Mme Annie David. Eh oui !
M. Guy Fischer. Car nous n’oublions pas qu’il s’agit de transposer de nombreuses dispositions de la directive Services, plus connue sous le nom de « directive Bolkestein », et du « paquet télécoms » qui, chacun le sait, participe à l’accroissement de la concurrence libre et non faussée dans un secteur jadis protégé.
C’est d’ailleurs l’objet de l’essentiel de ce projet de loi, aussi divers qu’apparaisse son contenu. Afin d’éviter une convergence des mécontentements et des oppositions, le Gouvernement a opté pour une transposition sectorielle plutôt que transversale, c’est-à-dire pour une transposition métier par métier, et non pas globale, contrairement à ce qui s’est fait dans d’autres pays de l’Union européenne.
Pour notre part, nous ne sommes pas dupes, madame la secrétaire d’État. Nous savons bien que votre projet européen se limite à adapter les législations nationales à la loi du marché, à faire en sorte que l’économie et ses caprices priment les besoins humains et sociaux. C’est d’ailleurs ce constat qui nous avait conduits à nous opposer en son temps à la directive Services et à refuser, comme la majorité des Français, le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe que vous avez imposé et qui consacrait cette prédominance de l’économie.
Je constate avec satisfaction que nous sommes de plus en plus nombreux à penser ainsi, y compris dans cet hémicycle et donc sur les travées de la majorité sénatoriale– même si, au fil du temps, sous la pression du Gouvernement, les réticences se sont atténuées. Il reste que, comme l’a rappelé M. Barbier, en commission des affaires sociales, de nombreux sénateurs de l’UMP se sont vivement opposés à certaines dispositions du présent projet de loi, qu’il s’agisse de la revente d’occasion de matériel médical ou encore des assistants de service social.
Cette opposition s’est me semble-t-il traduite par une situation inédite : aucun des sénateurs UMP membres de la commission des affaires sociales – saisie au fond – n’est intervenu pour défendre ce projet de loi… C’est dire ! Et on les comprend ! Car ce projet de loi, malgré son apparente diversité, son côté «fourre-tout », n’est pas anodin.
Ainsi, l’article 2 prévoit tout simplement de déréguler la revente de matériel médical d’occasion. En effet, la certification de sa conformité – qui est indispensable en cas de revente – ne sera désormais plus exclusivement établie par un organisme habilité par l’AFSSAPS et pourra être confiée à un autre organisme désigné par les autorités compétentes d’un autre État membre de l’Union européenne. Cela risque d’entraîner une dégradation importante des missions de contrôle, car les normes ne sont pas les mêmes dans tous les pays.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exact !
M. Guy Fischer. L’article 2 supprime en outre l’exigence d’une attestation technique pour la revente des dispositifs médicaux d’occasion, laissant au revendeur le soin de justifier de l’entretien régulier et du maintien des performances de ceux-ci.
En somme, on remplace un document administratif d’une certaine valeur, puisque reposant sur l’expertise d’une agence nationale, par une simple déclaration de bonne foi du revendeur : convenez que ce n’est pas sérieux dès lors qu’il s’agit de secteurs qui engagent la santé des patients et la sécurité des utilisateurs.
Quant à l’article 3, vivement contesté en commission des affaires sociales par notre collègue Sylvie Desmarescaux, rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour le secteur médico-social, il prévoit d’autoriser des prestataires européens à exercer de manière temporaire et occasionnelle en France les missions d’évaluation et de contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, des instituts médico-éducatifs, ou IME, qui doivent, vous le savez, procéder tous les sept ans, à des évaluations externes.
L’article 3 vise à dispenser ces établissements de l’habilitation délivrée par l’ANESM. Cette disposition nous inquiète, car elle risque d’avoir des conséquences à la fois sur la qualité du service rendu par ces opérateurs européens et sur les personnes, par nature très fragiles, accueillies dans ces établissements. Elle pourrait aussi affaiblir les établissements nationaux. En effet, si les opérateurs européens sont dispensés de l’habilitation délivrée par l’ANESM – qui est gage de qualité, de sécurité et, disons-le, de sérieux –, les opérateurs français, eux, y demeurent soumis. Cette situation discriminatoire pourrait conduire à la disparition progressive des opérateurs nationaux. C’est un effet logique que nous constatons après chaque manœuvre de dumping social, mais, en l’occurrence, cette disparition risque de ne pas être sans conséquences sur la sécurité et la qualité de vie des personnes vieillissantes ou en situation de handicap.
Et c’est la même logique de concurrence déloyale entre les opérateurs nationaux et européens que vous voulez appliquer à un domaine très particulier du monde de la culture : le spectacle vivant.
L’article 6 permet aux opérateurs privés de se dispenser de l’obligation faite aux opérateurs français de posséder une licence. Or cette licence atteste que l’opérateur de spectacle détient la capacité juridique qui l’autorise à exercer une activité commerciale. Pour l’obtenir, l’opérateur doit suivre une formation de 500 heures, comportant un très important volet sécurité, ce qui n’est pas anodin dès lors qu’il s’agit d’accueillir du public.
En fait, vous remettez en cause bien plus qu’un simple mécanisme d’autorisation. C’est toute une conception du dialogue social, lequel n’est naturellement pas étranger à la qualité du spectacle vivant dans notre pays, qui est menacée dans la mesure où cette licence, parce qu’elle assure le respect du principe de présomption de salariat, permet de lutter contre le travail illégal.
L’article 8, dont nous avions proposé la suppression, contre l’avis du Gouvernement, lequel a malheureusement été suivi par la majorité sénatoriale, prévoit, lui, de supprimer les incompatibilités pour l’obtention de la licence d’agence de mannequins, dont l’objet est d’éviter les conflits d’intérêts qui peuvent se produire au détriment des mannequins. Ces derniers, souvent très jeunes, parfois mêmes mineurs, peuvent être particulièrement fragiles. Il nous semble dès lors impensable d’adoucir les règles censées protéger les mannequins en confiant aux agents le soin de veiller à leurs intérêts alors qu’ils ont au contraire tout à gagner en cas de conflits d’intérêts.
Enfin, comment ne pas souligner le risque que fait peser l’article 10 de ce projet de loi sur le secteur social ?
En effet, celui-ci vise à restreindre de manière importante les conditions d’exercice de la profession d’assistant de service social. Le demandeur ressortissant d’un État membre serait dispensé de justifier de deux années d’expérience en tant qu’assistant de service social s’il a obtenu un titre dans son pays, même si la profession n’y est pas réglementée.
Or, si la profession est réglementée depuis longtemps en France, c’est parce que les pouvoirs publics ont considéré à juste titre qu’il était impératif, pour les professionnels qui accompagnent des personnes connaissant une situation sociale et financière difficile, de disposer d’une formation adéquate. Tous les conseillers généraux, à commencer par les présidents de conseils généraux – ils sont nombreux dans cette assemblée –, connaissent parfaitement cette problématique. Il faut dire que les assistants de service social interviennent auprès de publics déjà très fragilisés, pour qui ces professionnels sont souvent l’ultime rempart.
Mes chers collègues, nous n’aurions pas eu à débattre de cet article si le Gouvernement avait décidé, comme l’y autorise le droit européen, d’invoquer les raisons impérieuses d’intérêt général.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Guy Fischer. Or il s’y est refusé, ignorant les conséquences des politiques européennes sur les populations dès lors qu’il s’agit de lever tous les obstacles freinant la libre concurrence.
C’est cette logique qui nous a conduits à nous opposer à ce projet de loi comme à la directive Services. Nous considérons en effet qu’il est capital que les pouvoirs publics aient avant tout pour objectif de garantir la qualité et la sécurité des services proposés, particulièrement lorsqu’ils s’adressent à des publics fragilisés ou visent à répondre à des besoins essentiels dans le secteur médical, social ou culturel. Hélas, une telle politique est à mille lieux de ce qui nous est proposé ici ; c’est la raison pour laquelle, comme je l’ai annoncé en préambule, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est dans l’urgence, une fois encore, que notre Parlement examine la transposition de différentes directives importantes. Je pense notamment à la directive Services, celle-là même qui, rappelons-le, avait cristallisé le débat relatif au projet de traité constitutionnel européen en 2005.
Aujourd'hui, il y a urgence, car la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur et dont le présent texte achève la transposition, aurait dû être totalement intégrée à notre droit en décembre 2009.
Encore plus impressionnant est le cas de la directive du 7 décembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, que transpose aussi ce projet de loi, dont le délai de mise en œuvre a expiré en octobre 2007. Vous en conviendrez, madame la secrétaire d’État, plus de trois ans de retard, ce n’est pas rien !
Alors que notre pays, membre fondateur de l’Union, devrait être un exemple en matière de transposition, la France occupe le sixième rang parmi les pays les plus en retard.
Par ce comportement, la France porte évidemment atteinte au principe de sécurité juridique, qui nécessite de la prévisibilité dans la transposition des directives communautaires ainsi que dans notre réglementation en général.
J’ajoute enfin que, en termes financiers, la négligence du Gouvernement a coûté cher : en 2005 et en 2008, nous avons été condamnés à une astreinte semestrielle de 57,8 millions d’euros et à une amende forfaitaire de 10 millions d’euros. Avec un déficit proche de 8 % du PIB, nous ne pouvons tout simplement plus nous permettre ce genre de fantaisies !
Pour en revenir au texte proprement dit, un ensemble quelque peu hétéroclite, nous en sommes tous convenus lors des débats, je tenais à réaffirmer la position de notre groupe, qui était globalement favorable aux dispositions adoptées par le Sénat.
Bien entendu, à titre personnel et en tant que rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, j’accueille favorablement les dispositions de la directive Services qui permettent aux architectes de l’Union d’exercer leur profession en France en tant qu’associés d’une société d’architecture. Je soutiens également les dispositions qui ont été prises pour faciliter l’insertion professionnelle des professeurs de danse au sein de l’Union.
Je m’attarderai quelques instants sur le « paquet télécoms », que le projet de loi entend transposer par voie d’ordonnance. Sur ce point, je me réjouis que des objectifs culturels – la promotion de la diversité culturelle ou linguistique, le pluralisme des médias – puissent être pris en compte par l’ARCEP dans le cadre de sa compétence d’attribution de fréquences. Nous resterons néanmoins très vigilants lors de l’examen du texte de ratification des ordonnances.
La commission mixte paritaire a eu en outre la sagesse de maintenir la position du Sénat sur des apports que je considère comme fondamentaux, notamment la neutralité des réseaux. Cette disposition, fruit des conclusions de la table ronde que j’ai eu à cœur d’organiser avec Pierre Hérisson et Bruno Retailleau – c’est ce dernier qui, en tant que rapporteur pour avis, a pris l’initiative de l’introduire dans le texte –, fixe désormais dans le code des postes et des communications électroniques le principe de la neutralité de l’internet, tout en conférant à cette disposition un caractère souple et consensuel qui permettra de faire vivre le débat et d’adapter la loi en fonction des évolutions à venir.
Je me réjouis également que la commission mixte paritaire ait maintenu un autre apport essentiel des sénateurs, notamment centristes, en confirmant qu’aucun représentant de l’État ne siégerait au sein de l’ARCEP. C’est une condition sine qua non de l’« indépendance » qui caractérise les autorités de régulation. Madame la secrétaire d’État, je tiens à souligner que la Commission européenne a rappelé cette exigence avec la plus grande fermeté !
Mon collègue Hervé Maurey, avec qui j’ai défendu l’amendement de suppression, reviendra plus en détail sur ce point, mais je tiens à redire qu’il semblait plus que problématique qu’un commissaire du Gouvernement soit président… je veux dire présent au sein de cette autorité,…
M. Guy Fischer. Lapsus révélateur ! (Sourires.)
Mme Catherine Morin-Desailly. … d’autant que l’État est actionnaire majoritaire de l’opérateur historique. S’attaquer de la sorte à l’ARCEP revenait à jeter un doute sur la transparence de son fonctionnement et soulevait une série de questions sur le devenir de toutes les autorités de régulation, comme le CSA, qui dispose lui aussi d’une mission d’attribution de fréquences et doit garantir – c’est même sa mission essentielle – le pluralisme politique des médias.
Le maintien de la suppression d’un commissaire du Gouvernement à l’ARCEP s’inscrit donc pleinement dans cette exigence d’indépendance.
Je conclurai en évoquant un sujet qui a été longuement débattu en commission mixte paritaire, à savoir le maintien de l’amendement que j’ai défendu au nom de la commission de la culture et qui visait, dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, à faire bénéficier les élèves d’une sensibilisation aux potentialités mais aussi aux risques encourus sur le Net, et à promouvoir une pratique responsable des outils interactifs sur la Toile.
Ce dispositif, je tiens à le rappeler, complète l’article 16 de la loi HADOPI, qui prévoit, dans le cadre de l’enseignement de technologie et d’informatique, une large sensibilisation des collégiens au droit de la propriété intellectuelle et aux dangers du téléchargement illégal d’œuvres protégées. Après avoir approfondi cette question de l’éducation aux médias, nous avons jugé indispensable que, en dehors du fameux B2i, ce soit au sein de l’enseignement d’éducation civique que les élèves soient véritablement formés à la maîtrise de leur image publique, à l’analyse réfléchie et critique des informations circulant sur Internet et à l’utilisation responsable des réseaux sociaux et des applications interactives. Il faut savoir que, aujourd’hui, 91 % des jeunes de treize à vingt-quatre ans ont un profil Facebook !
Dès lors que la commission mixte paritaire a permis le maintien des apports majeurs des sénateurs sur ce texte, j’apporte mon soutien et celui du groupe de l’Union centriste à son adoption.
Pour terminer, je tiens à remercier Mme le rapporteur, dont, chacun en conviendra, la tâche n’a pas été aisée ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons à la fin du processus d’examen de ce projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.
Je commencerai par une remarque d’ordre général.
Madame la secrétaire d’État, le groupe socialiste demande que le Gouvernement cesse de légiférer dans l’urgence et, pis encore, par ordonnance sur des sujets essentiels pour nos concitoyens. Cette manière de procéder est un moyen de transposer les directives concernées en « court-circuitant » les parlementaires et en éludant un vrai débat.
En outre, comme l’a souligné notre collègue Yves Daudigny lors de la réunion de la commission mixte paritaire, la méthode retenue par le Gouvernement le dispense de l’avis du Conseil d’État sur le fond.
Concernant la transposition de la directive Services, nous avons bien saisi la raison pour laquelle le Gouvernement avait choisi de l’intégrer au droit national par « petites touches », évitant ainsi un texte de loi spécifique et, partant, un débat sans doute plus long et plus difficile que celui auquel aura donné lieu le présent texte.
Concernant les établissements de soins, les établissements sociaux et médico-sociaux, le texte conduit, ni plus ni moins, au démantèlement et à la dérégulation. Les dispositions relatives à la santé et au travail ne sont donc pas acceptables pour notre groupe.
J’en viens aux dispositions touchant aux communications électroniques.
Là encore, le Gouvernement a souhaité être habilité à transposer par ordonnance les directives et le règlement constituant le troisième « paquet télécoms », en raison de l’obligation de respecter la date butoir de transposition, fixée au 25 mai 2011. Cette obligation est réelle. Cela étant, comment ne pas rappeler que le troisième « paquet télécoms » a été adopté par le Parlement et le Conseil européens le 25 novembre 2009 ? Or le projet de loi de transposition n’a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale que le 15 septembre 2010…
Il aurait donc été possible d’engager la transcription de ces dispositions en droit français selon la procédure législative normale si le Gouvernement n’avait pas autant tardé !
Plusieurs intervenants, à l’Assemblée nationale, ont justifié le recours aux ordonnances par le caractère technique du sujet. Effectivement, les directives et le règlement comportent des dispositions techniques, mais il n’en demeure pas moins qu’ils concernent la vie quotidienne : ils conditionnent, en partie, la desserte du territoire en services à très haut débit et la qualité des prestations de téléphonie et d’Internet.
En procédant par voie d’ordonnance, le Gouvernement a privé les parlementaires d’un débat sur des enjeux majeurs comme la séparation fonctionnelle, la réorganisation et la libéralisation du spectre radioélectrique, ou le service universel.
Ainsi, la possibilité reconnue aux autorités nationales d’imposer aux opérateurs une séparation entre les activités opérationnelles et celles qui sont liées à la gestion du réseau aurait mérité un vrai débat, entre ceux qui y voient un moyen de renforcer la concurrence et ceux, dont je fais partie, qui craignent qu’elle ne contribue à augmenter le prix de l’accès au réseau et à retarder les investissements dans la fibre optique.
Le troisième « paquet télécoms » met par ailleurs en place un organe européen des régulateurs nationaux, le risque étant qu’il se substitue aux autorités de régulation nationales.
Si un texte spécifique avait été déposé et examiné dans le cadre de la procédure législative normale, nous aurions pu débattre de l’intérêt de mécanismes alternatifs. Je pense en particulier à la « corégulation » défendue par Catherine Trautmann, députée européenne, dans une logique de meilleure coopération entre les régulateurs nationaux.
Tous ces thèmes touchant à un domaine de plus en plus important pour la vie quotidienne de nos concitoyens auraient mérité que nous leur consacrions davantage de temps.
La neutralité des réseaux est prévue à l’article 11 bis : il s’agit d’une transposition a minima, visant à défendre ce principe en renforçant les pouvoirs du régulateur.
À ce sujet, il est important de rappeler qu’une mission parlementaire réfléchit sur la question et que les dernières rencontres parlementaires sur l’économie numérique, qui se sont tenues le 8 février dernier, étaient consacrées à la neutralité d’internet.
Le troisième « paquet télécoms » érige en principe contraignant la neutralité technologique, c’est-à-dire la liberté d’utiliser n’importe quelle technologie dans une bande de fréquences, et pose le principe de la neutralité du service, c’est-à-dire la liberté d’utiliser le spectre pour offrir n’importe quel service. Il s’agit là encore, à mon sens, de favoriser la concurrence, et donc le développement d’une nouvelle gamme de services tels que la télévision numérique terrestre ou la télévision mobile.
Le Gouvernement français ne risque-t-il pas de tirer argument de cette réforme pour repousser l’introduction de l’accès à Internet dans le champ du service universel ?
S’agissant du dividende numérique, y aura-t-il une adaptation pour permettre une juste répartition des fréquences libérées entre les services audiovisuels, le haut débit et le très haut débit ?
Dans ce contexte incertain, notre groupe a défendu, une nouvelle fois, un amendement visant à instaurer un service universel en matière d’Internet, avec la possibilité pour tous, en particulier les plus modestes, d’accéder à ce service à un coût abordable. Cet amendement n’a malheureusement pas été adopté.
Nous avions réussi à faire adopter un amendement créant un article 12 bis A, lequel disposait : « Une commune est réputée couverte quand, sur l’ensemble de son territoire, sont offerts au public les services répondant aux obligations de permanence, de qualité et de disponibilité visées aux articles L. 41 et suivants du même code. » Cet amendement, déposé par Hervé Maurey – mais le groupe socialiste avait déposé un amendement identique –, nous paraissait essentiel dans la mesure où de nombreuses communes ne sont pas totalement couvertes par les réseaux mobiles.
En commission mixte paritaire, les rapporteurs ont fait adopter un amendement de suppression de cet article.
Certes, le même amendement avait été adopté précédemment, lors de la discussion de la proposition de loi de notre collègue Daniel Marsin. Toutefois, nous ne savons pas quel sort sera réservé à cette proposition de loi à l’Assemblée nationale : j’ai tendance à penser que ce sera un triste sort…
Force est donc de constater que nous n’avançons pas sur cette question pourtant essentielle, probablement parce que les opérateurs voient d’un très mauvais œil une nouvelle obligation leur incombant.
Il n’en demeure pas moins que la couverture des parties habitées de chaque commune est une nécessité, en particulier si l’on veut contribuer à la revitalisation des territoires fragiles. D’ailleurs, la même remarque peut être faite s’agissant du haut et du très haut débit.
À l’issue de nos travaux, quelle conclusion pouvons-nous tirer ?
D’abord, la méthode employée par le Gouvernement pour la transposition de directives n’est pas acceptable.
Ensuite, sur le fond, de nombreuses dispositions auraient mérité un débat plus fouillé, qu’auraient permis des textes de loi dédiés.
Pour ce qui est des communications électroniques, l’un des amendements essentiels que nous avions fait voter – la couverture totale en téléphonie mobile – a été supprimé par la commission mixte paritaire.
En conséquence, compte tenu de toutes les réserves que nous pouvons émettre sur ce texte, le groupe socialiste votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je limiterai mon propos aux articles concernant le troisième « paquet télécoms » pour indiquer que les dispositions relatives aux communications électroniques, sans marquer une rupture, n’en sont pas pour autant anodines. En tout cas, elles vont dans le bon sens.
Ces dispositions sont importantes parce qu’elles concernent un secteur fondamental de notre économie.
Aujourd’hui, le problème de la France, c’est une croissance molle, une productivité atone. Or une étude présentée ce matin à Bercy révèle que l’économie numérique contribue à hauteur de 25 % à la croissance française et que, depuis quinze ans, l’économie numérique a permis de créer environ un million d’emplois directs et indirects.
Nous sommes donc en présence d’un texte fondamental pour l’avenir d’un secteur tout à fait stratégique de l’économie française, et je m’en tiendrai, dans les quelques minutes qui me sont imparties, à trois apports majeurs.
Tout d’abord, ce texte va renforcer la régulation. Or, il y a quelques années, cette régulation n’apparaissait pas comme une évidente nécessité. On entendait exprimer un certain nombre d’avis inclinant plutôt vers une forme d’autorégulation des marchés. Mais la crise est passée par là… Renforcer le régulateur va, me semble-t-il, d’autant plus dans le bon sens que celui-ci, s’il a toujours pour objectif de favoriser la concurrence, devra aussi, désormais, tenir compte de l’investissement et, par conséquent, de l’emploi.
Le deuxième apport concerne des problématiques qui sont un peu nouvelles. Il s’agit notamment des mesures favorisant une meilleure information et une meilleure protection des consommateurs : je pense à ce qu’on appelle la « publicité automatique » ; par exemple, le phénomène des cookies. Le consentement des consommateurs sera recherché pour que des sociétés ou des entreprises puissent avoir accès à ce type de technique commerciale.
Troisième apport : la sécurité des réseaux, autre problématique nouvelle. Alors que l’on apprenait, voilà quelques jours, que Bercy avait fait l’objet d’une cyberattaque et, voilà quelques heures, que l’Élysée et le Quai d’Orsay en ont également subi une, la sécurité des réseaux devient un sujet de plus en plus important. Je me félicite d’ailleurs que, pour la première fois, ce troisième « paquet télécoms » y fasse référence et, mieux, qu’un certain nombre de mesures permettent de sécuriser effectivement les réseaux.
Je veux enfin mentionner deux apports du Parlement, notamment du Sénat.
Premièrement, nous avons sécurisé le régime français d’attribution des noms de domaine, qui avait été fragilisé par une question prioritaire de constitutionnalité. Le résultat est, me semble-t-il, positif.
Deuxièmement, Catherine Morin-Desailly l’a indiqué tout à l’heure, nous avons conforté le principe fondamental de la neutralité des réseaux. Il s’agissait simplement d’encourager un Internet qui demeure un bien stratégique collectif, qui ne soit ni privatisé, ni balkanisé. Sans insister davantage, je dirai que l’idée d’un Internet ouvert est fondamentale pour l’avenir du Web en France et dans le monde. Je me félicite que, avec Catherine Morin-Desailly, nous ayons pu trouver un accord et que le Sénat et la commission mixte paritaire l’aient ratifié.
En conclusion, je félicite la présidente de la commission des affaires sociales et le rapporteur qui n’ont pas toujours eu une tâche facile. Le troisième « paquet télécoms » n’est pas un texte de rupture, mais c’est un texte qui permettra à l’économie numérique de continuer son déploiement et son développement. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)