Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Force est de constater que le débat ne s’est pas vraiment engagé, puisque nous n’avons obtenu aucune réponse à nos questions et que seuls quelques amendements à la marge ont été adoptés. Sur les points fondamentaux, la position du Gouvernement n’a pas évolué. Ainsi, les problèmes de constitutionnalité demeurent, quoi que vous en disiez.
Ce texte ne méritait pas d’être discuté selon la procédure accélérée. En vérité, l’urgence était de l’adopter avant la fin de la session ordinaire pour tenir l’engagement du Président de la République d’« agir », ce qui, en l’occurrence, signifie aggraver la législation pénale.
À l’origine, le projet de loi visait seulement à créer les citoyens assesseurs, puis y ont été ajoutées des dispositions relatives aux cours d’assises et une refonte de la justice des mineurs. Ce texte comporte donc désormais trois réformes d’importance, élaborées à la va-vite. Cette situation est tout à fait regrettable.
Monsieur le garde des sceaux, au rebours des déclarations du Président de la République, vous avez tenté de nier que la création des citoyens assesseurs visait à durcir les sanctions pénales. Cependant, vous ne nous avez pas donné de raisons de vous croire.
On voit bien qu’il s’agit de cibler des délits qui émeuvent fortement l’opinion publique et sont abondamment relatés dans les médias, en excluant les délits économiques et financiers ou liés au trafic de stupéfiants, notamment. Vous avez d’ailleurs refusé les modifications du champ d’application du dispositif que nous proposions. Il s’agit là d’une stigmatisation sociale, d’une démarche populiste inacceptable. Je persiste à affirmer que l’introduction des citoyens assesseurs et la réforme de la justice des mineurs, en particulier, sont sous-tendues par des considérations de classe.
Vous avez minimisé les difficultés de fonctionnement qui résulteront, pour les juridictions correctionnelles, de la création des citoyens assesseurs.
En ce qui concerne la justice des mineurs, vous avez nié, mais une fois encore sans rien démontrer, que l’instauration de tribunaux correctionnels des mineurs et la mise en place d’une procédure de comparution immédiate mettraient fin à sa spécificité. Vous entendez en fait rapprocher toujours davantage la justice des mineurs de celle des majeurs, en complète contradiction non seulement avec l’ordonnance de 1945, mais aussi avec toute l’évolution du droit en la matière, y compris sur le plan international.
Si vous restez « droit dans vos bottes », monsieur le garde des sceaux, nous demeurons, pour notre part, fermement opposés à ce texte. Nous espérons que certaines de ses dispositions seront censurées par le Conseil constitutionnel et, surtout, qu’un changement politique interviendra avant qu’il ne soit entré en application. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Je tiens à redire, à cet instant, notre opposition formelle à cette énième révision de l’ordonnance de 1945 et à l’introduction improvisée de citoyens assesseurs dans le fonctionnement de la justice pénale.
Monsieur le rapporteur, je ne vous fais aucun procès en insincérité ; monsieur le garde des sceaux, je sais les contraintes qui s’imposent à vous. Mais vous sous-estimez les véritables manques de notre justice et vous livrez vos innovations aux aléas de l’expérimentation. C’est inacceptable, au moins sur deux plans.
Tout d’abord, rien, dans les nouveaux dispositifs, ne donne la garantie, ni même l’espoir, que les jurys populaires apporteront une réelle amélioration au fonctionnement de la justice ; bien au contraire !
En effet, un inévitable ralentissement des procédures en résultera. En outre, ni leur mode de sélection, ni l’ébauche d’information-formation qui leur sera dispensée, ni le rythme de traitement des affaires par les juridictions correctionnelles ne permettront de placer les citoyens assesseurs en situation de juger sérieusement : des jurés citoyens, oui, mais pas dans ces conditions !
Monsieur le garde des sceaux, il s’agit donc d’une mesure populiste, d’un leurre que le Gouvernement propose à l’opinion publique, sans égards pour l’efficacité réelle de la justice ni pour l’égalité des citoyens devant celle-ci.
Mais, bien plus grave encore, le deuxième volet de votre texte remet en cause la spécificité de la justice des mineurs.
La régression évidente que marque votre réforme à cet égard est un très mauvais signal adressé aux jeunes délinquants, à leurs familles, souvent dépassées, aux magistrats, aux éducateurs, aux associations d’insertion, à tous ceux qui se consacrent à ce problème si lourd de la délinquance des mineurs.
Votre texte reflète une vision en retard sur des années d’expérience, sur de nombreux engagements constitutionnels et internationaux, une vision sans espoir quant au devenir d’une partie de notre jeunesse, il reflète l’enfermement de votre pensée dans une logique purement répressive, que nous récusons.
Une société qui se trompe aussi lourdement sur ses propres responsabilités, sur son devoir de prévention et de protection à l’égard des mineurs, est une société qui ampute son avenir.
Nous déplorons, monsieur le garde des sceaux, que le débat qui s’est tenu dans cet hémicycle ne vous ait pas ouvert les yeux sur cet enjeu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le garde des sceaux, non seulement notre excellent collègue Jacques Mézard n’a rien à se faire « pardonner », même si ce jour est, paraît-il, propice au pardon, mais il mérite au contraire nos félicitations, car son talent fait la fierté de notre groupe et honore le Parlement !
C’est un truisme que de dire que notre justice est en crise. La réforme de la justice proposée aujourd’hui par le Gouvernement se heurte à la réprobation de la majorité des magistrats. Cela doit nécessairement nous inciter, monsieur le garde des sceaux, à nous interroger : comment peut-on réformer une institution judiciaire en crise contre l’avis même des magistrats ?
Monsieur le garde des sceaux, vous prétendez répondre à cette crise en empilant les lois répressives et en alourdissant la charge de travail des intervenants dans la chaîne judiciaire, tout en dénonçant régulièrement un supposé laxisme des magistrats.
Il ressort clairement de ce débat que ce dont notre justice a besoin, c’est d’abord de moyens humains et financiers qui soient à la hauteur des exigences de l’État de droit. Ce dont nous ne voulons plus, c’est d’une justice qui sacrifie les droits des mis en cause et des victimes au nom de l’affichage médiatique ou d’objectifs purement statistiques.
Or ce projet de loi va manifestement à l’encontre des besoins réels du monde judiciaire. Voulue par le seul Président de la République, l’introduction des citoyens assesseurs dans les tribunaux correctionnels n’était demandée par personne et, pis, ne répond aujourd’hui à aucun besoin urgent.
Dans ces conditions, le recours à la procédure accélérée pour l’examen de ce texte apparaît comme une nouvelle mauvaise manière faite au Parlement, tenant simplement au fait qu’il avait été décidé ailleurs que cette réforme devrait être votée avant l’été !
Monsieur le garde des sceaux, relisez les propos tenus hier par notre collègue Robert Badinter : cette réforme n’est même pas idéologique, c’est de l’aveuglement, le comble de l’irréalisme !
J’ajoute que les postulats qui fondent ce texte sont plus que contestables. C’est aussi ce que notre collègue Jacques Mézard n’a cessé de répéter durant ce débat : votre projet de loi ne contribuera qu’à désorganiser encore un peu plus le fonctionnement de la justice judiciaire en alourdissant la charge de travail des magistrats, que nous savons déjà bien pesante, et en allongeant la durée des audiences, alors que l’audiencement est déjà inextricable. De plus, il grèvera des moyens financiers déjà très largement insuffisants.
Monsieur le garde des sceaux, juger est un métier : il est manifeste que la maigre journée de formation allouée aux citoyens assesseurs est insuffisante, pour ne pas dire dérisoire.
Vous l’aurez compris, nous ne cautionnerons pas ce texte qui participe à l’inflation législative, alors que le droit pénal a besoin au contraire de stabilité normative. Nous en reparlerons sans doute, monsieur le garde des sceaux, lors de la discussion du prochain projet de loi de simplification du droit…
Nous ne cautionnerons pas davantage le volet relatif à la justice des mineurs, dont le dispositif se résume à une aggravation de la répression au détriment du relèvement éducatif des mineurs, qui constitue pourtant la pierre angulaire de l’ordonnance de 1945.
La création du tribunal correctionnel des mineurs est une nouvelle atteinte au principe général de spécialisation des juridictions pénales pour mineurs, tout comme la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le tribunal pour enfants.
Une fois de plus, on tend à rapprocher la justice des mineurs du droit pénal applicable aux majeurs, sans chercher véritablement à comprendre les causes premières de la délinquance juvénile, qui sont le plus souvent sociales.
La très grande majorité des membres du groupe du RDSE votera contre ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les citoyens demandent non pas à rendre la justice, mais à ce qu’on la leur rende. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Bien dit !
M. Jacques Mézard. Le fossé qui existe aujourd’hui entre l’exécutif et la justice a rarement été aussi profond au cours de notre histoire ; nous en sommes tous, d’une manière ou d’une autre, en partie responsables.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez parlé de pardon, mais vous devenez un spécialiste du péché législatif ! (Sourires.)
M. Joël Bourdin. Un péché véniel !
M. Jacques Mézard. Plus ou moins…
Nous percevons tous que ce texte n’est pas bon. (M. Jean-Pierre Fourcade s’exclame.)
Que la majorité le soutienne est néanmoins tout à fait normal, monsieur Fourcade, puisqu’une telle réforme faisait partie du programme du Président de la République. Cependant, on a pu voir qu’il ne suscitait aucun enthousiasme, parce qu’il n’est pas bon pour notre justice, tout simplement.
La procédure accélérée a été engagée pour ce projet de loi, alors qu’il n’y avait aucune urgence : M. le rapporteur l’a dit lui-même dans Le Monde. Ce n’est pas une critique, c’est juste une constatation…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. La conférence des présidents peut s’opposer à l’inscription d’un texte à l’ordre du jour !
M. Jacques Mézard. Vous savez très bien, monsieur le garde des sceaux, qu’il est illusoire d’attendre de la conférence des présidents qu’elle s’oppose à l’inscription à l’ordre du jour d’un texte voulu par le Gouvernement !
Cette réforme est élaborée au pas de charge, sans véritable prise en compte des observations formulées par les professionnels de la justice qui ont été entendus par la commission. D’autres réformes s’imposaient.
Vous nous avez répété, tout au long de ce débat, que ce texte ne constituait pas une marque de défiance envers les magistrats et que vous aviez pour eux la plus grande considération, comme il est d’ailleurs naturel pour un garde des sceaux. Il n’en reste pas moins que certaines déclarations du Président de la République contredisent totalement vos propos. Le discours varie selon qu’il s’adresse au Sénat, aux magistrats ou à l’opinion publique.
En outre, vous n’avez eu aucune considération pour les avis émanant de toutes les structures et organisations participant à l’œuvre de justice : syndicats de magistrats, Conseil national des barreaux…
Au final, vous l’avez reconnu loyalement, votre réforme va allonger la durée des audiences et augmenter les coûts de fonctionnement de la justice. On ne peut pas dire que ce soit là un bon résultat, compte tenu des difficultés que celle-ci rencontre déjà actuellement.
On nous avait annoncé un nouveau code de procédure pénale, une réforme de l’instruction, un code de la justice pénale des mineurs, une refonte du statut du parquet : il n’en est plus question ! Quant à la réforme de la garde à vue, elle vous a été imposée…
Ce projet de loi ne permettra pas d’améliorer le fonctionnement de la justice. Il s’agit seulement d’obtenir un affichage médiatique, comme avec le couvre-feu pour les mineurs. Monsieur le garde des sceaux, je crois très sincèrement que l’urgence, en réalité, est d’instaurer un couvre-feu législatif ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous félicitons, pour notre part, de la qualité de ce débat.
Réformer la justice n’est jamais chose facile ; le sujet est assurément sensible et revêt une importance majeure pour nos concitoyens, pour notre démocratie.
Ce projet de loi permettra de renforcer le lien, aujourd’hui trop distendu, entre la population et l’institution judiciaire. Nous sommes, en ce qui nous concerne, convaincus que la participation des citoyens à la prise de décisions parfois difficiles améliorera leur connaissance d’une institution complexe.
L’intervention des citoyens assesseurs viendra, de plus, nourrir l’esprit civique de chacun, dans la mesure où juger est un acte de citoyenneté et d’implication dans la vie de la cité. La participation de la société civile à la justice pénale est d’ailleurs courante chez nos voisins européens, quel que soit le degré de gravité des faits jugés.
Bien sûr, la présence de citoyens assesseurs dans les tribunaux correctionnels, les cours d’assises et les juridictions de l’application des peines imposera l’octroi de moyens financiers et de postes supplémentaires, tant de magistrats que de greffiers. Le Gouvernement a pris des engagements sur ce point, et le groupe UMP lui fait confiance.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faudra voter des crédits !
M. André Reichardt. Outre qu’il permettra la représentation des citoyens dans les tribunaux correctionnels et les juridictions de l’application des peines, le projet de loi simplifiera l’organisation de la justice en matière criminelle.
En ce qui concerne la cour d’assises, le débat a été animé. La solution retenue, à savoir maintenir le jury dans tous les cas mais simplifier la composition de l’actuelle cour d’assises avec une modification du nombre de ses membres, nous paraît judicieuse. Le jury comprendra désormais six jurés en première instance et neuf en appel.
Par ailleurs, notre groupe se satisfait du remplacement de la lecture de l’arrêt de mise en accusation par un rapport oral du président. Cela contribuera sans nul doute à raccourcir les débats sans pour autant leur ôter de leur pertinence.
Rendre obligatoire la motivation des arrêts en matière criminelle – et pas seulement en cas de condamnation – constitue une autre avancée importante.
L’autre volet du projet de loi, relatif à la réforme de la justice des mineurs, qui a été longuement débattu dans cet hémicycle, est nécessaire à l’adaptation de notre système judiciaire à l’évolution de la société.
Devant la constante augmentation de la délinquance des mineurs, nous devons adapter les outils juridiques dont dispose l’autorité judiciaire, dans le respect des principes de primauté de l’éducatif sur le répressif, d’atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l’âge et de spécificité de la procédure pénale applicable aux mineurs.
Les modifications apportées à l’ordonnance du 2 février 1945 permettront un traitement plus rapide et plus lisible de la délinquance des mineurs, conformément au souhait des Français. Ainsi, la prise en compte de la personnalité du mineur sera améliorée, la lutte contre la récidive sera renforcée, la réponse pénale deviendra mieux adaptée à l’évolution de la délinquance et, enfin, comme nous l’avons dit ce matin, la responsabilisation des parents sera accentuée.
Nous ne doutons pas de l’efficacité du nouvel outil que constituera le dossier unique de personnalité. Nous sommes en outre rassurés par la confidentialité des informations qu’il contiendra.
Quant à la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs, obligatoirement présidé par un juge des enfants, nous sommes convaincus qu’elle permettra d’améliorer la lutte contre la récidive des mineurs.
En conclusion, le groupe UMP tient à remercier les membres de la commission des lois, notamment son président Jean-Jacques Hyest et son excellent rapporteur Jean-René Lecerf, dont le travail minutieux et équilibré mérite d’être salué, comme le reconnaissent les sénateurs de l’opposition, ce qui mérite d’être souligné.
M. Jean-Pierre Michel. Nous sommes plus objectifs que vous !
M. André Reichardt. Pour toutes ces raisons, le groupe de l’UMP votera ce texte avec conviction et confiance. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme les sénatrices et le sénateur écologistes n’ont pas manqué de le souligner au cours des débats, en particulier Mme Alima Boumediene-Thiery, qui ne peut être présente ce matin, et dont je me fais volontiers le porte-parole, ce projet de loi n’est absolument pas acceptable.
De nombreuses critiques ont déjà été émises sur la méthode employée, qui ne respecte en rien le débat parlementaire, puisque vous avez fait le choix d’une procédure accélérée à des fins électorales et politiciennes, monsieur le garde des sceaux !
Sur le fond, sous prétexte de vouloir davantage associer le peuple à la justice, vous avez souhaité modifier la composition du tribunal correctionnel et de la chambre des appels correctionnels par l’ajout de deux « citoyens assesseurs ». Or, paradoxalement, votre projet de loi vise également à modifier la composition du jury de la cour d’assises, en abaissant le nombre de jurés. Il ne s’agit donc in fine que de l’annonce trompeuse d’une participation croissante de la population à la justice. En réalité, vous réduisez le nombre de citoyens qui pourront participer à des procès !
Par ailleurs, le projet de loi cherche à instaurer une hiérarchie entre jurés populaires et magistrats professionnels, au détriment de ces derniers. Il marque ainsi la défiance du Gouvernement à l’égard de nos juges professionnels.
Nos débats ont montré les difficultés pratiques qui résulteraient de la mise en place de ces jurés populaires, citoyens profanes qui devront pourtant décider de l’avenir pénal des accusés. En dépit des explications de M. le garde des sceaux, je reste sceptique sur la formation qui sera dispensée à ces deux « assesseurs citoyens » appelés à siéger huit jours dans l’année.
Quant au volet du texte relatif à la justice des mineurs, il réforme de façon contestable l’ordonnance de 1945, en alignant le droit des mineurs sur celui des majeurs. Le Gouvernement ne souhaite pas entendre que l’enfant n’est pas un adulte et il s’affranchit des exigences et des objectifs premiers de l’ordonnance.
Avec ce texte, disparaîtront, hélas ! l’obligation pour un mineur d’être jugé devant une juridiction spécialisée et la nécessité de faire primer les mesures éducatives sur les sanctions pénales.
Revenons aussi sur le dossier unique de personnalité, tout droit sorti du rapport Varinard et de l’un de ses chapitres consacré à la célérité de la réponse pénale. L’objectif imparti à ce dossier, à savoir l’accélération du jugement des mineurs, est évidemment plus que critiquable.
Le projet de loi ne laisse apparaître aucune volonté d’instaurer une continuité éducative ; il vise au contraire à précipiter la réponse pénale à l’égard des mineurs, sans tenir compte de leur jeune âge et des particularités qui en découlent.
Quant à l’assignation à résidence avec surveillance électronique de mineurs, et ce dès l’âge de treize ans, nous avons déjà exprimé ce matin notre opposition à cette mesure.
Les sénatrices et le sénateur écologistes s’opposent donc fermement à l’ensemble des dispositions de ce texte liberticide. Nous voterons évidemment contre ce projet de loi, qui relève d’une vision erronée de la justice.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous parvenons au terme d’un débat dont je crois pouvoir dire qu’il a été riche. Il a ainsi permis au Gouvernement et à la commission de clarifier certaines dispositions du texte, ce qui n’était pas inutile.
Je félicite une nouvelle fois le rapporteur Jean-René Lecerf de l’excellent travail qu’il a accompli, en toute indépendance.
Après les modifications qui lui ont été apportées en commission et en séance, le texte soumis au vote du Sénat est sensiblement différent du projet de loi initial et, en tout état de cause, plus réaliste. Cela n’ayant toutefois pas permis de dissiper tous les doutes, un certain scepticisme demeure. En particulier, la question de l’utilité de la réforme reste posée. Nous savons maintenant que celle-ci figurait dans le programme de 2007 du Président de la République, même si personne ne semblait l’avoir réclamée…
La mise en œuvre de cette réforme coûtera cher. En tant que rapporteur pour avis du budget des services judiciaires, même si je reconnais volontiers que le budget du ministère de la justice est aujourd’hui mieux loti que beaucoup d’autres, je me demande dans quelle mesure on pourra allouer des moyens supplémentaires à l’application de cette réforme sans réduire ceux qui sont consacrés au fonctionnement habituel de l’institution judiciaire. De surcroît, à titre personnel, je crains fort que la mise en œuvre de la réforme ne ralentisse encore le cours de la justice, à un moment où elle n’en a vraiment pas besoin.
Je ne suis donc pas pleinement convaincu de l’intérêt de ce bouleversement majeur de notre procédure pénale. C’est la raison pour laquelle, avec quelques-uns de mes collègues du groupe de l’Union centriste, je m’abstiendrai sur ce texte.
Toutefois, compte tenu du travail effectué par la commission et des quelques aménagements qui ont été adoptés en séance, ce dont je remercie M. le garde des sceaux, considérez qu’il s’agit là d’une abstention positive.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Sans reprendre les différents arguments qui ont été avancés par les sénatrices et sénateurs de gauche, auxquels je souscris pleinement, je souhaite toutefois réaffirmer en introduction que la gauche n’est ni immobile ni immobiliste. Nous aussi, nous voulons des réformes !
Ainsi, nous ne nous opposons pas au principe d’une meilleure participation des citoyens au fonctionnement de la justice. Mais ce n’était ni le bon moment, ni le bon tempo, ni la bonne méthode pour avancer sur cette voie.
Au demeurant, il ne s’agissait pas d’une attente des citoyens, fondée sur des motifs légitimes, mais d’une demande pressante et urgente d’un seul d’entre eux, le Président de la République, fondée sur des motivations que je ne préfère pas détailler. Reste que je vous donne acte du fait que vous n’êtes pas à l’initiative de ce texte, monsieur le garde des sceaux.
Il suffit d’écouter les jurés d’assises tirés au sort pour se rendre compte que les citoyens ne souhaitent pas spécialement participer au fonctionnement de la justice pénale.
S’ils arguent du fait qu’ils n’ont pas le temps ou que cela ne les intéresse pas, leurs arguments ne sont peut-être pas acceptables. En revanche, lorsqu’ils mettent en avant le fait que la justice n’est pas leur métier et qu’ils ont peur de se tromper, soit en envoyant un innocent en prison, soit en relâchant un coupable, ils méritent d’être entendus. Il est vraisemblable d’ailleurs que cette peur de se tromper soit plus importante encore pour les deux citoyens assesseurs que pour des jurés appelés à s’insérer dans des groupes de six, neuf ou douze personnes, le nombre permettant d’alléger un peu la responsabilité de chacun.
Permettez-moi une suggestion en forme de sourire : si le but est vraiment de faire participer et de former les citoyens au fonctionnement de la justice pénale, pourquoi ne pas demander aux très nombreux étudiants de deuxième année en droit d’effectuer un stage de quinze jours en qualité de citoyens assesseurs ? Cette expérience leur serait sans doute très utile et l’on éviterait peut-être ainsi un encombrement de la justice, qui n’avait vraiment pas besoin de ce coup bas.
Quant aux mineurs, le système actuel donnait satisfaction, même s’il n’était pas efficace à 100 % – aucun dispositif ne saurait l’être, de toute façon.
J’ai déjà eu l’occasion de rappeler au cours des débats que seuls 5 % des enfants délinquants deviennent des adultes délinquants. Ce pourcentage méritait-il de tout renverser et de tout casser ? Fallait-il vraiment utiliser les moyens de la justice pénale, adaptés à la psychologie et au comportement des adultes, pour traiter cette délinquance des mineurs ? Ce chemin devait-il être emprunté ou convenait-il, au contraire, de prendre davantage en compte la spécificité de cette délinquance, en tenant compte de l’âge de ses auteurs ? Ne fallait-il pas envisager une vraie réforme pluri-ministérielle plutôt qu’un texte relevant du seul ministère de la justice ?
L’opposition n’est pas immobile, monsieur le garde des sceaux ; elle aurait volontiers étudié une réforme de cette ampleur. Malheureusement, tel n’est pas le cas. Dans ces conditions, vous comprendrez que nous votions contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Je veux simplement remercier M. le garde des sceaux d’avoir évoqué au cours des débats le nom de l’un de ses lointains prédécesseurs, François de Menthon, garde des sceaux, mais aussi magistrat au procès de Nuremberg. Cet illustre Haut-Savoyard n’avait pas hésité à s’effacer pour qu’un autre Haut-Savoyard tout aussi illustre, Charles Bosson, puisse siéger pendant dix-huit ans sur ces travées.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je voudrais réagir aux propos de notre excellent collègue André Reichardt, qui vient d’exprimer sa confiance dans les moyens qui seront mis en œuvre par le garde des sceaux pour appliquer cette réforme.
Il se trouve que, la semaine dernière, les magistrats, les greffiers et les membres du parquet du tribunal de grande instance d’Orléans ont invité les parlementaires du département à venir les rencontrer. À cette occasion, ils nous ont exposé leurs difficultés concrètes, depuis les problèmes inextricables posés par le logiciel Cassiopée, lequel complique la tâche des greffiers et ralentit le traitement des affaires,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dans un premier temps !
M. Jean-Pierre Sueur. … jusqu’au manque crucial de moyens, en passant par la durée des audiences.
Une seule audience du tribunal d’instance peut ainsi voir défiler une centaine d’affaires, ce qui ne permet de consacrer que quelques minutes à chacune d’entre elles. Et je ne parle pas des dizaines d’affaires inscrites au rôle de chaque audience correctionnelle en un après-midi !
Robert Badinter, avec son éloquence habituelle, a fort bien dit à la tribune du Sénat que le projet de loi pose des questions tellement fortes, tellement concrètes, que personne ne demande l’adoption de telles mesures. Aucune association professionnelle de magistrats n’a jamais réclamé la création de jurés en matière correctionnelle.