M. David Assouline. Ce n’est pas vrai ! Elle est inhumaine !
M. Claude Guéant, ministre. … c’est-à-dire respectueuse des droits et de la dignité des personnes, et accueillante pour les étrangers auxquels nous délivrons une autorisation de séjour.
C’est à cette condition que nous parviendrons à consolider l’équilibre de notre communauté nationale et notre cohésion sociale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui la deuxième lecture du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, qui nous a été transmis par nos collègues de l’Assemblée nationale le 15 mars dernier.
Je vous propose tout d’abord d’évoquer en quelques mots les points sur lesquels nous sommes parvenus, à ce stade, à un accord avec les députés ; ils sont nombreux et concernent quelques-uns des aspects essentiels de la réforme.
Tout d’abord, la transposition des mesures d’éloignement prévues par la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, a fait l’objet d’un accord entre nos deux assemblées. Rappelons qu’elle substitue aux dispositifs actuels relatifs à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière une mesure unique d’obligation de quitter le territoire français, communément dénommée OQTF.
Cette OQTF sera, dans chaque cas, assortie ou non d’un délai de départ volontaire, selon des critères précis dont la commission des lois du Sénat a souhaité qu’ils soient énumérés de manière limitative, comme nous l’avions d’ailleurs décidé en première lecture.
Je pense que la simplification apportée par cette réforme est une bonne chose, tant pour nos administrations, qui se trouvent actuellement confrontées à des choix difficiles du seul fait d’un manque de clarté des dispositions du code des étrangers, que pour les citoyens et pour les étrangers eux-mêmes, qui seront ainsi mieux à même de comprendre le sens et la portée des décisions qui seront prises à leur encontre.
Je note par ailleurs que les députés ont accepté de revenir, comme nous l’avions souhaité, à une interdiction de retour, non pas automatique, mais décidée par le préfet en tenant compte de manière approfondie de la situation personnelle de l’étranger et de ses liens éventuels avec notre pays.
Les deux assemblées ont également trouvé un accord sur les dispositions introduites par le Gouvernement pour assurer une transposition plus fidèle de la directive Libre circulation : il sera désormais inscrit expressément dans le code des étrangers que seule une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française » pourra justifier qu’un ressortissant communautaire soit éloigné de notre territoire.
Il est également précisé que l’autorité administrative devra tenir le plus grand compte de la situation de l’intéressé avant de prononcer une telle mesure. Voilà qui, de notre point de vue, devrait enfin apaiser le débat relatif aux garanties dont bénéficieraient ou non les ressortissants bulgares ou roumains.
Nous avons par ailleurs trouvé un accord sur une partie du dispositif relatif aux zones d’attente ad hoc. Celles-ci permettront de prendre en charge dans de bonnes conditions des arrivées de groupes de personnes en dehors des points de passage frontaliers, en les faisant bénéficier des droits afférents aux zones d’attente ordinaires. Subsistent cependant sur ce sujet quelques divergences avec l’Assemblée nationale, que nous évoquerons dans quelques instants.
Sur les dispositions destinées à renforcer les conditions dans lesquelles l’assimilation de l’étranger à la communauté française est appréciée, les députés ont, en deuxième lecture, ajouté des éléments relatifs à l’évaluation de la connaissance de l’histoire, de la culture et de la société françaises.
Sur ce point, la commission des lois a inséré des précisions indispensables pour assurer la plus grande équité entre les personnes. En particulier, il est nécessaire que les connaissances continuent à être appréciées, comme le prévoit le code civil, selon la condition de chaque personne qui demande à être naturalisée.
En ce qui concerne, par ailleurs, la disposition très débattue relative à la déchéance de nationalité, l’Assemblée nationale, qui l’avait adoptée en première lecture, s’est ralliée, en deuxième lecture, à la position du Sénat, qui l’avait supprimée en séance publique.
Enfin, la plupart des dispositions relatives à la législation du travail et aux poursuites contre les employeurs d’étrangers sans titre font partie des points d’accord, à quelques exceptions près.
Je me réjouis d’ailleurs que nos travaux sur ce sujet se soient déroulés de manière relativement consensuelle.
J’en viens maintenant aux principaux points sur lesquels la commission a exprimé un désaccord avec le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Ce n’est pas l’usage à cette tribune, mais, avant de poursuivre, je souhaiterais faire une petite mise au point qui me paraît importante pour le Sénat.
En effet, je regrette que les députés aient souvent rejeté, sans la moindre explication, des modifications que nous avions apportées dans le seul souci d’améliorer la qualité du texte qui nous était soumis. Je regrette encore plus que l’on ait opposé nos travaux à ceux de la « représentation nationale », comme l’a fait à plusieurs reprises le rapporteur pour l’Assemblée nationale du présent projet de loi. Cela ne me semble pas vraiment digne de l’esprit du bicamérisme qui nous anime, mes chers collègues. (Applaudissements sur diverses travées.)
M. Jacques Gautier. Très bien !
Mme Bariza Khiari. Bravo !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Après tout, nous sommes tous, députés et sénateurs, élus au suffrage universel.
Il me semblait important de faire ce rappel.
Mme Jacqueline Gourault. En effet !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Pour en revenir au texte, nous avons d’abord estimé qu’il convenait de mieux définir les zones d’attente ad hoc. En effet, le texte issu de l’Assemblée nationale permettrait de créer des zones d’attente ad hoc à caractère pérenne, ce qui ne correspond ni à l’intention initiale du Gouvernement ni à l’idée que l’on peut se faire d’un dispositif temporaire destiné à répondre à des situations exceptionnelles.
La commission a donc adopté un amendement qui permet de préserver le caractère exceptionnel du dispositif en fixant une durée maximale de vingt-six jours, qui correspond à celle du maintien en zone d’attente ordinaire.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement supprimant le principe de l’acquisition automatique de la nationalité française à dix-huit ans pour les enfants nés en France de parents étrangers et ayant leur résidence habituelle en France.
Or une telle disposition constitue une mesure nouvelle sans lien direct avec une disposition du texte en discussion, puisqu’elle concerne l’acquisition automatique de la nationalité française, et non la naturalisation ou l’acquisition par déclaration. De ce fait, elle ne satisfait pas à la règle de l’entonnoir et présente un risque d’inconstitutionnalité. Dura lex, sed lex ! C’est pourquoi, sans même s’être prononcée sur le fond, la commission l’a écartée.
Elle a également rejeté la modification des dispositions en vigueur relatives au séjour des étrangers gravement malades. Toutefois, et parce qu’il nous semble légitime de vouloir revenir à l’état du droit qui prévalait antérieurement à la jurisprudence excessivement libérale du Conseil d’État, nous avons ce matin adopté en commission un amendement visant à clarifier la rédaction de l’article 17 ter, en nous efforçant de tenir compte des souhaits de chacun. Cette nouvelle rédaction préserve notre volonté de prendre en compte des considérations humanitaires, en permettant aux étrangers les plus gravement malades de séjourner sur notre territoire, tout en affirmant un principe de fermeté, afin d’éviter que le dispositif ne fasse l’objet d’abus qui ne correspondraient pas à l’usage que nous souhaitons lui attribuer.
En ce qui concerne l’incrimination des « mariages gris », les députés n’ont pas suivi le Sénat, qui avait replacé celle-ci dans le cadre du droit et de l’échelle des peines en vigueur. La commission a donc rétabli la rédaction votée par le Sénat en première lecture.
S’agissant du droit d’asile, la commission des lois a également exprimé son désaccord avec l’Assemblée nationale sur certaines dispositions.
Ce droit constitue tant une tradition nationale qu’une obligation constitutionnelle et conventionnelle. Il faut par conséquent préserver son effectivité. C’est pourquoi la commission est à nouveau revenue sur la suppression pure et simple de l’aide juridictionnelle en procédure de réexamen, de manière à ce que seules soient concernées les personnes qui ont pu faire leur demande dans de bonnes conditions, c’est-à-dire après avoir été précédemment entendues par l’OFPRA ainsi que par la CNDA, assistées par un avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle.
Enfin et surtout, le débat reste ouvert sur la difficile question du contentieux des mesures d’éloignement.
Au délai de cinq jours pendant lequel le juge des libertés et de la détention peut être saisi par le préfet pour prolonger la rétention administrative, la commission des lois a préféré, sur proposition de son président, Jean-Jacques Hyest, un délai de quatre jours. Bien qu’il n’ait pas été expressément validé par le Conseil constitutionnel, ce laps de temps est déjà en vigueur pour les zones d’attente. Le risque de censure semble donc moindre, d’autant que la commission vous proposera également de prévoir que le juge administratif doive se prononcer sur les décisions prises par le préfet à l’encontre de l’étranger dans le même délai de quatre jours.
Sera ainsi préservé l’objectif de clarification des procédures juridictionnelles. Comme l’a réaffirmé le rapport Mazeaud, il est absolument nécessaire et constitue le sens même de cette réforme.
Voici tracés, mes chers collègues, les grands axes des modifications adoptées par la commission des lois pour la seconde lecture du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi, très large, qui concerne les conditions de séjour des étrangers sur notre territoire, tend à apporter un certain nombre de réponses à de vrais problèmes.
Cela étant, je regrette très vivement qu’il n’aille pas assez loin sur certains points. L’immigration pose en effet à l’ensemble de notre société des difficultés qui me conduisent, ainsi qu’un grand nombre de nos concitoyens, à souhaiter une plus grande fermeté. Les récents résultats des élections cantonales, notamment, montrent que les Français qui se lèvent tous les matins pour aller travailler désireraient que, à un moment donné, la société française tienne plus compte des problèmes des personnes qui habitent en France que de ceux des étrangers qui, malgré nos lois, veulent venir sur notre territoire.
Mme Éliane Assassi. Scandaleux !
M. Jean Louis Masson. Pour ma part, et bien que je souscrive à certaines de ses dispositions, je ne partage pas totalement l’état d’esprit qui a présidé au dépôt du présent projet de loi. En effet, l’on assiste actuellement à une sorte d’instrumentalisation à des fins politiques ou politiciennes d’un certain nombre de problèmes qui mériteraient d’être traités plus sérieusement, dans le sens d’un assouplissement ou d’un durcissement.
Chaque année sont adoptés un ou deux textes sur la délinquance ou l’immigration. Nos concitoyens commencent à en avoir par-dessus la tête ! En présence de vraies difficultés, on sort un lapin du chapeau, on lance une idée. Le meilleur exemple en est la proposition de déchéance de la nationalité française : cette mesure n’aurait concerné qu’une ou deux personnes tous les cinq ou dix ans, et n’aurait donc strictement servi à rien. Il aurait mieux valu prendre des mesures un peu plus coercitives. En réalité, on a secoué le lapin pour faire croire à nos concitoyens que l’on faisait quelque chose…
M. Jean-Louis Carrère. C’est un grand théoricien ! (Sourires.)
M. Jean Louis Masson. C’est tout le problème de l’action du Gouvernement et du Président de la République depuis quelques années qui est posé.
M. Jean-Louis Carrère. Je le vois bien conseiller à l’Élysée ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean Louis Masson. On assiste parfois, dans une logique politicienne, au dévoiement et à l’instrumentalisation de problèmes qui mériteraient d’être traités au fond.
Pour ma part, et j’insiste sur ce point, je suis partisan d’un durcissement de la loi pour tout ce qui concerne, en particulier, l’immigration. En revanche, je suis radicalement hostile aux continuelles gesticulations politiciennes relatives à la gestion de la France. Le résultat des dernières élections cantonales devrait faire réfléchir un certain nombre de personnes au plus haut niveau de l’État !
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. « Il n’y a aucune raison pour que la mondialisation croissante des échanges et de l’information ne s’étende pas aux mouvements de population. S’ils sont maîtrisés, les flux migratoires seront une richesse pour notre pays. D’ailleurs, la France a toujours été un pays d’immigration et elle doit à cette tradition une large part de son rayonnement intellectuel et politique. » Ainsi s’exprimait, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 janvier 2002, en ouverture de son propos sur le droit d’entrée et de séjour en France des étrangers, le ministre de l’intérieur de l’époque devant les préfets réunis.
Ces propos résonnent en moi, mais peut-être aussi en vous, monsieur le ministre, avec une intensité particulière, en raison des fonctions que nous exercions à l’époque.
Ces propos, tout particulièrement aujourd’hui dans le contexte international troublé que nous connaissons, sont chargés de l’espoir de donner à chaque étranger, dans le respect du principe de dignité, auquel vous savez notre attachement indéfectible, et dans le strict respect de la loi, la juste place qui peut et doit être la sienne.
Forts de notre devise républicaine « liberté, égalité, fraternité », nous sommes nombreux dans cet hémicycle, et peut-être même unanimes, à considérer que l’immigration légale ou régulière doit être accompagnée de tous les outils juridiques garantissant un accueil sur notre territoire.
Nous sommes tout aussi nombreux à refuser les entrées comme les séjours irréguliers, qui font de ces hommes et de ces femmes des non-êtres, des sans-papiers contraints à l’errance.
Nous sommes donc en parfait accord sur les principes. En revanche, monsieur le ministre, tel n’est pas forcément le cas à l’égard de tous les moyens que vous mettez en œuvre.
En préalable à l’examen du présent projet de loi, je voudrais rappeler que, en un peu plus de dix ans, cinq textes successifs ont permis d’améliorer, selon certains, ou de modifier, selon d’autres, le droit existant en matière d’immigration, d’intégration, de nationalité et d’asile, en somme d’entrée et de séjour sur notre territoire.
Ce foisonnement de textes a surtout eu pour vertu de complexifier notre droit au point que seuls les plus éclairés savent retrouver leur chemin dans ce qui est devenu un vrai dédale mêlant la loi aux décrets, aux circulaires, aux instructions et aux recommandations orales.
Le projet de loi que nous examinons en deuxième lecture s’inscrirait-il dans ce labyrinthe ? Certainement pas, si je m’en réfère à la synthèse présentée par le Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.
Les sources principales du présent texte seraient de trois ordres : la transposition de trois directives européennes – directive Retour, directive Carte bleue, directive Sanctions – ; la mise en œuvre des propositions de la commission présidée par Pierre Mazeaud et issues du rapport intitulé Pour une politique d’immigration transparente, simple et solidaire ; enfin, le respect des conclusions du séminaire sur l’identité nationale.
Le projet de loi répondrait essentiellement par six dispositions à ces trois objectifs.
Premièrement, s’agissant de l’entrée sur le territoire, de nouvelles conditions sont prévues pour la création d’une zone d’attente temporaire, afin d’examiner la situation de nouveaux arrivants étrangers à la frontière.
Deuxièmement, serait créé un nouveau titre de séjour, la « carte bleue européenne », nouvel instrument de promotion de l’immigration professionnelle.
Troisièmement, la lutte contre le travail illégal serait renforcée, afin de responsabiliser les employeurs et de leur appliquer, en cas d’emploi d’un étranger sans titre, de nouvelles sanctions administratives.
Quatrièmement, le droit de l’éloignement des étrangers serait révisé : nouvelle décision d’éloignement – l’obligation de quitter le territoire français –, principe du départ volontaire, assignation à résidence et interdiction de retour.
Cinquièmement, les règles relatives au contentieux des étrangers seraient refondues, afin de remettre en ordre l’intervention du juge administratif – légalité de la procédure – et celle du juge judiciaire – prolongation de la mesure de rétention.
Sixièmement enfin, les règles relatives à la nationalité et à l’intégration seraient modifiées pour faciliter l’accès à la nationalité française et responsabiliser davantage les candidats à l’intégration.
Rien, dans la présentation qui est ainsi faite du projet de loi, ne vient heurter les principes que j’ai rappelés. Mais à mieux regarder, à mieux vous entendre, à lire vos écrits, monsieur le ministre, je m’interroge. Ce texte n’a-t-il pas pour objet premier de faire peser tous les efforts sur la lutte contre l’immigration irrégulière ? D’atteindre, voire de dépasser, les objectifs chiffrés fixés dans chaque département à chaque préfet ? Le nouvel outil que constitue ce projet de loi n’a-t-il pas vocation à apporter des réponses concrètes et directement opérationnelles à tous ces dévoiements de la loi imaginés par les professionnels du droit des étrangers qui s’ingénient à trouver des parades à des mesures qu’ils jugent indignes de notre nation ?
Monsieur le ministre, je voudrais en cet instant saluer la raison, celle du président de la commission des lois et du rapporteur, qui ont su contenir bon nombre de dispositions proposées par l’Assemblée nationale qui rompaient avec nos principes républicains.
La commission a, par exemple, refusé de restreindre le droit des étrangers malades atteints de pathologies lourdes à rester sur le territoire français pendant la durée des soins qui doivent leur être prodigués et dont ils n’auraient pas pu bénéficier dans leur pays.
Elle a également tenu à préserver les droits essentiels des demandeurs d’asile en prévoyant, même si cette mesure n’est pas la plus opérante, que le demandeur peut être entendu par la voie de la visioconférence devant la CNDA.
Je veux relever que, même si les solutions apportées par la commission ne me satisfont pas pleinement, elles ont toujours été marquées par la volonté de protéger l’étranger, plus que l’administration, de contentieux dont personne n’ignore ni le poids ni les conséquences.
Il n’en reste pas moins que, pour la majorité des membres du groupe du RDSE – Jacques Mézard s’en expliquera bien mieux que moi ultérieurement, lors de la présentation d’un amendement –, différents points du présent texte ne sont pas acceptables.
Tout d’abord, le fait de porter la durée maximale de la rétention administrative de trente-deux à quarante-cinq jours constitue assurément, selon moi, le moyen pour l’administration d’améliorer son objectif chiffré d’expulsions. Nous savons tous la difficulté que les services administratifs ont rencontrée ou rencontrent encore pour obtenir les laissez-passer consulaires, qui permettent, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, de concrétiser les mesures de reconduite à la frontière. Il sera intéressant d’évaluer le nombre d’expulsions réalisées grâce à l’allongement de treize jours du délai initialement fixé.
Même si la notion de pérennité a fort opportunément été retirée du texte, la création de zones d’attente temporaires reste possible pour une durée maximale de vingt-six jours. Cette solution ne nous semble pas pleinement garantir à l’étranger la possibilité d’exercer ses droits, notamment le droit d’asile, dans les conditions prévues par l’article 18 de la directive Retour.
S’agissant précisément de la transposition de cette directive, transposition au demeurant bien tardive, puisqu’elle devait intervenir, me semble-t-il, à la fin de l’année dernière, l’article 30 du présent projet de loi ne respecte pas la logique du retour volontaire. Il impose, à l’inverse, le placement en rétention administrative ordonné par le préfet dès lors que la mesure d’éloignement ne peut être mise en œuvre immédiatement.
Cet article 30, qui n’envisage comme seule alternative à la rétention que l’assignation à résidence, et qui place ces deux mesures sur le même plan, introduit une nouvelle restriction au droit des étrangers.
Je n’entrerai pas davantage dans le détail des articles qui feront, dans la suite de nos débats, l’objet de propositions d’amendement. Nous nous devons toutefois de rester extrêmement vigilants face à ce qui s’apparente à un durcissement systématique des dispositions existantes, lequel tend in fine à réduire les droits des étrangers, même si la présentation qui en est faite peut paraître empreinte de générosité.
Ainsi en est-il des dispositions relatives à la nationalité et à l’intégration, qui soumettent le candidat à l’une ou l’autre des procédures à un véritable examen auquel nombre de Français de longue date n’aimeraient pas être soumis !
Ainsi en est-il encore des « mariages gris », qui présupposent l’insincérité des intentions matrimoniales des étrangers, alors que le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel la liberté de mariage ne saurait être subordonnée à la légalité du séjour.
Reviendra-t-on, comme on a pu le dire ici ou là, sur l’accueil d’étrangers autorisés à nous apporter, au niveau professionnel, leur compétence, leur talent et leur savoir-faire ?
Reviendra-t-on sur les dispositions relatives au regroupement familial qui, initialement, n’avaient d’autre objet que de permettre à un étranger de vivre normalement une vie de couple ?
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, je veux accorder toute ma confiance à la sagesse du Gouvernement et du Parlement, à la raison, au bon sens et à notre tradition républicaine d’accueil de l’étranger, comme je l’ai rappelé en introduction de mon propos.
Je veux bien croire à la nécessité de maîtriser les flux migratoires, en lien étroit avec les États membres de l’espace Schengen, et de lutter sans faillir contre l’immigration irrégulière, mais je voudrais bien davantage croire à des mesures généreuses, efficaces et confiantes pour assurer aux étrangers que nous accueillons les conditions d’une vie normale et heureuse. Je veux être persuadée qu’un prochain projet de loi – il y en aura sûrement un ! –…
M. David Assouline. Oh non !
Mme Anne-Marie Escoffier. … n’aura d’autres objectifs, monsieur le ministre, que de permettre à ces étrangers de vivre ici, sur notre terre, leur « légende personnelle » ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’actualité nationale et internationale a évolué depuis la première lecture au Sénat de ce projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, à commencer par le remaniement ministériel et le changement du ministre en charge du dossier. Ainsi, ce texte, déposé en son temps par M. Besson, et qui nous a été présenté en séance publique par M. Hortefeux, est aujourd’hui défendu par vous-même, monsieur le ministre, qui en êtes certainement l’auteur réel. Valse des ministres, sans doute, mais idéologie constante !
Quant à elles, les révolutions arabes, qui ont insufflé un grand vent de liberté et de démocratie dans les pays du sud de la Méditerranée, se sont invitées dans le débat sur l’immigration, faisant perdre leur sang-froid à certains membres de l’UMP qui n’ont vu dans ces événements – pourtant historiques et remplis d’espoir pour les peuples – qu’un risque d’invasion migratoire pour la France.
C’est ainsi que nous avons assisté – choqués, je dois dire – à une série de petites phrases lancées tous azimuts par une droite en difficulté électorale partie chasser sur les terres du Front national. La députée UMP Chantal Brunel est allée jusqu’à proposer de remettre les immigrés dans les bateaux ! Les événements tragiques, et malheureusement loin d’être isolés, qui se sont déroulés récemment au large de l’île de Lampedusa sont venus nous confirmer la dangerosité et l’inhumanité de tels propos.
Le Président de la République a lui parlé de « flux migratoires devenus incontrôlables » et d’une « Europe […] en première ligne ». Quant à vous, monsieur le ministre, vous avez insisté sur la nécessité de lutter contre l’immigration irrégulière qui « inquiète » les Français. Vous avez dit aussi, dans la droite ligne de votre prédécesseur, que « Les Français […] ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux ».
De petites phrases en consignes de vote prônant le « ni-ni » – ni front républicain, ni Front national – au second tour des élections cantonales, vous brouillez tous les repères, non seulement dans le but de rallier à vous les voix du Front national, mais aussi de satisfaire l’aile la plus extrême de l’UMP tentée par les sirènes de ce parti.
On a vu les résultats de cette tactique politicienne lors des élections cantonales : l’original est toujours préféré à la copie, même si cette dernière fait tout pour en être la copie conforme ! En réalité, cette stratégie fait le jeu du Front national : Mme Le Pen et son parti vous disent merci tous les jours, car ce sont eux qui ramassent la mise. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
Quant au débat sur l’islam, renommé pudiquement débat sur la laïcité, il n’aurait jamais dû voir le jour. Faut-il rappeler que ce débat a été décrié par les premiers intéressés, à savoir les six principaux responsables de culte en France et qu’il a été critiqué, y compris dans les rangs de l’UMP ?
À l’aune de ce débat, on comprend mieux alors les propos – soufflés par qui ? – du Président de la République sur les rôles respectifs de l’instituteur et du curé, ou encore sur les racines chrétiennes de la France, sans oublier les vôtres, monsieur le ministre, sur la croisade française en Libye... (Protestions sur les travées de l’UMP.)
Plus récemment, comme pour donner le ton au débat sur la laïcité, vous avez déclaré : « Cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème. Il est clair que les prières dans les rues choquent un certain nombre de nos concitoyens ». (M. David Assouline s’exclame.)
Ces déclarations ne sont pas sans nous rappeler celles de M. Hortefeux, pour lesquelles celui-ci a été condamné pour injure raciale. (Nouvelles protestations sur les travées de l’UMP.)
Décidément, en quelques semaines à la tête du ministère de l’intérieur, vous en avez dit plus que M. Hortefeux en plusieurs mois, lequel n’était pourtant pas en reste !
Mais peut-être avons-nous devant nous aujourd’hui l’auteur des petites phrases d’hier ?
Le fiasco du précédent débat lancé sur l’identité nationale, qui n’a fait que libérer la parole raciste dans le pays, aurait dû vous servir de leçon. Tel n’a pas été le cas. Vous vous êtes de nouveau lancés dans une course folle et incontrôlable. Mais il vrai que nous entrons, désormais, dans une période préélectorale, avec en ligne de mire les élections présidentielle et législatives, et avec un Président de la République candidat pour 2012, plus impopulaire que jamais, qui tente de se refaire une santé électorale sur ses thèmes de prédilection, à savoir l’insécurité et l’immigration, comme en 2007 !
Pourquoi s’accrocher au principe de laïcité qui semble moins en danger que d’autres grands principes de notre République tels que l’égalité, la fraternité, la liberté, que vous remettez en cause jour après jour avec vos réformes libérales imposant un modèle de société que nous rejetons : casse de la protection sociale, suppressions de postes et réductions budgétaires dans l’éducation nationale, la justice, la police, la poste, hausse des tarifs de l’énergie, et j’en passe… Là, cela ne vous pose aucun problème ! Là, il n’y a pas de débat !
Monsieur le ministre, la question de fond n’est-elle pas celle des inégalités qui ne permettent pas aux populations, singulièrement celles des quartiers populaires, de bien vivre dans notre société ? Comment, dans ces conditions, assurer le « vivre ensemble » ?
Entre les deux lectures, le Conseil constitutionnel est venu censurer des articles de la LOPPSI 2. Cette censure n’est pas sans incidence sur le texte que nous examinons, puisque certaines dispositions se recoupent entre elles, comme pour mieux entretenir l’amalgame entre insécurité et immigration. Le Conseil constitutionnel a tranché : les audiences relatives aux étrangers ne peuvent être tenues dans les centres de rétention administrative, les CRA. Ainsi, les gens du voyage – les Roms, pour vous ! – installés sur des terrains pour y vivre, ne peuvent être évacués de force sur simple décision préfectorale.
Alors même que les membres du Conseil constitutionnel ne peuvent pas être soupçonnés d’être de farouches adversaires de la droite au pouvoir, leur censure met un frein à la volonté de l’UMP d’inscrire dans la loi son idéologie ultra-sécuritaire et répressive, en rappelant au passage à ses membres quelques principes constitutionnels.
En réalité, le présent texte, comme toute la politique d’immigration du Gouvernement, se réduit à un simple affichage. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
Ce texte idéologique n’a pas vocation à être appliqué, encore moins à être efficace. Le rapporteur de la commission des lois fait d’ailleurs le constat suivant : « À l’heure de la mondialisation et des bouleversements géopolitiques qui affectent des régions proches de l’Europe, l’équilibre entre la nécessité pour la France de maîtriser les phénomènes migratoires et la préservation des principes de notre droit doit être construit et préservé soigneusement. L’efficacité des dispositions portées par le présent projet de loi dépendra pour une large part de leur acceptation par l’ensemble des acteurs de la chaîne administrative et judiciaire. »
La seule efficacité de ces lois réside dans le fait qu’elles nourrissent la xénophobie et l’exclusion au plan national et européen.
L’UMP entretient savamment l’amalgame entre insécurité, islam, immigration et terrorisme alors que les Français sont davantage préoccupés par l’emploi, le pouvoir d’achat et, au-delà, par ce qui se passe en Libye, en Côte d’Ivoire ou encore au Japon.
Les lois en matière d’immigration proposées par l’UMP ne servent qu’à banaliser les idées frontistes et racistes pour des raisons purement électoralistes, à stigmatiser et criminaliser les étrangers et les personnes issues de l’immigration, à créer un climat de peur et de division entre les citoyens, bref à désigner des boucs émissaires, toujours utiles à la droite, surtout en temps de crise économique et sociale.
Avec cette énième loi sur les étrangers depuis que la droite est au pouvoir, on voit bien les limites de cette surenchère répressive et sécuritaire en matière d’immigration, et l’échec du Gouvernement en la matière.
Il ne faut pas oublier non plus que cette politique a un coût financier. J’en veux pour preuve celui de la construction et de l’équipement de salles d’audiences délocalisées dans les centres de rétention administrative, construction à laquelle le Conseil constitutionnel vient de mettre un coup d’arrêt, ou encore l’édification d’un gigantesque CRA au Mesnil-Amelot, véritable machine à expulser pouvant accueillir deux fois cent vingt retenus. Ultramoderne, ce centre, qui devait être inauguré voilà un an, mobilise des fonctionnaires chargés de surveiller des locaux vides ! N’est-ce pas un immense gouffre financier ?
Les retours forcés ou volontaires ont également un coût, tout comme le contrôle des frontières extérieures des États membres de l’Union européenne. L’agence Frontex dispose ainsi pour cette année d’un budget de 88 millions d’euros, mais pour quels résultats ?
En revanche, contrairement à certaines idées reçues, les étrangers versent chaque année 60 milliards d’euros d’impôts et de charges sociales, et reçoivent en contrepartie 48 milliards d’euros d’allocations, ce qui représente une rentrée nette de 12 milliards d’euros pour l’État.