M. Jean-Vincent Placé. C’est vous qui êtes responsables de la décroissance ; je ne fais qu’en parler !
Mme Valérie Pécresse, ministre. À la veille d’une échéance électorale, ce gouvernement est sans doute le seul de notre histoire récente à avoir eu le courage de dire aux Français que des efforts étaient nécessaires pour tenir nos objectifs de réduction des déficits et pour continuer à avancer sur le chemin du désendettement.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Comme l’a très justement dit Serge Dassault, c’est aujourd’hui une nécessité absolue. Il faut cependant avancer au bon rythme, en réduisant les déficits sans casser la croissance.
Cet équilibre est au cœur de notre politique, et vous pouvez compter sur notre ténacité pour chercher à l’atteindre. Oui, madame Des Esgaulx, nous continuerons dans cette voie !
S’agissant de la maîtrise des dépenses, vous avez cité, madame la rapporteure générale, un certain nombre des chiffres ; encore faudrait-il qu’ils soient pertinents...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ils sont exacts !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Vous prenez comme référence la période 2008-2012, ce qui est pour le moins curieux !
En effet, 2008 et 2009 sont deux années de crise et de récession, durant lesquelles le Gouvernement a laissé jouer à plein les stabilisateurs automatiques. Nous avons augmenté les dépenses pour protéger les Français ; si nous avions fait le contraire, vous nous l’auriez reproché ... C’était notre devoir, et nous l’assumons totalement.
Depuis 2010, les dépenses publiques progressent en moyenne de 0,8 % chaque année, contre 2,4 % en moyenne au cours des vingt dernières années.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Madame la ministre, 4 % en 2009 ! Il faut raisonner en moyenne sur la période.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Si vous en doutiez encore, ce projet de budget traduit à nouveau une baisse historique des dépenses de l’État, hors dettes et pensions. Comme l’a démontré Aymeri de Montesquiou, 1,5 milliard d’euros représente un effort sans précédent !
Dans le rapport de Mme Bricq, il est écrit que, sur la période, l’effort structurel a plus porté sur les dépenses, soit 1,1 point de PIB, que sur les recettes, soit 0,7 point de PIB.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. De quelle période parlez-vous ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je parle de la période 2010-2012, celle du redressement et de la réduction des déficits...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je parlais quant à moi de l’ensemble du quinquennat !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je le répète, nous continuerons dans cette voie.
Pour la période 2011-2016, l’effort total représentera 115 milliards d’euros, dont les deux tiers en dépenses.
Par ailleurs, si nous n’avions pas appliqué la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, la masse salariale continuerait à augmenter de 800 millions d’euros par an. Vous le savez, le gel du point d’indice ne suffit pas,...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La RGPP non plus !
Mme Valérie Pécresse, ministre. ... car il n’empêche pas l’augmentation, de l’ordre de 3 % par an, de la rémunération des fonctionnaires par le mécanisme du glissement-vieillesse-technicité.
M. Richard Yung. C’est la faute des fonctionnaires...
Mme Valérie Pécresse, ministre. Vous désapprouvez la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Soit ! Mais reconnaissez qu’elle nous a permis de réduire les dépenses de personnel de l’État. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Jean-Vincent Placé. C’est dérisoire au regard des enjeux !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous refusez les économies quelles qu’elles soient !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais, monsieur Placé, nous raisonnons sur soixante ans ! Non seulement l’État recrute un fonctionnaire pour quarante et un ans et demi, mais ensuite il lui verse une pension de retraite pour le restant de ses jours ! Ces décisions ont donc un impact majeur sur l’équilibre financier de la France, à très long terme.
C’est tout le danger des calculs de M. Hollande, quand il prétend recruter 60 000 fonctionnaires supplémentaires !
Madame la rapporteure générale, concernant les recettes, vous ne pouvez pas non plus faire l’impasse sur la crise. Vous choisissez 2010 comme point de repère, mais il s’agit de l’année de la reprise, au cours de laquelle les recettes, après s’être effondrées, se sont spontanément redressées ! En outre, certaines d’entre elles sont encore très marquées par la crise, comme l’impôt sur les sociétés, qui n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2007.
M. Marc nous a invités à supprimer des dizaines de milliards d’euros de niches fiscales, qui ne seraient pas justifiées sur le plan économique. Mais lesquelles allez-vous remettre en cause, monsieur le sénateur ? Les exonérations de CSG ? Les abattements d’impôt sur le revenu pour les retraités ? Les aides à l’emploi à domicile ?
M. François Marc. Lisez les amendements que nous avons déposés !
Mme Valérie Pécresse, ministre. La TVA à 5,5 % sur les équipements à destination des personnes handicapées ?
M. François Marc. Nous venons de le dire !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Il s’agit des niches les moins bien notées par l’inspection générale des finances, mais ces dispositifs remplissent un rôle de cohésion sociale. Le Gouvernement ne les supprimera donc pas, et nous assumons totalement ce choix.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Oui !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Monsieur Patient, c’est au nom de la cohésion sociale et territoriale que nous avons refusé – à une exception près – de remettre en cause les dispositifs sociaux et fiscaux qui soutiennent la croissance outre-mer. Le développement endogène des territoires ultramarins constitue une priorité absolue du Président de la République.
M. Serge Larcher. Nous ne nous en étions pas aperçus !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour continuer à avancer dans cette voie.
J’ai entendu les propos de Thierry Foucaud et de Claude Haut. Toutefois, on ne peut pas reprocher au Gouvernement d’avoir à la fois augmenté les prélèvements obligatoires et offert de prétendus cadeaux fiscaux !
Mme Marie-France Beaufils. Si ! C’est la vérité !
M. Jean-Vincent Placé. Et l’ISF ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous pouvons être en désaccord, mais encore faudrait-il savoir sur quels points. La suppression de la première tranche de l’ISF est compensée par une série de mesures qui pèseront sur les plus riches : il s’agit donc d’une réforme équilibrée !
En outre, nous gelons aujourd’hui les barèmes de l’ISF et de l’impôt sur le revenu. Et nous allons taxer les revenus du patrimoine à la même hauteur que les revenus du travail. Jamais cela n’a été fait dans notre pays ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Notre fiscalité sur le patrimoine est de quinze points plus élevée qu’en Allemagne !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cela représente beaucoup d’argent !
M. Jean-Vincent Placé. Mais c’est un film !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Vous n’étiez pas présent en début de séance, monsieur Placé ! En matière de justice fiscale, nous sommes en mesure de donner des leçons, nous n’avons pas à en recevoir ! (Mme Marie-France Beaufils s’exclame.)
M. François Marc. Cela va fort !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Concernant la participation des collectivités territoriales à l’effort de désendettement, la conviction du Gouvernement est claire : l’heure est à la responsabilité. Du reste, la Haute Assemblée le sait parfaitement : le principe de l’équilibre réel n’a jamais empêché une collectivité de s’endetter…
M. François Marc. Ah !
Mme Marie-France Beaufils. Et la capacité de remboursement des collectivités ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Démonstration en a encore été faite ce matin au conseil régional d’Île-de-France. La dépense locale faisant partie intégrante de la dépense publique, les collectivités doivent participer à l’effort de maîtrise des déficits publics. C’est tout le sens des 200 millions d’euros d’économies votés à l’Assemblée nationale. Je le rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, cette somme ne représente qu’un millième du budget consolidé des collectivités locales en France !
J’ajoute que, dans le plan de retour à l’équilibre des finances publiques d’ici à 2016 présenté par le Gouvernement, la part prise en charge par les collectivités territoriales représente moins de 10 % de l’effort demandé à l’ensemble de la sphère publique.
Monsieur Frécon, le dispositif de péréquation que ce budget instaure pour les communes et les EPCI représente, vous en conviendrez, une avancée très significative : en effet, il renforce considérablement la solidarité entre les collectivités.
Mme Marie-France Beaufils. Ah bon ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur ce point le moment venu. Je rappelle simplement que ce dispositif a fait l’objet d’une concertation approfondie au sein du comité des finances locales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai également entendu beaucoup d’interrogations au sujet du pouvoir d’achat. Or le souci de protéger les Français les plus fragiles nous a précisément conduits à exclure du nouveau taux réduit de la TVA à 7 % les produits de première nécessité dans les domaines de l’alimentation et de l’énergie, sans oublier les biens et les services à destination des personnes handicapées. En outre, c’est pour préserver le pouvoir d’achat des ménages que nous faisons peser la majorité des efforts sur les dépenses.
Madame la rapporteure générale, c’est ainsi que nous éviterons toute hausse générale des impôts. J’ajoute qu’on ne peut pas, comme l’a parfaitement souligné M. le président de la commission, préserver le pouvoir d’achat d’une part et, de l’autre – comme le souhaiterait M. Bocquet – retirer 450 euros par an…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est beaucoup d’argent !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … aux neuf millions de Français qui perçoivent un salaire mensuel moyen de 1 500 euros et qui, grâce à la loi TEPA, accomplissent des heures supplémentaires, bref travaillent plus pour gagner plus ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Thierry Foucaud. Ce sont des bêtises ! Tout cela, c’est fini !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est la réalité !
Mme Valérie Pécresse, ministre. MM. Delahaye et Dominati l’ont souligné fort à propos : le redressement de nos finances publiques soulève également un enjeu de compétitivité. En effet, nos déficits pèsent sur la croissance. Le retour à l’équilibre est le seul moyen d’alléger le poids de la dette qui freine notre économie.
Yvon Collin l’a rappelé pour sa part, la crise que nous traversons doit nous conduire à rompre avec nos habitudes, à modifier tous nos points de repères. Toutefois, il faut aller au terme de cette démarche : la crise nous a appris que la bonne marche de l’économie va de pair avec une bonne gestion des finances publiques.
Monsieur Yung, je vous l’affirme : tous les pays d’Europe opèrent aujourd’hui le même choix que le nôtre, celui de réduire les déficits en concentrant avant tout leurs efforts sur les dépenses.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est le seul chemin crédible sur la voie du désendettement, et c’est celui que le Gouvernement vous propose d’emprunter. Je regrette, avec Aymeri de Montesquiou, que ce combat, mené dans l’intérêt commun, ne donne pas lieu ici à une véritable union nationale, sous les auspices de la devise des mousquetaires : « Tous pour un, un pour tous » ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bravo ! Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, la commission sollicite une courte interruption de séance pour permettre à ses membres de se prononcer sur la motion tendant à opposer la question préalable.
Mes chers collègues, chacun d’entre nous conçoit qu’il s’agit d’un moment important. En effet, selon la préconisation qui sera formulée et le vote qui aura lieu, nous poursuivrons ou non l’examen du projet de loi de finances pour 2012 !
Monsieur le président, nous sommes en mesure de nous prononcer rapidement. Il sera ensuite possible de reprendre la séance pour l’achever aux alentours de vingt heures.
M. le président. Le Sénat va bien sûr accéder à votre demande, monsieur le président.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°I-194.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2012 (n° 106, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la motion.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Thierry Foucaud et Éric Bocquet ont rappelé la situation particulière dans laquelle nous sommes amenés à nous prononcer sur ce projet de budget pour 2012.
Les annonces ne cessent de se multiplier depuis que le débat s’est engagé à l’Assemblée nationale. La dernière en date est, bien évidemment, le nouveau plan de rigueur, le nouveau projet de loi de finances rectificative, que vous avez présenté ce mercredi et qui n’est pas sans conséquence sur le texte dont nous discutons aujourd'hui.
Vous le savez, ce texte a été élaboré sur la base de prévisions, en particulier de croissance, qui manquent de crédibilité, et ce d’autant plus que les préconisations, qu’elles soient européennes ou qu’elles émanent du Fonds monétaire international, vont toutes dans le même sens : il faut faire payer au plus grand nombre les conséquences de la crise financière déclenchée par la crise des subprimes. Et jusqu’à ce jour vous avez estimé qu’il faut suivre ces exhortations.
Toutes ces annonces successives et l’instabilité qui a présidé à l’élaboration du projet de budget pour 2012 ont amené certains commentateurs à considérer que le Gouvernement avait des difficultés à affirmer son plan d’austérité. Celui-ci est peut-être ardu à assumer à l’approche d’élections présidentielle et législatives, mais il me semble qu’il est surtout difficile d’expliquer une politique d’austérité renforcée, alors que vous savez qu’elle n’apportera aucune réponse à la situation du pays, particulièrement à la réduction de son déficit.
Cette politique d’austérité n’a qu’un seul objet : essayer d’envoyer un signal aux marchés financiers auxquels vous vous êtes soumis en acceptant le pouvoir que les agences de notation et leurs actionnaires se sont arrogé ces dernières années.
Or, nous savons tous où mènent ces choix. La Grèce en est la victime la plus marquante, mais l’Espagne, le Portugal, l’Italie ne sont pas en reste. Les plans d’austérité imposés par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à l’échelon européen ne peuvent ni contribuer à redresser la situation économique ni permettre de retrouver enfin la capacité de répondre aux besoins de ces pays et de leurs habitants.
M. Jouyet, aujourd’hui président de l’Autorité des marchés financiers, explique très clairement le comportement actuel des marchés : « Ils ont fait pression sur le jeu démocratique. C’est le troisième gouvernement qui saute à leur initiative pour cause de dette excessive. Aux appréciations quantitatives qu’ils sont amenés à faire pour évaluer la capacité d’un État à rembourser ses dettes sont venus s’ajouter des jugements qualitatifs. Pour les marchés, Silvio Berlusconi n’était plus l’homme de la situation et l’envolée des taux d’intérêt de la dette italienne a été leur bulletin de vote. […] Mais à terme, les citoyens se révolteront contre cette dictature de fait. Notons au passage que la Grèce a nommé Premier ministre un banquier central et que l’Italie s’apprête à désigner un ancien commissaire européen et homme de Goldman Sachs... » C’est chose faite, puisque Mario Monti a été nommé président du Conseil.
On ne saurait en effet mieux dire ce dont il est question, à savoir le choix qu’il nous faut désormais effectuer. Michel Pébereau, président de BNP-Paribas, a déclaré dans un discours prononcé le 25 octobre et repris par Les Échos : « Les États ont un rôle important à jouer pour que la finance soit tout entière au service de la croissance et de la stabilité financière. [...] Une partie de la sphère financière s’est ainsi installée dans son propre monde, un univers virtuel replié sur sa logique interne [...] Il faut en finir avec l’illusion du “tout marché”. »
Ce discours nous ramène aux choix que nous devons faire : allons-nous continuer à accepter le diktat des marchés financiers ou allons-nous enfin considérer que la politique peut imposer d’autres choix ? Nous discutons soit d’un projet de budget répondant aux exigences de ces agences et, malheureusement, à celles portées par le couple franco-allemand en Europe, soit d’un projet de loi de finances volontaire, déterminé, courageux, faisant échapper les politiques publiques aux fausses vérités et évidences que l’on assène aux Français.
En effet, au nom de l’effort, et si possible d’un effort « également partagé », nous dit-on, l’on demande aux Françaises et aux Français, et, en premier chef, au monde du travail, de consentir des reculs sociaux significatifs, touchant tous les aspects de la vie, qu’il s’agisse de la dépense publique d’éducation, de la qualité de notre système de soins, de la pertinence de nos infrastructures de transport, de notre système solidaire d’accès au logement !
Le projet de loi de finances peut bien sûr être amendé ; des propositions de recettes nouvelles peuvent tout à fait être adoptées par le Sénat dans sa nouvelle composition. Nous avons travaillé en ce sens. Mais les grandes politiques publiques qui doivent être définies dans le projet de budget, sont bloquées, LOLF oblige. À moins que le Gouvernement n’accepte de revoir sa copie, car l’effort partagé dont vous parlez est bien particulier !
Certes, vous avez pris en considération la réaction populaire face à ces niveaux de profits et de rémunération inacceptables, que rien ne justifie. Mais vous refusez de reconnaître que cette crise est celle du système capitaliste, qui montre ainsi ses limites.
Vous nous proposez la taxation « exceptionnelle » des plus hauts revenus, soit un rendement de 200 millions d’euros au total, c’est-à-dire, pour avoir en tête les ordres de grandeur, quatre dixièmes de point de l’impôt sur le revenu attendu ! Non seulement cette somme est modeste, mais, en plus, vous considérez que cette taxe ne peut être qu’« exceptionnelle », conformément à la suggestion de ces grands patrons qui l’ont proposée pour mieux se dédouaner de leurs responsabilités.
Comparons, de surcroît, ces 200 millions d’euros, de prélèvement exceptionnel aux 1 857 millions d’ISF rendus aux ménages les plus fortunés par le projet de loi de finances rectificative du mois de juillet ! De qui se moque-t-on ?
La majoration attendue du produit de l’impôt sur les sociétés, est, quant à elle, estimée aujourd’hui à 1,1 milliard d’euros. Remarquable effort, il est vrai, qui ne représente que le quart, ou peu s’en faut, des sommes que Total, leader du CAC 40, consacre chaque année aux opérations de rachat d’actions qu’il organise pour majorer la valeur des titres restants et accroître l’attractivité de son dividende ! Cette somme ne correspond qu’à environ 1 % des profits déclarés en 2010 par les entreprises du CAC 40, qui ne représentent pas, loin s’en faut, la totalité des entreprises françaises !
Quand on nous parle d’efforts « également partagés », je pense que nous ne donnons pas le même sens aux mots. Quels contribuables, dans notre pays, ont bénéficié d’une réduction de leur imposition de plus d’un tiers durant cette législature ? Avec la réforme de 2009, les entreprises assujetties à la taxe professionnelle ont gagné quelque 11 milliards d’euros pour la première année, somme considérable pour les budgets publics, mais qui ne représente qu’un demi-point de PIB et ne semble pas, au regard de la situation de l’emploi, avoir changé quoi que ce soit. Mesure de trésorerie peut-être pour certains, mais la contribution économique territoriale ne pèse pas le même poids que la taxe professionnelle pour bon nombre d’activités.
En revanche, les très petites entreprises, ou TPE, et un certain nombre de moyennes et petites entreprises font l’expérience d’une absence de baisse de leur contribution fiscale, le bonus ayant été capté par les autres !
Par votre politique, vous avez cherché, de manière purement idéologique, à réduire constamment à la fois les impôts dus par les entreprises et les obligations fiscales des ménages les plus aisés. On a ainsi vu se réduire le rendement de l’impôt sur les sociétés, des droits d’enregistrement et de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Les aides au redressement des banques ont été accordées sans aucune obligation de nouvelles orientations, particulièrement pour le financement de l’activité économique, et surtout industrielle.
À chaque loi de finances, initiale ou rectificative, un lot de taxes nouvelles sur la consommation, sans parler, évidemment, de la mise en question permanente de la dépense publique, avec son contingent de réduction des personnels des services publics, ont été décidées. Quelle est l’efficacité de ces choix ?
Le remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite est devenu un dogme, que certains rêvent d’imposer aux collectivités locales. Mais que rapporte cette mesure au budget de l’État ? On parle de 4 milliards d’euros d’économies budgétaires sur la durée du quinquennat, c’est dire !
En corollaire, combien de personnels en préfecture, dans les directions départementales des territoires pour répondre aux habitants, aux élus ? Combien d’enseignants pour assurer une scolarité de qualité, prenant en compte la situation fragile de nos concitoyens des quartiers d’habitat social ou de nos communes rurales ? Quels moyens pour nos tribunaux, particulièrement ceux qui sont chargés de l’enfance ?
Quand la bourse de Paris perd en une séance deux points, comme avant-hier, elle perd quatre fois ce que le Gouvernement est fier d’avoir économisé sur la dépense publique !
Autre prétendue vérité assenée : l’impôt ne doit pas nuire à la compétitivité de nos entreprises ! En 2011, nous arrivons au terme d’un long cycle, engagé voilà près de trente ans, de réduction continue du poids des obligations fiscales et sociales des entreprises dans notre pays. Tous les chapitres ont été revisités, la TVA, l’impôt sur les sociétés, la taxe professionnelle, les cotisations sociales ; qu’il soit question des taux comme de l’assiette de ces prélèvements, une seule orientation a prévalu : celle du moins-disant fiscal. Objectif atteint ! Avec un taux de 33,33 %, l’impôt sur les sociétés en France paraît l’un des plus élevés d’Europe. Pourtant, un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur ce sujet a établi la vérité : la part de l’impôt sur les sociétés demeure faible dans le PIB ; dans le même temps, nous dépensons des sommes considérables et effectuons des efforts importants pour ne pas l’appliquer !
Notre législation comporte des dispositions favorables à la spéculation, comme la niche Copé relative aux plus-values de cession de titres du capital dans les groupes, soit 8 milliards d’euros cette année,…
Mme Marie-France Beaufils. … des mesures favorables aux opérations purement boursières, comme les plans de rachat d’actions, sans parler, bien entendu, du traitement des plus-values, qui va fréquemment de pair avec des restructurations meurtrières pour l’emploi et pour les capacités de production !
Cette course à la rentabilité financière maximale est un véritable cancer pour notre industrie. Nous en avons tous des exemples dans nos départements.
Nous devons clairement passer au filtre de l’efficacité sociale et économique l’ensemble de ces choix gouvernementaux, qui n’ont pas empêché le démembrement de notre appareil industriel, l’aggravation de notre déficit commercial extérieur, la progression de la précarité de l’emploi et, de manière générale, l’atonie de notre croissance économique.
Puisque l’accumulation des cadeaux fiscaux n’a pas produit les résultats attendus, il est peut-être temps de penser les choses autrement.
Enfin, je ne peux manquer de parler quelques instants des collectivités territoriales. À écouter certains, celles-ci ne savent pas se réfréner et dépensent trop ! C’est un peu ce que vous avez dit tout à l'heure, madame la ministre.
Comme elles n’ont pas compris le sens des réformes et celui du changement, on réduit leurs moyens financiers, avant de s’attaquer à leur nombre – il faut diminuer le nombre des communes et des niveaux de collectivités, nous dit-on, car ils constituent un véritable « mille-feuille » local – ainsi qu’à leurs prérogatives et compétences.
Pour faire bonne mesure, les regroupements autoritaires sous l’égide des préfets sont préférés aux démarches volontaires de coopération et de développement des synergies locales.
Nous pouvons nous demander ce que les élus locaux ont fait de si terrible pour justifier un tel acharnement à réduire toujours plus leurs ressources, leurs compétences et leurs pouvoirs. Les collectivités territoriales financent pourtant 70 % des investissements publics, contribuant ainsi au maintien d’une activité dynamique dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, dont nous avons tant besoin.
Depuis 1993 et la réforme de la dotation globale de fonctionnement sans majoration, les relations entre l’État et les collectivités locales se sont un peu déroulées sur le mode du mariage forcé. Depuis lors, en effet, l’État a fait en sorte que les collectivités territoriales aient toujours plus à lui rendre. De pactes de stabilité en gel des dotations, ce sont à chaque fois plusieurs dizaines ou centaines de millions d’euros qui ont été déduits des ressources des collectivités territoriales. Vous vous êtes pourtant félicités du rôle d’amortisseur social que jouent nos collectivités…
Aujourd'hui, c’est une ponction supplémentaire – de quelques centaines de millions d’euros – sur les ressources des collectivités locales que vous soumettez à notre vote, dans le seul but de réduire d’autant le déficit budgétaire !
Alors même que nous n’avons aucun recul sur le résultat d’une campagne annuelle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE – c’est ce que nous disent les services –, vous annoncez une nouvelle répartition des ressources des collectivités, mais entre elles. C’est la mise en place d’une réforme à effet retardé, celle de la péréquation horizontale...
La péréquation horizontale, dans un schéma fiscal de plus en plus contraint – les seuls leviers restants sont la cotisation foncière des entreprises, CFE, et les impôts dits « ménages » –, ne peut apporter de réponse aux déséquilibres territoriaux actuels.
De fait, la démarche entreprise remettra en question l’idée même de péréquation – objectif que chacun peut partager –, tout simplement parce qu’on ne peut la fonder sur un simple transfert de ressources interne à chaque niveau de collectivités territoriales.
Nous vous avions déjà proposé, au printemps dernier, un système de péréquation horizontale rénové dont le financement, basé sur une recette affectée, n’alourdirait pas le budget de l’État.
J’en viens à mon dernier argument à l’appui de cette motion.
Le collectif de fin d’année prévoit des mesures d’une certaine importance, comme la hausse de la TVA sur les produits soumis au taux réduit ou le gel du barème de l’impôt sur le revenu – cette dernière mesure pèsera plus nettement sur le pouvoir d’achat des salariés et de leurs familles que toute réduction des dépenses publiques. Elles ont quelque effet sur le contenu de ce projet de loi de finances, et auraient donc dû y être intégrées pour être débattues dès maintenant.
En juillet, alors même que la situation des comptes publics n’était guère meilleure qu’aujourd'hui, vous avez, mes chers collègues de l’opposition, voté un collectif qui allégeait de 2 milliards d’euros le produit de l’impôt de solidarité sur la fortune ! Il faut croire que vous pensiez que le budget de l’État pouvait le supporter…