M. Jean-Pierre Michel. Vous, ou d’autres !
Le préalable à toute chose, et même à une réforme d’ensemble de la procédure pénale telle qu’envisagée dans le pré-rapport de Mme Alliot-Marie – nous l’avons très scrupuleusement examiné en commission des lois avec mon collègue Jean-René Lecerf –, était, de l’avis de tous – procureurs généraux ou membres de comité de réflexion présidé par Philippe Léger, par exemple –, une réforme du statut des magistrats du parquet, afin de les rendre indépendants vis-à-vis du pouvoir exécutif, pour leur nomination comme pour leur régime disciplinaire.
Vous ne l’avez pas fait et vous êtes dans la situation que nous savons. Malheureusement, monsieur le garde des sceaux, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
M. Jean-Pierre Michel. Latin ou pas, c’est bien de cela qu’il s’agit !
Dans l’attente de cette révision indispensable à toute réforme de la procédure pénale – à toute réforme d’ensemble -, nous avons déposé un certain nombre d’amendements tendant à substituer le juge des libertés et de la détention au procureur de la République pour tout ce qui concerne le régime de la garde à vue, après la décision initiale de placement.
Cette solution est la moins mauvaise, mais sans doute pas la meilleure. En effet, le juge des libertés et de la détention ne présente pas aujourd’hui, à mon avis, toutes les garanties nécessaires à l’exercice d’une telle mission. Tout d’abord, qu’est-ce que ce juge ? Par qui est-il nommé ? Il devrait être nommé en conseil des ministres, comme le juge d’instruction. Cela n’est pas le cas. Il peut être déplacé, remplacé et « placé », par le président du tribunal, et affecté à l’exercice de toutes sortes de tâches.
Nous savons parfaitement que ce juge regarde les dossiers très rapidement. Des affaires célèbres ont montré à quel point, dans certains cas, il avait manqué, faute de temps ou des pièces utiles, aux devoirs de sa charge.
Aujourd’hui, certains affirment vouloir lui confier la garde à vue, tandis que d’autres affirment qu’il faut s’en garder, au risque que le juge des libertés et de la détention ne s’en trouve débordé. Il le sera d’autant plus après le 1er août, date à partir de laquelle, du fait encore d’une décision du Conseil constitutionnel, le juge des libertés et de la détention devra contrôler toutes les hospitalisations, d’office ou à la demande d’un tiers, dans les hôpitaux psychiatriques !
Dans un petit département comme le mien, d’après les psychiatres que j’ai rencontrés, cela correspond à environ trois ou quatre déplacements hebdomadaires du juge de Vesoul à l’hôpital psychiatrique !
M. Jacques Mézard. De quoi devenir fou !
M. Jean-Pierre Michel. Comprenne qui pourra ! Les juges feront ce qu’ils pourront ! Même si la réforme est adoptée, comment sera-t-elle appliquée ? Je n’en sais rien !
Nos amendements ont été repoussés en commission des lois. Mes chers collègues, peut-être aurez-vous la sagesse de ne pas suivre l’avis de M. le rapporteur, qui s’est, à cette occasion, départi de sa sagesse habituelle… Dans le cas contraire, vous voterez une loi qui encourra la censure du Conseil constitutionnel, cela ne fait pas l’ombre d’un doute !
Le Gouvernement n’a pas voulu s’interroger sur ces questions à temps. Il a décidé de passer en force !
M. Jean-Pierre Michel. Il a décidé de passer outre !
Monsieur le ministre, je vous pose la question : que se passera-t-il si le Conseil constitutionnel, saisi, censure, avant le 1er juillet, plusieurs articles du présent texte ? S’il s’agit des régimes dérogatoires et de l’audition libre, me direz-vous, nous pourrons nous en passer, et nous promulguerons une « petite loi ». S’il s’agit, en revanche, du rôle du procureur dans les prolongations, les dérogations, les limitations à l’assistance de l’avocat et toutes ces petites dispositions introduites, je le suppose, à la demande des syndicats de police, tout votre texte tombera à l’eau !
J’en appel à vous, chers collègues de la majorité : une telle issue n’est pas celle que vous voulez, et pas non plus celle que nous voulons. Par conséquent, j’en suis convaincu, vous voterez cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, le Gouvernement nous convoquera à Versailles très rapidement, puisque le texte est prêt, déjà voté par les deux assemblées, et nous reviendrons alors ici, dans l’urgence, et voterons une réforme qui, enfin, tiendra debout ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons écouté avec beaucoup d’attention notre collègue Jean-Pierre Michel. En tant que praticien, d’une part, et en tant que parlementaire, d’autre part, il est en effet très avisé sur ces questions, et très expérimenté.
Toutefois, j’avoue ne pas avoir été convaincu par son propos, et même un peu déçu.
Vous affirmez, monsieur Michel, que le Gouvernement a le dos au mur. Je laisserai le ministre répondre sur ce point, mais je n’ai pas le sentiment que le Gouvernement agisse dans la précipitation.
Le législateur, en tout cas, n’a certainement pas, lui, le dos au mur ! Depuis des années, en effet, nous nous sommes préparés au débat d’aujourd’hui. Nous sommes parfaitement sereins et parfaitement informés pour apprécier les dispositions qui nous sont soumises.
En réalité, j’ai de plus en plus l’impression que ce sont les parlementaires de l’opposition qui se trouvent « dos au mur » ! Ne pouvant pas refuser un projet de loi qui – ils le reconnaissent d’ailleurs honnêtement – comporte des avancées très importantes, ils doivent se contenter d’exprimer leurs regrets que le texte loi n’aille pas plus loin.
Mais, mes chers collègues, nous aussi, nous aimerions parfois aller plus loin. Simplement, il faut tenir compte des impératifs de calendrier. (Mme Josiane Mathon-Poinat s’exclame.)
Monsieur Michel, pour défendre votre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, vous faites, me semble-t-il, des interprétations erronées de la jurisprudence et vous raisonnez de manière spécieuse. Vous invoquez trois griefs.
Votre premier grief concerne l’audition libre, réapparue selon vous, à l’article 11 bis du projet de loi, qui ne serait pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Or l’article 11 bis tel qu’il résulte des travaux de la commission est ainsi rédigé : « Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue […] n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
Cela concerne donc le cas où la personne dispose d’une totale liberté de parler ou non et de quitter les lieux. Je ne vois pas pourquoi on empêcherait de telles auditions.
Par conséquent, toute votre argumentation visant à faire croire que l’article 11 bis dissimulerait des mesures de contrainte n’est pas recevable.
Votre deuxième grief porte sur les régimes dérogatoires. Sans doute votre analyse se fonde-t-elle sur le texte qui avait été initialement déposé à l’Assemblée nationale. Mais un certain nombre de modifications importantes ont été apportées depuis, si bien que le texte dont vous êtes aujourd'hui saisis, mes chers collègues, est parfaitement compatible avec la jurisprudence de la Cour de cassation, qui fait elle-même référence aux décisions du Conseil constitutionnel.
Par conséquent, il n’y a, me semble-t-il, plus de problème sur la question des régimes dérogatoires.
Votre troisième grief – j’espère que nous n’allons pas revenir à chaque fois sur le sujet, même si nous pouvons en parler dans le cadre de la discussion de la présente motion – a trait au rôle du procureur de la République.
Là, vous nous entraînez dans un autre débat. Vous affirmez que le procureur de la République n’est pas un juge, puisqu’il est, notamment, une autorité de poursuite. Personne ne le conteste ! Le procureur de la République n’est pas un juge ; en revanche, c’est un magistrat, et il fait partie de « l’autorité judiciaire ».
Mais ce n’est pas le sujet. La question qui nous préoccupe est de savoir si le contrôle de la garde à vue dans les premières heures peut être assuré par un membre du parquet. Et la réponse est oui !
Vous pourrez tirer les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel dans tous les sens, vous ne trouverez aucun motif d’irrecevabilité dans le texte qui vous est présenté.
Toutes ces décisions vont dans le même sens : la personne doit être présentée rapidement ; nous avons évoqué ce matin la « promptitude ». En France, elle sera présentée au bout de la quarante-huitième heure s’il y a besoin de dépasser les premiers délais.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas fixé de délai maximal. On peut supposer qu’elle envisageait plutôt un délai de quatre jours. Comme je l’ai indiqué ce matin à la tribune, quarante-huit heures, c’est deux fois moins que quatre jours !
Par conséquent, il n’y a là aucun motif d’inconstitutionnalité et de contrariété par rapport à des dispositions conventionnelles.
Vous nous avez fait part tout à l’heure de votre conception personnelle, qui est au demeurant respectable. Pour vous, un magistrat qui n’est pas juge ne doit pas pouvoir être chargé du contrôle d’une garde à vue. Vous avez le droit de défendre cette thèse ; simplement, elle va à l’encontre non seulement des décisions jurisprudentielles, mais également de la Constitution, qui s’impose à tous ! M. le garde des sceaux vous en a fait la démonstration.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui est parfaitement conforme à la Constitution. Si, d’aventure, vous défériez ce texte au Conseil constitutionnel après son adoption par le Parlement, je suis à peu près certain – bien évidemment, je ne voudrais pas me montrer présomptueux et anticiper sur la décision des Sages – qu’il ferait l’objet d’une déclaration de conformité.
Au sein de la commission des lois, en tout cas, nous n’avons trouvé aucun motif d’inconstitutionnalité ou de contrariété avec des dispositions conventionnelles.
C'est la raison pour laquelle la commission émet sans hésitation un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Je souscris aux excellents arguments qui viennent d’être développés par M. le rapporteur.
À mon sens, le texte qui ressort des travaux de la commission des lois et dont vous êtes saisis ne présente aucun motif d’inconstitutionnalité, mesdames, messieurs les sénateurs.
J’ai apprécié que M. Michel invoque le vieil adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Voilà qui nous rappelle à tous de très bons souvenirs ! (Sourires.) Mais c’est un principe qu’il faut s’appliquer à soi-même, monsieur Michel…
Nous avons repris à la lettre la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation – je vous renvoie notamment à l’arrêt du mois d’octobre – sur les régimes dérogatoires.
Le débat s’est focalisé, peut-être à tort, sur la question du procureur de la République. Après tout, le projet de loi présente nombre d’avancées sur d’autres sujets, qu’il s’agisse des droits de la personne gardée à vue, de l’interdiction de la fouille à corps ou de la possibilité d’avertir immédiatement non seulement les proches, mais également l’employeur.
Reste que le problème du parquet est soulevé de manière récurrente.
Personne ne prétend que le procureur de la République soit une autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cela dit, ce n’est pas le seul texte qui existe dans notre droit.
Selon la Constitution, c'est-à-dire le texte qui organise et garantit notre vie collective, l’autorité judiciaire est composée des magistrats du siège et du parquet. Le procureur de la République est donc bien un magistrat, même si ce n’est pas un juge. S’il y a une confusion, c’est parce que la Cour européenne des droits de l’homme, au fil de sa jurisprudence, a fini par assimiler juge et magistrat, ce qui ne correspond pas à notre droit.
Dans ces conditions, la possibilité pour le procureur de la République de contrôler la garde à vue dans les quarante-huit premières heures constitue une garantie supplémentaire : c’est un progrès, et non une régression !
C’est ce dont je voudrais convaincre la Haute Assemblée au moment où je l’invite à entrer dans le débat.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 65, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la garde à vue (n° 316, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 4, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour la motion.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons enfin l’occasion de réformer la garde à vue.
On pourrait s’émouvoir de constater qu’il a fallu attendre d’être poussés par les instances européennes pour enfin modifier ce régime tant décrié !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous sommes donc invités à revoir notre copie, et ce avant le 1er juillet 2011. Essayons donc de consacrer le délai dont nous disposons à l’élaboration d’une réforme satisfaisante de nature à nous éviter à l’avenir d’avoir à rougir de notre législation.
Il n’y a donc plus de temps à perdre, monsieur le garde des sceaux.
Cependant, s’il s’agit, comme le laisse penser la lettre de la réforme, de se conformer aux attentes constitutionnelles et conventionnelles, encore faut-il que le texte évolue en ce sens. Or, comme l’a fait remarquer avant moi ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, le chemin est encore long avant d’y parvenir. Surtout si vous vous obstinez à feindre de ne pas comprendre les impératifs qui nous sont pourtant imposés tant par les instances européennes que par notre souci de garantir nos libertés !
Ne vous en déplaise, monsieur le garde des sceaux, le 29 mars 2010, la Cour européenne des droits de l’homme nous a une nouvelle fois rappelé que la conformité de la privation de liberté au paragraphe 3 de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dépendait, entre autres, de son contrôle par un magistrat devant « présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public. » Je ne fais que répéter la jurisprudence pour M. le garde des sceaux et M. le rapporteur…
On ne peut pas lire dans cette motivation autre chose que la condamnation claire et précise de la garde à vue placée sous le contrôle du procureur, qui n’est indépendant ni de l’exécutif (M. le président de la commission des lois s’exclame.) ni des parties, puisqu’il agit également en qualité d’autorité de poursuite !
Vous tenterez certainement – vous avez déjà commencé à le faire, mais en vain – de nous convaincre que les standards européens n’imposeraient pas de retirer au procureur de la République le contrôle des deux premiers jours de garde à vue.
Pour soutenir votre argumentation, vous nous ferez une lecture du paragraphe 3 de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales permettant de considérer que le terme « aussitôt » ne signifierait pas « sur-le-champ » et qu’une « relative rapidité » serait tolérée.
Et vous ferez ensuite état de la jurisprudence strasbourgeoise, en démontrant qu’elle admet un délai de plusieurs jours entre l’arrestation du suspect et sa présentation à un juge. C’est d’ailleurs ce que M. le rapporteur a dit.
De ce fait, vous conclurez que le projet de loi qui nous est soumis respecterait de tels préceptes, puisqu’il ne confie le contrôle de la garde à vue au parquet que durant les premières quarante-huit heures suivant le début de la privation de liberté.
Comme il n’y a pas de temps à perdre, je vous répondrai dès à présent, monsieur le garde des sceaux.
Si la Cour de Strasbourg admet un possible retard dans la présentation de la personne privée de liberté à un membre de l’« autorité judiciaire », c’est uniquement lorsque les circonstances de l’espèce l’imposent.
En d’autres termes, la Cour européenne admet que des circonstances particulières puissent retarder la mise en œuvre du contrôle de la garde à vue par un magistrat indépendant et impartial, mais refuse qu’un tel retard soit érigé en pratique systématique.
Par conséquent, dans la mesure où le procureur de la République n’est pas un « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », le fait de lui confier le contrôle des quarante-huit premières heures de garde à vue revient à retarder de manière systématique la mise en œuvre du principe édicté, ce qui méconnaît « frontalement » les exigences européennes.
Mes chers collègues, après ce récapitulatif, je voudrais attirer votre attention sur le fait que nous sommes contraints de délibérer dans un court délai sur l’une des plus importantes réformes de la procédure pénale de ces dernières années. Mais là n’est pas la difficulté.
Non, la difficulté tient au fait que notre réflexion doit dépasser les quelques dispositions sur la garde à vue pour englober toute la procédure pénale à travers le statut ou, en tout cas, le rôle qu’y tiendra le parquet.
Les magistrats du parquet, nous n’en doutons pas, agissent avec un très grand professionnalisme, en leur âme et conscience. Mais cette conviction, que nous partageons tous, ne suffit pas à contourner les difficultés soulevées quant à leur place dans le système judiciaire.
La nécessité de garantir le déroulement contradictoire, équitable et impartial de la procédure impose une modification profonde, soit des missions du parquet, soit de son statut.
Une modification du statut impliquerait de reformer le mode de nomination de ces magistrats en soumettant leur progression de carrière à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, comme pour les magistrats du siège. Mais cela impliquerait aussi d’anéantir le lien hiérarchique qu’ils ont avec le pouvoir exécutif.
Si l’on s’engageait dans cette voie, demeurerait cependant la question des deux missions jugées incompatibles du magistrat du parquet, à la fois partie au procès et garant des droits de la personne privée de liberté.
Ainsi, il devient plus simple de choisir la première solution et de procéder à une profonde modification des missions du parquet.
Cela implique de confier le contrôle de la mesure privative de liberté à un magistrat du siège. L’indépendance de la justice serait ainsi objectivement garantie. Le parquet resterait une autorité de poursuite et de réquisition à l’audience, mais avec la perspective de voir inévitablement son statut évoluer pour se rapprocher de celui d’une autorité de type préfectoral. (M. le ministre sourit.)
Le débat doit être posé, car les choix que nous serons contraints de faire dans l’empressement les prochaines semaines ne doivent pas nous faire perdre de vue cette problématique, dans la perspective plus lointaine d’une refonte totale de la procédure pénale.
Un autre problème s’impose à nous, et de manière tout aussi urgente, celui de la question cruciale du manque de moyens humains et financiers dédiés à la justice pénale. Le décalage entre les dispositions théoriques du projet de loi et la réalité pratique de la mise en œuvre de ses dispositions doit être gommé.
Tout d’abord, pour que la présence de l’avocat soit effective, une mobilisation des barreaux sera nécessaire. Il faut pour cela leur en donner les moyens !
Une revalorisation de l’aide juridictionnelle est primordiale, car le budget voté, déjà largement insuffisant, se révèle aujourd’hui totalement dérisoire.
Vous devez, dans un premier temps, vous engager à fournir un financement complémentaire suffisant. Ensuite, sera enfin venu le moment de s’attarder sur un autre sujet de discorde, je veux parler de la réforme de l’aide juridictionnelle, dont l’examen ne peut plus être différé.
Nous apporterons des solutions par voie d’amendements, à moins que vous ne votiez cette motion tendant à opposer la question préalable.
De nombreuses questions d’ordre organisationnel se poseront par ailleurs, aussi bien pour les officiers de police que pour les avocats et devront rapidement être résolues. L’avocat contraint d’assister son client pendant tout le temps de la garde à vue, ce qui implique éventuellement de rester sur place la nuit, doit pouvoir compter sur la mise en place de moyens spécifiques.
Enfin, comme nous l’a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l’homme, l’affirmation du principe du respect de la dignité humaine de la personne gardée à vue dans le projet de loi restera lettre morte tant que les conditions matérielles de la garde à vue, notamment les locaux, ne seront pas améliorées.
En effet, mes chers collègues, il est effrayant de constater que tant le Comité contre la torture des Nations unies et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ont dénoncé, respectivement le 20 mai 2010 et le 10 décembre 2007, l’état intolérable de locaux de police, trop souvent vétustes et insalubres.
Toutes ces réalités de terrain doivent sérieusement être prises en considération, car une défense pénale de qualité nécessite que les moyens matériels et humains déployés soient à la mesure de ce que représentent, pour nous, les droits fondamentaux engagés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Mme Mathon-Poinat est très audacieuse lorsqu’elle affirme qu’il n’y a pas lieu de délibérer !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est paradoxal !
M. François Zocchetto, rapporteur. Son raisonnement est extrême, voire paradoxal, comme le souligne M. le président de la commission des lois.
Notre collègue se plaint que le Gouvernement a le dos au mur et, dans le même temps, elle déclare qu’il n’y a pas lieu de légiférer, que l’examen de la question peut être renvoyé à plus tard ! (M. Alain Gournac s’esclaffe.)
Ma chère collègue, opposer la question préalable est sans doute pour vous un passage obligé dans le débat, mais, je le reconnais, l’exercice est difficile dans les circonstances présentes !
Nous connaissons tous la décision du 30 juillet 2010. Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il fixé, ce qui a pu surprendre, un délai jusqu’au 1er juillet 2011 ? Tout simplement parce qu’il a estimé que les conséquences qui découleraient d’une application immédiate de sa décision seraient trop lourdes.
Je le redis, il y a urgence à légiférer : il n’est même pas envisageable de laisser s’installer l’insécurité juridique, faute d’une nouvelle législation.
J’ajoute que les conséquences financières de la réforme ont été évaluées dans l’étude d’impact jointe au projet de loi. Les chiffres varient entre 45 millions et 65 millions d’euros. J’attire l’attention du garde des sceaux sur le fait que les nouvelles dispositions introduites à l’Assemblée nationale, et que nous allons voter, concernant, notamment, la retenue douanière et les régimes dérogatoires, nécessitent d’ajuster à la hausse ce qui est prévu dans l’étude d’impact. C’est la seule remarque que l’on puisse faire ici.
La commission est totalement défavorable à la motion tendant à opposer la question préalable. Il y a au contraire nécessité et même urgence à légiférer, mes chers collègues.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si Mme Mathon-Poinat affirme qu’il n’y a pas lieu d’engager l’examen du texte alors qu’elle pense qu’il y a urgence à délibérer, comme l’a reconnu Mme Borvo Cohen-Seat, qui soutient que nous n’avons que trop tardé, c’est qu’elle utilise toutes les possibilités offertes par le droit parlementaire. C’est un peu paradoxal, mais c’est de bonne guerre…
Je reviendrai simplement sur un point.
Je fréquente assidûment depuis quelques semaines, même si je les rencontrais déjà auparavant, tous les acteurs du service public de la justice : les magistrats du siège, les procureurs, les greffiers, les fonctionnaires, les avocats et tous les autres auxiliaires de justice, que je n’oublie pas. J’éprouve un immense respect pour tous ces professionnels sans lesquels le service public de la justice n’existerait pas.
Les attaques répétées contre le parquet ne sont pas une bonne chose. Jamais un procureur n’a prétendu qu’il était juge ! Le procureur sait qu’il est un magistrat, il sait qu’il joue un rôle constitutionnel. Il est membre de l’autorité judiciaire et doit agir en veillant au respect des libertés individuelles. Le rôle que jouera le procureur dans la garde à vue tient compte du fait qu’il n’est pas juge. C'est pourquoi il n’interviendra que pendant un bref délai, comme l’a voulu la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre dernier.
Oui, nous avons besoin d’un parquet. Oui, nous avons besoin d’un parquet dont les membres sont des magistrats, sinon nous aurions uniquement la police. Ce sont là des garanties qu’il ne faut jamais oublier.
Ce projet de loi est pour moi l’occasion de rappeler notre attachement, premièrement, à l’unicité du corps des magistrats, qu’ils soient du siège ou du parquet, et, deuxièmement, au rôle du procureur en tant que magistrat. Voilà pourquoi nous devons discuter de ce texte et pourquoi le Sénat doit rejeter la motion tendant à opposer la question préalable. C’est ce à quoi je convie la Haute Assemblée.