M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Monsieur le président, madame le ministre, madame le rapporteur général, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de m’associer au rappel au règlement de ma collègue Marie-Hélène Des Esgaulx.
Nous entamons la discussion du projet de loi de finances avec retard. (Mme la ministre fait un signe d’approbation.) Or, hier, sur deux sujets concrets intéressant l’économie de notre pays, au lieu de débattre deux fois quatre heures, nous avons travaillé jusqu’à six heures du matin, dans des conditions particulièrement déplorables…
M. François Marc. Non, cinq heures quinze !
M. Philippe Dominati. En outre, les textes en discussion visaient à proposer non pas des dispositions concrètes pour soutenir les entreprises de notre pays ou les collectivités territoriales, mais des mesures particulièrement destructrices.
J’ai apprécié la démarche de M. Marc, qui a procédé par comparaisons à l’échelle de la décennie.
Voilà dix ans, les réserves mondiales de change étaient détenues aux deux tiers par l’Europe, le Japon, les États-Unis, et quelques autres pays occidentaux.
À partir de 2005, la répartition s’est équilibrée : les pays émergents ont accumulé des réserves de change, au rythme d’environ 500 milliards de dollars par an, pendant que l’Europe, les États-Unis, le Japon peinaient à assurer leur croissance.
En 2010, le rapport est inversé. Alors que les réserves de change sont cinq fois plus importantes, ce sont maintenant les pays émergents qui détiennent les deux tiers des réserves mondiales, et l’Europe vacille.
Le Président de la République, assumant sa responsabilité de président du G20, a promu des mesures propres à répondre à la crise financière, tout en rassurant et en essayant de faire comprendre aux Français la nécessité de poursuivre les réformes.
Et cela induit un certain changement dans le ton du débat budgétaire. Moi qui ai pris part à la discussion de nombreux projets de loi de finances, je perçois, sur toutes nos travées, une différence par rapport aux années précédentes. Du fait de la dynamique lancée par le Président de la République lors du G20, le débat de cette année a été placé sous le signe de la convergence avec l’Allemagne, et cela se traduit par un changement de langage.
Pour la première fois, à l’exception peut-être de M. Bocquet, personne n’a dénoncé une « politique ultralibérale ». Pourquoi ? Tout simplement parce que, au nom du désendettement, qui concerne toutes les formations politiques, on s’aperçoit, enfin, que l’on est obligé de mener une politique plus libérale.
Une politique plus libérale, c’est une politique plus réaliste, une politique où la dépense publique compte moins, où l’on ne fait pas croire que la dépense entraîne nécessairement la croissance, surtout si elle n’est pas consentie avec parcimonie et orientée de manière judicieuse.
La convergence avec l’Allemagne nous amène à prendre en considération plusieurs réalités.
Tout d’abord, l’écart entre la part de la dépense publique française – 56 % du PIB, monsieur Foucaud – et la part de la dépense publique allemande est de dix points, contre six points en moyenne pour les autres pays européens.
Nous devons également témoigner de notre capacité de réactivité. Là encore, nous pouvons nous inspirer de l’exemple allemand. Lorsque nous avons annoncé un plan de relance par la dépense publique, l’Allemagne baissait de 30 milliards d’euros ses prélèvements obligatoires. Or, nous ne devons pas l’oublier, la France reste en Europe et au sein du G20 le champion des prélèvements obligatoires.
Pourquoi l’Allemagne compte-t-elle 6 000 écoles primaires de moins que la France, alors que sa population est autrement plus nombreuse ?
Pourquoi l’audiovisuel public a-t-il, en Allemagne, beaucoup moins de poids qu’en France ?
Pourquoi la vision allemande des transports est-elle si différente de celle qui prévaut chez nous ?
M. Richard Yung. Ils ont aussi la Grosse Bertha !
M. Philippe Dominati. Ce sont, pour nous, autant d’exemples à suivre, en même temps que de considérables gisements d’économies pour nos finances publiques ?
De même, chez nos voisins allemands, les PME sont dans le sillage des grandes entreprises.
Il a déjà été beaucoup question de compétitivité. Mais la compétitivité se fait essentiellement sur les prix. Or les prix ne dépendent pas seulement de la fiscalité. Il se trouve que les charges sociales acquittées par les entreprises allemandes sont beaucoup moins lourdes que celles que paient les entreprises françaises. C’est une réalité !
M. Richard Yung. Ça fait dix ans que vous dites la même chose, alors que vous êtes au pouvoir !
M. Philippe Dominati. Et le cours élevé de l’euro n’empêche pas l’Allemagne d’être la première puissance exportatrice du monde.
M. Richard Yung. Avec quels contrats de travail ?
M. Philippe Dominati. La nécessité de la convergence avec l’Allemagne s’est imposée sur toutes les travées de notre assemblée.
Vous vous livrez ainsi, madame le ministre, sous l’autorité du Président de la République, à un exercice extrêmement difficile et courageux. Vous le faites avec justesse, pour tenir compte d’une situation délicate, fruit d’une évolution qui s’est déroulée sur des décennies. Faute d’avoir eu cette culture-là, nous sommes aujourd’hui obligés de nous adapter. Or seules les réformes peuvent nous permettre de nous adapter. De ce point de vue, quelques observations s’imposent.
Tout d’abord, si nous voulons faire preuve de réactivité, nous sommes obligés de donner un signal immédiat. Cette réactivité doit sans doute se manifester davantage sur les prélèvements obligatoires que sur la dépense.
Il est absolument nécessaire de veiller à un meilleur équilibre de nos comptes. Alors que Mme Bricq propose, pour les cinq années à venir, un effort à 50/50, il vous faut, madame le ministre, comme plusieurs intervenants vous y ont encouragée, faire porter l’effort essentiellement sur la réduction de la dépense publique. C’est ce qui s’est fait dans tous les pays qui ont renoué rapidement avec la croissance. C’est indispensable si nous voulons, dans quelques exercices, retrouver des taux de croissance plus substantiels.
Je voudrais, avant de conclure, évoquer la question des finances de nos collectivités territoriales et revenir sur la compétitivité nos entreprises.
S’agissant des collectivités territoriales, il est vrai que la décentralisation doit s’orienter vers l’attribution à celles-ci de ressources propres. Ce n’est pas simplement avec le mécanisme de la péréquation que nous pourrons résoudre les problèmes qui se posent à elles.
Après le débat que nous avons eu hier, mes chers collègues, il paraît vraiment impératif que notre pays s’engage dans une réforme structurelle concernant les collectivités territoriales, à l’instar de ce qui s’est produit partout ailleurs. Ce n’est pas en optant pour le statu quo que nous aurons la moindre chance d’améliorer la situation financière de nos collectivités.
Pour ce qui est de la compétitivité des entreprises, il ne fait aucun doute que le financement des 35 heures par l’État, notre collègue Serge Dassault en a parlé, doit être réexaminé. D’une manière générale, la question du temps et de la liberté de travail doit de nouveau être traitée par notre majorité.
Tels sont, madame le ministre, les axes sur lesquels je voulais particulièrement insister.
Je souhaite vraiment que, très prochainement, vous nous soumettiez des propositions concrètes pour réduire le périmètre de l’État.
En tout cas, vous êtes sur la bonne voie. Pour la première fois depuis 1945, vous l’avez souligné, un gouvernement, à la veille d’une échéance présidentielle, prend des mesures particulièrement courageuses dans l’intérêt général, pour la France et pour l’Europe. Je vous en félicite. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure générale, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, inutile de vous dire que je partage, comme l’ensemble de mes collègues sur toutes les travées de notre assemblée, le diagnostic sur la gravité de la situation de nos finances publiques et sur l’état de notre économie. Nous divergeons simplement sur les moyens d’en sortir et sur la responsabilité qu’il convient d’attribuer aux uns et aux autres.
Il est à cet égard très étonnant, madame la ministre, que vous donniez l’impression que vous venez d’arriver au pouvoir, comme si vous aviez découvert il y a un an une situation calamiteuse que vous pouviez imputer à vos prédécesseurs.
Or les faits sont têtus : la droite est au pouvoir dans notre pays depuis dix ans et Nicolas Sarkozy est Président de la République depuis cinq ans. Rien ne sert de remonter au siècle dernier pour trouver des responsables !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bien sûr !
M. Claude Haut. La crise n’explique pas tous les déficits, et vous le savez fort bien puisque la Cour des comptes l’a rappelé à maintes reprises : une part significative de notre déficit public est imputable aux mesures prises en 2007 et 2008, notamment à celles qui figuraient dans la fameuse loi TEPA. D’ailleurs, mon collègue François Marc a fait état des 500 milliards d’euros de dettes supplémentaires que nous avons accumulées depuis l’arrivée au pouvoir du Président Sarkozy.
On ne rappellera jamais assez les 75 milliards d’euros de cadeaux fiscaux attribués depuis 2007 aux plus favorisés et qui grèvent aujourd’hui si lourdement la situation de nos finances publiques.
Mais mon propos, aujourd’hui, ne se limite pas à ce constat. Je voudrais vous faire part de la stupéfaction, mais plus encore de l’irritation croissante de la grande majorité des élus locaux devant cette mise en cause permanente, cette suspicion généralisée, ces procès en mauvaise gestion dont les collectivités locales sont l’objet. Les résultats des élections sénatoriales de septembre dernier vous ont d’ailleurs permis d’apprécier de façon précise le jugement que portent sur votre politique les élus locaux.
M. Bruno Sido. Cela ne prouve rien ! (Rires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Claude Haut. Apparemment, vous n’avez pas entendu le message ! Je n’en étais pas très sûr, mais maintenant j’en ai la certitude !
Quand ce ne sont pas vos prédécesseurs, madame la ministre, ce sont donc les collectivités locales qui portent la responsabilité des déficits publics.
M. Claude Haut. C’est pourtant ce que j’ai souvent entendu, même si vous ne l’avez pas dit aujourd’hui…
Vous savez bien que tout cela n’est pas vrai et mieux vaudrait renoncer à cette stratégie du bouc émissaire.
Vous me permettrez de citer à ce propos – une fois n’est pas coutume – un député de la majorité. Il s’agit de Charles de Courson,…
M. Bruno Sido. Encore lui !
M. Claude Haut. Eh oui !
… partisan de la plus grande orthodoxie en matière de finances publiques, qui a déclaré ceci : « Les collectivités territoriales ne posent pas de problème ; elles sont par définition, puisque la loi le leur impose, en équilibre de fonctionnement. »
M. Bruno Sido. Il n’en sait rien, il n’est pas président de conseil général !
M. Claude Haut. Allons bon !
M. Albéric de Montgolfier. Il est tout de même vice-président de conseil général.
M. Bruno Sido. Il gère un syndicat mixte, et il le fait très mal !
M. Claude Haut. Je lui transmettrai cette appréciation !
Pourtant, comme l’an dernier, l’État se défausse une nouvelle fois de ses responsabilités sur les collectivités locales. Il l’a fait, comme toujours, en gelant les dotations aux collectivités et en ne finançant pas les dépenses qu’il a mises à leur charge, notamment des dépenses de solidarité nationale qui augmentent fortement les charges des départements.
Nous avons dû faire le deuil de l’indexation des dotations sur l’inflation et sur une part du taux de croissance, qui se pratiquait sous le gouvernement de Lionel Jospin, période durant laquelle, soit dit en passant, les déficits publics ont été réduits. En n’indexant pas les dotations d’État aux collectivités au moins sur l’inflation, vous faites porter la réduction des déficits publics sur les collectivités, qui ne sont en rien responsables de cette situation, et surtout vous cassez un des rares outils de la croissance et de l’emploi encore en état de marche dans ce pays.
Comment pouvez-vous continuer à nier cette réalité qui fait que c’est au cœur des territoires que nous trouverons la croissance ? Vous persistez à occulter l’intelligence territoriale ! Est-ce donc par idéologie que vous souhaitez à tout prix diminuer dans ce pays l’action publique locale ? Ce serait franchement inquiétant !
Longtemps proche de 73 % à 75 %, la part de l’investissement public local dans l’investissement public total vient de chuter à 63 %. Les effets n’ont, du reste, pas tardé à se faire sentir : vous économisez ainsi 500 millions d’euros sur le Fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA. Mais ce n’est pas comme cela que l’on soutiendra la croissance et l’emploi, alors que nous sommes proches de la récession !
En dépit de tout cela, vous persistez à attaquer les collectivités territoriales. Un rapport paru au début de ce mois et publié fort opportunément par l’administration de Bercy conclut à une forte progression des effectifs des collectivités territoriales entre 2002 et 2009. La publication aujourd’hui de ce rapport est loin d’être anodine, au moment où le Gouvernement a annoncé coup sur coup le gel en valeur des dotations d’État jusqu’en 2014, une nouvelle ponction de 200 millions d’euros sur les budgets locaux, et plus récemment, par la voix du Premier ministre, l’obligation, pour les collectivités de plus de 10 000 habitants, de la publication de l’évolution de leurs effectifs et de leurs dépenses de « train de vie » ! (M. Albéric de Montgolfier s’exclame.)
Au vu du dernier rapport de la Cour des comptes portant sur les budgets de communication du Gouvernement et des ministres, on se dit vraiment que les collectivités locales ont encore de la marge. L’État n’a pas de quoi être fier à ce sujet !
M. Bruno Sido. Je suis d’accord !
M. Claude Haut. C’est encore et toujours la suspicion ! On avance des chiffres contestables et qui sont d’ailleurs contestés dans leur pertinence par la Cour des comptes, laquelle a souligné dans son rapport de 2010 la rigueur de la gestion des administrations locales et la modération des frais de personnel.
Au-delà des mises en cause permanentes, il serait temps que l’État et les collectivités locales s’assoient enfin à la même table pour discuter des meilleurs moyens de lutter contre les déficits, et surtout de relancer la croissance et l’emploi. Les élus locaux et leurs associations y sont prêts.
Nous pourrions aussi évoquer le problème de la Conférence nationale des exécutifs, qui ne se réunit plus. Cette instance permettait pourtant de procéder à une concertation permanente entre l’État et les collectivités.
Ne comprenez-vous pas que de telles méthodes de décision, étrangères à toute concertation, ne sont en rien conformes à l’esprit de la décentralisation et de tout ce qui a cours aujourd’hui en Europe ?
Madame la ministre, je ne saurais terminer mon propos sans vous alerter sur la gravité de la situation financière des départements et la très grande difficulté qu’ont nombre d’entre eux pour boucler leurs budgets de 2012. Et c’est sur eux que vous faites porter la moitié de l’effort de 200 millions d’euros que vous demandez aux collectivités territoriales.
M. François Marc. C’est incompréhensible !
M. Claude Haut. Une telle mise à contribution n’est pas admissible. Les départements – je suis sûr que M. Sido en sera d’accord – font face avec détermination et constance à leurs responsabilités, qui sont essentielles en matière sociale et éducative.
De nombreuses dépenses des départements sont d’ailleurs inhérentes à l’état de notre société, car nos collectivités reflètent la situation d’une société qui va mal. Nous ne décidons pas du nombre de personnes âgées dépendantes, pas plus que du nombre d’allocataires du RSA. Or, partout, la précarité augmente.
Chaque année, les dépenses liées aux trois allocations APA, RSA et PCH enregistrent une hausse de 800 millions d’euros à 1 milliard d’euros. La progression des dépenses à caractère social a été de presque 8 % par an en moyenne depuis 2004, chiffre à rapprocher de l’évolution des dotations d’État, qui stagnent ou diminuent depuis deux ans maintenant.
La cohésion sociale, ce n’est pas seulement les actions de solidarité, c’est aussi l’éducation, la culture, la jeunesse et les sports. Là encore, les départements n’ont pas à rougir de leur action. Ils ont continué à innover et investir dans le contexte de crise économique, mais aussi malgré la suppression de la taxe professionnelle, qui limite fortement leur autonomie financière.
À cela s’ajoute maintenant la raréfaction des crédits accordés par les banques à certaines collectivités. Ce phénomène nouveau risque de pénaliser durablement l’investissement territorial et, par conséquent, la croissance de nos territoires et de notre pays.
Voilà nos difficultés.
Nous pensons que les départements sont aujourd’hui à un carrefour : doivent-ils continuer, pour le compte de la solidarité nationale, à assurer la mise en œuvre des allocations individuelles, en l’absence de toute solution pérenne de financement, ou demander à l’État de reprendre à sa charge cette mission de solidarité ?
Il est donc temps, et ce sera ma conclusion, madame la ministre, d’établir des relations financières saines, stables et équitables entre l’État et les collectivités territoriales. Il est temps de clarifier et d’engager une troisième phase de décentralisation, et surtout d’œuvrer pour de nouveaux mécanismes de solidarité entre collectivités. Vous n’avez pas ou vous avez peu agi en la matière. Vous ne l’avez pas voulu, ou vous ne l’avez pas pu. Il appartiendra à d’autres le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi de finances, qui ne cesse de subir des modifications, intervient dans un contexte de crise qui oblige à l’instauration de plans de rigueur ou d’austérité.
On appelle au courage et à la solidarité, quand ces deux mots ne sont pas martelés, pour affronter cette dure épreuve censée s’imposer à tous de la même manière. Cependant, en ma qualité d’ultramarin, je ne peux m’empêcher de poser la question légitime de l’égalité et de l’équité dans le traitement de la situation.
Peut-on raisonnablement ponctionner de la même manière que les économies avancées des économies qui sont déjà très fragiles, des territoires dont les caractéristiques s’apparentent à celles de pays en voie de développement, des territoires au bord de l’explosion sociale ?
La crise, madame la ministre, les outre-mer la vivent depuis longtemps déjà. Ils sont devenus les « brûlots de l’empire ». Souvenez-vous, c’était à la fin de 2008 en Guyane, puis dans le courant de l’année 2009 en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion. Aujourd'hui, c’est au tour de Mayotte, avec un feu qui ne s’éteint pas et une réalité socio-économique qui, une fois encore, n’a visiblement pas été suffisamment prise en considération. On assiste également à des tensions en Nouvelle-Calédonie et la Polynésie est au bord de la faillite.
Les raisons d’un tel brasier sont connues, madame la ministre, et vous ne les ignorez pas. Il s’agit bien évidemment de la vie chère, dans un contexte de pauvreté.
En effet, les ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté représentent le quart de la population ultramarine.
Les bénéficiaires du revenu de solidarité active représentent 18,8 % de la population active d’outre-mer, contre 5,5 % en métropole.
Le taux de chômage est de 25 % en moyenne – 21 % en Guyane et en Martinique, 23,8 % en Guadeloupe, environ 30 % à la Réunion, et jusqu’à 60 % dans certaines zones de ces départements. Ces taux sont parmi les plus élevés des régions de l’Union européenne à vingt-sept, et ce chômage frappe surtout les femmes et les jeunes.
Le produit intérieur brut par habitant y est près de deux fois plus faible qu’en métropole – de 16 000 à 17 000 euros, contre 30 000 euros –, et le revenu disponible par habitant de 1,4 à 2 fois moins important, selon les chiffres de 2008.
En Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et à la Réunion, plus de 150 000 personnes vivent dans quelque 50 000 locaux insalubres. Si l’on rapportait ce chiffre à la population métropolitaine, cela représenterait près de 6 millions de personnes.
Enfin, la santé publique est défaillante, avec, par exemple, un taux de mortalité infantile de 9 ‰.
Nous sommes donc très loin de l’objectif de rattrapage ou, mieux, comme il est écrit dans le document de politique transversale pour l’outre-mer, « du rapprochement des conditions de vie des habitants d’outre-mer avec celles des habitants de métropole ». Cette situation est légitimement préoccupante : il faut donc s’en préoccuper. Or ce n’est pas le cas.
Pourtant, après les événements de 2009, le Gouvernement s’était engagé, à travers les dispositions de la loi pour le développement économique des outre-mer et le Conseil interministériel de l’outre-mer, le CIOM, à lancer une nouvelle politique de croissance fondée sur le développement endogène. Il faut le reconnaître, cette stratégie était de bonne inspiration ; malheureusement, les moyens n’ont pas suivi.
Cela n’a pas empêché le Gouvernement d’afficher une certaine autosatisfaction quand il a annoncé récemment, lors du conseil des ministres du 26 octobre dernier, que 90 % des mesures du CIOM étaient réalisées ou en cours de l’être. Tout est dans la nuance !
Madame la ministre, si ce taux est exact, la situation que je vous ai décrite et les indicateurs que l’on retrouve dans vos propres documents budgétaires sont là pour démontrer que vos mesures n’étaient pas appropriées à la situation. À moins – c’est aussi une hypothèse plausible – qu’elles n’aient pas encore pu produire leur plein effet, nombre d’entre elles venant tout juste d’être mises en œuvre ou étant d’application trop récente.
Quelle est donc la cohérence de cette politique pour l’outre-mer issue des événements de 2009, dont l’objectif avoué était de renforcer les capacités des outre-mer à produire un développement économique endogène afin de résorber le chômage ?
Pourquoi remettez-vous déjà en cause des mesures que vous avez fait adopter voilà deux ans à peine, sans même proposer de solutions de remplacement ?
Je pense à la diminution très forte des dépenses fiscales en faveur de l’outre-mer, pour près de 500 millions d’euros.
Mon intention n’est pas de remettre en cause les efforts nécessaires en vue de limiter le coût des niches fiscales pour les finances publiques. Je souhaite toutefois attirer votre attention sur le fait que cette politique de réduction des niches n’a pas des conséquences identiques pour l’ensemble des territoires. L’aide à l’investissement outre-mer a permis de réaliser près de 3 milliards d’euros d’investissements en 2010, de créer au moins 3 600 emplois et d’en maintenir des milliers d’autres dans des territoires qui connaissent un chômage moyen supérieur à 25 %.
Il faut donc veiller à ne pas pénaliser excessivement les territoires ultramarins, pour lesquels la dépense fiscale a historiquement constitué un axe d’action privilégié. Aussi, eu égard aux réductions successives de la dépense fiscale, l’heure n’est-elle pas venue de se poser la question des avantages comparés de la dépense budgétaire et de la dépense fiscale afin de savoir si, à dépense globale constante, la substitution de certaines dépenses budgétaires à certaines dépenses fiscales ne permettrait pas d’accroître le soutien de l’État aux collectivités locales ?
M. François Marc. Bonne idée !
M. Georges Patient. Je pense aussi à la suppression de l’abattement de 30 % sur le bénéfice des entreprises imposables en outre-mer. Le Gouvernement avait promis que les mesures de réduction ne toucheraient pas les dispositifs de la croissance économique. L’annonce de la suppression de cet abattement d’un tiers pour les sociétés ultramarines en fournit la preuve contraire. L’objectif de l’instauration de l’abattement d’impôt sur les sociétés en outre-mer était d’abaisser le coût de financement et d’améliorer les capitaux propres des petites et moyennes entreprises ultramarines, qui ont plus difficilement accès au financement externe que les grandes entreprises.
Supprimer dès l’année prochaine cette mesure, qui devait être efficiente jusqu’en 2017, ôterait toute possibilité d’autonomie financière à ces entreprises, pivots du dynamisme ultramarin. Son maintien me semble vital pour ces sociétés.
Nous sommes néanmoins conscients des urgences actuelles. Dès lors, une solution pourrait être de maintenir cet abattement pour les seules entreprises éligibles au dispositif des zones franches d’activités qui réinvestissent leurs résultats dans l’entreprise.
De même, je pense au dispositif du gel de la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises ou de la baisse de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, appliqué indistinctement à l’ensemble des chambres de commerce et d’industrie régionales, les CCIR, qu’elles soient ou non constituées de plusieurs chambres de commerce et d’industrie territoriales, les CCIT. Or les chambres de commerce et d’industrie des départements d’outre-mer, de par l’organisation administrative et institutionnelle de ces derniers, ont la double qualité de CCIT et de CCIR, et se trouvent donc, de ce fait, dans l’incapacité de réaliser des mutualisations. C’est pourquoi il nous semble que ce dispositif doit également être revu, la perte correspondante pouvant être prise en charge par le Fonds de péréquation de la recette de la taxe additionnelle à la CVAE.
Madame la ministre, mes chers collègues, il faut arrêter de considérer que les outre-mer coûtent très cher à la nation parce que le total de l’effort budgétaire et fiscal de l’État en leur faveur pour 2012 s’élèverait à 16,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 16,4 milliards d’euros en crédits de paiement.
En présentant les choses de cette façon, on peut certes montrer que les outre-mer pèsent 4,6 % des dépenses du budget général et 20,4 % du déficit budgétaire, ce qui autoriserait ou justifierait aisément toutes les coupes budgétaires. Mais n’oublions pas que les outre-mer constituent aussi une population de 2,7 millions d’habitants, soit 4,2 % de la population totale française, qu’ils permettent à la France d’être présente dans toutes les parties du monde et qu’ils lui offrent également une zone économique exclusive de plus de 10 millions de kilomètres carrés, avec un potentiel de ressources énorme – biodiversité, ressources halieutiques, minières, terrestres et pétrolifères – qui fait de la France une puissance maritime de premier ordre, la deuxième au monde.
A-t-on fait l’évaluation de ces richesses et les met-on dans la balance ? Il s’agit d’autant d’éléments qui permettent d’appréhender autrement le rôle et l’importance des outre-mer pour la France, de rompre avec cette vision cartiériste trop répandue.
Les outre-mer ne quémandent pas, mais ne veulent pas non plus de l’assistanat. Ils disposent d’importants atouts, qui sont autant de perspectives de développement à même d’améliorer les conditions de vie de leurs citoyens. Mais encore faut-il qu’on laisse aux acteurs locaux la latitude nécessaire pour valoriser ces atouts dans l’intérêt de leur territoire et que des moyens appropriés soient mis à leur disposition pour l’exploitation de ces richesses. Or, en la matière, les freins sont nombreux – je pense notamment au problème des normes européennes, qui, trop souvent, sont appliquées aveuglément dans nos territoires, ou encore à l’absence de financements bancaires.
Il est aussi essentiel que les collectivités d’outre-mer soient rétablies dans la totalité de leurs droits financiers et, surtout, fiscaux. En effet, en cette période de raréfaction des recettes provenant de l’État, de gel des finances des collectivités locales, les recettes fiscales peuvent jouer un rôle essentiel, à la condition toutefois que leur gestion soit mieux assurée. Or celle-ci incombe à l’État, qui accumule dans ce domaine un certain nombre de lacunes.
Un tout récent rapport de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes d’outre-mer, en date de juillet 2011, est très révélateur à ce sujet. Il établit les constats suivants : aucune actualisation des bases n’est intervenue outre-mer en 1980, contrairement à la métropole ; de nombreux abattements et exonérations mis en place par l’État ne sont pas compensés par ce dernier ; des bases cadastrales sont peu ou mal renseignées, faute de géomètres, d’où des pertes financières très lourdes pour les collectivités locales.
La Cour des comptes prend l’exemple de la Guyane, dont l’écart de potentiel brut mobilisable s’élève, selon la direction régionale des finances publiques, à 32 millions d’euros, ce qui se traduirait par une perte de recettes annuelles de 12 millions d’euros environ pour les communes. Ce chiffre est à rapprocher du montant des recettes réelles de fonctionnement perçu par les communes de Guyane, qui s’élève à 220 millions d’euros environ.
Je tiens à rappeler que, par un arrêt du Conseil d’État du 6 mars 2006, la responsabilité de l’État a déjà été engagée en raison de l’absence prolongée d’actualisation des bases cadastrales de la ville de Kourou et du manque à gagner fiscal qui en est résulté pour les finances locales. Il ne faudrait pas que nous soyons toujours obligés d’en arriver à cette extrémité.
Aussi, madame la ministre, mes chers collègues, j’espère que, en dépit de la priorité donnée à la réduction du déficit budgétaire, certaines propositions que mes collègues ultramarins et moi-même serons amenés à faire, dans l’intérêt des outre-mer – lequel n’est pas contraire à celui de la nation –, recevront votre assentiment. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)