Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Kerdraon, auteur de la question n° 1406, adressée à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.
M. Ronan Kerdraon. Madame Khiari, je suis ravi de conclure cette première séance de questions orales sous votre présidence. À l’instar de mon collègue Jean-Luc Fichet, permettez-moi de vous adresser toutes mes félicitations.
Mme la présidente. Merci !
M. Ronan Kerdraon. À la lumière d’un fait d’actualité locale, je souhaite soulever la question, beaucoup plus générale, de l’ouverture des supermarchés le dimanche matin.
À Loudéac, dans mon département des Côtes-d’Armor, depuis quatre semaines, plusieurs dizaines de salariés, accompagnés de représentants syndicaux, de petits commerçants et de consommateurs loudéaciens, manifestent tous les dimanches matins sur le parking du magasin Carrefour Market pour s’opposer à l’ouverture dominicale de celui-ci.
Pour faire face à un chiffre d’affaires en voie d’érosion, la direction a en effet décidé d’ouvrir les portes du magasin tous les dimanches de 8h30 à 12h30, en s’appuyant sur l’article L. 3132-13 du code du travail, qui dispose : « Dans les commerces de détail alimentaire, le repos hebdomadaire peut être donné le dimanche à partir de treize heures » aux salariés.
Cependant, l’ouverture de supermarchés de ce type semble poser un problème de légalité, dans la mesure où ces derniers ne constituent pas un commerce de détail alimentaire spécialisé au sens où l’entend l’INSEE. La nomenclature d’activités française de 2008 range en effet les supermarchés dans la catégorie 47.1, alors que les commerces de détail alimentaire, visés par l’article du code du travail précité, figurent dans la catégorie 47.2 de cette même nomenclature.
Au-delà de ces considérations juridiques, il me semble important de vous alerter sur les conséquences qu’une telle ouverture engendre immanquablement tant sur la vie des salariés et de leur famille que sur l’équilibre du commerce local. En effet, dans une ville à dimension touristique limitée telle que Loudéac, l’ouverture des grands magasins le dimanche, en l’occurrence celle de Carrefour Market, constituerait une concurrence déloyale et pourrait se traduire, à terme, par la disparition du petit commerce, entraînant des pertes d’emplois auxquelles s’ajouterait un risque d’extension des conflits sociaux. Or c’est de ce même petit commerce que vous saluiez tout à l’heure les efforts, monsieur le secrétaire d'État, évoquant la visite du Président de la République dans un département.
C’est pour ces raisons qu’une grande partie des salariés de Carrefour Market, soutenus par les syndicats, l’union locale des commerçants et les élus locaux comme nationaux, refuse légitimement que puisse être imposée l’ouverture de ce magasin le dimanche.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question, simple, est double.
Premièrement, dans quelle mesure un supermarché, qui ne constitue par un commerce de détail alimentaire au sens strict, peut-il ouvrir ses portes le dimanche matin ? Ne s’agit-il pas là d’un détournement de la réglementation en vigueur ?
Deuxièmement, dans la mesure où le conseil municipal de Loudéac et le conseil communautaire de la communauté de communes ont voté à l’unanimité une motion de soutien au petit commerce de proximité face à l’ouverture de ce magasin le dimanche, pouvez-vous m’indiquer les moyens dont disposent les élus locaux ou ceux que l’État peut mobiliser afin de faire respecter la position de ces derniers ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Madame la présidente, je souhaite à mon tour vous féliciter des nouvelles responsabilités qui vous incombent. Je sais notamment que votre compétence en matière de tourisme, sujet que nous avons évoqué il y a un instant, est indéniable.
Monsieur Kerdraon, tout en évoquant un exemple local, vous venez de soulever une question de droit. Afin d’y répondre, permettez-moi de vous rappeler la réglementation en vigueur.
Aucune disposition relative à l’ouverture dominicale des commerces ne figure dans le code de commerce. Le code du travail, quant à lui, à l’article L. 3132-3, pose le principe du repos dominical des salariés.
Des dérogations permanentes et de plein droit s’appliquent notamment au commerce de denrées alimentaires au détail qui bénéficie d’une dérogation de droit le dimanche matin jusqu’à treize heures. Elles concernent également une série d’activités dont la continuité est nécessaire à la vie sociale, tels l’hôtellerie, la restauration, les débits de boissons, les fleuristes, les entreprises de spectacles et nombre de services publics, notamment de transports.
Des accords professionnels de branche peuvent également organiser le repos dominical. La voie conventionnelle garantit alors l’équilibre de la concurrence dans certains départements ou zones géographiques. L’article L. 3132-29 du code du travail dispose que, lorsqu’un accord est intervenu entre les syndicats d’employeurs et de travailleurs d’une profession et d’une zone déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné au personnel, les syndicats intéressés peuvent demander au préfet du département d’ordonner par arrêté la fermeture des établissements pendant toute la durée du repos hebdomadaire.
À l’égard d’un domaine proche de la question que vous avez posée, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011 relative au travail dominical, a rappelé que la législation du travail en matière de repos hebdomadaire vise à éviter de défavoriser les établissements selon leur taille et à encadrer les conditions de la concurrence entre les entreprises, quelle que soit la taille des entreprises ou le statut juridique des personnes qui y travaillent.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie des éléments d’information que vous avez portés à ma connaissance et à celle des Loudéaciens.
Néanmoins, le flou demeure quant à la possibilité d’ouvrir le dimanche matin ce type de supermarchés, par vocation non spécialisés dans le commerce de détail alimentaire. C’est pourquoi je reste quelque peu sur ma faim, si je puis dire.
Je tiens une nouvelle fois à vous faire part de la totale incompréhension qui prime aujourd’hui à Loudéac : alors que les élus locaux ont exprimé une désapprobation unanime face à l’ouverture en cause, ils ne disposent d’aucun moyen d’action pour faire respecter leur position.
Tout cela ne me semble pas raisonnable ; il me paraît indispensable de mieux encadrer ce type d’ouverture. En notre qualité de parlementaires, nous ne pouvons rester sans agir. C’est pourquoi, en association avec le maire de Loudéac, j’ai saisi le préfet de région et celui des Côtes-d’Armor sur ce sujet.
Mme la présidente. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-PIERRE Bel
M. le président. La séance est reprise.
10
Allocution de M. le président du Sénat
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, le 25 septembre dernier, les grands électeurs nous ont adressé un message fort. Ce message, nous l’avons entendu. Un intérêt nouveau pour le Sénat est né dans le pays. À nous, en conséquence, de ne pas décevoir cette attente, de ne pas trahir cet espoir.
Nous devons faire vivre le changement au Sénat. Nous voulons un Sénat ancré dans son temps et tourné vers l’avenir. Un Sénat qui privilégie le débat sur l’affrontement, le dialogue sur le passage en force. Un Sénat qui n’est pas fermé sur lui-même mais ouvert sur la société et ses nouvelles aspirations. Un Sénat respecté dans son rôle de législateur et de contrôleur de l’action de l’exécutif.
La majorité assumera sa mission, et l’opposition sera respectée.
Je veux souligner, à ce propos, le caractère positif des contacts noués avec les présidents des groupes pour mettre en place la bonne gouvernance de notre assemblée.
Le dialogue entre le Gouvernement et le Parlement, mais aussi entre les deux assemblées, est un facteur décisif dans la recherche d’un bicamérisme assumé et équilibré. C’est un élément clé dans un contexte rendu difficile par la crise.
À cet égard, j’ai rencontré la semaine dernière le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, pour un premier entretien constructif. Nous avons décidé de nous voir régulièrement, dans le même état d’esprit, pour permettre la bonne marche des assemblées parlementaires.
Mes chers collègues, je veux que notre assemblée soit confortée dans ses prérogatives, restaurée dans son rôle de représentant des élus locaux et des territoires, rénovée dans son mode de fonctionnement.
Je veux tout d’abord que le Sénat soit conforté dans ses prérogatives tant législatives que de contrôle. Le Sénat devra être particulièrement attentif à la qualité et à la nécessité de la loi. La loi nécessaire, ce n’est pas la loi « fait divers ».
Le Gouvernement ne dispose plus que de la moitié du temps parlementaire. Il doit en tirer toutes les conséquences et éviter de surcharger notre ordre du jour de projets de loi émotionnels ou de circonstance. Nos collectivités sont submergées de normes coûteuses, souvent inutiles, voire inapplicables. Il faut mettre un frein à cette évolution.
C’est pourquoi je propose que le Sénat débatte de propositions de lois de simplification, élaborées en concertation avec les associations d’élus locaux, pour alléger et stabiliser les normes qui pèsent sur les collectivités territoriales.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. le président. Ainsi la sécurité juridique sera-t-elle renforcée.
L’équilibre des institutions appelle en outre un usage parcimonieux de la procédure accélérée et du dernier mot à l’Assemblée nationale, que M. le ministre des relations avec le Parlement sera parfois tenté, sous l’amicale pression des députés de la majorité, de demander. Faire vivre la navette parlementaire et ne pas décider a priori d’entraver le dialogue bicaméral, c’est assumer le débat démocratique.
Dans le souci de mieux organiser notre travail et d’en améliorer la qualité, je demande au Gouvernement – et c’est une question de principe – de nous communiquer un calendrier prévisionnel semestriel.
Cet effort de programmation interne, il faudra bien évidemment nous l’appliquer à nous-mêmes. Je m’adresse particulièrement aux présidents de groupes et de commissions, qui connaissent bien ces contraintes.
Je souhaite ensuite que le Sénat se saisisse pleinement de ses pouvoirs d’investigation, de contrôle et d’évaluation. Le contrôle et l’évaluation des politiques publiques doivent être ambitieux, abrités des pressions des lobbys et des groupes d’intérêts. Les conflits d’intérêts sont en effet incompatibles avec une démocratie moderne. Ils sont le contraire d’une République exemplaire.
Dans le cadre des débats à venir sur le projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, il me paraît indispensable que le conflit d’intérêt soit défini précisément.
De même, nos travaux devront conduire à étendre les préconisations du rapport de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts – n’est-ce pas, cher Jean-Léonce Dupont ? – dans la vie publique à tous les décideurs publics, y compris aux élus. Y compris à nous, parlementaires : nous devons d’abord nous appliquer à nous-mêmes ce que nous prônons pour nos concitoyens.
Le Sénat doit être à l’écoute des attentes de nos concitoyens, et en capacité de faire évoluer les administrations.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. le président. Il doit s’affirmer comme un contrôleur exigeant, protecteur des citoyens et des usagers. Cela s’inscrit pleinement dans sa tradition historique de défenseur des libertés publiques.
Enfin, le Sénat doit aussi s’adapter dans son organisation aux évolutions profondes de notre société, notamment en matière de développement durable.
L’urgence et la mutation écologiques s’imposent à nous : Paul Vergès nous l’a rappelé dans son beau discours, lors de notre séance d’installation. Nous devons aujourd’hui les prendre en compte dans nos travaux et dans nos propositions. Notre souci doit être l’adaptation permanente du Sénat aux défis de notre temps.
C’est dans cet esprit que je proposerai, après une large concertation, la création de deux nouvelles commissions, comme la Constitution le permet depuis la révision de 2008 et comme l’a déjà fait l’Assemblée nationale.
Je propose aussi, comme je l’ai indiqué ici-même, dès mon premier discours en tant que président du Sénat, la création d’une délégation à l’outre-mer. Ainsi les situations et défis spécifiques de l’outre-mer seront-ils davantage pris en compte, et leurs atouts pleinement valorisés.
Je souhaite ensuite un Sénat restauré dans son rôle de représentant des élus locaux.
Il est indispensable de rendre nos collectivités plus fortes dans une France plus efficace. Nous le savons tous, le Sénat est constitutionnellement le représentant des collectivités territoriales. Il doit être au cœur du dialogue, restauré, entre l’État et les collectivités locales.
La réforme territoriale doit être abrogée et entièrement repensée.
Une réforme est à l’évidence nécessaire, comme je l’ai entendu dire en bien des endroits. Mais celle-ci est allée, je le crois, dans le mauvais sens. Elle s’est accompagnée d’une révision générale des politiques publiques dont on a vu les effets dévastateurs dans nos territoires. Elle s’est traduite par une réforme des services de l’État inefficace, illisible pour nos concitoyens et préjudiciable pour les collectivités locales.
La recentralisation est une régression. La décentralisation doit reprendre sa marche en avant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste–EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.) Je vous propose que le Sénat joue un rôle de premier plan dans cette relance de la décentralisation.
J’ai d’ailleurs eu le sentiment en fin de semaine dernière que quelque chose avait changé en ce domaine. Lors de mon premier entretien avec le Premier ministre, je lui ai demandé de revoir le calendrier de la réforme de l’intercommunalité. François Fillon a indiqué que « la procédure ne sera menée à son terme que lorsqu’une majorité claire des élus concernés se dégagera ».
Le Gouvernement prend donc enfin conscience que l’on ne peut pas, sur cette question si sensible, passer en force. Cela imposera de corriger la loi. Mais il faut bien entendu aller plus loin.
Dès cet hiver, des états généraux des territoires pourraient être organisés par le Sénat. Ils réuniraient toutes les associations d’élus et les acteurs locaux. Majorité et opposition pourront, si elles le souhaitent, y prendre toute leur part. Il s’agira de dresser un constat de la situation et d’esquisser des perspectives d’avenir.
Ces états généraux permettront de définir les priorités d’une relance de la décentralisation pour renforcer les libertés et les solidarités locales. Ainsi, la nouvelle décentralisation pourra être rapidement engagée dès le début de la prochaine législature, sur l’initiative et avec les mots du Sénat.
Je souhaite que le Sénat réfléchisse dans ce cadre à un nouveau pacte financier entre l’État et les collectivités locales caractérisé par le retour au respect de l’autonomie fiscale, le financement national des allocations de solidarité et la création de dispositifs de péréquation adaptés.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. le président. Le Sénat doit enfin formuler des propositions novatrices sur la place des services publics, notamment en milieu rural et dans les territoires urbains en difficulté. Il doit proposer de s’engager sur la voie d’un aménagement équilibré du territoire.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. L’objectif est de garantir un accès équitable des citoyens aux services publics et d’assurer la réduction des inégalités territoriales.
De même, il faut redéfinir les missions et l’organisation de l’État dans les territoires et conforter le soutien juridique et technique apporté aux communes en matière de conseil et d’ingénierie technique.
En bref, le Sénat devra être l’inspirateur et le garant de cette nouvelle gouvernance des territoires, de ce nouveau pacte de confiance entre l’État et les élus locaux.
Je souhaite enfin un Sénat rénové dans son mode de fonctionnement interne.
C’est le souhait de l’ensemble de la majorité dans sa diversité, composée de socialistes, de communistes, de radicaux de gauche et d’écologistes. Et c’est un souhait, je le crois, partagé sur toutes les travées de notre assemblée.
La nouvelle gouvernance mise en place par vos votes dans les commissions se caractérise par la volonté de donner sa juste place à chaque groupe, et d’abord par le respect de l’opposition.
C’est dans cet état d’esprit que nous avons souhaité que la commission des finances soit présidée par l’opposition. De même, pour respecter cette diversité à laquelle nous sommes tous attachés, je vous proposerai de fixer à dix le nombre de sénateurs nécessaires pour créer un groupe (Mouvements divers sur les travées de l’UMP.), de façon à traduire justement l’expression politique de notre assemblée.
La rénovation du Sénat doit être aussi visible. Nous connaissons le rôle qu’a joué à ce propos Public Sénat. Il nous faudra réfléchir ensemble aux moyens de mieux faire comprendre à nos concitoyens l’ensemble du processus d’élaboration de la loi et du travail parlementaire.
Enfin, l’image de notre institution reste, hélas, encore trop dégradée et le train de vie du Sénat trop souvent stigmatisé, notamment par la presse. Il est nécessaire d’aller vers un Sénat plus modeste. Et nous ne devons craindre aucun regard extérieur, notamment celui de la Cour des comptes, sous réserve naturellement que les principes inhérents à la séparation des pouvoirs soient respectés.
On ne « manage » pas une institution publique comme une entreprise. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas une gestion rigoureuse, surtout en ces temps de crises et de contraintes financières.
Le bureau du Sénat avait envisagé, lors de sa dernière réunion, une augmentation du budget correspondant à l’inflation. Cela n’est plus possible aujourd’hui. Nos efforts doivent aller au-delà. Non seulement notre budget ne doit pas augmenter en valeur, mais je demande en outre pour l’an prochain qu’il soit réduit en volume.
Pour cela, je souhaite engager dès maintenant une révision complète du programme très important des travaux qui avaient été envisagés. Nous nous en tiendrons aux seuls travaux qui sont strictement nécessaires à l’entretien et à la préservation de notre magnifique patrimoine.
De même, nous avons à nous pencher sur les critiques qui ont été émises à l’égard de notre fonctionnement, mais aussi – et nous en avons tous entendu – à l’égard des sénateurs eux-mêmes.
Nous ne pouvons refuser d’aborder ce sujet. Un groupe de travail devra rapidement s’en saisir. Il devra s’exprimer certes sans tabou et sans frilosité, mais sans tomber non plus dans la démagogie ou dans je ne sais quel emballement, fût-il médiatique. Nous travaillerons dans la sérénité et sans céder à la pression.
Mes chers collègues, le Sénat a été au rendez-vous de l’alternance ; il se doit d’être au rendez-vous du changement.
Nous avons un intérêt commun à faire vivre nos débats, notre pluralisme et à assumer nos divergences dans le respect les uns des autres.
Cela concerne également nos rapports avec le Gouvernement, que je souhaite confiants, transparents et apaisés.
Au-delà de nos engagements respectifs, c’est le souci de l’intérêt général et du bien commun qui nous anime. La République est en droit d’attendre du Sénat et de chacun de ses membres qu’ils se retrouvent lorsque l’intérêt supérieur l’exige.
Être le président de tous les sénateurs, dans un Sénat conforté, rénové et respecté, c’est le rôle que je compte assumer, avec votre concours et votre aide. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste–EELV, du groupe CRC et du RDSE, ainsi que sur diverses travées de l’UCR et de l’UMP.)
11
Débat préalable au Conseil européen du 23 octobre 2011
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen du 23 octobre 2011.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le président de la commission de l’économie, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord, en vertu de l’esprit républicain qui nous anime tous, à féliciter le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, l’ensemble des sénateurs nouvellement élus, ainsi que ceux qui ont accédé à des responsabilités.
Les Conseils européens sont des rendez-vous majeurs pour la France et pour l’Europe. Ils permettent de définir les grandes orientations de la politique européenne et de prendre au plus haut niveau les décisions nécessaires, souvent courageuses, qui sont aujourd'hui indispensables.
Dans les temps bouleversés que nous vivons, le Conseil des 23 et 24 octobre prend un sens particulier. Nous le savons tous, l’Europe, comme le monde, est à un tournant de son histoire. Je vois dans ce qu’on appelle « la crise » la disparition d’un monde ancien. La période intermédiaire actuelle doit permettre de construire un monde nouveau : on peut y voir une source d’angoisse et de craintes pour l’avenir, mais aussi un motif d’espoirs et d’opportunités. L’Europe en sortira plus intégrée et plus forte grâce au nouvel équilibre que nous devons mettre en place entre la discipline budgétaire et l’indispensable solidarité, entre la gestion rigoureuse et la croissance.
Les débats du Conseil européen seront centrés sur trois thématiques : la gouvernance économique et la croissance de demain ; le G20, au sein duquel la France et l’Europe ont un message fort à envoyer au reste du monde ; le réchauffement climatique et la conférence de Durban.
En ce qui concerne la zone euro, la gouvernance économique et la croissance, les chefs d’État et de gouvernement ont pris, le 21 juillet dernier, des décisions importantes. Le Fonds européen de stabilité financière a été renforcé et assoupli : il peut désormais racheter de la dette sur les marchés secondaires et recapitaliser un certain nombre de banques. Cette situation permet une réactivité indispensable dans la période que nous connaissons. Nous sommes ainsi en train de créer un véritable Fonds monétaire européen.
La gouvernance économique a également progressé avec l’adoption le 28 septembre par le Parlement européen et le 4 octobre par le Conseil du paquet gouvernance économique, dénommé six pack en anglais. Cette avancée majeure ouvre la voie à un autre modèle de gouvernance économique qui doit permettre d’allier, d’un côté, vigilance et prévention et, de l’autre, correction des éventuelles anomalies macro-économiques. Le pacte de stabilité et de croissance a donc franchi une étape supplémentaire pour être l’un des outils essentiels de la gouvernance économique de demain.
Je vous le dis, parce que j’en suis convaincu, il faut aller encore plus vite et plus loin : nous devons renforcer le pilotage de la zone euro. Le président du Conseil fera connaître ses propositions dans les jours qui viennent. Pour leur part, la France et l’Allemagne ont rappelé ce dimanche qu’elles souhaitaient aller plus loin dans l’intégration économique de la zone euro. Elles avaient déjà demandé le 16 août que soit reconnu le rôle spécifique des chefs d’État et de gouvernement : ceux-ci devraient se réunir de façon régulière sous une présidence stable, qui pourrait être confiée à Herman Van Rompuy.
Il faudrait enfin accroître les moyens dont disposent les ministres des finances. Un renforcement des moyens du Comité économique et financier et de l’Euro working group doit donc être envisagé.
Devant vous, j’ose le mot : nous devons passer à un « fédéralisme » économique, sous peine de voir l’Europe se désintégrer sous les attaques des spéculateurs financiers.
Cette gouvernance économique n’aura de sens que si elle est associée à une politique de croissance forte. Celle-ci sera largement débattue lors du prochain Conseil.
Trois axes majeurs définissent aujourd’hui notre politique de soutien à la croissance au niveau européen : approfondir le marché intérieur, renforcer notre politique industrielle et imposer une concurrence mondiale loyale.
Nous disposons du plus grand marché du monde : 500 millions d’Européens, un PIB cumulé annuel de 12 000 milliards d’euros. L’Acte pour le marché unique, avec ses douze priorités, proposé par le commissaire Michel Barnier en avril dernier permettra de l’approfondir pour en tirer tout le potentiel. Nous soutenons ainsi le brevet unitaire et nous travaillons sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, qui devrait permettre de réduire les « fragmentations » de l’économie de la zone euro.
La France se bat aussi pour obtenir une politique industrielle forte. La compétitivité doit être basée sur l’innovation et les infrastructures et être accompagnée de politiques sectorielles. La communication sur la politique industrielle d’octobre 2010 va dans ce sens. Nous devons nous concentrer sur les secteurs d’avenir : l’espace avec Galileo et le programme européen de surveillance de la terre, le GMES ; le numérique, où des grands champions européens doivent émerger dans un contexte de concurrence mondiale de plus en plus difficile ; et les technologies vertes.
Enfin, et c’est une revendication française, nous voulons imposer au reste du monde ce que nous appelons – le terme est peut-être impropre - le principe de réciprocité. Comment l’Europe peut-elle se donner des règlements si contraignants sur le plan écologique, social ou normatif si elle doit se retrouver en situation de concurrence déloyale avec d’autres pays qui pourraient pénétrer son marché sans esprit de réciprocité ? Il y va de la préservation de notre économie et de notre modèle.
Je vous le dis très clairement, il ne s’agit en aucune façon d’une forme de protectionnisme, mais au contraire d’un modèle incitatif que nous devons imposer au reste du monde. Cet instrument de réciprocité est indispensable. Prenons l’exemple des marchés publics : en 2009, ils représentaient 2 088 milliards d’euros en Europe, dont plus de 15 % étaient ouverts aux acteurs étrangers, contre seulement 3 % aux États-Unis, 0,9 % au Canada et encore beaucoup moins en Chine.
Comment peut-on accepter que les entreprises chinoises, qui sont aidées par l’État et pratiquent un dumping social déplorable, emportent le marché de la construction d’autoroutes en Pologne au mépris de toute véritable concurrence ?
La France continuera donc à peser de tout son poids au Conseil pour que le principe de réciprocité soit mis en œuvre dans toutes nos politiques européennes.
S’agissant du G20, la France s’est fixé des objectifs ambitieux. La présidence française du G20 est une présidence européenne. Nos objectifs sont le retour de la croissance, le redressement de nos finances et la stabilité du système financier.
Le Conseil européen sera doublement décisif pour préparer le sommet de Cannes.
D’abord, si l’Europe n’a pas réglé d’ici au sommet de Cannes l’ensemble des problèmes de la zone euro et de l’Europe, le G20 sera celui de la dette de la zone euro et nous serons désignés comme les responsables de la récession et des difficultés que rencontre le reste du monde.
Les États européens devront donc définir, lors du Conseil, les positions de l’Union européenne sur un certain nombre de sujets.
Nous évoquerons ainsi la réforme du système monétaire international, sur lequel un certain nombre d’avancées ont déjà été obtenues, en particulier s’agissant de la gestion des flux financiers.
Nous aborderons également les progrès effectués en matière de régulation financière, en anticipant la mise en œuvre de l’accord dit « Bâle III », qui étend les règles prudentielles.
Il sera ensuite question de la dimension sociale de la mondialisation. Comment pourrait-on en effet considérer que l’Europe ne parlerait que d’économie et de finances sans avoir la capacité d’établir un socle indispensable de protection sociale envers les plus vulnérables, et en particulier envers la jeunesse ?
Nous définirons également les positions de l’Union européenne sur le domaine agricole, que la présidence française a marqué de son impulsion. En effet, il faut, d’une part, prévenir les crises agricoles et, d’autre part, obtenir une meilleure transparence sur l’ensemble des stocks afin justement d’éviter que ne surgissent de telles difficultés.
Enfin, la France souhaite que soit abordé le sujet du développement, et plus particulièrement la sécurité alimentaire et les infrastructures.
Je voudrais à ce propos évoquer très brièvement – nous y reviendrons ultérieurement si vous le souhaitez – le problème de la taxation des transactions financières.
On en parle depuis vingt ans ! (Mme la rapporteure générale s’exclame.) Il est temps de la mettre en œuvre et d’accepter que cette mise en œuvre puisse ne pas être universelle.
Il faudra bien avancer, éventuellement au niveau de la seule Europe si les Etats-Unis ne souhaitent pas y participer, voire au niveau de la seule zone euro si la Grande-Bretagne ne souhaite pas faire partie du groupe pionnier.
Qu’est-ce qu’un bon impôt ? C’est un impôt qui a une assiette très large et un taux très faible. On entend parler d’une taxation des transactions financières fondée sur un taux fixé à 0,005 %. Croyez-vous franchement qu’à un tel taux la taxation entraînera un déplacement des opérations financières de Francfort à Hong Kong ou de Paris à Londres ?
Au demeurant, s’il faut avancer dans ce domaine, c’est aussi en vertu d’une certaine exigence morale. Considérer qu’il serait impossible de taxer les transactions financières, qui n’apportent rien à l’économie réelle et rien à l’humain, empêcher de la sorte que cette taxation vienne en aide au développement et à l’Europe me paraît tout à fait contestable. En tout cas, une telle conception est en totale contradiction avec nos convictions européennes.
C'est la raison pour laquelle le Président de la République et la Chancelière Angela Merkel ont souhaité que ce point soit mis à l’ordre du jour du G20. Il en sera donc ainsi.
Autre préoccupation française et européenne : le réchauffement climatique et la conférence de Durban. L’Europe a toujours assuré une politique volontariste dans ce domaine. L’action du Président de la République l’a montré : nous nous souvenons, sur le plan national, du Grenelle de l’environnement et, sur le plan européen, du paquet énergie-climat qui vise à réaliser, à l’horizon 2020, l’objectif « 20-20-20 » : passage à 20 % de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen ; réduction de 20 % des émissions de CO2 ; accroissement de 20 % de l’efficacité énergétique.
Cette réalisation peut toutefois n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. L’Europe ne produit que 11 % des émissions : si nous nous engageons seuls dans cette action forte, nous pénaliserons nos entreprises sans obtenir de résultats sur le plan écologique à l’échelle internationale.
C'est la raison pour laquelle, dans la perspective de l’expiration du protocole de Kyoto en 2012, la conférence de Durban doit constituer un moment capital pour préparer l’« après-Kyoto ».
Il convient bien entendu de donner un contenu opérationnel aux accords de Cancun, et notamment au mécanisme de suivi des engagements et à la mise en place du fonds vert et des financements innovants. Il s’agit également, bien sûr, d’évoquer le futur système de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’obtenir une évolution vers un système clair, contraignant et universel.
Répondre à ce défi est vital. Il n’y va ni de l’économie générale, ni des équilibres sociaux et économiques ; il y va de l’avenir de la planète.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, la situation est telle que l’Europe n’a pas d’autre choix que d’avancer. Elle n’a pas d’autre choix que de franchir une étape, une étape décisive qui nous permettra justement de valoriser et de prôner les valeurs européennes de solidarité, de liberté et de démocratie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)