M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En espérant qu’il ne sera pas adopté !
M. Alain Anziani. La transparence ne peut pas s’arrêter aux portes du Sénat. Le groupe de travail sur le droit des campagnes électorales a proposé à l’unanimité d’étendre le compte de campagne aux élections sénatoriales. Nous le savons : cette disposition fait débat dans tous les groupes. Pourquoi le cacher ? Elle est pourtant incontournable. Comment justifier que les sénateurs imposent le compte de campagne à presque toutes les élections sauf à l’une d’entre elles : la leur ? Pourquoi tout le monde, sauf nous ? Bien sûr, de nombreux arguments nous sont opposés, entre autres la spécificité du Sénat. Ces mêmes arguments ont dû être avancés lorsqu’il s’est agi de réduire de neuf ans à six ans la durée du mandat sénatorial. Je pense qu’ils n’étaient pas davantage valables.
Une autre question a fait l’objet de nombreuses discussions. Le texte qui nous est soumis réduit à dix-huit ans l’âge d’éligibilité des députés. Par ricochet, il conduit à permettre d’être candidat à ce même âge aux élections européennes ou même à l’élection présidentielle.
Le Sénat doit-il en tirer des conclusions en ce qui le concerne ? Il est vrai que, constitutionnellement, les sénateurs sont les représentants des collectivités territoriales, sauf que, juridiquement, nul n’est obligé de disposer d’un mandat local pour être élu au Sénat. Il y a là une petite contradiction. Il me semble que nous devons nous aussi progresser sur ce sujet et nous poser cette question de bon sens : faut-il être plus sage pour être sénateur que Président de la République ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cet écart existe actuellement !
M. Alain Anziani. Je sais que cette question est délicate. Peut-être pouvons-nous considérer que, pour des raisons de principe, il ne peut y avoir une différence aussi nette. Pour notre part, nous nous rallierons à l’âge canonique de vingt-quatre ans (Sourires.) proposé par M. le rapporteur. Nous le ferons avec toute la sagesse que nous confère notre statut de sénateur !
Pour terminer, je voudrais aborder une question non pas taboue, mais qui est toujours traitée avec prudence, question que j’ai déjà évoquée en commission.
Nous proclamons tous notre volonté de transparence et d’égalité entre les candidats, mais nous acceptons l’opacité et l’inégalité en ce qui concerne la réserve parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.) Selon qu’un parlementaire appartienne à un groupe ou à un autre,…
Mme Nathalie Goulet. Même pas !
M. Alain Anziani. … à une commission ou à une autre, …
Mme Nathalie Goulet. Même pas !
M. Alain Anziani. … selon qu’il soit en campagne électorale ou non, il se voit déléguer le pouvoir de distribuer des subventions dont le montant varie, si j’ai bien compris, de un à dix. Si nous voulons de la transparence et de l’égalité, commençons par nous occuper de nos affaires et par mettre fin à ce véritable scandale que constitue dans nos assemblées l’inégalité profonde entre les parlementaires face à la réserve parlementaire. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
M. Yvon Collin. Nous avons progressé !
M. Alain Anziani. Je sais que des progrès ont été accomplis, mais il manque toujours l’essentiel : la transparence et l’équité.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai commencé mon propos en évoquant le décalage qui existe entre les Français et leurs élus. Je terminerai en disant que ce décalage repose malheureusement parfois sur une méconnaissance du travail de l’élu.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Alain Anziani. Il repose également sur un antiparlementarisme qui est toujours un peu présent, mais parfois aussi sur des réalités et des scandales. Il ne doit jamais naître d’une complaisance que nous aurions envers nous-mêmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder l’examen de ces trois textes, je tiens à saluer la qualité du travail de M. le rapporteur de la commission des lois, ainsi que l’énergie dont il a fait preuve pour améliorer ces textes.
Je ne m’attarderai pas sur la ratification de l’ordonnance du 29 juillet 2009 relative à l’élection des députés par nos compatriotes établis hors de France si ce n’est pour souligner, comme d’autres l’ont fait avant moi, que le découpage choisi n’est sans doute pas le plus pertinent. Je constate en effet qu’il aboutit à d’importants écarts de population entre les circonscriptions, parfois même au détriment de la cohérence géographique.
Je ne peux également que déplorer un certain manque de clarté en ce qui concerne le choix du lieu de vote, l’unicité du plafond des dépenses de campagne et l’absence d’obligation de résidence pour les candidats, laquelle ne manquera pas de conduire trop de candidats hexagonaux à se présenter à ce qui s’apparentera à une session de rattrapage pour représenter les Français établis hors de France.
Mes chers collègues, comme l’a rappelé M. le rapporteur, notre code électoral est aujourd’hui à la fois parcellaire et obsolète. Il est parcellaire, car nombre de dispositions demeurent non codifiées, à commencer par celles qui sont relatives à la transparence financière de la vie politique, lesquelles ne sont pas les moins importantes. Il est obsolète ensuite, dans la mesure où le régime des inéligibilités et des incompatibilités se réfère encore à des fonctions qui n’existent plus, ce qui entraîne de fâcheuses et préjudiciables divergences d’interprétation et, par conséquent, d’application de la loi de la République.
Ce manque de cohérence se retrouve encore dans l’imperméabilité des règles propres à chaque scrutin, qui autorise par exemple qu’une condamnation à une peine d’inéligibilité ne puisse s’appliquer qu’au seul mandat ayant donné lieu à l’infraction réprimée.
On pourrait en dire tout autant des règles relatives aux déclarations de candidature, aux délais de recours contentieux ou encore au mandataire financier.
Cette situation n’est naturellement plus acceptable.
Je rappellerai tout d’abord que la clarté et l’intelligibilité de la loi sont des objectifs de valeur constitutionnelle depuis 1999.
Surtout, ce foisonnement de règles affaiblit la vitalité de notre démocratie, car il facilite les rigidités structurelles de la vie publique en restreignant la liberté d’accès aux fonctions électives à tout citoyen.
Or la transparence, particulièrement financière, des élus de la République est aujourd’hui une attente forte et légitime de nos concitoyens. La suspicion alimente en effet la perte de confiance envers nos institutions. Malheureusement, l’actualité accroît ce sentiment, comme l’ont montré les révélations concernant les mélanges douteux de certains responsables politiques entre intérêts publics et intérêts privés.
C’est précisément ce genre de comportements qui jettent le discrédit sur l’ensemble des représentants de la nation. Et, nous ne le savons que trop bien, une telle défiance fait le jeu des partis extrémistes, aussi prompts à proclamer le « tous pourris » qu’à attiser le rejet des institutions, sans aucune proposition constructive.
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Nicolas Alfonsi. Souvenons-nous des dégâts causés dans les années quatre-vingt-dix par la mise au grand jour des rouages parfois douteux du financement des partis politiques et des nombreux procès qui suivirent. Vous l’avez d’ailleurs rappelé tout à l’heure, monsieur le ministre.
La loi d’amnistie adoptée en 1990 n’avait pas été comprise par l’opinion. Elle avait au contraire attisé la défiance envers des élus perçus comme se plaçant au-dessus des lois. Il avait également fallu trois lois pour enfin mettre en place un début de commencement de moralisation financière de la vie publique.
Aussi, il est heureux que nous n’ayons pas dû attendre d’autres dérives pour moderniser les relations entre l’argent et les élus, au travers des textes qui sont aujourd’hui mis en discussion.
Les préconisations de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et celles de la Commission pour la transparence financière de la vie politique allaient dans le même sens, en suggérant que l’adaptation et la modification des dispositions électorales relatives à l’élection des députés offraient l’occasion de modifier plus largement des dispositifs du code électoral applicables à l’ensemble des élections.
Le rapport de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, la commission Sauvé, fait d’ores et déjà autorité, tant il permet de défricher une terre encore aujourd’hui, hélas ! mal balisée.
Certes, ce rapport ne concerne pas directement les membres du Parlement, en raison de la séparation des pouvoirs. Mais je souhaite que ses conclusions, si elles ne s’imposent pas juridiquement à nous, s’imposent au moins moralement dans leur esprit. La définition proposée du conflit d’intérêt nous concerne tout autant que les autres acteurs de la vie publique, fonctionnaires ou élus.
Nous n’avons d’ailleurs pas attendu pour créer un comité de déontologie, sur l’initiative du président Gérard Larcher, ainsi qu’un groupe de travail, sur celle du président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest. Les premières mesures ont permis, par exemple, de rendre visibles dans notre enceinte les représentants d’intérêts catégoriels venus plaider leur cause auprès des élus.
La notion de transparence est donc essentielle, comme l’avait également mis en avant le rapport Mazeaud sur le financement des campagnes électorales.
C’est dans cette direction que s’orientait initialement la proposition de loi relative à la transparence financière de la vie politique, en instituant un compromis raisonnable, qui offrait la possibilité de sanctionner pénalement un parlementaire en cas de déclaration de patrimoine incomplète ou mensongère à la Commission pour la transparence financière de la vie politique.
On peut regretter que les amendements de M. Copé aient amoindri cette sanction pénale et vidé de son sens une disposition pourtant essentielle.
La commission des lois s’est penchée sur cette question à son tour, sans toutefois modifier le texte adopté par nos collègues députés. Souhaitons que le Sénat aille au bout de la logique en rétablissant pleinement cette sanction.
Le texte qui nous est soumis contient néanmoins des avancées qu’il nous faut saluer. La Commission pour la transparence financière de la vie politique aura parallèlement la possibilité de demander aux parlementaires leur déclaration d’impôt sur le revenu ou d’impôt de solidarité sur la fortune.
À la demande de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements de la vie politique, il est instauré une même date de dépôt pour tous les comptes de campagne à une même élection, que le candidat soit élu au premier ou au second tour.
Les établissements bancaires auront l’obligation d’ouvrir un compte et de mettre à disposition les moyens de paiement pour les mandataires et les associations de financement désignés par les candidats à une élection. La désignation d’un mandataire avant dépôt de déclaration de candidature en préfecture devient obligatoire.
Enfin, un candidat ayant obtenu moins de 1 % des suffrages exprimés et n’ayant reçu aucun don de personne physique ne sera plus tenu de déposer un compte de campagne.
En matière d’inéligibilités, il faut ici rappeler le strict cadrage récemment opéré par le Conseil constitutionnel à propos de l’automaticité d’une telle sanction, au nom des principes de nécessité et d’individualisation des peines. Le juge électoral doit, dans tous les cas, conserver une marge d’appréciation quant à l’espèce.
À cet égard, il est heureux que notre commission ait aligné le droit électoral sur le droit commun en instaurant une présomption de bonne foi du candidat qui encourrait une inéligibilité et en caractérisant la mauvaise foi par l’intention frauduleuse.
De même, je me félicite qu’une peine d’inéligibilité soit étendue à l’ensemble des mandats que détient une personne.
Notre commission a aussi profité de la discussion de ces textes pour introduire des dispositions relatives au Sénat.
Tout d’abord, faut-il réellement céder à la tentation du « jeunisme » ambiant en abaissant l’âge d’éligibilité aux élections sénatoriales à vingt-quatre ans au lieu de trente ans actuellement ? Je sais bien que Louis XIV a régné avant l’âge de vingt-quatre ans...
Certes, il est toujours sain qu’une démocratie ne reste pas figée et que les représentants de la nation soient au plus près de l’image actuelle de la société. Néanmoins, le cycle électoral quinquennal du couple Président de la République –Assemblée nationale n’est pas de même nature que le cycle de six ans des élections locales. Notre Haute Assemblée doit demeurer déconnectée du rythme de court terme des députés et s’inscrire dans une continuité plus lissée et moins dépendante des fluctuations de l’électorat.
Je n’aurais donc pas été choqué que soit maintenu l’âge actuel d’éligibilité de trente ans, car il garantit un minimum d’expérience et de recul aux représentants des collectivités territoriales que nous sommes.
Par ailleurs, notre commission a supprimé, pour cause d’obsolescence, l’article L. 306 du code électoral, qui laisse aujourd’hui aux candidats aux élections sénatoriales six semaines avant le scrutin pour organiser toute réunion publique de campagne auprès des électeurs.
Une telle modification pourrait sembler marginale. Elle appelle toutefois nos réserves, car est ainsi soumise à notre vote une modification des règles du scrutin seulement six mois avant celui-ci. Mes chers collègues, je crois qu’il n’est jamais bon pour la sincérité du jeu électoral de changer les règles à une aussi brève échéance.
Enfin, la commission des lois a également voté l’extension des comptes de campagne, donc des plafonds de dépenses, pour les candidats aux élections sénatoriales, mais seulement à partir du renouvellement de 2014. On peut se réjouir de cet alignement sur les règles de droit commun, qui évitera certaines dérives.
Vous le comprendrez, ces trois textes contiennent d’indéniables avancées, que les membres de mon groupe et moi-même appuyons. Il demeure toutefois encore des insuffisances. Je regrette par exemple que nous n’ayons pas attendu la finalisation du projet de loi issu des recommandations de la commission Sauvé pour procéder à une remise à plat de l’ensemble des règles électorales et de moralisation de la vie politique, y compris pour les parlementaires.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Nicolas Alfonsi. Aussi, le groupe du RDSE aborde l’examen de ces textes débarrassé de tout préjugé. Tout en constatant des améliorations sensibles apportées par la commission des lois, il déterminera sa position à l’issue de la discussion des articles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Jacqueline Gourault et Nathalie Goulet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons en discussion commune trois textes visant à actualiser les dispositions relatives aux campagnes électorales et aux conditions d’élection des députés, ainsi qu’à introduire de nouvelles exigences en matière de transparence de la vie politique.
On ne saurait mieux dire que M. le rapporteur de la commission des lois. Évoquant ces trois textes, il parlait d’un « amas de réformes disparates » et déclarait : « au vu de leurs enjeux, chacun d’entre eux aurait mérité un examen spécifique. » Pour ma part, j’ajouterai un élément que M. le rapporteur ne dit pas : les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale laissent perplexe, voire créent un certain malaise.
En effet, le Président de la République a diligenté une mission présidée par Jean-Marc Sauvé sur la prévention des conflits d’intérêt dans la vie publique. La commission Sauvé a rendu son rapport, qui doit être suivi d’un projet de loi annoncé pour ces jours-ci, même si nous ne l’avons pas encore vu…
Certes, le rapport Sauvé concerne l’exécutif et les autorités qui en relèvent. Mais comment s’abstraire des propositions de ce rapport quand nous traitons des parlementaires ? À moins de considérer que le texte présenté par MM. Warsmann et de La Verpillière tendrait à éviter de suivre ces préconisations et à élaborer des lois a minima, sans se sentir concernés par des lois applicables seulement à l’exécutif… Ce n’est pas notre option !
La commission des lois a intégré un certain nombre d’amendements par rapport aux textes de l’Assemblée nationale.
À la suite d’un amendement de mon groupe visant à aligner l’âge d’éligibilité des sénateurs sur celui des députés et du Président de la République, désormais fixé à dix-huit ans, la commission, par prudence, a proposé l’âge de vingt-quatre ans. Nous y reviendrons dans le débat, et chacun donnera ses arguments.
La commission des lois a repris les propositions du groupe de travail du Sénat, qui ont été publiées récemment, sur les sanctions et inéligibilités applicables en droit électoral. De même, en matière de renforcement de la transparence dans la vie politique, elle a aggravé les sanctions financières et soumis les campagnes sénatoriales à la réglementation des comptes de campagnes, comme le prévoyait également le rapport du Sénat.
Nous partageons ces avancées, mais elles nous paraissent nettement insuffisantes au regard des exigences de moralisation de la vie politique.
Je centrerai donc mon propos sur les inéligibilités et sur la transparence financière de la vie politique.
Nous le savons tous, la démocratie est en grand danger lorsque des proximités se développent entre les pouvoirs publics et l’argent. En témoignent les nombreuses dérives auxquelles nous avons récemment assisté – je ne les énumérerai pas –, qui démontrent la terrible porosité des frontières entre ces deux sphères.
Face à la multiplication de telles dérives, confortées par une législation lacunaire en la matière, les membres du groupe CRC-SPG avaient déposé une proposition de loi, discutée ici même au mois d’octobre dernier, visant à garantir l’indépendance du pouvoir exécutif vis-à-vis du pouvoir économique. Bien entendu, la majorité a refusé de l’adopter, arguant que l’on verrait « plus tard »…
Tout pouvoir se prête à des abus, et le pouvoir absolu donne à certains des abus une grande envergure. Nous ne mentionnerons pas toutes les affaires qui se cumulent impunément. Mais leur grand nombre rejaillit sur tous les politiques, de manière injuste pour la grande majorité des élus, qui sont bien loin des affaires, mais qui en supportent néanmoins les conséquences. Selon nos concitoyens, c’est l’ensemble de la classe politique qui voterait des lois à son avantage !
Nous avons tous en mémoire les errements des années quatre-vingt et le cortège d’affaires politico-financières.
C’est dans ce contexte que sont intervenues les lois du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique et du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, un arsenal qui se révèle aujourd’hui largement insuffisant face à la croissance des situations de conflit d’intérêt.
Comme le souligne le rapport Sauvé, bien que la France dispose d’une importante législation concourant à la sanction des conflits d’intérêts, celle-ci apparaît obsolète et incapable de prévenir les dérives. D’ailleurs, elle est assez peu appliquée, compte tenu de la proximité entre la justice et le pouvoir politique.
Il est vrai que la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique a mis en place des mécanismes visant à isoler le monde politique du monde des affaires. Son article 3 oblige ainsi les membres du Parlement à établir une déclaration de patrimoine dans un délai de deux mois après leur nomination et dans les deux mois qui suivent la cessation de leurs fonctions. Ils doivent en outre faire état de « toutes les modifications substantielles de leur patrimoine » au cours de cette période.
Le contrôle des évolutions de la situation patrimoniale est assuré par la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Mais, et tout le monde en convient, à commencer par cette commission, elle ne dispose ni des pouvoirs d’investigation nécessaires à l’exercice de sa mission ni des moyens suffisants pour endiguer et sanctionner d’éventuels abus. Dans les rapports qu’elle publie, au moins tous les trois ans, elle demande de manière récurrente à être investie des moyens de contrôle et de sanctions efficaces.
La Commission déplore non seulement une dégradation du respect des délais de dépôt, avec 33 % de défaillants aux dernières élections municipales, mais aussi l’absence de moyens suffisants pour vérifier l’exactitude des montants communiqués.
Dans une lettre qu’il avait adressée à Jean-Marc Sauvé, M. Philippe Séguin, membre de droit de la Commission, regrettait que chacune de ses séances comprenne « des dossiers pour lesquels sa mission ne pouvait être convenablement assurée ». Il dénonçait en outre l’absence de déclaration du patrimoine du conjoint et l’incomplétude volontaire du patrimoine familial déclaré, qui rend « fallacieuse » l’analyse de la Commission. Il déplorait enfin qu’elle ne puisse « demander le montant des revenus ni accéder aux dossiers fiscaux » et qu’elle ne soit pas « destinataire des alertes déclenchées par TRACFIN », c'est-à-dire la cellule anti-blanchiment de Bercy.
Par la suite, à la fin du mois de novembre 2009, Christian Pierre, conseiller honoraire à la Cour de cassation, avait démissionné de la commission. Il avait lui aussi préalablement adressé une longue lettre à ses collègues pour décrire son désarroi.
Son constat est sans appel : « La commission ne contrôle rien. Elle ne fait que recevoir des déclarations. C’est tout. Comme un confessionnal. Ces déclarations peuvent être entièrement fausses sans que rien ne permette d’en détecter l’artifice. »
La messe est dite.
Ainsi, le texte qui a pour objectif premier la transparence de la vie politique ne va pas assez loin et est clairement en recul par rapport à sa rédaction initiale.
L’article 4, qui prévoyait d’exiger que la déclaration de fin d’exercice des fonctions comprenne également le détail des revenus perçus a, malheureusement, été supprimé à l’Assemblée nationale. La raison invoquée était que l’article 5, qui prévoit la transmission à la Commission pour la transparence financière de la vie politique, à sa demande, des déclarations d’impôt sur le revenu et d’impôt de solidarité sur la fortune, devrait suffire à garantir une information plus complète.
Or les dispositions de l’article 4, qui rendaient obligatoire et automatique la transmission des revenus, nous semblaient plus à même de garantir cette information.
De surcroît, l’article 5 prévoit désormais que la Commission pour la transparence financière de la vie politique devra faire la demande de transmission des déclarations d’impôt sur le revenu et d’impôt de solidarité sur la fortune aux personnes intéressées, et que celle-ci ne pourra s’adresser à l’administration fiscale qu’à défaut de réponse de la personne concernée dans un délai de deux mois.
Là encore, le texte fait preuve d’une grande timidité et marque un recul par rapport à la rédaction initiale.
Dès lors, ainsi que l’a souligné le rapport Sauvé, il aurait été préférable, voire indispensable, de mettre en place un dispositif de déclaration d’intérêts distinct du dispositif de déclaration de patrimoine instauré par la loi de 1988. C’est ce que nous vous proposerons de faire par voie d’amendement.
Cette déclaration devrait être publique et mentionner les activités professionnelles des parlementaires comme des membres du Gouvernement et de leurs conjoints, ainsi que toutes leurs fonctions rémunérées ou non et leurs participations dans le capital de sociétés commerciales.
Elle devrait également comprendre le montant des dons et des cadeaux dès lors que ces derniers excèdent un certain plafond fixé par la loi. En effet, la France ne connaît pas de réglementation générale en la matière, contrairement à de nombreux États de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, qui disposent d’un cadre contraignant. La Commission européenne s’est également dotée d’un code de bonne conduite.
Le Gouvernement est prompt à s’aligner sur ce qui se pratique ailleurs, notamment en Europe, mais quelquefois il fait preuve de moins de zèle…
L’amendement de M. Copé et de ses collègues, qui visait à supprimer la nouvelle incrimination pénale en cas de fausse déclaration, relève également d’un procédé inacceptable.
En ce qui nous concerne, nous ne voyons pas d’ambiguïté possible : les élus doivent être sanctionnés dès lors qu’ils ne jouent pas le jeu de la transparence. C’est la moindre des choses par rapport à leurs électeurs.
Nous sommes convaincus de la nécessité d’assurer une transparence financière qui s’applique aux différents aspects de la sphère économique. Nous ne cultivons pas le soupçon tatillon, mais nous voulons instaurer une réelle barrière entre les intérêts privés et les mandats d’élus. Cette barrière sera d’autant plus réelle que les incompatibilités seront claires entre les activités économiques et politiques.
Si nous proposons d’interdire à un parlementaire d’exercer une activité professionnelle, c’est pour une double raison, qui ne tient pas essentiellement à un éventuel conflit d’intérêts, qui justifie, par exemple, qu’un parlementaire ne puisse continuer d’être fonctionnaire et de percevoir à ce titre un salaire versé par l’État.
La première raison qui, selon nous, doit expliquer cette interdiction, que nous défendons, est que l’exercice du mandat de parlementaire requiert un investissement de l’élu à plein temps au Parlement et dans sa circonscription. C’est comme tel qu’il doit être indemnisé. Exercer une activité professionnelle nous paraît aller à l’encontre de la réalité de ce mandat.
Ne pas se couper de sa profession pourrait s’envisager autrement, notamment en limitant les renouvellements de mandats. Nous sommes opposés, nous aurons l’occasion d’y revenir, à la pratique de certains députés qui deviennent sénateurs et installent un « clone » pour les remplacer.
La deuxième raison qui doit expliquer cette interdiction tient à l’égalité de traitement des parlementaires selon leurs origines professionnelles. En effet, un salarié, un ouvrier, un employé, un cadre d’entreprise ou un fonctionnaire ne peut continuer son activité tandis que les professionnels libéraux, les patrons, les professeurs d’université en ont l’autorisation, et ce pour un nombre d’années considérable. Toute justification de l’état actuel du droit ne tient pas. Il s’agit, en fait, de survivance de privilèges participant de l’élitisme croissant d’assemblées censées représenter le peuple. C’est la raison pour laquelle nous défendrons un amendement visant à supprimer la différence de traitement entre les parlementaires.
Je n’ai pas traité de l’ensemble des questions, nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
En conclusion, je souligne que la commission a refusé de retenir le moindre amendement ayant trait à des conflits d’intérêts, au motif que ce sujet sera abordé plus tard, ce que je regrette. Les parlementaires avaient l’opportunité de montrer l’exemple. La majorité n’a pas saisi cette chance. Nous le déplorons et, en l’état actuel, nous ne voterons pas ces textes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)