M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission de la culture, aux termes de l’article 75-1 de la Constitution, les langues régionales appartiennent désormais au patrimoine de la France. Elles ont donc toute leur place dans notre République, une République ouverte et généreuse qui sait s’enrichir de sa diversité, sans jamais oublier d’affirmer son unité. Cette unité est, plus que jamais, nécessaire pour faire face aux bouleversements du monde, pour répondre aux défis de la mondialisation, qui est une réalité quotidienne pour chacun d’entre nous.
Les langues régionales appartiennent donc au patrimoine de la France, et cela est inscrit dans notre loi fondamentale. Pour autant, et je préfère le dire d’emblée, le Gouvernement ne souhaite pas l’adoption de la proposition de loi de Robert Navarro relative au développement des langues et des cultures régionales.
En cela, le Gouvernement partage l’analyse et l’avis de votre rapporteur, Colette Mélot, dont je veux saluer l’excellent et patient travail. Le Gouvernement partage l’analyse et l’avis de la commission de la culture du Sénat.
Entendons-nous bien : l’opposition du Gouvernement à cette proposition de loi ne saurait en aucun cas être interprétée, je le dis avec force, comme une opposition de principe aux langues régionales. D’ailleurs, vous savez bien que le Gouvernement n’hésite pas à apporter son appui à la démarche législative lorsque le besoin s’en fait sentir : ici même, au mois de février dernier, mon collègue Frédéric Mitterrand – qui serait présent aujourd'hui s’il n’accompagnait le Premier ministre dans un déplacement en Asie – a soutenu, au nom du Gouvernement, une proposition de loi prévoyant que les panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération apposés en langue française sur la voie publique pouvaient être complétés du nom de cette agglomération en langue régionale.
D’ailleurs, pour vous montrer que l’obstruction ou le sectarisme ne font pas partie de notre pratique, je veux rappeler devant vous l’effort de l’État en faveur de l’usage et de la transmission des langues régionales. Je souhaite d’autant plus le faire que, à l’occasion des discussions que j’ai eues avec certains d’entre vous et au cours d’échanges avec plusieurs de vos collègues de l’Assemblée nationale, je me suis aperçu que l’action de l’État en faveur des langues régionales, pourtant soutenue au cours des dernières décennies, était par trop méconnue.
Elle est méconnue alors même qu’elle répond très largement à la demande de certains de nos territoires et de certains élus. Je mesure d’ailleurs la vigueur de cette demande au moment où quatre propositions de loi ont été déposées presque conjointement au Sénat comme à l’Assemblée nationale, par l’opposition comme par la majorité.
Aussi, avant d’en venir aux raisons qui conduisent le Gouvernement à vous demander de rejeter cette proposition de loi, vous me permettrez de tracer devant vous à grands traits les contours de l’action de l’État en faveur des langues régionales.
L’école de la République a longtemps été accusée d’être l’ennemi farouche des langues régionales. Elle aurait combattu leur usage. Elle se serait opposée à leur transmission. Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas la conception que je me fais de notre école. Ce n’est pas la conception que l’éducation nationale se fait des langues régionales. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’effort soutenu qu’elle consacre depuis plusieurs décennies aux langues régionales, et je remercie Mme le rapporteur d’en avoir pris acte dans son rapport.
Enseignées dans dix-huit des trente académies de France, les langues vivantes régionales sont tout d’abord pleinement reconnues dans les programmes nationaux de l’Éducation nationale. C’est le signe de l’attachement que nous leur portons, mais également de la rigueur et du sérieux de cet enseignement.
Ainsi, au cours des dernières années, le ministère a rénové ou profondément repensé les programmes de langues vivantes régionales métropolitaines – basque, breton, catalan, corse, occitan-langue d’oc, langues régionales d’Alsace et des pays mosellans – afin de les inscrire dans le cadre européen commun de référence pour les langues. Quelle belle reconnaissance pour ces langues !
Ces rénovations ont eu lieu en 2007 pour le primaire, en 2007 pour le palier 1 du collège, qui vise le niveau A2, en 2010 pour le palier 2 du collège, qui vise le niveau B1, et pour la classe de seconde.
En outre, des programmes de créole pour l’école et le collège sont en voie de publication. Ils sont à l’ordre du jour du Conseil supérieur de l’éducation de ce jour, 30 juin, et seront applicables dès 2011-2012.
Enfin, le gouvernement local de Polynésie française s’apprête à publier des programmes de tahitien, dans le cadre des compétences qui lui sont reconnues par la loi organique en matière d’enseignement des langues de la Polynésie française.
J’ajoute que l’enseignement des cultures régionales ne se limite pas à la transmission des langues régionales. En effet, la géographie, la culture et l’histoire régionales peuvent également être étudiées dans le cadre du cours d’histoire et de géographie et ainsi être connues de celles et de ceux qui ne suivent pas d’enseignement de langue régionale. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le programme de géographie du cycle 3 de l’école comprend une entrée intitulée « Des réalités géographiques locales à la région où vivent les élèves ».
La spécificité des départements d’outre-mer est, quant à elle, prise en compte dans des programmes adaptés d’histoire et de géographie.
J’en reviens à l’enseignement des langues régionales, inscrit au cœur de votre proposition de loi, monsieur le sénateur, pour en souligner la richesse. En effet, à l’école, au collège, comme au lycée, plusieurs modalités d’enseignement coexistent qui présentent toutes une singularité et un intérêt.
Ainsi, à l’école, on peut distinguer quatre modalités d’enseignement différentes.
L’enseignement extensif est dispensé durant une heure trente prise sur l’horaire de langue vivante selon des modalités définies dans le projet d’école. Certaines langues, dans le cadre des dispositions particulières qui les régissent – je pense au corse ou au tahitien – sont considérées comme une matière incluse dans l’horaire normal d’enseignement ; trois heures leur sont alors consacrées.
L’enseignement renforcé est dispensé selon un horaire hebdomadaire allant au-delà d’une heure et demie, par exemple de deux heures.
L’enseignement bilingue à parité horaire est assuré pour moitié en langue régionale, pour moitié en français. Une partie des activités inscrites au programme de l’école se déroulent donc dans la langue régionale de la section.
Enfin, l’enseignement bilingue par immersion est dispensé dans le cadre scolaire des réseaux associatifs. La langue régionale est alors non seulement la langue des activités pour plus de la moitié de l’horaire, mais également la langue de la vie scolaire de l’école.
Au collège, plusieurs modalités spécifiques d’enseignement existent également.
En sixième et en cinquième est dispensé un enseignement facultatif, à raison d’une heure hebdomadaire, cette durée étant généralement portée à deux heures, voire à trois heures pour le corse et le tahitien. Cet enseignement se poursuit en classe de quatrième au titre d’enseignement optionnel facultatif.
L’enseignement optionnel obligatoire de deuxième langue vivante correspond à un horaire de trois heures.
L’enseignement bilingue à parité horaire se pratique dans les sections « langues régionales ». Au moins trois heures hebdomadaires sont consacrées à l’enseignement de langues et cultures régionales ; une ou plusieurs disciplines sont enseignées dans la langue régionale, ce qui permet d’atteindre progressivement un enseignement à parité en français et en langue régionale.
Toujours au collège, notons l’enseignement bilingue par immersion, selon les mêmes principes que ceux que je viens d’évoquer pour le primaire.
Au lycée, enfin, dans le cadre de la nouvelle organisation des enseignements mise en œuvre depuis la rentrée scolaire de 2010, les langues régionales sont proposées en classe de seconde comme troisième langue vivante, au titre des enseignements d’exploration ou facultatifs. Cet enseignement se poursuit dans le cycle terminal des séries ES, L et S.
En outre, les enseignements bilingues suivis dans les sections « langues régionales » de collège sont également assurés au lycée selon des modalités d’organisation proches de celles qui régissent les sections européennes.
Puisque j’évoque les formes et les objectifs de l’enseignement de notre pays, permettez-moi de vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que, le 6 novembre 2009, lors du comité interministériel de l’outre-mer, le Président de la République a indiqué qu’il souhaitait développer le recours aux langues régionales – dont le créole – dans le cadre du plan de lutte contre l’illettrisme, pour faciliter les apprentissages.
Mme Gélita Hoarau. C’est faux !
M. Luc Chatel, ministre. Cet enseignement « contrastif », c’est-à-dire en comparaison permanente avec le français, doit permettre aux élèves d’apprendre à distinguer rapidement les deux langues et à progresser dans l’acquisition de chacune d’elles.
J’ai d’ailleurs moi-même signé avec le président du conseil régional de la Martinique, Serge Létchimy, le 22 février dernier, une convention qui officialise et renforce cet enseignement.
Permettez-moi aussi d’ajouter que l’État consacre des moyens importants à cet enseignement. En effet, des postes « bivalents » sont proposés par les académies dans le cadre de concours de recrutement de professeurs des écoles dits « spéciaux ». À la session 2010, 133 postes ont été ouverts à ce titre. Au total, au cours des dix dernières années, 1339 postes de professeurs des écoles ont été proposés dans ce cadre.
Dans le second degré, des CAPES de langue régionale – basque, breton, catalan, créole, occitan, corse et tahitien – permettent de recruter des professeurs depuis 1990. Au cours des vingt dernières années, 602 postes ont été offerts aux candidats. Aujourd’hui, les enseignements de langue régionale sont assurés au collège et au lycée par 570 professeurs certifiés, le tahitien mobilisant 60 postes.
En outre, pour ce qui concerne l’enseignement privé sous contrat, 570 enseignants sont rémunérés par l’État. En 2010, 26 postes ont été ouverts aux concours spécifiques pour le premier degré et 11 pour le second degré.
Finalement et sans doute en raison non seulement de la diversité des modalités de transmission, mais aussi de l’importance des moyens consacrés, l’enseignement des langues régionales connaît une véritable vigueur dans notre pays ; il concerne près de 200 000 élèves, étudiant sous une modalité ou une autre. Comptabilisant près de 125 000 élèves, le premier degré est le niveau le plus dynamique, même si, bien sûr, des différences importantes sont enregistrées d’une académie à une autre.
Rigueur, richesse et vigueur caractérisent l’enseignement des langues régionales, qui est loin d’être négligeable dans notre pays, et les moyens qui y sont consacrés, dans un contexte budgétaire difficile, vous ne l’ignorez pas, permettent de répondre à la demande des élèves et de leurs familles.
Par ailleurs, et vous le savez, les conseils académiques des langues régionales, qui existent dans quatorze académies et au sein desquels siègent les représentants de l’éducation nationale, des professeurs, des familles et des collectivités, permettent d’organiser cet enseignement en concertation. Le dialogue avec les collectivités territoriales est souvent inscrit dans le cadre des conventions nouées entre l’État et ces dernières, conformément aux dispositions de l’article L. 312-10 du code de l’éducation.
L’effort est également marqué dans le champ de la culture et des médias. Et je tiens tout d’abord à rappeler, au nom de mon collègue Frédéric Mitterrand, que la mise en valeur de la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France fait partie depuis longtemps des missions des organismes du secteur public audiovisuel, en métropole comme en outre-mer. Ce principe, clairement posé dans la loi du 30 septembre 1986, a été fortement réaffirmé dans la loi du 5 mars 2009 réorganisant le secteur public audiovisuel.
Le rapport d’exécution 2010 du cahier des charges de France Télévisions précise que, pour l’année écoulée, France 3 a contribué à l’expression des principales langues régionales parlées sur le territoire métropolitain en assurant un volume total de 264 heures d’émission, contre 253 en 2009, et 213 en 2008, dans les six régions concernées, à savoir Alsace, Aquitaine, Sud, Méditerranée, Corse et Ouest.
La tendance est donc à une augmentation globale continue : toutes les langues concernées ont vu leur volume de diffusion soit augmenter, soit se stabiliser. Cette dynamique est même amenée, dans certains cas, à se renforcer ; j’en veux pour preuve la signature, vendredi dernier, avec la collectivité territoriale de Corse et en présence de Frédéric Mitterrand, de la convention sur le développement cinématographique et audiovisuel en Corse et de la convention avec la chaîne satellitaire Via Stella. Les programmes en langue corse, bilingues français corse ou en corse sous-titré en français pourront s’appuyer sur ces dispositions. Cette dynamique se retrouve également dans les outre-mer, avec le développement des Télé-pays de France Télévisions comme avec les Radios-pays.
Pour ce qui concerne plus précisément les radios, le réseau France Bleu a d’ores et déjà fixé sur ses stations locales des rendez-vous courts en langue régionale tout au long de la semaine, une émission d’une heure étant de surcroît diffusée, en fin de semaine, sur un bon créneau horaire.
Pour les langues de France connaissant un grand nombre de locuteurs, des dispositions ont été prises depuis de nombreuses années : je pense à la séparation totale de l’antenne française et régionale, comme en Alsace, où la FM diffuse principalement en français, tandis que les ondes moyennes assurent une diffusion en alsacien avec France Bleu Elsass ; une antenne complètement bilingue existe en Corse avec France Bleu Corse Frequenza Mora ; des antennes FM accueillent des programmes en langues régionales telles France Bleu Pays Basque ou France Bleu Breizh Izel.
Pour ce qui est de la mise en valeur des langues régionales dans le champ des médias, il est utile de rappeler que d’ores et déjà beaucoup de choses ont été réalisées. Certains diront que l’on pourrait faire encore plus ; mais les actions menées présentent tous les gages de l’engagement de l’État, aux côtés des collectivités territoriales concernées, pour la mise en valeur d’un patrimoine linguistique très riche qui relève d’une responsabilité partagée entre l’État et les collectivités territoriales.
Pour ce qui concerne la création culturelle, l’État apporte d’ores et déjà un soutien aux œuvres et aux projets qui contribuent à installer et à mieux légitimer la création en langues de France dans le paysage culturel, soit par le biais de crédits déconcentrés via les directions régionales des affaires culturelles, soit par l’action de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui a succédé, en 2001, à la Délégation générale à la langue française.
À titre d’exemple, le théâtre La Rampe en Languedoc-Roussillon et le Centre dramatique occitan de Toulon bénéficient d’une aide au titre de leurs créations originales, ainsi que pour leurs activités de diffusion et de formation, indispensables à l’existence d’un théâtre vivant dans un cadre interrégional.
Je pourrais également évoquer le soutien apporté dans le domaine du cinéma, avec le film Au bistro du coin, tourné en français et doublé en six langues régionales – l’alsacien, le breton, le corse, le créole, l’occitan et le picard –, entraînant ainsi la création de filières de postproduction dans plusieurs régions.
Je pourrais aussi citer le soutien aux festivals, notamment à l’Estivada de Rodez ou à Vibrations Caraïbes, mais encore le soutien continu à l’édition en langues régionales, à travers le programme « Librairie des langues du monde », alimenté conjointement avec le Centre national du livre, grâce à un fonds destiné, notamment, à la production de dictionnaires bilingues français-langues de France.
Le ministère de la culture et de la communication apporte également un appui renforcé aux institutions et organismes représentatifs des langues de France, par exemple à l’Institut d’études occitanes ou l’Institut occitan de Pau, en matière de formation, d’édition, de création de centres de ressources linguistiques.
Il soutient les rencontres, les colloques et les débats qui ont les langues régionales pour objet. Je pourrais citer, à titre d’illustration, le Forum des langues du monde de Toulouse, qui conjugue animation populaire et réflexion critique sur les rapports interlinguistiques, le festival Mir redde Platt à Sarreguemines, qui met en valeur le francique de Moselle dans sa dimension transfrontalière, ou encore les congrès de l’association internationale d’études occitanes, sans oublier l’Observatoire des pratiques linguistiques, comité d’experts installé à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui a développé notamment le programme « Corpus de la parole », lequel met en valeur un corpus oral unique sous la forme de ressources linguistiques numériques, au service de la recherche, via un site internet, avec déjà trente langues de France et plusieurs centaines d’heures d’écoute accessibles à tous.
Enfin, au mois de décembre prochain, le ministère de la culture et de la communication va organiser à Cayenne des états généraux du multilinguisme outre-mer. À cette occasion se trouveront réunies en Guyane des délégations provenant de l’ensemble des territoires d’outre-mer. Les questions relatives au multilinguisme relèvent d’une importance majeure pour les territoires d’outre-mer, en termes d’intégration et de démocratisation culturelle, et je sais que mon collègue Frédéric Mitterrand accorde une grande importance à ces rencontres, au-delà de la célébration de l’année des outre-mer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens maintenant précisément à la proposition de loi que nous examinons ce jour.
Bien sûr, je connais l’attachement de nombre d’entre vous aux langues régionales, réalité vivante dans les territoires dont vous êtes les élus.
Or la promotion des langues régionales s’appuie sur des dispositions éparses, que l’on retrouve dans divers textes – le code général des collectivités territoriales, le code de l’éducation, ou encore la loi du 4 août 1994 dite « loi Toubon ». Cette dispersion peut sembler, à certains d’entre vous, préjudiciable à la promotion des langues régionales.
Par conséquent, la volonté de rendre plus lisible et plus visible ce qui se fait et ce qu’il est possible de faire dans le cadre législatif et constitutionnel en vigueur me paraît compréhensible.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Très bien !
M. Luc Chatel, ministre. Mais faut-il pour autant légiférer en la matière ? Je ne le crois pas, et ce pour deux raisons au moins.
D’une part, nombre des dispositions de la présente proposition de loi se bornent à énumérer des possibilités déjà offertes par le cadre existant.
D’autre part, nombre de ses dispositions relèvent du cadre réglementaire et non de l’ordre législatif.
Surtout, je me dois de vous alerter sur les risques que comporte le texte que vous proposez, monsieur Navarro. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de Mme le rapporteur, qui les a clairement identifiés et exposés.
Le premier de ces risques est de nature constitutionnelle. Vous l’avez indiqué à plusieurs reprises, et je l’ai moi-même rappelé : la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a permis de reconnaître l’apport remarquable des langues régionales dans l’identité de la France. L’article 75-1 de la Constitution, issu de cette révision, reconnaît en effet de manière solennelle : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »
M. Claude Bérit-Débat. Ce n’est pas suffisant !
M. Luc Chatel, ministre. Mais cet article ne remet pas pour autant en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d’usage de la langue française.
La langue de la République est le français.
L’article 2 de la Constitution dispose en effet : « La langue de la République est le français. » En application de cette règle constitutionnelle, il ne peut être reconnu aucun droit à pratiquer une langue autre que le français dans la sphère de la « vie publique », que ce soit la justice, les services publics ou l’enseignement.
De la même façon, les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français interdisent que soient conférés des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées.
Par conséquent, toutes les formulations qui, dans votre texte, monsieur Navarro, pourraient être interprétées comme « ouvrant un droit » aux langues régionales, courent le risque d’être déclarées inconstitutionnelles. La décision du Conseil constitutionnel du 20 mai dernier relative au code de l’éducation a d’ailleurs confirmé cette volonté de ne pas ouvrir la porte à des traitements différenciés, qui contreviendraient aux principes que j’évoquais à l’instant.
M. Robert Navarro. Pourquoi ?
M. Luc Chatel, ministre. Dès lors, mesdames, messieurs les sénateurs, si une telle loi était adoptée, les recours devant le Conseil constitutionnel pourraient se multiplier.
M. Robert Navarro. Ceux qui respectent la loi sont sanctionnés et ceux qui la bafouent sont encensés !
M. Luc Chatel, ministre. Par ailleurs, les deux articles finaux de la proposition de loi, qui prévoient de compenser les dépenses supplémentaires que la loi imposerait à l’État et aux collectivités territoriales par des taxes additionnelles et une augmentation proportionnée de la dotation globale de fonctionnement, sont contraires à la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’article 40 de la Constitution, qui exclut toute aggravation d’une charge publique par une proposition de loi, ainsi que l’ont d’ailleurs relevé Mme le rapporteur, voilà un instant, et M. le président Legendre, lors de l’examen du texte en commission.
Je pourrais également, monsieur Navarro, évoquer l’article 4 de votre proposition de loi, qui prévoit de donner compétence aux régions pour coordonner les actions des services de l’État et des autres collectivités territoriales en matière de politique linguistique. En effet, il pourrait être interprété comme contrevenant à la fois aux règles générales de l’organisation des pouvoirs publics et au principe de libre administration des collectivités territoriales, posés par l’article 72 de la Constitution.
L’article 4 de la proposition de loi paraît également porter atteinte à l’équilibre existant, aux termes du code de l’éducation, entre l’État et les collectivités territoriales, s'agissant du partage des compétences et des responsabilités en matière d’enseignement.
M. Claude Bérit-Débat. Cela n’existe pas !
M. Luc Chatel, ministre. De fait, le principe du caractère national des programmes mais aussi, plus profondément, la compétence de principe de l’État pour organiser le service public de l’éducation seraient remis en cause, via notamment le pouvoir confié à la région en matière de définition des schémas de développement des langues régionales et des modalités d’insertion de ces langues dans le « temps scolaire ».
Mme Gélita Hoarau. Cela n’a aucun sens !
M. Luc Chatel, ministre. J’ajoute que la disjonction entre un organisme prescripteur relevant de la région et un financement toujours à la charge de l’État ne me paraît guère opportune.
Cette analyse de l’article 4 de la proposition de loi me permet d’aborder le second risque majeur que, me semble-t-il, cette proposition de loi fait courir : le risque budgétaire.
Au-delà même de la question du respect de l’article 40 de la Constitution, il est manifeste que la proposition de loi présentée par M. Navarro emporte des risques budgétaires importants, tant pour mon ministère que pour celui de la culture et de la communication. Certains articles du texte proposé reprennent certes, pour partie, des engagements existants, mais d’autres suscitent plus que des interrogations, notamment en ce qui concerne la redevance audiovisuelle.
Je crois d’ailleurs savoir qu’une grande partie des institutions interrogées par Mme le rapporteur, à commencer par l’Association des régions de France – vous l’avez rappelé tout à l'heure, madame Mélot –, ont évoqué ce risque.
Mme Colette Mélot, rapporteur. Tout à fait !
M. Luc Chatel, ministre. Je dois dire que, compte tenu du contexte budgétaire actuel, qui est, vous ne l’ignorez pas, monsieur Navarro, particulièrement tendu, je partage pleinement l’analyse de Mme le rapporteur. Du reste, j’espère vous avoir montré que l’État consent déjà un effort important en faveur des langues régionales.
Enfin, vous me permettrez de sortir du strict cadre de l’examen de cette proposition de loi et de m’adresser, en conclusion, aux élus locaux que vous êtes pour la plupart, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je connais votre attachement à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Je partage cet attachement, moi qui suis également un élu local. Or les dispositions de la présente proposition de loi s’inscrivent clairement à contre-courant du mouvement de simplification et d’allégement des normes applicables aux collectivités territoriales que le Président de la République et le Gouvernement ont engagé, véritable moratoire visant à arrêter la course à la complexité des normes.
En effet, cette proposition de loi prévoit de nombreux instruments de gouvernance territoriale, certains à titre facultatif, mais d’autres à titre obligatoire – je renonce à les citer tous –, qui ajoutent à la complexité du dispositif au moment même où la réforme des collectivités territoriales conduite par le ministère de l’intérieur entend au contraire clarifier cette gouvernance.
La gouvernance que vous proposez, avec la constitution de services ou organismes, la conclusion de conventions ou l’élaboration de programmes, certaines mesures étant qui plus est obligatoires, est lourde et, à mon sens, inopportune, ne serait-ce que par les coûts qu’elle engendrerait, dans le contexte du moratoire que j’évoquais.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cette analyse, vous comprendrez que le Gouvernement émette un avis défavorable sur cette proposition de loi. Il s’agit d’un avis motivé, éclairé et serein.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je l’affirme devant votre assemblée, notre République a dépassé les divisions d’antan. Elle ne craint pas les langues régionales. Au contraire, l’État les respecte et contribue à leur expression, comme à leur transmission.