encore être amélioré.
C’est le responsable du secteur de la justice qui s’est vu confier, en plus de ses autres attributions, la compétence relative aux Français de l’étranger. Le nouveau projet de loi organique nous donne l’occasion de faire mieux, en créant un poste de délégué clairement identifié, ayant les mêmes compétences que les délégués territoriaux sur le sol français, plus proche de nos citoyens expatriés et, donc, plus efficace.
Une telle mesure paraît d’autant plus nécessaire que 90 000 dossiers, qui sont particulièrement complexes, auraient été traités l’an dernier.
Nous pourrions encore aller plus loin, en autorisant les conseillers élus à l’Assemblée des Français de l’étranger, l’AFE, à déposer une réclamation auprès du Défenseur des droits, au même titre que les parlementaires. En première lecture, l’Assemblée nationale a décidé d’étendre aux eurodéputés français cette capacité jusqu’alors réservée aux députés et aux sénateurs. Pour nos compatriotes de l’étranger, en particulier lorsqu’ils résident hors de l’Union européenne, le lien avec les sénateurs ne peut qu’être relativement ténu du fait de l’immensité de la circonscription unique. La plupart des onze futurs députés des Français de l’étranger seront élus de circonscriptions parfois si vastes et hétéroclites que le lien territorial avec leurs électeurs sera là aussi relativement faible.
Permettre une saisine du Défenseur des droits par des élus de l’AFE accroîtrait la rapidité du processus et améliorerait le suivi des dossiers. Cela permettrait également de désengorger les consulats, très sollicités par nos compatriotes et qui n’ont pas toujours les moyens, dans un contexte de restrictions budgétaires, d’assurer un véritable suivi.
Une telle mesure aurait aussi un autre effet positif : elle renforcerait la notoriété, la visibilité de ces représentants élus des expatriés, à l’heure où nous cherchons des solutions pour contrer l’abstention.
Je voudrais aussi souligner ici à quel point la question de l’information est cruciale. Nombre de nos compatriotes, en particulier à l’étranger, ne connaissent pas les possibilités de recours qui s’offrent à eux. En cela, la création d’une entité unique et facilement identifiable, le Défenseur des droits, ouvre de nouvelles perspectives.
J’attire par conséquent votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité de tirer parti de cette opportunité nouvelle pour accroître la communication autour du Défenseur des droits et de l’étendue de ses compétences, notamment par le biais des médias, d’Internet et de nos réseaux à l’étranger – consulats et élus des Français de l’étranger.
Je terminerai mon intervention par un point spécifique, sur lequel je reviendrai lors de la discussion des amendements : celui des déplacements illicites d’enfants.
Vous le savez, j’aurais personnellement souhaité le maintien d’un poste spécifique de Défenseur des enfants, notamment parce qu’il aurait pu jouer, en liaison avec les entités équivalentes à l’étranger, un rôle de médiateur dans les dossiers de protection sociale et juridique d’enfants français à l’étranger, surtout dans les dossiers complexes de déplacements illicites d’enfants.
Il y a de plus en plus d’unions mixtes et, malheureusement, de plus en plus de séparations de parents de deux nationalités différentes. Les décisions autour de l’attribution de l’autorité parentale sont alors toujours très douloureuses. Le cadre juridique international ne permet souvent pas de régler ces problèmes de manière satisfaisante car, au-delà de l’arsenal juridique, c’est l’esprit dans lequel celui-ci est appliqué qui est déterminant. Et cela varie grandement d’un État à l’autre, certains favorisant l’intérêt national plutôt que, hélas ! l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les juridictions françaises négligent parfois ce facteur et acceptent quelquefois un peu rapidement la compétence de juridictions étrangères n’offrant pas toutes les garanties en matière de procédure. Certains États comme l’Allemagne ou les États-Unis disposent d’institutions très efficaces pour épauler leurs ressortissants confrontés à de tels problèmes, alors que, en France, les parents ont parfois l’impression de manquer d’appui solide.
Dans le contexte de la suppression annoncée et attendue du Défenseur des enfants, il me semble que doter le Défenseur des droits d’un véritable dispositif lui donnant une réelle expertise en matière de suivi des dossiers de déplacements illicites d’enfants, pays par pays, constituerait un très bel acquis pour marquer la naissance de cette institution que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’idée de créer un Défenseur des droits est une belle idée dans une démocratie moderne. Dans une proposition de loi constitutionnelle, le groupe socialiste du Sénat avait d’ailleurs proposé que le Médiateur de la République évolue vers un statut de défenseur du peuple. Toutefois, nous avions posé comme condition que ce défenseur soit indépendant, c'est-à-dire que sa nomination soit faite non par le Président de la République, mais par le Parlement. Cette exigence d’indépendance figurait d’ailleurs également dans le rapport du comité Balladur.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait un autre choix. Au lieu de recueillir un large consensus sur cette belle idée, vous vous retrouvez aujourd'hui face à un tollé unanime (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.), qui va bien au-delà des groupes politiques.
Je citerai les propos tenus par Mme Jeannette Bougrab devant la commission des lois de l’Assemblée nationale : « Ce serait un recul de diluer la HALDE au sein du Défenseur des droits. » Une fois nommée à la tête de la HALDE, elle a ajouté : « je me battrai comme une tigresse pour sauver cette institution ». Même devenue ministre, Mme Bougrab n’a, me semble-t-il, pas changé d’avis.
L’actuel président de la CNDS écrivait la semaine dernière au Premier ministre que si la collégialité n’est pas renforcée, « le Défenseur des droits ne présentera pas les garanties d’indépendance et d’efficacité à la mesure de la place qu’il doit prendre au sein de notre démocratie ».
M. Jean-Pierre Sueur. C’est très important !
M. Alain Anziani. Mme Dominique Versini, Défenseure des enfants, ajoutait : « supprimer le défenseur des enfants, ce serait une première en Europe. [...] Aucun enfant n’écrira au Défenseur des droits. Ils ne sauront pas ce que c’est ! ».
Au-delà de ces voix fortes, je citerai la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui, après avoir été saisie par le Gouvernement, a rendu le 4 février 2010 un avis très précis. Elle estime que, « au regard de l’effectivité de la protection des droits, l’institution d’un Défenseur des droits tel que prévu par le projet de loi organique est à la fois – elle employait trois adjectifs durs – inutile, dangereuse et inefficace et [qu’elle] constituerait une régression par rapport aux acquis du système ».
La Ligue des droits de l’homme ou Amnesty International, des institutions auxquelles vous êtes sensible, monsieur le garde des sceaux, ont également fait part de leurs craintes sur cette nouvelle institution fourre-tout. Alors pourquoi un tel tollé ?
D’abord, ce gouvernement n’a pas été capable de proposer une vision claire du Défenseur des droits.
Comment pourrait-elle exister ? Il suffit d’examiner le périmètre des attributions. Le Défenseur des droits a commencé par avoir trois têtes – celles de Médiateur de la République, de Commission nationale de déontologie de la sécurité et de Défenseur des enfants –, puis le Sénat lui en a ajouté une quatrième – la HALDE –, et l’Assemblée nationale une cinquième, avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il a fallu toute la sagesse de la commission des lois du Sénat – je tiens, après Jean-René Lecerf, à en remercier ses membres et son président – pour que nous en revenions à quatre.
Sur la question du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, je rappelle que Mme Dati, garde des sceaux, nous avait assuré du haut de cette tribune que personne n’y toucherait jamais. Mme Alliot-Marie avait tenu à cette tribune le même propos. La parole de ces ministres ne vaut pas grand-chose puisque, quelques mois plus tard, nous avons vu surgir dans le texte le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Je le répète, il aura fallu toute l’influence de notre commission des lois pour revenir à plus de raison.
Face à de tels errements, nous ne pouvons que nous interroger sur les véritables motivations qui sous-tendent ces textes. Vous nous répétez inlassablement qu’il faut faire des économies. (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.) Si, monsieur le garde des sceaux ! Lisez notamment les différents textes qui accompagnent ces projets de loi.
Mon ami Jean-Jacques Urvoas, au cours d’une brillante démonstration à l’Assemblée nationale – vous étiez d’ailleurs présent – a rappelé que, depuis dix ans, ont été créées vingt autorités administratives indépendantes, soit deux chaque année. Parmi les dernières, figurent l’HADOPI, ou Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’Autorité de régulation des jeux en ligne, ou encore le Médiateur national de l’énergie.
Si votre souci est la rationalisation, pourquoi vous en tenez-vous aux autorités administratives indépendantes traitant des libertés publiques ? Il aurait été plus justifié de faire fusionner le Médiateur de la République, non pas avec le Défenseur des enfants, mais avec le Médiateur de l’énergie, puisque ces deux autorités fournissent un même travail de médiation. Mais sans doute l’un est-il plus gênant que l’autre…
D’ailleurs, comment pouvons-nous être sûrs que cette fusion est conforme aux principes de la révision générale des politiques publiques ? Nous avons aujourd’hui cinq institutions dont chacun salue l’efficacité. Nous aurons demain une pyramide bureaucratique, mêlant médiation et contrôle, qui pourrait traiter entre 80 000 et 100 000 dossiers par an ! Vous pensez que cette grosse machinerie sera efficace et qu’elle permettra d’optimiser la gestion des finances publiques. Pour ma part, je ne partage pas votre point de vue.
Je rappelle d’ailleurs que le Défenseur du peuple espagnol, si souvent cité en exemple, traite beaucoup moins de dossiers…
M. Alain Anziani. … puisqu’il existe également des défenseurs provinciaux, qui sont des autorités indépendantes du Défenseur du peuple.
Le dernier point qui attise bien sûr les critiques est celui de l’indépendance. J’ai entendu les propos qui ont été tenus, mais, franchement, pourquoi faites-vous compliqué alors que, si vous l’aviez voulu, vous auriez pu faire simple ?
Permettez-moi de vous faire remarquer que, pour assurer l’indépendance d’une autorité, le mieux est encore de ne pas la rendre dépendante ! Si vous voulez instituer un contre-pouvoir, le plus simple est de faire en sorte qu’il ne soit pas nommé par le pouvoir.
Or, le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République, et ses sous-chefs – j’emploie ce terme qui n’est pas très agréable parce qu’il correspond à la réalité – devront être avalisés par le Premier ministre. Je dis « sous-chefs » parce que ces vice-présidents de collège n’auront de pouvoir que par délégation, ils n’auront pas de droit de vote si le Défenseur des droits est présent, ni le droit de communiquer, ni le droit de recommander, ni même le droit de demander une étude, ni, bien sûr, le droit d’engager des poursuites disciplinaires.
M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est la Constitution !
M. Alain Anziani. Puisque vous évoquez la Constitution, monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous rappeler que la réforme constitutionnelle avait notamment pour but de renforcer les pouvoirs du Parlement. (M. le président de la commission des lois s’exclame.) Or, là où cela aurait pu être rendu possible, on constate justement que le Parlement est privé de toute influence puisqu’il faudra une majorité illusoire, démagogique, des trois cinquièmes pour s’opposer à la nomination. On sait bien qu’une telle majorité ne sera jamais réunie et que, par conséquent, le Défenseur, au lieu d’être la garantie du Parlement, sera bien la créature du Président de la République.
Vous allez me dire – je connais vos arguments – que le Médiateur de la République et le Défenseur des enfants étaient déjà nommés dans ces conditions.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ils ne sont pas nommés ainsi ! Ils sont nommés par le seul Président de la République !
M. Alain Anziani. Un certain nombre d’autorités sont déjà nommées par le Président de la République. On voit bien là les limites de votre ambition : si vous aviez eu pour ambition l’indépendance, si vous aviez eu un peu d’audace, vous auriez fait en sorte que le Défenseur des droits soit nommé par le Parlement…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non ! C’est la Constitution !
M. Alain Anziani. … et vous auriez rompu avec cette tradition monarchique bien française. Je rappelle que, en Espagne, le Défenseur du peuple est désigné par une majorité qualifiée du Parlement.
Je terminerai en faisant état de rapports, de mots, d’expressions, d’une certaine liberté de ton que nous risquons de ne plus entendre. Je prendrai quelques exemples.
Le premier est tiré du rapport du Défenseur des enfants. Mme Versini soulignait : « il existe un principe fondamental selon lequel l’enfant n’a pas à être dans un lieu privatif de liberté s’il n’a pas commis d’infraction. Or un centre de rétention administrative, c’est un lieu privatif de liberté. Par conséquent, un enfant n’a pas à y être ». Le Défenseur des enfants est supprimé !
Le deuxième exemple est tiré du rapport du Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, qui évoquait des citoyens « ballotté[s] par d’incessants changements censés [les] avantager », comme la fusion EDF-GDF. Le Médiateur de la République est supprimé !
Le troisième exemple est tiré du rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Roger Beauvois, son président, y rappelle que les officiers de police judiciaire doivent considérer que toute audition n’exige pas un placement en garde à vue. Il indique même que la commission « a constaté, pour la neuvième année consécutive, la banalisation et le caractère quasi systématique de la pratique des fouilles à nu de personnes privées de liberté, prises en charge par des fonctionnaires de police et des gendarmes ». Il n’y aura plus de CNDS ! (M. le rapporteur et M. le garde des sceaux s’exclament.)
Le quatrième exemple, c’est l’avis qu’a rendu la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, sur la mise en œuvre de tests ADN pour le regroupement familial. En effet, celle-ci a estimé que cette pratique portait atteinte aux droits fondamentaux tels que le droit au respect de la vie privée.
Elle a également dénoncé les pratiques du testing dans les entreprises du CAC 40.
Le dernier exemple est issu du rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue – peut-être celui-ci échappera-t-il provisoirement à cette fusion –, qui dénonce les conditions de la garde à vue.
Monsieur le garde des sceaux, en cinq phrases que j’ai tenu à vous rappeler, ces cinq autorités administratives indépendantes dressaient un inquiétant tableau des libertés publiques dans notre pays et montraient que nous pouvions nourrir quelques craintes à cet égard. À ces craintes, que répondez-vous ? Suppression, fusion, absorption ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je voudrais répondre en quelques mots à chacun des nombreux orateurs qui se sont exprimés sur ce sujet aussi important que passionnant.
Même s’il s’agit d’une deuxième lecture, je rappellerai rapidement le cadre dans lequel se situe notre discussion.
Le constituant ayant décidé de créer un Défenseur des droits, lequel fait l’objet de l’article 71-1 de la Constitution, le Gouvernement et le législateur ont naturellement pour rôle de fixer, dans une loi organique et dans une loi simple, ses attributions, ses modalités d’intervention et les règles de sa saisine.
S’agissant d’une disposition constitutionnelle, il est impossible de revenir sur la création du Défenseur des droits. Que certains d’entre vous, réalisant que cette réforme a permis l’insertion dans notre Constitution d’un titre relatif à la défense des droits, regrettent de ne pas l’avoir votée, je le comprends (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.), mais on ne peut pas vivre que de regrets ! Commencez donc à apprécier à leur juste valeur certaines avancées !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous assumons notre vote !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Sueur, vous l’assumez avec beaucoup de difficulté ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Pas du tout !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous ai tous écoutés sans rien dire ; aussi, je suis certain que vous me laisserez m’exprimer à mon tour ! (Sourires.) Je comprends parfaitement que certains arguments vous gênent, mais sachons nous parler et nous écouter.
Dans son rappel historique des faits, ce dont je le remercie, M. le rapporteur a montré le rôle important qu’a joué dans l’élaboration de ce texte le Sénat, lequel est resté parfaitement fidèle à sa vocation de défenseur des libertés. La Haute Assemblée a fait valoir, me semble-t-il, toutes les potentialités contenues dans la réforme constitutionnelle.
Ainsi, c’est essentiellement sur la base du texte élaboré en première lecture par le Sénat que s’élabore l’institution du Défenseur des droits. C’est un élément important qu’il convient de souligner devant la Haute Assemblée.
Outre qu’elle a créé des règles nouvelles pour la défense des droits et des libertés, sur lesquelles je reviendrai, la dernière réforme constitutionnelle a conféré au Parlement des pouvoirs nouveaux ; désormais, les textes discutés en séance publique sont ceux non plus du Gouvernement, mais de la commission. De fait, le dialogue entre les deux assemblées s’en trouve naturellement et très largement renouvelé.
Ainsi, contrairement à ce que prévoyait le texte initial du Gouvernement, et malgré un avis défavorable de ce dernier, l’Assemblée nationale, comme elle en a la liberté, a décidé d’intégrer parmi les compétences du Défenseur des droits celles qui sont actuellement assumées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Le Sénat a fait le choix, en toute liberté lui aussi, de maintenir sa position. Un dialogue va donc s’instaurer et je souhaite que l’examen en deuxième lecture de ce projet de loi organique et de ce projet de loi simple puisse aboutir à une rédaction acceptable par tous, y compris sur l’ensemble des autres sujets qu’a évoqués M. Gélard, notamment l’organisation interne de la nouvelle institution.
Je veux simplement dire à M. le rapporteur que, en l’occurrence, la position du Gouvernement est de s’en tenir uniquement aux règles fixées par la révision constitutionnelle de 2008 et qu’il souhaite par conséquent que la loi organique demeure dans ce cadre.
M. Sueur, comme à son habitude, a fait une intervention brillante,...
M. Richard Yung. Et juste !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … extrêmement importante, même si elle n’était pas toujours convaincante…
M. Richard Yung. Si !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … car on ne peut pas être bon tout le temps ! (Sourires.)
Je voudrais revenir sur la notion d’indépendance, qui a été beaucoup agitée à propos du Défenseur des droits. Celui-ci sera-t-il indépendant ou non ? Comment cette indépendance se caractérisera-t-elle ?
Dans son intervention, M. Lecerf, que je remercie, a dressé un tableau complet de la réforme intervenue en 2008 en matière de défense des droits et des libertés. Outre qu’elle a créé le Défenseur des droits, cette réforme, plus généralement, a – enfin, serais-je tenté d’ajouter – introduit dans notre droit positif le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception. Personne ne peut nier que ce soit un progrès pour la défense des droits et des libertés !
M. Robert Badinter. Je l’ai attendu vingt ans !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Badinter, je m’incline bien volontiers devant vous ; il est simplement dommage que vous n’ayez engagé cette réforme lorsque vous étiez au pouvoir !
M. Robert Badinter. C’est le Sénat qui l’a refusée !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je reconnais qu’il faut parfois savoir convaincre le Sénat (Sourires sur les travées de l’UMP.) ; c’est d’ailleurs ce que j’essaie de faire chaque fois et je suis certain que vous m’y aiderez encore cette fois-ci.
Qu’on le veuille ou non, ce sont tout de même ce gouvernement et ce parlement qui ont créé le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception ! Personne ne niera que cette réforme modifie radicalement, de fond en comble, notre droit. Ainsi, c’est à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité que le Sénat examinera, dans quelques jours, au début du mois de février, le projet de loi relatif à la garde à vue de manière à réformer entièrement celle-ci afin de la rendre conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,…
M. Christian Cointat. Bravo !
M. Christian Cointat. Très bien !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pareillement, quelques jours plus tard, le Sénat sera amené à débattre d’un projet de loi sur le respect de la liberté des personnes placées de façon automatique ou autoritaire en établissement psychiatrique. On compte 70 000 cas par an ! Ce n’est pas de la théorie, c’est extrêmement concret ! C’est le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception qui a conduit à la rédaction de ce texte.
M. Christian Cointat. Tout à fait !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je pose la question : peut-on douter de l’indépendance du Conseil constitutionnel ? Non !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. Si !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Les membres du Conseil constitutionnel sont nommés soit par le Président de la République, soit par le président de chacune des assemblées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Ils sont nommés, comme beaucoup d’autres !
M. Anziani est parvenu à citer probablement soixante-seize fois Mme Versini. J’ai bien compté !
M. Alain Anziani. C’est votre amie !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est la première fois que vous citiez soixante-seize fois Mme Versini. (Sourires sur les travées de l’UMP.) C’est une conversion tardive ! Cela dit, mieux vaut tard que jamais !
M. Alain Anziani. Je ne l’ai citée qu’une seule fois !
M. Jean-Pierre Sueur. Il ne l’a en effet citée qu’une fois !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cela veut dire que, toutes les autres fois, j’ai compris qu’il la citait sans même qu’il prononce son nom, ce qui revient au même. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Vous êtes habitué à entendre des voix ! (Même mouvement.)
M. Charles Gautier. On en a hospitalisé pour moins que ça ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pour quelqu’un qui vient d’Orléans, monsieur Sueur, je vous accorde bien volontiers qu’il est habituel d’entendre des voix – et avec sainte Marguerite cela fonctionne toujours ! (Même mouvement.)
M. Jean-Pierre Sueur. Alors ce sont des grandes voix !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Bien entendu !
Actuellement, le défenseur des enfants, comme le président de la HALDE, est nommé directement par décret en conseil des ministres sans même que le Parlement intervienne dans le processus, ce que l’on peut regretter. Désormais, celui-ci sera partie prenante, même si certain peuvent considérer que ce n’est pas suffisant.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous l’avons dit !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Qu’est-ce qui fonde l’indépendance de ces autorités administratives ? Deux éléments : d’une part, le mandat de leurs membres n’est pas renouvelable…
Mme Nathalie Goulet. C’est embêtant !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame Goulet, certes, j’en suis bien certain, l’idée même de renouvellement conduit parfois à la sagesse,… (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Assurément !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … mais, les mandats de ces membres n’étant pas renouvelables, ces derniers y gagneront une totale indépendance, car ils ne seront pas amenés à espérer être reconduits dans leurs fonctions. C’est dans notre tradition française et c’est ce qui fonde l’indépendance.
Par ailleurs, et c’est le second gage d’indépendance, qui peut penser, comme l’a très justement souligné M. Lecerf, que quelqu’un qui aurait essuyé un avis négatif d’une commission du Parlement puisse avoir l’autorité suffisante pour accepter d’être nommé ? Personne, bien entendu !
Monsieur Mézard, par un véritable effort dont je tiens à vous remercier, vous vous êtes livré à une analyse honnête du texte, laquelle vous a conduit, sauf sur un point, à rejoindre l’avis de la commission. Le Défenseur des droits, comme vous l’avez justement souligné, aura, dans chacun de ses domaines de compétences, à utiliser les outils et les moyens les plus adaptés pour traiter les cas qui lui sont soumis. À raison, vous avez souligné qu’il faut penser aux droits à défendre plutôt qu’aux institutions à défendre. Je vous remercie de l’avoir dit.
En créant le Défenseur des droits, le constituant n’amoindrit pas les autres autorités : il les rassemble dans une autorité de rang constitutionnel. Comment peut-on en même temps prétendre être le meilleur défenseur des droits et affirmer que le regroupement des compétences exercées par différentes autorités administratives indépendantes dans les mains d’un unique Défenseur des droits ayant rang constitutionnel et disposant de pouvoirs nouveaux et renforcés aurait pour conséquence de nuire à la protection de ces droits ? Monsieur Mézard, je vous remercie d’avoir rappelé cette vérité.
Madame Borvo Cohen-Seat, sur un point, je suis parfaitement d’accord avec vous.