M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous assistons depuis quelques années, au sein de la société française, à l’émergence d’un islamisme politique et revendicatif.
Alors que la grande majorité des musulmans de France sont par nature pacifiques et respectueux des valeurs et des lois de la République, ce courant dur rompt avec la tradition française d’un islam serein, tolérant et parfaitement intégré. Les vagues d’immigration les plus récentes et le développement du communautarisme ont sans doute favorisé ce phénomène, qui bouscule aujourd’hui les lignes de partage entre la religion et la République.
Force est de constater que le port du voile islamique s’est peu à peu répandu dans l’espace public. Considéré, par certains, comme un signe d’appartenance librement consenti, et, par d’autres, comme un instrument de soumission, il remet en cause notre système de valeurs ; la question de sa compatibilité avec l’idéal républicain se pose.
Personnellement opposée à tout signe religieux ostentatoire, je suis particulièrement hostile à tout ce qui symbolise l’asservissement de la femme.
Dans le même temps, je reste très réservée sur toutes les lois qui, sur fond de laïcité, pourraient faire naître un sentiment de défiance chez les musulmans de France. À cet égard, je souhaite souligner que la proposition de loi de nos collègues du RDSE ne doit pas être interprétée comme une marque d’hostilité envers l’islam : ce n’est pas la pratique de la religion musulmane qui est en cause ; ce qui pose problème, c’est une certaine conception de la religion.
De par le monde, un certain nombre de nations sont fondées sur des critères ethniques ou religieux. Dans ces pays, la religion est un facteur de cohésion nationale, et la nation est avant tout une communauté de croyants.
La France est, au contraire, porteuse d’un idéal de citoyenneté fondé sur la raison. Pour la République française, il n’y a ni juifs, ni chrétiens, ni musulmans : il n’y a que des citoyens, libres de croire ou non en un dieu et ayant tous en commun un idéal démocratique fondé sur l’égalité civile.
Cela signifie que tous les individus qui composent la nation, sans distinction d’origine, de race ou de religion, forment une seule et même communauté.
Cela sous-entend également l’existence d’un espace public commun à tous les membres de la collectivité. Dans cet espace, la neutralité est la règle et tous les individus doivent se soumettre à la loi commune, dans le souci du bien de tous. Tel est l’idéal républicain !
La France ne reconnaît que la loi des hommes, et aucune loi divine ne saurait être supérieure aux lois de la République.
Cela ne remet nullement en cause la liberté de croyance, et ce n’est pas non plus incompatible avec la tradition d’accueil de la France, bien au contraire !
La République française ne reconnaît aucune religion ; c'est la raison pour laquelle elle les protège toutes. La nation française est ouverte à l’assimilation des étrangers, qui ont vocation à s’intégrer socialement et économiquement, dès lors qu’ils adhèrent aux valeurs de la République.
Il est vain, dira-t-on, de tenter de protéger la société des complexités du multiculturalisme ; en quoi, objectera-t-on, le port du voile islamique est-il contraire aux principes républicains ?
Je rappellerai avec force que les manifestations d’appartenance religieuse ne sont acceptables que dans la mesure où elles ne remettent pas en cause la cohésion de notre société. Si la reconnaissance des libertés publiques, telle la liberté de croyance, s’inscrit dans la tradition de la République, elle ne peut pas aboutir à la détruire.
Mes chers collègues, il est de notre devoir de parlementaires de limiter les manifestations d’appartenance religieuse afin de préserver la cohésion et l’identité de notre pays – j’entends, par « identité », notre idéal de vie en société.
Si nous ne fixons pas dès aujourd’hui des limites, nous risquons demain de nous retrouver face à des revendications multiples auxquelles nous ne serons plus en mesure de faire face. C'est la raison pour laquelle la proposition de loi de notre collègue Françoise Laborde doit retenir toute notre attention.
Dans l’exposé des motifs de ce texte, il est explicitement fait référence à l’affaire de la crèche Baby Loup.
En l’espèce, le jugement de la cour d’appel de Versailles s’inscrit dans la tradition républicaine. Cette juridiction a en effet considéré que les restrictions à l’expression de la liberté religieuse figurant dans le règlement intérieur d’une crèche associative étaient justifiées par la nature de la tâche à accomplir par les salariés et par le fait qu’en raison de leur jeune âge les enfants accueillis en son sein ne devaient pas être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse. S’agissant d’une structure privée d’accueil de la petite enfance, elle a donc reconnu à l’employeur le droit d’imposer un règlement intérieur édictant un principe de neutralité et interdisant implicitement le port de signes religieux tels que le voile islamique.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à étendre l’obligation de neutralité « religieuse » aux structures privées chargées de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité.
Mes chers collègues, si ce texte est adopté, le principe de neutralité fera obstacle à l’expression des convictions religieuses des personnels dans toutes les structures d’accueil d’enfants âgés de moins de six ans, qu’elles soient publiques ou privées.
À cet égard, il est intéressant d’analyser l’avis rendu par le Conseil d’État le 3 mai 2000, qui énonce clairement ce principe pour la fonction publique : si les agents des services publics « bénéficient […] de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination […] qui serait fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ».
Dans la fonction publique, ce ne sont donc pas les opinions religieuses d’un agent qui sont incompatibles avec la neutralité du service, mais leur manifestation. L’administration, sous le contrôle du juge, apprécie au cas par cas si l’attitude d’un agent respecte ou non cet impératif de neutralité.
Je suis pour ma part tout à fait favorable à ce que ce principe puisse s’appliquer dans l’ensemble des structures associatives et privées. Pour autant, ne soyons pas naïfs : avec ou sans loi, le débat ne sera pas clos.
En effet, malgré le déni qui entoure cette délicate question, le problème de fond n’est pas tant celui du port du voile que celui de la place de l’islam dans notre pays. Face à la montée des extrémismes et du racisme, il nous faut rapidement retrouver un consensus sur la manière de vivre tous ensemble.
Il est temps que les 6 millions de musulmans modérés vivant en France se fassent entendre : fidèles aux valeurs de la République, qu’ils enrichissent sans les pervertir, ils appartiennent à la communauté nationale.
Monsieur le ministre, j’estime qu’il y a urgence à organiser un débat de fond sur la place de l’islam dans notre République.
Mes chers collègues, il nous faut tous ensemble lutter contre un mal qui gangrène nos quartiers : celui des dérives sectaires d’une minorité qui, au nom de la religion, rejette toute valeur occidentale, en particulier la démocratie et la laïcité. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est pas simple d’aborder en sept minutes la question de la laïcité dans un domaine aussi sensible que celui de l’accueil et du développement des jeunes enfants.
Pourtant, au travers de l’examen de la proposition de loi déposée par notre collègue Françoise Laborde et modifiée par la commission des lois, nous sommes appelés à nous prononcer sur l’application du principe de neutralité aux structures privées et aux assistants maternels chargés de l’accueil des jeunes enfants.
Ma chère collègue, nous partageons un certain nombre de convictions en la matière. Dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, vous faites référence à la Constitution, qui dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Selon nous, cette référence à la laïcité constitue l’un des piliers de la République, indissociable de notre système démocratique.
N’est-ce pas Jaurès qui affirmait, dans les colonnes du journal l’Humanité, le 2 août 1904, que « démocratie et laïcité sont deux termes identiques [car] la démocratie n’est autre chose que l’égalité des droits » ?
Telle est notre conception de la laïcité : à la fois un mouvement émancipateur de tous les êtres humains, lesquels sont assurés de voir leurs opinions religieuses ou philosophiques respectées, et un principe d’organisation politique et sociale où le droit de chacun à exprimer ses convictions s’exerce dans le respect des opinions d’autrui.
C’est là notre définition du « vivre ensemble ». Or celui-ci fait, depuis des années, l’objet de nombreuses attaques ; d’une certaine manière, c’est la loi de 1905 elle-même qui est menacée. Je regrette d’ailleurs que les plus hauts responsables politiques y participent, à l’instar du Président de la République, qui, dans son discours du Latran, proposait tout simplement de « reconfessionnaliser » notre société, en affirmant la supériorité du prêtre sur l’instituteur dans la transmission des valeurs. Cette déclaration nous inquiète, car elle s’inscrit à rebours de notre histoire, dont notre conception de la laïcité est le fruit.
La loi de 1905 est un texte important, mais elle n’est pas la première étape de la construction d’une société laïque et ne peut être considérée comme une fin en soi. Notre société est en évolution ; depuis la Révolution, les difficultés potentielles auxquelles nous sommes confrontés ont changé. On voit bien que les défis auxquels nous devons faire face aujourd'hui résident moins dans la préservation de notre modèle démocratique des influences religieuses que dans les nouvelles formes d’expression, dans la sphère publique, des opinions de chacun.
Dans une telle situation, je crois qu’il nous faut impérativement nous défier du prisme déformant de l’actualité.
La proposition de loi dont nous sommes appelés à débattre aujourd’hui fait suite à l’affaire Baby Loup, du nom de cette crèche privée qui a licencié en 2008 l’une de ses salariées, au motif qu’elle refusait d’ôter son voile, comme le préconisait le règlement intérieur de cette structure non confessionnelle. Pour la première fois, un contentieux survenu plus tôt dans les collèges et lycées, et que la loi de 2004 avait globalement réglé, était ainsi transposé au secteur des crèches privées, c’est-à-dire à des structures d’accueil de jeunes enfants.
Si nous comprenons la volonté de nos collègues du groupe RDSE d’apporter, par le biais d’une loi, une réponse satisfaisante à ce problème – je n’oublie pas que l’inscription de l’épithète « laïque » dans l’article 1er de la Constitution de 1946 résulta de l’adoption d’un amendement déposé par les communistes contre l’avis du mouvement gaulliste –, nous ne pouvons souscrire pleinement à cette proposition de loi.
Nous approuvons la première partie de l’article 1er du texte, tel qu’issu des travaux de la commission des lois, qui tend à transposer dans notre droit positif la décision rendue en première instance par le conseil des prud’hommes.
Celui-ci a considéré que, dès lors qu’une structure privée est financée par des fonds publics – principalement par des collectivités territoriales – pour la réalisation d’une mission satisfaisant à un besoin d’intérêt général, on doit appliquer à ces structures recevant implicitement une délégation de service public les règles qui valent pour les services publics eux-mêmes.
D'ailleurs, cette décision constitue un plaidoyer, sans doute involontaire, en faveur de la création d’un véritable service public de la petite enfance. Il faut rappeler que ce dernier est le seul à promouvoir tous les principes républicains, à commencer par celui de la mixité sociale. À cet égard, de façon tout à fait cohérente, nous préconisons la transposition de cette logique aux centres de loisirs et de vacances.
Nous sommes plus mesurés sur la seconde partie de l’article 1er, tendant à appliquer le principe de neutralité à toutes les structures, y compris à celles qui ne perçoivent pas de subventions publiques. Un tel dispositif tire la conséquence du jugement rendu par la cour d’appel de Versailles, selon lequel les directions des crèches doivent être autorisées par le législateur à apporter de leur propre initiative certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés, au nom de l’intérêt de l’enfant.
Nous comprenons la finalité de votre démarche, mes chers collègues, et, comme vous, nous considérons que l’accueil des jeunes enfants doit se faire dans un cadre permettant l’ouverture à toutes les croyances, dans le respect d’un espace commun. Pour autant, la notion même d’intérêt commun ne nous semble pas des plus appropriées, dans la mesure où son utilisation risque de stigmatiser les personnes les plus concernées par cette disposition, à savoir les femmes portant un voile.
En conséquence, le groupe CRC s’abstiendra sur les deux premiers articles de la proposition de loi.
Par ailleurs, nous voterons, à regret, contre l’article 3, dont l’application nous semble susceptible de créer davantage de difficultés qu’elle ne permettra d’en résoudre.
Nous considérons en effet qu’il n’est pas souhaitable que le contrat de travail précise les orientations religieuses du salarié ou de la salariée. Or, en prévoyant que, sauf disposition contraire contenue dans le contrat de travail, la règle est la neutralité, vous placez les assistants maternels devant l’obligation légale de préciser leur niveau d’engagement religieux, qui peut d’ailleurs varier dans le temps. Un parent qui refuserait de signer un contrat de travail avec un assistant maternel ayant signifié un engagement confessionnel ne prendrait-il pas le risque d’un contentieux pour discrimination à l’embauche sur un fondement religieux ?
En tout état de cause, cet article nous semble être en contradiction avec l’un des fondements de notre République laïque, selon lequel nous n’avons pas à connaître des orientations religieuses et philosophiques de nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC s’abstiendra sur l’ensemble de cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 1er de notre Constitution dispose que la France est une République laïque. Ainsi élevée au rang de principe constitutionnel, la laïcité est pourtant, aujourd’hui encore, contournée, bafouée, et les fondements mêmes de notre République sont trop souvent ébranlés.
À tous ceux qui considèrent ce principe comme une interdiction de la pratique des religions, je répondrai qu’il est, bien au contraire, le garant de la liberté de conscience et de croyance de chaque citoyen et un puissant levier contre les discriminations. Il nous permet de vivre ensemble, malgré la diversité de nos convictions : c’est un combat de chaque instant que nous devons mener !
Si notre collègue Françoise Laborde a pris l’initiative de déposer cette proposition de loi visant à garantir le respect de la laïcité dans les structures chargées de l’accueil de la petite enfance, c’est d’abord pour défendre avec force ce principe contre tous ceux qui cherchent à l’affaiblir par des dérives communautaristes.
Lorsque le législateur a, en 2004, encadré le port de signes religieux dans les écoles, les collèges et les lycées publics, il souhaitait protéger ainsi les élèves contre toute influence religieuse. Pourquoi les enfants de moins de six ans n’auraient-ils pas la possibilité, eux aussi, de grandir dans la plus stricte neutralité confessionnelle, indispensable à l’apprentissage de la citoyenneté et à la liberté de conscience ? Il est important que le droit fondamental des parents au choix de l’éducation de leurs enfants, par ailleurs consacré par de nombreuses conventions internationales, soit respecté.
La justice a eu à se prononcer sur cette question, à la suite du licenciement d’une salariée de la crèche Baby Loup qui refusait de retirer son foulard islamique, alors que le règlement intérieur de l’établissement prévoyait explicitement que le personnel devait « respecter et garder la neutralité d’opinion politique et confessionnelle du public accueilli ». En première instance, puis en appel, les juges ont donné raison à la direction de la crèche. Cette affaire a toutefois mis en exergue la fragilité de l’application effective du principe de laïcité dans notre pays et démontré, s’il en était encore besoin, la nécessité de réaffirmer ce principe, dont le respect ne doit souffrir aucun compromis.
Cette situation nous a conduits à intervenir et à prendre nos responsabilités, car la jurisprudence ne saurait, en aucun cas, se substituer à la loi.
Si l’obligation de neutralité religieuse s’applique aux services publics, aucune disposition législative ne traite des structures privées accueillant la petite enfance. À ce titre, je déplore qu’il n’existe pas, en France, de service public de la petite enfance, ce qui permettrait d’appliquer aux crèches, quel que soit leur statut, les principes de laïcité et de neutralité. Cela serait d’autant plus souhaitable que ces structures s’adressent à un public particulièrement vulnérable et exercent une mission d’intérêt général.
Avec cette proposition de loi, présentée par notre collègue Françoise Laborde et cosignée par l’ensemble des sénateurs du groupe RDSE, nous souhaitons clarifier les règles définissant les conditions d’accueil de la petite enfance en dehors du domicile parental. Il nous a semblé indispensable d’étendre l’obligation de neutralité, corollaire du principe de laïcité, à l’ensemble des structures privées chargées d’accueillir de très jeunes enfants et aux assistantes maternelles. Le texte proposé par notre rapporteur, Alain Richard, dont je tiens à saluer le travail, ne va malheureusement pas aussi loin que nous l’aurions souhaité, mais il constitue néanmoins une réelle avancée.
Si je me réjouis qu’il soit prévu de soumettre les crèches privées recevant une aide financière publique à une obligation de neutralité en matière religieuse, je regrette que le texte ouvre la possibilité, pour des structures confessionnelles, de bénéficier d’une aide de la collectivité sans être assujetties à ce même principe de neutralité. Certes, elles devront respecter des règles républicaines d’ouverture et d’égalité de droits, c’est-à-dire accueillir les enfants quelles que soient les croyances de leurs parents et en respectant leur liberté de conscience.
L’adoption de cette proposition de loi permettra à la Haute Assemblée de réaffirmer solennellement son attachement à la laïcité, principe fondateur de notre pacte social, et apportera, j’en suis persuadé, une nouvelle pierre à cet édifice républicain si fragile. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains.
Mlle Sophie Joissains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en mai dernier, nous avons adopté, droite et gauche confondues, une résolution instituant une journée nationale de la laïcité, non fériée et non chômée, le 9 décembre, date anniversaire de la promulgation de la loi de 1905 qui – faut-il le rappeler ? – pose le principe de la séparation des Églises et de l’État.
Depuis quelques années, ce principe constitutif de l’édifice républicain revient en force dans le débat public. Est-ce à dire que le religieux se fait plus présent et porte tort au « vivre ensemble » ? Peut-être… Le laïcisme intransigeant d’hier a fait place à une laïcité exprimant avant tout les valeurs de respect, de dialogue et de tolérance.
Penchons-nous brièvement sur le sens que ce concept peut prendre.
Le débat met en jeu les compromis théologico-politiques commis au nom du multiculturalisme, la simple autonomie du religieux par rapport à l’État ou ce que je n’hésiterai pas à appeler la « religion laïque » – je m’en expliquerai plus loin.
La conception française est fondée sur la séparation des églises et de l’État : autrement dit, la main de l’État ne peut se poser sur le religieux, de quelque manière que ce soit, ni par le biais de financements directs ou indirects, fussent-ils occultes, ni sous forme d’une approbation ou d’une désapprobation, dans la mesure où le religieux ne contrevient pas aux principes de la République. Cette dernière restriction nous indique que l’État, la République a la priorité dans les affaires temporelles. Le religieux relève de la sphère intime, ne peut s’immiscer dans la chose publique ni y contrevenir. Cette scission paraît salutaire, mais prenons garde : le religieux touche à la transcendance et, de fait, lorsqu’il existe, ne peut être étranger aux comportements humains. Nous devons en limiter l’expression, non la traquer.
En 1905, pour des raisons qui n’étaient pas tout à fait les mêmes qu’aujourd’hui, nous avons décidé d’adopter le principe de laïcité afin de limiter les pouvoirs de l’Église. Aujourd’hui, le multiculturalisme a donné une vigueur nouvelle à ce principe, qui apparaît comme la clé du « vivre ensemble ».
La proposition de loi qui nous est présentée, dont l’initiative revient à notre collègue Françoise Laborde, vient achever le dispositif de la loi de 2004 interdisant, en application du principe de laïcité, le port des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Elle prévoit d’étendre l’obligation de neutralité propre au service public aux personnels relevant du droit privé accueillant des enfants. Cette nouvelle étape dans l’application du principe de laïcité nous paraît intéressante ; je tiens à féliciter Mme Laborde et M. le rapporteur de leur excellent travail.
La gauche et la droite peuvent parfois se réunir autour des grands principes fondamentaux de la République : c’est là un signe formidable de cohésion républicaine.
Ainsi, la laïcité se trouve au centre du projet de l’UMP pour 2012 (Exclamations sur certaines travées du RDSE.), qu’il s’agisse de la formation des agents, de la possibilité pour les entreprises d’intégrer dans leur règlement intérieur des dispositions encadrant les pratiques religieuses sur le lieu de travail ou de l’extension des obligations applicables au secteur public en matière de neutralité aux structures privées d’accueil de la petite enfance.
Le jugement de la cour d’appel de Versailles concernant l’affaire de la crèche Baby Loup a franchi une frontière entre droit public et droit privé en admettant l’application du principe de laïcité aux structures privées accueillant de jeunes enfants, en raison de la nature du public accueilli par la crèche. Le cas est sans précédent : quel sera l’avis de la Cour de cassation ? Nous ne le savons pas, mais il était nécessaire de légiférer sur les structures d’accueil de la petite enfance, qu’elles soient publiques ou privées.
Après l’âge de six ans, la loi de 2004 préserve la liberté de conscience de l’enfant par le biais des obligations de neutralité s’attachant à l’école publique. Avant cet âge, la diversité des structures accueillant des enfants devait permettre de respecter le choix des parents, ainsi que l’intégrité, la vulnérabilité de l’enfant.
Je propose ici de distinguer les structures collectives d’accueil des enfants des contrats de droit privé liant les assistants maternels aux parents.
Nous ne pouvons qu’approuver le travail approfondi effectué par le rapporteur et la commission des lois, visant à assurer une pleine compatibilité du nouveau dispositif proposé avec, d’une part, les exigences qui découlent de la liberté religieuse et de la liberté d’association, et, d’autre part, les principes posés par le code du travail.
Par conséquent, il est apparu nécessaire de distinguer, dans un souci juridique et d’équilibre, trois hypothèses pour les structures collectives d’accueil d’enfants de moins de six ans : les crèches qui bénéficient d’une aide financière publique ; celles qui ne bénéficient pas d’une telle aide ; enfin, les crèches se prévalant d’un caractère religieux.
S’agissant des premières, celles bénéficiant d’une aide financière publique, elles sont soumises à une obligation de neutralité en matière religieuse. Ainsi, les agents doivent s’abstenir de manifester de manière ostensible leur appartenance religieuse par le biais de discours, de signes ou de tenues. En effet, le respect de la conscience de chacun est la contrepartie indispensable et légitime du versement d’aides financières par les collectivités, que ce soit sous forme de subventions ou de régimes fiscaux avantageux : dans ce cas de figure, l’État est le maître.
S’agissant des crèches ne bénéficiant pas d’une aide financière publique, elles devront obtenir une autorisation et justifier d’un intérêt pour l’enfant si elles veulent apporter certaines restrictions à la manifestation des convictions religieuses de leurs salariés. Ces restrictions devront figurer dans le règlement intérieur de la crèche ou dans une note de service. En retenant cette solution juridique, la commission des lois a clairement voulu aller dans le sens de la position exprimée par la cour d’appel de Versailles, le 27 octobre 2011, à propos de l’affaire Baby Loup.
Si l’article L. 1121-1 du code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », la cour d’appel a clairement affirmé que, compte tenu de la vulnérabilité des enfants concernés, on ne peut pas leur imposer des opinions religieuses sans l’assentiment des parents.
Les parents choisissent une crèche pour leur enfant en fonction, notamment, de valeurs qu’ils décident de lui inculquer. La crèche ne saurait donc promouvoir, par l’intermédiaire de ses agents, des valeurs auxquelles les parents ne souscrivent pas ou qu’ils ne connaissent pas. Cette nouvelle disposition vise également à garantir une totale transparence, d’une part dans la relation entre les parents et les structures d’accueil, d’autre part dans la relation entre la crèche et ses salariés, et ce quelles que soient les convictions des uns ou des autres. Les rapports n’en seront que plus apaisés, et l’application de cette logique contribuera à désencombrer nos tribunaux.
Enfin, la dernière hypothèse vise les crèches se prévalant d’un caractère religieux. Il est prévu que celles-ci ne soient soumises à aucune obligation de neutralité. Néanmoins, dès lors qu’elles bénéficient d’une aide financière publique, elles seront tenues d’accepter tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance des parents. Par conséquent, et de la même manière que pour les établissements scolaires privés sous contrat d’association, les activités que proposent les structures de ce type devront respecter le principe de liberté de conscience des enfants.
On ne peut que saluer cet effort d’harmonisation : instaurer un schéma unique pour toute la phase d’éveil et d’apprentissage de l’enfant me semble indispensable pour que, dès le plus jeune âge, tous les enfants, ainsi que leurs parents, connaissent les implications concrètes que recouvrent le principe de laïcité et la liberté de conscience. Le devenir des valeurs de la République n’en sera que plus assuré.
Dans un souci de cohérence, la commission des lois a transposé les hypothèses que j’ai précédemment détaillées aux centres de vacances et de loisirs. Notre objectif d’application des mêmes principes républicains par tous, pour tous et en tout point du territoire français sera ainsi pleinement atteint.
La commission des lois a voulu, ce qui paraissait logique au départ, traiter de la même manière le cas des assistants maternels exerçant à leur domicile. Il est vrai que le dispositif bénéficie d’un financement public partiel – prestations familiales et réductions d’impôts – attaché lui aussi à l’accueil des enfants.
Le rapporteur a ainsi prévu, dans le silence de l’assistant maternel, une présomption de neutralité le concernant. Je ne suis pas certaine que l’équilibre entre les libertés publiques et le principe de laïcité soit ici préservé, et je ne serais pas étonnée que cette partie de la loi soit déclarée inconstitutionnelle. En effet, si la garde s’effectue au domicile privé de l’assistant maternel, qu’est-ce qui constitue un signe religieux dans une maison ? Un crucifix, une main de Fatma, des représentations de divinités hindoues accrochées au mur ? La marge d’appréciation laissée aux tribunaux sera si étendue que l’harmonisation des décisions de justice risque d’en être affaiblie, difficile, et les injustices nombreuses. Ne s’agit-il pas là d’une intrusion directe dans la vie privée ? Ne sommes-nous pas en train de fournir des outils à la discrimination ?
Il est vrai que certains assistants maternels ont pu cacher aux parents leur appartenance religieuse et, de fait, leur porter préjudice, mais un tel comportement reste marginal. Lorsque l’on conclut un contrat avec un assistant maternel, ce n’est pas uniquement en fonction de critères religieux – ce critère n’est d’ailleurs que très rarement le premier –, et, de surcroît, à moins qu’il ne s’agisse d’une personne très rouée, les signes d’appartenance religieuse sont vite évidents lorsque l’on franchit le seuil de son domicile. Libre à chacun, au vu du cadre où va évoluer l’enfant, de conclure ou non un contrat de travail avec l’assistant maternel.
« Le mieux est l’ennemi du bien », disait ma grand-mère… Nous risquerions, en adoptant l’article 3, d’entrer dans des considérations d’espèce complexes et d’aggraver des postures d’opinion ou de croyance qui contribuent au communautarisme. En bref, cet article ne nous ferait-il pas entrer en religion laïque ?
L’enthousiasme suscité par les articles 1er et 2 de la proposition de loi nous invite à vous demander, monsieur le rapporteur – vous êtes seul à pouvoir le faire –, de retirer l’article 3 concernant les assistants maternels. Je regrette de ne pas avoir pu déposer d’amendement dans les délais impartis ; nous sommes d’ailleurs nombreux dans ce cas. Beaucoup, au sein même de votre groupe, se posent des questions. Rien ne vous empêche de déposer un nouveau texte sur ce sujet précis, ce qui nous laisserait peut-être le temps de trouver des solutions qui ne soient pas attentatoires à la vie privée.
Si vous faites le geste de retirer l’article 3, c’est l’hémicycle tout entier qui portera cette proposition de loi. Dans le cas contraire, le groupe de l’UMP votera les deux premiers articles, rejettera le troisième et – ce qui ne correspond pas tout à fait à ma position personnelle, tant je crois à la censure de l’article 3 par le Conseil constitutionnel – s’abstiendra sur l’ensemble du texte, ce qui serait dommage. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UCR.)