M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la question des expulsions locatives est bien entendu délicate, car, dans tous les cas, elle touche à des situations humaines particulièrement difficiles et complexes, qui ne manquent pas d’émouvoir légitimement chacun d’entre nous.
Devant ces situations, on peut choisir l’incantation ou l’action. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Oh ! C’est facile !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Votre proposition de loi est tout entière axée sur le refus de l’emploi de la force publique. Tel n’est pas le choix que nous faisons, et je vais m’en expliquer.
Le Gouvernement préfère se donner les moyens de limiter le nombre d’expulsions locatives en pratiquant une politique de prévention le plus en amont possible en cas de situation d’impayés et en recherchant des solutions de relogement quand c’est nécessaire ; j’y reviendrai.
M. Guy Fischer. On a vu ce que cela a donné !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Concernant les expulsions pour impayés de loyers, on peut noter deux cas de figure différents.
Dans le premier cas, qui n’est évidemment pas majoritaire, le locataire dispose de ressources suffisantes pour payer son loyer. S’il refuse de régler celui-ci et d’en tirer les conséquences en quittant de lui-même son logement, il est légitime que la force publique intervienne pour mettre en œuvre une décision de justice. Il n’est en effet pas question de donner raison, de fait, à des personnes de mauvaise foi.
Si ce cas ne concerne, je le répète, qu’une minorité des quelque 100 000 décisions de justice prononçant une expulsion, il n’en va pas nécessairement de même pour les 10 000 expulsions qui sont exécutées avec le concours de la force publique. En effet, tous les préfets que j’interroge sur ce point me disent que, pour l’essentiel, ils n’accordent le concours de la force publique qu’en cas de trouble à l’ordre public ou de mauvaise foi du locataire. (Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi, fait un signe de dénégation.) J’ai donc commandité une enquête sur ce sujet, afin de pouvoir disposer de statistiques fiables quant à la bonne ou à la mauvaise foi des locataires expulsés.
Il s’agit de confirmer les indications données par les préfets, mais aussi de répondre à une question d’importance, qui n’a pourtant pas été soulevée par les auteurs de la proposition de loi : que sont devenus les 90 000 ménages ayant fait l’objet d’une décision de justice prononçant une expulsion sans que le concours de la force publique ait été accordé ? J’ai également demandé que des études de cohorte soient réalisées sur ce point. Ce sujet est plus important encore que le précédent.
Dans le second cas, le locataire ne dispose pas de ressources suffisantes pour payer son loyer. Il convient alors, me semble-t-il, d’étudier de près la situation. C'est la raison pour laquelle une enquête sociale doit être réalisée avant chaque jugement.
Si la situation est temporaire, il y a la possibilité de mobiliser les aides du Fonds de solidarité logement, le FSL, qui est présent dans chaque département.
Si la situation est structurelle, durable, il ne faut pas, à mon sens, chercher à tout prix à maintenir le ménage dans le logement concerné : la solution réside dans un relogement adapté, assorti d’un loyer moins cher, par exemple dans le parc social.
Le chiffre de 10 000 expulsions avec le concours de la force publique doit être rapproché de celui de 480 000 attributions de logement social par an que vous avez cité à l’instant, madame le rapporteur. Il me semble qu’il existe des marges de manœuvre suffisantes pour pratiquer une politique de prévention permettant d’éviter le recours à la force publique.
Nous privilégions la prévention dès lors que le locataire n’est structurellement pas en mesure de payer son loyer, notamment dans le parc privé. Privilégions le relogement par anticipation, en particulier dans le parc social, pour éviter l’expulsion.
Adopter la présente proposition de loi reviendrait, de fait, à interdire au préfet de mettre en œuvre une décision de justice, ce qui n’est pas la bonne solution. La bonne solution, c’est de demander au préfet d’accélérer le relogement des ménages de bonne foi lorsqu’ils habitent dans un logement inadapté à leurs ressources. Hier encore, j’ai demandé aux préfets d’Île-de-France d’amplifier les efforts de relogement, particulièrement en faveur des ménages reconnus prioritaires au titre du DALO, dont certains risquent une expulsion.
Le nombre de relogements de ces ménages a augmenté régulièrement ces dernières années. Contrairement à ce que vous avez dit, mesdames les sénatrices, le DALO n’est pas un « droit fictif ». Je rappelle que, dans quatre-vingt-huit départements sur cent, le taux de relogement des demandeurs au titre du DALO atteint quasiment 100 % et que les problèmes se concentrent presque exclusivement dans l’Île-de-France et dans une partie de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Loin d’être un droit fictif, le DALO est donc, au contraire, un véritable filet de sécurité qui joue pleinement son rôle dans la grande majorité des départements français. Certes, il nous faut accentuer l’effort en Île-de-France et dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, là où se posent les plus grandes difficultés, mais, de grâce, ne résumons pas la situation française à la situation francilienne, dont je reconnais la complexité particulière.
M. Guy Fischer. Il y a aussi la région Rhône-Alpes et les grandes agglomérations !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Selon moi, le véritable enjeu est évidemment la production de logements, notamment en Île-de-France.
Cependant, il importe également de reconquérir le contingent préfectoral. Je rappelle que le préfet dispose normalement de 25 % des droits de réservation pour les ménages mal logés. Or, voilà deux ans, en moyenne nationale, de 10 % à 12 % des attributions de logements étaient décidées par les préfets, soit un taux bien inférieur à 25 %. J’ai engagé la reconquête de ce contingent préfectoral, notamment en Île-de-France. Nous avons quasiment achevé le travail en la matière. C’est un outil aux mains du préfet pour accélérer les relogements, notamment au titre du DALO. Nous sommes ainsi passés de 80 relogements de ce type par mois en 2008 à 250 en 2009, puis à 500 en 2010. Bien qu’encore insuffisante, cette progression est liée à la reconquête du contingent préfectoral.
Mais la question des expulsions locatives ne se limite pas à celle du concours de la force publique. Comme je l’ai indiqué, je suis particulièrement attentif au sort des quelque 90 000 ménages ayant fait l’objet d’une décision de justice prononçant une expulsion non assortie du concours de la force publique.
Le vrai sujet, ce n’est donc pas tant le recours à la force publique que les moyens mobilisés pour réduire les contentieux locatifs. Dans cet esprit, nous venons de créer, dans tous les départements de France, des CCAPEX, des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, afin précisément d’étudier les meilleurs moyens d’organiser cette prévention. Je regrette qu’un certain nombre de conseils généraux, celui du Val-de-Marne par exemple, refusent de siéger dans ces instances et de signer la convention afférente.
Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi. Il y a longtemps qu’ils l’ont signée !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Je déplore que certains conseils généraux qui veulent nous donner des leçons refusent de participer à cette politique de prévention des expulsions ! Cela me semble dommage ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
La meilleure façon d’éviter les expulsions, c’est évidemment de diagnostiquer les situations difficiles le plus rapidement possible. La vocation des CCAPEX est d’intervenir au plus tôt en cas d’impayés de loyers, si possible dès le troisième mois, afin de prévenir les expulsions.
Sans entrer dans le détail des articles, car nous aurons l’occasion d’y revenir, je voudrais maintenant insister sur deux points.
En premier lieu, sur un plan philosophique, je refuse que l’on oppose, comme vous venez de le faire, droit au logement, de valeur constitutionnelle, et droit de propriété, constitutionnel. Cessons d’opposer les locataires aux propriétaires !
Mme Annie David. Ce n’est pas nous qui le faisons !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Cessons d’opposer le droit au logement au droit à la propriété ! Il nous faut trouver un équilibre entre les deux.
Si vous déséquilibrez la situation au bénéfice du locataire, en interdisant, par exemple, les expulsions, la conséquence sera très simple : les propriétaires ne voudront plus mettre leurs biens sur le marché de la location, eu égard aux difficultés qu’ils rencontreraient pour en reprendre possession en cas d’impayés.
Un sénateur de l’UMP. C’est vrai !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Un tel retrait serait particulièrement négatif pour le marché du logement !
En second lieu, à l’article 3, il est prévu que toute personne ayant déposé un recours au titre du DALO pourra éviter l’expulsion tant que la commission de médiation n’aura pas statué. Je vous laisse imaginer le merveilleux effet d’aubaine que cela créerait ! Sachant qu’il faut environ six mois pour traiter un dossier, il suffira de déposer un recours au titre du DALO juste avant la fin de la trêve hivernale pour bénéficier d’un répit de dix-huit mois ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi. Vous ne savez pas ce que c’est que chercher un toit !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Je dis les choses telles qu’elles sont ! Il serait irresponsable de favoriser ainsi les personnes de mauvaise foi !
Enfin, beaucoup de parlementaires nous ont reproché la création du PTZ +, jugeant que ce dispositif était accessible à un trop large public. En particulier, ils dénoncent l’affectation de 400 millions d'euros aux tranches 9 et 10 et proposent l’exclusion de celles-ci du champ de la mesure. Or il s’agit ici non pas de déciles de population, mais de tranches de revenus spécifiques au PTZ +. Sachant que la tranche 9 commence en deçà du plafond de ressources pour l’accès au logement social, suivre votre raisonnement conduirait à priver d’une aide à l’accession à la propriété des ménages éligibles au logement social ! La logique d’une telle préconisation m’échappe complètement : selon vous, certains seraient donc suffisamment pauvres pour prétendre à un logement social, mais beaucoup trop riches pour bénéficier d’une aide en vue de devenir propriétaires ! Vous confondez, me semble-t-il, tranches de revenus définies spécifiquement pour le dispositif du PTZ + et déciles de population. Or ce n’est pas la même chose !
En conclusion, je voudrais rappeler que ce gouvernement est celui qui, malgré une diminution des crédits, a battu tous les records en matière de financement de logements sociaux.
M. Alain Gournac. Exactement !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Je parle sous le contrôle du président de l’Union sociale pour l’habitat, qui pourra sans doute confirmer ces chiffres : nous avons, au cours de l’année 2010, financé la construction de 131 000 logements sociaux, ce qui constitue un record absolu depuis plus de trente-cinq ans !
M. Alain Gournac. C’est la vérité !
Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi. Ils ne sont pas sortis de terre !
Mme Annie David. Combien sont construits ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Pendant les années 1978 à 2004, les gouvernements successifs, tant de droite que de gauche, n’en ont financé, en moyenne, que 50 000 par an. Depuis 2004, cette moyenne est passée à 100 000 logements sociaux financés par an, les années 2009 et 2010 étant marquées par des chiffres records en la matière : respectivement 120 000 et 131 000 ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Adrien Giraud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avoir un toit constitue assurément la sécurité la plus élémentaire de la personne. C’est la sécurité première et dernière, c’est l’endroit où l’on grandit, où l’on se construit et où l’on vieillit, c’est le rempart ultime avant la rue, quand tout le reste a fait défaut. Le perdre, c’est bien souvent être condamné à l’errance : de squats en hôtels meublés, de caravanes en centres d’hébergement.
En 2009, la justice a prononcé 106 938 décisions d’expulsions. Autant le dire tout net, les expulsions signent toujours un échec : échec de notre société à garantir à chacun un logement décent, échec dans les rapports locatifs pour prévenir la précarisation, sentiment d’échec de trajectoires individuelles accidentées.
Pourtant, expulser n’est pas une fatalité. En témoigne l’important travail de prévention réalisé par les bailleurs sociaux. C’est ici l’occasion de battre en brèche une idée reçue : tout impayé de loyer ne se termine pas par une expulsion. (M. le secrétaire d’État opine.) En d’autres termes, la solution aux impayés n’est pas fatalement l’expulsion.
M. Thierry Repentin. Ainsi, sur les 4,3 millions de ménages logés dans le parc social français, 250 000 foyers connaissent des situations d’impayés de loyers de plus de trois mois, soit environ 6 % des locataires. Mais, en bout de chaîne, après avoir activé de nombreuses actions de prévention, seuls 3 500 ménages – c’est encore trop ! – sont expulsés avec le concours des forces de l’ordre.
Comment les bailleurs sociaux, qui doivent faire face à davantage de situations d’impayés que ceux du parc privé, parviennent-ils à moins d’expulsions ? La réponse tient en deux mots : prévention et accompagnement.
En effet, avant l’engagement de toute procédure judiciaire, les bailleurs sociaux alertent le locataire concerné dès le troisième mois d’impayé de loyer. Grâce à un contact de proximité – le gardien, puis un travailleur social –, un dialogue est établi qui permet, d’une part, de réaliser un diagnostic précis de la situation sociale de la famille concernée et, d’autre part, de faire prendre éventuellement conscience à celle-ci des risques d’un effet boule de neige. Au-delà de trois mois d’impayés, l’accumulation de la dette peut très vite devenir insurmontable !
Ce travail de prévention permet au locataire de rééchelonner sa dette et au bailleur de recouvrer les loyers dus. Les trois quarts des situations d’impayés sont ainsi résolues. C’est considérable ! Il faut donc s’en inspirer au-delà du seul parc public.
Les propriétaires privés, qui sont souvent des particuliers, ne disposent évidemment pas des moyens humains pour accomplir ce travail de prévention. On pourrait donc imaginer qu’un système de garantie mutuelle assure cette fonction.
Hélas ! c’est l’inverse qui se produit avec les assurances locatives souscrites par nombre de propriétaires. Je rappelle en effet que ceux-ci sont encore trop peu nombreux à faire appel à la GRL – 200 000 en quatre ans d’existence – et que celle-ci n’est d’ailleurs pas universelle. Comme les assurances incitent fortement les propriétaires à déclencher immédiatement une procédure judiciaire pour pouvoir bénéficier de la couverture du risque locatif, le locataire est d’emblée emporté dans la judiciarisation de sa situation. Or, pendant ce temps, sa dette s’accumule !
Le système assurantiel produit ici des effets pervers particulièrement dommageables, autant pour le propriétaire que pour l’occupant. Cela montre que nous ne pourrons échapper au débat sur l’élargissement du système de garantie universelle et mutualiste des risques locatifs, dans le parc privé comme dans le parc public, que ce soit par conviction ou par obligation. Pour notre part, c’est évidemment la conviction qui nous y pousse. De ce point de vue, cette proposition de loi est opportune et me permet de souligner que nous attendons que des améliorations substantielles soient apportées à ce système inventé au début des années 2000.
J’en viens maintenant aux politiques d’accompagnement.
Sur les 60 000 recours visant à demander la résiliation du bail, 40 000 sont accordés par les tribunaux. Dès lors, un protocole peut être mis en place permettant au locataire de rester dans le logement moyennant le paiement d’une indemnité d’occupation, avec maintien de l’APL, et le remboursement progressif de sa dette locative. Au terme de ce protocole, dont la durée ne peut excéder cinq ans, si le locataire a respecté sa part de contrat, son bail est rétabli. C’est ce qui arrive dans près de 70 % des cas, ce qui est très encourageant.
Là encore, il y a davantage d’enseignements à tirer de ce dispositif et de bonnes solutions à trouver que dans la brutale et traumatisante expulsion. J’appelle donc de mes vœux l’élargissement de ces solutions amiables et contractuelles au parc privé, dans un cadre sécurisé pour les propriétaires.
Au-delà des indispensables efforts de sécurisation des trajectoires résidentielles, nous devons nous interroger, en tant que représentants de la nation, sur les raisons qui ont conduit à la forte croissance des expulsions au cours de la dernière décennie. Les contentieux locatifs avec demande de délivrance de titre exécutoire ont en effet augmenté de 40 % entre 2000 et 2009. C’est considérable et significatif de l’inadéquation entre l’offre de logement et le pouvoir d'achat de nos compatriotes.
Mes chers collègues, permettez-moi d’appeler votre attention sur l’exacte concomitance de l’accroissement des impayés donnant lieu à contentieux et la très forte inflation immobilière au cours de ces dix dernières années.
Plus les loyers grimpent et plus les ménages ont des difficultés pour y faire face ! Il est des vérités simples qui méritent de ne pas être oubliées si l’on veut infléchir les politiques publiques. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Thierry Repentin. Entre 2000 et 2010, les loyers de relocation dans le parc locatif privé ont augmenté de 90 %. Quant à la revalorisation annuelle pour les locataires en place, toujours dans le parc privé, elle a connu une hausse de 26 % sur la même période. La conséquence directe en est l’alourdissement du taux d’effort des ménages, parfois jusqu’à l’impayé, voire la dette locative.
M. Jacky Le Menn. Eh oui !
Mme Raymonde Le Texier. Exactement !
M. Thierry Repentin. Cette situation sur le front du logement est dramatique pour les classes moyennes, pour les habitants des grandes villes et des agglomérations, en particulier pour les jeunes ménages, bref, pour une part sans cesse croissante de la population. La problématique du poids du logement dans le budget familial n’est plus strictement francilienne ni restreinte aux seuls démunis : elle se généralise.
M. Jacky Le Menn. Tout à fait !
M. Thierry Repentin. Or, s’il est de la responsabilité de chacun de payer son loyer, il est de la responsabilité de la nation de sécuriser l’accès et le maintien dans le logement.
Un tel diagnostic appelle un virage de la politique du logement. À ce titre, trois priorités doivent être dégagées.
Première priorité : agir sur les prix.
C’est urgent. La défaillance du marché est patente. Des mesures de régulation doivent être prises, tant sur l’encadrement des loyers de relocation que sur la modération des prix de l’immobilier via les taux d’intérêt et les règlements d’urbanisme.
Deuxième priorité : développer l’offre abordable.
La France a besoin de logements à loyer modéré, et pas seulement dans quelques zones dites tendues.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Thierry Repentin. Les aides à la pierre n’en finissent pas de rapetisser. Bientôt, elles ne pourront plus servir qu’à financer la construction de logements pour Lilliputiens !
M. Guy Fischer. Il a raison !
M. Thierry Repentin. Renforcer l’offre abordable, c’est fixer des contreparties sociales aux aides à l’investissement locatif, c’est développer la mixité sociale dans le parc existant par le conventionnement et l’intermédiation locative.
Troisième priorité : solvabiliser.
Comme la Cour des comptes le pointait dans son rapport de 2007, les aides au logement ont vu leur pouvoir solvabilisateur s’éroder fortement au cours des quinze dernières années. Il faudrait donc au minimum relever les plafonds des loyers de référence des aides au logement et donner un coup de pouce significatif au forfait charges.
Mes chers collègues, les collectivités locales font face aux difficultés de vie de nos concitoyens au maximum de leurs possibilités, y compris parfois par des arrêtés symboliques « anti-expulsion », sur le fondement desquels on peut s’interroger.
M. Guy Fischer. Eh oui ! On le sait à Vénissieux !
M. Thierry Repentin. Les parlementaires socialistes sont convaincus que le législateur doit, lui aussi, prendre ses responsabilités. C’est ce que nous aurons à faire en ayant conscience qu’il nous est impossible de légiférer sur la seule question de l’expulsion sans agir concomitamment sur les autres leviers de la politique de l’habitat et du logement et sans restaurer du pouvoir d'achat pour ceux de nos concitoyens qui ne peuvent accéder à la propriété. Mais peut-être sommes-nous là déjà dans des débats que nous aborderons en 2012 … (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, bien sûr, il n’est jamais bon de légiférer sous le coup de l’émotion, mais reconnaissons que les appels lancés par certains font parfois avancer l’histoire. Il incombe ensuite au législateur de rendre ces utopies réalisables. Ces appels sont indispensables lorsque, alertés par des rapports ou par des hommes, nous ne savons pas réagir avec l’efficacité qui convient.
Dans son récent rapport sur l’état du mal-logement, la Fondation Abbé Pierre estime que 3,6 millions de Français ne bénéficient pas d’un logement satisfaisant.
Mme Raymonde Le Texier. Eh oui !
M. Jean-Michel Baylet. Certains d’entre eux vivent à l’hôtel, dans des campings ou dans des caves toute l’année. Quant à ceux qui ont un logement, ils vivent en surnombre dans un habitat indécent où ils ne disposent pas du confort de base.
On estime entre 500 000 et 600 000 le nombre de logements indignes, souvent exploités par ceux qu’on appelle les « marchands de sommeil », et à 1 million environ les personnes qui vivent dans des conditions inhumaines. En 2010, près de 685 000 personnes étaient dépourvues de logement.
Pourquoi ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants connaissent-ils un tel sort ? Cette situation préoccupante et dramatique, tant sur le plan humain que sanitaire, n’est ni acceptable ni justifiable. L’État, malgré ses obligations, ne propose malheureusement rien à ces familles.
Proclamé avec la loi Quilliot en 1982, qui fait du droit à l’habitation un droit fondamental, consacré par la loi Besson de 1990, qui en fait un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation, puis par la loi DALO de 2007, le droit au logement est pourtant tenu en échec.
La loi DALO, élaborée précipitamment à la suite d’un fait divers qui avait suscité l’émotion et dont le Médiateur de la République a rappelé dans son dernier rapport annuel qu’elle était inapplicable, a suscité un immense espoir chez ces centaines de milliers d’hommes et de femmes en attente. Elle devait rendre le droit au logement effectif en imposant aux pouvoirs publics une obligation de résultat, c’est-à-dire en permettant aux citoyens de se retourner contre l’État.
Pourtant, force est de constater que sa mise en œuvre est laborieuse, décevante. À la fin de l’année 2010, moins de 180 000 recours « logement » avaient été déposés auprès des commissions de médiation, les demandes étant d’ailleurs très largement concentrées en Île-de-France. Même si ce chiffre est en progression, il reste toutefois limité au regard de l’ensemble des ménages potentiellement éligibles. Par ailleurs, compte tenu de l’engorgement de certaines commissions de médiation, seuls les trois quarts des recours ont pu être examinés. Finalement, depuis la mise en place de la loi DALO, 19 000 personnes seulement ont pu être relogées.
L’État ne loge pas les gens et ne se donne pas les moyens de le faire. Il se met ainsi lui-même hors la loi.
Mme Annie David. Exactement !
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Jean-Michel Baylet. Certes, la crise du logement s’est amplifiée avec la crise financière, puis la crise économique qui ont touché la France de plein fouet en 2008. Après une période de baisse, les loyers sont à nouveau aussi élevés qu’avant cette date, alors que le pouvoir d’achat des Français a, lui, largement baissé.
Mme Annie David. Bien sûr !
M. Jean-Michel Baylet. Le coût du logement est devenu inabordable pour beaucoup, insupportable pour les plus démunis, parfois même pour les classes moyennes. Quant à l’accession à la propriété, elle n’est plus envisageable pour la plupart des familles.
Le prix exorbitant des appartements dans le secteur privé et la carence de l’offre sociale poussent de plus en plus de nos concitoyens hors du marché du logement. Je pense notamment aux femmes seules avec enfant, employées en temps partiel subi, en CDD ou en intérim. L’éclatement de la cellule familiale a d’ailleurs eu des répercussions en matière de demande de logements que les prévisionnistes les plus avisés n’avaient pas vu venir.
Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut augmenter la construction de logements et atteindre au minimum 500 000 logements nouveaux par an pendant plusieurs années pour permettre enfin la mise en œuvre d’un droit au logement opposable. Or on dépasse à peine les 300 000 logements par an !
S’ajoute à cela un nombre trop important de logements vacants : plus de 2 millions. Et ce chiffre est en constante augmentation depuis trente ans !
Des solutions doivent être trouvées et mises en œuvre pour toutes ces familles qui se retrouvent à la rue ou en situation très précaire. La question qui se pose désormais à nous est simple : quelle politique mettre en place, et avec quels moyens, pour assurer enfin à chacun de nos concitoyens l’accès à un logement digne ?
Telles sont les raisons pour lesquelles nous soutenons l’initiative du groupe CRC-SPG, qui propose de rendre effectif le droit au logement et, surtout, de renforcer la prévention des expulsions locatives, toujours très insuffisante.
En effet, en 2009, le nombre de décisions de justice prononçant une expulsion a atteint un record historique : 107 000 ménages sont désormais menacés de se retrouver à la rue à la suite de la résiliation de leur bail. Ces chiffres élevés montrent que la réponse apportée aux ménages en difficulté est trop souvent répressive. Elle ne tient pas compte du coût humain, social et économique de l’expulsion et elle s’exerce au détriment de toute cohérence de l’action publique, puisque les familles expulsées devraient être relogées par les préfets dans le cadre du DALO. (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Monsieur le secrétaire d’État, vous aviez pourtant assuré que l’accent serait mis cette année sur une « politique de prévention des expulsions », passant notamment par une taxation des propriétaires louant à des montants abusifs des logements de petite surface et par l’encadrement de l’augmentation des loyers dans le parc social. Je regrette que, pour l’instant, cette annonce n’ait pas véritablement été suivie d’effets.
Les radicaux de gauche ont à cœur de mettre en place une véritable politique du logement, à la hauteur de ses enjeux humains. C’est pourquoi nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)